Précisions  historiques









     Les textes que je publie ici auraient dû être inclus dans le recueil 1957-1965 (avec seulement quelques compléments de 1972). Le premier est le brouillon de l'article perdu (datant de 1959) sur la question algérienne, auquel il est fait allusion dans la table des matières et chronologique dudit recueil. Le second est constitué par la majeure partie d'une lettre à un camarade. Je lui proposais un plan pour une étude exhaustive de la question nationale-coloniale, comme on disait alors.


     Ces textes ont une importance pour notre positionnement vis-à-vis des jeunes générations des pays qui connurent les révoltes anti-coloniales. En effet elles pourront se rendre compte que, d'une part, nous n'avons jamais bloqué avec la puissance dominante – la nécessité de nous séparer d'elle nous conduisit d'ailleurs à une remise en question de la théorie du progrès, à nous poser celle de la validité de la science, etc. – et que, d'autre part, nous n'avons jamais fait bloc, front unique, etc., avec la couche dirigeante qui s'imposa vis-à-vis de la puissance colonisatrice après avoir le plus souvent massacré tous les courants radicaux inclus dans le mouvement de révolte. Nous ne sommes donc pas concernés par l'ethnocentrisme, l'occidentalisme, le fanatisme du progrès ni par ce qui a été appelé le tiermondisme, syncrétisme des formes abâtardies du nationalisme et du populisme. Potentiellement on s'est donc assuré le lien avec ces générations, car rien de fondamental dans notre représentation peut faire obstacle à la remise en cause totale qu'elles seront amenées à faire dès lors que la communauté du capital s'imposera partout dans le monde.


     Ceci dit il est bien évident que le phénomène national est depuis longtemps terminé. Nous avons indiqué que pour l'ensemble mondial l'année 1962 voyait la fin définitive de toutes ses potentialités révolutionnaires considérées sous l'angle du procès révolution total. En outre nous avons (cf. particulièrement l'article « Précisions après le temps passé » dans Invariance, série III, n°5-6) montré la fin de toutes les nations et le triomphe de la communauté du capital. En définitive le concept de nation est réduit à un opérateur au sein de la combinatoire représentationnelle du capital. En outre on peut mettre en évidence qu'il y a eu d'abord victoire du principe national sur l'internationalisme prolétarien (1914) puis victoire de l'internationalisme du capital sur le nationalisme. Par là se manifestait également la fin de toute domination foncière, et donc l'élimination de la médiation terrienne dans l'effectuation d'une domination, et s'exhibait le triomphe du capital, celui de la médiation artificielle.


     La fin des nations doit être comprise en connection avec celle de la démocratie et du fascisme, comme du populisme sous ses diverses formes. À l'heure actuelle nous assistons à une réorganisation spatiale non pas tellement des groupements humains mais des groupements de capitaux en fonction de l'organisation de la communauté du capital qui fait éclater tous les vieux cadres mis en place lors d'une domination encore foncière du capital, c'est-à-dire quand celui-ci n'avait pas encore éliminé la terre et les hommes. Autrement dit, avec le triomphe de la représentation du capital au travers du marché monétaire, de la publicité et de tout ce qui s'y rattache (ce que nous avons appelé le monde mercatel), il n'y a plus besoin d'un référent terre ou espèce humaine, ni d'un référentiel foncier ou humano-féminin.


     Nous reviendrons sur le phénomène national dans le chapitre sur le capital de Émergence de Homo Gemeinwesen. Il nous importe toutefois d'indiquer dès à présent que l'insuffisance de la séparation, en particulier au niveau théorique, entre théorie révolutionnaire concernant le phénomène national et la théorie bourgeoise, liée – comme nous l'avons déjà signalé à une défectuosité d'investigation concernant le féodalisme et les diverses formes de communautés – a permis de justifier tout l'enlisement chauviniste du prolétariat. Cette insuffisance a encore des conséquences néfastes à l'heure actuelle où se réactive – au moins au niveau de la représentation – le phénomène tribal, celui communautaire (cf. les événements d'Afrique Noire, comme ceux d'Afrique du Sud, mais aussi ceux en Inde, dans l'aire Islamique).


     Toutefois dans la mesure où nous serons à même de montrer que le mouvement intermédiaire, celui entre communauté initiale et communauté intégrée conscientiellement en la biosphère, se termine avec la mort potentielle du capital, il nous sera possible d'échapper aux conséquences de toutes les erreurs et insuffisances commises pendant la phase d'opposition du mouvement prolétarien à la domination du capital, surtout si nous mettons bien en évidence que ce dernier élimine toutes les communautés pour rendre hommes et femmes totalement dépendants de sa communauté où ces derniers ainsi que l'ensemble de la biosphère seront réduits à des objets gérables puis substituables et donc à éliminer.





CAMATTE Jacques – Août 1991