LÉNINE  ET  LA  PAIX







      Dans son numéro 21 janvier 1964 l'Humanité rappelle à ses lecteurs qu'il y a quarante ans mourait Lénine. Ce qui nous importe ce n'est pas l'anniversaire, c'est la façon de le célébrer. Pour l'Humanité c'est une occasion de faire dire à Lénine des choses qu'il n'a jamais proclamées. Il faut à nos krouchtchéviens une autorité de l'au-delà pour justifier leur politique. Ils sont pour la paix, donc : « Lénine incarne la lutte pour la paix ».



       La paix, ils n'ont que ce mot à la bouche. Ils en remplissent les colonnes de leurs journaux. La paix, c'est le mot magique qui permet de faire l'unité. Qui peut être contre la paix, contre le bonheur de l'humanité ?, déclarent-ils. La paix, leur répond-on de tous côtés, est non seulement possible mais nécessaire.



       La paix et l'argent sont les deux mots magiques de cette société. Ce sont les deux putains universelles pour lesquelles on doit tout prostituer. La paix et l'argent c'est la coexistence pacifique. « Les profonds changements qui sont intervenus dans le monde en faveur de la paix et du socialisme donnent aujourd'hui la possibilité d'imposer aux impérialistes cette coexistence pacifique pour laquelle il (Lénine, n.d.r.) a mené un combat passionné », L'Humanité.



      La théorie krouchtchévienne est l'inverse de l'alchimie du moyen-âge qui voulais transmuter de vils métaux en or. Elle veut transformer un révolutionnaire hors ligne en un pacifiste béat. L'alchimie a échoué. La théorie krouchtchévienne subira le même sort. Lénine est le théoricien de la lutte des classes, de la guerre de classes, celui qui, en 1917 rappelait la sentence de Marx : « L'insurrection est un art », celui qui dès 1914 proclamait la nécessité de fonder une nouvelle internationale et qui l'effectuait en 1919. Une internationale, pourquoi ? Pour coexister avec le capital ou pour le détruire ?



     Ce n'est pas un anniversaire que nous voulons célébrer. Nous voulons glorifier une vie entière passée au service du prolétariat, toute dédiée à la lutte pour l'instauration de la dictature du prolétariat, pour le triomphe de la société communiste.



      Lénine a parlé de la paix. C'est vrai. Quand ? Pourquoi ? Pendant la première guerre impérialiste afin de transformer celle-ci en guerre civile. « Ces conditions de paix ne seront pas vues d'un bon œil par les capitalistes, mais elles rencontreront chez tous les peuples une telle sympathie, elles provoqueront dans le monde une si grande explosion d'enthousiasme et une indignation générale contre la prolongation d'une guerre de rapine, que selon toute vraisemblance, nous obtiendrons du même coup une armistice et le consentement à l'ouverture des pourparlers de paix. Car la révolution ouvrière contre la guerre grandit partout irrésistiblement ».



      En février 1917, il insiste encore plus car pour les masses ouvrières d'Europe rien n'aurait changé en Russie si le nouveau pouvoir avait continué la guerre impérialiste. Comment dans ce cas pourraient-elles mettre fin à l'Union sacrée ?



      Il réaffirme encore la nécessité de la paix quand les allemands sont près de St-Pétersbourg et que dans le parti des voix s'élèvent pour proclamer la guerre révolutionnaire. Pourquoi ?



        « Nous sommes prêts à accepter un traité onéreux et une paix séparée, parce que nous savons que nous ne sommes pas encore prêts, en ce moment, à la guerre révolutionnaire, qu'il faut savoir attendre ». Savoir attendre, voilà bien ce que n'ont pas su comprendre tous les immédiatistes de tous les temps et de tous les bords. Savoir attendre n'est pas fuir devant les réalités, c'est « attendre d'être plus forts ». Comment être plus forts ? « Par un travail énergique et bien organisé, par la construction de chemins de fer, par le règlement du problème du ravitaillement, créer une armée plus forte et plus solide pour défendre notre révolution et d'ici là il est certain que la révolution socialiste aura éclaté en Allemagne ». Mais à l'heure présente, dit Lénine, nous ne pouvons pas préconiser une guerre révolutionnaire « car sans armée et sans préparation économique très poussée, on ne peut faire une guerre moderne contre un impérialisme avancé ».



      Pour mieux faire comprendre il cite tous les cas historiques où des peuples furent amenés à accepter des conditions de paix effroyables parce que le rapport de forces leur était défavorable. Et cela non pour accepter la paix, mais pour la violer et passer à nouveau à l'offensive. « Le Hoffmann-Napoléon prenait les allemands en flagrant délit de violations de la paix, et Hoffmann nous prendra de même. Seulement nous tâcherons de ne pas nous laisser prendre de sitôt ». L'histoire nous apprend que la paix est une trêve pour la guerre, que la guerre est un moyen d'obtenir une paix tant soit peu meilleure ou pire ». La seule victoire qui puisse affranchir de toute paix et de toute guerre c'est celle du communisme à l'échelle mondiale.



     L'impérialisme nous a écrasés et fait prisonniers. Nous avons été obligés de subir les pires conditions objectives ; nous avons pensé qu'il fallait attendre, attendre d'être encore plus forts. Oui, cette contre-révolution est infamante. Mais avec Lénine nous répétons aux prolétaires : « signez les traités les plus infamants tant que nous n'avez pas d'armée, rassemblez vos forces et levez-vous ensuite encore et encore ». Le but n'est pas la paix mais le communisme.






1964