PROMOTION   DE   L'AFRIQUE









    Les derniers événements, qui se sont déroulés en Afrique, ont fortement touché l'opinion publique européenne et entament son sentiment de supériorité. Des peuples noirs seraient capables de se gouverner tout seuls ! Une grande partie de l'Humanité sort de la torpeur où elle avait été plongée et accède de nouveau à la scène de l'histoire. Mais ce ne sont pas des « sauvages » qui, soudain, sont catapultés ainsi (en raison de forces « mystérieuses » que certains veulent attribuer uniquement à la lutte entre les impérialismes), mais ce sont des peuples qui ont une antique et glorieuse histoire.



     « Les révélations des navigateurs du XV° au XVII° siècle fournissent la preuve certaine que l'Afrique Nègre qui s'étendait au sud de la zone désertique du Sahara était encore en plein épanouissement, dans tout l'éclat de civilisations harmonieuses et bien formées. Cette floraison, les conquistadores européens l'anéantissaient à mesure qu'ils progressaient. Car le nouveau pays d'Amérique avait besoin d'esclaves et l'Afrique en offrait : des centaines de milliers, de pleines cargaisons d'esclaves ! Cependant la traite des noirs ne fut jamais une affaire de tout repos ; elle exigeait sa justification ; aussi, fit-on du Nègre un demi-animal, une marchandise. Et c'est ainsi que l'on inventa la notion de fétiche (portugais : feticeiro) comme symbole d'une religion africaine. Marque de fabrique européenne ! Quant à moi, je n'ai vu dans aucune partie de l'Afrique Nègre les indigènes adorer les fétiches.


     L'idée du « Nègre barbare » est une invention européenne qui a, par contre coup, dominé l'Europe jusqu'au début de ce siècle » (Léo Frobenius, Histoire de la civilisation africaine, traduit de l'allemand par Dr. Back et D. Ermont, p. 14-15).


     L'auteur des lignes qui précèdent a la même admiration pour les populations du Kassaï-Sankuru (qu'il a visitées en 1906) que celle qu'éprouvait Morgan devant la société iroquoise. Ceci ne surprend pas un marxiste qui sait à quoi s'en tenir sur la valeur de la société actuelle – summum de la civilisation. Mais notre but n'est pas d'étudier ce sociétés avant l'arrivée des Européens, ni d'expliquer en détails que c'est l'impérialisme blanc qui est cause de la torpeur et du retard de l'Afrique. Nous voulons simplement souligner la validité du schéma marxiste de l'évolution générale de l'espèce humaine ; du communisme primitif au communisme scientifique. Mais les peuples n'évoluent pas tous à la même vitesse. Ainsi, une partie de l'Afrique franchit, de nos jours seulement, l'étape de l'indépendance nationale, forme juridico-politique qui correspond au développement du capitaliste dans ces pays, comme ce fut le cas en Europe au siècle dernier. Cette étape est nécessaire sur le chemin de la révolution socialiste, elle l'est actuellement, car il n'y existe pas de force (celle du prolétariat) capable de conduire une double révolution et, de ce fait, d'abréger la phase capitaliste pour les peuples africains.


     Cet événement est d'une grande importance, non seulement à cause de son poids historique mais aussi par son extension dans l'espace. Nous considérerons, tour à tour et rapidement : 1) les pays qui ont acquis leur indépendance ; 2) ceux qui l'obtiendront en 1960 ; 3) les pays de la future communauté franco-africaine.


     1) Les pays ayant acquis leur indépendance.


     Parmi ceux-ci, nous citerons en premier lieu le Liberia et la Rhodésie du Sud. Le premier, du fait que son indépendance est déjà lointaine (1848) et le second, du fait qu'il est un cas particulier : il est associé à deux États, la Rhodésie du Nord et le Nyassaland qui dépendent de Londres. Ils forment la fédération de Rhodésie-Nyassaland.


     Depuis le 28 septembre 1958, la Guinée est indépendante. C'est un territoire de 280.900 km² , peuplé de 2.250.000 habitants. Il devait être la seconde Zone d'Organisation industrielle africaine, la première étant le sud-algérien (région de Colomb-Béchar), ce qui souligne à la fois l'intérêt qu'il revêtait pour la France et son évolution avancée. La Guinée possède, en effet, un riche sous-sol géologique : les vastes gisements de fer (Kaloum, Yombeishi) qui intéressent beaucoup les britanniques (il en est de même pour ceux de Mauritanie) et de bauxite, en particulier. En dehors de la France, la Grande-Bretagne et le Canada ont des intérêts importants dans cette production. Il est à remarquer que si les crédits français ont été supprimés pour les travaux publics, après le « non » au référendum, les grandes sociétés ont pu librement continuer leurs travaux et même recevoir l'aide financière de l’État. Ceci est le cas pour les travaux de la future usine d'aluminium qui sont conduits par un groupe de Sociétés dominé par Pechiney (dernièrement un nouveau partenaire est venu grossir le lot : une société allemande). Une fois encore, c'est la démonstration que l’État n'est pas un organisme au-dessus des classes, mais qu'il est au service d'une classe : la classe capitaliste.


     Non seulement les travaux ne furent pas interrompus, mais le barrage sur le Konkouré sera peut-être construit, car il est justement désiré par ce groupe de Sociétés. La Guinée ne sera donc probablement pas asphyxiée économiquement.


   À ces richesses exploitées ou d'ordre potentiel, la Guinée ajoute un grand développement de l'agriculture ; on citera la culture intensive de la banane qui fit la richesse de certains capitalistes français.


     Ce pays a, de plus, une tradition historique importante. Avant la venue des Européens il a connu un grand empire, celui de Guinée. En cela, il présente des similitudes avec le Ghana avec lequel des pourparlers sont en cours (depuis le 24 Novembre) pour former une union qui serait le futur États-Unis d'Afrique.


     Le Ghana – autre État indépendant de l'Afrique Noire – connut des périodes fastes comme celle de l'Empire du Ghana qui fut fondé au IV° siècle de notre ère. Il est très riche du point de vue agricole – culture du cacaoyer – et d'un point de vue du sous-sol : la bauxite, en particulier. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les sociétés West African Aluminium, British Aluminium Limited et Aluminium of Canada y ont développé l'exploitation de l'alumine. La dernière société citée se retrouve en Guinée. Ceci n'est pas un cas isolé, le trust Unilever en fournit un autre exemple (on trouve ce dernier aussi bien dans les territoires anglais que dans les anciennes colonies françaises). Qu'il y ait une lutte, entre les différents impérialismes, pour la conquête de ces marchés lucratifs, cela ne fait pas de doute. Mais ce qui est faux, c'est l'affirmation selon laquelle l'indépendance des pays africains serait le résultat de ces conflits. Il y a eu un véritable mouvement national qui a pu profiter de ces contradictions.


     2) Pays qui obtiendront leur indépendance en 1960.


     Le pays comme le Togo et le Cameroun ont profité, eux aussi, des rivalités impérialistes. En effet, le mouvement de libération nationale a eu des conditions plus favorables que dans les autres pays africains du faut qu'ils n'étaient pas formellement des colonies françaises mais étaient et sont, pour quelque temps encore, des territoires sous tutelle ; c'est-à-dire que la France les administre pour le compte des Nations-Unies. Cela veut-il dire que celles-ci sont les défenseurs des nations opprimées ? Les événements de l'été dernier au Moyen-Orient sont là pour démontrer le contraire. Le conflit entre les divers impérialismes n'est pas suffisant pour expliquer ces mouvements de libération nationale. Nous rappellerons aux tenants de cette théorie, les événements de 1952 et 1953 où le Cameroun connut une vague extraordinaire de grèves qui s'étendit, à un moment donné, à toute l'Afrique Occidentale française.


     Les premier Octobre 1960 un autre grand État africain doit obtenir l'indépendance : le Nigéria, peuplé actuellement de 32 millions d'habitants et recelant de grandes richesses minières. Ce sera le plus important de tous.


    3) États de la communauté franco-africaine.


     Neuf États sur onze sont entrés dans cette communauté, en tant que Républiques autonomes. Ce sont : le Soudan, le Sénégal, le Gabon, le Tchad, la Mauritanie, le Moyen-Congo (devenu République du Congo), le Dahomey et la Côte d'Ivoire. La Haute-Volta et le Niger ne se sont pas encore prononcés (10 décembre 1958)1. Certes, l'étape de la libération nationale n'y est pas complètement faite, mais c'est un pas important. Cette Communauté ressemblera un peu au Commonwealth britannique. Or, du jour où les anciennes colonies anglaises sont entrées dans cet ensemble, le problème de leur indépendance passait, petit à petit, du domaine du droit, dans le domaine du fait. Les événements ayant tendance à s'accélérer, il se pourrait que, dans un avenir proche, ces pays atteignent le même but que le Ghana et la Guinée.


     C'est ce mouvement d'indépendance que le Philistin bourgeois n'arrive pas à s'expliquer, à justifier. On lui a toujours présenté la France comme une bienfaitrice pour ces pays. On lui a dit – argument qui le touche le plus – que la France y perd, économiquement parlant ; qu'elle aurait tout intérêt à abandonner ces « ingrats », et que c'est lui, pauvre, contribuable français, qui paie le développement de ces pays arriérés.


     Aux illusions philanthropo-économiques de notre contribuable nous opposerons les réalités africaines.


     « Les subdivisions traversées par la piste étaient chargées de fournir les porteurs. Les conditions de travail étaient dures : charge, 30 kilos ; étape, 25 kilomètres ; salaire, 1 franc. Les transports allant toujours s'intensifiant, le portage finit par rebuter les meilleurs volontés. Aucune nourriture n'était prévue, et la plupart des porteurs, gens imprévoyants (sic) devaient courir leurs 80 ou 100 kilomètres tiraillés par la faim. Plus tard, on en viendra jusqu'à retenir leur maigre salaire pour le verser à l'impôt du village » (R.P. Daigre, « Oubangui-Chari, témoignage sur son évolution (1900-1940) », Issoudun, Billen et Cie, 1947, p. 111, cité dans l'article de J. Suret-Canale : « Les problèmes économiques franco-africains et le problème de l'indépendance », Économie et Politique, n° 50-51, septembre-octobre 1958, p. 63).


     « Les malades et les petits enfants, abandonnés au village, y mouraient de faim. J'ai visité plusieurs fois une région où les moins malades achevaient les plus atteints pour les manger ; j'y ai vu des tombes ouvertes où les cadavres avaient été enlevés pour être mangés. Des enfants squelettiques fouillaient des amas de détritus pour y chercher des fourmis et autres insectes qu'ils mangeaient crus. Des crânes, des tibias, traînaient aux abords des villages... » (ouvrage cité, p. 115-116, dans la même revue p. 64).


      Voici pour les douceurs de la colonisation. Est-ce un fait du passé ? Non, car toujours cité dans « Économie et Politique » nous apprenons que « dans le compte rendu des débats de la conférence de la production et des investissements » tenue à Bangui en Décembre 1950 (et c'est le chef du bureau des Affaires économiques du territoire qui parle) :


   « ...alors que rien n'oblige l'Africain à produire, la vente des produits est soumise à l'obligation...l'habitude veut que le producteur vienne au rendez-vous, parce qu'il sait y trouver l'autorité et est entraîné à la craindre. Les commerçants sont donc assurés d'un minimum de production et en cas de tuile, il est bien entendu que l'administrateur trop zélé portera les responsabilités... » (p. 64).


     En compensation, il y a eu peut-être un développement de l'enseignement ? « L'Afrique Occidentale Française (A.O.F) avec ses 18.729.000 enfants scolarisables n'a que 326.900 scolarisés » (chiffres donnés par « Enseignement d'Outre-Mer » 1956, (Le Colonialisme, Rapport du Dr. Felix-Roland Moumi (Cameroun)), Conférence de Solidarité des peuples Afro-Asiatiques, Éditions en langue étrangères, Moscou, 1958, p. 97).


     Mais, dira-t-on, il y a eu un développement économique indéniable. Celui-ci a obligatoirement profité à l'Africain. Un certain développement a eu lieu, il est vrai, il a profité à des gens comme...Péchiney : « une société mixte (dont l'essentiel des investissements a été fourni par les pouvoirs publics) fournit à l'usine Péchiney du courant électrique à bon marché (o?80 fr. métro le KWh) ». L'excédent de courant inutilisé, la société mixte Enelcam le vend aux usagers au prix « traditionnel » le plus élevé du monde : 28 à 30 fr. CFA (Économie et Politique, article cité, p. 64).


     Un autre reproche plus récent et plus sérieux, en apparence, est celui qui prétend que les mouvements d'indépendance aboutiront à la balkanisation de l'Afrique, et donc à la destruction des grands ensembles fédératifs comme ceux créés par la France (A.O.F. et A.E.F). Ceci ne tient pas, lorsqu'on sait que ce sont les Européens eux-mêmes qui ont dépecé l'Afrique selon leurs intérêts (conférence de Berlin). C'est ainsi qu'on a fragmenté de grandes unités ethniques : le groupe des Ewes est divisé en trois parties distinctes bien qu'ils parlent la même langue : un groupe de 400.000 dans la Côte d'Ivoire, un autre de 150.000 dans la partie méridionale du Togo britannique et le troisième de 175.000 dans la partie méridionale du Togo français. Ceci est simplement un exemple parmi une foule d'autres. Des pays formant une unité naturelle ont été divisés ; par exemple, le Cameroun dont une partie est sous mandat français et l'autre sous mandat britannique (ce dernier a été pratiquement rattaché au Nigéria). À cela, il faut ajouter la partie nord-orientale qui fut englobée dans le Tchad à la suite d'un accord entre la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne durant la période 1893-1898. Le Togo a subi un sort analogue. Ces deux exemples sont assez édifiants, il est inutile d'insister davantage.


     Les pays d'Afrique Noire recevront donc un « cadeau » empoisonné : l'indépendance nationale limitée au territoire créé par les rivalités impérialistes. D'ores et déjà, ils essaient de surmonter cela, en tentant de se grouper. C'est ainsi que la Guinée et le Ghana veulent s'unir ; que M. Mamoudou Dia, Président du Conseil de la République du Sénégal parle d'une union avec la Gambie (qui est sous contrôle britannique), « La Sénégambie, a poursuivi M. Dia, est une réalité. Cependant, sa reconstruction appelle certaines conditions : l'accord des populations, etc. » (cité dans « Le Monde » du 4.12.58) ; que M. Boganda « leader effectif de la République centre-africaine » et leader du mouvement d'évolution sociale de l'Afrique Noire (M.E.S.A.N) parle de « création des États-Unis de l'Afrique latine comprenant la République centre-africaine, le Cameroun, le Congo belge, le Ruanda-Urundi, l'Angola » (« Le Monde », 3.12.58)


     Tous ces pays connaissent le même problème, le développement des ressources énergétiques : projet de construction d'un barrage sur le Konkouré en Guinée, d'Edéa au Cameroun, d'autres au Ghana, en Haute-Volta, au Congo belge, etc. Or, ces barrages fourniront une quantité d'énergie qui dépassera les capacités d'emploi immédiates de ces pays pris individuellement ; on pourra donc exporter le courant : d'où des rivalités entre ces divers pays pour obtenir la priorité dans la construction des barrages – source de revenus et, en même temps, moyen de prétendre au « leadership » africain. C'est là le type même des contradictions d'une révolution bourgeoise, conséquence de sa base étroite, nationale. Seule, une révolution socialiste, parce qu'internationaliste, pourrait résoudre rationnellement de tels problèmes. Dans la situation actuelle, au contraire, il y aura un énorme gaspillage de forces. L'aménagement projeté du Nil nous fournit un autre exemple de la manière, nécessairement bornée – et non adaptée, même, à l'ampleur des travaux nécessaires – dont la bourgeoisie résout de tels problèmes, et nous montre par là même la nécessité historique d'une direction de toute la société par le Parti international de classe. L'aménagement du Nil, en effet, n'intéresse pas seulement l’Égypte, mais d'autres pays comme l’Éthiopie, le Soudan oriental, l'Ouganda. Des rivalités nationales et impérialistes empêcheront toute solution rationnelle du problème : il suffit de voir, pour s'en convaincre, les difficultés que rencontre la construction du barrage d'Assouan.


     Dans tous les cas, dans la période actuelle, les marxistes révolutionnaires saluent avec sympathie l'accession à l'indépendance de ces pays. De plus, ils savent que le mouvement ne pourra que s’accélérer. Un petit historique le prouvera. En 1955 se tient la conférence Afro-Asiatique du Bandoeng ; c'est la première fois que les peuples africains apparaissent d'une manière autonome sur la scène mondiale. Du 26 Décembre 1957 au 1ier Janvier 1958, c'est la conférence du Caire, en avril de la même année, c'est celle des nations africaines indépendantes. Enfin, ces jours-ci, dans la même ville, celle des peuples africains. Au cours de celle-ci M. Kwame Nkrumah a déclaré : « Souvenez-vous que vous avez quatre étapes à franchir : 1) Obtenir votre liberté et votre indépendance ; 2) les consolider ; 3) créer l'unité et la communauté des États libres d’Afrique ; 4) procéder à la reconstruction économique et sociale du continent africain » (cité dans « Le Monde » du 9.12.58). On voit apparaître des délégués de nations qui n'avaient pas encore participé aux conférences : un délégué de l'Angola et « les leaders du premier mouvement véritablement nationaliste du Congo » (« Le Monde » du 10.12.58). Autre fait symptomatique : des partis qui s'opposent aux partis traditionnels comme le Parti Africain de l'Indépendance (P.A.I) et le P.R.A Sénégal (Parti du Regroupement Africain, « fraction gauchiste de l'Union progressiste Sénégalaise qui fit sécession au mois de Septembre pour mener la campagne du « non » contre les mots d'ordre des leaders », Le Monde du 8.11.58) assistent à cette conférence.


     Une grande étape est donc en train de se réaliser en Afrique : celle de la libération nationale, qui correspond à la libération politique. Est-ce la libération complète de l'homme noir, ou bien reste-t-il encore une autre étape à parcourir ? Certains idéologues comme Aimé Césaire parlait, il y a peu de temps encore, de la vocation du paysan noir comme sujet de l'émancipation de l'Homme dans ces régions. Pour appuyer sa thèse, il disait que le prolétaire d'Occident ne pouvait plus assurer cette fonction : la preuve en était la Révolution russe où avait eu lieu une alliance entre ouvriers et paysans, la preuve en était la Chine où le paysan fut l'élément essentiel de la libération nationale. En Afrique Noire ce serait le Noir parce qu'il « est dans une situation encorfe inférieure à celle du paysan russe » ou à celle du paysan chinois, qui permettrait, au travers d'un grand mouvement révolutionnaire, de réaliser le socialisme par une voie particulière : la voie africaine.


     En guise de réponse, nous ferons tout d'abord remarquer qu'un certain nombre de pays sont arrivés à l'indépendance sans pour cela être devenus, dans le même temps, des pays où fleurirait une « variété » quelconque de socialisme, puis nous reprendrons la fameuse argumentation de Marx :


     « Où donc est la possibilité positive de l'émancipation allemande (des peuples noirs – N.d.R.) ?


     « Voici notre réponse. Il faut former une classe avec des chaînes radicales, une classe de la société bourgeoise qui ne soit pas une classe de la société bourgeoise, une classe qui soit la dissolution de toutes les classes, une sphère qui ait un caractère universel par ses souffrances universelles et ne revendique pas de droit particulier, parce qu'on ne lui fait pas de tort particulier, mais un tort en soi, une sphère qui ne puisse plus s'en rapporter à un titre historique, mais simplement au titre humain, une sphère qui ne soit pas en opposition particulière avec les conséquences, mais en opposition générale avec toutes les suppositions du système politique allemand, une sphère, enfin, qui ne puisse s'émanciper, sans s'émanciper de toutes les autres sphères de la société et sans, par conséquent, les émanciper toutes, qui soit, en un mot, la perte complète de l'homme, et ne puisse se reconquérir elle-même que par le regain complet de l'homme. La décomposition de la société en tant que la classe particulière, c'est le prolétariat » (Marx, Contribution à la critique de la Philosophie du droit de Hegel, tome I des Œuvres Philosophiques, traduit par J. Molitor, Éditions Costes, p. 106).


     Quelqu'un (scandalisé!) nous répondra probablement : vous croyez que les lecteurs ne sont pas à « la page », ce Marx dont vous nous parlez c'est bien trop vieux, il ne pouvait pas prévoir les phénomènes récents qui nécessitent une toute autre attitude dans la société actuelle. Maintenant ce sont les « voies nationales » (et d'une manière pacifique) au socialisme qui sont à la mode. Il faudrait savoir une fois pour toutes qu'une doctrine politique ne dépend pas de cette dernière. Quoi qu'on en dise, la doctrine marxiste est toujours actuelle. Nous l'avons dit, la bourgeoisie indigène (si faible soit-elle numériquement) s'unit pour essayer de lutter plus efficacement contre les impérialismes ; elle le fera ensuite contre prolétariat (si ce n'est pas déjà fait dans certains cas) de telle sorte qu'à cette alliance devra s'opposer, inévitablement, celle du prolétariat (des prolétaires autochtones et de ceux-ci avec ceux des métropoles) et, dans l'Afrique Nouvelle, retentira alors le fameux cri révolutionnaire, plus que centenaire :


     « Prolétaires de tous les pays unissez-vous ».



1  Nous avons omis, volontairement, de parler de la République autonome de Madagascar, puisqu'elle ne fait

pas partie de l'Afrique noire. Le problème qui se pose à elle est, bien entendu, le même que celui des pays dont il

est question dans cet article.