CAPITAL ET GEMEINWESEN

 

 

 

 

REMARQUES

 

 

 

Le travail sur le VIème chapitre inédit du Capital fut abordé en 1964 et terminé en 1966. Ι1 ne fut publié qu'en 1968 dans le 2 d'Invariance. Jusqu cette époque (1966) nous étions membres du parti communiste international. L'introduction du travail qui précède (les 6 premières pages) parut en traduction italienne dans le 19. 1966 de il programma comunista. Ceci explique les références à un travail de parti, au parti[1] . Cependant nous pensions (tout comme A. Bordίga) que le véritable parti, effectivement agissant, ne pourrait advenir que dans un lointain avenir. L'essentiel pour nous n'était pas l'organisation contingente qui voulait se poser en tant que parti formel, mais le parti dans sa large acceptation historique. Là nous divergions tout de même d'avec A. Bordiga qui accordait trop d'importance au P.C.I. (parti communiste international), en tant que tel et s'illusionnait sur ses capacités d'intervention pratique. Ceci explique que nous n'avons pas penqu'il fût nécessaire, à ce sujet, d'apporter des modifications dans le corps du texte.

 

Un des nos buts, quand nous avons abordé ce travail, fut de faire une synthèse des travaux de A. Bordiga au sujet de 1a critique de l'économie politique et de les integrer dans le tout de la théorie. D'où les nombreuses références à ses œuvres me si, à l'époque, nous les avons laissées dans 1'anonyrnat. La plupart des textes qui ont servi de base de flexion à notre recherche ont été traduits et publiés dans Invariance; un certain nombre d'autres le furent dans Le fil du temps [2] (le plus important de ces derniers est celui qui concerne la question agraire).

 

Un autre but fut de mettre en évidence la question de la Gemeinwesen (communauté) déjà affrontée en 1961 dans Origine et fonction de 1a forme parti (parue dans Invariance 1, série Ι. 1968) et en 1964 dans l'étude sur le mouvement ouvrier français (publiée dans le n° 10 d'Invariance, série Ι. 1971) qui constituait un point de divergence entre nous et la plupart des membres du P.C.I.

 

Nous étions d'autre part déjà profondément convaincu de l’insuffisance et de la superficialité des travaux des marxistes sur le développement récent du mode de production capitaliste, en particulier en ce qui concerne ceux de V. nine et, encore plus, en ce qui concerne les quelques remarques à quoi se réduit l'apport de L. Trotsky, à ce sujet. Il nous fallait donc reprendre tout d'abord le comportement théorique de K. Marx  vis-à-vis de l'économie.

 

Depuis la parution de ce 2 d'Invariance un certain nombre de traductions d'œuvres de K. Marx ainsi que des etudes sur son œuvre économique, sont parues. Ι1 nous faut brièvement lés signaler afin de mieux situer par là même notre propre travail.

 

On doit tout d'abord noter que le VIème Chapitre qui parut en allemand et en russe en 1933 passa d'abord inaperçu. En Allemagne il fallut attendre 1969 pour avoir une édition vraiment diffusée. Elle parut sous le titre Resultate des unmittelbaren Producktionsprozesses Archίv Sozialistischer Literatur 17: Verlag Neue Kritik. Frankfurt. Depuis, ce texte est abondamment cité dans diverses revues (cf. en particulier, Sozialistische Politik. n° 8. 1970).

 

En Italie il y eut d'abord 1a parution d'un résumé de ce chapitre dans il programma comunista n° 5 et 6, 1966, dans lequel A. Bordiga indique en conclusion ce qu'il considère comme étant le plus important: «L'importance de ce chapitre inédit de l'œuvre de K. Marx réside comme nous avons essayé de le mettre en évidence, dans le fait qu'il y a déjà un siècle il avait développé 1a théorie de la valeur ajoutée dans la production de façon cohérente avec le programme révolutionnaire, et diamétralement opposée à l'opportunisme moderne de la politique des revenus.

 

Même à un siècle de distance, K. Marx est toujours plus actuel.» (p. 74, de l'édition française).

 

Une traduction complète fut ensuite publiée aux éditions La Nuoνa Italia, 1969, sous le titre Ι1 Capitale: libro Ι, capitolo VI, inédito. La traduction est de Β. Maffi qui fit aussi une introduction qui montre à quel point on peut traduire un texte sans le comprendre.

En France, en dehors de la traduction du résumé italien paru dans Programme communiste no 35, on eut tout d'abord un traduction incomplète en 1967, due à Μ. Rubel: Résultats du procès immédiat de la production in Cahiers dl'ISEA, section marxologie.

En 1968, paraissait 1a traduction des Grundrisse sous le titre Fondements de 1a critique de l'économie politique, Ed. Anthropos. Dans le n° 3 d'Invariance nous signalâmes et critiquâmes l'absurdité affirmée par le traducteur dans sa préface: la loi de 1a valeur serait détruite par le capital. On fit d'autre part remarquer à quel point il fit usage, pour rédiger ses notes, des travaux de A. Bordίga sur la critique de l'économie politique (cf. Invariance no 3 pp. 111-115). En 1971 parut une tradictίon française complète du VI° Chapitre. Nous l'avons déjà signalée dans les pages qui précèdent et nous avons fait quelques remarques critiques à la présentation du traducteur, R. Dangeville. Ajoutons que ce qu'il y a de mieux dans celle-ci est en fait dû à A Bordiga. C'est le tableau que se trouve pages 30-31 et qui fut d'abord publié dans il programma comunista 6, 1966, puis dans Programme communiste n° 35, page 70. Ce qu'il y a de pire, c'est la réduction de l'œuvre de K. Marx à un catéchisme léniniste qui est exhi de façon ostentatoire dans tous les travaux de R. Dangeville. Ceci atteint le crétinisme hypertélique dans le recueil Le syndicalisme (Petite collection Maspero. 69 - 1972) où, plein de verve magicienne, il nous livre un discours sur l'éternité du capital, non pas évidemment le capital tel qu'il apparaît selon son pôle valorisation, mais tel qu'il se manifeste selon son pôle travail. Quelques citations suffiront à «illuminer » tout le monde: « la question syndicale continue donc de se poser après 1a conquête du pouvoir. » (t. 1, ρ. 62).

 

Ce qui n'empêche pas de reconnaître qu'il peut y avoir « intégration des syndicats dans les institutions étatiques capitalistes. » (t. 2, ρ. 192).

 

«Le mot d'ordre de la réduction générale et massive des heures de travail est également inséparable de la lutte contre les directions syndicales qui subordonnent les inrêts des travailleurs à ceux de la production nationale, de la démocratie et de la légalité. Ι1 implique donc la conquête de la direction syndicale par le parti révolutionnaire marxiste, qui lie toutes ses revendication, même immédiates, à l'objectif de la destruction violente de l'État et de la forme de production capitaliste. Si le système capitaliste est incapable de satisfaire ces revendications, i1 faut tout simplement lui substituer le socialisme, c'est-à-dire poser clairement et énergiquement le problème de la révolution.» (t. 2, ρ. 98).
 

La révolution devient donc «tout simplement» solution de la question syndicale; elle apparaît comme le châtiment infli «tout simplement » au capitalisme pour sa mauvaise gestion. C'est le compendium du charabia nino-trotskyste.

De telles aberrations découlent du fait que R. Dangeville, comme tous ses congénères, n'arrive pas à penser la domination réelle du capital et la révolution communiste sur la base de ce moment de la vie du capital. Au siècle dernier, K. Marx avait entièrement raison de poser comme tâches pratiques la généralisation de la condition du prolétaire, l'augmentation des forces productives, la diminution de la journée de travail, etc. Non seulement il les proposait aux prolétaires mais, en ce qui concerne la diminution de la journée de travail, il voulait que ce soit l'État lui-même qui l'appliquât, lequel devait employer pour ce faire la coercition aussi bien sur les capitalistes que sur les prolétaires. Le but était double: unifier la classe prolétarienne, puisque 1a journée devait être la même pour tous, et pousser le capital à se développer. Cette attitude de K. Marx, c'est ce que nous avons appelé, à la suite de A. Bordiga, son réformisme révolutionnaire, qui définit un moment de son œuvre mais n'a plus aucun rapport avec 1a situation d'aujourd'hui.

À 1a fin de 1968, Μ. Rubel faisait paraître le tome II des œuvres de K. Marx concernant l'économie, qu'il présenta d'ailleurs sous le nom de Économίe car M. Rubel pense que le but dK. Marx fut d'écrire un tel ouvrage. Mais, s'il est vrai que l'œuvre économique de ce dernier ne se limite pas au Capital, il est abusif d'affirmer qu’il voulut écrire une Économie. Cette interprétation, d'autre part, pêche par beaucoup d'esprit de censure parce que son auteur, pour constituer 1'Économie, a écarté une grande partie de certains travaux sous le prétexte d'éviter les redites. Cela l'a conduit, par exemple, à publier seulement quelques fragments du Vle Chapitre et des Grundrisse. Or il est faux qu'il y ait uniquement de telles répétitions qui n'auraient aucun intérêt pour parvenir à une compréhension plus profonde de la pensée de K. Marx. La même méthode a conduit M. Rubel à condenser les 2° et 3°Livres, ce qui ne donne pas du tout une version supérieure à celle fournie par F. Engels.

 

M. Rubel a raison de critiquer celui-ci: «On peut donc dire que Εngels a fait à la fois trop et trop peu pour le Livre II, comme d'ailleurs pour le Livre III du Capital: trop, en lui donnant l'apparence d'un ouvrage définitif, trop peu, en écartant de son choix des manuscrits dont la publication intégrale eût révélé des aspects importants de l'entreprise scientifique de Marx, en même temps qu'elle eût mieux fait comprendre les raisons de son inachèvement. » Cependant, il aurait dû tirer les véritables conclusions de sa critique et publier tous les manuscrits dés Livres II et III.

 

Dans l'Économie nous avons tout au plus une juxtaposition de textes mais non l'œuvre comme le titre pourrait le laisser penser. L'introduction ne parvient pas à effacer cette : impression, à cause -d'une interprétation globale de la pensée de K. Marx que nous ne voulons pas discuter ici: l'éthique; -2° de la compréhension profonde de 1a recherche de Marx et de sa théorie. Ce mode de comprendre se révèle clairement dans un chapitre de l'Introduction: «Une légende: le changement de plan de 1'Économi. M.  Rubel veut montrer que Le Capital n'est qu'une partie de cette dernière. Il est inniable, cependant, que K. Marx a modifié son plan bien qu'il devait avec ce dernier traiter les mêmes questions qu'auparavant. Le 1° plan date des Manuscrits de 1844. C'est à partir de ce moment qu'il approfondit réellement son étude du capital de telle sorte que dans les années 60, à la suite de tout le travail dont les Grundrisse sont le résultat, i1 se rend compte que le devenir du capital est de se constituer en totalité, en tant qu'être, que toutes les antiques présuppositions sont remplacées progressivement par celui-ci. Dès lors cela n'a plus de sens d'exposer en données séparées le capital, le salariat, la propriété foncière, 1'État, le commerce extérieur, le marché mondial. K. Marx expose, à 1a place Le Capital en lequel on trouve justement les mêmes éléments. Le titre de l'œuvre devient Le Capital, le titre anrieur, sous-titre: Critique de l'économie politique. Ce dernier n'est pas une affirmation formelle pour établir une continuité entre l'ouvrage paru en 1859 et celui paraissant en 1867. En effet, pour K. Marx, 1e devenir de cette science est inparable de celui du capital. À l'origine, lors de l'irruption de celui-ci sur la scène sociale, l'économie politique est révolutionnaire; elle devient, ensuite, sous forme d'économie vulgaire, apologie acritique du capital; plus tard on a l'économie professorale, forme sous laquelle elle se survit encore de nos jours. Car le capital étant devenu capital fictif, l'économie politique devient de plus en plus, d'une part, fiction, d'autre part science de la gestion et, parallèlement, les antagonistes intégrés du capital, les socialistes, deviennent des gestionnaires.

 

Ce que M. Rubel souligne, fort rarement, c'est que Le Capital est description du communisme, négation positive du capital et de l'économie politique. Ceci a été au contraire une affirmation fondamentale de la gauche communiste d'Italie (A.Bordίga) dont la vérité ressortirait dans toute sa plénitude si nous avions à notre disposition les manuscrits non publiés, détenus à Moscou.

 

Pour terminer avec cette édition des œuvres de Marx, nous devons faire remarquer que M. Rubel restitue dans ses notes beaucoup de pages censurées, ce qui rend plus difficile la compréhension de l'enchaînement des démonstrations. Ιl a, d'autre part, le mérite de montrer toute la stupidi de ceux qui, à droite comme à gauche (trotskystes surtout), parlent de socialisme en URSS. Les commentaires de Rubel ont un certain rapport avec 1a théorie de K. Marx, ce qui n'est pas le cas des travaux de E. Mandel qui se caractérisent par un crétinisme pronon(cf. par-dessus tout son traité d'économie marxiste.)

 

Ιl existe un autre catégorie d'auteurs qui se proposent d'apporter des compléments à la théorie de K. Marx, de la modifier οu de la corriger mais qui partent, dans tous les cas, de celle-ci comme d'une donnée valable pour une analyse de la société actuelle. Nous voulons parler de Bettelheim, Emmanuel, Palloix, Baran, Sweery etc... Notre opinion est qu'en fait ils n'ont aucun rapport avec cette théorie, partie intégrante du communisme. Nous les signalons seulement en tant qu'ils sont expression de la domination réelle du capital qui a besoin de théorisations matérialistes pour masquer son immatérialité, sa fictivité. D'autre part, une fois absordans le monde de la représentation capitaliste, le marxisme après avoir été réduit à une idéologie, est transformé, grâce à eux, en un charabia scolastique apte à conquérir l'université. Voici un échantillon de ce marxisme universitaire, capitalisé: «Ce qui est caractéristique dans la démarche marxiste de la théorie de la valeur, ce sont les «lieux» d'abstraction où surgissent les différentes composantes de la valeur: procès de production en soi (valeur d'échange), procès de circulation en soi (valeur d'usage), procès d'ensemble de la production capitaliste (prix de production). Néanmoins Κ. Marx regroupe ces lieux théoriques selon leur niveau, celui de l'essence (valeur d'échange et valeur d'usage) et celui du phénomène (prix de production).» (Palloix. «L'économie mondiale capitaliste» ρ. 52). La facilité avec laquelle ces lieux sont exposés conduit à penser que ces lieux sont des lieux d'aisance emplis d'esprit althussérien, mais où tout «voir» est interdit.

 

Signalons enfin une étude inressante, parue pour la première fois en 1968 à Francfort: Zur Entstehungsgeschichte des marxschen Kapital de Roman Rosdolsky (Pour l'histoire de 1a genèse du Capital de Marx), Europsche Verlag [3]. Son analyse détaillée est impossible ici. Disons que l'auteur défend un K. Marx non travesti en trotskyste, stalinien, post-stalinien, etc... qu'il montre une fine compréhension des divers concepts fondamentaux, cependant il n'arrive pas à saisir l'affirmation, selon nous, fondamentale: le capital est valeur procès, devenant homme.

 

Mars 1972

 

 

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Pour mieux apprécier l'impact des deux études précédentes [4], il est important d'indiquer le point d'arrivée de nos recherches au sujet du développement du capitalisme, recherches effectuées en vue d'approfondir simultanément l'œuvre économique de K. Marx. Ce point d'arrivée a été en partie exposé dans le 8 d'Invariance (Transition). Ι1 convient d'ajouter quelques remarques.

 

Le capital intègre le prolétariat à travers un double mouvement: 

- Il capitalise le prolétaire, c'est-à-dire qu'il crée chez ce dernier le comportement suivant: se considérer comme un capital qui doit fructifier; le travail doit être une activité en vue d'un gain et uniquement cela. Ce phénomène se présente simultanément à celui de 1'anthropomorphose du capital: le capital devient homme. D'où, la domination de celui-ci devient non seulement naturelle: «Au cours du veloppement de la production capitaliste il se forme une classe ouvrière qui, par suite de l'éducation, de la tradition, de l'habitude, admet les exigences de ce mode de production en tant que lois de la nature. L'organisation du procès de production capitaliste pleinement élaboré brise toute résistance; la création constante d'une surpopulation relative maintient la loi de l'offre et de la demande de travail, et donc le salaire, dans des limites conformes aux besoins de valorisation du capital; la contrainte silencieuse des rapports économiques parachève la domination du capitaliste sur le travailleur. » (Le Capital, L. Ι, t. 3, ρ. 178).

       Mais humaine. Et à travers cette généralisation ultérieure de son être, il semble disparaître. Au moment où ceci se réalise, le capital devient apologiste de ce qui fut son principal ennemi: le travail productif de plus-value (donc de profit).

 

À l'époque de la domination formelle, le travail productif sous la forme de l'ouvrier existait d'un côté comme détermination essentielle de la vie du capital, de l'autre, comme sa négation possible; l'ambiguïté était présente dans l'être même de l'ouvrier (cf. Grundrίsse).

 

Dans la mesure où le capital s'affirme comme être total, il réussit à résoudre cette ambiguité en la réduisant à une division interne au prolétariat lui-même qui est alors divisé en deux parties se manifestant immédiatement comme étant hétérogènes. D'un côté une partie toujours plus importante de ce qui reste du travail productif qui est élevé au rang de sujet stable du procès de valorisation en se particularisant comme activité «qualifiée» à des niveaux qui sont hiérarchiquement différents mais unifiés en tant que «puissances intellectuelles» de la valeur autonomisée; expropriation - extranéίsation, d'autre part, au sein de la production de ces prolétaires dont l'activité apparaît apparemment insignifiante du point de vue de la valorisation globale et vont constituer quelque chose de «non qualifié», d'interchangeable. Les restes de 1'«être classique» du prolétariat sont ainsi séparés et opposés, et la «quantité de plus-value créée» cesse de déterminer le degré d'extranéίté vis-à-vis du capital.

 

Au niveau social global, cette œuvre de scission et de destruction se complète par l'expropriation d'une masse croissante de prolétaires «potentiellement productifs» de la production elle-même, en harmonie avec la tendance irrépressible du capital à réduire le rapport entre le travail productif de plus-value et le travail total nécessaire à sa vie (tout cela exprime aussi ce qu'a été la terrible défaite du prolétariat lors du passage de la domination formelle à la domination réelle du capital, 1914-1945).

Ainsi, ce qu'un âne quelconque définit comme «sous-prolétariat», n'est rien d'autre que le prolétariat absolu, produit de la dernière et insurmontable contradiction de la valeur en procès, celle entre valorisation et dévalorisation; ses luttes sont la première affirmation du communisme en tant que besoin immédiat.

 

Aux Etats-Unis où ce procès est allé jusqu'au bout, la scission entre travailleurs «productifs» comme sujet du capital et prolétariat exproprié-extranéisé dans et de la production est immédiatement perceptible, étant donné qu'elle s'est manifestée au travers de facteurs raciaux et nationaux; ce qui est aussi la dernière manifestation d'un procès commencé avec la non constitution en classe du prolétariat américain après la guerre de Sécession.

 

L'exaltation de l'ouvrier devient donc apologie du capital et colère véhémente contre les prolétaires qui refusent, de façon croissante, la loi du travail.

 

-néralisation du travail (travail nécessaire au capital) même s'il n'est pas productif mais servant à la réalisation du capital (formation des nouvelles classes moyennes) οu travail en tant qu'activité tendant à protéger, à maintenir le procès de production du capital. On a un processus de prolétarisation (formation dé sans-réserves), bien que les prolétaires diminuent en nombre. Autrement dit nous avons affaire, maintenant, à une classe de travailleurs où le prolétariat dans son sens ancien est devenu minoritaire. Tout le monde est assujetti au travail «réduit à une pure abstraction» (Grundrίsse) et, pour l'idéologie officielle: celui qui ne travaille pas, n'est pas un homme. Le contenu du travail n'a pas d'importance. Ι1 se présente comme moyen d'oppression, de répression afin de maintenir 1a société en place, c'est-à-dire assurer le procès du capital. Ι1 doit investir tout le champ de la «conscience» afin que naisse en chacun la motivation à acquérir qui lance l'individu dans le cercle vicieux et infâme: travailler (gagner de l'argent) pour vivre, vivre pour travailler (gagner de l'argent).

 

Ainsi, à l'heure actuelle, la société du capital domine au nom du travail et non au nom de la valeur. C'est paradoxalement là réalisation de la revendication des socialistes ricardίens, de P.J. Proudhon, de tous ceux qui veulent le triomphe du travail (Ι.W.W, Conseillίstes divers, toute la pathologie trotskyste et léniniste, etc.). Ce qui n'était pas le but de K. Marx, quoiqu'en pense M. Rubel: «La conclusion de ce Livre est la conclusion de toute l’Économie dont K. Marx n'a pas dissimulé 1a «tendance subjective»: le triomphe du travail sur le capital.» Pour K. Marx, il ne peut s'agir que du triomphe de l'Homme. Le travail signifie ici, au moment historique où l'on raisonne, celui de la révolution, travail salarié, l'autre face du capital. On ne peut parler du triomphe des prolétaires que dans la mesure où l'on affirme simultanément qu'ils ne le réalisent pas en tant que prolétaires mais en se niant, en posant l'Homme.

 

Nous assistons à l'heure actuelle - sous forme mystifiée à la domination du prolétariat en tant que classe. Mystification, car c'est l'être immédiat du prolétariat qui domine et fait perdurer le capital "En ajoutant une valeur nouvelle à l'ancienne, le travail conserve et éternise le capital » (Grundrisse). Pour Marx, cette domination ne pouvait être que celle de l'être médiat, c'est-à-dire la classe pour elle-même, la classe qui tend à dominer le procès économico-social afin de faciliter le développement communiste de celui-ci.

 

C'est grâce au fascisme que le capital a réalisé son accession à 1a domination réelle, celle où il domine sous son aspect travail. Le fascisme fut le mouvement nécessaire au capital pour détruire la force du prolétariat, être dont le capital a besoin pour accomplir son procès vital, d'où l'exaltation du prolétariat et la glorification du travail de la part des fascistes (le travail rend libre, était-il écrit à l'entrée du camp d'Auschwitz). Voilà pourquoi le langage fasciste s'est généralisé bien que le fascisme soit désormais un fait du passé.

 

Le résultat du mouvement total c'est de produire une classe universelle, un prolétariat nombreux, prolétariat dans le sens de: ensemble d'hommes n'ayant pas de réserves (prolétariat ancien + les nouvelles classes moyennes). C'est une classe universelle parce qu'elle forme la plus grande partie de 1a population et parce qu'elle ne peut plus revendiquer à un titre particulier mais à un titre humain. C'est la classe universelle dont parlait K. Marx dans l'Idéologie allemande. Le capital fait tout pour empêcher l'unification de cette classe en tendant d'opposer les travailleurs qui ont un emploi à ceux qui n'en ont point, les travailleur étrangers (prolétaires véritables) aux prolétaires intégrés des métropoles (dans les deux cas, il y a utilisation du racisme), les nouvelles classes moyennes aux ouvriers, enfin en empêchant que les étudiants, qui ne forment pas une classe, puissent jouer un rôle de liaison entre les nouvelles classes moyennes et les prolétaires.

 

En opposition il ne s'agira pas de proclamer un front unique de tous les travailleurs, car cela conduirait à noyer la faible minori véritablement contestataire formée de ceux qui sont en dehors du procès de production et qui posent implicitement le communisme, dans la masse de ceux qui n'ont pas, pour le moment, un intérêt immédiat dans la révolution communiste. Ce n'est que par 1e heurt entre ces deux éléments que le second pourra être déplacé sur le terrain de lutte du premier; déplacement facilipar une crise du capital et qui accentuera cette dernière. Au cours de ce heurt se produira la conscience de la phase révolutionnaire.

 

Le refus du travail, travail salarié, moyen d'oppression, mode de capitalisation des hommes et pérennisation du capital, est l’élément fondamental d'unification de la classe universelle. Ι1 ne s'agit plus de reconstituer la vieille classe prolétarienne. Vouloir cela serait vouloir enrayer ce que K. Marx considérait comme étant la grande tâche du ΧΙΧème siècle: 1a destruction du prolétariat. En ce sens, le Droit à la paresse de P. Lafargue, en tant que refus du droit au travail, est le premier moment essentiel dans la revendication d'une activihumaine lirée, œuvrant  à partir de l'appropriation des produits de toute l'activité humaine passée.

 

En période de domination formelle du capital, la révolution apparaissait à l'intérieur même de la société: lutte du travail contre le capital; maintenant elle se manifeste et elle le fera de plus en plus en dehors. La quasi totalité des hommes s'élevant contre la totalide la société capitaliste, c'est la lutte à la fois contre le capital et le travail, deux aspects de la réalité; c'est-à-dire que le prolétariat doit lutter contre sa propre domination afin de pouvoir se détruire en tant que classe et détruire le capital et les classes.

 

Une fois 1a victoire assurée à l'échelle mondiale, la classe universelle qui s'est réellement constituée (formation du parti selon Marx) au cours du vaste processus précédant la révolution, dans 1a lutte contre le capital et qui s'est psychologiquement transformée et a transformé la société, disparaît, puisqu'elle devient humanité. Ι1 n'y a plus de groupe en dehors d'elle. Le communisme se développe alors librement. Ι1 n'y a plus de socialisme inférieur et la phase de dictature du prolétariat se réduit à la lutte pour détruire 1a société capitaliste, le pouvoir du capital[5].

 

 

Décembre 1970

 

 

 



[1] D'où aussi la présence d'un grand nombre de termes inadéquats que nous avons éliminés depuis, tels: doctrine, capitalisme sénile, matérialisme historique, matérialisme, dialectique, etc...

 

[2]  C/Ο Jacques Angot. B.P. 24. Paris 19°.

 

[3] Ι1 a été édité en italien par Laterza, Bari, 1971 sous le même titre.

 

[4] Le texte qui suit devait servir de post-face à 1a traduction italienne du n° 2 d'Invariance, plus les thèses sur le capitalisme du 6, série Ι. Ιl parut en définitive sous le titre Nota aggiuntiva a Tsansizione dans Antologia di Invariance. Ed. La Vecchia Τa1ρa, Napoli, 1971, avec quelques compléments sur les catacteres du prolétariat en domination formelle et en domination réelle du capital.

 

[5] J’ai gardé le titre original de ce dernier chapitre bien qu’il ne soit pas adéquat. Il aurait mieux valu mettre Ajouts à la place de Remarques. En effet ce qui est exposé vise à compléter et à préciser le contenu de ce qui précède (note mai 2009).