BONAPARTISME ET  FASCISME



(Réunion du 03.04.1960)









     La caractérisation de la situation actuelle c'est la stagnation, le monde sans issue. Ce dernier apparaît plein de contradictions qui finalement se marient et laissent stupéfaits les observateurs superficiels de l'évolution politique. Il semble qu'il n'y ait plus de critère valable pour juger ce onde déplorable.



     On voulait la fin de la guerre d'Algérie, elle continue. Ceux qui pensaient que De Gaulle devait immédiatement l'amener sont maintenant bien bernés et, de plus, ce dernier (ou plutôt le mouvement qu'il représente) opère des mesures qui vont d'un pôle à l'autre.



     Internationalement après 1956 on attendait plus ou moins un Canossa russe, ce fut la Hongrie. Ensuite ce fut la détente, à toute vitesse. L'émulation krouchtchévienne entrait dans le panthéon bourgeois et tous les capitalistes financiers, industriels se mirent à la vénérer, à leur manière propre, en faisant l'apologie du commerce.



     Quel critère utiliser lorsque l'URSS parle après la Chine d'arriver au communisme intégral vers 1970 et qu'elle a une production de blé qui est encore allée en diminuant, tandis que la population a augmenté ? Que penser de Krouchtchev qui a un langage de bourgeois français lorsqu'il parle de l'autodétermination et des rapports étroits qui existent entre l'Algérie et la France ? De nouveau sur le plan national : que dire de Thorez et compagnie qui viennent glorifier la grandeur de la France et réclamer un pouvoir fort, revendication classique des partis fascistes ?



     L'originalité de notre époque c'est la turpitude, la stupidité, l'incapacité à comprendre son propre devenir. C'est aussi les possibilités de reprise qu'elle recèle.



   Cette appréciation n'est pas faite en fonction de données subjectives, c'est-à-dire à partir d'une soi-disant augmentation d'une conscience politique, mais sur l'évolution de l'histoire qui se moque éperdument de la vaine agitation des hommes politiques de toute couleur.



    Il faut donc préciser en quoi consiste cette « bêtise sociale » due à une situation embrouillée et que toute action semble embrouiller encore plus. Il faut montrer le rôle de jouets, de marionnettes de tous ces politiciens qui se meuvent sur l'avant-scène politique. Il faut balayer, par les armes de la critique, tous ces histrions minables pour atteindre le prolétariat et pour lui permettre de voir clair dans l'histoire.



    Il y a quelques années la réaction générale était de fuir les problèmes. On ne se posait plus les qualités de l'histoire passée, on n'essayait pas de voir les caractéristiques qui auraient permis de comprendre le présent ; on se réfugiait dans l'action présente ; il fallait jouir maintenant de la vie, après on ne savait pas : la 3° guerre mondiale pouvait éclater ! On se réfugiait dans l'existence effrénée et abrutissante : l'existentialisme produit de la décomposition de la société après la seconde guerre mondiale indique ce désarroi ; sa révolte contre son avortement (mythologie de la Résistance) et la peur du futur (guerre froide) qu'elle exorciser. Maintenant le rock and roll de la détente et de l'émulation a remplacé le jazz triste de l'existentialisme. Le désespoir a fait place à un optimisme qui est encore un exorcisme du futur.



   Ce calme relatif permet un retour sur le passé. Que faisons-nous, d'où venons-nous ? De nouveau une possibilité de réflexion.


    Mais, seule la violence pourra guérir cette société de son mal stupide. Or le prolétariat est cantonné dans son rôle de classe de la société bourgeoise et n'est pas, en même temps, une classe en dehors de cette société. Il est réduit à un ordre et à écouter les sermons sur la grandeur. La solution est donc différée…



    Seule la violence pourra arracher le voile qui abrutit. Il faut accélérer cela en critiquant l'invective à la bouche et montrer la solution que nous proposons : la révolution communiste. Évidemment un tel objectif ne peut pas être atteint du jour au lendemain. Il faut la reformation du parti de classe et la restauration de la doctrine qui le guidera : le marxisme.



    Entre ce but lointain et la situation actuelle, quel est le pont ? La réunion d'aujourd'hui veut vous le présenter. Elle ne pourra que le faire entrevoir, étant donnée l'immensité du sujet.




I. – La situation française.



     On parle beaucoup actuellement du PSU qui est le seul parti qui ait été capable de se former entre le PCF et la SFIO. Le but des éléments de ce parti est de regrouper les éléments de gauche. Certains disent même de faire un front unique de tous les éléments qui se réclament du socialisme. Ils cherchent de plus en plus à se grouper parce qu'ils sentent leur inconsistance intra-utérine. Ils cherchent la réalité même de leur existence, celle de la gauche dont ils parlent. Ainsi sont-ils amenés à dire que la gauche ne pourra se développer qu'avec la chute du régime gaulliste et, un certains nombre d'entre eux, pensent que cela ne se fera pas sans bagarre, sans violence. Il semble percer chez eux un certain débordement populaire.


     Ceci permet de poser la question de l'action.


     Nous nous opposons nous aussi aux éléments SFIO et PCF. Est-ce que nous pouvons saluer dans ces nouveaux venus des alliés ? Même temporaires ? Leur position vis-à-vis du régime gaulliste, leur perspective après la chute de celui-ci peuvent-elles cadrer avec notre méthode de lutte ?



   Pour répondre à ces questions et à toutes celles qui sont sous-tendues par celles-ci, nous ferons un rapide examen du phénomène gaulliste. Pour le caractériser on a parlé de fascisme et de bonapartisme. Revenons un peu sur ces termes.


    Historiquement le fascisme a été un mouvement bourgeois violent qui s'est opposé au mouvement révolutionnaire des prolétaires. Il n'est apparu dans sa netteté que dans les pays où [ …. ] mouvement révolutionnaire par la classe des capitalistes, la petite-bourgeoisie et l'armée » Engels.


     Donc une première caractéristique est que le bonapartisme vient après la défaire du prolétariat. Ceci est un caractère également du fascisme. Le second élément tranche totalement au contraire avec le fascisme ; c'est le fait que le bonapartisme n'est possible que s'il y a un certain équilibre entre deux classes antagonistes : les prolétaires et les bourgeois. C'est un caractère que l'on retrouve dans la monarchie absolue, dans le stalinisme (qui d'ailleurs possède aussi le caractère mentionné plus haut) : équilibre entre prolétaires et paysannerie et classes urbaines non prolétarisées.


     « La forme de cette domination était naturellement le despotisme militaire et leur chef naturel, Louis Bonaparte, en était l'héritier légitime. Le bonapartisme se caractérise vis-à-vis des ouvriers comme des capitalistes en ce qu'il les empêche de se battre entre eux. Autrement dit, il défend la bourgeoisie contre les attaques violentes des ouvriers, favorise les petites escarmouches pacifique entre les deux classes, tout en enlevant aux uns comme aux autres toute espèce de pouvoir politique. Pas de droit d'association, pas de droit de réunion, pas de liberté de la presse. Le suffrage universel, sous cette pression de la bureaucratie, rend impossible toute élection de l'opposition ; un régime policier jamais atteint auparavant, même dans la France pourtant policière. En outre, une partie de la bourgeoisie, comme des ouvriers, est directement achetée. L'une par des filouteries colossales du crédit, par quoi l'argent des petits capitalistes est attiré dans la poche des grands ; l'autre par des grands travaux nationaux, qui concentrent dans les grandes villes, à côté du prolétariat normal et indépendant, un prolétariat artificiel et impérial soumis au gouvernement. Enfin, le bonapartisme flatte la fierté nationale par des guerres en apparence héroïques, mais qui en réalité sont entreprises avec l'autorisation supérieure de l'Europe contre le bouc-émissaire commun du moment et dans des conditions telles que la victoire est assurée d'avance. Le principal résultat qu'un tel régime puisse apporter aux ouvriers et à la bourgeoisie est qu'ils se reposent de la lutte et que l'industrie se développe puissamment (si les conditions s'y prêtent), que, par conséquent, les éléments d'une nouvelle lutte, plus violente encore, se forment et que cette lutte éclate dès que le besoin d'un tel temps de repos disparaît. Le comble de la stupidité serait d'attendre davantage, pour les ouvriers, d'un régime qui n'existe précisément que pour les tenir en laisse en face de la bourgeoisie » Engels.


     Le rôle de l'armée dans un tel système politique a été précisé aussi.


    « Ce sont certes des classes différentes qui ont régné sous l'Empire, la Restauration, Louis-Philippe et la République de 1848. Sous le premier, prédominait la paysannerie, fruit de la révolution de 1789 ; sous la seconde, la grosse propriété foncière ; sous le troisième, la bourgeoisie ; et dans la dernière, non pas conforment aux intentions de ses fondateurs, mais en fait, se révéla une tentative prématurée de partager le pouvoir en parties égales entre les hommes de la monarchie légitime et les hommes de la monarchie de Juillet. Pourtant tous ces régimes s'appuyaient parallèlement sur l'armée. La Constitution de la République de 1848 n'a-t-elle pas elle-même été élaborée et proclamée sous l'état de siège, autrement dit sous le règne du sabre ? Cette République n'était-elle pas personnifiée par le général Cavaignac ? N'a-t-elle pas été sauvée par l'armée en Juin 1848, puis à nouveau en Juin 1849, pour être finalement abandonnée par cette même armée en 1851 ? Tous ses prédécesseurs ont ainsi régné depuis les journées de Thermidor. Cependant, si dans le passé, la classe dominante, dont la puissance correspondait à un développement spécifique de la société française, s'appuyait en dernier ressort sur l'armée contre ses adversaires, un intérêt social spécifique prédominait toujours. Sous le second Empire, ce qui prédomine, c'est l'intérêt de l'armée, qui n'a plus pour tâche de maintenir le règne d'une partie de la nation sur une autre : elle est appelée à maintenir sa propre domination personnifiée par sa propre dynastie sur le peuple français dans son ensemble. Elle doit représenter l’État dans son antagonisme avec la Société » Marx.


     Confrontons maintenant ces deux choses avec la situation actuelle. Le gouvernement présent se préoccupe de renforcer l'industrie et de moderniser la campagne. Pour cela on parle d'exproprier un grand nombre de petits paysans (cf. le projet de plan quadriennal) ; on parle d'association capital-travail ; on veut une intervention de l’État dans les productions importantes. Toutes ces mesures sont du pur fascisme.


     D'autre part, depuis le début on a assisté à une oscillation importante du pouvoir : franchise de 30f de la sécurité sociale, puis suppression. Suppression de la retraite des anciens combattants, restauration ensuite. Tergiversations vis-à-vis des bouilleurs de cru ; conflit avec les paysans (avec FNSEA en particulier) ; même hésitation en ce qui concerne les sursis ; pour les enseignants : congrès supprimés puis remis ; essais de revaloriser les salaires dans certaines branches et tentative de localiser au maximum les conflits.


      Toutes ces mesures sont caractéristiques d'un gouvernement bonapartiste. Ceci est lié à la grande importance des paysans en France, à une petite-bourgeoisie persistante. De là découlent quelques considérations.


     Lorsqu'en 1958 les ouvriers ne firent rien pour défendre le parlement et la démocratie, nous considérâmes cela comme un fait positif, car ils ne tombaient pas (ne serait-ce que par inertie) dans la politique de l'antifascisme.


     Lorsqu'en 1960 les événements d'Alger éclatèrent, nous ne crûment pas à la mascarade. Pour la plupart les ultras d'Alger étaient des fascistes. D'un point de vue politique, d'un point de vue de la répression et de la dictature, oui ; du point de vue économique et social, non. Car le mouvement d'Alger était un mouvement petit-bourgeois se reliant à un mouvement similaire dans la métropole. Leur position sur la guerre d'Algérie est en fait la défense d'un capitalisme parasitaire, c'est-à-dire d'un appendice capitaliste français en Algérie, et non le développement d'un capitalisme réel en Algérie.


     Pour défendre la démocratie on fit appel à un sauveur De Gaulle, et on dit qu'il évita l'instauration d'une dictature fasciste. Ce fut le même sauveur qu'en 1958, appelé par la petite-bourgeoisie de France et d'Algérie. En fait dans les deux cas, c'était le grand capital qui gagnait et superficiellement c'était la bouffonnerie qui a fait qu'en 1960 le fascisme avec De Gaulle a sauvé la démocratie contre les fascistes d'Alger ! Autrement dit le fascisme réel (même s'il n'est pas encore complètement développé dans toutes ses parties) l'a emporté sur celui imaginaire, le contenue l'a emporté sur la forme.


     Pour mieux comprendre tout cela, voyons l'opposition à sa majesté : les anti-fascistes.


     Fascisme et bonapartisme avons-nous dit apparaissent après la défaite du prolétariat ; pour ce qui est du premier la défaite date de 1926, pour les limites de la Russie seulement, de 1928 à l'échelle internationale. Que reste-t-il des partis de cette époque-là ?


     Thorez et ses amis s'appellent toujours communistes bien qu'ils luttent de plus en plus pour la grandeur française (c'est le vrai parti de la grandeur). Ils se rattachent toujours, en paroles, aux grands noms du mouvement ouvrier international…

       - se placent sur le terrain de la défense des intérêts limités des prolétaires : soutien des grèves qu'ils n'essayent en aucune façon de coordonner ;

            - sont pour les nationalisations ;

            - veulent une solution en Algérie parce que cette guerre hypothèque les chances de la France dans la lutte au sein du marché commun ;

               - sont pour la défense des petits paysans, des petits exploitants ;

               - sont pour un pouvoir fort.


     Les éléments de la SFIO ne sont que des réformistes gaullistes ; quant aux gens du PSA, de l'UGS et de Tribune du Communisme etc.. ils sont les réformistes des staliniens. Ils pillent en fait purement et simplement leur programme (ainsi ils sont pour l'indexation des prix agricoles ; cf. projet de statut).


     Tous les groupes, groupuscules sont plus ou moins sur une base similaire (à part quelques groupes dont la critique sera faite séparément). Nous les avons caractérisés de « fascistes passifs ». Ils veulent le contenu sans la forme. Voici, comment Marx les stigmatisait, il y a plus de 100 ans.


     « On sait qu'à Ferney Voltaire possédait quatre singes à qui il avait donné les noms de ses quatre adversaires littéraires, Fréron, Beaumelle, Nonotte et Le Franc de Pompignan. Le poète ne laissait pas un jour sans les nourrir de sa propre main, les régaler de coup de pied, leur pincer les oreilles, leur enfoncer des aiguilles dans le nez, leur marcher sur la queue, les habiller de cagoles, bref les maltraiter de mille façons. Le vieillard de Ferney avait besoin de ces singes de la critique pour faire passer sa bile, satisfaire sa haine et calmer sa peur des armes de la polémique. C'est de la même manière que Louis Bonaparte a besoin en Italie des singes de la révolution. Les Kossuth, Klapka, Vogt et Garibaldi obtiennent leur nourriture et des colliers en or ; ils sont placés sous verrous ; tantôt ils sont cajolés, tantôt ils reçoivent des coups de pied, selon que la haine ou la peur de la révolution l'emportent dans l'humeur de leur maître. Les pauvres singes de la révolution sont forcés d'en être aussi les otages, et ils doivent garantir à l'homme du Deux décembre la trêve du parti révolutionnaire, afin qu'il puisse impunément détruire les arsenaux des bombes orsiniennes, attaquer et égorger, dans son propre camp, l'ennemi qui l'a fait si longtemps trembler dans les Tuileries » Marx.


     Tous ces singes de la contre-révolution (car c'est de la contre-révolution qu'il s'agit chez eux) sont utilisés plus ou moins pour bâillonner les masses, pour maintenir la paix sociale.


     Toute cette espèce d'opposition explique que le dénominateur commun des partis politiques français, c'est la grandeur française, le chauvinisme horrible qui a gangrené le mouvement ouvrier français depuis son origine.


     Les staliniens à l'époque de la IV° république et surtout au moment de sa liquidation, luttaient pour ainsi dire pour le contenu du fascisme contre la forme de celui-ci : pour les nationalisations, pour l'ingérence de l’État dans certains processus économiques, pour un pouvoir fort, mais contre De Gaulle ; dans la V°, ils luttent contre le contenu fasciste : expropriation des paysans par exemple et soutiennent en fait De Gaulle.


     La force des staliniens et de leurs réformistes vient du caractère archaïque de la société française : influence très grande des petits paysans, petits boutiquiers, moyennes entreprises industrielles ; de même que ce caractère explique le mouvement gaulliste à la fois bonapartiste et fasciste. La société actuelle française n'a pas encore coupé les ponts avec l'ancienne société libérale, avec l'époque romantique bourgeoise. C'est ce qui explique la ténacité des idéologies jacobines et le retour des staliniens à Jaurès et, pour d'autres, à Proudhon.


     Donc la crise coloniale et la crise économique liées à la récession étasunienne a provoqué les mouvements de 1958. Devant le marasme, la petite-bourgeoisie a cherché un sauveur : De Gaulle. Seulement historiquement le rôle de cette couche sociale (à laquelle on doit les massacres de 1849 et de 1871) est maintenant révolu. L'intérêt du grand capital, celui de la grandeur française, commandent sa destruction.


     La période de 1958-1960 a bien fait saillir tous les caractères de la société française et le degré effroyablement bas où le prolétariat a été conduit par les traîtres du communisme, les singes de la contre-révolution. Elle a vu l'opposition de la France du XIX° siècle celle qui a stagné de 1870 à 1946 : rentière, usurière, colonialiste, souvent bonapartiste, à la France qui veut lutter dans le monde moderne du capital : industrielle, impérialiste, fasciste.


     Dans cette période de mascarade nous venons de voir que le fascisme a sauvé la démocratie, mais ce n'est plus le leurre du XIX° siècle : l'apparence de l'égalité, la mystification de la liberté et l'abrutissement fraternel, c'est un fascisme inavoué, un fils indigne qu'on ne peut déclarer.


     Nous l'avons fait remarquer dès 1958 (en suivant la position définie depuis 1926), que le fascisme était le fils de la démocratie (cf. revendications de Thorez comparées à celles de Hitler et de Mussolini). Cette fois aussi il en a été de même ; mais le produit est un monstre.


     Quelle peut être l'évolution de la situation française, que pouvons-nous en attendre ? Disons tout de suite que ce qui nous intéresse c'est la possibilité de radicalisation de la société. Si la petite-bourgeoisie est de plus en plus éliminée, les groupements de gauche actuels perdent de plus en plus de leur réalité. On a constaté depuis la fin de la seconde guerre mondiale la disparition des partis classiques de la petite-bourgeoisie, partis de la gauche bourgeoise qui aimaient avoir une gauche « ouvrière », exemple le parti radical. Un point important dans ce sens c'est la faiblesse de la SFIO. Le prochain parti, le PSU, aura tendance à les remplacer. C'est la fin de la gauche qui ne pouvait être que sous forme de groupuscules.


     Qui va prendre la clientèle ouvrière, PCF, PSU ? La question n'a pas d'importance car ce qui importe c'est ceci : la radicalisation ira vers une fascisation de plus en plus poussée de la société française. Ayant liquidé la petite-bourgeoisie, le grand capital tournera ses armes contre le prolétariat, tandis que la société française évoluera vers le bipartisme. Le rideau de fer n'existe plus entre staliniens et non staliniens ; tout le monde veut s'unir (cf. ce que dit Bourdet).


     Cette évolution nous allons la suivre dans le développement de la production française, dans celle de la concentration de l'économie, en particulier dans l'évolution de l'agriculture… Cette étude se fera en même temps que celle de la crise générale du système capitaliste. Ceci nous amène sur le plan international. On a d'ailleurs déjà empiété sur ce terrain lorsqu'on a indiqué la stagnation du mouvement ouvrier ou lorsque nous avons parlé de la question coloniale. Nous reviendrons là-dessus. L'Algérie joue par rapport à la France le même rôle que l'Irlande par rapport à l'Angleterre du XIX° siècle. Marx et Engels indiquaient que le développement du mouvement ouvrier menant à l'émancipation de la société anglaise avait pour condition l'indépendance de l'Irlande. Il en est de même du mouvement ouvrier français.



II. La question internationale



     Afin de pouvoir tenir en Afrique (au travers de l'Algérie) le gouvernement essaie d'avoir la caution de Krouchtchev. Ceci nous amène tout naturellement aux rapports actuels entre les grandes puissances : la détente.

                      

     La détente est une phase de la crise permanente du capitalisme ; elle nous amène à un nouveau partage du monde et, ensuite bien entendu, à une troisième guerre mondiale. Voyons ce qui a conduit à cela et voyons ce que nous pouvons en tirer.


     Le fait le plus important de l'après-guerre, c'est la révolution anticoloniale, fortement impulsée par la révolution russe de 1917. Cette révolution a pratiquement triomphé partout.

            - 1954 fin de la phase de systématisation nationale en Asie ;

             - 1960 elle peut se clore en Afrique (il faut tenir compte du cas particulier de l'Afrique du Sud).


      L'Amérique du Sud et Centrale luttent pour ne plus être une chasse gardée de l'impérialisme étasunien.


    Tous ces progrès sont ceux de la révolution bourgeoise ; ils sont en même temps un fait positif pour le prolétariat.

          - D'un point de vue politique : augmentation du nombre de prolétaires

       - D'un point de vue économique : augmentation des chances de crise et ce à l'échelle mondiale. De plus lorsque la révolution aura vaincu, elle aura une tâche beaucoup moins lourde à accomplir donc possibilité d'instauration du socialisme.


     On ne peut pas non plus refuser l'hypothèse que la secousse révolutionnaire vienne de là-bas (en fait le point de détonation sera l'Asie). Ces pays sont arrivés à 1848. Marx, Engels et Lénine aussi s'étaient posé la question de savoir si la révolution ne pourrait pas être relancée par les pays « arriérés ». Donc cohérence totale de la doctrine.




III. Conclusion



     Notre position dans la situation actuelle est toujours la même que celle d'il y a 30 ans : réorganiser le parti révolutionnaire, restaurer la doctrine.

         - Pas de vaine agitation, pas de compromis, pas d'alliance avec qui que ce soit ;

         - Mais une lutte théorico-critique violente, autoritaire ;

         - Formation de militants qui acceptent intégralement le programme communiste.


     Étant donné que justement ce parti n'est pas encore formé, nous ne pouvons pas intervenir (réellement). Bien souvent nous ne pouvons même pas juger en profondeur. Nous rechercherons dans tous les mouvements qui se produisent sur notre planète tout ce qui est capable de faire progresser la révolution. C'est pourquoi nous nous réjouissons fortement de la libération des peuples de couleur.


     Dans tous les cas, même en absence de parti, les militants doivent raisonner d'une façon internationaliste et comprendre que la roue de l'histoire tourne de nouveau en notre faveur. Le démasquage des staliniens est accompli. Nous savons que la crise reviendra et que, plus près de nous dans le temps, les ouvriers pourront peut-être entrer en conflit avec le pouvoir établi ; aussi préparons-nous en fonction de cette reprise. Il faut que lorsque le mouvement reprendra nous soyons aptes à montrer aux ouvriers la solution de leurs misères : le programme communiste. De ce fait nous devons affirmer et démontrer deux choses :

           - les possibilités des plus en plus grandes de la situation, la crise à venir, le vieillissement du capitalisme ;

        - indiquer au prolétariat la défait qu'il a subie, démasquer les fausses victoires comme celle de 1936, et indiquer que la cause de cette défaite c'est l'abandon du programme communiste. Cette défaite est tellement importante que tout semble impossible, que la révolution est une utopie ; le prolétariat a perdu toutes les idées du communisme. Le jeune Marx disait que celles-ci « vainquent notre intelligence, qui conquièrent notre pensée, auxquelles la raison enchaîne la conscience, ce sont là des chaînes dont on ne peut se défaire, qu'on ne peut arracher sans s'arracher soi-même le cœur, ce sont des démons que l'homme ne peut vaincre qu'en s'y soumettant ».


     On a effectivement arraché les idées du communisme au prolétariat et on lui a arraché le cœur en même temps. On lui a enlevé toute force, toute dignité (si on peut employer un tel mot) de telle sorte qu'ont peut lui cracher à la figure impunément, se moquer de lui et dénigrer ses maîtres en lui déclarant : tu pensais que tu devais émanciper la société – comme Marx, Engels, Lénine et tous les révolutionnaires le déclarèrent – et ainsi établir une société où il y aurait pour la première fois souveraineté de l'homme, or nous ne voyons sur la scène du monde s'agiter et parler en ton nom que les singes de la contre-révolution.




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 PSA = parti socialiste autonome

UGS = union de la gauche socialiste

Ce sont des groupes qui sortirent de l'ancien parti socialiste : la SFIO (section française de l'internationale socialiste ouvrière).

PSU = parti socialiste unifié regroupant les éléments des deux précédentes formations et divers groupuscules issus du stalinisme.

S'est dissous dernièrement (début 1990).

- « Fascistes passifs » = expression de Bordiga

- événements d'Alger = putsch des généraux qui pendant quelques temps eurent le pouvoir et essayèrent de maintenir l'Algérie française. Ils organisèrent des fraternisations pour faire croire à la possibilité de conserver l'Algérie et que le FLN (Front de libération national, algérien) n'avait pas l'accord de la population.

Nous avons utilisé pour notre étude du bonapartisme l'ouvrage de Rubel, Marx et le bonapartisme, éd. Mouton & Cie, 1960. Les citations de Marx proviennent d'articles de journaux.

Rubel cite aussi l'article du New-York Tribune du 11.071856 où Marx parle de féodalisme industriel.