COMMUNAUTÉ   ET   DEVENIR







       Il s'agit de notre devenir personnel et de celui de l'espèce. En effet nous voulons montrer que notre préoccupation fondamentale à partir du moment où nous avons tenté de comprendre quel pouvait être le destin de l'espèce après l'élimination de la société capitaliste, fut de mettre en évidence que la réalisation du communisme était l'actualisation d'une communauté qu'hommes et femmes tendent à instaurer, en définitive, depuis qu'ils se sont séparés de la nature. Il s'agit du devenir de l'espèce, de son devenir à la communauté dont la compréhension se fit de plus en plus précise au cours de celui-ci, et celui de l'espèce depuis la communauté immédiate initiale jusqu'à la communauté immédiatisée et réflexive future.



    On ne peut pas éviter que quelqu'un nous attribue des positions qui ne sont pas les nôtres. Car souvent ceci est fait dans un but malveillant. On peut toutefois aider ceux qui veulent réellement connaître le cheminement d'un ensemble de personnes donné dans leur tentative de connaître les positions que celles-ci ont assumées au cours d'un temps plus ou moins long. Voilà pourquoi nous publions de vieux textes qui n'ont peut-être pas une grande valeur théorique mais qui peuvent éclairer sur le cheminement en question.



   Cette publication est également nécessaire du fait qu'indiquer qu'on a appartenu à telle ou telle organisation ne permet pas d'exprimer au mieux les positions théoriques qu'on a pu adopter. Par exemple indiquer qu'on a appartenu à la Gauche Communiste italienne et au Parti Communiste International (nom que prit la première après la seconde guerre mondiale) n'est pas suffisant actuellement pour signifier à l'interlocuteur éventuel (dans la mesure où il connaîtrait quelque peu les courants de gauche) quelle fut notre position au sujet des révolutions anti-coloniales. En effet ce parti a http://trefrance.fr/finalement adopté des positions tiermondistes qui nous ont toujours été étrangères.



    En dehors du premier article, les textes des années qui vont de 1957 à 1961 sont surtout des notes d'actualité ou de lecture. Je n'étais pas très convaincu de leur nécessité car je pensais qu'il était préférable de faire paraître des études théoriques importantes, ce qui impliquait qu'il fallait traduire les textes de Bordiga. Cependant le « comité » de rédaction de la revue était d'un avis contraire et considérait qu'il était nécessaire de publier des articles assez simples afin d'attirer les lecteurs.



    L'activité de diffusion des diverses positions caractéristiques du parti conduisit à faire des réunions publiques. Se posa alors la nécessité de les présenter en un compendium en faisant une espèce de tract http://trefrance.fr/permanent. De là, la rédaction de : « Pourquoi Programme Communiste ? ».



     Je n'étais pas pleinement convaincu de la nécessité de ces réunions. Toutefois si j'acceptais de les faire, je refusais tout le rituel habituel qu'elles comportaient: la formation d'un bureau avec un président de séance, etc.. Il me semblait qu'on singeait trop les manifestations démocratiques. En outre, si on devait faire une activité de propagande, il fallait qu'elle soit performante. Pour cela il fallait qu'il y ait une représentation cohérente de notre activité qui soit apte à faire réellement saisir en quoi nous nous différencions de tous les autres groupes ou partis. Voilà pourquoi je voulais qu'on insiste sur les buts et donc sur la description de la société communiste.



     Ce texte présente beaucoup de faiblesses dont certaines sont dues à l'immaturité de son rédacteur et d'autres sont consubstantielles au mouvement lui-même. Il y a l'illusion de la possibilité de l'utilisation http://trefrance.fr/des syndicats qui conduit d'une part à la condamnation de leur activité du moment et à la volonté d'opérer en eux une activité propagandiste.


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    Notre proposition donc d'établir un texte à distribuer à chaque réunion publique afin de faire connaître nos positions ne fut pas acceptée. Toutefois il fut utilisé par le comité rédacteur de la revue (peu importe en réalité la personne exacte qui le fit) pour rédiger la présentation du journal « Le Prolétaire », où les diverses positions fondamentales telles que l'antidémocratisme, la possibilité d'une révolution communiste dès 1848, la description de la société communiste furent très édulcorées. Nous ne fûmes pas d'accord pour qu'on publie ce journal, parce que nous prévoyions que ce serait une feuille d'agitation. C'est ce qu'il advint. Quand nous évoquions ce danger, on nous faisait remarquer que nous mêmes étions d'accord avec la réalisation d'une diffusion de nos thèmes théorico-pratiques !! Ce qui prouve que lorsqu'on fait des compromis on est toujours piégé.



    Le fait que nous pensions que l’œuvre essentielle à développer était celle de restauration de la théorie et de la compréhension de la puissance de la contre-révolution afin d'individualiser le possible d'une autre révolution allait nous conduire à remettre en cause la justesse d'avoir créé une organisation en 1943. D'autant plus – il faut bien avoir cela à l'esprit quand on réfléchit sur notre activité à l'époque – que jusqu'en 1963 nous parlions d'un parti sans considérer réellement qu'il existât. C'est d'ailleurs pour résoudre cette contradiction qu'on avait été obligé d'étudier la question de savoir si le parti pouvait toujours exister ; de là le texte Origine et fonction de la forme parti de 1961.



     En outre la dynamique du refus du principe et de la pratique démocratiques conduisait inévitablement à rejeter la thèse de la nécessité de travailler dans les syndicats, a fortiori celle de les conquérir.



     Tout cela devait nous conduire à être de plus en plus en porte à faux à l'intérieur de ce parti. Toutefois, il y avait l'illusion que ce serait notre position qui finirait par l'emporter. Voilà pourquoi également nous acceptâmes de rédiger des articles pour le journal « Le Prolétaire », même pour une rubrique que nous considérions comme inutile et surtout dangereuse: la critique de la presse stalinienne. En effet, à notre avis, on ne devait en aucune façon accorder de l'importance aux agissements du parti stalinien. Notre dynamique était en dehors de la leur; nous préoccuper d'eux signifiait notre incapacité à nous affirmer en tant que réalité autonome et revenait à leur accorder une quelconque saveur révolutionnaire.



      Être amené à penser que notre position allait triompher impliquait qu'il y avait une tension, une lutte à l'intérieur de l'organisation. Que nous le voulions ou non, nous étions mis dans la situation d'une fraction et placés dans un réseau de manœuvres dont nous ne sortîmes pas indemnes. C'est pourquoi, une fois sortis du parti, nous nous rendîmes compte à quel point l'existence d'une organisation inadéquate à son temps (disons prématurée puisque ce fut le thème que nous développâmes alors) rendait inévitables les luttes fractionnelles. De là notre rejet de toute organisation formelle.



    En outre les débats à l'intérieur de ce parti m'ont montré à quel point on s'enlise facilement, on s'englue, quand on essaie de saisir l'immédiat, sans une formation solide qui nous fait accéder à une distanciation grâce à laquelle on ne devient pas pâture de l'immédiat. C'est parce que je ressentais profondément cela qu'à partir de 1962 j'essayais de me consacrer à une étude approfondie de l’œuvre économique de Marx.



     Revenons aux articles! Je les écrivis donc en essayant au moins de présenter notre position originale et non en essayant seulement de démontrer que les staliniens étaient des menteurs, qu'ils déformaient l’œuvre de Lénine, etc. Je considérais qu'il fallait reconnaître la réalité des positions que les staliniens attribuaient à Lénine, mais qu'il fallait les expliquer par le fait que Lénine avait opéré au sein d'une double révolution alors que nous devions le faire au sein d'une révolution pure. Mais en outre, cela conduisait à mettre en évidence que nous pensions que certaines positions de Lénine étaient insuffisantes: particulièrement en ce qui concerne la démocratie. Mais une telle approche était inacceptable pour le comité de rédaction. En conséquence les articles furent refusés. L'un d'entre eux, "Lénine et la paix", échappa à la destruction. Nous le publions tel que afin d'expliciter notre comportement théorique.



     La réflexion sur toutes les difficultés rencontrées pour faire triompher une dynamique visant à rompre avec la pratique habituelle des groupes, à fonder une réflexion théorique de vaste ampleur, conduisit inévitablement à considérer que c'était la pratique organisationnelle elle-même qui inhibait cette dynamique. Le désir d'efficacité immédiate inhibait chez tous les camarades la volonté de rechercher un autre mode de vie. Ils préféraient réactiver les vieilles conduites qui, autrefois, avaient été efficaces sans réfléchir sur le fait que l'affirmation anti-démocratique intransigeante ne pouvait réellement se comprendre qu'au travers de l'adoption d'un autre comportement. Voilà pourquoi refusèrent-ils toujours notre affirmation que le parti devait réaliser la communauté à venir (position qui fut également celle de Bordiga).



     L'organisation telle qu'elle émergeait dans les années 60 opérait de plus en plus à partir d'un compromis entre certaines positions les moins radicales de Bordiga et un conglomérat de positions trotskystes, barbaristes, voire conseillistes. La direction se servit donc parfois des nôtres pour lutter contre ces dernières. Voilà pourquoi en 1964 accepta-t-elle notre article «Efficacité immédiate ou force révolutionnaire». À propos de direction il convient de noter qu'il y avait en réalité divers centres déterminants : à Naples (Bordiga), à Milan (Maffi) et à Marseille (comité de rédaction de Programme Communiste et Le Prolétaire).



    Ici encore nous le publions pour mettre en évidence les racines profondes de notre anti-immédiatisme.



     J'ai intercalé dans la table des matières des indications sur certains articles et, étant donné que l'ordre de publication est celui chronologique, j'ai indiqué également les autres travaux effectués et qui furent ultérieurement publiés dans Invariance. En même temps j'ai signalé quels furent les thèmes abordés au cours des années qui vont de 1957 à 1966. À ce propos je dois rappeler certaines affirmations essentielles de l'époque: la question russe n'est pas au centre de nos préoccupations; il en est de même pour la question des révolutions anti-coloniales et de celle de l'organisation; il faut étudier le devenir actuel du capital pour comprendre la situation actuelle; on ne doit pas se laisser enfermer http://trefrance.fr/dans l'opposition capitalisme-communisme. Il ne faut jamais se déterminer en fonction de l'immédiat, mais en fonction de tout un arc historique qui intègre le futur.



   Pour terminer je rappelle que ces textes renferment des faiblesses, des affirmations qui ont été rejetées, abandonnées. En les diffusant, je veux signaler que je les assume et que je considère qu'il est normal que je sois critiqué à leur sujet, mais non au sujet de thèses que je n'ai jamais défendues, bien qu'elles aient été émises au sein d'une organisation à laquelle j'ai appartenu.



     Le lecteur pourra tout de même constater qu'il y a là des matériaux à partir desquels s'est édifié l'ossature théorique originelle de la revue Invariance.







Mars 1990