CAPITAL ET GEMEINWESEN

 

 

VI. CAPITAL ET COMMUNAUTE MATÉRIELLE

 

 

 

Α. Dissolution de la communauté et mouvement de la valeur.

 

 

Nous avons indiqué au début de cette étude que les deux points essentiels de l'œuvre de K. Marx sont:

- origine de la valeur, ses déterminations et ses formes;

- origine du travailleur libre, du travailleur salarié.

Ces deux questions sont en fait en étroite liaison, car l'autonomisation de la valeur d'échange comme la production du travailleur libre dépendent de la destruction de l'antique communauté. De découle un autre aspect de cette œuvre, celui de la mise en évidence de la formation d'une communauté matérielle, en remplacement de l'autre. En effet, le mouvement de la production s'est présenté comme l'expropriation de l'homme et son atomisation (production de l'individu) en même temps que l'autonomisation des rapports sociaux et des produits de l'activité humaine qui deviennent puissance oppressive de celui-ci: autonomisation et réification.  L'homme a donc été séparé de sa communauté, plus précisément, celle-ci fut détruite. Tout d'abord ce fut celle directe, naturelle fondée sur les rapports genlices, les rapports purement humains; puis celle médiatisée par 1a terre, mais où les rapports personnels avaient encore une grande importance et où la valeur d'usage - donc ce qui est utile à l'homme - gardait sa prééminence. Le développement de l'argent l'a détruite à son tour. Les différentes communautés avaient essayé de mettre ce dernier en dehors des relations sociales, donc en dehors même de ces communautés. D'où leurs anathèmes lancés contre l'or corrupteur. Avec le capitalisme, stade achevé de l'autonomie de la valeur d'échange, les derniers restes de communautés sont détruits en occident; la forme asiatique de production qui avait survécu en Amérique, en Asie et en Afrique s'effondre. On en vient donc à poser la question suivante: l'argent peut-il remplacer la communaunaturelle οu médiatiséee par la terre; et si l'argent n'y parvient pas, le capital peut-il le faire?

 

Indiquons tout de suite que, du point de vue superstructurel, de 1a politique, ce problème hanta les révolutionnaires de 1789. Comment unir les hommes qu'un procès de production a séparés? Comment remplacer l'ancienne communauté? La solution fut constitutionnelle, institutionelle: il fallait créer des institutions, établir un contrat social. Mais ces institutions fondées sur les données de la production marchande simple et un développement assez faible du capitalisme ne pouvaient constituer, en fait, les nations, ces portions d'humanité. Elles voulaient donner pour définitif des formes de transition. D'où la mystification [1].

 

Avant d'analyser les rapports entre production marchande et les rapports sociaux des formes précédant le capitalisme, il est nécessaire d'indiquer le mouvement général dont il a été question plus haut.

 

a - Transformation des produits, des objets utiles à l'homme en marchandises. Ceci n'a d'abord qu'un caractère épisodique et contingent. Les échanges se font de communauté à communauté. On a 1a forme simple de la valeur: x marchandises Ay marchandises Β, le troc. K. Marx a beaucoup insisté sur le fait que les premiers échanges ne se dèroulent pas entre individus, pour la bonne raison que ceux-ci, sujets d'échange, n'existaient pas.

 

b - Multiplication des échanges - Forme totale οu développée de la valeur: x marchandises A y marchandises Β z marchandises C. Ils vont se faire à l'intérieur des communautés et non plus seulement entre celles-ci. La division du travail se développe; i1 y a apparition de la propriété privée et des classes. C'est le début de 1'autonomίsation de la valeur d'échange en même temps que la dissolution du troc et de 1a communaunaturelle.

c - Forme valeur nérale.

Ι1 y a apparition d'un équivalent néral.

Cette marchandise équivalente entrait auparavant dans la série indéfinie des échanges. Maintenant elle est exclue et se pose pour ainsi dire inpendante vis-à-vis des autres. On a la société de classes pleinement développée, ainsi la société esclavagiste antique. À partir de ce moment, commence l'autonomisation de l'argent, c'est-à-dire d'un équivalent néral qui s'est liré de toutes les déterminations matérielles en étant équivalent de toutes les marchandises. De cette forme, on passe d'ailleurs insensiblement à celle argent οu monnaie.

 

d - Les différentes fonctions de l'argent. Ce sont :

= mesure des valeurs,

= moyen de circulation,

= la monnaie.

 

Elles se dévelorent dans la société antique, mais surtout dans la société féodale, qu'elles détruisaient. Ce fut la période florissante du mercantilisme et de la marchandise simple dés le ΧΙΙΙème siècle, avec, au ΧVème siécle, passage au capitalisme (la terre devient marchandise) qui dés le siècle suivant s'épanouit en Europe occidentale.

 

Au cours de ces transformations, les rapports sociaux sont devenus de plus en plus autonomes. Mais cette autonomie de la valeur d'échange s'est péniblement réalisée parce que les différentes communautés essayaient de limiter au maximum ses développements. Cette limitation n'était, d'autre part, possible que parce que la production était faible et que de ce fait l'or et l'argent étaient en marge du mouvement social. Ils étaient la plupart du temps thésaurisés parce qu'il n'y avait pas une nécessiimpérieuse d'un élément de mesure entre les différentes productions, ni d'un moyen de faire circuler les produits engendrés par les actes productifs divers. C'est pourquoi, comme K. Marx le fait maintes fois remarquer, dans la société antique il y a une division du travail entre les peuples. Ainsi, nous avons des peuples commerçants qui jouent le rôle d'intermédiaires entre les autres; ce sont les phéniciens, les juifs οu, dans la société médiévale, les lombards. C'est chez eux que l'or et l'argent sont considérés pour leur fonction économique; ailleurs ils sont honnis οu confiés à la garde des dieux. La société n'est pas encore capable d'utiliser le surplus engendré et, s'il y a une trop grande distorsion entre la richiesse des uns et 1a mire des autres, il faut abolir les dettes et rétablir un certain équilibre comme ce fut le cas à l'époque de Solon.

 

Le développement du féodalisme lui-même représente un certain recul de l'autonomisation. En effet, il est la reconstitution d'une communau avec des rapports personnels importants, fondamentaux, médiatisés par la terre. Une communauté où les rapports mercantiles semblent être totalement bannis du fait de l'autonomisatίon des diverses unités composant la société féodale. C'est d'ailleurs en marge de celle-ci que le mouvement d'autonomisation de la valeur d'échange reprend, malgré la volondes hommes.

 

« Dés que l'or et l'argent (οu toute autre marchandise) se sont développés en mesure de valeur et moyen de circulation (que ce soit à ce titre, sous leur forme matérielle ou sous la forme d'un symbole qui les remplace), ils deviennent de l'argent sans que la société y soit pour rien, en dehors de sa volonté. Leur pouvoir apparaît comme une fatalité et la conscience des hommes se révolte, particulièrement dans les structures sociales qu'un développement plus poussé des rapports de la valeur d'échange voue à la ruine, contre le pouvoir que prend vis-à-vis d'eux une matière, un objet, contre la domination, qui semble être une pure folie de ce métal maudit. » (Version primitive p. 236).

 

 

Β. Communauté et formes d'appropriation du surproduit.

 

 

Ι1 se produit donc une opposition entre le mouvement social et le mouvement économique, une opposition entre celui-ci et les formes de propriété, reflets superstructurels juridiques des rapports économiques [2]. Ce sont les rapports juridiques qui expri­ment la communaudes hommes et indiquent en même temps dans quelle mesure cette communauté est plus ou moins minée par le développement de la valeur. En anticipant, nous pouvons dire que cette dernière s'assujettira en fait les rapports de propriété. Cela implique qu'à un moment donné le lien entre mouvement social et mouvement économique se fera au sein de la forme d'ap­propriation du surtravail, ensuite c'est le mouvement économique qui fondera ce dernier. Les deux mouvements confluent dans l'acte d'échange force de travail-capital qui est à la fois un rapport économique et un rapport social. C'est le moment où un acte d'échange particulier détermine le caractère universel de la forme sociale. Ainsi l'échange a deux résultats: la formation de l'argent, équivalent général qui tend à l'autonomie, et l'autonomisation d'un rapport singulier. Ce sont là deux présuppositions du capital dans lesquelles la première est valable pour d'autres périodes de la production, tandis que la seconde est absolument caractéristique du capitalisme.

 

L'analyse de l'échange revêt une grande importance, parce qu'il joue un rôle déterminant dans 1a forme que prend la propriété. En effet, dans les sociétés stables, l'appropriation est propriété en ce sens que c'est de la terre que découle l'appropriation de plus-value (ceci est aussi valable dans le cas de l'esclavage). Avec le développement de la production et de celui des besoins ainsi qu'avec la division du travail, la propriété ne peut se réaliser directement mais gràce à un moyen terme, l'échange. La propriété perd sa fixi et devient appropriation. K. Marx a analy cela dans 1a Version Primitive. [3]

 

Nous n'envisageons pas tout le mouvement historique. Nous nous bornerons à l'étude de la période de la production marchande simple et au capitalisme. Dans la première, la communauté féodale est détruite. Des vestiges de celle-ci peuvent persister (il est rare d'avoir affaire à des formes pures). Nous avons des individus que le procès de travail a séparés et qui produisent indépendamment; ils sont dominés par l'autonomie de 1a valeur d'échange: «C'est d'abord dans l'argent, c'est-à-dire dans la forme 1a plus abstraite, d'où 1a plus nuée de sens, la plus inconcevable - forme dans laquelle toute médiation a été supprimée (augfgehoben) - qu'apparaît la transformation des relations sociales réciproques en un rapport social fixe, écrasant, qui subjugue les individus. Et ce phénomène est d'autant plus brutal qu'il naît d'un monde où l'on a présupposé les particuliers isolés comme des atomes, libres, agissant à leur guise et n'ayant de relations entre eux dans la production que celles qui naissent des besoins réciproques de chacun » (ρ. 236). C'est en effet au sein de la production marchande simple que naissent les données de liberté et d'égalité parce que c'est en son sein que la loi de la valeur νa se manifester dans toute sa pureté: lird'échanger les marchandises, liberdu commerce sans lequel il ne peut y avoir confrontation entre celles-ci et donc pas de possibilide réaliser la valeur au sein du procès d'échange; égalité, puisque seules les marchandises contenant des quanta de travail égaux peuvent s'équivaloir. La révolution bourgeoise n'a fait que généraliser ces données parce que la classe bourgeoise avait pour mission historique d'instaurer le capίtalisme qui dans un premier temps est la généralisation de la production marchande pour ensuite la dominer en se soumettant la loi de la valeur [4]. Tout ceci implique que la richesse était fondée sur le travail. Comment pouvait se faire l'appropriation de celle-ci puisque la communaune peut plus le permettre: «D'abord les agents du procès d'échange apparaissent en tant que propriétaires de marchandises. Or, sur la base de la circulation simple, il n'existe qu'une méthode pour entrer en possession d'une marchandise, c'est de fournir un nouvel équivalent; donc, il apparaît que la propriété de la marchandise anrieure à l'échange, c'est-à-dire la propriété d'une marchandise non appropriée par le moyen de la circulation, mais qui, au contraire, doit d'abord entrer dans celle-ci, a immédiatement pour origine le travail de celui qui la possède, et que le travail est le mode originel de l'appropriation ». (Version Primitive, p. 211).

 

«C'est pourquoi le procés de genèse des marchandises, donc, leur procés originel d'appropriation aussi, se situent en dehors de la circulation. Mais comme c'est seulement gràce à la circulation, donc au déssaisissement (Enusserung) de son propre équivalent, que l'on peut s'en approprier un autre, cela suppose nécessairement son propre travail comme procès originel d'appropriation, et la circulation uniquement comme échange réciproque de travail, qui s'est incarné dans de multiples produits». (Ibid. pp. 211-212).

 

«La propriété fondée sur le travail personnel constitue donc, dans le cadre de la circulation, 1a base de l'appropriation du travail d'autrui ». (Ibid.).

 

« Et comme, de son point de vue, on ne peut s'approprier de marchandise d'autrui, donc du travail d'autrui qu'en se déssaisissant du sien propre, le procès d'appropriation de la marchandise, anrieur à la circulation, apparaît nécessairement de son point de vue comme une appropriation réalisée grâce au travail. En tant que valeur d'échange, la marchandise n'est rien d'autre que travail objectivé... La circulation montre comment une appropriation immédiate transforme, par la médiation d'une opération sociale, la propriété de son propre travail en propriété du travail social ». (ibid., p. 212).

 

Voilà la base sur laquelle νa se développer la société bourgeoise: «La loi d'appropriation par son propre travail étant présupposée - ceci n'est pas une présupposition abstraite mais une présupposition surgissant de la considération même de la circulation - un royaume de la liberté et de l'égalité bourgeoises fondé sur cette loi s'épanouit de lui-même dans la circulation. » (Ibid. p. 213).

 

« Si l'appropriation de marchandises par le travail personnel se présente comme la première nécessité, la seconde c'est le procès social qui fait d'abord de ce produit une valeur d'échange et doit le reconvertir, en tant que tel, en valeur d'usage destinée aux individus. Après l'appropriation par le travail ou l'objectivation du travail, son aliénation (Veräusserung) ou sa conversion en forme sociale apparaît comme la seconde loi. La circulation est le mouvement au sein duquel on pose son propre produit en tant que valeur d'échange (argent), c'est-à-dire un produit social et le produit social son propre produit (valeur d'usage individuelle, objet de consommation individuelle) ». (Ibid., pp. 213-214).

 

Ainsi, il y a parcellisation totale des hommes en même temps que socialisation de leur produit, car ce n'est que dans la mesure où il revêt un caractère social que le produit d'un particulier peut s'échanger. La contradiction est d'autant plus grande que l'aspect social ne dérive pas de l'organisation de la société, mais du mouvement économique. Ce n'est pas l'association des hommes mais plutôt leur division qui aboutit à la socialisation de leurs produits.

 

«L'échangiste a produit une marchandise et, qui plus est, pour des producteur de marchandises. Ceci inclut: d'une part il a produit en tant qu'individu indépendant, de sa propre initiative, déterminé seulement par son propre besoin et ses capacités propres, il a produit de soi-même et pour soi, non pas en tant que membre d'une communau(Gemeinwesen) naturelle, ni qu'individu participant immédiatement à 1a production en tant qu'être social, et qui, partant, ne se comporte pas vis-à-vis de son produit comme envers une source d'existence immédiate. D'autre part, il a produit de la valeur d'échange, c'est-à-dire un produit qui ne devient pour lui-même que grâce à un procès social déterminé, grâce à une métamorphose précise. Ιl  a donc déjà produit dans un ensemble de conditions complexes, dans des conditions de production et des rapports commerciaux devenus tels au travers d'un procès historique, mais qui lui apparaissent en tant que necessinaturelle. L'indépendance de la production individuelle se complète ainsi d'une dépendance sociale, qui trouve son expression correspondante dans la division du travail. » (p. 215).

 

L'individu a produit non «en tant que membre d'une communauté naturelle» et pourtant son produit, grâce à l'échange et à la division du travail devient social. Ce n'est pas à une participation à une communauqu'il doit de pouvoir s'approprier un produit, mais au fait d'en avoir engendré un lui aussi. Voilà le point de départ de la formation de la communaumatérielle créée par la production, plus préciment par le fruit de celle-ci. Une telle communaudoit résulter non plus de l'union ou de la réunion des hommes, mais de celles des choses en même temps qu'elle doit établir des liens entre eux. De son appartenance ou non, doit découler l'appropriation ou non du produit et donc du surproduit; car elle doit être l'élément médiateur tel que le fut la communaunaturelle. Ce sont des données qu'il nous faut préciser pour comprendre la réalisation de cette communauté au cours de l'histoire.

 

« Le caractère privé de la production de l'individu producteur de valeurs d'échange apparaît lui-même comme un résultat de l'histoire - son isolement, son autonomisation ponctuelle au sein de la production sont conditionnés par une division du travail qui, à son tour, repose sur toute une série de conditions économiques par lesquelles l'individu est de tous côtés conditionné dans sa relation avec les autres et dans son propre  mode d'existence. » (p. 215).

 

D'autre part, « les individus ne s'affrontent qu'en quali de propriétaires de valeurs d'échange, d'êtres qui les uns pour les autres se sont donné une existence objective grâce à leur produit, 1a marchandise. » (p. 216). La séparation des hommes touche à son maximum; mais 1a circulation détruit leur isolement, de telle sorte que leur communauqui provient d'une réunion est éxrieure à eux. La durée de celle-ci dépend de celle des échanges. Dés que 1a série de ceux-ci est terminée, donc dés que l'individu consomme ou retourne à 1a production, la communauté s'abolit.

 

 « Sans cette médiation objective, ils (les individus n.d.r.) n'ont pas de relations réciproques, du point de vue des échanges matériels sociaux qui se produisent dans la circulation. Ils n'existent l'un pour l'autre que réifiés (sachliche) ce qui n'est plus développé que dans la relation monétaire où leur Gemnwesen (communauté) elle-même apparaît vis-à-vis de tous, come une chose extérieure et par accidentelle, parce que la relation sociale qui naît du heurt des individus indépendants, apparaît en même temps comme nécessité réifiée et comme lien extérieur vis-à-vis d'eux; qu'elle représente précisément leur indépendance pour laquelle l'existence sociale - nécessité indéniable - est seulement un moyen qui apparaît donc aux individus eux-mêmes comme une chose extérieure et, qui plus est, dans l'argent, comme une chose tangible. N'étant pas subordonnés à une Gemnwesen naturelle, ni ne se subordonnant pas, en tant que membres communautaires conscients, la Gemeinwesen, il faut qu'en face d'eux, sujets indépendants, celle-ci existe comme quelque chose de réifié, également indépendant, extérieur, fortuit. C'est précisément la condition pour qu'en tant que personnes privées indépendantes ils soient impliqués en me temps dans un ensemble social ». (pp. 217-218).

 

Pour surmonter le fractionnement humain, il faut une communauté matérielle. De plus, le complexe social détermine l'élément individuel: «Quand l'individu produit en tant qu'individu privé - sa situation elle-même n'est nullement un produit de la nature, mais le résultat raffiné d'un procès social - le caractère social se manifeste en ceci: le contenu de son travail est déterminé par le complexe [5] social; et il ne travaille qu'en sa quali de membre de ce complexe» (p. 219). Mais ici le rapport est inversé: l'ancienne communau permettait à l'individu de se développer, l'individu exploite 1a nouvelle pour s'épanouir. «La division du travail ainsi conçue, en tant que reproduction à l'échelle sociale de l'individualité particulière, fait de celle-ci un chaînon de l'évolution totale de l'humanité, et elle permet en même temps à l'individu, par l'intermédiaire de son activité particulière, de jouir de la production nérale, de le rendre capable d'une jouissance sociale universelle. Cette conception, telle qu'elle résulte du point de vue de la circulation simple, qui confirme la liberté des individus au lieu de la supprimer, est encore la conception courante de l'économie politique bourgeoise ». (pp. 219-220).

 

La communaunaturelle est définitivement détruite tandis que celle matérielle a une existence accidentelle, de plus il y a distorsion entre l'élément matériel et les formes superstructurelles diverses de la dissolution de la communaunaturelle; entre la vie sociale et l'homme et le mouvement de la richesse matérielle. Mais au fur et à mesure du développement historique les rapports économiques deviennent de plus en plus importants et s'autonomisent; le mouvement de la valeur d'échange s'impose aux hommes. Dans ce cas ne pourraient-ils pas se substituer à la communaunaturelle; en d'autres termes, l'or, c'est-à-dire la valeur d'échange autonome ne réaliserait-il pas cette communauté?

 

 

C. Or et communauté matérielle.

 

 

L'or tend effectivement à se constituer en communaumatérielle: l'or permet 1'universilation des échanges matériels dans la société sans que les individus entrent en contact. «L'argent apparaît ici en fait comme leur communauté existant objectivement en dehors d'eux ». (Version primitive, Grundrisse, p. 881, note).

 

Dans les Grundrisse, K. Marx fait la remarque suivante: «La présupposition élémentaire de 1a société bourgeoise est que le travail produise de façon immédiate de la valeur d'échange, donc l'argent; et que de même ensuite l'argent achète de façon immédiate le travail, donc le travailleur, seulement dans la mesure où i1 aliéne (veräussert) son activité dans l'échange. Le travail salarié d'un côté, le capital de l'autre ne sont pas autre chose que d'autres formes de la valeur d'échange développées et de l'argent en tant que son incarnation. L'argent est par la même, en même temps et de façon immédiate, la Gemeinwesen réelle, en tant qu'il est pour tous la substance générale de l'existence et, en même temps, le produit commun de tous. Mais, dans l'argent, comme nous l'avons vu, la Gemeincuesen est une pure abstraction, une chose absolument fortuite et exrieure à l'individu, et en même temps simple moyen de satisfaction pour lui en tant qu'individu isolé. L'antique Gemeinwesen suppose un tout autre rapport de l'individu pour soi (fürsich). Le développement de l'argent dans sa troisième détermination la brise donc. Mais dans l'argent (valeur d'échange) l'objectivation de l'individu n'est pas posée dans sa détermination naturelle, mais en tant qu'une détermination (rapport) sociale, qui lui est en même temps extérieure». (Fondement, t. 1, pp. 166-167).

 

L'incapacité de l'argent à fonder une communauté stable dériver du fait qu'avec lui, la valeur d'échange tend à l'autonomie totale sans y parvenir parce qu'elle ne s'est pas soumis le mouvement social. Or, la constitution de la valeur d'échange en communauté matérielle est la meilleure garantie de son autonomie.

 

 

D. Capital et communauté matérielle.

 

 

1) Prédominance de l'élément social sur l'élément matériel.

 

Cette incapacité de l'argent est liée directement à la production marchande simple. L'élément matériel y prédomine sur le mouvement social; le procès de travail est encore dominant: « Dans le mouvement Μ-A-Μ, c'est l'élément matériel qui apparaît comme le contenu réel du mouvement, le mouvement social, lui, comme une simple médiation fugitive afin de satisfaire les besoins individuels». (p. 233).

 

La recherche de la valeur d'usage est encore trop le déterminant d'une telle époque de production, de ce fait l'argent n'est qu'un moyen. Ιl est certes la richesse générale, sociale, par rapport à laquelle celles individuelles peuvent s'équivaloir, mais il n'est pas le but, ni le contenu du mouvement. «La forme Μ-A-Μ, ce courant de circulation où l'argent ne figure que comme mesure et monnaie, n'apparaît donc que comme la forme médiatisée du troc, sans que rien ne soit modifié ni dans sa base ni dans son contenu». (p. 235).

 

D'autre part, c'est une forme rigide chaque élément excluant l'autre. La marchandise particulière excluant l'argent, marchandise générale qui, à son tour, doit être remplacée par une autre marchandise particulière. L'argent ne peut avoir en fait qu'une autonomie négative: la thésaurisation. D'où, comme nous l'avons fait remarquer au début de cette étude, la transformation en capital peut se définir ainsi: «Dans le capital, l'argent a perdu sa rigidité, et, d'objet tangible, il est devenu procés ». (p. 245). Parallélement l'élément social νa dominer l'élément matériel. Voici comment K. Marx caractérise le mouvement A-Μ-A. « Dans l'échange réel de l'argent contre la marchandise, tel que l'exprime la forme A-Μ-A, c'est-à-dire alors que l'être réel de la marchandise est sa valeur d'usage et l'être réel de la valeur d'usage sa consommation, la valeur d'échange elle-même doit nécessairement ressurr de la marchandise qui se réalise comme valeur d'usage; l'argent et 1l consommation de la marchandise doivent apparaître comme forme de conservation, aussi bien que de son autovalorisation. Par rapport à elle, la circulation apparaît en tant que moment du procès de sa propre réalisation ». (p. 247).

 

Pour que cela se réalise i1 faut, nous l'avons vu, l'assujettissement d'une valeur d'usage particulière: la force de travail. C'est ici que se manifeste le caractère social du mouvement. L'échange de l'argent contre la force de travail détermine tout le caractère du mode de production capitaliste. C'est donc un rapport social déterminé, capitaliste-prolétaire (sans-réserve), qui domine la production de la richesse matérielle. De ce fait, le rapport ne sera pas fortuit, inessentiel, mais fondamental. «Dans la circulation simple, le contenu de la valeur d'usage n'avait pas d'importance, l'aspect du rapport économique lui restait exrieur. Ici, ce contenu est un moment économique essentiel de celle-ci. En effet, la valeur d'échange n'est déterminée dans sa propriété de rester elle-même dans l'échange que parce qu'elle s'échange contre la valeur d'usage qui lui fait face dans sa propre détermination formelle ». (p. 252).

 

« C'est seulement la nature spécifique de la valeur d'usage qui a été achetée avec de l'argent - sa consommation, la consommation de la force de travail, est consommation posant la valeur d'échange (Tauschwertsetzende), temps de travail s'objectivant, production; son être effectif en tant que valeur d'usage est de créer de la valeur d'échange - qui fait, de l'échange entre argent et travail l'échange spécifique A-Μ-A, dans lequel la valeur d'usage achetée est valeur d'usage immédiate pour la valeur d'échange, c'est-à-dire la valeur d'usage créant de la valeur (Wertsetzender) » (p. 254).

 

La valeur d'échange s'est assujetti le mouvement social. Les hommes entrent dans des rapports de production dont le but n'est plus la valeur d'usage, mais la valeur d'échange. Celle-ci peut maintenant fonder une communauté matérielle stable, c'est-à-dire ne résultant plus uniquement de rapports accidentels.

 

 

2) Circulation et communauté matérielle.

 

 

Ceci conditionne les rapports entre circulation et production qui n'est plus simplement posée à côté de la première. La production devient au contraire moment de la circulation. Les marchandises étant produites en tant que valeurs particulières, la circulation permettait de les rendre sociales, donc de fonder l'unité commune (monnaie). Maintenant le capital les pose socialement, la circulation n'est plus un stade de leur socialisation, mais un moment de leur réalisation, de leurs métamorphose qui est en fait celle du capital qui de KM devient ΚA. C'est, au fond, par la circulation que la communau matérielle se fonde, qu'elle devient nécessaire. Nous avons vu le premier moment: l'autonomisation de l'argent qui apparaît comme un procés théorique sans contact avec la réalité, tant le mouvement économique et le mouvement social semblent diverger. « Le produit se transforme en marchandise, la marchandise en valeur d'échange; la valeur d'échange de la marchandise est sa propriété monétaire immanente; celle-ci en tant qu'argent, se sépare de la marchandise, acquiert une existence sociale universelle parée de toutes les marchandises particulières et de leur mode d'existence naturel. » (Fondement, t. 1, p. 82). Mais cette abstraction est absolument nécessaire pour préparer l'autre procès pratique: la formation réelle de la Gemeinwesen, car il faut d'abord que les antiques rapports sociaux soient brisés: «Moins le moyen d'échange possède de force sociale, plus il est encore lié à la nature du produit immédiat du travail et aux besoins immédiats des échangistes, d'autant plus grande doit être encore la force de 1a Gemeinwesen, féodalisme et corporations ». (Fondements, t. 1, p. 94). En revanche lorsque 1a valeur d'échange devient une force sociale, on constate que: « Sur le marché mondial la relation de l'individu avec les autres se développe en même temps que l'indépendance de cette relation vis-à-vis des individus à un degré tel que sa constitution contient déjà la condition de sonpassement. La comparaison à la place de la communau[6] et de d'universali effectives.» (Ibid., p. 98). C'est la période de généralisation de la production marchande: âge d'or de la loi de la valeur et des concepts de liberté et d'égalité et donc de la démocratie (politique). Celle-ci est comparaison par excellence mais son étalon est l’homme abstrait, parce que le contenu réel de celui-ci - la force travail - passe dans le mouvement économique.

 

Ceci se poursuit durant la période de domination formelle du capital, quand le capital variable est l'élément fondamental. Ce n'est pas encore la structuration d'une nouvelle Gemeinwesen, mais «cette relation réifiée est préférable à l'absence de relation ou à des liens purement locaux fondés sur la consanguinité ou sur des rapports de souveraineté et de servitude .Ι1 est évident que les individus doivent commencer par produire leurs rapports sociaux avant de se les soumettre». (p. 99).

D'autre part: «L'extranéi[7] et l'autonomie en lesquelles cette relation existe encore vis-à-vis d'eux (les individus, n.d.r.) montrent seulement qu'ils sont encore occupés à la création de conditions de leur vie sociale, au lieu de devoir commencer à sortir de cette dernière.» (ρ. 99).

Avant de transformer ces conditions, il faut pour ainsi dire que les rapports sociaux parviennent à leur plein développement. C'est pourquoi le devenir νa se faire par universalisation de l'aliénation des individus et des rapports sociaux, jusqu'au point suivant: «Ces rapports réifiés de dépendance opposés aux rapports personnels (les rapports réifiés de dépendance ne sont rien d'autre que les relations sociales s'opposant de façon autonome aux individus apparemment indépendants, c'est-à-dire leurs rapports mutuels autonomisés en face d'eux) apparaissent ainsi parce que les individus sont maintenant dominés par des abstractions tandis qu'autrefois ils dépendaient les uns des autres ». (p. 101).

Mais revenons à la circulation proprement dite. Lors de son étude, K. Marx indique comment s'édifie le corps matériel de la communauté. Nous avons vu qu'une grande différence entre l'argent et le capital réside dans leur comportement divergent vis-à-vis de 1a circulation. Le premier s'y perd en s'y abandonnant, le second s'y conserve et s'y multiplie. «D'autre part, la circulation de l'argent, comme celle de la marchandise, part d'une infini de points et retourne à une infini de points différents. À ce niveau considéré de la circulation monétaire, il n'y a pas départ d'un seul point central en direction des différents points de la périphérie, et retour vers un seul centre, car cette circulation est encore immédiate. Cela ne se produit que lorsque la circulation est médiatisée par le système banquaire. La rotation ne commence que là où l'or et l'argent ont cesse d'être des marchandises. » (Ibid., p. 101) [8]Autrement dit, le mouvement de la valeur en période de circulation simple des marchandises est éparpillé dans tout le corps social où il est apte à pénétrer. Ιl est évident que n'étant pas structuré, médiatisé, il peut être interrompu, fragmenté et donc inhibé, Le mouvement de la νaleur sous le capital aboutit à la formation d'une structure centralisée; il y a départ d'un point central vers la périphérie et retour. La circulation est médiatisée par le système banquaire. Cela implique qu'au fur et à mesure de sa progression le capital engendre des organes qui expriment la constitution de son être impersonnel, des organes pour la régulation et le contrôle de sa vie, de son procès vital. Celui-ci ne peut être détaché de la vie sociale, ni seulement s'y surimposer: il doit la contrôler afin de s'assurer sa perenni étant donné qu'il découle d'un rapport fondamental: le salariat, c'est-à-dire l'échange contre le travail vivant. L'histoire du capitalisme montre clairement cette progression, depuis les associations primitives aux grandes sociétés par actions qui impliquent l'existence de banques centralisant la vie du capital, les bourses où les valeurs se comparent. Puis le capital financier réalise la concentration la plus poussée et donc l'édification de l'unité. C'est avec celui-ci qu'apparaissent les instituts économiques se préoccupant de l'analyse des marchés, de plans de régulation de l'économie en fonction des crises qui se font jour, de plans de relance ou de développement, etc... Tout cela indique que cet être impersonnel a secrété ses organes, supports d'une certaine conscience des problèmes fondamentaux. Ι1 se réalise alors pleinement ce que K. Marx entrevoyait dans les Grundrίsse à un stade donné de son étude du capital: « ...la perspective s'est ouverte qui, à ce stade, ne peut pas être nettement dessinée, d'un rapport spécifique du capital aux conditions sociales générales de la production sociale par opposition à celles du capital particulier et de son procès de production particulier. » (Fondements, t. 2, pp. 25-26).

 

Maintenant le procès théorique de l'échange a un contenu, il n'est plus formel, car échange de capital; en tous points on a du capital sous des formes différentes: capital argent (ΚA), capital marchandise (KM), capital-productif (ΚΡ). C'est un véritable métabolisme de celui-ci (Grundrisse). L'échange n'aboutit plus à la domination d'un élément étranger qui se pose négativement vis-à-vis du mouvement, en ce sens qu'il s'y perd, s'il s'y abandonne, l'argent, mais à l'accroissement de la valeur avancée, le capital.

 

 

3) Capital fixe et communauté matérielle.

 

 

Mais ceci ne peut se produire que parce le capital s'est créé une base propre qui remplace les fondements des sociétés antérieures: le capital fixe. C'est soit la valeur qui a cessé de circuler et qui pour ainsi dire se dépose parce que 1l valeur d'usage est trop pesante par rapport à sa valeur d'échange (tout comme une particule devient sédiment et donc se dépose, à partir du moment où la pesanteur est susceptible d'être opérante, à partir du moment où aucune autre force ne peut inhiber celle-ci), soit qui circule très lentement. Dans le premier cas, c'est toute 1'infractructure productive edifiée depuis plus d'un siècle et même avant, dans le second cas, il s'agit surtout des machines qui permettent d'accroître la productivité du travail. C'est de toute façon la socialisation effectuée par le capital comme nous l'avons vu à propos de l'étude du capital fixe en domination réelle. K. Marx remarque au sujet de celui-ci qu'il s'est « fait homme lui-même ». (Ibid., t. 2, p. 230). C'est bien le moment où le capital s'est constitué en communauté. L'échange fondamental n'apparaît plus comme étant celui entre travail vivant et travail objectivé, mais comme un échange nutritif (Grundrisse) entre le capital circulant, dans lequel on résoud la force de travail, et le capital fixe. Et les économistes ont théorisé qu'il fallait un équilibre entre ces deux éléments pour qu'il n'y ait point de crise. Une telle théorie ne fait qu'interpréter la nécessité des liens entre le centre et la périphérie, la surface et l'intérieur de la communauté matérielle, car c'est ainsi que le capital se pose maintenant. «Certes, d'emblée le capital se dresse en tant qu'un ou uni en face des ouvriers en tant que multitude. C'est ainsi qu'il apparaît, face au travail, comme la concentration des travailleurs, en tant qu'uni qui leur est exrieure. À cet égard, la concentration est contenue dans le concept de capital: la concentration d'un grand nombre de forces vivantes de travail en vue d'un même but. Une concentration qui n'a à l'origine aucunement besoin de s'accomplir dans le mode de production, de la penêtrer. L'action centralisatrice du capital, c'est poser son uni en tant qu'uni de ses nombreux ouvriers, existant de façon autonome, exrieure à eux.» (Fondements, t. 2, p. 89).

Nous pouvons résumer tout le mouvement de la manière suivante: dans la période de production simple des marchandises, l'échange était le moyen de s'approprier des valeurs. Dans le capitalisme, 1a circulation permet de s'approprier une marchandise particulière et l'appropriation de valeur suppose la consommation de celle-ci. Or, elle ne peut se faire que productivement (nous avons ici le lien entre mouvement social - le travailleur libre - le mouvement de la valeur - l'échange - la production et la consommation), d'où la nécessité du procès de production immédiat. Ιl faut que l'homme devienne en tant que force de travail une marchandise pour qu'il y ait non seulement approprition de plus-value, mais création de celle-ci. D'autre part, l'appropriation ne peut plus être directe, mais indirecte, par l'intermédiaire du procès de production. Avant, il n'était pas nécessaire de se le soumettre, maintenant, c'est la condition primordiale à la nèse de la valeur. Aussi est-ce pourquoi l'acte d'échange, le rapport social acquiert une matérialiprofonde, ou, réciproquement, la forme sociale domine l'aspect matériel.

 

Le VIème chapitre nous a permis de clarifier 1a nature même du capital, son procès de travail et de valorisation. Ce dernier devenant l'élément essentiel et la nature même du capital, c'est-à-dire que ce dernier essaie de se lirer du procès de travail pour n'être que valorisation, autonomisation de celui-ci. Lorsqu'elle est réalisée, il apparaît comme « un pouvoir social autonomisé, extranéisé. » (L. III, t. 6, p. 276).

 

Ιl s'est accru aux dépens du travail humain, non seulement de celui des prolétaires, mais aussi de celui de toutes les générations passées de travailleurs. Il est un monstre animé [9]. Grâce au mouvement social, il s'est accaparé toute la matérialité de l'homme qui n'est plus qu'un sujet d'exploitation, un temps de travail déterminé: «Le temps est tout, l'homme n'est plus rien, il est tout au plus la carcasse du temps ». (Misère de la philosophie. Ed. Sociales, ρ. 47). De ce fait, il est devenu la communauté matérielle de l'homme; il n'y a plus de distorsion entre le mouvement social et le mouvement économique parce que ce dernier s'est totalement assujetti le premier. Nous avons vu que dans les formes antérieures, les différentes communautés essayent de limiter le développement de la valeur d'échange parce qu'elle sapait leurs fondements. Dans le capitalisme, c'est le contraire, c'est le mouvement de celle-ci qui assure la domination de 1a communauté. Cela veut dire qu'il s'est emparé de 1'État qui est la communauté aliénée des hommes, ou si l'on veut, aussi, essai de conciliation des antagonismes, de telle sorte qu'il peut apparaître comme n'étant plus le pouvoir d'une classe puisqu'il n'a même plus besoin de celle-ci pour assurer sa domination, car il doit totalement la dοminer; il n'a besoin que d'esclaves. «Dans 1a société bourgeoise, le travailleur par exemple, est sans objet, pur sujet, mais la chose qui s'affronte à lui est maintenant devenue la vraie Gemeinwesen. Ι1 cherche à la dévorer et c'est elle qui le dévore »[10]) (Fondements, t. 1, p. 460).

 

 

4) Capital, communauté et politique.

 

 

À partir de quoi une telle communau pouvait-elle s'édifier, sinon à partir de l'élément essentiel de la société capitaliste: le rapport entre travail objectivé (capital) et travail vivant (prolétariat) parce qu'il est le point de rencontre de deux mouvement: l'autonomisation de la valeur et l'expropriation des hommes; point de jonction qui ne pouvait se réaliser qu'au moment où l'homme, en tant que force de travail, devient marchandise (et donc une valeur qui ne peut plus être un obstacle au mouvement de celle-ci) et entre dans le procès de production non plus en tant qu'opérateur essentiel qui domine ce procès, mais en tant qu'objet qui νa être lui-même en mouvement. En effet, nous l'avons montré, on peut, tout d'abord, définir le capital par ce rapport, mais c'est figer la réalité. Ι1 faut dire qu'il est la valeur en procès. Le rapport social a perdu sa rigidité, il est en mouvement et le point d'arrivée de celui-ci est la constitution du capital en communauté. Ce qui se réalise par l'approfondissement de la domination du travail mort sur le travail vivant. À ce stade les rapports sociaux sont totalement réifiés; l'inversion finale est celle où ils se posent en tant qu'être constituant la communau matérielle.

 

Cela explique d'autre part les louanges adressées au travail par les capitalistes et leurs épigones. La période capitaliste connaît 1a glorification du travail, d'un travail qui est pour le capital. C'est la reconnaissance de la réalité sous son enveloppe mystifiée: le temps de travail créateur de la valeur. Enfin, dans les différentes théories de l'association capital-travail, nous avons l'expression de la conciliation nécessaire entre les pôles opposés de la société afin que celle-ci puisse se perpetuer. Ces théories reposent toutes sur le tour de force de Carey dont il a été question dans le chapitre sur la mystification du capital: présenter des formes antagoniques comme des formes d'association.

 

En réalité, elles traduisent le fait suivant: un rapport social devenu procès, c'est-à-dire, la valeur se valorisant, fonde 1a communau dans laquelle les hommes sont esclaves. Seulement, il faut rendre tolérable cet esclavage en le présentant non tel qu'il est, mais comme une association nécessaire et bienfaisante avec le monstre oppresseur, qui, évidemment, n'est pas présenté comme tel.

 

Nous avons déjà fait état de ce résultat auquel arrive le développement du capital lors de l'étude du travail productif et improductif et nous avons montré comment il y a hiérarchisation de la société par le capital: le féodalisme industriel. Mais ceci a une conquence fort importante: l'assujettissement de 1a politique au développement du capital. En effet, la politique est l'art d'organiser les hommes; or le capital ne les organise-t-il pas lorsqu'il les fixe dans des situations déterminées?

 

Le capitalisme semble réaliser alors ce que K. Marx appelait le communisme grossier, sauf «l'égalité des salaires». «La communau(Gemnschaft) est seulement une communaudu travail et égalité du salaire que paie le capitalisme collectif, la communauté en tant que capitalisme général. Les deux aspects du rapport sont élevés à une universalité représentée, le travail en tant que la détermination dans laquelle chacun est placé, le capital en tant que l'universalité et la puissance reconnue de la communauté.» (Manuscrits de 1844, ,p. 86. Ed. Soc.).C'est pourquoi cette question est évidemment en liaison étroite avec celle de la communauté. Comme beaucoup d'autres, K. Marx l'a abordée un peu partout dans son œuvre immense.

 

On a déjà indiqué comment il établissait le lien entre loi de la valeur et démocratie. La production marchande ne pouvait se développer qu'avec la généralisation des idées d'égalité et de liberté. Le capitalisme lui-même, à son origine, fait triompher cette démocratie:

 

«La sphère de la circulation des marchandises, où s'accomplissent la vente et l'achat de la force de travail, est en réalité un véritable Éden des droits de l'homme et du citoyen. Ce qui y règne seul, c'est Liberté, Égaliet Bentham. Liberté, car ni l'acheteur ni le vendeur d'une marchandise (la force de travail par exemple) n'agissent par contrainte, au contraire, ils ne sont déterminés que par leur libre-arbitre. Ils passent contrat ensemble en qualité de personnes libres et possèdent les mêmes droits. Le contrat est le libre produit dans lequel leurs volontés se donnent une expression juridique commune. Égalίté, car ils n'entrent en rapport l'un avec l'autre qu'à titre de possesseurs de marchandises, et ils n'échangent ququivalent contre équivalent. Propriété, car chacun ne dispose que de ce qui lui appartient. Bentham, car pour chacun d'eux il ne s'agit que de lui-même. La seule force qui les mette en présence et en rapport est celle de leur égoïsme, de leur profit particulier, de leurs intérêts privés. Chacun ne pense qului, personne ne s'inquiète de l'autre, et c'est précisément pour cela qu'en vertu d'une harmonie préétablie des choses, ou sous les hospices d'une providence toute innieuse, travaillant chacun pour soi, ils travail­lent dume coup à l'utilité générale, à l'intérêt commun.» (L. Ι, t. 1, pp. 178-179).

 

Mais, nous l'avons expliqué precédemment, le capital tend à dominer la loi de 1a valeur et donc les prolétaires (dés qu'on passe dans la sphère de production où pénètre d'abord le capital, le pro­létaire ne peut plus s'attende qu'à une chose: «à être tanné.») Comment se présente alors 1a démocratie? « I1 y a donc ici une antinomie, droit contre droit, tous deux portant 1e sceau de 1a loi qui régle l'échange des marchandises. Entre deux droits égaux, qui décide? La force. Voilà pourquoi la réglementation de la journée de travail se présente dans l'histoire de la production capitaliste comme une lutte séculaire pour les limites de la journée de travail, lutte contre la totalité des capitalistes (Gesamtkapitalisten), c'est-à-­dire la classe capitaliste, et la totalité des travailleurs (Gesamtarbeiter), c'est-à-dire la classe ouvrière.» (L. Ι, t. 1, p. 231).

 

L'histoire du capitalisme est celle de la constitution de ces deux forces: le capital qui fonde sa communauté et se donne une superstructure de force: l'État capitaliste, et le prolétariat qui se constitue en fondant une communauqui s'embraye sur le communisme prisonnier du capitalisme. K. Marx met cela en évidence, et indique ce que devient la démocratie: «l'affaire une fois conclue (le contrat de travail, n.d.r.), il se découvre qu'il n'était point un « agent libre »; que le temps pour lequel il lui est permis de vendre sa force de travail est le temps pour lequel il est forde la vendre, et qu'en réalité, le vampire qui le suce ne le lâche point « tant qu'il lui reste un muscle, un nerf, une goutte de sang â exploiter ». Pour se défendre contre le « serpent de leurs tourments », il faut que les ouvriers ne fassent plus qu'une tête et qu'un cœur; que par un grand effort collectif, par une pression de classe, ils dressent une barrière infranchissable, un obstacle social qui leur interdise de se vendre au capital par «contrat libre», eux et leur progéniture, jusqu l'esclavage et à la mort.

 

« Le pompeux catalogue des « Droits de l'homme » est ainsi remplacé par une modeste « Grande Charte » qui détermine légale­ment le journée de travail et indique clairement quand finit le temps que vend le travailleur, et quand commence le temps qui lui appartient.

 

Quantum mutatus ab illo » (L. Ι, t. 1, p. 296).

 

Ce qui nous inresse ici, c'est 1a formation de la force capitaliste [11]. La citation précédente montre l'inadéquation de la démocratie politique avec 1e mouvement réel. Car celle-ci est fondée sur la souveraineté illusoire de l'homme individuel qui serait apte à dominer les rapports sociaux, alors que ce sont justement ceux-ci qui deviennent déterminants. Ceci s'accroît en période de domination réelle du capital, lors de la transformation de 1a loi de 1a valeur en loi des prix de production. Ι1 faut donc que le capital organise lui-même les hommes ou ce qui revient au même que l'organisation qu'il a imposée à la production se généralise à toute la société; au fond une généralisation du despotisme de fabrique. Pour com­prendre ceci, il faut se représenter tout le mouvement historique. Nous avons vu que le mouvement économique jusqu'au capital, tend à diviser les hommes, à les séparer; celui-ci, au contraire, les unit pour les soumettre à sa domination. Cela veut dire que pendant des siècles, il y eut nécesside la politique pour unir ce qui avait été fragmenté ou bien pour limiter les effets du mouvement économique. Avec la domination du capital, la politique n'a plus le même rôle. Elle doit exprimer cette domination. Autrement dit, par suite de ce double mouvement d'autonomisation de la valeur d'échange et de séparation de l'homme de sa communauté, le mouvement politique était de plus en plus à la recherche d'un contenu et le mouvement économique à la recherche d'une forme. Avec l'apparition du salariat, donc du capital, la forme acquiert un contenu, l'homme devient marchandise. Seulement, le capital ne peut que transίtoirement tolérer cette situation; il secrétera sa propre forme. Ceci se réalise avec le fascisme, qui est la généralisation du despotisme de fabrique à l'ensemble de la société.

Précisons cette affirmation. À l'aube de la production capitaliste, le capital est une donnée de la société comme la propriété foncière et la production artisanale, par exemple; il doit lutter contre elles pour s'affermir dans le corpus social. C'est le moment où il tolère la démocratie politique parce qu'elle lui est nécessaire pour conquérir l'État. On constate alors une espèce de division antagonique du travail. Le capital embrigade les hommes dans des rapports donnés qui les assujettissent à un mode de production donné; l'État essaie de gouverner ces mêmes individus au nom de principes qui la plupart du temps sont en contradiction avec la réaliéconomico-sociale, parce que hérités des formes passées.

 

Une telle distorsion ne peut pas perdurer. La conception de la démocratie politique amenait à poser la nécessid'une constitution du peuple à partir de laquelle naîtrait les lois régissant la société ainsi que le pouvoir exécutif charde les faire appliquer. Mais qui constituait le peuple? Ou, si c'était vraiment lui l'auteur de sa constitution, l'évolution sociale n'aménerait-elle pas, à un mment donné, une contradiction entre la constitution et l'état du peuple? Hegel résolvait 1a question en disant que le peuple devait être le principe même de la constitution [12]. K. Marx déclarait: ici G.W.F. Hegel est sophiste. Effectivement, la réalité est toute différente. Qui constitue le peuple, ce conglomérat de classes, sinon - comme nous l'avons vu - le capital? On n'a plus affaire alors au peuple, mais au prolétariat, aux classes moyennes, etc... Mais si c'est le capital qui est le véritable être constitutif, c'est lui qui doit animer 1a constitution. L'antique dualisme se trouve résorbé dans la domination du capital. C'est le fascisme. Le capital a définitivement conquis l'État. Avec lui, le mouvement politique a une forme qui est déterminée par le contenu économique. Les véritables unités reconnues opérantes ne sont plus les individus, mais les entreprises avec leur duali mocratique patrons-ouvriers, ou capital-travail. Par là même i1 veut mettre en relief un aspect coopératif afin de nier la lutte des classes. Au fond, le fascisme peut se définir comme étant une forme politique gérant une société qui tend à nier le communisme tout en l'engendrant. C'est le pouvoir politique du capital. C'est pourquoi il n'est pas destruction du dualisme dont nous avons parlé; il le matérialise et le constitue. Il n'est pas la destruction de la démocrate, mais son parachèvement sous forme de démocratie sociale. Enfin, il est le moyen de concilier l'antagonisme entre capital social et capital particulier.

 

Face au capital qui parachève sa domination en se constituant en communauté matérielle, il y a le prolétariat. La force de celui-ci est créée par le capital lui-même. C'est lui qui est la cause de l'accroissement numérique des prolétaires et de leur unification; il crée d'autre part la base objective de la nouvelle forme sociale, le communisme. En conquence, le parti apparaît comme étant la nouvelle communauté humaine, la superstructure de force de la forme sociale future qu'il faut libérer de la domination du capital [13]C'est, par là-même, la fin de 1a politique. La seule question qui se pose c'est la question sociale; mais pour lirer cette société, il faudra un acte politique: la prise du pouvoir par le prolétariat, point de départ de sa dictature et donc du communisme [14].

 

 

Ν Ο Τ Ε S

 

 

I.           Les formes de la valeur.

 

 

Contrairement à ce que nous disions à l'époque (cf. p. 9) il n'y eut pas, pour K. Marx, un problème pour exposer historiquement les formes de la valeur, mais tout simplement pour les exposer. Cette affirmation pêchait par trop d'historicisme. Dans la 1° section du premier livre du Capital il y a, à partir de la marchandise - phénomène apparent se déroulant à la surface de la société bourgeoise - analyse de celle-ci qui met en évidence, qui produit en quelque sorte, le concept de valeur. Or tout concept réel contient en lui un procès et c'est donc le procès de la valeur que K. Marx expose, déroule, en l'extrayant du concept une fois produit. D'où 1'emboitage des formes: la forme argent est incluse dans la forme totale ou développée et celle-ci dans 1a forme simple ou accidentelle [15], que nous présentons, à dessein, dans l'ordre inverse à celui adoppar K. Marx. Ι1 est absolument évident que pour exposer les formes de la valeur il n'y a aucunement besoin de faire appel à l'histoire. K. Marx utilisa la logique de G.W.F. Hegel. Dans l'analyse du procès d'échange (chapitre II) l'histoire au contraire est opérante. Les formes de la valeur sont encore expliquées mais selon, comme on dit aujourd'hui, l'ordre de la diachronie. Tout être produit, inclut en lui sa diachronie. Ι1 n'est pas besoin de traiter cela de façon exhaustive; toutefois, afin de mieux faire saisir notre mode d'aρphender le développement de la forme valeur qui est celui-là même de K. Marx, nous citerons ce passage des Fondements:

 

«D'un autre côté ce qui est très important pour nous, c'est que notre méthode montre les points où ί1 faut introduire 1a reflexton historique et où l'économie bourgeoise en tant que forme purement historique du procès de production, se rattache aux modes de production antérieurs. Mais il n'est pas nécessaire d'écrire l'histoire réelle des rapports de production pour développer les lois de l'économie bourgeoise.» (t. 1, p. 424).

 

En ce qui concerne le chapitre qui précède nous tenons à bien faire remarquer que nous n'exposons en aucune manière une succession des modes de production; celle-ci ne peut être uniquement fondée sur le devenir historique dé la valeur. Nous avons voulu seulement spécifier à quels moments historiques avaient pu être opérantes certaines formes de la valeur et comment les communautés résistèrent ou succombèrent au mouvement de celle-ci jusqu'au moment où, sous forme du capital, la valeur se constitue en communaumatérielle.

 

Le chapitre du Capital sur la marchandise, spécialement le point 3 de celui-ci, est d'une importance primordiale pour comprendre l'œuvre totale de K. Marx et il faut tout le crétinisme althussérien pour proclamer qu'il n'est pas nécessaire de le lire. Nous reviendrons ulrieurement sur toutes ses questions.

 

 

Mars 1972.

 

II.     À propos de l'aliénation.

 

 

 

Les développements des deux chapitres précédents sont suffisants pour la démonstration que nous effectuions à l'époque. Cependant; étant donnée l'inflation de sens et de non-sens qu'ont subi le concept d'aliénation et tous ceux qui lui sont liés nous nous devons d'apporter quelques compléments.

 

La question de l'aliénation ne peut être traitée de façon exhaustive qu'en liaison avec celle de la Gemnwesen. Nous nous limiterons à quelques remarques qui nous permettront de préciser certains termes et de justifier nos traductions.

 

Ι1 n'y a aliénation que lorsque l'être humain a été séparé de sa meinwesen naturelle, qupartir du moment où il y a des individus et que s'autonomisent les classes. En effet le concept d'aliénation implique le procès à la fois historique et contemporain, si l'on veut diachronique et synchronique, par lequel l'être humain (être pour-soi) devient un être autre, ne se retrouve pas ou plus, en tant que Gemeinwesen. Car, s'il le peut, l'altération qui s'est produite n'est pas alors incompatible avec sa Geméinwesen et de ce fait l'aliénation est enrayée. Cela veut dire aussi que celle-ci n'existe plus de façon immédiate, mais est représentée; l'individu, d'autre part, n'a plus une activité totale, mais parcellisée; il se comporte en tant que travailleur, par exemple.

 

Plus précisément pour qu'il y ait aliénation, concept connoté d'un jugement de valeur (l'être autre est un être déchu, mutilé, avili par rapport à l'être initial), il faut qu'il y ait mise en défaut des mécanismes de réeinsertion de l'être dans sa communauté, afin qu'il ne se perde pas. C'est pourquoi ceci ne peut se produire que lorsqu'il y a naissance d'un mouvement sur lequel les hommes n'auront pas de prise, qui s'autonomisera et les dominera bien qu'il soit né en leur sein, soit le produit de leur activité: le mouvement de la valeur d'échange.

 

A partir de nous pouvons établir les rapports entre les différents moments de l'aliénation qui ont été souvent présentés de façon indépendante. Au mouvement de séparation-scission qui a été déjà indiqué se relie celui d'autonomisation (Verselbständigung)[16] des produits engendrés par l'activité humaine, celui des rapports sociaux qu'elle a engendrés. Elle s'accompagne aussi d'une dépossession-expropriation (Enteignung) tandis que l'extériorisation (Veräusserung) des capacités au cours de la manifestation (sserιιng) de l'être humain est en fait dépouillement (Entaûsserung). Ιl y a simultanément une extranéisation (Entfremdung) au fait que les produits deviennent étrangers aux producteurs et ceux-ci à leur communauté. Le mouvement résultant est une interversion-renversement (Verkehrung) qui fait que les choses deviennent sujets (Versubjektivierung) et les sujets des choses (Versachlichung) ce qui constitue la mystification dont le résultat est le fétichisme de la marchandise ou du capital qui fait que les choses ont les propriétés-qualités des hommes [17].

 

Au départ on a donc des êtres qui dominent des choses, à l'arrivée on a des choses devenues des êtres. Tel est le mouvement total, portant sur des millénaires, du mouvement d'aliénation. Cependant ceci n'est qu'un aspect négatif du phénomène: la perte totale de l'homme. Il y a un aspect positif, c'est celui de l'accroissement des forces productives qui, à un certain niveau, crée «la possibilité » d'un être émancipé, d'une autre forme sociale: le communisme. De même qu'au début du mouvement de l'aliénation le côté positif, fut la production de l'individu.

 

Ainsi le devenir dé l'espèce humaine n'est pas posé de façon simpliste, selon une seule détermination, ce qui différencie la position de K. Marx au sujet de l'aliénation , de celles des théologiens ou de certains philosophes qui ne conçoivent qu'un devenir régressif, une perte, et il faut, qu'à un moment donné, dieu intervienne apportant la rédemption, restaurant l'être. Elle se distingue aussi nettement de la théorie de l'illuminisme, surtout opérante chez les philosophes français du XVIIIème siècle pour qui le devenir de l'homme est celui d'un progrès indéfini (escamotage de la question, en définitive).

 

Une autre différence résulte du fait que le possible ne peut devenir réalité qu'au travers d'une volution. Seule l'intervention active des hommes peut permettre d'enrayer le mouvement d'aliénation. D'autre part l'existence de ce possible depuis une cinquantaine d'années, amène à penser que le devenir des hommes a aussi une autre voie de réalisation: leur destruction, ainsi qu'à envisager comment l'autonomisatίon du capital, sa constitution en communauté matérielle, etc. inhibe l'effectuatίon du possible, c'est-à-dire empêche l'accession au communisme.

 

Les présuppositions de l'aliénation posent un autre problème: comment se présentaient la communauté et le membre individuel de celle-ci? Ils devaient contenir des éléments sur lesquels le procès d'aliénation a pu se greffer. K. Marx fait remarquer que l'homme est une activité sensible, qu'il a une nature hors de lui et qu'il est à 1a fois individu et Gemeinwesen (individu immergé, non dégagé, non autonomίs au début, puisque le mouvement historique en occident est la production de celui-ci). Pour assouvir ses besoins, l'homme ploie une activité qui lui permet de s'approprier la nature externe. K. Marx. finit d'ailleurs la propriété, à l'origine, comme un comportement. C'est la fission de 1a communauté qui νa permettre l'autonomisation des différents éléments (avant tout la formation de la propriété privée) et les hommes en tant que Gemeinwesen et en tant qu'individus ne seront plus à même de dominer leur procès de vie. L'activité des hommes νa être toujours plus divisée et ceci va de pair avec la division du travail et s'accroit avec elle. Les hommes deviennent des travailleurs (et des non-travailleurs) séparés par leurs travaux, etc...

 

Si on s'accorde à reconnaître qu'il y a chez K. Marx un discours cohérent à propos de l'aliénation des hommes, beaucoup considérent que celui-ci a tort lorsqu'il emploie les mêmes concepts pour les marchandises. Or lorsque K. Marx les analyse - au début de 1a Contribution et au début du Capital - i1 ne le fait pas en les abstrayant de leurs supports, les hommes. Ceιιx-ci ne sont plus les sujets concernés par l’aliénation, ce sont les marchandises, sinon le renversement dont nous avons parlé n'aurait aucune réalité. Le phénomène que nous avons décrit pour les hommes va se répéter pour les marchandises, mais en intégrant les premiers qui sont comme le «dépassé » du mouvement.

 

K. Marx note: «Les choses sont en soi et pour soi exrieures usserlich) aux hommes et par là aliénables (veräusserlich qu'on peut traduire par exriorisables). » (Le Capital, t. 1, p. 98). Ici apparaît nettement le rapport entre ausser = exrieur et Veräusserung - extériorisation que l'on peut traduire aussi par aliénation au sens strict du terme. On a affaire à la cession à un autre, mais on peut faire remarquer que celui qui cède se dépouille et celui qui reçoit s'enrichit. Ι1 y a donc un devenir autre. S'il y a échange entre équivalents, il y a finalement égalisation des pertes et des profits, mais il y a qualitativement une altération qui persiste. Dans tous les cas, nous retrouvons notre affirmation: les hommes sont dominés par les marchandises. En ce qui concerne ces dernières on n'a plus le mouvement qui cristallise les potentialités de l'individu, mais celui qui éloigne, place les produits hors de la sphère où ils ont été produits, hors de la sphère de celui qui a travaillé. C'est parce qu'elles sont extérieures à l'échangiste qu'un autre peut s'en emparer. On retrouve le procès de séparation.

 

Le mouvement d'aliénation de la marchandise est possible du fait de la nature double de celle-ci: valeur d'usage et valeur d'échange. Au cours du procès d'échange, il y a séparation de ces deux déterminations puis recomposition de leur unité. C'est ce que K. Marx expose dans le chapitre II du Capital: «Le procès d'échange ».

 

Toutes les marchandises perdent de façon immédiate leur caractère de valeur d'usage, elles s'en dépouillent (Enusserung), celle-ci est transférée à l'équivalent général qui acquiert une valeur d'usage universelle, par là elles affirment leur caractère d'échange, et elles l'affirment en tant que continuum-échangéabilité. Mais le mouvement est double car elles perdent aussi (se dépouillent de) leur possibilid'être équivalent et cette détermination se fixe dans la marchandise exclue qui devient marchandise universelle, équivalent général. Dans le premier cas, les particularités s'éffacent, dans le second elles réapparaissent de même qu'au début de l'échange la valeur d'usage est niée pour réapparaître à la fin: «Les marchandises se réalisent d'abord en tant que valeur, avant de pouvoir se réaliser en tant que valeur d'usage. » Le Capital. Dés lors leur aliénabili = Veräusserlichkeit, s'est bien affirmée, c'est-à-dire leur possibilide sortir de 1a sphère où elles ont été produites et d'aller dans une autre, lorsque ceci se réalise on a l'aliénabilisation (Veräusserlichung), l'acte même de rendre aliénable. Ι1 y a donc un rapport entre le procès de séparation et celui d'alnabilisation, de même que c'est de la théorie de la coupure chez K. Marx qu'Althusser produit son aliénation, sa démence.

 

Ce phénomène se poursuit lors de la nèse de l'argent. K. Marx affirme en particulier: «La forme prix englobe l'aliénabilité (veräusserlichkeit) des marchandises contre l'argent et la nécessite de leur aliénation (Veräusserung) ». Ιl est inutile de reproduire toute la démonstration, il suffit d'indiquer l'essentiel. Le résultat du procès d'échange des marchandises a abouti à la formation de quelque chose d'autre, l'argent qui est bien entendu en continuité avec elles, tout en leur étant opposé. En outre l'argent va tendre à remplacer le simple monde des marchandises (les marchandises en tant que totalité) et devenir, à partir de sa détermination de monnaie universelle, communaumatérielle tendant à remplacer, aussi, celle des hommes. Car elle doit être représentation de leurs mouvements en tant qu'êtres et celle des mouvements de leurs produits autonomisés, les marchandises. Pour qu'il y ait mouvement non interrompu de la valeur, c'est-à-dire pour qu'elle ne se perde pas, il faut qu'elle puisse se reconnaître dans un continuum communauté, il faut que les marchandises se reconnaissent entre elles en tant que valeur et pour cela elles doivent se mirer en quelque sorte dans leur être commun: l'argent.

 

Nous avons vu l'impossibilité où fut l'or de réaliser une communau matérielle stable. Nous n'y reviendrons pas. Rappelons simplement un autre résultat du mouvement analyplus haut, le fétichisme sur lequel nous reviendrons à propos de celui du capital. Avec le capital la formation d'une communauté matérielle est possible. Le mouvement de la valeur n'est plus enrayé puisque le capital est la substance valeur devenu sujet. Au niveau du capital, le concept d'aliénation et tous ceux qu'elle implique ne devraient plus être opérant. Mais ceux qui affirment cela n'ont pas compris, entre autre, le devenir du capital à la communauté et son anthropomorphose.

 

Pour analyser rapidement les rapports entre capital et aliénation il nous faut auparavant tenir compte des nouvelles déterminations liées au capital valeur en procès. Le capital se valorise dans le procès de production immédiat, mais, à partir du moment où il sort de cette sphère, apparaît la possibilide la dévalorisation qui se manifeste du fait qu'il prend une matérialité, il devient capital marchandise. Ceci exprime en d'autres termes, l'aliénation selon G.W.F. Hegel qui découle de l'objectivation. Le capital objectivé se nie. Mais nous l'avons vu, ceci est temporaire puisqu'il abandonne cette forme pour revenir à celle de l'argent qui est sa forme adéquate et retrouver une existence conforme à son concept, à condition que rien ne s'oppose à son entrée dans un autre procès de production, puisqu'il νa pouvoir se réaliser d'un k en k + Δ k. Cependant la dévalorisation opère d'une autre façon: au cours du mouvement de circulation et lors du passage d'un procès à un autre, le capital perd de sa substance, se dévalorise. Ι1 surmonte cette perte en devenant la forme réifiée (sachlich), autonomisée: Dés lors il est devenu autre puisqu'à l'origine il était substance - objet ayant dans l'argent sa forme de représentation adéquate.

 

Le moment singulier de ce devenir du capital c'est celui où il prend la forme de capital porteur d'intérêt, moment où il assume, comme la marchandise, un double caractère de valeur d'usage et de valeur d'échange; de ce fait il devient aliénable (c'est son aliénabilisatίon = Veräusserlichung). Ι1 en est ainsi parce qu'il s'agit d'un capital particulier qui νa passer d'une sphère à l'autre. Tout ce qui a été dit à propos des hommes, puis des marchandises est à nouveau valable. L'aliénation sera réelle dans la mesure où le capital particulier ne pourra pas se reconnaître, se retrouver dans le capital en tant que communauté totale. D'autre part, celle-ci n'existe pas de façon immédiatement unitaire et les mouvements des différents capitaux en liaison avec la dévalorisation, perte de substance νaleur [18], risquent de la désagréger. La formation du capital fictif permet de maintenir unies ses formes différentes d'existence; celui-ci devient leur commune représentation. Nous constatons encore une fois, ici, qu'il y a bien aliénation. Un mouvement indéfini commence alors. Pour échapper à son devenir-autre qui est sa négation le capital se lance dans une fictivité toujours plus ample et le fondement du phénomène tend de plus en plus à disparaître puisque comme le dit K. Marx, il devient forme aconceptuelle d'où tout procès médiateur a disparu. La mystification est mouvement de disparition des médiations. À la limite il est possible qu'il se crée un hiatus entre le capital sous sa forme de chose socialisée, sous forme de valeur et le capital fictif; qu'il n'y ait donc plus de possibilité d'accomplissement du procès, ce sera la « crise » véritable du capital dont les symptomes se font perceptibles.

 

En ce qui concerne les hommes, le devenir du capital ne fait qu'exacerber tous les caractère aliénants antérieurs. Le procès de séparation - une des conditions de l'aliénation devenue son résultat - est encore aggravé. Après avoir été séparé de sa communauté, l'homme est séparé de ses moyens de production et son activiparcellisée, le travail, lui est ravie (il est exproprié de sa réalité); ensuite cela concerne sa vie en dehors de la sphère de la production. Ιl faut rappeler de plus qu ce niveau l'appropriation ne se fait plus grâce à un élément intermédiaire, le travail, car elle porte sur le travail d'autrui. De là le renforcement du procès d'extranéisation. «La domination du capitaliste sur les travailleurs est donc la domination de la chose sur les hommes, du travail mort sur le travail vivant, du produit sur les producteurs car en réalité les marchandises qui deviennent moyens de domination (mais simples moyens de domination du capital lui-même) sur les travailleurs, sont les simples résultats du procès de production, ses propres produits. Dans la production matérielle, dans le procès de vie social effectif - car tel est le procès de production - on a tout à fait le même rapport que celui qui se présente dans le domaine idéologique, dans la religion, l'interversion (Verkehrung) du sujet dans l'objet et inversement. Si on le considère du point de vue historique, cette interversion apparaît comme un point de passage nécessaire pour contraindre la majorité à la création de la richesse en tant que telle, c'est-à-dire les forces productives inéxorables du travail social, qui peuvent seules constituer la base matérielle d'une libre société humaine. Ι1 est nécessaire de passer par cette forme antagonique tout comme il faut d'abord que l'homme se figure ses forces spirituelles comme des puissance indépendantes de lui, religieuses. C'est le procés d'extranésίsation (Entfremdungsprozess) de son propre travail » (VIème chapitre, p. 142).

 

Le prolétaire (ce qu'est devenu l'être humain) ne peut plus se reconnaître dans une communau humaine puisqu'elle n'existe plus ou, plus préciment, qu’elle a été absorbée par le capital, fétiche achevé, et puisque le fétichisme est justement attribution des qualités humaines à une chose. Ceci est au fait qu'il nest plus uniquement dominé par le résultat de son activité, mais par une condition d'effectuation de celle-ci, les moyens de production devenus capital. Grâce à cela ce dernier peut pomper aux hommes prolétarisés toutes leurs forces, leurs capacités... Les hommes devenus purs esprits peuvent se retrouver dans le capital forme sans contenu.

 

On voit par là à quel point ce sont justement les médiations, dieu, argent, capital qui éloignent le plus les hommes les uns des autres en les unissant dans une communauté autre, parce qu'elles se posent en tant que données immédiates: êtres sensibles supra-sensibles.

 

Pour mieux percevoir ce qu'est l'aliénation il faut brièvement exposer comment les hommes luttent contre celle-ci. Tout d'abord il faut rappeler qu'au sein des communautés primitives, il n'y a que la possibilité d'une aliénation, d'un devenir autre qui soit muti­lation, parce que la communauté par de multiples mécanismes parvient à maintenir sa cohésion, sa permanence. À ce propos il est important de faire remarquer que le mythe en ces sociétés permet de penser, de dominer le discontinu en même temps que le continu. Les mythes d'origine tendent à maintenir la permanence du saut de la nature à la nature humaine (de la nature à la culture comme disent certains), c'est la permanence d'une discontinuité; d'autre part les mythes dominent tout ce qui peut altérer l'individu au cours de son devenir propre, car le mythe est paragdime de vie; c'est en ce sens qu'il apparaît contraignant et, à la limite, se pose comme étant le vrai sujet ou la substance dont l'homme ne serait que l'accident. Le fondement matériel de cela est dû au fait que la communauté, soit essaie au maximum d'annihiler les effets de tout évènement qui pourrait être le point de départ de sa décomposition, soit elle les intègre en se les assimilant - au sens proprement biologique du terme - de telle sorte que ce qui était étranger, autre, devient corps de la Gemeinwesen. Ce pouvoir d'assimilation, de permanence de communautés primitives peut se percevoir encore en Inde, où par exemple, toutes les religions ont été la plupart du temps absorbées par les vieux cultes du communisme primitif; aucune n'a réellement triomphé, à l'échelle du subcontinent, de ces vieilles représentations. Ces sociétés tendent à dominer leur histoire, d'où les théories sur le temps cyclique qui ont été produites pour expliquer leur mode d'être.

 

Le mythe à notre avis, est représentation de la Gemeinwesen, et l'être individu de la communauté se retrouve dans cette représentation (qui est d'ailleurs plus on moins immédiate) ce qui soude effectίveιnent son existence à celle de la communauté.

 

De façon plus précise, nous dirons que l'homme étant une activité sensible et ayant une nature hors de lui (ceci est immédiatement perceptible à propos de la nutrition, l'aliment est hors de l'homme) a besoin de s'approprier des éléments extérieurs afin d'accomplir son cycle de vie. Au début l'être individuel le fait en tant que membre de sa communauté, et i1 est plus exact de dire. que c'est elle qui se reproduit et, ce faisant, reproduit tous ses membres. Mais de cette séparation et de cette sensibilinaissent la représentation. On peut dire, enfinitive, qu'à cette époque de l'histoire, l'homme individuel est dépendant de la nature mais que, grâce à sa communauté, cette dépendance ne peut pas se transformer en aliénation.

 

Dés que le communauté est détruite, il y a perte de possibilide se retrouver, de se reconnaître, d'où la nécesside la reformatiοn de celle-ci sous d'autres formes: la religion[19], l'État, la littérature, l'art. Très schématiquement, on peut affirmer que c'est avec toutes les ressources de leur activique les hommes ont tendu à faire obstacle aux résultats de l'aliénation. Les hommes opéraient déjà sur le terrain de celle-ci de telle sorte que l'autonomisation de leurs propres activités tendant à s'opposer à celles qui les subjuguaient aboutissait en définitive à une aliénation redoublée. Ceci signifie qu'il est absurde d'envisager une aliénation particulière, ou de chercher la base matérielle de l'aliénation; elle résulte d'un procès total.

 

Même sur le plan matériel, sur le terrain des rapports économiques et sociaux, les hommes ont envisagé de dominer le mouvement d'aliénation. Mais c'est, chaque fois, pour subir finalement plus durement ses effets. Si les hommes s'abandonnaient au mouvement dé l'échange et profitaient de ce que celui-ci, s'il suppose séparation implique aussi la réunion, ils pouvaient récupérer des richesses, mais avaient dés lors reconnu la nécesside se soumettre - pour atteindre ces dernières - au mouvement qu'ils voulaient enrayer. Ils pouvaient tendre au même objectif en se lançant dans la thésaurisation: essai de dominer l'or en tant que communauté, en tant que représentationnérale. Dés lors, comme l'a fait remarquer K. Marx, tous les sens, toutes les aspirations des hommes (en plus de leur simple activité) sont mobilisés pour atteindre ce but. En thésaurisant l'homme s'illusionne d'emprisonner la puissance sociale et le miroir des choses. Enfin, les hommes peuvent refuser purement et simplement toutes les productions du monde afin dviter, par un renoncement absolu, la malédiction de l'argent. Cela les conduisait simultanément à refuser toutes les jouissances, à sombrer dans une ascèse généralisée tout autant aliénante que la jouissance affrénée à la Don Juan, par exemple. D'ailleurs ces types d'hommes ne sont possibles que sur la base d'une société non encore dominée par le capital.

 

Avec le développement du mode de production capitaliste, les représentations qui tendaient à se placer hors du domaine matériel, du domaine des rapports économico-sociaux, dominés eux-mêmes par le mouvement de la valeur, sont accaparées par le capital. Celui-ci réalise la philosophie, l'art, ainsi que la religion comme K. Marx le montre en particulier dans le livre IV (cf. Werke, t. 26.3, p. 442).

 

Le moment οù cette absorption est possible se produit avec l'instauration du crédit: « Dans le crédit, au lieu du métal et du papier, c'est l'homme lui-même qui devient l'intermédiaire de l'échange, non pas certes en tant qu'homme, mais en tant qu'existence d'un capital et des intérêts. (...) Dans le système du crédit ce n'est pas l'argent qui s'abolit, c'est l'homme lui-même qui se convertit en argent, autrement dit, l'argent s'incorpore à l'homme. » (K. Marx. Notes à l'ouvrage de James Mill).

 

L'homme s'est complétemente perdu et lorsqu'il croit se retrouver dans des représentations antagoniques au capital, il se fait encore absorber par son ennemi qui est devenu miroir de toutes les représentations, qui est devenu mythe. La capitalisation de ce qui par nature pouvait sembler irréductible à une telle transformation impliquait 1a formation et la généralisation du capital fίctif. Celui-ci agit comme médiation unifiant tous les moments du capital et comme procès d'assimilίtion, d'appropriation de tout ce qui lui était extérieur, étranger. Voilà pourquoi 1a domination réelle du capital est en même temps comme un «au-delà» de celui-ci (il a dépassé ses limites).

 

Les prolétaires avaient créé des syndicats, des partis où ils pouvaient retrouver une certaine communauté en dehors du capital. Or, celui-ci organise maintenant les hommes et toutes les organisations deviennent en fait des bandes-rackets soumises directement au capital. À son plus haut développement celui-ci est délinquance et démence. Toutes deux sont les moments ultimes de la spéculation qui est inhérente au capital. D'autre part, la démence est liée au fait que l'homme totalement aliéné, devenu autre, ne peut encore l'être à l'heure actuelle que dans le sens purement médical du terme: devenir fou. La folie ici est fuite devant la réalité du capital. L'homme s'emprisonne dans son être autre et ne peut plus de ce fait retrouver, ni retourner à son être-départ. La folie est une espèce de résorption du devenir.

 

Le mouvement de scission-séparation et celui d'autonomisatίon sont maintenant à leur comble. La scission qui s'opérait à l'extérieur (séparation d'avec ses moyens de production) devient interne. Les prolétaires qui refusent l'activité-travail (même quand ils l'effectuent encore) mènent une double vie et tendent à la schizophrénie. Ils sont dépouillés de leur activité qui leur est réstituée sous forme de représentations; le mouvement d'aliénation ne porte plus sur l'être, sur l'avoir mais sur le paraître: on leur organise la vie et de ce fait ils tendent de plus en plus à se percevoir comme étant plongés dans la non vie. De nouveau la schizophrénie qui se développe sur la base de la coupure (Spaltung) que l'homme ne peut plus dominer; les éléments séparés par celle-ci tendent à s'autonomίser et veulent se poser chacun comme l'être véritable.

 

D'autre part le capital ayant détruit la communauté humaine, il n'y a plus d'identification possible en des hommes donnés, d'où les conflits de générations; les jeunes percevant dans leurs aînés les aliénés qu'ils refusent de devenir; ils sentent en eux la réification, la mécanisation d'où l'aspect de soulèvement de la vie, de révolte universelle de la jeunesse que prend toute lutte contre le capital en tant que totalité, d'où aussi le soulèvement de la nature, à travers les hommes et en tant que telle, contre le despotisme du capital. De là les aspects toujours plus irrationnels, par rapport aux normes de cette société, que prend la rébellion. Peut-être que ce n'est que dans un acte de «folie» que l'humanité pourra se lirer. Dans tous les cas, la folie n'est problème qupartir de la venue du capital comme on peut s'en rendre compte à la lecture de Histoire de 1a folie à l'âge classique de Μ. Foucault; les troubles de représentation doivent bien se traduire par la confusion entre les mots et les choses!

 

Cependant malgré le devenir à la fictivité, le capital parvient difficilement à maîtriser son anthropomorphose. Pour dominer les hommes, il s'est fait homme. Paril est amené de façon contradictoire à réintroduire quelque chose qu'il avait expulsé: les désirs humains. De nouveau il y a ici une certaine irrationnalité; c'est le devenir du capital. K. Marx montre à quel point la forme du capital porteur d'inrêt est irrationnelle, pourtant elle s'est généralisée. Ce n'est donc pas, avec le capital, uniquement le rationnel qui devient effectif, mais l'irrationnel.

 

Ι1 n'y a donc aucun référentiel humain, rationnel ou irrationnel, tout a été englobé par le capital; d'où le profond désarroi de notre époque. Cependant cela n'empêche pas que l'émergence du communisme se manifeste toujours (c'est même un élément important de l'irrationnel) et les prolétaires peuvent prendre appui, dans leur lutte contre le capital, dans la perception de celui-ci. En outre, il leur est possible de trouver force en analysant comment on est arrivé à cette situation. C'est ici qu'intervient l'étude historique. Pour K. Marx l'histoire n'est pas un deus ex-machina mais elle est nécessaire pour comprendre les mouvements intermédiaires qui se sont abolis dans la production de l'argent ou du capital par exemple, et qui ont créé leur magie. L'étude de l'histoire permet de dissoudre la mystification et, ce faisant, de faire réapparaître les auteurs acteurs réels, les hommes chaque fois définis par le mode de production dans lequel ils vivaient. À l'époque actuelle, l'étude de la formation de la domination réelle du capital sur la société met à nu la réalides prolétaires et leur lutte contre le capital et le travail, contre les idéologies qui sont les fonctions idéelles du fétiche capital, car faisant abstraction de l'histoire des hommes, ce sont des idées réduites à l'état de fétiches (ainsi le structuralisme est théorisation du fétiche conçu comme réalité, de 1a non-histoire, de son évanouissement; la structure est ce qui par elle-même νa donner explication de tout; elle est chose neutre, innocente, sensible-supra-sensible; elle est l'aliénation congelée des hommes corrélative à l'éternisation du capital).

 

Ainsi tout en remettant chaque concept à sa juste place, il nous a été possible de réfuter la réduction de la theorie de K. Marx à un simple économisme: chercher le fondement économique de l'aliénation; ainsi que la réduction idéologique-idéelle (la première étant idéologique matérielle) qui veut faire de l'aliénation un processus qui concernerait uniquement l'esprit ou qui serait consubstancielle à l'homme.

 

Dans le communisme, l'humanité[20] domine sa production et sa reproduction, ainsi que son histoire; il y aura devenir et devenir autre mais plus d'aliénation. Les hommes sociaux qui seront en même temps Gemeinwesen (laquelle sera l'être humain) trouveront à la fin de leur procès d'activité globale, dans les résultats de celui-ci, les présuppositions du procès à venir; ils se retrouveront donc en tant que Gemeinιvesen et individualités, dans leurs multiples activités et ils intégreront leurs objectivations, leurs extériorisations; il n'y aura plus d'inhibition de leur devenir humain. Ils se reconnaîtront dans 1a transparance de leurs rapports, de leurs activités, de leurs produits. Leur Gemeinwesen (être humain) sera leur propre médiation.

 

 

 

Mai 1972




 

 



[1]  Cette mystification des révolutionnaire français par le mouvement historique est traité par K Marx dans ses œuvres philosophiques, la Version primitive, les pages éparses du VIème chapitre. Cf. aussi l'étude sur le mouvement ouvrier français .

(Cette étude commencée en 1959 ne fut jamais terminée. Seule 1a première partie le fut entièrement et publiée dans le n° 10, série Ι d'Invariance. Notons que la classe dominante fut tout autant mystifiée lors de 1'avénement du fascisme. Ce dernier se présenta comme étant l'artisan, l'opérateur d'une transformation sociale devant conduire l'humanité au-delà du capitalisme; de même il s'érigea (à ses débuts) contre ce dernier en tant que phénomène mondial. En fait il permit la réalisation parfaite de la domination réelle du capital et fut un dés éléments essentiels de 1a généralisation mondiale de celle-ci. - note de mai 1972).

 

[2] (Cf. pour ces questions les Grundrisse et Propriété et Capital. (Cette œuvre inachevée de A. Bordiga parut dans 1a revue Prometeo série Ι, 10, 11, 12, 13 et dans 1a série II, 1 et 4 de 1948 à 1952; elle a été republiée en volume avec une autre étude de 1954 de A. Bordiga « Vulcano della produzίone ο palude del mercato », (Volcan de 1a production ou marais du marché) par le groupe de 1a Sinistra comunista de Turin, en février 1972. Les éléments essentiels de cette étude sont:

a - l'analyse de l'évolution du sud de l'Italie (il mezzogiorno) que Bordiga ne caractèrise pas par la persistance de formes de production précapitalistes ou par une reféodalisation; pour lui le «mezzogiorno» est une aire où le mode de production capitaliste s'est développé il y a très longtemps, c'est même - comme le remarqua aussi F Engels - l'aire où il s'est pour 1a première fois développé.

b - le monopolisme n'est pas un phénomène récent de a vie du mode de production capitaliste:  « Le capitalisme est un monopole de classe et tout le capital s'accumule toujours comme dotation d'une classe dominante et non comme celle d'un certain nombre de personnes ou de firmes. »

c - Tendance moderne à ce qu'il y ait entreprise sans propriété. « L'État moderne n'a jamais eu en réalité d'activité économique directe mais toujours déléguée par adjudications et concessions à des groupes capitalistes ».

d - « Il ne s'agit pas de subordination partielle du capital à 1'État, mais d'une subordination ultérieure de 1'État au capital».

e - « Ι1 n'y a plus de classes nationales, mais une bourgeoisie mondiale. Ι1 y a des États  nationaux de 1a classe capitaliste mondiale. »

D'autre part, il peut y avoir mode de production capitaliste sans classe capitaliste. Ceci fut surtout abordé à propos de l'évolution économique et sociale de l'URSS (ce thème sera repris dans des articles ulrieurs).

f - Indication des traits fondamentaux du communisme.

(note de mars 1972)

 

[3] Ι1 faut noter également que chez K. Μarx l'appropriation (Aneignung) est assez semblable à ce que certains dénomment assimilation c'est-à-dire en quelques sorte le mouvement qui transforme la chose extérieure en chose à soi, du sujet; ce qui implique possession (Besitz et non propriété, Eigentum). (note de mai 1972)

 

[4]  Noter la différence: dans le capitalisme, l'affrontement des marchandises est un moyen de réaliser le profit, une fois que la plus-value a été extorquée au prolétariat.

 

[5] Zusammenhang, que nous avons précedemment traduit par relation signifie aussi enchaînement, connexion, etc., doit être compris comme un ensemble de rapports de dépendance des êtres les uns par rapport aux autres; tout ce dont un individu peut dépendre. De ce fait, ensemble social, complexe social, expressions à l'aide desquelles Zusammenhang est parfois traduit, dans les Ed. Sociales, nous semblent valables. - note de mai 1972

 

[6] Gemeinschaftlichkeit: ce mot implique l'idée de la possibilité de formation de la communau (Gemeinschaft). - note de mai 1972.

Notons que, à partir du paragraphe commençant par :"Nous n'envisagerons pas tout le mouvement historique.",  ainsi que  quelques paragraphes à la suite de l'indication de cette note, K. Marx expose ce que fut l'anthropomorphose du travail, surgissant de la dissolution du mode de production féodal, et que le développement du capitalisme escamota en quelque sorte. Lors de la rédaction du chapitre sur le capital de Émergence de Homo Gemeinwesen j'essaierai d'en faire une présentation significative.  - note de janvier 2010.

 

[7] Fremdartigkeit veut dire littéralement qui est de nature étrangère (Fremd=étranger), d'où bizarrerie, nature différente, hétérogénéité, etc. (cf. dictionnaire!). K. Marx veut dire que l'ensemble des relations forme quelque chose d'extérieur aux individus, que cet ensemble leur est étranger; qu'il y a comme un hiatus entre les individus et ces relations. L'exttanéiest un état; nous la distinguons de l'extranéisation = Entfremdung, que la plupart traduisent par aliénation. - note de mai l972.

 

[8] C'est une remarque fondamentale que K. Marx renouvéle dans son étude:  « La circulation monétaire partait d'une infini de points et revenait à une infini de points, mais le point de retour ne coïncidait nullement avec le point de départ Dans 1a circulation du capital, le point de départ se pose comme point de retour et vice-versa». (Fondements, t. 2, p. 05).

 

[9] Cet aspect du capital a été étudié à l'aide d'extraits des Fondements dans le 20 de 1957 de il programma comunista (cf. traduction in Invariance 3, pp. 82-110).

 

[10] « Sur la base de 1a production capitaliste, la masse des producteurs immédiats se trouve face à face avec le caractère social de leur production, sous forme d'une autorité organisatrice sévère et d'un mécanisme social articulé du procès de travail en tant que hiérarchie parfaite (mais les porteurs de cette autorité ne sont plus, comme dans les formes antérieures de production, des seigneurs politiques ou théoriques; s'ils la détiennent, c'est simplement qu'ils personnifient les moyens de travail vis-à-vis du travail). Par contre, parmi les détenteurs de cette autorité, les capitalistes eux-mêmes, qui ne s'affrontent qu'en tant que possesseurs de marchandises, règne l'anarchie la plus complète: les liens internes de la production sociale s'imposent uniquement sous forme de loi naturelle toute-puissante s'opposant au libre arbitre de l'individu. » (Livre III, t. 8, p. 256).

 

[11] Pour ce qui est de la force prolétarienne, K. Μarx a toujours insisté sur l'organisation de la classe comme seule force véritable contre le capital. La classe s'organise en se constituant en parti. (Statuts de l'Association Internationale des Travailleurs; Considérants au Programme du Parti Ouvrier Français, 1881, par exemple).

 

[12]  « C'est évidemment une banalité de dire que la constitution qui est le produit d'une conscience passée peut devenir une entrave gênante pour une conscience plus avancée. La conclusion en serait simplement de réclamer une constitution ayant en elle-même 1a détermination et le principe de progresser avec l'homme réel, ce qui n'est possible que lorsque 1'«homme» est devenu le principe de 1a constitution. Ici, G.W.F. Hegel est sophiste. » (Critique de la philo­sophie de l'Εtaτ de G.W.F. Hegel. Ed. Costes, p. 46).

« Pour que la constitution non seulement subisse la modification, pour que cette apparence illusoire ne soit donc pas finalement mise en pièces par la violence, pour que l'homme fasse consciemment ce que la nature de la chose le force à faire inconsciemment, il est nécessaire que le mouvement de la constitu­tion, que le progrès devienne le principe de la constitution, que le représentant réel de la constitution, le peuple, devienne donc le principe de la constitution. Le progrès est alors lui-même la constitution. » (ibid. p. 121). Sous une autre forme, nous avons à l'heure actuelle l'illusion du progrès indéfini qui est le principe fondamental de la constitution actuelle!!

 

[13] K. Marx a plusieurs fois insisté sur ce fait: le capitalisme engendre le communisme. Démontrer cela, en détail, en utilisant les données récentes du développement du capitalisme alourdirait l'exposé. Les deux citations suivantes suffiront à étayer notre affirmation:

« D'autre part si nous ne trouvions pas, cachés dans la société telle qu'elle est, les conditions de production et les rapports de distribution pour une société sans classe, toutes nos tentatives pour les faire surgir seraient du donquichotisme. » (Fondements, t. 1, p. 97).

« Quant au concept de 1a chose, je ne crois pas me tromper en attribuant aux considérations exposées dans votre préface une lacune apparente, savoir la preuve que les conditions matérielles nécessaires à l'émancipation du prolétariat sont d'une manière spontanée engendrée par la marche de la production. » (K. Marx à Cafiero, 29.07.1879).

 

[14] Ι1 semblerait que dans l'analyse précédente nous ayons quelque peu escamoté 1’État. Dire cela serait demeurer à 1a surface des phénomènes car nous avons indiqué la place de l'État dans le procès total de 1a vie sociale dominé pat le capital, à la fin du chapitre sur le travail productif et le travail improductif; d'autre part, il est implicite dans tout ce travail sur le VIème chapitre que l'État devient une entreprise capitaliste. Cependant ceci appelle des précisions complémentaires que nous exposerons ultérieurement. Nous ne l'avons pas fait à l'époque parce que nous voulions auparavant reprendre l'ensemble des œuvres de K. Marx et de F. Engels sur 1a question de 1'État. En ce qui concerne ce dernier, il nous semble que sa théorie de l'État exposée dans 1'Anτi-Dühring, n'est valable que pour 1a domination formelle du capital sur la société. « L'État moderne, quelle qu'en soit la forme est une machine essentiellement capitaliste, l'État des capitalistes, le capitaliste collectif en idée. » p. 318 F. Engels ne met en évidence que le procès de concentration de telle sorte qu'il conçoit en quelque sotte une société capitaliste unitaire dominée par l'État capitaliste. Or, 1a communauté du capital est une communau antagonique. D'une part il y a 1a communauté matérielle qui remplace les antiques communautés, d'autre part il y a les différents quanta de capital qui tendent chacun à se poser en tant que communauté. L'État est  lui aussi un quantum de capital qui comme les autres veut être 1a communauté. Le devenir à celle-ci est favorisé du fait de l'instauration d'un despotisme du capital au fur et à mesure de la réalisation plus intime de sa domination réelle sur la société et du fait que l'État est 1a médiation essentielle de réalisation du capital fictif: il matérialise 1a « fiction » du capital et perennise ainsi 1a domination de celui-ci. Le tort de 1a position de F. Engels est de trop autonomίser 1'État. - note de mai 1972.

 

 

[15] « Le secret de toute forme de valeur gît dans cette forme simple. » (Le Capital, L. I, t.1, p. 83)

 

[16] M. Rubel traduit la phrase: «So wächst die Macht des Kapitals, die im Kapitalίsten personnίfizierte Verselbständigung der gesellschaftlichen Produktionsbedingungen gegeber den wirklichen Produzente.», de la façon suivant: «Ainsi grandit la puissance du capital, c'est-à-dire l'aliénation personnifiée dans le capitaliste des conditions sociales de 1a production vis-à-vis des producteurs réels. » (œuvres de Κ. Marx. Économie ΙΙ, p. 1044) et il précise p. 1769 (en note) : «La Verselbständigung (qui signifie « paration » aussi bien qu' « aliénation »)...". Ι1 aurait dû dire qui présuppose la séparation du capital vis-à-vis du procès de production qui l'a engendré, et implique une aliénation du producteur ou du capital puisque ce dernier peut devenir autre. Cela signifie que s'il y a autonomisation, il y a possibilité d'un devenir autre, donc une alnation - aνant les producteurs immédiats étaient unis à leur conditions de production, le capital opère une paration entre les deux - de telle sorte que nous traduirons cette phrase plutôt ainsi :« Ainsi - vis-à-vis des producteurs effectifs - grandit la puissance du capital, l'autonomisatίon (Verselbständigung), personnifiée par le capitaliste, des condition sociales de la production. » L'autonomisation est un moment médiateur fondamental de l'extranéίsation et de la réification donc de l'aliénation effective. La suite du texte de K. Marx confirme ce que nous avançons. « Le capital apparaît toujours plus comme puissance sociale dont le capitaliste est le fonctionnaire, qui n'a plus aucun rapport possible avec ce que le travail d'un individu particulier peut créer mais qui, en tant que puissance sociale autonnmίsée, extranéίsée, en tant que chose, en tant que puissance du capitaliste par l'intermédiaire de cette chose, s'oppose à la société. » (Cf. aussi Le Capital, L. ΙΙΙ, t. 6, p. 276).

 

[17] « Cependant un tel rapport d'extranéίté (Fremdheit) réciproque n'existe pas pour les membres d'une communauté primitive qu'elle ait 1a forme d'une famille patriarcale, d'une ancienne communauhindoue, d'un Etat inca... ». (Le Capital, L. Ι, t. 1, p. 98). Cette extranéiimpliquée par l'apparition de la marchandise, qui est à la fois valeur d'usage et valeur d'échange, est le point de départ de l'extranéisation. On doit noter ici qu'il y a complémentarité entre les Manuscrits de 1844 et Le Capital.

 

[18] Rappelons aussi, ce qui a été expliqué précemment; que 1a socialisation à laquelle aboutit le procès total de production est une négation même du capital. Ce devenir autre doit être constamment nié pour que le capital continue à se développer.

 

[19] La religion comme le mot d'indique relie les êtres. Elle n'apparaît qu'au moment où l'activité des hommes a été fragmentée, comme a été fragmentée leur communauté. Elle reprend les rituels, 1a magie, les mythes des sociétés précédentes. Avant il n'y avait pas de religion. Les sectes religieuses d'autre part manifestent 1a volonté de rétablir une communauté antérieure; elles sont 1a plupart du temps clandestines, secrètes. En revanche 1'État favorise une religion apte à relier les différentes classes de 1a société. De les relations particulières entre 1'État et cette dernière, de 1à les diverses hérésies, productions de représentations plus adéquates à l'existence des classes opprimées. La lutte de classes se manifeste aussi en tant que lutte des religions en place contre les hérésies.

Si on accepte l'étymologie, plus juste, du mot religion donnée par Ε. Benveniste qui fait remarquer que religio « se rattache à relegere » recollecter, reprendre pour un nouveau choix, revenir à une synthèse antérieure pour 1a recomposer » (Le vocabulaire des institutions indo-européennes. Ed de Minuit, t. 2, ρ. 266) on constate que cela ne s'oppose pas à ce que nous disons. Cependant au cours du temps, religion a bien voulu dite: relier le fίdéle à son dieu et, mais aussi, relier les fidéles entre eux.

 

[20] Ι1 est évident qu'on ne peut pas éviter les pièges du langage. La terminologie de notre exposé est marquée par un moment très ancien de l'aliénation humaine: celui de 1'assujetissement des femmes. Mais une fois que le lecteur sait que nous sommes absolument convaincus de 1a nécessité de leur libération, et ce, non pas pour en faire des hommes, mais pour qu'elles s'épanouissent en fonction de leurs déterminations propres qui ont été tout le temps inhibées, il pourra rectifier mentalement ce qu'il y a de parcellaire, de ce fait, en notre exposé. L'espèce émancipée produira une nouvelle langue où hommes et femmes pourront se dire, s'entendre, se percevoir, se reconnaître dans 1a plénitude de leur libération enfin réalisée.