CAPITAL
ET GEMEINWESEN
VI.
CAPITAL
ET
COMMUNAUTE
MATÉRIELLE
Α.
Dissolution de la
communauté
et mouvement de la
valeur.
Nous avons indiqué au début de cette
étude que les deux points essentiels de l'œuvre de K. Marx
sont:
-
origine de la valeur, ses déterminations et ses
formes;
-
origine
du
travailleur libre,
du
travailleur salarié.
Ces
deux questions sont en fait en étroite
liaison, car l'autonomisation de la valeur d'échange comme la production du travailleur
libre dépendent de la
destruction de l'antique communauté. De là
découle un autre aspect de cette œuvre, celui de la mise en évidence de la
formation d'une communauté
matérielle, en remplacement de l'autre. En effet, le mouvement de la production s'est présenté comme l'expropriation de l'homme et son atomisation (production de l'individu) en même temps que l'autonomisation des rapports
sociaux et des
produits de
l'activité humaine qui deviennent puissance oppressive de
celui-ci: autonomisation et réification. L'homme a donc été séparé de sa communauté, plus
précisément, celle-ci fut détruite. Tout d'abord ce fut celle directe, naturelle fondée sur les rapports gentίlices, les rapports purement humains; puis celle
médiatisée par 1a terre, mais où les rapports personnels avaient encore une grande importance et où la valeur d'usage - donc ce qui est utile à
l'homme - gardait sa prééminence. Le développement de l'argent l'a détruite à son tour. Les différentes communautés
avaient essayé de mettre ce dernier en dehors des relations sociales, donc en dehors même de ces communautés. D'où leurs anathèmes
lancés contre l'or corrupteur. Avec le capitalisme, stade achevé de l'autonomie de la valeur d'échange, les derniers restes de communautés sont détruits en occident; la forme asiatique de production qui avait survécu en Amérique, en Asie et en Afrique s'effondre. On
en vient donc à poser la question suivante:
l'argent peut-il remplacer la communauté naturelle οu
médiatiséee par la terre; et si l'argent n'y parvient pas, le
capital peut-il le faire?
Indiquons
tout
de suite que, du point de vue superstructurel, de
1a politique, ce problème hanta les révolutionnaires de 1789. Comment unir les hommes
qu'un procès de
production a séparés? Comment remplacer l'ancienne communauté? La solution fut constitutionnelle, institutionelle: il fallait créer des institutions, établir un contrat
social. Mais ces institutions fondées sur les données de la production marchande simple et un développement assez faible du capitalisme ne pouvaient constituer, en fait, les nations, ces portions d'humanité. Elles voulaient donner pour définitif des formes de
transition. D'où la mystification [1].
Avant
d'analyser les rapports entre
production marchande et les rapports sociaux des formes précédant le capitalisme, il est nécessaire d'indiquer le mouvement général dont il a été question plus haut.
a
- Transformation
des
produits,
des objets
utiles à l'homme en marchandises.
Ceci n'a d'abord qu'un
caractère épisodique et contingent. Les
échanges se font de communauté à communauté. On a 1a forme simple de la valeur: x marchandises Ay
marchandises Β,
le troc. K. Marx
a
beaucoup insisté sur le fait que les premiers échanges ne se dèroulent pas
entre individus, pour la bonne raison que ceux-ci, sujets d'échange,
n'existaient pas.
b
- Multiplication
des
échanges
- Forme totale οu
développée de la valeur: x marchandises A y marchandises Β z
marchandises
C. Ils
vont
se faire à l'intérieur des communautés et non plus seulement entre celles-ci. La division du travail se développe; i1 y a apparition de la propriété privée et des
classes. C'est le début de 1'autonomίsation de la valeur d'échange en même temps que la dissolution du troc et de 1a communauté naturelle.
c
- Forme valeur générale.
Ι1 y a apparition d'un équivalent général.
Cette
marchandise
équivalente
entrait
auparavant
dans la série indéfinie des échanges. Maintenant elle est exclue et se
pose pour ainsi dire indépendante vis-à-vis des autres. On a la société de classes pleinement développée, ainsi la société esclavagiste antique. À partir de ce moment, commence l'autonomisation de
l'argent, c'est-à-dire d'un
équivalent général qui s'est libéré de
toutes les déterminations matérielles en étant équivalent de toutes les marchandises. De
cette forme, on passe d'ailleurs insensiblement
à celle argent οu monnaie.
d
- Les différentes fonctions de l'argent. Ce sont :
=
mesure des valeurs,
=
moyen de circulation,
=
la
monnaie.
Elles
se
dévelopèrent dans la société antique, mais surtout dans la société féodale, qu'elles détruisaient. Ce fut la période florissante du mercantilisme et de la marchandise simple dés le ΧΙΙΙème siècle, avec, au ΧVème
siécle, passage
au capitalisme (la terre devient marchandise) qui dés le siècle suivant s'épanouit en Europe occidentale.
Au
cours
de ces transformations, les rapports
sociaux sont devenus de plus en plus autonomes. Mais cette
autonomie de la valeur d'échange s'est péniblement réalisée parce que les différentes communautés
essayaient de
limiter au maximum ses développements. Cette limitation n'était, d'autre part, possible que parce que la production était faible et que de ce fait l'or
et l'argent étaient en marge du mouvement social. Ils étaient la plupart du temps thésaurisés parce qu'il n'y
avait pas une nécessité impérieuse d'un
élément de mesure entre les différentes productions, ni d'un moyen de
faire circuler les produits engendrés par les
actes productifs divers. C'est pourquoi, comme K. Marx
le
fait maintes fois remarquer, dans la société antique il y a une division du travail entre les peuples. Ainsi, nous avons des peuples commerçants qui jouent le rôle d'intermédiaires entre les autres; ce sont les phéniciens, les juifs οu,
dans la société
médiévale, les lombards. C'est chez eux que l'or et
l'argent sont considérés pour leur fonction
économique; ailleurs ils sont honnis οu
confiés
à la garde
des dieux. La
société n'est pas encore capable d'utiliser le surplus engendré et, s'il y a une trop grande distorsion entre la richiesse des uns et 1a misère des autres, il faut abolir les dettes et rétablir un certain
équilibre comme ce fut le cas à l'époque de Solon.
Le développement du féodalisme lui-même représente un certain recul de l'autonomisation. En effet, il est la
reconstitution d'une communauté avec des rapports personnels importants, fondamentaux, médiatisés par la terre. Une communauté où les rapports mercantiles semblent être totalement bannis du fait de l'autonomisatίon des diverses unités composant la société féodale. C'est
d'ailleurs en marge de celle-ci que le mouvement d'autonomisation de la valeur d'échange reprend, malgré la volonté des hommes.
«
Dés que l'or et l'argent (οu
toute
autre
marchandise) se
sont développés en mesure de valeur et moyen de circulation (que ce soit à ce titre, sous leur forme matérielle ou sous la forme d'un symbole qui les remplace), ils deviennent de l'argent sans que la société y soit pour rien, en dehors de sa volonté. Leur pouvoir apparaît comme une fatalité et la
conscience des hommes se révolte,
particulièrement dans les
structures sociales qu'un développement plus poussé des rapports de la valeur d'échange voue à la ruine, contre le pouvoir que prend vis-à-vis d'eux une matière, un objet, contre la
domination, qui semble être une pure folie de ce métal maudit. » (Version primitive p. 236).
Β.
Communauté
et formes
d'appropriation du surproduit.
Ι1
se produit
donc
une
opposition
entre
le mouvement social et le mouvement économique, une opposition entre celui-ci et les formes de propriété, reflets superstructurels juridiques des rapports économiques [2].
Ce sont
les rapports
juridiques qui
expriment la communauté des hommes et indiquent en même temps dans quelle mesure cette communauté est plus ou moins minée par le développement de la valeur. En anticipant, nous pouvons dire que cette dernière s'assujettira en fait les rapports de propriété. Cela implique qu'à un moment donné le lien entre mouvement social et mouvement économique se fera au sein de la forme d'appropriation
du surtravail, ensuite c'est
le mouvement économique qui fondera ce dernier. Les deux mouvements confluent dans l'acte d'échange force de travail-capital qui est à la fois un rapport économique et
un rapport social. C'est le moment où un acte d'échange particulier détermine le caractère universel de la forme sociale. Ainsi l'échange a deux résultats: la formation de
l'argent, équivalent général qui tend à l'autonomie, et
l'autonomisation d'un rapport singulier. Ce sont là deux présuppositions du capital
dans lesquelles la première est valable pour d'autres
périodes
de la production, tandis que la
seconde
est absolument
caractéristique du capitalisme.
L'analyse de l'échange revêt une grande importance,
parce qu'il joue un rôle
déterminant dans 1a forme que prend la
propriété. En effet, dans
les sociétés
stables,
l'appropriation est propriété en ce sens
que c'est
de la terre
que découle
l'appropriation de plus-value (ceci est aussi valable dans
le cas de l'esclavage). Avec
le développement de la production et de celui
des besoins ainsi qu'avec la division du travail, la propriété ne peut
se réaliser directement
mais gràce
à un moyen terme, l'échange.
La propriété perd sa
fixité et devient appropriation. K. Marx a analysé cela dans
1a Version Primitive. [3]
Nous n'envisageons
pas tout
le mouvement historique. Nous nous
bornerons à l'étude de la période
de la production marchande simple et au capitalisme.
Dans la première, la
communauté féodale est détruite.
Des vestiges
de celle-ci
peuvent persister (il est
rare d'avoir affaire à des formes pures). Nous avons des individus que le
procès de travail a séparés
et qui produisent indépendamment; ils sont
dominés par l'autonomie
de 1a valeur
d'échange: «C'est
d'abord dans l'argent,
c'est-à-dire
dans la
forme 1a
plus
abstraite, d'où 1a plus dénuée
de sens, la plus inconcevable -
forme
dans
laquelle toute
médiation a été supprimée (augfgehoben) - qu'apparaît la transformation des relations
sociales
réciproques en un rapport social
fixe, écrasant, qui subjugue les individus.
Et ce phénomène est d'autant plus brutal qu'il naît d'un
monde
où l'on a présupposé les
particuliers isolés
comme
des atomes,
libres, agissant à leur guise et n'ayant de
relations entre eux
dans la production que celles qui naissent
des besoins réciproques de
chacun
» (ρ. 236). C'est en
effet au sein de la production marchande simple que naissent les données de liberté et d'égalité parce que c'est
en son
sein que la loi de la
valeur
νa
se manifester dans toute
sa pureté:
libérté
d'échanger les
marchandises, liberté du commerce
sans lequel il
ne
peut y
avoir confrontation entre celles-ci
et donc
pas de possibilité de réaliser la valeur au sein du procès d'échange; égalité, puisque seules les marchandises contenant des quanta de travail égaux peuvent s'équivaloir. La révolution bourgeoise n'a fait que généraliser ces données parce que la classe bourgeoise avait pour mission historique
d'instaurer le capίtalisme qui dans un premier temps est la
généralisation de la production marchande pour ensuite la
dominer en se soumettant la loi de la valeur [4].
Tout ceci implique que la richesse était fondée sur le travail. Comment pouvait se
faire l'appropriation de celle-ci puisque la communauté ne peut plus
le permettre:
«D'abord les agents du procès d'échange apparaissent en tant que propriétaires de marchandises. Or, sur la
base de la circulation simple, il
n'existe qu'une
méthode pour entrer
en
possession d'une marchandise, c'est de fournir un nouvel équivalent; donc, il apparaît que la
propriété de la marchandise antérieure à l'échange, c'est-à-dire la propriété d'une marchandise non appropriée par le moyen de la circulation, mais
qui, au contraire, doit d'abord entrer dans celle-ci, a immédiatement pour origine
le travail de celui qui la possède, et que le travail est le
mode originel de
l'appropriation ». (Version Primitive,
p. 211).
«C'est
pourquoi le procés de genèse
des marchandises, donc, leur procés originel d'appropriation aussi, se situent en dehors de la
circulation. Mais comme c'est
seulement gràce à la circulation, donc au déssaisissement (Entäusserung) de
son propre équivalent, que l'on peut s'en approprier un autre, cela suppose nécessairement son propre travail comme procès originel d'appropriation, et la circulation uniquement comme échange réciproque de travail, qui s'est incarné dans de multiples produits».
(Ibid. pp. 211-212).
«La
propriété
fondée
sur
le
travail
personnel
constitue
donc, dans le cadre de la circulation, 1a
base de
l'appropriation du travail d'autrui ». (Ibid.).
«
Et comme, de son point de vue, on ne
peut s'approprier de marchandise d'autrui, donc du travail d'autrui qu'en se déssaisissant du
sien propre, le procès d'appropriation de la marchandise, antérieur à la circulation, apparaît nécessairement
de
son point de vue comme une appropriation réalisée grâce au travail. En
tant que valeur d'échange, la marchandise n'est rien d'autre que travail objectivé... La circulation montre comment une appropriation immédiate transforme, par la médiation d'une opération sociale, la propriété de son propre travail en propriété du
travail social ». (ibid., p. 212).
Voilà la base sur
laquelle νa
se développer la société bourgeoise: «La
loi d'appropriation
par son propre travail étant présupposée -
ceci n'est pas une présupposition abstraite mais une présupposition surgissant de la considération même de la circulation -
un royaume de la liberté et de l'égalité bourgeoises fondé sur cette loi s'épanouit de lui-même dans la circulation. » (Ibid. p. 213).
«
Si
l'appropriation de marchandises par le
travail personnel se présente comme la première nécessité, la seconde c'est le procès social qui fait d'abord de ce produit une valeur d'échange et doit
le reconvertir, en tant que tel, en valeur d'usage destinée aux individus. Après
l'appropriation par le travail ou
l'objectivation du travail, son aliénation (Veräusserung) ou sa conversion en forme sociale apparaît comme la
seconde loi. La circulation est le mouvement au
sein duquel on pose son propre produit en tant que valeur d'échange (argent), c'est-à-dire un produit social et le produit social son propre produit (valeur d'usage individuelle, objet de consommation individuelle) ». (Ibid., pp. 213-214).
Ainsi,
il y a
parcellisation totale des hommes en même temps que socialisation de leur produit, car ce
n'est que dans la mesure où il
revêt un caractère social que le produit d'un particulier peut s'échanger. La contradiction est d'autant plus grande que l'aspect social ne dérive pas de l'organisation de la société, mais du mouvement économique. Ce n'est pas l'association des hommes mais plutôt leur division qui aboutit à la socialisation de leurs produits.
«L'échangiste
a produit
une
marchandise et, qui
plus
est,
pour des producteur de marchandises. Ceci inclut: d'une part il a produit en tant qu'individu indépendant, de sa propre initiative,
déterminé seulement par son propre besoin et ses
capacités propres, il a produit de
soi-même et pour soi, non pas en tant que membre d'une communauté (Gemeinwesen) naturelle, ni qu'individu
participant immédiatement à 1a production en
tant qu'être social, et qui, partant, ne se comporte pas vis-à-vis de son produit comme envers une source d'existence immédiate. D'autre part, il a produit de la valeur
d'échange, c'est-à-dire un produit qui ne devient pour lui-même que grâce à un procès social déterminé, grâce à une métamorphose précise. Ιl
a donc déjà produit dans un ensemble de conditions complexes, dans des conditions de production et des rapports commerciaux devenus tels au travers d'un procès historique, mais qui lui apparaissent en tant que necessité naturelle. L'indépendance de la production
individuelle se complète ainsi d'une dépendance sociale, qui trouve son expression correspondante dans la division du travail. »
(p. 215).
L'individu
a produit non «en
tant que membre d'une communauté
naturelle»
et pourtant son
produit, grâce à l'échange et à la division du travail devient social. Ce n'est pas à une participation à une communauté qu'il
doit de pouvoir s'approprier
un produit, mais au fait d'en avoir engendré un lui aussi. Voilà le point de départ de la formation de la communauté matérielle créée par la production, plus précisément par le fruit de celle-ci. Une telle communauté doit résulter non plus de l'union ou de la réunion des hommes, mais de celles des choses en même temps qu'elle doit établir des liens entre eux. De son appartenance ou non, doit découler
l'appropriation ou non du produit et donc du surproduit; car elle doit être l'élément médiateur tel que le fut la communauté naturelle. Ce
sont des données qu'il
nous faut préciser pour comprendre la réalisation de cette
communauté au cours de
l'histoire.
«
Le caractère
privé de la production de
l'individu producteur de valeurs d'échange apparaît lui-même comme un résultat de l'histoire -
son isolement, son autonomisation
ponctuelle au sein de la production sont conditionnés par une division du travail qui,
à son tour, repose sur toute une série de conditions
économiques par lesquelles
l'individu est de
tous côtés
conditionné dans sa relation avec les autres et dans son propre mode d'existence. »
(p. 215).
D'autre part, «
les
individus ne
s'affrontent qu'en qualité de propriétaires de valeurs d'échange, d'êtres qui les uns pour les autres se sont donné une existence objective grâce à leur produit, 1a marchandise. »
(p. 216).
La
séparation des hommes touche à son maximum; mais 1a
circulation détruit leur isolement, de telle sorte que leur communauté qui provient
d'une réunion est éxtérieure à
eux. La durée de celle-ci dépend de celle des échanges. Dés que 1a série de
ceux-ci est terminée, donc dés que l'individu consomme ou retourne à 1a production, la communauté
s'abolit.
« Sans
cette médiation objective, ils (les
individus n.d.r.) n'ont pas de relations réciproques, du point de vue des échanges matériels sociaux qui se produisent dans la circulation. Ils n'existent
l'un pour l'autre que réifiés (sachliche) ce qui n'est plus développé que dans la relation monétaire où leur Gemeίnwesen (communauté) elle-même apparaît
vis-à-vis de
tous, come une chose
extérieure et par là accidentelle, parce que la relation sociale qui naît du heurt des
individus indépendants, apparaît en même temps comme nécessité
réifiée et comme lien extérieur vis-à-vis d'eux; qu'elle représente précisément
leur indépendance pour laquelle l'existence
sociale - nécessité
indéniable - est seulement un
moyen qui apparaît
donc aux individus eux-mêmes comme une chose extérieure et, qui plus est, dans
l'argent, comme une chose
tangible. N'étant pas subordonnés à une Gemeίnwesen naturelle, ni ne se subordonnant pas, en tant que membres
communautaires conscients, la Gemeinwesen, il faut qu'en face d'eux, sujets indépendants, celle-ci
existe comme quelque chose de réifié, également indépendant, extérieur, fortuit. C'est
précisément la condition pour qu'en tant que personnes
privées indépendantes ils soient impliqués en même temps dans un ensemble social ».
(pp.
217-218).
Pour surmonter le fractionnement humain, il faut une communauté matérielle. De plus, le complexe social détermine
l'élément individuel: «Quand l'individu
produit en tant qu'individu
privé - sa
situation elle-même n'est nullement un
produit de la
nature, mais le résultat raffiné d'un procès social -
le
caractère social se manifeste en ceci: le contenu de son travail est déterminé par le complexe [5]
social; et il
ne travaille
qu'en sa qualité de membre de ce complexe» (p.
219). Mais ici le rapport est inversé: l'ancienne
communauté permettait à l'individu de se développer, l'individu
exploite 1a nouvelle pour s'épanouir. «La division du travail ainsi conçue, en tant que reproduction à l'échelle sociale de l'individualité particulière, fait de celle-ci un chaînon de l'évolution
totale de
l'humanité, et elle permet en même temps à
l'individu, par l'intermédiaire
de son
activité
particulière, de
jouir de la production générale, de le rendre capable d'une jouissance sociale universelle. Cette conception, telle qu'elle résulte du point de vue de la circulation simple, qui confirme la liberté des individus au lieu de la supprimer, est encore la conception courante de l'économie politique bourgeoise ».
(pp.
219-220).
La communauté naturelle est définitivement
détruite tandis que celle matérielle a une existence accidentelle, de plus il y a distorsion entre l'élément matériel et les formes superstructurelles diverses
de la dissolution de la communauté naturelle; entre la vie
sociale et l'homme et le mouvement de la richesse matérielle. Mais au fur et à mesure du développement historique les
rapports économiques deviennent de plus en plus importants et s'autonomisent; le mouvement de la valeur d'échange s'impose aux hommes. Dans ce cas ne
pourraient-ils pas
se substituer à la communauté naturelle; en d'autres termes, l'or, c'est-à-dire la valeur d'échange autonome ne réaliserait-il pas cette communauté?
C.
Or et communauté matérielle.
L'or tend
effectivement à se constituer en communauté matérielle: l'or permet 1'universilation des échanges matériels dans la société sans que les individus entrent en contact. «L'argent apparaît ici en fait comme leur communauté existant
objectivement en dehors d'eux ».
(Version primitive,
Grundrisse,
p. 881, note).
Dans les Grundrisse, K. Marx
fait la remarque suivante: «La présupposition élémentaire de 1a société bourgeoise est que le travail produise de façon immédiate de la valeur d'échange, donc
l'argent; et que de même ensuite
l'argent achète de façon immédiate le travail, donc le travailleur, seulement dans la mesure où i1 aliéne (veräussert) son activité dans
l'échange. Le
travail salarié d'un
côté, le capital de l'autre ne
sont pas autre chose que d'autres formes de la valeur d'échange développées et de
l'argent en tant que son incarnation. L'argent est par la même, en même temps et de façon immédiate, la Gemeinwesen réelle, en tant qu'il est pour
tous la substance générale de
l'existence et, en même temps, le produit commun de tous. Mais, dans l'argent, comme nous l'avons vu, la Gemeincuesen est une pure abstraction, une chose absolument fortuite et extérieure à
l'individu, et en même temps simple moyen de satisfaction pour lui en tant qu'individu isolé. L'antique Gemeinwesen suppose un
tout autre rapport de l'individu pour soi (fürsich).
Le
développement
de
l'argent dans sa troisième détermination la brise donc. Mais dans l'argent (valeur
d'échange) l'objectivation de l'individu n'est pas posée dans sa détermination naturelle, mais
en tant qu'une détermination (rapport) sociale, qui lui est en même
temps
extérieure». (Fondement, t. 1, pp.
166-167).
L'incapacité de l'argent à fonder une
communauté stable dériver du fait qu'avec lui, la valeur d'échange tend à
l'autonomie totale sans y
parvenir parce qu'elle ne s'est pas soumis le mouvement social. Or, la
constitution de la valeur d'échange en communauté
matérielle
est la meilleure
garantie de son autonomie.
D.
Capital et
communauté matérielle.
1)
Prédominance de l'élément social sur l'élément matériel.
Cette
incapacité de l'argent est liée
directement à la production marchande simple. L'élément matériel y prédomine
sur le mouvement
social; le procès de
travail est encore dominant: «
Dans
le mouvement
Μ-A-Μ, c'est l'élément matériel qui apparaît comme le contenu réel
du mouvement, le mouvement
social, lui, comme une simple médiation fugitive afin de
satisfaire les besoins
individuels». (p. 233).
La recherche de la valeur d'usage est encore trop le déterminant d'une telle époque
de
production, de
ce fait
l'argent n'est qu'un moyen.
Ιl
est certes la richesse générale, sociale, par rapport à laquelle celles
individuelles peuvent
s'équivaloir, mais
il n'est pas
le but, ni le contenu du mouvement. «La forme Μ-A-Μ, ce
courant de circulation où l'argent ne
figure que comme mesure
et monnaie,
n'apparaît donc
que comme la forme
médiatisée du troc, sans que rien ne soit modifié ni dans sa base ni
dans son contenu». (p. 235).
D'autre
part,
c'est une forme
rigide chaque élément excluant l'autre. La marchandise
particulière
excluant l'argent, marchandise générale qui, à
son tour, doit
être remplacée
par une
autre marchandise
particulière.
L'argent
ne peut
avoir en
fait qu'une autonomie négative: la thésaurisation. D'où, comme nous
l'avons fait
remarquer
au début
de cette
étude, la transformation
en
capital peut
se définir ainsi:
«Dans le capital, l'argent a perdu sa rigidité, et, d'objet
tangible, il est devenu
procés ». (p.
245).
Parallélement
l'élément
social νa
dominer l'élément matériel.
Voici comment K. Marx caractérise le mouvement A-Μ-A.
« Dans l'échange réel de l'argent contre la marchandise, tel que l'exprime la forme A-Μ-A,
c'est-à-dire alors que l'être réel de la marchandise est sa valeur d'usage et
l'être réel
de la valeur d'usage sa consommation, la valeur d'échange elle-même doit nécessairement ressurgίr de la marchandise qui se réalise comme valeur d'usage;
l'argent et 1l consommation de la marchandise doivent apparaître comme forme de conservation, aussi
bien que de son autovalorisation. Par rapport à elle, la circulation
apparaît en tant que moment du procès
de sa propre réalisation ».
(p. 247).
Pour que cela se réalise i1 faut, nous
l'avons vu, l'assujettissement d'une valeur d'usage particulière: la force de travail. C'est
ici que se manifeste
le caractère social du
mouvement. L'échange de
l'argent contre la force de travail détermine tout le caractère du mode de production capitaliste. C'est donc un rapport social
déterminé, capitaliste-prolétaire
(sans-réserve), qui domine la production
de la
richesse matérielle. De ce fait, le rapport ne sera pas fortuit, inessentiel, mais fondamental. «Dans la circulation simple, le contenu de la valeur d'usage
n'avait pas
d'importance, l'aspect du rapport économique lui
restait extérieur. Ici,
ce contenu est un moment économique
essentiel de
celle-ci. En effet, la valeur d'échange n'est déterminée dans sa propriété de rester elle-même dans l'échange que parce qu'elle s'échange contre la valeur d'usage qui lui
fait face dans sa propre détermination formelle ». (p.
252).
«
C'est
seulement la nature spécifique de la valeur d'usage qui a été achetée avec de l'argent -
sa consommation, la consommation de la force de travail, est
consommation posant la valeur d'échange (Tauschwertsetzende), temps de travail s'objectivant, production; son
être effectif en
tant que valeur
d'usage est de créer de la valeur d'échange -
qui fait, de l'échange entre argent et travail l'échange
spécifique A-Μ-A, dans lequel la valeur d'usage achetée est valeur d'usage
immédiate pour la valeur d'échange, c'est-à-dire la valeur d'usage
créant de la
valeur (Wertsetzender) » (p.
254).
La valeur d'échange s'est
assujetti le mouvement
social. Les hommes entrent dans des rapports de production dont le but n'est plus la valeur d'usage, mais la valeur d'échange. Celle-ci peut maintenant fonder une communauté matérielle stable, c'est-à-dire ne résultant plus uniquement de rapports accidentels.
2)
Circulation
et communauté
matérielle.
Ceci
conditionne
les
rapports entre circulation et production qui n'est
plus simplement posée à côté de la première. La production devient au contraire moment de la circulation. Les marchandises
étant produites en tant que valeurs particulières, la circulation permettait de les rendre sociales, donc de fonder l'unité
commune (monnaie). Maintenant le capital les pose
socialement, la circulation n'est plus un stade de leur socialisation, mais un moment de leur réalisation, de leurs métamorphose qui est en fait celle du capital qui de KM devient ΚA.
C'est, au fond, par la circulation que la communauté matérielle se fonde, qu'elle devient nécessaire. Nous avons vu le premier moment: l'autonomisation de l'argent qui
apparaît comme un procés
théorique sans contact avec la réalité, tant le mouvement économique et le mouvement social semblent diverger. « Le produit se transforme en marchandise, la
marchandise en valeur d'échange; la valeur d'échange de la marchandise est sa
propriété monétaire immanente; celle-ci en tant qu'argent, se sépare de la marchandise, acquiert une existence sociale
universelle séparée de toutes les marchandises particulières et de leur mode d'existence naturel. » (Fondement, t. 1,
p. 82). Mais cette
abstraction est absolument nécessaire pour préparer l'autre procès pratique: la formation réelle de la Gemeinwesen, car il faut d'abord que les antiques rapports sociaux soient brisés:
«Moins le moyen d'échange possède de force sociale, plus il
est encore lié à la nature du produit immédiat du travail et aux besoins immédiats des
échangistes, d'autant plus grande doit être encore la force de 1a Gemeinwesen, féodalisme et
corporations ».
(Fondements, t.
1, p. 94). En revanche lorsque 1a valeur d'échange devient une force sociale, on constate que: « Sur le marché mondial la relation de l'individu avec les autres se
développe en même temps que l'indépendance
de
cette relation vis-à-vis des individus à un degré tel que sa constitution contient déjà la condition de son dépassement. La comparaison à la place de la communauté[6]
et
de d'universalité effectives.»
(Ibid., p. 98).
C'est la période de généralisation de la production marchande: âge
d'or de la loi de la valeur et des
concepts de
liberté et d'égalité et donc de la démocratie (politique). Celle-ci est comparaison par excellence mais son étalon est l’homme
abstrait, parce que le contenu réel de celui-ci - la force travail -
passe dans le mouvement économique.
Ceci
se poursuit durant la période de domination formelle du capital, quand le capital variable est
l'élément fondamental. Ce
n'est pas
encore la
structuration d'une nouvelle Gemeinwesen, mais «cette relation réifiée est préférable à l'absence de relation ou à des liens purement locaux fondés sur la consanguinité ou sur des rapports de souveraineté et de
servitude .Ι1
est évident
que
les
individus
doivent commencer par produire leurs rapports sociaux avant de se
les soumettre». (p. 99).
D'autre part: «L'extranéité [7]
et
l'autonomie en
lesquelles
cette relation existe encore vis-à-vis d'eux (les individus, n.d.r.)
montrent seulement qu'ils sont encore
occupés à la création de conditions de leur vie sociale, au lieu de devoir commencer à sortir de
cette dernière.» (ρ.
99).
Avant de transformer ces conditions, il faut pour ainsi dire que les rapports sociaux parviennent à leur plein
développement.
C'est pourquoi le
devenir νa
se faire par universalisation de l'aliénation des individus et des rapports sociaux, jusqu'au point suivant: «Ces rapports réifiés de dépendance opposés
aux rapports personnels (les rapports réifiés de dépendance ne sont rien d'autre que les relations sociales s'opposant de façon autonome aux individus apparemment indépendants, c'est-à-dire leurs rapports mutuels autonomisés en face d'eux) apparaissent ainsi parce que les individus sont maintenant dominés par des abstractions
tandis qu'autrefois ils dépendaient les uns des autres ».
(p. 101).
Mais revenons à la
circulation proprement dite. Lors de son étude, K. Marx
indique comment s'édifie le corps matériel de la communauté. Nous avons vu qu'une grande différence entre l'argent et le capital réside dans leur comportement divergent vis-à-vis de 1a
circulation. Le
premier s'y perd en s'y abandonnant, le second s'y conserve et s'y multiplie. «D'autre part, la circulation de l'argent, comme celle de la marchandise, part d'une infinité de points et retourne à une infinité de points différents. À ce niveau considéré
de la circulation monétaire, il n'y a pas départ d'un seul point
central en direction des différents points de la
périphérie, et retour vers un seul centre, car cette circulation est encore immédiate. Cela ne se produit que lorsque la circulation est médiatisée par le système banquaire. La rotation ne commence que là
où l'or et l'argent ont cesse d'être des marchandises. » (Ibid., p.
101) [8]Autrement
dit,
le mouvement de la valeur en période de circulation simple des marchandises est
éparpillé dans tout le corps social où il est apte à pénétrer. Ιl
est évident
que
n'étant pas structuré, médiatisé, il peut être interrompu, fragmenté et donc inhibé, Le mouvement de la νaleur sous le
capital aboutit à la
formation d'une structure centralisée; il y a départ d'un point central vers la périphérie et retour. La circulation est
médiatisée par le système banquaire. Cela implique qu'au fur et à mesure de sa progression le capital engendre des organes qui expriment la constitution de son être impersonnel, des organes pour la régulation et le contrôle de sa vie, de son procès vital. Celui-ci ne peut être détaché de la
vie sociale, ni seulement s'y surimposer: il doit la contrôler afin de s'assurer sa perennité étant donné qu'il découle d'un rapport fondamental: le salariat,
c'est-à-dire l'échange contre le travail vivant. L'histoire du capitalisme montre
clairement cette progression, depuis les associations primitives
aux grandes sociétés par actions qui impliquent l'existence
de banques centralisant la vie du capital, les bourses où les valeurs se comparent. Puis le capital financier réalise la concentration la plus poussée et donc
l'édification de
l'unité. C'est avec
celui-ci qu'apparaissent les instituts économiques se préoccupant de l'analyse des marchés, de plans de régulation de
l'économie en fonction des crises qui se font jour, de plans de relance ou de développement, etc...
Tout cela indique que cet être impersonnel a secrété ses organes, supports d'une certaine conscience des problèmes fondamentaux. Ι1
se réalise alors pleinement ce que K. Marx
entrevoyait dans les Grundrίsse à un stade donné de son étude du capital:
« ...la
perspective
s'est ouverte qui, à ce stade, ne peut pas être nettement
dessinée,
d'un rapport
spécifique du capital aux conditions sociales générales de la production
sociale par
opposition à celles du capital particulier et
de son procès
de production
particulier. »
(Fondements, t.
2, pp.
25-26).
Maintenant le procès
théorique de
l'échange a un contenu, il n'est plus formel, car échange de capital; en tous points on a
du capital sous des
formes
différentes: capital argent (ΚA),
capital marchandise (KM), capital-productif
(ΚΡ). C'est un véritable métabolisme
de
celui-ci (Grundrisse). L'échange
n'aboutit plus
à la domination
d'un élément étranger qui se pose négativement
vis-à-vis du mouvement, en ce sens qu'il s'y perd, s'il s'y abandonne,
l'argent, mais à l'accroissement de la
valeur avancée, le capital.
3)
Capital fixe et communauté matérielle.
Mais
ceci ne peut
se produire que parce
le
capital s'est créé une base propre qui
remplace les
fondements
des
sociétés antérieures: le
capital fixe. C'est soit la valeur qui a cessé de circuler et qui pour ainsi
dire se dépose
parce
que 1l valeur
d'usage est trop pesante par
rapport
à sa valeur
d'échange (tout comme une particule devient
sédiment et donc
se dépose,
à partir
du moment où la pesanteur
est
susceptible d'être
opérante, à partir
du moment où aucune autre force ne peut inhiber celle-ci), soit
qui circule
très lentement. Dans le
premier cas, c'est toute 1'infractructure productive
edifiée
depuis
plus d'un siècle et même avant, dans le second cas, il s'agit
surtout des
machines
qui permettent d'accroître la productivité du travail. C'est de toute façon la socialisation effectuée par le capital comme nous l'avons vu à propos de
l'étude du capital fixe en domination réelle. K. Marx
remarque
au sujet
de
celui-ci qu'il s'est « fait
homme
lui-même ». (Ibid., t. 2, p.
230). C'est bien
le moment
où le
capital s'est constitué en
communauté. L'échange
fondamental
n'apparaît plus
comme étant celui entre travail vivant et
travail objectivé,
mais
comme un échange nutritif (Grundrisse)
entre
le
capital circulant, dans lequel on résoud la
force de travail, et le capital
fixe. Et
les
économistes ont théorisé qu'il fallait un équilibre entre ces deux éléments pour qu'il n'y ait point de crise. Une telle théorie ne fait
qu'interpréter la nécessité des liens
entre le centre et la périphérie, la surface et l'intérieur de la
communauté matérielle,
car c'est ainsi que le capital se pose maintenant. «Certes, d'emblée le capital se dresse en tant qu'un
ou unité en face des ouvriers en tant que multitude. C'est ainsi qu'il apparaît, face au
travail, comme la concentration des travailleurs, en tant qu'unité qui leur est extérieure. À cet égard, la concentration est contenue dans le concept de capital: la concentration d'un grand nombre de forces vivantes de travail en vue d'un même but. Une concentration qui n'a à l'origine aucunement besoin de s'accomplir dans
le mode de production, de la penêtrer. L'action centralisatrice du capital, c'est poser son unité en tant qu'unité de
ses nombreux ouvriers, existant de façon autonome, extérieure à eux.»
(Fondements, t. 2, p. 89).
Nous pouvons résumer tout le mouvement de la manière suivante: dans la période de production simple des marchandises, l'échange était le moyen de s'approprier des valeurs. Dans le capitalisme, 1a circulation permet de s'approprier une marchandise
particulière et
l'appropriation de
valeur suppose la
consommation de celle-ci. Or, elle ne peut se faire que productivement (nous avons ici le lien entre mouvement social -
le travailleur libre -
le mouvement de la valeur -
l'échange
- la production et la consommation), d'où la
nécessité du procès de production immédiat. Ιl
faut que l'homme devienne en tant que force de travail une marchandise pour qu'il
y ait non seulement approprition de
plus-value, mais création de celle-ci. D'autre part, l'appropriation ne peut plus être directe, mais indirecte, par
l'intermédiaire du procès de production. Avant, il n'était
pas nécessaire de se le
soumettre, maintenant, c'est la condition primordiale à la génèse de la valeur. Aussi est-ce pourquoi l'acte d'échange, le rapport social acquiert une matérialité profonde, ou, réciproquement, la forme sociale domine l'aspect matériel.
Le VIème chapitre nous a permis de clarifier 1a nature même du capital,
son procès de travail et de valorisation. Ce dernier devenant l'élément essentiel et la nature même du capital,
c'est-à-dire que ce dernier essaie de se libérer du procès de
travail pour n'être
que valorisation, autonomisation de
celui-ci. Lorsqu'elle est réalisée, il apparaît comme «
un pouvoir social autonomisé, extranéisé. » (L. III,
t. 6, p. 276).
Ιl
s'est accru
aux dépens du travail humain, non seulement de celui des prolétaires, mais aussi de celui de toutes les
générations passées de travailleurs.
Il est un monstre animé [9].
Grâce au mouvement social, il s'est
accaparé toute la matérialité de l'homme qui n'est plus
qu'un sujet
d'exploitation,
un temps de
travail déterminé: «Le temps est tout, l'homme n'est plus rien, il est
tout au
plus la carcasse du temps ». (Misère
de la philosophie. Ed. Sociales,
ρ.
47). De ce fait, il est devenu la communauté
matérielle de
l'homme;
il n'y a plus de
distorsion entre le
mouvement
social et le
mouvement
économique parce
que ce dernier
s'est totalement assujetti le premier. Nous avons vu que dans les formes
antérieures, les
différentes
communautés essayent de limiter le développement de la valeur d'échange parce qu'elle sapait leurs fondements. Dans le
capitalisme, c'est le contraire, c'est
le
mouvement de celle-ci qui assure la
domination de 1a communauté. Cela veut
dire qu'il s'est emparé de 1'État
qui est la communauté aliénée des hommes,
ou si
l'on veut,
aussi, essai de conciliation des antagonismes, de telle sorte qu'il peut
apparaître comme n'étant plus le pouvoir d'une classe puisqu'il
n'a même plus besoin de celle-ci pour assurer sa domination, car il doit totalement la
dοminer; il n'a besoin que d'esclaves. «Dans 1a société bourgeoise, le travailleur par exemple,
est sans objet, pur sujet, mais la chose
qui s'affronte à lui est maintenant devenue la vraie Gemeinwesen. Ι1
cherche à la dévorer et c'est elle qui le
dévore »[10]) (Fondements, t.
1,
p. 460).
4)
Capital, communauté
et politique.
À
partir de quoi une telle communauté pouvait-elle s'édifier, sinon à partir de l'élément essentiel de la société capitaliste: le
rapport entre travail objectivé (capital) et travail vivant (prolétariat) parce qu'il est le point de rencontre de deux mouvement: l'autonomisation de la valeur et
l'expropriation des
hommes; point de jonction qui ne pouvait se réaliser qu'au moment où l'homme, en tant que force de travail, devient marchandise (et donc une valeur qui ne peut plus être un
obstacle au mouvement de celle-ci) et entre dans le procès de
production non plus en tant qu'opérateur essentiel qui domine ce procès, mais en tant qu'objet qui νa
être
lui-même
en
mouvement.
En
effet,
nous
l'avons montré, on peut, tout d'abord, définir le capital par
ce rapport, mais c'est figer la réalité. Ι1
faut dire qu'il est la valeur en procès. Le rapport social a perdu sa rigidité, il est en mouvement et le point d'arrivée de celui-ci est la constitution du capital en communauté. Ce qui
se réalise par l'approfondissement
de la
domination du
travail mort sur le travail vivant. À ce stade les rapports sociaux sont totalement réifiés; l'inversion finale est celle où ils se posent en tant qu'être constituant la communauté matérielle.
Cela
explique d'autre part les louanges adressées
au travail par les capitalistes et leurs épigones. La période capitaliste connaît 1a glorification du travail, d'un travail qui est pour le capital. C'est la reconnaissance de la réalité sous son enveloppe mystifiée: le temps de travail créateur de la valeur.
Enfin, dans les différentes théories de
l'association capital-travail, nous avons
l'expression de la conciliation nécessaire entre les pôles opposés de la
société afin que celle-ci puisse se perpetuer. Ces théories reposent toutes sur le tour de force de Carey dont il a été question dans le chapitre sur la
mystification du
capital:
présenter des formes
antagoniques comme des formes d'association.
En réalité, elles traduisent le fait suivant: un rapport social devenu procès, c'est-à-dire, la valeur se valorisant, fonde 1a communauté dans laquelle les hommes sont esclaves. Seulement, il faut rendre tolérable cet
esclavage en le présentant non tel qu'il est, mais comme une association nécessaire et bienfaisante avec le monstre oppresseur,
qui, évidemment, n'est pas présenté comme tel.
Nous avons déjà fait état de
ce résultat auquel arrive le développement du capital lors de l'étude du
travail productif et improductif et nous avons montré comment il y a hiérarchisation de la société par le capital: le féodalisme industriel. Mais ceci a une conséquence fort importante:
l'assujettissement de 1a politique au développement du capital. En effet, la politique est l'art d'organiser les hommes; or le capital ne les
organise-t-il pas lorsqu'il les fixe dans des situations déterminées?
Le capitalisme semble réaliser alors ce que K. Marx
appelait
le communisme grossier, sauf «l'égalité des salaires». «La communauté (Gemeίnschaft) est seulement une communauté du travail
et
égalité du
salaire
que paie le capitalisme collectif, la communauté
en
tant que capitalisme général. Les deux aspects du rapport sont élevés à une universalité
représentée, le travail en tant que la détermination dans laquelle chacun est placé,
le capital en tant que
l'universalité et la puissance reconnue de la
communauté.» (Manuscrits de
1844, ,p. 86. Ed. Soc.).C'est pourquoi cette
question est évidemment en liaison étroite avec celle de la communauté. Comme beaucoup d'autres, K. Marx
l'a
abordée un peu partout dans son œuvre immense.
On
a déjà indiqué comment il établissait le lien entre loi de la
valeur et démocratie. La production marchande ne pouvait se développer qu'avec la généralisation des idées d'égalité et de liberté. Le capitalisme lui-même, à son origine, fait triompher cette démocratie:
«La
sphère
de la circulation des marchandises, où
s'accomplissent la vente et
l'achat de
la force de travail, est en réalité un véritable Éden des droits de
l'homme et du citoyen. Ce qui y règne
seul, c'est Liberté, Égalité et
Bentham. Liberté, car ni
l'acheteur ni
le vendeur d'une marchandise (la force de travail par exemple) n'agissent
par contrainte, au
contraire, ils ne sont déterminés que par leur libre-arbitre. Ils passent contrat ensemble en qualité
de personnes libres et possèdent les mêmes droits. Le contrat est le libre produit dans lequel leurs volontés se donnent une expression juridique commune. Égalίté, car ils n'entrent en rapport l'un avec l'autre
qu'à titre de possesseurs de marchandises, et ils n'échangent qu'équivalent contre équivalent. Propriété, car chacun ne dispose que de ce qui lui
appartient. Bentham, car pour chacun d'eux il ne s'agit que de lui-même. La seule force qui les mette en présence et en rapport est celle de leur égoïsme, de leur profit particulier, de leurs intérêts privés. Chacun ne pense qu'à lui, personne ne s'inquiète de
l'autre, et c'est précisément pour cela qu'en vertu d'une harmonie préétablie des choses, ou
sous les hospices d'une providence toute ingénieuse, travaillant chacun pour soi, ils travaillent du même coup à l'utilité générale, à l'intérêt commun.» (L. Ι,
t. 1, pp. 178-179).
Mais, nous l'avons
expliqué precédemment, le capital
tend à dominer la loi de 1a valeur et donc les prolétaires (dés qu'on passe dans la sphère de production où
pénètre d'abord le
capital, le
prolétaire ne peut plus s'attende qu'à une chose: «à être
tanné.») Comment se présente alors 1a démocratie?
« I1 y
a donc ici une antinomie,
droit contre droit, tous deux portant 1e sceau de 1a loi qui régle l'échange des marchandises. Entre deux droits
égaux, qui décide? La force. Voilà pourquoi la réglementation de la journée de travail se présente dans l'histoire de la production capitaliste comme une lutte séculaire pour les limites de la journée de travail, lutte
contre la totalité des capitalistes (Gesamtkapitalisten), c'est-à-dire la classe capitaliste, et la totalité des travailleurs (Gesamtarbeiter), c'est-à-dire la classe ouvrière.» (L. Ι,
t. 1, p. 231).
L'histoire du capitalisme est celle de la constitution de ces deux forces: le capital qui fonde sa communauté et se
donne une superstructure de force: l'État
capitaliste,
et le prolétariat qui se constitue en fondant une communauté qui s'embraye sur
le communisme prisonnier du capitalisme. K. Marx
met
cela en évidence, et indique ce que devient la démocratie: «l'affaire
une fois conclue (le contrat de travail, n.d.r.),
il
se découvre qu'il n'était point un «
agent libre »; que le temps pour lequel il lui est permis de vendre sa force de travail est le temps pour lequel il est forcé de la vendre, et qu'en réalité,
le vampire qui le suce ne le lâche point «
tant qu'il lui reste
un muscle, un nerf, une goutte de sang â exploiter ».
Pour se défendre contre le «
serpent de leurs tourments »,
il
faut que les ouvriers ne fassent plus qu'une tête et qu'un cœur; que par
un grand effort
collectif, par une pression de classe, ils dressent une barrière infranchissable, un
obstacle social qui leur interdise de se vendre au capital par «contrat libre»,
eux et leur progéniture, jusqu'à l'esclavage
et à la mort.
«
Le pompeux catalogue des «
Droits de l'homme »
est
ainsi remplacé par une modeste «
Grande Charte »
qui
détermine
légalement le journée de travail et indique clairement quand finit le
temps que vend le
travailleur, et quand commence le temps qui lui appartient.
Quantum mutatus ab illo
» (L. Ι, t. 1, p. 296).
Ce
qui
nous
intéresse
ici,
c'est 1a formation de la force capitaliste [11].
La citation précédente montre l'inadéquation de la démocratie politique avec 1e mouvement réel. Car celle-ci est fondée sur la souveraineté illusoire de l'homme individuel qui serait apte à dominer les rapports sociaux, alors que ce sont justement ceux-ci qui deviennent déterminants. Ceci s'accroît en période de
domination réelle du capital, lors de la transformation de 1a loi de
1a valeur en loi des prix de production. Ι1
faut donc que le capital organise
lui-même les hommes ou ce
qui revient au même que
l'organisation qu'il
a imposée à la production se généralise à toute la société; au fond une
généralisation du
despotisme de fabrique. Pour comprendre ceci, il
faut se représenter tout le mouvement
historique. Nous avons vu que le mouvement économique jusqu'au capital, tend à diviser les hommes, à les séparer; celui-ci, au contraire, les
unit pour les soumettre à sa
domination. Cela veut dire que pendant des siècles, il y eut nécessité de la politique pour unir ce
qui avait été
fragmenté ou bien pour limiter les
effets du
mouvement
économique. Avec la domination du capital, la politique n'a plus le même rôle. Elle doit exprimer cette domination. Autrement
dit, par suite de ce double mouvement d'autonomisation de la valeur d'échange et de séparation de l'homme de
sa communauté, le mouvement
politique était de plus en plus à la recherche d'un contenu et le mouvement économique à la recherche d'une forme. Avec l'apparition du salariat, donc du capital, la forme acquiert un contenu,
l'homme devient marchandise. Seulement, le capital ne peut que transίtoirement tolérer cette
situation; il
secrétera sa propre forme. Ceci se réalise avec le fascisme, qui est la généralisation du despotisme
de fabrique à l'ensemble de la société.
Précisons
cette affirmation.
À
l'aube de
la production capitaliste, le
capital est une donnée de la
société comme la propriété foncière et la production artisanale, par exemple; il doit lutter contre elles pour s'affermir dans le corpus social. C'est
le moment où il
tolère la démocratie
politique parce qu'elle lui est nécessaire pour conquérir l'État.
On
constate
alors
une
espèce
de division antagonique du travail. Le capital embrigade les hommes dans des rapports donnés qui les assujettissent à un mode de production donné; l'État
essaie
de gouverner ces mêmes individus au nom de principes qui la plupart du temps sont en contradiction avec la réalité économico-sociale, parce que hérités des
formes passées.
Une
telle
distorsion
ne
peut
pas perdurer. La conception de la démocratie
politique amenait à poser la nécessité d'une constitution du peuple à partir de laquelle naîtrait les lois régissant la société ainsi que le pouvoir exécutif chargé de les faire appliquer. Mais qui constituait le peuple? Ou, si c'était
vraiment lui l'auteur de sa constitution,
l'évolution sociale n'aménerait-elle pas, à un moment donné, une contradiction entre la constitution et
l'état du peuple? Hegel
résolvait 1a question en disant que le peuple devait être le
principe même de la
constitution [12].
K.
Marx déclarait: ici G.W.F. Hegel
est
sophiste. Effectivement, la réalité est toute différente. Qui
constitue le peuple, ce conglomérat
de classes,
sinon -
comme
nous
l'avons vu - le capital? On n'a plus affaire
alors au
peuple,
mais au prolétariat,
aux classes
moyennes, etc... Mais si c'est le capital qui est le
véritable
être constitutif,
c'est lui qui
doit animer 1a
constitution. L'antique
dualisme se
trouve
résorbé
dans la domination
du capital. C'est le fascisme. Le capital a
définitivement conquis l'État.
Avec
lui, le
mouvement
politique a une forme
qui est
déterminée
par le contenu
économique.
Les véritables unités
reconnues opérantes
ne sont plus les individus,
mais
les entreprises avec
leur dualité démocratique
patrons-ouvriers, ou
capital-travail. Par là même i1 veut mettre
en
relief un aspect
coopératif
afin de
nier la lutte
des classes.
Au fond, le fascisme peut
se définir comme
étant
une forme
politique gérant une société
qui tend à nier le communisme tout en
l'engendrant. C'est le pouvoir politique du
capital. C'est pourquoi il
n'est pas destruction
du dualisme dont nous avons parlé; il le matérialise
et le
constitue. Il n'est pas la destruction de la démocrate, mais son
parachèvement sous
forme de démocratie
sociale. Enfin, il est le
moyen de concilier l'antagonisme entre capital
social
et capital particulier.
Face au capital qui parachève sa domination
en se constituant en communauté matérielle, il y a le prolétariat.
La force
de celui-ci est créée par
le capital lui-même. C'est
lui qui est la cause
de l'accroissement numérique des prolétaires
et de leur unification; il
crée
d'autre
part la
base objective
de la nouvelle forme sociale, le
communisme. En conséquence,
le parti apparaît comme étant la nouvelle
communauté humaine, la
superstructure
de force
de la forme
sociale future qu'il
faut
libérer de la domination du
capital [13]C'est,
par là-même, la fin de
1a politique. La seule
question qui se
pose c'est la question sociale;
mais pour libérer cette
société, il faudra un
acte politique: la prise du pouvoir par le prolétariat,
point
de départ
de sa dictature
et donc du communisme [14].
Ν Ο Τ Ε
S
I.
Les formes de la valeur.
Contrairement
à ce que
nous disions à l'époque (cf. p. 9) il n'y eut pas, pour K. Marx,
un
problème pour exposer historiquement les formes de la valeur, mais tout simplement pour les
exposer. Cette affirmation pêchait par trop d'historicisme. Dans la 1°
section du premier livre du Capital il y a,
à partir de la
marchandise - phénomène apparent se déroulant
à la surface
de la société
bourgeoise -
analyse de celle-ci qui met en évidence, qui produit en quelque sorte, le concept de valeur. Or
tout concept réel contient
en lui un procès et c'est donc le procès de la valeur que K. Marx
expose, déroule, en l'extrayant du concept une fois produit. D'où 1'emboitage des formes: la forme argent est incluse dans la forme totale ou développée et
celle-ci dans 1a forme simple ou accidentelle
[15],
que nous
présentons, à dessein,
dans l'ordre
inverse à celui adopté par K. Marx.
Ι1
est absolument
évident
que
pour exposer les formes de la valeur il n'y
a aucunement besoin de faire appel à l'histoire.
K. Marx
utilisa la
logique de G.W.F.
Hegel. Dans l'analyse du procès d'échange (chapitre II) l'histoire au contraire est
opérante. Les formes de la
valeur sont encore expliquées mais selon, comme on dit aujourd'hui, l'ordre
de la
diachronie. Tout être produit, inclut en lui sa diachronie.
Ι1
n'est
pas besoin
de traiter
cela de
façon exhaustive; toutefois, afin de mieux faire saisir notre mode d'aρpréhender le développement de la forme valeur qui est
celui-là même de K. Marx,
nous citerons ce passage
des Fondements:
«D'un
autre
côté ce qui est
très important pour nous,
c'est que notre méthode montre les points où ί1
faut introduire 1a reflexton historique et où l'économie bourgeoise en tant que forme
purement historique du procès de
production, se rattache aux modes
de production
antérieurs. Mais il
n'est pas
nécessaire d'écrire l'histoire
réelle des rapports de production pour développer les lois de
l'économie bourgeoise.» (t. 1, p. 424).
En
ce qui
concerne
le chapitre qui précède nous tenons à bien faire remarquer que nous n'exposons en aucune manière une succession
des modes de production; celle-ci ne peut être uniquement fondée sur le devenir historique dé la valeur. Nous avons voulu
seulement spécifier à quels moments historiques avaient pu être opérantes certaines formes de la valeur et comment les communautés résistèrent ou succombèrent au mouvement de
celle-ci jusqu'au
moment où, sous forme du capital, la valeur se constitue en communauté matérielle.
Le chapitre du Capital
sur la marchandise, spécialement le point 3 de celui-ci, est d'une importance
primordiale pour comprendre l'œuvre totale de
K. Marx et il
faut tout le crétinisme althussérien pour proclamer qu'il n'est
pas nécessaire de
le lire. Nous reviendrons ultérieurement sur toutes ses questions.
Mars 1972.
II. À
propos de l'aliénation.
Les développements des deux chapitres précédents sont suffisants pour la démonstration que nous effectuions à l'époque. Cependant; étant donnée l'inflation de sens et de non-sens qu'ont subi le concept d'aliénation et tous ceux qui lui sont liés nous nous devons d'apporter quelques compléments.
La question de
l'aliénation ne
peut être traitée de
façon exhaustive qu'en liaison avec celle de la Gemeίnwesen. Nous nous limiterons à quelques remarques qui nous
permettront de
préciser certains termes et de justifier nos traductions.
Ι1
n'y a aliénation que lorsque l'être humain a été séparé de sa Gémeinwesen naturelle, qu'à partir du moment où il y a des individus et que s'autonomisent les classes. En effet le concept d'aliénation implique le procès à la fois historique et contemporain,
si l'on veut diachronique et
synchronique, par lequel l'être humain (être pour-soi) devient un être autre, ne
se retrouve pas ou plus, en tant que Gemeinwesen. Car, s'il le peut,
l'altération qui s'est produite n'est pas
alors incompatible avec sa Geméinwesen et de
ce fait
l'aliénation est enrayée. Cela veut dire aussi que celle-ci n'existe
plus de façon immédiate, mais est représentée;
l'individu, d'autre part, n'a plus une
activité totale, mais parcellisée; il se
comporte en tant que
travailleur,
par exemple.
Plus précisément pour qu'il y ait aliénation,
concept connoté
d'un jugement de valeur (l'être
autre est un
être déchu, mutilé, avili par rapport
à l'être initial), il
faut qu'il
y ait mise en défaut des mécanismes de réeinsertion de l'être dans sa communauté, afin qu'il
ne se perde pas. C'est pourquoi ceci ne
peut
se produire que lorsqu'il
y a naissance d'un mouvement
sur lequel les hommes n'auront pas de prise, qui s'autonomisera et les dominera
bien
qu'il soit né en leur sein,
soit
le produit de leur activité: le mouvement de la valeur
d'échange.
A
partir
de là
nous pouvons
établir les rapports entre les différents moments de
l'aliénation qui ont
été souvent présentés de façon indépendante.
Au mouvement de
séparation-scission qui a été déjà indiqué
se relie celui
d'autonomisation (Verselbständigung)[16]
des produits
engendrés par
l'activité humaine, celui des rapports sociaux qu'elle a engendrés. Elle s'accompagne aussi d'une dépossession-expropriation (Enteignung) tandis
que l'extériorisation
(Veräusserung) des capacités au cours
de la manifestation (Aüsserιιng)
de l'être humain est en
fait
dépouillement
(Entaûsserung).
Ιl
y a
simultanément une extranéisation (Entfremdung) dû
au fait
que les produits deviennent étrangers aux producteurs
et ceux-ci à leur communauté. Le mouvement
résultant est une interversion-renversement (Verkehrung)
qui fait que les choses
deviennent sujets (Versubjektivierung) et
les sujets
des choses
(Versachlichung) ce
qui constitue la mystification dont
le résultat
est le fétichisme de la marchandise ou du
capital
qui fait que les
choses ont les
propriétés-qualités des hommes
[17].
Au
départ on a donc
des êtres
qui dominent des
choses,
à l'arrivée on a des choses
devenues des êtres.
Tel est le mouvement
total, portant sur des millénaires, du mouvement d'aliénation.
Cependant ceci n'est qu'un aspect négatif du phénomène: la perte
totale
de l'homme. Il y a
un
aspect
positif, c'est celui de
l'accroissement des forces
productives qui, à un certain niveau, crée «la
possibilité » d'un être émancipé, d'une autre forme
sociale:
le communisme. De même qu'au début du mouvement de
l'aliénation le côté positif, fut la production de l'individu.
Ainsi
le devenir dé l'espèce humaine n'est pas posé
de façon
simpliste, selon une seule
détermination, ce qui différencie la position de K. Marx au sujet
de l'aliénation , de celles des théologiens ou de certains philosophes
qui ne conçoivent qu'un devenir régressif, une perte,
et il faut, qu'à un moment
donné, dieu intervienne apportant la rédemption, restaurant l'être. Elle se distingue aussi nettement
de la théorie de
l'illuminisme, surtout opérante chez les
philosophes français
du XVIIIème siècle pour qui le devenir de
l'homme est celui d'un
progrès indéfini (escamotage
de la question, en
définitive).
Une autre différence résulte
du fait
que le possible ne peut devenir réalité qu'au travers d'une révolution. Seule
l'intervention active des hommes
peut permettre d'enrayer
le mouvement d'aliénation.
D'autre
part
l'existence de ce possible
depuis une cinquantaine d'années, amène à penser que le devenir des hommes
a aussi une autre voie de
réalisation: leur destruction, ainsi qu'à envisager comment l'autonomisatίon du capital, sa constitution en communauté
matérielle, etc. inhibe l'effectuatίon du possible,
c'est-à-dire empêche l'accession au communisme.
Les
présuppositions
de
l'aliénation posent un autre problème: comment se présentaient la communauté et le
membre individuel de celle-ci? Ils devaient contenir des éléments sur lesquels le procès d'aliénation a pu se
greffer. K. Marx
fait remarquer que l'homme est une activité
sensible, qu'il
a une nature hors de lui et qu'il est à
1a fois individu
et Gemeinwesen (individu immergé, non dégagé,
non autonomίs au
début, puisque le mouvement historique en occident est la production de celui-ci). Pour assouvir ses besoins, l'homme déploie une activité qui
lui permet de s'approprier la nature externe. K. Marx.
définit d'ailleurs la propriété, à
l'origine, comme un comportement. C'est la fission de 1a
communauté qui νa
permettre l'autonomisation
des différents éléments (avant tout la
formation de la propriété privée) et les hommes en tant que Gemeinwesen et en tant
qu'individus ne
seront plus à même de dominer leur procès de vie.
L'activité des
hommes νa
être
toujours plus divisée et ceci va
de pair avec la division du travail et s'accroit avec elle. Les hommes deviennent des travailleurs (et des
non-travailleurs) séparés par leurs travaux, etc...
Si on s'accorde à reconnaître qu'il y
a chez K. Marx
un
discours cohérent à propos de l'aliénation des hommes, beaucoup considérent que celui-ci a tort lorsqu'il emploie les mêmes concepts pour les marchandises. Or lorsque K. Marx
les
analyse -
au début de 1a Contribution et au début du Capital - i1 ne le fait pas
en les abstrayant de leurs supports, les hommes.
Ceιιx-ci ne sont plus les sujets concernés par
l’aliénation, ce sont les
marchandises, sinon le renversement dont nous avons parlé n'aurait aucune réalité. Le phénomène que nous avons décrit pour les hommes va se répéter pour les marchandises, mais en intégrant les premiers qui sont comme le «dépassé »
du
mouvement.
K.
Marx note: «Les choses sont en soi et pour soi extérieures (àusserlich) aux hommes et par là aliénables (veräusserlich qu'on peut traduire par extériorisables). » (Le Capital, t. 1, p. 98). Ici apparaît nettement le rapport entre ausser = extérieur et Veräusserung - extériorisation
que l'on peut traduire aussi par aliénation
au sens strict du terme. On a affaire à la cession à un autre, mais on
peut faire remarquer que celui qui
cède se dépouille et celui qui reçoit s'enrichit. Ι1
y
a
donc
un devenir
autre. S'il y a échange entre équivalents, il y a finalement égalisation
des pertes et des profits, mais il y a qualitativement une altération
qui persiste. Dans tous les
cas, nous retrouvons notre affirmation: les hommes sont dominés par les marchandises. En ce qui concerne ces dernières on n'a plus le mouvement qui cristallise
les potentialités de l'individu, mais celui
qui éloigne, place les produits hors de la sphère où ils ont été produits, hors de la sphère de celui qui a travaillé. C'est parce qu'elles sont extérieures à l'échangiste qu'un autre peut s'en emparer. On retrouve le
procès de
séparation.
Le mouvement d'aliénation de la marchandise est possible du fait de la nature double de celle-ci: valeur d'usage et valeur d'échange. Au cours du procès d'échange, il y a séparation de ces deux déterminations puis recomposition de leur unité. C'est ce que K. Marx
expose dans le chapitre II du Capital: «Le procès d'échange ».
Toutes les marchandises perdent de façon
immédiate leur caractère de valeur d'usage, elles s'en dépouillent (Entäusserung), celle-ci est transférée à l'équivalent général qui acquiert une valeur d'usage universelle, par là elles affirment leur caractère d'échange, et elles l'affirment en tant que continuum-échangéabilité. Mais le mouvement est double car elles perdent aussi (se dépouillent de) leur possibilité d'être équivalent et cette détermination se fixe dans la marchandise exclue qui devient marchandise universelle, équivalent général. Dans le premier cas, les particularités s'éffacent, dans le second elles réapparaissent de même qu'au début de
l'échange la valeur d'usage est niée pour réapparaître à la fin: «Les marchandises se réalisent d'abord en tant que valeur, avant de pouvoir se réaliser en tant que valeur d'usage. » Le Capital. Dés lors leur aliénabilité = Veräusserlichkeit, s'est bien affirmée, c'est-à-dire leur possibilité de sortir de 1a sphère où elles ont été produites et d'aller dans une autre, lorsque ceci se réalise on a l'aliénabilisation (Veräusserlichung), l'acte même de rendre aliénable. Ι1
y
a
donc un rapport entre le procès de séparation et celui d'aliénabilisation, de même que c'est de la théorie de la coupure chez K. Marx
qu'Althusser produit
son aliénation, sa démence.
Ce
phénomène
se
poursuit lors de la génèse de
l'argent. K. Marx affirme en particulier: «La
forme prix englobe
l'aliénabilité (veräusserlichkeit) des
marchandises contre
l'argent et la nécessite de leur aliénation (Veräusserung) ».
Ιl
est inutile
de reproduire toute la démonstration, il suffit d'indiquer l'essentiel.
Le résultat du procès
d'échange des marchandises a
abouti à la formation de quelque chose d'autre, l'argent qui est bien entendu en continuité avec elles, tout en leur étant opposé. En outre l'argent va tendre à remplacer le simple monde des marchandises (les marchandises en tant que totalité) et devenir, à partir de sa détermination de monnaie universelle, communauté matérielle tendant à remplacer, aussi, celle des hommes. Car elle doit être représentation de leurs mouvements en tant qu'êtres et celle des mouvements de leurs produits autonomisés, les marchandises. Pour qu'il
y ait mouvement non
interrompu de la valeur,
c'est-à-dire pour qu'elle ne se perde pas, il faut qu'elle puisse se
reconnaître dans un continuum communauté, il faut que les marchandises se
reconnaissent entre elles en tant que valeur et pour cela elles doivent se mirer en quelque sorte dans leur être
commun:
l'argent.
Nous avons vu
l'impossibilité où fut l'or de
réaliser une communauté matérielle stable. Nous n'y reviendrons pas. Rappelons simplement un autre résultat du mouvement analysé plus haut, le fétichisme sur lequel nous reviendrons à propos de celui du capital. Avec le capital la formation d'une communauté
matérielle est possible. Le mouvement de la valeur n'est plus enrayé puisque le capital est la substance valeur devenu sujet. Au niveau du capital, le concept d'aliénation et tous ceux qu'elle
implique ne
devraient plus être opérant. Mais ceux qui affirment cela n'ont pas
compris, entre autre, le devenir du capital à la communauté et son anthropomorphose.
Pour analyser rapidement les rapports entre capital et aliénation il nous faut auparavant tenir compte des nouvelles
déterminations liées au capital valeur en procès.
Le capital se
valorise dans le
procès de
production immédiat, mais, à partir du moment où il sort de cette
sphère, apparaît la possibilité de la dévalorisation qui se
manifeste du
fait qu'il
prend une matérialité, il devient
capital marchandise. Ceci exprime en d'autres termes, l'aliénation selon G.W.F. Hegel
qui
découle de l'objectivation. Le capital objectivé se nie. Mais nous
l'avons vu, ceci est temporaire puisqu'il abandonne cette forme pour revenir à celle de
l'argent qui
est sa forme adéquate et retrouver une existence conforme à son concept, à condition que rien ne
s'oppose à son entrée
dans un autre
procès de
production, puisqu'il νa
pouvoir se réaliser
d'un k en
k + Δ k.
Cependant la
dévalorisation opère d'une autre façon: au cours du mouvement
de circulation et lors du passage d'un procès
à un autre, le capital perd de sa substance, se
dévalorise. Ι1
surmonte cette perte en devenant la forme réifiée (sachlich),
autonomisée: Dés lors il
est devenu autre puisqu'à l'origine il
était substance - objet ayant dans l'argent sa forme de représentation adéquate.
Le
moment singulier de
ce devenir
du capital c'est celui où il prend la forme
de
capital porteur d'intérêt, moment où il assume, comme la marchandise, un double caractère de valeur d'usage et de valeur
d'échange; de
ce fait
il devient aliénable (c'est son aliénabilisatίon
= Veräusserlichung). Ι1
en est ainsi parce qu'il s'agit d'un
capital particulier qui νa
passer d'une sphère à l'autre.
Tout ce
qui a été dit à propos des hommes,
puis des
marchandises
est à nouveau valable.
L'aliénation
sera réelle
dans la
mesure où le capital particulier ne pourra pas
se reconnaître, se retrouver dans le
capital en
tant que communauté totale.
D'autre part,
celle-ci n'existe pas de façon
immédiatement unitaire et les mouvements
des
différents capitaux en liaison avec la dévalorisation, perte de substance νaleur
[18], risquent de la désagréger.
La formation du capital fictif
permet de maintenir unies ses formes différentes
d'existence; celui-ci devient
leur commune représentation. Nous
constatons encore une fois, ici, qu'il y a bien aliénation. Un mouvement
indéfini commence alors. Pour échapper
à son devenir-autre qui est sa négation le capital se lance dans une fictivité
toujours
plus ample et le fondement
du phénomène tend de
plus en plus à disparaître puisque comme le dit K. Marx,
il
devient forme
aconceptuelle d'où tout
procès
médiateur
a disparu. La
mystification est mouvement
de
disparition des médiations. À la limite il est possible qu'il se crée un
hiatus entre le capital
sous sa forme
de chose
socialisée, sous forme
de valeur et le capital fictif;
qu'il n'y ait donc
plus de
possibilité
d'accomplissement
du procès, ce sera la « crise
» véritable du capital dont les symptomes
se
font perceptibles.
En
ce qui concerne les hommes, le devenir
du capital ne fait
qu'exacerber tous les caractère aliénants
antérieurs. Le procès de séparation -
une des conditions de
l'aliénation devenue son résultat -
est encore aggravé. Après avoir été séparé de sa communauté,
l'homme est séparé de ses moyens de
production et son activité parcellisée, le
travail, lui est ravie (il
est exproprié
de sa
réalité); ensuite cela concerne sa vie en dehors de la sphère de la production. Ιl
faut rappeler de plus qu'à ce niveau l'appropriation
ne se fait plus grâce à un élément intermédiaire, le travail, car elle porte sur le travail d'autrui.
De là le
renforcement du procès d'extranéisation. «La domination du capitaliste sur les
travailleurs est donc la domination de la chose sur les hommes, du travail mort sur le travail vivant, du produit sur
les producteurs car en réalité les marchandises qui deviennent moyens de domination (mais simples moyens de domination du capital
lui-même) sur les travailleurs, sont les simples résultats
du procès de production, ses propres produits. Dans la production matérielle, dans le
procès de
vie social
effectif - car tel est le
procès de
production - on a tout à fait le même
rapport que celui qui se
présente dans le domaine idéologique, dans la religion, l'interversion
(Verkehrung) du sujet dans
l'objet et inversement. Si on le considère du point de vue historique, cette interversion apparaît comme un point de passage nécessaire pour contraindre la majorité à la création de la richesse en tant que telle, c'est-à-dire les forces productives inéxorables du travail social, qui peuvent seules constituer la base
matérielle d'une libre société humaine. Ι1
est nécessaire de passer par cette forme antagonique tout comme il faut d'abord que l'homme
se figure ses forces
spirituelles comme des puissance indépendantes de lui, religieuses. C'est le procés d'extranésίsation (Entfremdungsprozess) de son propre travail »
(VIème chapitre, p. 142).
Le
prolétaire (ce qu'est devenu l'être
humain) ne peut plus se
reconnaître dans une communauté humaine puisqu'elle n'existe
plus ou, plus précisément, qu’elle
a été absorbée par le capital, fétiche achevé, et
puisque le fétichisme est justement attribution des qualités humaines à une chose. Ceci est dû au fait qu'il nest
plus uniquement dominé par le résultat de son activité, mais par une condition
d'effectuation de celle-ci, les moyens de production devenus capital. Grâce à cela ce dernier peut pomper aux hommes prolétarisés toutes leurs forces, leurs
capacités... Les
hommes devenus purs esprits peuvent se retrouver dans le capital forme sans contenu.
On
voit
par là
à quel point ce sont justement les
médiations, dieu, argent, capital qui éloignent
le plus
les hommes
les uns
des
autres en les unissant dans une communauté
autre, parce
qu'elles se posent
en tant que données
immédiates: êtres sensibles supra-sensibles.
Pour mieux percevoir ce
qu'est l'aliénation il faut brièvement exposer
comment les
hommes
luttent contre celle-ci. Tout d'abord il faut rappeler
qu'au sein des communautés primitives, il n'y a que la possibilité d'une aliénation, d'un devenir autre qui soit mutilation, parce que la communauté par de multiples mécanismes parvient à maintenir
sa cohésion, sa permanence.
À ce
propos il est important de faire remarquer
que le
mythe en ces sociétés permet de
penser,
de dominer
le discontinu en même temps que le
continu. Les
mythes d'origine
tendent à maintenir la permanence
du saut
de la nature à la nature humaine (de la nature
à la culture
comme disent certains), c'est la permanence d'une discontinuité; d'autre part les
mythes dominent
tout ce qui peut
altérer l'individu au cours de son devenir propre, car le
mythe est paragdime de vie; c'est en ce sens
qu'il apparaît
contraignant et, à la limite, se pose comme étant le vrai sujet ou la substance
dont
l'homme ne serait que
l'accident. Le
fondement
matériel
de cela est dû au fait que la
communauté, soit essaie au maximum
d'annihiler les effets de tout évènement
qui
pourrait être le
point de départ
de sa
décomposition, soit elle les intègre en se les assimilant - au sens proprement
biologique du terme - de telle sorte que ce qui
était étranger, autre, devient corps de la Gemeinwesen.
Ce pouvoir
d'assimilation, de
permanence
de
communautés primitives peut se percevoir
encore
en Inde, où par
exemple,
toutes les
religions
ont été la plupart du temps absorbées par les vieux cultes du
communisme primitif; aucune
n'a réellement
triomphé, à l'échelle
du subcontinent,
de
ces vieilles représentations.
Ces sociétés tendent à dominer leur histoire, d'où les théories sur le temps
cyclique qui ont
été produites pour
expliquer leur mode d'être.
Le mythe à notre avis, est représentation de la Gemeinwesen, et l'être individu de la
communauté se retrouve
dans
cette représentation
(qui est d'ailleurs
plus on moins
immédiate) ce qui soude effectίveιnent
son existence
à celle de la communauté.
De façon plus précise, nous dirons que l'homme étant
une activité sensible et ayant une nature hors
de lui
(ceci est immédiatement
perceptible à propos de la nutrition,
l'aliment est hors
de
l'homme) a besoin de
s'approprier des
éléments extérieurs afin d'accomplir son cycle de vie. Au début l'être individuel le fait en tant que membre de sa communauté, et i1
est plus exact de dire. que c'est elle qui se reproduit et, ce
faisant, reproduit tous ses membres. Mais de cette séparation et de
cette sensibilité naissent la représentation. On peut dire, en définitive, qu'à
cette époque de
l'histoire, l'homme individuel est dépendant de la nature mais que, grâce à sa communauté, cette
dépendance ne peut pas se transformer en aliénation.
Dés que le communauté est détruite, il y a perte de possibilité de se retrouver, de se reconnaître, d'où la
nécessité de la reformatiοn de celle-ci sous d'autres formes: la religion[19], l'État, la
littérature,
l'art. Très schématiquement,
on peut affirmer que c'est avec toutes les ressources de leur activité que les hommes ont tendu à faire obstacle aux résultats de l'aliénation. Les hommes opéraient déjà sur le terrain de celle-ci de telle sorte que l'autonomisation de leurs propres activités tendant à s'opposer à celles qui les subjuguaient aboutissait en définitive à une aliénation redoublée. Ceci signifie qu'il est
absurde d'envisager une aliénation particulière, ou de chercher la base matérielle de l'aliénation; elle résulte d'un procès total.
Même sur le plan matériel, sur le terrain des rapports économiques et sociaux, les hommes ont envisagé de dominer le mouvement d'aliénation. Mais c'est,
chaque fois, pour subir finalement plus durement ses effets. Si
les hommes s'abandonnaient au mouvement dé l'échange et profitaient de ce que celui-ci, s'il suppose séparation implique aussi la
réunion, ils pouvaient récupérer des richesses, mais avaient dés lors reconnu la nécessité de se soumettre -
pour atteindre ces dernières -
au mouvement qu'ils voulaient enrayer. Ils pouvaient tendre au même objectif en se lançant dans la
thésaurisation: essai de dominer l'or en tant que communauté, en tant que
représentation générale. Dés lors, comme l'a fait remarquer K. Marx, tous les sens, toutes les aspirations des hommes (en plus de leur simple activité)
sont mobilisés pour atteindre ce but. En thésaurisant l'homme
s'illusionne d'emprisonner la puissance sociale et le miroir des choses. Enfin,
les hommes peuvent refuser purement et simplement toutes les productions du monde
afin d'éviter, par un renoncement absolu, la malédiction de
l'argent. Cela les conduisait simultanément à refuser toutes les jouissances, à sombrer dans une ascèse généralisée tout autant aliénante que la
jouissance affrénée à la Don Juan, par exemple. D'ailleurs ces types d'hommes ne sont possibles que sur la base
d'une société non encore dominée par le capital.
Avec
le développement du mode de production capitaliste,
les représentations qui tendaient à se placer hors du domaine matériel, du domaine des rapports économico-sociaux, dominés eux-mêmes par le mouvement de la valeur, sont accaparées par le capital. Celui-ci réalise la philosophie, l'art, ainsi que la religion comme K. Marx le montre en
particulier dans le livre IV (cf. Werke, t. 26.3, p. 442).
Le moment οù
cette
absorption est possible se produit avec
l'instauration du
crédit:
« Dans le crédit, au lieu du métal et du papier, c'est
l'homme lui-même qui
devient l'intermédiaire de l'échange,
non pas
certes en tant qu'homme, mais en tant qu'existence d'un capital et des
intérêts. (...) Dans le système du crédit ce n'est
pas l'argent qui s'abolit, c'est l'homme lui-même qui se
convertit en argent, autrement dit, l'argent s'incorpore à
l'homme. » (K. Marx. Notes à l'ouvrage de James Mill).
L'homme s'est complétemente perdu et lorsqu'il croit se retrouver dans des représentations antagoniques au capital, il se fait encore absorber par son ennemi
qui est devenu miroir de toutes les représentations, qui est devenu mythe. La capitalisation de ce qui par nature pouvait
sembler irréductible à une telle transformation
impliquait
1a formation et la généralisation du
capital fίctif. Celui-ci agit
comme médiation
unifiant tous les moments
du capital et comme procès d'assimilίtion, d'appropriation de tout ce qui
lui était extérieur,
étranger. Voilà
pourquoi 1a domination
réelle du capital est en même temps comme
un «au-delà» de
celui-ci (il a dépassé
ses limites).
Les prolétaires avaient créé
des syndicats, des
partis où ils pouvaient
retrouver
une certaine communauté en dehors du
capital. Or, celui-ci organise maintenant les hommes et toutes les
organisations deviennent
en fait des
bandes-rackets soumises
directement au capital. À son plus haut
développement celui-ci
est délinquance
et démence.
Toutes
deux
sont les moments ultimes de la spéculation
qui est inhérente au capital. D'autre part, la démence
est liée au fait
que l'homme totalement
aliéné, devenu
autre, ne peut
encore l'être à l'heure
actuelle que dans le sens purement médical du
terme:
devenir fou. La folie
ici est fuite devant la réalité
du capital. L'homme s'emprisonne dans
son être autre et ne peut plus de
ce fait
retrouver,
ni retourner
à son être-départ.
La
folie est une espèce de résorption du devenir.
Le mouvement de scission-séparation
et celui d'autonomisatίon sont maintenant à leur comble. La scission qui s'opérait à
l'extérieur (séparation
d'avec ses moyens
de
production) devient interne. Les prolétaires qui refusent
l'activité-travail
(même quand
ils l'effectuent encore) mènent une double
vie et tendent à la schizophrénie. Ils sont dépouillés de leur activité
qui leur est réstituée sous forme
de représentations; le mouvement d'aliénation ne porte plus sur l'être, sur
l'avoir mais
sur le paraître: on leur organise la vie et de
ce fait
ils tendent de
plus en plus à se percevoir comme étant plongés dans la non vie. De nouveau la schizophrénie qui
se développe
sur la base de la coupure (Spaltung)
que l'homme ne peut plus dominer; les
éléments séparés par
celle-ci tendent à s'autonomίser et
veulent
se poser chacun comme l'être véritable.
D'autre
part le
capital ayant
détruit la communauté humaine, il n'y a plus d'identification possible en
des hommes
donnés, d'où les conflits de générations; les jeunes percevant dans leurs aînés les aliénés
qu'ils refusent
de
devenir;
ils sentent en eux la réification, la mécanisation
d'où l'aspect de
soulèvement de la vie,
de révolte
universelle de la jeunesse
que prend toute lutte contre le capital en tant que totalité, d'où
aussi le soulèvement de la nature,
à travers les hommes et en tant que telle, contre le despotisme du capital. De là
les aspects toujours plus irrationnels, par rapport aux normes de cette société, que prend la rébellion. Peut-être que
ce n'est que dans un
acte de
«folie»
que l'humanité pourra se libérer. Dans tous les
cas, la folie n'est
problème qu'à partir de la venue du capital comme on peut s'en rendre compte à la
lecture de Histoire de 1a folie à
l'âge classique de Μ.
Foucault; les
troubles de
représentation
doivent bien se
traduire par la confusion entre
les mots et les
choses!
Cependant
malgré le devenir à la fictivité, le capital parvient difficilement à maîtriser son anthropomorphose. Pour dominer les hommes, il s'est fait homme. Par là il est amené de façon contradictoire à réintroduire quelque chose qu'il avait expulsé: les désirs humains. De nouveau il y a ici une certaine irrationnalité; c'est le devenir du capital. K. Marx
montre à quel point la forme du capital porteur d'intérêt est irrationnelle, pourtant elle s'est
généralisée. Ce n'est donc pas, avec
le capital, uniquement le rationnel qui devient effectif, mais l'irrationnel.
Ι1
n'y a donc aucun référentiel humain, rationnel
ou irrationnel, tout a été englobé par le capital; d'où
le profond désarroi de notre époque. Cependant cela
n'empêche pas
que l'émergence
du communisme se manifeste
toujours (c'est même un élément important de
l'irrationnel) et les prolétaires peuvent prendre appui, dans leur lutte
contre le capital, dans la perception de celui-ci. En outre, il leur est possible de trouver force en analysant comment on est arrivé à cette situation. C'est ici qu'intervient l'étude historique. Pour K. Marx
l'histoire
n'est pas
un deus ex-machina mais elle est nécessaire pour comprendre les mouvements intermédiaires qui se sont abolis dans la production de
l'argent ou du
capital par exemple, et qui
ont créé leur magie. L'étude de l'histoire permet de dissoudre la
mystification et, ce faisant, de faire réapparaître les auteurs acteurs réels, les hommes chaque fois définis par le mode de production dans lequel ils vivaient. À l'époque actuelle,
l'étude de la formation de la domination réelle du capital
sur la société met à nu la réalité des prolétaires et leur lutte
contre le capital et le travail, contre les idéologies qui sont les fonctions idéelles du fétiche capital, car faisant abstraction de l'histoire des hommes, ce sont des
idées réduites à l'état de fétiches (ainsi le structuralisme est théorisation du fétiche conçu comme réalité, de 1a non-histoire, de son évanouissement; la structure est
ce qui par elle-même νa
donner explication de tout; elle est chose neutre, innocente, sensible-supra-sensible; elle est
l'aliénation congelée des hommes corrélative à l'éternisation du capital).
Ainsi
tout
en
remettant
chaque
concept
à sa juste place, il nous a été possible de
réfuter la réduction de la theorie de
K. Marx
à
un simple économisme:
chercher le fondement économique de l'aliénation; ainsi que la réduction idéologique-idéelle (la première étant idéologique matérielle) qui veut faire de
l'aliénation un processus qui concernerait uniquement l'esprit ou qui serait consubstancielle à l'homme.
Dans le communisme, l'humanité[20]
domine sa production et sa reproduction, ainsi que son histoire; il y aura devenir et devenir autre mais plus d'aliénation. Les hommes sociaux qui seront en même temps Gemeinwesen (laquelle sera l'être
humain) trouveront à la fin
de leur procès
d'activité globale, dans les résultats de
celui-ci, les présuppositions du procès à venir; ils se retrouveront donc en tant que Gemeinιvesen et individualités, dans leurs multiples activités et
ils intégreront leurs objectivations,
leurs extériorisations; il n'y aura plus d'inhibition de leur devenir humain. Ils se reconnaîtront dans 1a transparance de leurs rapports, de leurs activités, de leurs produits. Leur Gemeinwesen (être humain) sera leur propre médiation.
Mai 1972
[1]
Cette
mystification
des
révolutionnaire français
par le mouvement historique est traité par K Marx
dans ses œuvres philosophiques, la Version
primitive,
les pages
éparses du VIème chapitre. Cf.
aussi l'étude sur le mouvement ouvrier français .
(Cette
étude commencée en
1959 ne fut jamais terminée. Seule 1a première partie le fut entièrement et
publiée dans le n° 10, série Ι
d'Invariance. Notons que la classe
dominante fut tout
autant mystifiée lors
de 1'avénement du
fascisme. Ce dernier se présenta comme
étant
l'artisan, l'opérateur d'une
transformation sociale
devant
conduire
l'humanité au-delà
du capitalisme;
de même il s'érigea (à ses débuts) contre ce dernier en tant que phénomène mondial. En
fait il
permit la réalisation parfaite de la domination
réelle du
capital et fut un
dés éléments
essentiels
de 1a généralisation mondiale de celle-ci. -
note
de mai 1972).
[2]
(Cf. pour ces questions les Grundrisse et Propriété et Capital. (Cette œuvre
inachevée de A.
Bordiga parut dans 1a revue Prometeo série Ι,
n° 10, 11, 12, 13
et dans
1a série
II, n° 1 et 4 de 1948 à 1952;
elle
a été republiée en volume avec une autre étude de
1954 de A. Bordiga « Vulcano della produzίone ο palude del mercato
», (Volcan
de 1a production ou marais du marché)
par le groupe
de 1a Sinistra comunista de
Turin,
en
février 1972. Les éléments essentiels de cette étude sont:
a
- l'analyse de l'évolution du
sud de
l'Italie (il mezzogiorno) que Bordiga ne
caractèrise pas par la persistance de formes de production précapitalistes ou par une reféodalisation; pour
lui le
«mezzogiorno» est une aire où le mode
de production capitaliste
s'est développé il y a très longtemps, c'est même -
comme le remarqua aussi F Engels - l'aire où il s'est pour 1a première fois développé.
b
- le monopolisme n'est
pas un phénomène récent de a vie du mode de production
capitaliste: « Le
capitalisme est un monopole de
classe et tout le capital s'accumule toujours comme dotation d'une classe dominante et non
comme celle d'un
certain nombre de personnes ou de firmes. »
c
- Tendance moderne à ce
qu'il y
ait entreprise sans propriété. «
L'État moderne n'a jamais eu en réalité
d'activité économique directe mais toujours déléguée par adjudications et concessions à des
groupes capitalistes ».
d
- «
Il
ne s'agit pas de subordination partielle du capital à 1'État,
mais d'une subordination ultérieure de 1'État
au capital».
e
- «
Ι1
n'y a plus
de
classes nationales, mais une bourgeoisie
mondiale. Ι1
y a des États
nationaux
de
1a classe capitaliste
mondiale. »
D'autre part, il peut y avoir mode de
production capitaliste sans classe capitaliste. Ceci fut surtout
abordé à propos de
l'évolution économique et sociale de l'URSS (ce thème sera repris dans des articles ultérieurs).
f
- Indication
des traits
fondamentaux du communisme.
(note
de mars 1972)
[3] Ι1
faut
noter également que chez K. Μarx l'appropriation
(Aneignung) est assez semblable à ce que certains
dénomment assimilation c'est-à-dire
en quelques sorte le mouvement qui transforme la chose
extérieure en chose à soi,
du sujet;
ce qui implique possession
(Besitz et
non propriété, Eigentum). (note de
mai 1972)
[4]
Noter la différence: dans le capitalisme,
l'affrontement des marchandises est un moyen de réaliser le profit, une fois que la plus-value a été extorquée au
prolétariat.
[5]
Zusammenhang,
que nous avons précedemment traduit par
relation signifie
aussi
enchaînement, connexion, etc.,
doit être compris comme un
ensemble de rapports de dépendance des êtres les uns
par rapport
aux autres; tout ce dont un individu peut dépendre. De ce fait, ensemble
social, complexe social, expressions à l'aide desquelles Zusammenhang
est parfois traduit, dans
les Ed.
Sociales, nous
semblent valables. -
note
de mai
1972
[6] Gemeinschaftlichkeit: ce mot implique l'idée de la possibilité de formation de la communauté (Gemeinschaft). - note de mai 1972.
Notons
que, à partir du paragraphe commençant par :"Nous n'envisagerons pas
tout le mouvement historique.", ainsi que quelques
paragraphes à la suite de l'indication de cette note, K. Marx expose ce
que fut l'anthropomorphose du travail, surgissant de la dissolution du
mode de production féodal, et que le développement du capitalisme
escamota en quelque sorte. Lors de la rédaction du chapitre sur le
capital de Émergence de Homo Gemeinwesen j'essaierai d'en faire une présentation significative. - note de janvier 2010.
[7]
Fremdartigkeit
veut
dire
littéralement
qui
est
de nature étrangère (Fremd=étranger),
d'où
bizarrerie,
nature différente, hétérogénéité, etc.
(cf.
dictionnaire!).
K. Marx veut dire que l'ensemble des relations forme
quelque chose d'extérieur aux individus, que cet ensemble leur est
étranger; qu'il
y a comme un
hiatus entre les individus et ces relations. L'exttanéité est un état; nous la distinguons de l'extranéisation = Entfremdung, que la
plupart traduisent par aliénation. -
note
de mai
l972.
[8]
C'est
une
remarque
fondamentale que K. Marx
renouvéle dans son étude: « La circulation monétaire partait d'une infinité de points et revenait à une infinité de points, mais le point de
retour ne
coïncidait nullement avec le point de départ Dans 1a circulation du capital, le point de
départ se pose
comme point
de retour et vice-versa». (Fondements,
t.
2, p. 05).
[9] Cet
aspect du capital a été étudié à l'aide d'extraits des
Fondements
dans le n°20
de
1957 de il programma
comunista (cf. traduction
in Invariance n° 3,
pp.
82-110).
[10]
«
Sur la base de 1a production capitaliste, la masse des producteurs
immédiats
se trouve face
à face
avec le
caractère social de leur production, sous forme d'une autorité
organisatrice sévère et d'un mécanisme social articulé du
procès de travail en
tant que hiérarchie parfaite (mais les porteurs de cette autorité
ne sont
plus, comme dans les
formes
antérieures de production,
des
seigneurs politiques ou théoriques; s'ils la détiennent,
c'est simplement qu'ils personnifient les
moyens de travail vis-à-vis du travail). Par contre, parmi les
détenteurs de cette autorité, les capitalistes eux-mêmes,
qui ne s'affrontent
qu'en tant que possesseurs
de marchandises,
règne
l'anarchie la plus complète: les
liens internes de la production sociale s'imposent uniquement sous forme de loi naturelle toute-puissante
s'opposant au libre
arbitre de l'individu. »
(Livre III, t. 8, p. 256).
[11]
Pour ce qui est de la force
prolétarienne, K. Μarx a toujours insisté
sur l'organisation de la classe
comme seule force véritable contre le capital.
La classe s'organise en se constituant en parti.
(Statuts de l'Association
Internationale des
Travailleurs; Considérants au Programme du Parti Ouvrier Français,
1881, par
exemple).
[12]
«
C'est
évidemment
une
banalité
de dire que la
constitution
qui est le produit d'une conscience passée peut devenir une entrave gênante pour une conscience plus avancée. La conclusion en serait simplement de
réclamer une constitution ayant en elle-même 1a détermination et le principe de progresser avec
l'homme réel, ce qui n'est possible que lorsque 1'«homme» est devenu le principe de 1a constitution. Ici, G.W.F.
Hegel est sophiste. » (Critique de la philosophie de l'Εtaτ de G.W.F.
Hegel.
Ed. Costes, p. 46).
«
Pour
que la
constitution non seulement
subisse
la modification, pour que
cette
apparence illusoire
ne
soit
donc pas finalement mise en pièces par la violence, pour que l'homme fasse
consciemment ce que la nature de la
chose le force à faire
inconsciemment, il
est nécessaire que le mouvement de la constitution, que le progrès
devienne le principe de la
constitution, que le représentant réel de la constitution, le peuple, devienne donc le principe de la constitution. Le progrès est alors
lui-même la constitution. »
(ibid. p. 121). Sous une autre forme, nous avons à
l'heure actuelle l'illusion du progrès indéfini qui est
le principe fondamental de la constitution actuelle!!
[13]
K.
Marx
a plusieurs fois
insisté sur ce
fait: le
capitalisme
engendre le communisme. Démontrer cela,
en détail,
en
utilisant les données
récentes du développement du
capitalisme alourdirait l'exposé. Les
deux
citations suivantes suffiront à étayer notre affirmation:
« D'autre
part si nous ne trouvions pas, cachés dans
la société
telle
qu'elle est, les conditions
de production et les rapports
de
distribution pour
une société
sans
classe,
toutes
nos tentatives pour
les faire
surgir seraient du donquichotisme. » (Fondements,
t. 1, p.
97).
« Quant
au concept de 1a chose, je
ne crois
pas me tromper
en
attribuant aux considérations exposées
dans votre préface
une lacune
apparente, savoir la preuve que
les conditions
matérielles nécessaires à
l'émancipation
du prolétariat sont d'une manière spontanée
engendrée
par la marche
de la production. »
(K. Marx à
Cafiero,
29.07.1879).
[14]
Ι1
semblerait que dans l'analyse
précédente nous
ayons
quelque peu
escamoté
1’État.
Dire
cela
serait demeurer à 1a
surface des phénomènes
car nous avons
indiqué la place de l'État
dans le
procès total de 1a vie
sociale dominé pat le capital,
à la fin du chapitre sur le travail
productif et le travail improductif; d'autre
part, il est
implicite dans
tout ce travail sur le VIème chapitre que l'État
devient
une entreprise
capitaliste. Cependant
ceci appelle des précisions
complémentaires
que nous
exposerons ultérieurement. Nous
ne l'avons pas fait
à l'époque parce que nous
voulions auparavant reprendre
l'ensemble des œuvres de K. Marx et de
F.
Engels
sur 1a question de 1'État.
En ce qui
concerne ce dernier, il nous
semble
que sa
théorie de l'État exposée
dans 1'Anτi-Dühring, n'est
valable
que pour 1a domination formelle du capital sur la
société. « L'État moderne,
quelle qu'en
soit la forme est une machine
essentiellement capitaliste,
l'État des capitalistes, le
capitaliste collectif
en idée. » p.
318 F. Engels ne
met en évidence que le procès de concentration
de telle
sorte qu'il conçoit en quelque sotte
une société
capitaliste unitaire dominée
par l'État capitaliste. Or, 1a communauté du capital
est une communauté antagonique.
D'une
part il
y a 1a communauté matérielle
qui
remplace les antiques communautés, d'autre
part il y a
les différents quanta de
capital qui tendent chacun à
se poser en tant
que communauté.
L'État est lui
aussi
un quantum de
capital qui comme
les autres veut
être 1a communauté.
Le devenir
à celle-ci
est favorisé du fait
de l'instauration d'un despotisme
du capital au fur et à mesure
de la réalisation plus intime de sa domination réelle sur la
société et du fait que l'État est 1a
médiation essentielle de
réalisation du capital fictif: il
matérialise 1a « fiction » du
capital et perennise
ainsi 1a domination de
celui-ci. Le tort de 1a
position de F. Engels
est de trop autonomίser 1'État. - note
de mai
1972.
[15]
«
Le
secret de toute forme de valeur gît dans cette
forme simple. » (Le Capital,
L. I, t.1, p. 83)
[16] M.
Rubel traduit
la phrase: «So wächst die Macht des Kapitals, die
im Kapitalίsten personnίfizierte Verselbständigung der gesellschaftlichen Produktionsbedingungen gegenüber den wirklichen Produzente.», de la façon
suivant: «Ainsi grandit la puissance du
capital, c'est-à-dire l'aliénation
personnifiée dans
le capitaliste des conditions sociales de 1a production vis-à-vis des producteurs réels. »
(œuvres de Κ.
Marx. Économie ΙΙ, p.
1044) et il
précise p.
1769 (en note) :
«La Verselbständigung (qui
signifie « séparation » aussi bien qu' « aliénation »)...".
Ι1
aurait dû dire
qui présuppose la séparation du
capital vis-à-vis du
procès de production qui l'a engendré, et
implique
une aliénation du producteur
ou du capital puisque
ce dernier peut devenir autre. Cela signifie que s'il y a autonomisation, il
y a possibilité
d'un devenir autre, donc une aliénation -
aνant les producteurs immédiats étaient unis à leur conditions
de production, le capital opère une séparation entre les deux -
de telle
sorte que
nous
traduirons cette phrase
plutôt
ainsi
:«
Ainsi
-
vis-à-vis des producteurs
effectifs
- grandit la puissance du capital, l'autonomisatίon (Verselbständigung), personnifiée par le
capitaliste, des
condition sociales de la
production. » L'autonomisation est
un moment médiateur
fondamental de l'extranéίsation et
de la réification donc de l'aliénation
effective. La suite du texte
de K. Marx confirme
ce que
nous
avançons.
« Le capital
apparaît toujours plus comme puissance sociale dont le capitaliste est le fonctionnaire, qui
n'a plus
aucun rapport
possible avec ce que
le travail d'un
individu particulier peut créer mais qui, en
tant que puissance sociale autonnmίsée, extranéίsée, en
tant que chose, en tant
que
puissance du capitaliste par l'intermédiaire de cette chose,
s'oppose
à la société. »
(Cf.
aussi
Le
Capital, L.
ΙΙΙ, t. 6, p. 276).
[17]
« Cependant un tel
rapport d'extranéίté
(Fremdheit) réciproque
n'existe pas pour
les membres
d'une
communauté primitive qu'elle ait
1a forme d'une famille patriarcale, d'une
ancienne communauté hindoue, d'un Etat
inca... ». (Le
Capital, L. Ι,
t. 1, p. 98). Cette extranéité impliquée par
l'apparition de la marchandise,
qui est
à la fois
valeur d'usage
et valeur d'échange, est le
point de départ
de l'extranéisation.
On doit
noter ici qu'il y a
complémentarité entre les Manuscrits
de 1844 et Le
Capital.
[18]
Rappelons aussi, ce qui a
été expliqué précemment; que
1a
socialisation à laquelle aboutit le procès total de production est une négation
même du capital. Ce
devenir autre doit être constamment nié pour que le capital continue à
se développer.
[19]
La religion comme le mot d'indique relie les
êtres. Elle n'apparaît qu'au moment où l'activité des hommes a été fragmentée, comme a été fragmentée leur communauté. Elle reprend les rituels, 1a magie, les mythes des sociétés précédentes.
Avant il
n'y avait pas de religion. Les sectes religieuses d'autre part manifestent 1a volonté de
rétablir une communauté antérieure; elles sont 1a plupart du temps clandestines, secrètes. En revanche 1'État
favorise une religion apte à relier les différentes
classes de
1a société. De là les relations particulières entre 1'État
et cette dernière, de 1à les diverses hérésies,
productions de représentations plus adéquates à l'existence des classes
opprimées. La lutte de classes se manifeste
aussi en tant que lutte des religions en place
contre les
hérésies.
Si on accepte l'étymologie, plus juste, du mot religion donnée par Ε.
Benveniste qui
fait
remarquer que
religio
« se
rattache à relegere » recollecter,
reprendre
pour un nouveau choix, revenir
à une synthèse antérieure pour 1a recomposer »
(Le
vocabulaire des institutions indo-européennes. Ed
de
Minuit, t. 2, ρ.
266) on
constate
que
cela
ne s'oppose pas à
ce que nous disons. Cependant au cours du temps,
religion a bien voulu dite: relier le fίdéle à
son dieu et, mais aussi, relier
les fidéles entre eux.
[20] Ι1 est évident qu'on ne peut pas éviter les pièges du langage. La terminologie de notre exposé est marquée par un moment très ancien de l'aliénation humaine: celui de 1'assujetissement des femmes. Mais une fois que le lecteur sait que nous sommes absolument convaincus de 1a nécessité de leur libération, et ce, non pas pour en faire des hommes, mais pour qu'elles s'épanouissent en fonction de leurs déterminations propres qui ont été tout le temps inhibées, il pourra rectifier mentalement ce qu'il y a de parcellaire, de ce fait, en notre exposé. L'espèce émancipée produira une nouvelle langue où hommes et femmes pourront se dire, s'entendre, se percevoir, se reconnaître dans 1a plénitude de leur libération enfin réalisée.