CONCLUSION
De 1a modalité de ce devenir à 1a virtualité, il faudra beaucoup dire. Pour le moment il s'agit de conclure cette étude où j'ai voulu opérer une approche de l' oeuvre
de S. Freud
pour y déceler la mystification qu'elle recèle, un escamotage du réel; mystification qui permit une double interprétation de celle-ci : révolutionnaire avec le
courant freudo-marxiste et conservatrice voire réactionnaire pour celui officiel. En même temps j'ai voulu signaler tous les concepts fondamentaux qui furent repris de façon plus ou moins avouée par divers thérapeutes au
cours
de 1a seconde moitié de ce siècle finissant. Nous serons amenés à mettre en évidence que cette œuvre fut lue souvent dans un rejouement ou,
dit autrement, en utilisant les concepts mêmes auxquels eut recours S. Freud, par exemple celui de déni, Verleugnung.
Ses exégètes en refusant de voir qu'il manquait le réel,
le réel dont eux-mêmes ils avaient été dépossédés, réactualisèrent l'escamotage freudien.
Je conclue donc en me rapportant uniquement à l'oeuvre de S. Freud telle que j'ai essayé de la présenter ci-dessus. La situer par rapport à celle d'autres psychanalystes, d'autres psychologues, en rapport à
des théoriciens opèrant dans divers domaines, ne pourra être envisagé qu'ultérieurement. En conséquence, je me limiterai à aborder 1a question de comment S. Freud situe son oeuvre; pour cela je ferai d'abord appel à un
texte souvent cité : Une difficulté de
1a psychanalyse où il expose 1a raison qui fonde 1a difficulté d'acceptation de celle-ci, et donc
l'acceptation de lui-même. Il la voit dans le narcissisme humain, l'amour-propre de
l'humanité. Il affirme que ce dernier a subi une première vexation avec 1'oeuvre de Copernic qui montra que 1a terre n'est pas au centre du système solaire, mais le soleil. «La
position centrale de 1a Terre lui garantissait d'ailleurs qu'elle [l'espèce humaine, NdR] avait dans l'univers un rôle dominant, et cela lui paraissait bien s'accorder
avec son penchant à se ressentir comme le maître de ce monde »[310] La deuxième vexation fut infligée par
Ch. Darwin en montrant que «L'homme n'est
rien d'autre ni rien de mieux que les autres animaux, il est lui-même issu de la série animale, apparenté de prés
à certaines espèces, de plus loin à d'autres »[311]. Enfin il expose 1a troisième vexation effectuée par lui-même. Elle consista à affirmer : « 1a vie pulsionnelle de 1a
sexualité en nous ne peut être domptée entièrement, et que les processus psychiques sont en eux-mêmes inconscients, ne
sont accessibles au moi et ne sont soumis à celui-ci
que par le biais d'une perception incomplète et peu sûre », et ceci revient « à affirmer que le moi n'est pas maître dans sa propre maison »[312].
En quoi tout ceci peut nous éclairer sur le devenir jusqu'à nos jours de Homo sapiens? Pour compenser l'infériorité, l'état d'Hilflosigkeit où il se
trouvait au moment de la séparation d'avec le reste de la
nature et ensuite lors des rejouements de
ce phénomène, ce qui impliqua un repli sur lui-même, il a eu besoin d'un support pour y placer 1a communauté idéale, puis son être idéal, maître de lui-même, il a eu besoin d'un
support: la Terre placée
au centre de l'univers. Le support fut également une divinité, puis il se posa lui-même en tant que tel permettant un
déploiement plus intense du narcissisme dont parle S. Freud alors
que je préfère parler de solipsisme, sorte d'autisme à l'échelle de l'espèce, ce qui implique un repli encore plus grand. Ch. Darwin remit en cause cette dynamique mais dans 1' ambiguïté parce qu'il
posa Homo sapiens
comme le point d'aboutissement du phénomène évolutif. Il représente toujours
l'espèce qui a le mieux réussi. En outre ses épigones allèrent beaucoup plus dans
l'affirmation d'un statut particulier pour cette
espèce. Enfin, en ce qui concerne l'apport de S. Freud, ce qui me semble important, c'est qu'il est une base importante à partir de laquelle on peut mettre en évidence
l'émergence de 1'ontose, qui
présuppose le refoulement et, corrélativement, la production de divers phénomènes inconscients qui ne sont pas innés, ainsi que sa fin
qui s'esquisse
dès maintenant. À partir de 1à on peut concevoir et même vivre un mode
de vie où le fonctionnement psychique sera tout à fait différent, ce qui rendra caduques, en premier lieu toutes les théorisations philosophiques,
sociologiques, psychologiques ainsi que bien d'autres représentations faisant partie des sciences fondamentales, etc. En effet on peut considérer 1a conscience comme une entité support
d'un moi idéal dans le sens freudien, d'une instance salvatrice de
l'état d'Hilflosigkeit de
l'humanité, opérant comme une dispensatrice de consolations. Elle se constitue en même temps que s'instaure l'inconscient
freudien déterminé par le refoulement. En conséquence, la dynamique d'émergence et de réconciliation avec le reste de la nature rend caduques les
considérations de S. Freud
qui visait en les
exposant à poser sous le signe de
l'exceptionnel l'apport cognitif qu'il effectua. Une telle démarche exprime un doute, le doute d'être reconnu .[313]
Le surgissement du procès
de compréhension de ce qui
est advenu qui s'opère avec
l'apport de S. Freud est en rapport avec le phénomène de régression dont nous avons parlé, phénomène lié au rejouement de 1a catastrophe et du risque d'extinction. Tout se passe
comme si ce dernier n'avait
pas été assez fort pour que hommes et femmes revivent le traumatisme à travers un processus conscient, d'où la répétition avec la crise de 1929, 1a guerre de 1939-45,
puis toutes les
guerres et les
révolutions qui affectèrent et affectent l'ensemble de la planète au cours de 1a
seconde partie de ce siècle parvenant à son terme, généralisant ainsi le possible de 1a réalisation d'un revécu conscient de ce qui
est advenu. Dès lors 1a conscience d'un monde et
l'inconscient qui lui est lié peuvent disparaître par suite de
l'émergence d'une autre dynamique de vie.
S. Freud donne
dans un autre texte une indication
importante de comment, en fonction de son oeuvre, il se situe dans le monde des hommes et des femmes. «J'ai fini par comprendre que je faisais partie dorénavant de ceux qui, selon
l'expression de Hebbel, "troublaient le
sommeil du monde"
»[314] Mais comment trouble-t-il le sommeil du monde? Est-ce
parce qu'il dévoile le contenu du rêve et qu'ainsi celui-ci ne peut plus assurer 1a fonction de gardien du sommeil qu'il lui
reconnaît? Ou bien le fait-il en étant lui-même un des contenus du rêve qui trouble le sommeil sans l'interrompre. Dès lors il contribue
au maintien de ce monde. C'est ce qui s'est effectivement passé.
L'espèce est plongée depuis des millénaires dans un état hypnoïde dont elle tend périodiquement à émerger. C'est
seulement maintenant - comme
1a suite de
cet article vise à le
démontrer - que le possible d'une émergence définitive, grâce à l’initiation
d’une autre dynamique de vie, est en train de se réaliser.
Jacques Camatte
Avril 1999
[310] Une difficulté de 1a psychanalyse (1917),
texte publié dans le recueil portant le titre général L'inquiétante étrangeté et autres essais, o.c, p. 181.
[312] Ibidem,
p. 186
[313] Je
reviendrai sur l'analyse de ce texte et sa signification qui ne peut
pleinement être atteinte qu'en tenant compte des relations de S. Freud avec d'autres psychanalystes
comme C.G. Jung, A. Adler, etc...
(Dans la mise en évidence de la remise en cause des divers
positionnements de l’espèce, dans la nature, dans le cosmos, la découverte de
planètes semblables à la terre et, surtout, le possible du phénomène vie
ailleurs que sur celle-ci, est d’une grande importance, d’autant plus que cela
conduit à penser que ce phénomène vie est inhérent au cosmos et que de ce fait
la question de l’origine ne se pose nullement . Elle relève en fait de la
spéciose, de même que la conscience et l’inconscient; Note de novembre 2008)
[314] Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique, 1914 in Cinq leçons sur la psychanalyse, éd. Payot, coll. PBP, 1983.