DIVERS AU SUJET DE LA RÉVOLUTION RUSSE







    Les remarques qui suivent furent écrites pour la préface « Bordiga et la révolution russe. Russie et nécessité du communisme ». Comme cela faisait trop long, j'ai supprimé. Je n'ai pas ordonné le texte… Comme cela forme le point de départ d'un certain nombre de questions je les soumets aux divers camarades afin de trouver aide pour progresser. Ces notes seront suivies par un article de 1965 « La crise agricole russe a des causes sociales ». Beaucoup de choses sont encore valables actuellement à la suite de la crise qui aboutit à la production de seulement 1400 millions de quintaux à la place des 2150 prévus, escomptés. Enfin, j'ajouterai quelques remarques sur le travail en cours sur la Russie.



État et coordination – Coup d’État – Anarchistes



    Entrer dans l'étude des caractères socialistes d'Octobre dépasserait le cadre de notre introduction ; disons d'ailleurs qu'il serait préférable de dire caractères prolétariens, de parler de la manière prolétarienne, comme le faisait Bordiga. Les diverses expropriations, le début de contrôle ouvrier, la dissolution de l'Assemblée nationale (même si ce fut exécuté par un anarchiste (de son propre chef) prouvant la justesse de la position, et forçant peut-être un peu la main des bolcheviks) l'arrêt de la guerre, la fondation de la 3° Internationale, comme la tentative, tout à fait au début, de réaliser l’État-Commune, tout cela peut être versé au dossier comme étant positif. Cependant, dans tous les cas, cette phase fut brève – un an peut-être – où le prolétariat agit réellement. D'autre part, la remarque de Serge est intéressante quand il dit que Lénine voulait éviter de déchaîner la lutte de classes et que ce n'est que lors de la rébellion des tchécoslovaques qu'il se décida à prendre les mesure prônées par la gauche et fut le « communisme de guerre » (cf. L'an I de la révolution). C'est à noter d'entrée : tous les futurs droitiers réclament cela : Boukharine, Rykov, Preobajensky, Piatakov, Iaroslavski ; en ce qui concerne Radek c'est plus fluctuant. C'est au cours de l'an I que tout se joue ; c'est à ce moment-là que s'exprime réellement le tragique de la révolution en tant que révolution prolétarienne :



     "Nous ne nous dissimulons pas que l'application inflexible à l'intérieur comme à l'extérieur d'une politique prolétarienne grosse de dangers peut même entraîner momentanément notre perte mais nous pensons que mieux vaut, pour nous, l'intérêt du mouvement prolétarien international, succomber accablés par les forces extérieures, mais succomber en vrai pouvoir prolétarien que vivre en nous adaptant aux circonstances". Boukharine


     « Si cette tendance prévaut, la classe ouvrière perdra son rôle dirigeant et l'hégémonie dans la révolution socialiste qui conduit les paysans les plus pauvres à la subversion du joug du capital financier et des propriétaires fonciers ; la classe ouvrière ne sera plus qu'une force encadrée par la masse petite-bourgeoise qui s'assigne pour tâche au lieu de la lutte prolétarienne en union avec le prolétariat de l'Europe occidentale, contre le système impérialiste, la défense d'une patrie de fermiers contre les charges de l'impérialisme, défense dont les objectifs peuvent être atteints par un compromis avec l'impérialisme. En cas de renoncement à une politique prolétarienne active, les conquêtes de la révolution ouvrière et paysanne commenceront à se figer en une système de capitalisme d’État et de rapports économiques propres à la petite-bourgeoisie »


     « Les communistes prolétariens veulent une autre politique. Il ne s'agit pas de conserver au nord de la Russie, au prix de concessions qui la transformeraient en un État petit-bourgeois, une oasis soviétique... »
Boukharine



     Après 1919, on a une phase de stase puis de recul dans la révolution mondiale et, en Russie, le prolétariat va opérer uniquement une révolution capitaliste. Cependant même les arguments que nous avons donnés en faveur du caractère prolétarien sont l'objet de beaucoup de controverses.



    Tout d'abord la question de la PAIX DE BREST-LITOVSK. Elle fut conclue selon les normes habituelles : de gouvernement à gouvernement, d’État-major à État-major, alors que Lénine avait réclamé: « Une paix des masses laborieuses contre les capitalistes » (t. 24, p. 381)



    Voline dit dans La révolution inconnue : « qu'il aurait fallu que les masses quittassent le front en proclamant le refus de se battre », ce qui aurait produit un effet foudroyant sur les soldats des autres pays amenant la fin de la guerre sinon la révolution mondiale (p. 187). Il pensait qu'il fallait au besoin, profitant de l'immensité du pays, y entraîner l'ennemi et le mettre hors d'état combattre (p. 188). Telle était également la thèse des communistes de gauche (Boukharine). Mais cela aurait désorganisé, voire détruit, le prolétariat et ce serait sur la base même d'une guerre des paysans que la lutte aurait dû se produire. Ceci était envisageable mais alors on n'aurait pu dans ce cas parler de socialisme que dans le mesure où l'on reconnaissait la persistance de l'Obchtchina, sa possibilité de régénération au cours de la lutte dès lors que l’État était détruit, car ceci n'aurait été possible et aurait permis d'éviter l'effet centralisateur de l’État, sa résurrection, que dans la mesure où les communautés passaient à un stade supérieur et que le nouvel État se posait en État-Commune. On voit que la solution dépend toujours d'une variable qui fut escamotée.



     Les bolcheviks dans leur grande majorité avaient peur des paysans ; ils s'en méfiaient parce qu'ils raisonnaient selon le schéma de Marx valable pour l'Occident. Voilà pourquoi Boukharine écrivit ce que nous avons reporté plus haut lors du débat au sujet de la paix.



     Pour Voline le problème est plus simple car pour lui en Russie des millions de gens étaient prêts pour la révolution sociale qui veut dire « la destruction de l’État en même temps que du capitalisme, et la naissance d'une société basée sur un autre mode d'organisation sociale ».


     Finir la guerre c'était la réaliser une discontinuité totale avec toute la praxis de la social-démocratie internationale, au-delà c'était rompre avec le mode bourgeois de faire la révolution. La révolution bourgeoise avait eu besoin, comme Marx et Engels le montrèrent de son stimulant pour mettre en pratique les mesures les plus radicales ; cependant il aurait fallu pouvoir mettre fin à la guerre dès 1917, afin de pouvoir accélérer le processus de décomposition de l'ancienne société tsariste et donc la transcroissance en Russie, appuyer objectivement les mouvements de révolte dans les armées occidentales avant que l'arrivée des soldats des E.U ne vienne renforcer le système des alliés. Les soldats étasuniens furent nécessaires non seulement pour battre les allemands, mais pour empêcher la révolution en Occident.


     On pourrait arguer que le phénomène révolutionnaire se développant maintenant en Russie – l'obstacle de la révolution n'étant plus le tsarisme mais le capitalisme – il fallait donc abattre ce dernier, donc lutter contre l'Allemagne. Là surgit la question du centre dominant dans le MPC. Or, il semble que la solution la plus révolutionnaire eut été précisément la victoire de l'Allemagne. Pour les occidentaux ce qui comptait c'était qu'il n'y ait pas d'interruption dans la guerre, jusqu'à ce qu'ils aient réalisé leurs plans.



     La question de Brest-Litovsk ne peut pas être analysée sur le plan de la seule Russie. Il semble que le malheur c'est qu'elle se produisit trop tard.



     La paix est inextricablement liée à la question de l'indépendance des nations qui avaient été absorbées par le tsarisme. Là il faut noter que c'est une constante du mouvement révolutionnaire russe que la proclamation de la nécessité de l'indépendance des diverses nations. En outre on ne doit pas oublier que Lénine considérait le droit plus en tant qu'élément stratégique qu'en tant que principe. L'essentiel est d'affaiblir le tsarisme ; la dissolution de l'empire favorisera la déchéance de l’État. L'indépendance fut rarement accordée sans lutte de la part de la nation opprimée ; ici d'entrée la possibilité de l'indépendance était proclamée. Il y avait dépassement de la mesure bourgeoise dans la modalité de sa réalisation. Mais ceci est secondaire par rapport à la critique faite par certains : en proclamant l'indépendance de ces nations, les bolcheviks ont livré le prolétariat à la contre-révolution.


     Il s'agit ici de faire une étude détaillée des rapports de force des classes dans les différents pays en question. Et il s'agit d'autre part de ne pas perdre de vue que si Lénine disait : droit à l'autodétermination dans le programme du parti russe, il affirmait de même que les socialistes des pays opprimés pouvaient très bien refuser ce principe, dénoncer le caractère réactionnaire de la nation… Est-ce que en 1914, les nations pouvaient encore avoir un caractère progressif en Europe occidentale ? Si non, la position de Lénine n'est vraie qu'en tant que principe stratégique comme indiqué plus haut.


    En ce qui concerne l'Europe centrale ce que l'on peut surtout reprocher aux bolcheviks ce n'est pas d'avoir posé l'autodétermination de la POLOGNE mais de ne pas avoir compris que l'indépendance de cette nation aboutirait à une nation réactionnaire, son rôle révolutionnaire étant épuisé, ce qui n'était pas le cas en 1848 et 1864. Ce que R. Luxembourg avait intuitionné. D'un côté comme de l'autre les positions sont parcellaires et surtout manquent d'amplitude, c'est-à-dire sont inaptes à percevoir et donc à discerner les conséquences des affirmations sur le devenir de ces nations.




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     Dans « Les tâches immédiates etc. » Lénine déclare qu'il faut gérer l'économie ; puis, en 1921, il explique qu'il faut contrôler le capitalisme d’État, le faire fonctionner pour le prolétariat. Ces formules pourraient être acceptées en tant qu'expression de la dictature du prolétariat qui serait assez puissante pour obliger effectivement les forces productives à aller dans le sens même de la réalisation des bases du socialisme. Cependant Lénine affirme le prolétariat a disparu et, d'autre part, si les marxistes avaient dû réciter le rôle des romantiques, des illuministes bourgeois, ils pouvaient être amenés à accomplir la tâche de répression que les bourgeois avaient exercés contre le prolétariat. Or c'est ce qui se produisit. La faiblesse des bolcheviks fit qu'ils ne purent pas simultanément diriger le capitalisme d’État et intégrer les actions de transcroissance des prolétaires. D'où finalement le triomphe d'un développement par le haut, tout à fait dans le style capitaliste et en définitive le triomphe du socialisme dans un seul pays ; théorie qui à son origine rencontra fort peu d'opposition. D'après Deutscher il faut attendre 1926 pour que Trotsky – son grand pourfendeur – s'élève contre elle. De telle sorte que le débat de 1926 auquel Bordiga accorde tant d'importance était déjà un combat d'arrière-garde.



     Il en est de même en ce qui concerne l’État. Pendant toute l'année qui va de 1917 à 1918 Lénine fut hanté par la Commune. Il répète, il ressasse : il faut réaliser l’État-Commune ; il faut parvenir à son niveau ; au VII° Congrès il proclame qu'on ne peut pas aller au-delà de 1871. Dans « Les tâches immédiates de notre révolution », septembre 1917, il dit que la révolution russe est au niveau de 1793, 1871 ! Mais déjà en avril 1918, à propos de la question des spécialistes, il est obligé de reconnaître qu'il y a abandon des principes de la commune de Paris (t. 27, p. 257), mais, il faut créer un État-Commune (séance du CEC, 29.04.18 – t. 27, p. 314).



     Le caractère limité capitaliste de la révolution apparaît dans « La constitution » t. 30, p. 246 et la « Déclaration des droits du peuple travailleur » t. 26, p. 443.



     Il en va de la question de l’État comme de celle de la gestion de l'économie. On tendra de plus en plus vers une forme d’État capitaliste (de la domination formelle) ; c'est le cas où l’État est un instrument pour le capital mais n'est pas encore lui-même une entreprise ou même une bande-racket. Et Lénine s'élève avec virulence contre tous ceux qui osèrent dire ce qui se passait en réalité, sous prétexte que c'était du défaitisme, comparable à la désertion sur un champ de bataille.



     Or, il ne s'agissait pas uniquement de diriger le procès de production, d'utiliser des formes capitalistes, mais il fallait être à même d'intégrer les phénomènes de transcroissance manifestés par le prolétariat, non pour qu'ils servent de simple mouvement négatif stimulant un procès antagonique, mais afin de tendre à se porter constamment au-delà du capital. Il fut impossible d'intégrer. L'absence de poussées révolutionnaires venant de l'ouest facilita cet échec. En effet jusqu'à mi-1918, il y a encore la force du prolétariat qui impose un certain type d’État, un certain nombre de relations ; puis il y a le reflux et, de nouveau fin 18, une certaine reprise à la suite des événements d'Allemagne qui s'épuise en 1919 avec l'échec de la révolution en Occident, échec qui ne sera pas surmonté.



     Lénine le déclara lui-même, nous périrons si la révolution ne se produit pas en Allemagne. Cependant il fut difficile de reconnaître l'échec, voilà pourquoi, après 1921, il parlera souvent de construction du socialisme en Russie. Staline n'aura qu'à systématiser cela, le développer avec acharnement pour en faire une « théorie ».



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      Pendant tout le XIX° siècle la Russie va avoir un développement de plus en plus parallèle à celui des E.U., ce qui sera ressenti par les russes en général, surtout les révolutionnaires, mais aussi par des hommes différents entre eux comme Tocqueville et Marx. Ce dernier déclara dans les années 60 qu'il y avait deux mouvements essentiels : la lutte pour la libération des esclaves et le mouvement d'émancipation des serfs. La préface du Manifeste, édition russe de 1882, commence par une comparaison importante entre Russie et E.U., deux phénomène importants sont communs : la destruction des ethnies et la frontiè.


    Le rôle que la Russie a joué dans la réalisation de la domination formelle du capital, l'URSS l'a tenu dans celui de la réalisation de la domination réelle du capital. Dans les deux cas, la politique extérieure a eu une influence déterminante. «Or la diplomatie russe qui avait déjà traversé tant de révolutions occidentales... » (« La politique extérieure du tsarisme », Cahiers de LISEA, t. III, n°7, 1969, p. 1402).



     On peut amplement utiliser ce texte d'Engels car, en changeant simplement quelques mots, comme le fait remarquer Rubel, il est actuel. Engels montre à quel point la Russie a utilisé les idées révolutionnaires et a profité des révolutions :


« Aucune spoliation, aucune violence, aucune oppression ne furent perpétrées par le tsarisme sans invoquer le prétexte des lumières, du « libéralisme » et de la libération des peuples » (ibid., p. 1389).



     De tels faits expliquent en grande partie la russophobie de Marx. Depuis le début de ce siècle l'URSS utilise les mouvements communistes orthodoxes et par suite de leurs présuppositions communes, les divers mouvements trotskystes et de façon détournée les mouvements conseillistes. C'est avec Mai 1968 – les situationnistes fondamentalement – qu'il y a un refus net de l'URSS. Mais en fait pour que celle-ci ne puisse pas récupérer le mouvement il faut que celui-ci rompe avec les présuppositions de celui qui aboutit à Octobre 1917.



     Engels montre ensuite que si la Russie est puissante en ce qui concerne la défensive, elle est faible – étant donné sa configuration géographique et sa situation sociale et économique – pour l'attaque, d'où l'importance de la politique extérieure qui opérait par une action aussi bien sur les gouvernements que sur les mouvements révolutionnaires.


« Une fois de plus, la stupide Europe fut bernée de la manière la plus incroyable ; aux princes et aux réactionnaires, le tsarisme prêchait la légitimité et le maintien du statu quo, aux philistins libéraux, la libération des peuples opprimés et les lumières ; les uns et les autres lui accordèrent confiance » (p. 1398).



     De nos jours les philistins libéraux sont remplacés par les communistes nationaux et les divers trotskystes. En même temps, nécessité de maintenir une zone tampon, entre Occident et Russie proprement dite :


« La Russie était à l'abri de toute contamination et la Pologne subissait une occupation tellement forte qu'elle ne pouvait pas bouger » (p. 1402).



     Après la seconde guerre mondiale, le rideau de fer et la formation des États satellites permirent d'enrayer tout mouvement de remise en cause du despotisme. Mais réciproquement :


« Pour pouvoir rétablir son règne absolu à l'intérieur, le tsarisme devait être, à l'extérieur, plus qu'invincible ; il devait être victorieux en permanence, être capable de compenser l'obéissance totale par l'ivresse chauvine du vainqueur, par des conquêtes constamment renouvelées » (pp. 1404-1405).



     On peut dire que les étasuniens connaissent ce point faible de la Russie et de l'URSS actuelle. Ils n'ont jamais essayé de remporter une victoire indiscutable sur l'URSS.


     «Or le tsarisme s'était affaissé honteusement, juste au moment où il paraissait au sommet de sa grandeur il avait dévoilé la Russie aux yeux du monde et il s'était lui-même démasqué devant le peuple russe. Le réveil après l'ivresse fut formidable. Le peuple russe avait été trop secoué par les immenses sacrifices de la guerre, le tsar avait dû trop souvent faire appel à son abnégation pour pouvoir le ramener sans plus à la passivité de l'obéissance aveugle (…). Car ce genre de diplomatie n'est possible qu'aussi longtemps que le peuple reste absolument passif, ne connaît d'autre volonté que celle du gouvernement, d'autre vocation que celle de fournir des soldats et des impôts pour la réalisation des buts de ses diplomates. A partir du moment où la Russie connaît une évolution intérieure et, par là même des luttes de parti intérieures, la conquête d'une forme constitutionnelle dans laquelle ces luttes de parti se réalisent sans secousse violente n'est plus qu'une question de temps » (p. 1405).



     L'affaire de Cuba 1962 en est la preuve. De même les dirigeants russes ont compris la leçon et ne commettent plus l'imprudence de se porter à l'offensive ; ils essayent plutôt de vaincre à nouveau sur le terrain diplomatique : rôle de l'URSS dans le conflit Inde-Pakistan, dans le conflit au Proche-Orient, au Vietnam et au Cambodge. La chute de Krouchtchev en 1964 est liée certes à la crise agraire mais aussi aux séquelles de l'affaire de Cuba.



     Cependant dans la question de 1962 interviennent deux éléments : la pression interne de la critique soulevée à la suite du XX° Congrès ; une certaine révolutionnarisation de la société russe risquait de conduire trop loin. Ceci se vérifie ce que disait Marx : la Russie ne peut réussir dans ses plans de domination hégémoniques mondiale que dans la mesure où il y a paix interne. Or, souvent le moyen de la ramener c'est de se lancer dans une entreprise extérieure qui pourra ressouder la nation, d'où l'on joue à l'entreprise révolutionnaire externe… C'est ici qu'une analyse de la situation en Russie des années 1953 à 1960 avec le moment particulier de 1956 est d'une grande importance. On a peut-être été amené à sous-estimer le « bouleversement » qui se produisait alors.



     Le second élément qui explique aussi, en partie, le fait de Cuba c'est que l'URSS avait été la première à lancer un satellite artificiel et il se peut que les russes se soient illusionnés sur leur supériorité.



     Le recul a été en partie effacé ; mais il y a eu la Chine et, là aussi, c'est probablement un élément dans la chute de Krouchtchev, bien que celui-ci ait préparé certainement la puissance russe à une intervention en Chine : la colonisation du Kazakhstan n'était pas uniquement une question agricole mais militaire ; renforcer une république voisine du Sin Kiang chinois où se trouve l'industrie nucléaire chinoise, faire pression sur la partie de l'ethnie située de l'autre côté de la frontière et ainsi affaiblir considérablement la puissance chinoise.



     Si donc l'URSS a pu surmonter cet échec ce n'est qu'en renforçant son alliance occulte et apparente avec les E.U. : 1968 et la question de la crise monétaire. Mais la Chine qui a brisé momentanément cette alliance joue un rôle dans le renforcement de celle-ci contre elle-même en tant que nation quantum de capital, contre le mouvement révolutionnaire. Dans ce cas elle fait elle-même partie de l'alliance ; on a au fond une bipolarisation de l'alliance où Japon et Chine jouent le rôle d'éléments de remplacement de tampon…



     La question chinoise va dominer, conditionner la politique extérieure et intérieure de l'URSS : là elle rencontre compétition-alliance avec les E.U. parce qu'il faut que chacun renforce son quantum, mais, en même temps, il faut arriver à domestiquer l'Asie pour que le MPC continue à s'y maintenir. L'encerclement de la Chine par l'URSS permettra une répression de tout soulèvement révolutionnaire chinois ; la révolution culturelle nous a donné un exemple d'un tel mouvement et il est important de constater que depuis 1949 les mouvements révolutionnaires en Chine s'accroissent sur le plan quantitatif comme sur le plan qualitatif.



     Le capital étasunien a deux zones où il doit intervenir afin que le MPC y réalise sa domination réelle : l'URSS et la Chine avec les différences qu'impliquent les deux zones.



    Tout cela nous ramène au problème de la révolution mondiale, aux deux zones de faille : la zone centreuropéenne, la turbulence chinoise avec l'extension du phénomène révolutionnaire en dehors des zones instables : le mouvement de Madagascar en est un exemple.




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Engels-Lénine : révolution russe et coup d’État



     Le génie de Lénine est d'avoir immédiatement compris le caractère de la guerre de 1914 et la nécessité de la transformer en guerre civile, seul moyen de résoudre la tragique impasse où se trouvait l'humanité. Comme le disait Bordiga, Lénine fut un génie politique lequel se caractérise par l'exercice de la volonté, son exacerbation. Dans une situation économique donnée, celle-ci peut jouer à fond ; toute la question, alors, est de savoir intervenir et d'être obstiné. Ceci s'est pleinement vérifié lors de la révolution d'Octobre. La prise du pouvoir par les bolcheviks n'est pas un coup d’État au sens où ce serait une action qui viendrait forcer une situation tendant à lui faire emprunter une direction tout à fait différente au cours des événements, ce fut un moment absolument nécessaire du procès commencé en février ; elle permit la réalisation de ce qui était en acte et le parti bolchevik a effectué ce que Bordiga considérait être justement la tâche du parti : éliminer les directions qui veulent faire dévier le mouvement prolétarien ; il ne le créé pas. Des partis s'étaient faits porteurs de revendications de paysans et d'ouvriers, ils en avaient fait leur programme, mais ils étaient incapables de les imposer : en prenant le pouvoir le parti bolchevik élimine tous ces débris qui ne peuvent que freiner le mouvement révolutionnaire et permet que se réalisent les possibles mêmes de la société russe, sinon la contre-révolution aurait triomphé, non seulement vis-à-vis du communisme que personne pensait immédiatement possible en Russie, mais aussi vis-à-vis du MPC. On n'aurait même pas eu une domination formelle du capital, mais une stagnation avec développement de formes usuraires donnant simplement illusion, comme l'Inde ! D'autre part, du fait de la présence du prolétariat à Pétrograd, Moscou et d'autres centres moins importants, mais décisifs comme le sud de l'Ukraine et l'Oural, il y avait transcroissance toujours possible qui ne pourrait être vraiment effective qu'avec l'aide du prolétariat d'Occident, car, alors, elle ne serait plus remise en cause. On oublie trop souvent que Lénine aussi envisageait cette transcroissance :


« Nous sommes pour la révolution ininterrompue. Nous ne nous arrêterons pas à mi-chemin. Si nous ne faisons pas de promesses de « socialisation immédiate », à l'instant même, c'est parce que nous connaissons les conditions véritables du problème, et que loin de les dissimuler nous faisons apparaître la nouvelle lutte de classe qui mûrit dans les profondeurs de la paysannerie » (t. 9, p. 244).



     En 1848, commença une période où il était possible pour le prolétariat de diriger les forces productives, ceci par l'intermédiaire de sa dictature. Pourtant le prolétariat était minoritaire dans la société – sauf en Angleterre ; il devait pour pouvoir acquérir victorieusement sa dictature, généraliser la condition de prolétaire parallèlement au développement des forces productives. Le prolétariat fut battu et il ne fut pas possible de vérifier si une telle dictature était possible. Ce qui permit à l’ensemble de ceux qui s'occupaient de révolution (en dehors des anarchistes contre par principe) d'escamoter la question. Critiquer les bolcheviks au sujet de ce qui fut fait entre 1917 et 1919 sans se poser la question de 1848 est un non sens. La plupart du temps on considère les pages du Manifeste uniquement comme un ensemble de phrases prophétiques n'ayant pas de visées sociales immédiates. Or la révolution de 1848 posa fondamentalement des problèmes politiques. Il fallait un État pour diriger dans un autre sens le développement des forces productives pour résister aux assauts de la réaction féodale (Marx ne perdait pas de vue la Russie) et la bourgeoisie. La même nécessité se manifesta en Russie.



     Dans ce pays pour que la transcroissance puisse s'effectuer il fallait au moins éliminer les obstacles à son épanouissement ; il fallait donc qu'au moins les revendications capitalistes soient réalisées : ainsi du programme agraire des socialistes révolutionnaires (en tenant compte de la remarque faite précédemment), de la constitution :


« Et ce ne sont même pas les bolcheviks qui ont élaboré la constitution des soviets ; ce sont les mencheviks et les socialistes révolutionnaires qui l'ont mise au point eux-mêmes, avant la révolution bolchevique » (t. 29, p. 184).



     Au cours de cette révolution (de 1905 à 1917) il est possible, de ce fait, de suivre les positions des divers partis et étudier leur cohérence. Il est possible d'affirmer que Lénine en 1905 avait une position ouverte et non fermée et qu'en entrevoyant la révolution ininterrompue (permanente), la transcroissance révolutionnaire, il demeurait apte à saisir le mouvement révolutionnaire. Cependant lorsqu'on analyse sa position vis-à-vis des soviets on constate des hésitations et surtout la non-reconnaissance de la totalité du phénomène. Pour Lénine les soviets sont surtout des moyens d'action et non pas de nouvelles formes qu'emprunterait la révolution. Mais ceci dérive de son schéma trop occidentalisé ; le devenir démocratique révolutionnaire lui offusque la vue, d'où sa tentative de toujours ramener les soviets à la forme démocratique.



     Mais avant d'analyser cette question, il faut aborder l'accusation de putchisme lancée contre les bolcheviks. On peut affirmer que Lénine avait prévu dans ses grandes lignes comment devait se dérouler la révolution ; il était donc absolument inévitable qu'il agisse de façon décidée et décisive au moment où l'intervention était absolument nécessaire. La volonté est requise. Est volontariste celui qui veut l'exercer lorsqu'elle ne peut avoir aucune efficience : le donquichotisme comme le gauchisme actuel veulent appliquer dans un certain présent une volonté d'une autre âge qui aurait dû être opérante.


     Engels était pour une intervention volontaire. Il fallait, d'après lui, que l'on passe à l'action en Russie :


« Tout ce que je sais ou crois savoir sur la situation en Russie, me pousse à l'opinion que là on s'approche de son 1789. La révolution doit éclater dans un temps donné ; elle peut éclater chaque jour. (…). C'est un des cas exceptionnels où il est possible pour une poignée d'hommes de faire une révolution ; c'est-à-dire de faire crouler par un petit choc tout un système en équilibre plus que labile (…). Pour moi, la chose importante est que l'impulsion soit donnée, que la révolution éclate. Que ce soit telle ou telle fraction qui donne le signal, que ce soit sous tel ou tel drapeau, peu m'importe » (Engels à V. Zassoulitch, 1885).



     Engels écrit « peu m'importe » parce qu'il est convaincu que les forces qui seront libérées permettront de réaliser les possibles de la société russe et mondiale, c'est-à-dire la révolution capitaliste et sa transcroissance en liaison avec la révolution en Occident (révolution russe en tant que prologue). On ne peut donc pas utiliser cette lettre pour condamner la position des bolcheviks, comme le fait Rubel.



     Ce n'est pas un hasard s'il pensait en 1899 qu'il fallait opérer l'unification des populistes et des marxistes. Marx, lui, avait été encore plus impatient ; il avait soutenu avec fougue les populistes et exalta leurs actions terroristes visant à provoquer l'écroulement du tsarisme et il n'avait eu que sarcasmes pour les marxistes de Genève, Plékhanov et son groupe qui discutaient de théorie (cf. lettre à Jenny Longuet).



     Engels écrit :

« Supposons que ces hommes s'imaginent de pouvoir s'emparer du pouvoir, qu'importe ? Pourvu qu'ils fassent le trou qui rompra la digue, le torrent lui-même fera bientôt raison de leurs illusions »



     Il parle donc d'illusion possible, mais il s'agit justement de cerner les illusions sur quoi. Mais avant de les   aborder, il nous faut indiquer que le trou avait été fait mais que tous les partis se préoccupaient de le boucher afin d'empêcher que le flot révolutionnaire s'y engouffrent fougueusement, emportant la digue et tout ce qu'elle devait protéger. Il fallait enlever tous ces obstacles pour que la marée révolutionnaire transgresse l'immense Russie. Ceci dit, s'illusionnèrent-ils ceux qui firent la révolution de 17 ? Croyaient-ils, par exemple, qu'ils allaient réaliser immédiatement le socialisme, dans les limites de la seule Russie ? Non.



     Au centre du débat qui eut lieu au sein du POSDR en 1906, il y avait cette question des illusions. Et voici comment cela se posa. Les bolcheviks étaient pour la participation et même, éventuellement, la direction dans un gouvernement qui pourrait s'instaurer à la suite de la révolution. Martynov leur répliquait en les accusant de tkachovisme, jacobinisme, bakouninisme, etc. Il citait la Guerre des Paysans d'Engels :


« Le pire qui peut arriver au chef d'un parti extrême, c'est d'être obligé de prendre le pouvoir à une époque où le mouvement n'est pas encore mûr pour la domination de la classe qu'il représente et pour les mesures qui réclame cette domination ».



    Lénine commente ce passage dans sa réfutation de Martynov :


« Engels voit le danger dans la situation fausse et mensongère qui oblige à dire une chose et à en faire une autre, à promettre la domination d'une classe et à asseoir celle d'une autre » (p. 281).



      Il pense être en mesure de déclarer toujours ce qu'il fait sans masquer. C'est ce que Bordiga apprécie le plus chez lui : l'absence de confusion (nous sommes en général d'accord avec Bordiga sur ce sujet pour la période qui va jusqu'en 1921) ; il ne dit pas, par exemple, on fait du socialisme, mais il faut appliquer des mesures capitalistes (cf. la force énorme de Lénine à la fin du § 92). Il a pu tout de même se laisser aller à l'enthousiasme, lors de la prise du pouvoir en déclarant : maintenant nous allons aborder les tâches socialistes. Revenons à 1906 : Lénine ajoute :


« Tout se ramène, encore un coup, à la différence entre la révolution démocratique et la révolution socialiste ».


     Autrement dit s'il s'était agi pour Lénine de croire en la possibilité de faire la révolution socialiste, la remarque de Martynov fondée sur la théorie de Marx était valable mais, pour Lénine, le prolétariat doit faire la révolution bourgeoise à la façon prolétarienne. Voilà pourquoi parle-t-il de dictature révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie ; qu'il parle de réaliser le programme minimum (pp. 286-287). De ce fait Lénine avait raison en 1905 (comme en 1917) lorsqu'il écrivait :


« Mais fixer la date de l'insurrection, si nous l'avons réellement préparée et si le bouleversement déjà accompli dans les rapports sociaux la rend possible, est chose parfaitement réalisable » (« Deux tactiques », t. 9, p. 149).



     Cependant après 1921, cette critique atteint son but. Lénine et les bolcheviks commencèrent à subir les conséquences de l'enrayement de la révolution en Occident, à être réabsorbés. Finalement ils déclaraient qu'ils faisaient du socialisme, qu'ils le construisaient ; Bordiga a beau chercher des textes disant le contraire, il est obligé de garder cela sur l'estomac (point 98). C'est difficile à digérer il est vrai !, pour Bordiga qui a maintes fois affirmé – et c'est son grand mérite – qu'on ne construit pas le socialisme. Thèse anti-volontariste, anti-parti deus ex machina, anti-utopiste. Le communisme est l’œuvre de tous les hommes et non celle d'une élite. On peut seulement détruire les obstacles à son développement et c'est en cela justement que consiste la révolution communiste.


     Mais revenons au débat de 1905 les mencheviks opposèrent également à Lénine la lettre d'Engels à Turati (1894) :


« Que ce résultat loin de nous satisfaire ne sera pour nous qu'une étape acquise, un nouvelle base d'opérations pour des conquêtes ultérieures ; que le jour même de la victoire nos routes divergeront, qu'à partir de ce jour nous formerons vis-à-vis du nouveau gouvernement la nouvelle opposition ; opposition non déjà réactionnaire, mais progressive, d'extrême-gauche, qui poussera au-delà du terrain conquis à de nouvelles conquêtes ».


     La nouvelle opposition c'est bien ce que se contentèrent de faire Staline et Kamenev en février 17. Mais Engels poursuit :


     « Après la victoire commune, on peut nous offrir quelque siège dans le nouveau gouvernement, mais toujours dans la minorité. Tel est le péril le plus grave ».


     Mais les bolcheviks avaient en vue de diriger la révolution bourgeoise, que les bourgeois ne pouvaient pas effectuer, à la façon prolétarienne afin de raccourcir les étapes.


     En définitive à force de vouloir réfuter la thèse léniniste, on en arrive à rejeter même ce qui est juste dans la position de Lénine et à ramener petit à petit au premier plan les mencheviks, à les glorifier, eux, les tempérés, les impuissants sinon à colmater la brèche. La révolution est certes un procès, un phénomène naturel, mais il est aussi nécessaire que les hommes interviennent volontairement et plus le procès de formation des révolutionnaires est puissant et que donc ceux-ci sont aptes à se représenter, comprendre la révolution à laquelle ils participent, plus ils peuvent et doivent intervenir avec virulence surtout au cours de l'acte insurrectionnel qui crée la discontinuité, l'effectue, sinon on a le discours apologétique de la veulerie. Les « masses » feront la révolution ! Mais qu'est-ce qui les poussera à la faire ? Il est vrai que s'il n'y a pas certaines conditions objectives traduisant la maturité donc la possibilité du soulèvement, il ne peut pas y avoir ce mouvement de « masses » ; ensuite, quand justement cette maturité est un fait depuis longtemps établi, tenir un tel discours c'est croire que la révolution est un phénomène absolument inconscient, passif, en quelque sorte, qui attend toujours de recevoir un coup de pied au cul pour pouvoir se manifester.


     Ceci n'a rien à voir avec une quelconque théorie de la révolution permanente. Pour cela faisons une digression. Marx distinguait l'émancipation progressive ou politique liée à la révolution politique où chaque couche de la population accomplit à son tour sa tâche jusqu'au prolétariat qui prend finalement le pouvoir, de l'émancipation radicale où, d'entrée, le prolétariat doit prendre le pouvoir. C'est-à-dire que c'est la classe la plus inférieure, à la base, à la racine qui doit se soulever pour résoudre toutes les questions. Dans ces deux cas, la révolution pour s'accomplir jusqu'au bout doit être permanente, sinon cela revient à s'arrêter à une phase donnée ou à être bloquée dans le phénomène de transcroissance. On distingue d'autre part une révolution par le haut dans le cas où les transformations sociales qui n'ont pas pu être exécutées lors d'un assaut révolutionnaire sont effectuées par un gouvernement (réaction) qui lui succède (Bismark), de la révolution populaire, révolution qui concerne toutes les couches de la population qui interviennent dans le processus révolutionnaire (révolution algérienne). Là encore il y a nécessité d'une permanence de la révolution sinon elle échoue. Dans le 1° cas, elle fut parachevée par celle de 1918 ; dans le second cas la transcroissance a été bloquée.


     Ainsi la révolution permanente ne peut pas être une théorie. Elle ne peut pas caractériser un type de révolution même si c'est pour l'opposer à la révolution par étapes qui ne serait qu'une variante de l'émancipation progressive. Car dans tous les cas, il faut une permanence d'un certain phénomène révolutionnaire, afin de passer d'une étape à l'autre. La révolution en permanence est un mot d'ordre nécessaire dans toutes les révolutions dites impures, ou doubles révolutions qui se chevauchent (en Russie par exemple). Il s'agit alors d'empêcher qu'une couche monopolise la révolution, ne lui fixe une hauteur, avant que tout n'ait été bouleversé.


     Théoriser la révolution permanente revient encore à faire référence-révérence au schéma russe. La révolution est isolée dans un pays et il faut lutter pour la généraliser. Or, si elle veut indiquer le caractère international c'est une tautologie, la révolution par définition est internationale et, d'autre part, la maturité de la révolution prolétarienne, son caractère amènera une diminution des risques de révolution isolée, d'une révolution commençant dans un cadre strictement national.


     En outre la proposition d'une telle révolution impliquait de définir correctement les limites de la lutte et les forces des protagonistes, à quelles conditions cette révolution pouvait rester permanente. Or, la théorie de Trotsky a la même base que celle de Lénine : avec la guerre de 14, on a le cycle des révolutions qui s'est ouvert ; on peut avoir des reculs mais, dans tous les cas, l'ensemble est situé dans une perspective ascendante. Les analyses de Trotsky pour la période de 1928-1940 sont marquées par cette perspective : il y a permanence d'un fait révolutionnaire et la conviction qu'une reprise est toujours possible. Cela le conduisit à ne pas voir l'installation de la contre-révolution et à ne pas comprendre le caractère de la seconde guerre mondiale : deuxième attaque au prolétariat mondial. D'où sa dénonciation du fascisme et du stalinisme sans arriver à comprendre leur portée catastrophique pour le mouvement prolétarien (il fut surtout incapable de comprendre le stalinisme) : avec leur triomphe finissait une période du mouvement ouvrier.



     La difficulté n'était pas de déterminer la limite supérieure, le communisme, mais de définir les forces réelles et les phases parcourues (ou à parcourir).





Décembre 1972







     La nécessité de conduire une révolution bourgeoise à la façon prolétarienne devait retentir sur la conception même du parti. Pour Lénine le parti n'est pas la classe érigée en parti, c'est une organisation qui doit activer un procès révolutionnaire (comme le firent les « prolétaires » au cours de la révolution française – cf. 1974 – comme le note Marx dans son article contre Heinzen) et il a un certain aspect institutionnel. C'est l'institution qui doit permettre l'union des prolétaires et des paysans pauvres qui se mettent sur le terrain de la révolution. Dès 1905, il est déjà conçu plus ou moins consciemment pour le rôle qui lui sera dévolu en 1918 : unir les deux classes et gérer le capitalisme.


     Autrement dit la communauté paysanne ne pouvait plus – par suite de sa faiblesse propre et par suite de la politique des bolcheviks vis-à-vis de la paysannerie – imposer une forme communautaire, le prolétariat parvenait tout juste, sur les bases de la société russe, à imposer la sienne. Le parti bolchevik fut comme un élément médiateur entre deux manifestations et comme tout médiateur, il devint cause de tous les faits nationaux et internationaux – despote des deux éléments qu'il reliait.