DIVAGATION

 

 

 

 

 

Si dieu avait eu la certitude, la nécessité de créer l’homme à son image afin d’être adoré, reconnu, n’aurait pas émané en lui.

Si hommes et femmes avaient la certitude, ils, elles, n’éprouveraient pas le besoin de créer d’autres êtres vivants et de se modifier dans le but de s’améliorer, de s’achever, dynamique qui peut constituer le prologue à leur anéantissement.

 

 

 

 

J’ai adopté ce mot  pour le titre de l’exposé qui suit, en tenant compte du sens ancien de divaguer signifiant d’après le Dictionnaire historique de la langue française «errer en s’éloignant», avec la précision suivante: «Il a perdu le sens concret "errer ça et là", usuel en sens classique, mais on parle encore d’une rivière ou d’un chemin qui divague.» En revanche je ne prends pas en compte un sens dérivé de: «Penser, parler sans sujet précis ne pas raisonner correctement» (Petit Robert), car ce serait charger indûment les diverses personnes dont j’aborde le discours scientifique, car on peut errer tout en raisonnant correctement. J’avais pensé utiliser déviation  car le verbe dévier recèle lui aussi l’idée d’errer, avec peut être de façon plus insistante celle de l’abandon d’un  parcours, d’une direction  donnée, mais aussi celle de détourner. D’ailleurs détournement s’est également imposé à moi mais, à mon avis celui-ci fait partie de l’errance, phénomène englobant, de même que les Holzwege de M. Heidegger[1] sont supports de celle-ci. Enfin j’ai choisi divagation parce que cela permet d’évoquer la dimension paléontologique et géologique du phénomène dont il est question et parce que l’émergence de Homo Gemeinwesen corrélative à la dissolution de Homos sapiens et donc à la fin d’une errance, s’imposera avec l’ampleur d’un phénomène géologique.

 

Ce texte a une visée apotropaïque: se protéger des discours scientifiques, philosophiques, etc., qui pourraient,' éventuellement, par leurs divagations nous submerger. Car, même si nous ne les lisons pas ils exercent une influence sur ce monde et, indirectement sur nous.

 

La présentation de la sexualité que nous avons exposée ne tenait pas compte des derniers développements scientifiques. À partir de ceux-ci on constate que la sexualité est à la fois niée et universalisée, sous le nom de sexe, à presque toute l’activité biologique. J’ai, grâce à une amie, pris connaissance de ces nouveautés en lisant  le livre Aux origines de la sexualité, Ed. Fayard, 2009. Sur la couverture du livre se trouve une photographie d’un tableau représentant Adam et Ève et la pomme. Curieux que pour aborder un phénomène qui concerne la majorité des êtres vivants les auteurs du livre fassent appel à une fable n’ayant eu sa diffusion qu’au sein d’une population de l’humanité (en quoi cela peut-il concerner les autres êtres vivants?) tout de même limitée. En outre on peut se demander s’ils partagent le sentiment de culpabilité que celle-ci véhicule.[2]

 

Dés l’introduction générale de Alexandrine Civard-Racinais et Pierre-Henri Gouyon, ce n’est pas de la sexualité qu’il s’agit mais du sexe

 

«Le sexe n’est pas tout dans la vie d’un homme et pourtant que serait la vie sans sexe? Si le sexe n’est pas toute la vie, peut-être ne sera-t-il bientôt plus indispensable à l’émergence de la vie humaine. [3]» p. 10

 

Le sexe fut un terme lancé et de plus en plus employé par les jeunes surtout après Mai 1968. Il désignait en fait les pratiques sexuelles, c’était un raccourci qui permettait de les évoquer[4]. La sexualité apparaissait comme l’aptitude et même l’art d’utiliser le sexe. Elle n’était qu’un mode d’emploi. D’où l’impérialisme du sexe et l’évanescence de l’affectivité profonde qu’implique la pratique sexuelle. Ce qui s’impose donc c’est le raccourci, la réduction très bien exprimée dans la langue. Le mot sexe est rarement déterminé, qualifié. Il devient le plus souvent le point d’appui d’une métonymie. Ainsi il arrive fréquemment qu’en parlant d’une femme il soit affirmé: elle a les qualités (ou les défauts) de son sexe, et non du sexe femelle. Curieusement l’appartenance était transformée en possession, fondement d’une confusion: son sexe pouvant désigner sa vulve. De même les expressions: le sexe faible, le beau sexe (où le mot sexe est qualifié) sont des expressions débiles. N’a-t-on pas là la manifestation d’une échappée à un interdit: le sexe qu’il ne faut pas voir, est constamment exhibé dans le discours. C’est peut-être la raison pour laquelle le sexe est support de profération d’insultes. Un tel est traité de con, ou une telle est traitée de conne, ou dans un redoublement qui signale la confusion sous-jacente: il est con comme une bite. Devant l’écoulement d’un tel délire il est bon de rappeler qu’on n’est pas un sexe, mais un être sexué et que l’on possède un sexe.

 

Revenons à la citation et notons que l’évanescence des sexes fait qu’il est question de l’homme  mais pas de la femme. En outre cela nous laisse en suspens car il est affirmé que le sexe va disparaître mais on ne nous dit pas s’il n’y aura plus d’êtres sexués, ni que sera la vie alors! Et là j’utilise ce mot de la même façon indéfinie, floue, que les auteurs de la citation reportée plus haut, en visant le procès biologique et le vécu de chacun d’entre nous.

 

Mas qu’est-ce que le sexe pour eux? Je vais essayer d’atteindre ce qu’ils désignent par là à travers diverses citations.

 

« Dans une large majorité des espèces, il (le mâle, n.d.r) ne contribue en rien à la croissance du descendant. Sa seule participation se limite au fait d’installer ses gènes dans l’œuf (que le lecteur me pardonne d’interrompre la citation pour signaler que cela m’évoque un grave sans gène, auparavant attribué aux femmes: cf. Madame Sans gène, n.d.r). De ce point de vue, il peut être considéré  comme un simple parasite. De fait, chez tous les organismes, plantes comprises, le sexe peut être perdu. Avant Dolly, on n’avait jamais observé ce phénomène chez les mammifères, mais maintenant… » p. 11.

 

Ces quelques lignes révèlent une absence de rigueur, une déformation des faits et une sélection des phénomènes. On constate qu’il y a effectivement disparition du sexe mâle chez certains animaux (ainsi chez Chemidophorus uniparens, espèce de lézard), mais pas du sexe. On connaissait ce phénomène déjà depuis longtemps avec la parthénogenèse des rotifères par exemple. La présence non exclusive de celle-ci chez d’autres espèces, surtout chez les arthropodes, devrait être étudiée en fonction du procès de vie de chacune d’entre elles. Mais les auteurs ne signalent pas qu’il existe également chez les végétaux des cas d’androgenèse, comme ils ne signalent pas que chez certaines espèces c’est le mâle qui s’occupe fondamentalement de la progéniture (crapaud accoucheur, hippocampe) et que chez les oiseaux beaucoup de mâles ont une rôle déterminant. Il est vrai que ces omissions sont inclues dans l’affirmation dans la grande majorité des espèces. Et là on peut discuter sur que désigne cette majorité ? Le cas de Dolly n’a pas été observé chez les mammifères car cette brebis résulte d’une manipulation humaine. En ce qui concerne les hommes l’affirmation de la disparition possible du chromosome Y a soulevé des polémiques il y a quelque temps.[5]

 

«D’autre part, le sexe peut ou non être lié à la reproduction, la reproduction sexuée n’est jamais qu’une des modalités du sexe dans la nature (peut-il y en avoir une en dehors d'elle? n.d.r). Chez les unicellulaires, le sexe, au sens d’échange génétique (c’est moi qui souligne, n.d.r) entre deux individus, est découplé de la division. Il y a un temps pour le sexe, un autre pour la reproduction.» p. 11 Cela évoque la séparation ancienne où la sexualité désignait en fait l’acte sexuel lui-même générateur de jouissance et la procréation. Il semble que la visée scientifique est de fonder cette séparation en lui donnant une universalité et ultérieurement d’éliminer la sexualité "diluée" dans une diversité de procès d’échanges. Le procès de vie de l’espèce est ramené à un procès économique (un ensemble d’échanges) et intégré dans une combinatoire qui englobe la combinatoire sexuelle qui apparaît dés lors très rétrograde[6].

 

«Dés les premiers soubresauts de ce qui deviendra la vie, le sexe apparaît indépendamment de la reproduction. Au début de la vie, les organismes vivants échangent des informations génétiques. Point d’individu, de choix, de consentement, de morale dans cet échange débridé. (…) Peu à peu, les échanges de matière et d’information font l’objet d’une régulation jusqu’à aboutir à ce que l’on nomme aujourd’hui le sexe.» p. 11

 

Je ne comprends pas ce que peuvent être les premiers soubresauts de ce qui deviendra la vie. En revanche nous apprenons que le sexe se manifeste avant que n’advienne la vie, et qu’il consiste en un ensemble d’informations génétiques. Toutefois ceci concerne son apparition car on nous dit ensuite qu’il résulte d’une régulation des échanges de matière et d’information. On est en présence d’une terminologie peu rigoureuse: ainsi il ne s’agit pas d’"informations génétiques" mais d’informations géniques c’est-à-dire portées par des gènes qui n’interviennent pas dans un processus de genèse d’une être vivant mais sont nécessaires aux êtres qui "échangent".

 

Mais aux origines de la vie, lors de la fameuse "soupe primitive" il n’y a pas d’organismes, le phénomène vie est un continuum. D’autre part comment les êtres vivants auraient-ils pu accomplir leur procès de vie s’ils avaient été infestés par la spéciose d’Homo sapiens? Cet anthropocentrisme qui dégénère en un "actualocentrisme" – et donc en une amplification de la répression et du despotisme - laisse supposer que si hommes et femmes avaient été là, dés l’origine, on aurait eu une morale donc, selon moi, une répression.

 

La continuité qui était immédiate lors de l’émergence de la vie, se maintient encore de nos jours grâce aux bactéries, aux diverses sortes de virus, aux viroïdes, aux mycoplasmes, etc., faisant du phénomène vie un tout dont Homo sapiens essaie violemment de s’extraire.

 

«Qu’y a-t-il de commun entre notre sexualité (en fonction de leur généralisation ils devraient dire, ce me semble, notre sexe, n.d.r) et celle des autres organismes vivants, plantes, algues, animaux. Et d’abord combien y a-t-il de sexes? Un, deux, trois…? (Donc, il y a le sexe et des sexes, n.d.r) Les mâles sont-ils parasites des femelles? Et si oui, pourquoi celles-ci acceptent-elles de se laisser parasiter? (D’après certains théoriciens elles accepteraient également, en ce qui concerne les mammifères, de se laisser parasiter par l’embryon, puis par le fœtus, mâle aussi bien que femelle n.d.r). En d’autres termes, pourquoi la reproduction sexuée s’est-elle maintenue en dépit d’un coût indéniable?» p. 12

 

Et de nouveau s’impose l’argument économique, l’argument d’Homo sapiens qui ne peut pas admettre un tel gaspillage. Supprimez les mâles et la productivité des êtres vivants s’accroîtra. On peut faire l’économie d’un sexe. Mais si celui-ci disparaît peut-on encore parler de sexe?

 

Ensuite il y a une incursion socio-psychologique qui se conclue: «Si l’être humain n’est pas le seul animal capable de fabriquer  des artéfacts avec lesquels il lui est possible d’entretenir des relations sexuelles, il peut être caractérisé comme cet animal susceptible d’avoir des relations sexuelles avec virtuellement n’importe quoi. Dans le but avoué de se divertir avant que de songer à se reproduire.» p. 13

 

Le discours d’un être autonomisé, séparé, prend ici une grande ampleur. Il doit se divertir c’est-à-dire au premier niveau s’amuser, prendre du plaisir car rien dans la réalité ne lui donne une satisfaction de vie. Si faire l’amour est un divertissement cela implique qu’on recouvre pour ne pas percevoir la solitude générée par l’autonomisation et qu’on se détourne de la nature, qu’on se sépare, qu’on est différent. Le mot divertir selon Le dictionnaire historique de la langue française contient tous ces sens même s’ils s’imposent moins de nos jours. Distraire selon le même dictionnaire a aussi le sens de se détourner, de s’écarter de et, ce qui est très significatif de l’être spéciosé, d’être piégé par le temps: faire passer le temps agréablement. Plutôt que de société du spectacle mieux vaudrait probablement parler de société du divertissement, c’est plus cohérent avec le détournement. La virtualité offre le possible d’un divertissement total, du fait de la séparation achevée. En outre se reproduire apparaît comme la réalisation d’un devoir. Pensez à la mère, ou au père, qui dit à son enfant: "faudra songer à faire tes devoirs"! Comme si avoir un enfant ne procurait pas une joie et une jouissance infinies. Le divertissement implique la négation de quelque chose, la jouissance l’affirmation de soi-même.

 

Enfin une donnée médicale: «En faisant l’amour ou en donnant la vie, un individu peut désormais semer la mort et la désolation. Pour la première fois  dans l’histoire de la sexualité humaine, Éros et Thanatos ont partie liée». p.13 Ce n’est pas nouveau puisque les maladies vénériennes ne datent pas d’aujourd’hui et la syphilis a causé bien des morts. Le lien entre l’amour et la mort a été même représenté par des peintres et évoqué en littérature. Ce n’est même pas une découverte freudienne.

 

Dans Origines de la vie et sexualité chapitre écrit par Marie-Christine Maurel, on lit en exergue «Bien que la sexualité et les différences sexuelles n’existent certainement pas à l’origine de la vie, il n’en reste pas moins possible que les instincts qui, à une phase ultérieure, deviennent sexuels, aient existé depuis le début». Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir. Mais ces instincts quels supports avaient-ils? Il semble qu’ici celui-ci exprime le regret de ne pas avoir été toujours là alors, pour se pérenniser, il pérennise les instincts. C’est une forme d’actualocentrisme, qu’on peut apparenter à un narcissisme: se voir même là où l’on n’est pas.

 

Après des considérations rapides sur le rapport entre origines de la vie et notre origine, elle aborde l’étymologie du mot sexe. « Le mot sexus qui signifie "sexe", proviendrait du latin secare, "couper, diviser". Cette racine indique la séparation des sexes, caractéristique première et principale de la sexualité.» p. 16

 

À mon avis l’étymologie nous indique que l’existence des sexes dérive de la mise en place d’un procès de séparation; la formulation de l’auteur laisse entendre que les sexes préexistaient à la séparation. D’ailleurs, plus loin dans le même article, on trouve la formulation: chez lesquelles les sexes n’étaient pas séparés. Or ceci a une importance capitale car dés le début le concept de sexe ne se rapporte pas en totalité à une donnée naturelle, mais dérive d’une production idéologique visant à légaliser une séparation advenue, qui est justifiée par la différence naturelle entre le sexe de la femme et celui de l’homme. Séparation qui entraîne l’imposition de rôles différents à l’une et à l’autre. La théorisation actuelle du genre ne fait que parachever l’idéologisation nécessaire à cause de la mise en place de façon encore plus puissante d’une fragmentation, commencée avec celle de la communauté, touchant tous les moments du procès de vie et les productions induites par le mode de vie spéciosé: homosexualité, transsexualité, par exemple. Toutes les ambiguïtés, les distorsions, les incohérences et même les irrationalités qui se sont imposées lors du vécu de la sexualité au cours des âges, sont déjà incluses dans l’inadéquation des termes sexualité et sexe pour désigner la fonction d’engendrement (plutôt que de reproduction) et de mise en continuité.

 

Dans cette étymologie du mot sexe, comme dans le ressenti des êtres ontosés, se loge une certaine irrationalité: on est séparé et l’on doit s’unir.

 

En ce qui concerne l’origine de la sexualité elle nous indique: «La sexualité en était alors au stade du cannibalisme primitif (un stade oral comme pourrait l’affirmer S. Freud, n.d.r), les espèces se regroupant, se couplant et se dévorant pour assurer leur survie.» p. 20. Et dans un sous-titre elle affirme: «Chercher en dehors de soi les éléments nécessaires à la survie "génétique". (p. 20) Nous avons là une extension de la sexualité (du sexe) qui en vient à être un mécanisme de survie et, ici encore, je pense que génique serait mieux à sa place que génétique car il ne s’agit plus uniquement de reproduction. Enfin, on constate que selon elle, les êtres vivants comme les hommes et les femmes ne sont pas dans la vie mais dans la survie[7].

 

Pour moi c’est la confusion: «La parthénogenèse, le cannibalisme, l’accolement, la séparation, la symbiose, en introduisant l’intervention et/ou la présence d’un autre, différent et distinct, sont les expressions contemporaines d’une sexualité archaïque fondée sur le renouvellement de la matière première constitutive des entités originelles chez lesquelles les sexes n’étaient pas séparés». p. 26. À travers l’énonciation d’une indifférenciation, d’un chaos originel affleure une pensée encore religieuse: la nécessité d’organiser et, quand l’organisation produite se révèle insuffisante, l’homme doit intervenir pour créer une autre modalité de vie. Mais quand est-ce que des sexes (en fait des êtres sexués) ne sont pas séparés, si ce n’est dans l’accouplement! Cette phrase nécessiterait beaucoup d’autres commentaires tellement elle est étrange. Ainsi le renouvellement de la matière première constitutive constituerait l’essence d’une sexualité archaïque mais qu’en est-il maintenant pour nous qui devons aussi opérer un processus de renouvellement?

 

Dans le chapitre, L’eucaryote: un organisme symbiotique, Bernard Godelle, la représentation combinatoire apparaît de façon plus nette: «La sexualité –définie comme la combinaison d’informations génétiques différentes dans un organisme…» p. 28 On sent parfaitement la généralisation qui s’opère à partir du moment où il y a escamotage des êtres sexués et celle  de l’union des noyaux. En outre la sexualité opère en n’importe quel lieu de l’organisme. Les sexes ne sont plus nécessaires. C’est peut-être pour cela que par réminiscence il est question de sexe. En effet il peut y avoir combinaison d’informations génétiques entre l’hote et le virus qui a pénétré en lui ce qui est conçu comme une forme de sexualité.

 

«Assez curieusement, la notion même de "sexe", au sens de genre (mâle ou femelle), n’est donc que partiellement corrélée à la sexualité. Si certaines espèces, comme la nôtre, comportent des mâles et des femelles faisant du sexe ensemble (curieux cela implique que des genres font du sexe), une espèce comme la levure peut se passer de sexe…». p. 34. Evidemment puisque la sexualité a été diluée dans un réseau d’échanges de gènes. En outre, il est certain que la sexualité apparaît avant les sexes (mâle et femelle) ce qui est lié également à la formation d’organismes pluricellulaires, ce qui va induire des comportements et le développement d’un psychisme de plus en plus important.

 

On a une mise à plat des phénomènes qui sont dés lors considérés comme dans une synchronie ce qui permet de tout faire coexister, en même temps les conditions de milieu sont totalement escamotées. À l’origine la sexualité apparaît comme une réaction à l’existence de conditions de vie défavorables, comme cela s’impose encore de nos jours chez des organismes haploïdes. Ceci est quelque peu évoqué dans le livre: « (…) et la sexualité n’est donc que très sporadique (limitée à la production d’œufs de résistance à la saison froide).» p. 36 Ou bien à la page suivante: « (…) chez nombre d’eucaryotes unicellulaires, la sexualité est souvent synchronisée avec des variations des quantités de ressources dans le milieu;». Aussi on peut se demander si l’humanité perd sa sexualité pourra-t-elle survivre à des phases où les conditions de vie deviendraient vraiment défavorables? Mais il se peut que les scientifiques aient déjà prévu cela et nous réservent un avenir surprenant.

 

La sexualité telle qu’elle s’effectue naturellement est ramenée à une simple transmission verticale. «(…) la transmission verticale, fidèle de l’information et de son réarrangement» qui constitue «la substance même de la sexualité». p. 45 Ceci est affirmé dans le sous-chapitre: Sexualité sans sexes et sexes sans sexualité. Pendant des millions d’années probablement il y eut effectivement sexualité sans sexes car ces organes sont apparus ultérieurement à l’instauration de la sexualité car il faut que simultanément apparaissent des êtres vivants porteurs de sexes différents, des êtres sexués. En ce qui concerne les sexes sans sexualité on l’a observé depuis longtemps avec la parthénogenèse et l’androgenèse. Mais dans tous les cas ces phénomènes ne peuvent s’expliquer qu’en tenant compte d’une sexualité initiale, antérieure.

 

Mais en fait on voit apparaître ce qui a été ajouté à la sexualité sensu stricto, selon le concept ancien, et nommé dans l’article sexualité standard, ce sont les mécanismes de transmission de gènes dans le sens horizontal et qui interviennent dans le devenir de l’être reproduit et non dans sa reproduction qui implique qu’il peut y avoir hérédité de caractères acquis. Ils sont connus depuis longtemps mais initialement négligés ou non acceptés par la majorité des scientifiques. Ainsi dans les années 1970 l’affirmation de P.P. Grassé  au sujet de la transmission grâce à des virus de l’œil camérulaire des mollusques aux vertébrés fut vivement rejetée

 

Dans le chapitre suivant, Des organismes chimériques: le sexe "lent" des eucaryotes de Marc-André Selosse, nous trouvons des compléments d’information sur le sexe. Remarquons d’abord que le même type d’être vivant a été appelé organisme symbiotique dans le chapitre précédent et qu’il est qualifié ici de chimérique. C’est un changement très important, car dans une chimère on voit bien les animaux qui la composent, par exemple chèvre, serpent, etc., mais dans le cas de la cellule eucaryote ce n’est pas le cas sauf pour les mitochondries et les chloroplastes pour qui l’origine bactérienne et cyanophycéenne s’est rapidement imposée. En revanche dans le noyau résultant d’une symbiose (on peut penser la même chose pour la formation de l’ADN) de divers êtres ce n’est que grâce aux gènes qu’on peut comprendre d’où ils proviennent.[8] Qu’on ait retrouvé des gènes d’archéobactéries n’a rien de surprenant de même qu’on peut trouver dans le génome de Homo sapiens des gènes qui témoignent de ses ancêtres. Ce changement témoigne de l’emprise de l’anthropocentrisme[9] et de la pensée sous-jacente de la supériorité de l’homme.

 

Ceci dit venons-en au sexe "lent" (terminologie bizarre: est-ce que cela implique l’existence d’un sexe "rapide"? Il ne semble pas puisqu’il est parlé de sexe par méiose et fécondation. Mais cette caractéristique n’est pas une invention de ma part puisque il sera question de rythme frénétique de l’alternance méiose/fécondation chez les eucaryotes p.64): «Le chapitre précédent a abordé la question de la sexualité "régulière" (ailleurs on a cyclique, standard, n.d.r)  des eucaryotes faite d’une alternance de méiose (créant de nouveaux génomes haploïdes) et de fécondation (créant de nouveaux génomes diploïdes). Cette forme de sexe est entièrement liée à la reproduction …» p. 46. Donc je me répète la sexualité est un cas particulier du sexe  en rapport d’ailleurs avec l’escamotage du fait que la sexualité est fondamentalement l’union de deux noyaux (fécondation) qui ne doivent posséder qu’un nombre haploïde de chromosomes; d’où la nécessité de la méiose ou réduction chromatique, c’est-à-dire du nombre de chromosomes sinon le nombre de ceux-ci deviendrait énorme.

 

Le sexe comprend la sexualité (souvent désignée aussi sexe) et le sexe "lent" «Des gènes peuvent être acquis  séparément ou bien sous forme de génomes entiers incorporés en endosymbiose. Ce sexe qui renouvelle en partie le génome de temps à autre, est un "sexe lent"» p.64.

 

Selon moi ce qui est mis dans le "sexe lent" c’est un ensemble de phénomènes qui ont permis l’édification des organismes et tout d’abord des cellules. Il est évident qu’avant que des êtres puissent se reproduire il faut qu’ils se soient constitués. Mais le phénomène d’acquisition de gènes de la part d’individus constitués se poursuit, comme on l’a déjà indiqué, encore de nos jours et j’y insiste cela implique une transmission des caractères acquis

 

Richard E. Michod dans Coopération et conflit: des molécules aux sociétés aborde la question du paradoxe du sexe. «L’ensemble du monde vivant se préoccupe de sexe. Même les simples virus  ou bactéries (curieux ce ou qui peut se lire conjonctif ou disjonctif, support de confusion, n.d.r) s’en donnent à cœur joie (la langue permet décidément d’attribuer n’importe quoi à n’importe qui, confusion encore, n.d.r). Bien des beautés de la nature viennent du sexe (…) Pourtant bien que le sexe soit important il s’agit d’une étrange façon de se reproduire. La reproduction sexuée nécessite deux pour faire un, ce qui ne représente pas un moyen très efficace de s’y prendre. p. 84. Si l’on tient compte du sens littéral de reproduction ceci présente une certaine validité, mais il se glisse une réduction car avec deux il peut être fait plus de un à la fois, comme le prouvent les chats, les chiens, les porcs, etc. L’auteur poursuit: «Si vous deviez concevoir le monde intelligemment, sans doute vous vous contenteriez de cloner ou de dupliquer les femelles. En tout cas, vous vous garderiez bien d’introduire dans vos plans un processus aussi inefficace que le sexe.» p. 84 Mais dans ce cas s’agit-il de sexe ou de sexualité? Quoi qu’il en soit on nous assène l’affirmation de la supériorité de Homos sapiens.

 

Pourtant la reproduction sexuée est en même temps un processus de multiplication de l’espèce. En ce qui concerne la nôtre, quoi qu’en dise l’auteur, elle est très efficace comme on peut le constater avec la surpopulation qui ne date pas d’hier et au fait qu’elle a envahi et contaminé tout le globe. Sur ce revenons aux développements de l’auteur.

 

«Mais d’abord qu’est-ce que le sexe? Le sexe est recombinaison et croisement. La combinaison se rapporte à l’échange d’information génétique entre deux génomes homologues (généralement par cassure et échange  [ce qui était décrit sous le nom de crossing-over ou enjambement, n.d.r]), et le croisement  renvoie au fait que les chromosomes participant à la recombinaison  proviennent de deux individus différents (…) le sexe est très coûteux: en, témoignent le paon exhibant sa queue, la ramure portée par le cerf ou encore les joutes entre deux phoques mâles. (…) Les parasites, qui tirent parti des contacts intimes pour se transmettre d’un partenaire à l’autre, sont un autre coût[10]. À quoi s’ajoutent les coûts génétiques: en intégrant une cellule du mâle, la femelle se prive d’une partie de sa représentation génétique, qui ne sera pas transmise à sa descendance. (…) En sus des coûts liés à l’accouplement et à la réduction de la représentation génétique, il faut compter le coût des mâles. (…) En général, ils n’apportent aucune contribution à la descendance et se contentent de reproduire leurs gènes. Les mâles humains, ainsi que ceux de certaines espèces d’oiseaux, d’insectes et de quelques poissons, font figure d’exceptions dans la nature dans la mesure où ils s’occupent de leur progéniture.» p. 86. On voit reparaître l’idée du parasitisme mâle ainsi que s’épanouir le discours économiste qui permet de justifier la présentation théorique en même temps que celle-ci justifie ce monde en place dominé par les préjugés économiques. Dans une certaine mesure le procès de vie lui-même en son déroulement est un coût.

 

Et voici en quoi consiste le paradoxe: «Le sexe est commun, pourtant  nous ne comprenons pas bien ses bénéfices ni la manière dont ils compensent des coûts évidents. C’est là tout son paradoxe.» p. 86 Le sexe est un paradoxe par rapport à une rationalité économique. Probablement qu’il devra être traité logiquement afin de découvrir la doxa scientifique qui s’impose! Cela présage également une foule de manipulations pour la  mettre en accord avec la réalité.

 

L’analyse de ces quelques chapitres de Aux origines de la sexualité est suffisante parce que ce sont ceux qui concernent réellement en quoi consiste la sexualité et ses origines et en quoi consiste le sexe[11]. La consécration de ce mot, de ce concept, est également celle de la séparation et l’on pourrait remplacer le "sexe" par "le séparé". La tendance générale de l’investigation théorique est de mettre en évidence une disparition des sexes (c’est trop coûteux). Du fait qu’hommes et femmes vivront encore dans la séparation, ce sera le triomphe du sexe, dénotant le souvenir tronqué de ce qui fut. Mais la guerre entre les uns et les autres sera-t-elle éliminée? C’est peut-être souhaité (ne serait-ce qu’à cause du coût de celle-ci!), ce qui induit à penser que le désir d’abolir les sexes serait peut-être celui d’abolir la séparation et, à partir de là, le conflit, la guerre. Ce triomphe est celui de l’Un et le rejet de la dyade; c’est celui d’un fantasme qu’on voit s’affirmer chez beaucoup de philosophes dont Parménide est l’exemple emblématique, et chez les tenants des religions monothéistes, mais aussi de divers penseurs spiritualistes particulièrement orientaux, c’est l’abolition rêvée de l’autre, de l’étranger, et la victoire de l’unique et du séparé. Mais le retour de l’aboli, du refoulé peut advenir, car l’unique aura besoin d’être reconnu, d’où son immense désir de création d’êtres à sa ressemblance; création permettant aussi de recouvrir et de se divertir.

La relation entre l'Un et la séparation éclate également dans la théorisation de l'émanation à laquelle on peut trouver un fondement biologique: le bourgeonnement. Des levures de bière (champignons microscopiques), par exemple, placées dans de bonnes conditions biotiques bourgeonnent, c'est-à-dire forment des  excroissances  (par un phénomène d'évagination) qui peuvent se détacher d'elles, émaner d'elles. Toutefois dans certains cas les bourgeons peuvent à leur tour bourgeonner sans se séparer, du moins momentanément. On assiste alors à des émanations successives

Cette analyse et ce relevé d’informations sont suffisants pour se représenter ce que est visé dans le discours scientifique et la pratique qui lui correspond au sujet de la sexualité. S’impose à nous maintenant la nécessité d’indiquer ce qui les sous-tend. Nous nous limiterons à des affirmations et nous renvoyons à plus tard la rédaction des développements nécessaires à leur explicitation, qui, pour certaines, a déjà été entreprise ailleurs

 

La dissolution en acte de l’espèce corrélative à la fuite éperdue hors de la nature pour s’édifier à travers la mécanique, l’informatique, la cybernétique, la biologie, etc., et parvenir à la réalisation d’un être achevé et inaffectable

 

Le refus du devenir naturel et donc le refus de soi de l’espèce nourrissant sa haine de soi, postule l’élimination de la capacité génésique de la femme ainsi que de tous les phénomènes biologiques qui furent considérés comme supports de sa puissance, comme les menstrues (cf. la pilule qui les abolit), et l’exaltation de la créativité, qui n’est pas un faire avec la nature, un non agir taoïste. Comme on l’a déjà signalé, la dynamique jusqu’auboutiste de ce refus conduit à la néantisation, réalisant ce que l‘espèce a toujours voulu conjurer: la menace d’extinction provenant du devenir de la nature à un moment donné (peut-être réitéré à divers intervalles). Mais cette nature est souvent représentée comme faible, peu fiable, insuffisante, cruelle; et cette faiblesse est similaire à celle de dieu qui s’impose contemporainement. L’évanescence de la nature s’accompagne de celle de la sur-nature, d’où la volonté de leur substituer un "organisme" artificiel.

 

La peur des mères à qui on fait porter la part d’horreur due à un accouchement ontosé, lui-même déterminé par un vécu similaire des hommes et des femmes; celle de la coupure de la continuité effectuée d’abord par les mères qu’il faut paradoxalement pousser à bout, parachever pour se poser hors de toute atteinte. Cette peur des mères conduit à vouloir supprimer la reproduction naturelle et en même temps priver les femmes de leur puissance génératrice ce qui implique que même avec la fin du patriarcat la question de la sexualité n’est pas réglée.

 

L’insistance dans l’affirmation du parasitisme des mâles est une expression de cette fin du patriarcat et celle d’une culpabilité inconsciente liée à l’horrible domination imposée aux femmes.

 

En fonction de ce qui est affirmé dans la présentation: «(…) il (l’homme, n.d.r) peut être caractérisé comme cet animal susceptible d’avoir des relations sexuelles avec virtuellement n’importe quoi», et réaffirmé dans le chapitre, La sexualité humaine est-elle (encore) animale? rédigé par Dominique Lestel: «L’humain peut-être caractérisé comme cet animal, susceptible d’avoir des relations sexuelles avec virtuellement n’importe quoi».(p. 404), on peut avancer la thèse que ceci est un indice profond de l’évanescence du phénomène valeur car c’est l’affirmation d’une indistinction où la valorisation s’abolit. Le n’importe quoi a même conséquence que le tout est possible. Cette sortie du domaine de la valeur n’est pas concomitante avec celle de la répression qui s’exprime désormais à travers la combinatoire, qui est une autre manifestation de la fin de la valeur. Combinatoire et virtualité sont liées et la répression devient destruction de la nature et de l’espèce. Donc si la sexualité humaine n’est plus animale, l’homme, la femme ne sont plus des animaux, à la limite des êtres vivants, en conséquence la répression en viendrait à s’abolir.

 

La fin du recouvrement avec la mort du capital dont l’implantation a permis de réaliser un projet de l’espèce: la sortie de la nature mais qui a abouti à la destruction de celle-ci et l’obsolescence de l’homme et de la femme.

 

Le triomphe de la pensée économiste qui se préoccupe avant tout des coûts et de la productivité et qui va devenir de plus en plus avec la virtualisation une pensée numérisée. En fonction des coûts les savants nous ont démontré que les mâles étaient des parasites et que les femelles devraient s’en passer. Mais à ce compte là, comme l’ont déjà noté divers économistes, les enfants eux-mêmes représentent des coûts élevés qu’il faudrait réduire. Le délire peut aller jusqu’à imaginer une disparition de ceux-ci et une éternisation des femmes; les hommes ayant disparu du fait de leur nocivité et inutilité.

 

La pensée économiste est apparente également dans l’insistance à envisager les phénomènes vitaux comme résultant d’échanges et tout être vivant est considéré comme un support pour la réalisation de ceux-ci. En dernière analyse ce qui s’échange ce sont des gènes. Mais lors de la transmission verticale (la sexualité) il n’y pas échange mais don, de spermatozoïdes, d’ovocyte II, porteurs de gènes. En ce qui concerne celle horizontale, on a en fait des transferts de particules d’ADN ou d’ARN selon différentes modalités, permettant un renforcement pour les organismes qui en profitent, et devenant le support d’une hérédité des caractères acquis, comme nous l’avons déjà signalé.

 

La recherche scientifique opère à partir de la négation d’une évidence qui est support d’un doute. C’est pour surmonter celui-ci qu’elle se déploie, mais elle ne peut pas le faire à partir de l’immédiateté, de la concrétude que les scientifiques nient, comme ils nient l’affectivité. D’où par exemple l’affirmation suivante: «Aussi la raison pour laquelle les femelles se soucient des mâles demeure-t-elle un mystère.» p 86 C’est le mystère de l’affectivité qui est en fait une évidence.

 

Un des fondements du surgissement de la science fut le désir de créer un monde sans femmes. La fin du patriarcat et le résultat des recherches scientifiques aboutissent en revanche à la perspective de réalisation d’un monde sans hommes. Cela apparaît immédiatement contradictoire mais on peut trouver un élément de cohérence car, dans les deux cas, s’impose le triomphe de l’Un qui ne peut pas être affecté par un autre (donc plus de menace).

 

La science a été vécue comme une entreprise de libération. Elle est maintenant celle de la répression et du despotisme, de l’autonomisation visant à éliminer toute affectation. Et ceci a opéré indépendamment de la volonté des hommes et des femmes. Le refus de la nature, de la naturalité ne pouvait, du fait de la spéciose et du mécanisme infernal qui lui est lié, que déboucher dans l’édification d’un "organisme", où les scientifiques jouent un  rôle déterminant, artificiel, répressif, dictatorial. Je ne peux pas dire comme A. Bordiga À bas la science puisque celle-ci est une entité souvent hypostasiée, ni la remplacer, dans la volonté de suppression, par les scientifiques car ce serait encore entériner la lutte, la guerre, mais je pense qu’il est nécessaire de bien montrer le caractère répressif de l’entreprise scientifique, et que c’est à partir de l’immédiateté, de la concrétude, de l’affectivité, donc de notre naturalité que nous pouvons contribuer à faire advenir un monde où l’affectivité, l’amour et donc la continuité seront substances de nos vies.

 

 

CAMATTE   Jacques

2010

 

 



[1] Cf. la note 13 de Précisions après le temps passé.

 


[2] On peut d’autant plus se le demander que ce livre contient un chapitre:Le sexe des anges. Pourquoi ? de Jacques Arnould.

 


[3] Le numéro Spécial de septembre 1989 de la revue La Recherche  fut consacré à la sexualité. La première page de couverture représentait un homme et une femme, abstrait et abstraite au-dessus de leur symbole sexuel respectif de mâle et de femelle, sur un fond suggérant une vacuité où tout signe pouvant évoquer le phénomène vie était absent. L’ensemble du contenu du n° m’avait interpellé à l’époque mais je n’y avais pas prêté grande attention parce que je m’étais surtout attaché aux données concrètes concernant la fécondation et les cellules sexuelles. J’avais noté l’invasion du style publicitaire comme dans le titre suivant: L’homme descend du sexe, et l’étrangeté pour moi de l’utilisation de ce mot: «Chaque génération commence par une affaire de sexe et se termine par la mort des individus qui la composent. À moins qu’elle ne se termine avec l’affaire de sexe de la génération suivante». P. 994. En même temps l’emploi de mots comme affaire m’évoquait une certaine dévalorisation du sujet abordé, signalant comme un malaise chez les auteurs de l’article. La sexualité demeurant embarrassante.

 

Enfin se profilait l’idée de la disparition de la sexualité souvent, déjà, réduite à sexe: «Si l’apparition de la sexualité a été un facteur essentiel de l’innovation dans le monde vivant, la naissance, il y a dix ans, du premier "bébé-éprouvette" soulève un problème de fond: derrière l’exploit technique, la possibilité ne se profile-t-elle pas - pour nous qui "descendons du sexe" - de nous passer totalement du sexe pour nous reproduire? On voit quel chemin a été parcouru de la pilule à la procréation artificielle!» p. 987 (présentation du numéro) On se préoccupe d’une disparition possible mais pas de ce qu’a pu subir, comme traumatisme, ce qui est horriblement nommé "bébé-éprouvette". La négation de toute affectivité permet de faire n’importe quoi. Pour innover il faut nier le phénomène vie et ce qu’il a engendré. La logique de cette dynamique ne peut aboutir qu’à une néantisation.

 

Cette négation nous la retrouvons exprimée dans Aux origines de la sexualité: «Nous ne savons pas grand-chose, par exemple, de la nécessité des liens métaboliques qui se tissent entre la mère et l’enfant durant la grossesse, mais certains n’hésitent pas à prétendre qu’un enfant qui n’aurait pas passé quelques mois dans le métabolisme physiologique et émotionnel de sa mère ne serait plus totalement humain.» p. 406. Comme on nie l’évidence, on peut intervenir, construire…

 


[4] En fait le mot sexe a été employé en cette acceptation bien auparavant. Ainsi, par exemple, Otto Weininger écrivit  Sexe et caractère 1901, et Julius Evola La métaphysique du sexe. D’après le Dictionnaire historique de la langue française. «Le mot sexe équivaut aujourd’hui (1889, P. Bourget) à "l’ensemble des questions sexuelles" (sexualité, ci-dessous) probablement  d’après l’anglais sex  qui avait pris cette valeur plus tôt Cela s’est donc produit à une époque où la sexualité devenait préoccupante, posait problème.  À ce sujet on peut faire remarquer qu’à la fin du XX° siècle on a réaffirmation d’une dynamique effective à la fin du siècle précédent.

 

L’affirmation du sexe est le triomphe de l’UN favorisant l’escamotage d’une réalité difficile à vivre, et signale que la sexualité est vécue en fait comme le support d’un traumatisme, celui de la séparation à la fois exaltée et amplifiée avec le délire concernant l’homosexualité, la transsexualité, etc., et refusée. La réduction  de deux (sexualité) à un (sexe) permet le déploiement de la combinatoire (note de février 2011).

 

 

[5] Dans un article Qui a peur que le mâle ne s’éteigne? du 04 octobre 2003, paru dans la revue italienne "D", Sylvie Coyau aborde la question de la disparition du Chromosome Y. Elle rapporte en particulier, une phrase de Germaine Greer: «La vision d’un monde privé d’hommes est un fantasme masculin». Ce qui est une remarque fort intéressante. Mais c’est surtout la fin de l’article qui m’apparaît très pertinente non pas en tant que réfutation d’un discours scientifique, mais en tant qu’affirmation du procès de vie. Ne pas opérer ainsi entraînerait le risque d’être entraîné dans la divagation. «En tenant compte des exceptions, nous les femmes aimons les hommes et c’est ceci qui en garantit la survie – ce n’est certainement pas le chromosome Y».

 


[6] Cf. Amour ou combinatoire sexuelle, Invariance, série III, n° 5-6.

 


[7] Le concept de survie peut signifier la difficulté à réaliser le procès de vie en sa totalité, exprimant de ce fait qu’il y a simplement accès au possible de vivre. Il renferme un autre contenu en rapport au recouvrement. Par suite de celui-ci l’individu ontosé ne participe pas au procès de vie, il ne s’y enracine pas, mais il est par-dessus, en survie!

 


[8] Pour toutes les questions concernant les phénomènes d’endosymbiose je recommande la lecture de L’univers bactérielLes nouveaux rapports de l’homme et de la nature de Lynn Margulis et Dorion Sagan, livre remarquable, non cité dans Aux origines de la sexualité, paru aux éditions Albin Michel, 1989. Les auteurs, ainsi que d’autres théoriciens comme le préfacier Lewis Thomas sont partisans d’une union avec la nature. «L’humanité, minuscule partie d’une immense biosphère d’essence fondamentalement bactérienne, avec les autres formes de vie, doit se totaliser en une sorte de cerveau symbiotique qui est au-delà de ce qu’il (l’homme, n.d.r) peut comprendre ou se représenter vraiment». p. 163 Le concept de symbiose a été très difficilement accepté par les biologistes orthodoxes (la question remonte au début du XX° siècle), mais devant l’évidence de l’universalité du phénomène symbiotique, ceux-ci ont dû le récupérer et ont produit la théorie du sexe.


 

[9] Dans le chapitre Les plantes et leur sexualité débridée de Pierre Henri Gouyon, on trouve cette affirmation. «À l’inverse celui qui se contente de féconder (…) celui-là est le mâle» p. 144 On attribue à la partie sexuée mâle d’une plante – dans le cas présent – une intentionnalité qu’il faudrait mettre en évidence. En revanche elle existe chez certains mâles de notre espèce. Sous-jacente à cette affirmation on sent l’idée du parasitisme du mâle. Chez un grand nombre de plantes prévaut l’hermaphrodisme. En fonction de celui-ci, il y aurait comme un autoparasitisme. Selon la démarche scientifique les jugements de valeur doivent être exclus. Dés lors comment parler de sexualité débridée ?


 

[10] Toutefois on a un chapitre qui s’intitule: Le sexe, un outil dans la lutte séculaire contre nos parasites de Tatania Giraud et Laurent Penet.


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[11] Les autres chapitres sont consacrés à l’étude de modalités de réalisation de la sexualité (du sexe) chez divers groupes d’êtres vivants, aux chromosomes sexuels, à La "fabrique" du sexe chez l’Homme. Notons la tendance fréquente à mécaniser, artificialiser les phénomènes naturels. Ultérieurement l’artifice remplace totalement le naturel. Des chapitres sont également consacrés à des approches sociologiques, psychologiques, mais aussi à des fantasmes comme le chapitre déjà cité; Le sexe des anges. Pourquoi ? Mais aussi avec: Alien ou l’horreur de la procréation dans la mythologie occidentale contemporaine et Sexualité et reproduction: la fin d’une alliance? Dans le titre de ce chapitre affleure bien l’autonomisation. Reproduction et sexualité apparaissent comme des entités qui contractent une alliance ou l’abolissent.

 

Les rédacteurs de la présentation générale nous ont avertis (p.13, 1° colonne): «C’est un voyage inédit auquel nous vous convions. Préparez-vous à des arrêts brutaux, à des paysages insoupçonnés, à des histoires insolites, à des questions inattendues, à des développements théoriques complexes. Il se posera même un moment la question de savoir ce qu’est vraiment un individu!» En dépit de cet avertissement, je demeure  très perplexe en présence d’affirmations comme celles qui suivent: «Cependant, l’avènement de la cellule crée un nouveau problème: les erreurs génétiques étaient désormais piégées à l’intérieur. Pour assurer leur réparation, le sexe fut alors réinventé. En effet si deux cellules fusionnent, leur recombinaison est capable de réparer leur ADN. Le sexe répare l’erreur génétique et rajeunit la vie, mais il doit temporairement venir à bout de l’individualité générée par la cellule (qui a tout d’abord évolué pour arbitrer les conflits entre gènes). p. 89 Qu’est-ce que cela signifie rajeunit la vie et venir à bout de l’individualité?

 

Du fait de la saisie discontinuiste du phénomène vie, il est normal que celui-ci soit envisagé en fonction du conflit et de la coopération dont les protagonistes sont des individus. S’ils posent problème aux auteurs de la présentation, cela n’empêche pas qu’ils sont perçus et mis en action même dans des domaines où ils n’ont pas lieu d’être. Le concept d’individu ne peut servir que de repère superficiel. Ainsi tout homme, toute femme est un être symbiotique, comprenant lui ou elle et diverses espèces de bactéries, mais aussi des virus et autres formes simples du phénomène vie.