ÉMERGENCE DE HOMO GEMEINWESEN

 





Situation au sein d'un procès





Thèses repères

 

 

«La phase qui commence en 1975 est profondément déterminée par ce que l'affirmation ce monde qu'il faut quitter implique. Il semble que ce que nous avons individualisé ainsi ait été perçu par d'autres qui le réalisent plus ou moins. Cette phase nouvelle n'est donc pas liée à une affirmation personnelle.» (Vers la communauté humaine, Invariance, série III, n°3, p. 28, Avril 1976.

 

«Nous voici parvenus à la conjonction de deux mouvements: celui de la vie qui, à travers l'espèce humaine, vient buter contre un phénomène qui la remet en cause, enraye son épanouissement, et par là, celui des êtres humains, et celui de la fragmentation de la représentation qui ne permet plus à ces derniers de se situer par rapport aux autres et au monde." Á l'échelle mondiale nous vivons comme un jugement dernier où ce qui fut semble ressusciter pour comparaître à l'instance du temps présent, celui de l'action à entreprendre, du saut à accomplir, vaste confrontation avec le possible humain, avec ce qui doit être notre devenir.» (Mai-Juin 1968: Le Dévoilement, Invariance, Série III, N° 5-6, p.16, Avril 1977)

 

«Nous sommes parvenus au bout de la vaste phase historique qui commence avec l'instauration de la cité grecque: nous sommes à la fin du capital...» (Le temps des lamentations, Invariance, Série III, Supplément de Juillet 1979)

 

«Ayant réalisé un projet humain: assurer la sécurité, le capital parvient à sa pleine anthropomorphose et atteint sa mort potentielle parce que simultanément, ayant tout désubtancialisé, il se charge de substance qui l'inhibe.» (L'Écho du temps, Invariance, Série III, N°7, p.6, Février 1980)





      1. De la vie – Catastrophes – continuité et discontinuité





1.1. Le procès dont il s'agit est celui de l'issue d'une errance millénaire, donc de. celui de la sortie de la communauté-capital qui ne peut pas se saisir sans la compréhension du devenir de ce dernier.



Les citations reportées ci-contre sont là pour signifier globalement le point d'arrivée du procès d'investigation de ce monde et de celui de son échappée. Ce n'est pas un rappel de toutes les questions abordées et non encore traitées (ce ne serait pas exhaustif) dans la revue Invariance, questions qui peuvent avoir une importance considérable, Il s'agit  simplement de situer un devenir en sommant, tout d'abord, Ies résultats d'un certain nombre d'approches et en tentant de préciser à quel point nous sommes à un moment extraordinaire qu'on pourrait définir comme étant celui d'une vaste mutation dont le dévoilement ne sera réellement apparent que dans de nombreuses années.

 

D'un point de vue immédiat, ces thèses  concluent la série d'articles La séparation nécessaire et l'immense refus 1979, Le temps des lamentations, 1980, Emergenza 1980, Á propos de Sartre: de la validité de l'être 198O, et, dans une moindre mesure, Paul Rassinier et le mouvement prolétarien 1982, qu'on aurait pu intituler, comme ce fut fait pour `la traduction allemande: Évanescence du mythe anti-fasciste. Elles sont en continuité avec les Thèses provisoires de 1973.

 

Pour comprendre les deux affirmations (fin du phénomène capital et sortie du monde déterminé par lui) incluses dans les citations et les études reportées dans Invariance, il est nécessaire d'indiquer sous forme concise un certain nombre de résultats qui furent exposés dans la même revue ou qui sont d'un apport plus récent. Ces résultats sont des expressions d'une prise de position par rapport au phénomène  advenu  de 1a réalisation du phénomène capital et par rapport à un moment particulier du devenir de l'espèce saisie sans son histoire entière, c'est-à-dire le phénomène d'hominisation qui est le devenir homme de la nature.

 

Ces précisions que nous apportons ici comme d'ailleurs l'ensemble du travail antérieur publié dans Invariance découlent du comportement suivant: la prise de position ne se fait pas à partir du concret tangible, de l'asphyxiant réel, mais à partir du fait théorique, c'est à dire que cela permet  d'anticiper, d'entrevoir. Ce qui est une exigence concrète, tangible, c'est l'exigence biologique d'en finir avec un monde méphitique; notre saisie du devenir dérive d'une exigence pratique.



1.2. On vit un grand moment de discontinuité. Or comme je le disais déjà en 19691 lorsqu'il s'agissait de situer le mouvement de Mai 68, l'essentiel dans l'étude du: devenir humain est de représenter les moments de discontinuité, car c'est en eux que ressurgissent divers possibles et que de nouveaux se manifestent; c'est alors, aussi, que se produisent les schismes fondamentaux sur lesquels l'humanité bâtit ses représentations renouvelées.

 

Nous sommes à un moment de catastrophe. Et ce terme nous plaît particulièrement parce que tout en désignant la discontinuité, l'effondrement de ce qui est antérieur, etc... il pose par sa désignation même une continuité avec ce que désirèrent des hommes comme K.Marx ou A.Bordiga. La catastrophe qu'ils envisageaient était la disparition du capital qui seule pouvait permettre l'initiation du communisme.



Le concept de catastrophe implique celui de limite. Il y aurait catastrophe, et ceci également en fonction d'une théorie récente, dite théorie des catastrophes2, quand il y aurait un dépassement de certaines limites, représentées par des surfaces, des membranes, etc. Ainsi en biologie, la membrane d'une cellule ou la peau d'un mammifère, par exemple constituent la limite du contenu cellule ou du contenu mammifère, limite qui implique une forme donnée. Si par suite de processus biologiques aberrants, il y a outrepassement de cette limite, il y a nécessairement catastrophe pour la forme ancienne; c'est-à-dire que la catastrophe n'est pas absolu: destruction du tout. Elle est opérationnelle uniquement pour une modalité de l'être. En ce sens le transformisme représenterait une série de catastrophes.



La domination réelle du capital est celle où la forme s'autonomise. Le phénomène est allé au delà de la limite (le capital avons-nous dit, s'est émancipé de ses limites) il s'est échappé; mais ce faisant s'opéra une discontinuité fondamental: sa mort potentielle.

 

1.3. Comprendre cette catastrophe ainsi que les possibles et les traumatismes qu'elle suscite présuppose l'étude des discontinuités antérieures. L'approche historique n'étant plus suffisante, nous esquisserons une étude diachronique de l'anthropogenèse, non seulement pour étudier ces discontinuités mais pour repérer les traumatismes qu'elles engendrèrent au sein de l'espèce et comment celle-ci ne put continuer son procès qu'en vertu d'un procès de rééquilibration biologique qui, à partir d'un certain moment a été masqué par les pratiques culturelles qui, à l'heure actuelle deviennent plus ou moins inopérantes et laissent réapparaître la dimension biologique de notre développement. La difficulté de réalisation de cette rééquilibration par suite de la domestication de l'espèce détermine l'immense gravité de la situation actuelle.



Á propos de cette dimension biologique, il ne faut pas oublier que la culture est tout de même un produit de la nature, qu'elle n'est pas un attribut spécifiquement humain et, qu'en outre, l'ensemble du phénomène vie tend à réaliser ce qu'on peut nommer la réfléxivité non seulement à travers l'espèce humaine, mais à travers d'autres espèces. C'est pourquoi trouve-t-on des outils, des systèmes de communication chez divers animaux.



Pour comprendre l'émergence de l'homme, il nous faut partir d'une hypothèse sur ce qui tend à se réaliser avec son apparition. On peut la formuler ainsi: la réalisation de la réflexivité et la tendance à une union plus forte entre les membres de l'espèce qui éprouvent un besoin de jonction énorme déjà en acte chez les primates probablement en compensation du phénomène de reflexivité renfermant le possible de la séparation.



1.4. Si donc on envisage l'anthropogénèse dans l'ensemble du procès vie, on est amené à étudier également les moments de discontinuité dûs à des phénomènes géologiques ou cosmiques qui ont bouleversé l'ensemble du monde vivant, imposant à celui-ci des phénomènes de rééquilibration. Certaines formes nouvelles sont dues à de telles discontinuités. Le passage de la vie unicellulaire à la vie pluricellulaire est probablement dû à un ,phénomène d' adaptation à des conditions de vie devenues trop difficiles pour la cellule simple, car il a bien fallu une certaine contrainte pour que les métazoaires et les métaphytes apparaissent puisque tous les phénomènes de la 'vie existaient déjà au niveau de la cellule. Pourquoi, en effet, le phénomène vie dut-il accéder à la dimension pluricellulaire? A posteriori, on peut trouver une justification: l'accession à la réflexivité. En ce qui concerne une explication on peut faire intervenir la tendance constante à l'union.



Sous des contraintes catastrophiques3 dues à des discontinuités, divers éléments ont eu tendance à se joindre pour former des cellules: mitochondries et chloroplastes sont d'anciennes bactéries (le noyau pouvant dériver d'un être vivant autre que la bactérie). D'autres contraintes ont poussé des cellules à se réunir afin de pouvoir résister à des conditions de milieu devenues trop difficiles. A l'origine le stade pluricellulaire a pu être transitoire, puis ce fut ce stade qui devint l'être vivant lui-même (un des premiers exemples de paedomorphose ou de juvénilisation); un phénomène de rééquilibration intervient ultérieurement avec l'apparition de la sexualité et la manifestation d'une phase unicellulaire qui cette fois est transitoire. Or-, les gamètes acteurs de cette phase sont justement des cellules destinées à s'unir4.



Au sein du phénomène vie, il y a eu des ruptures qui posèrent des séparations qui durent être surmontées par des réunions. C'est pourquoi la théorie de Darwin (et ses avatars) fondée sur une vision séparatiste, ne peut rendre compte du phénomène vie. S'il y a concurrence, il y a aussi entraide (Kropotkine).



1.5. Le moment initial de l'anthropogénèse peut être conçu comme correspondant à une discontinuité au sein du phénomène vie.En effet, celle-ci s'est développée tout d'abord -de façon prépondérante d'une manière extensive {au cours des arcs géologiques séparés par des moments de rupture comme celui de la fin du pré-cambrien ou celui du quaternaire) tout en manifestant constamment la tendance à produire des êtres réflexifs. Une fois la planète couverte de vie, celle-ci vit son procès enrayé. Dès lors, la voie au développement intensif renforçant la tendance réflexive était la seule issue. Ceci commence au tertiaire finissant, avec l'apparition d'êtres nouveaux, des animaux à station verticale.



1.6. Pour situer concrètement l'espèce il est important de caractériser ce qu'est la vie, en rejetant la séparation nette et stricte qui est faite entre matière vivante, animée et matière inerte. Il y a à la fois continuité et discontinuité. Cette dernière apparaît clairement à partir d'un certain stade du phénomène vie, mais non au départ. Ainsi on peut penser que la vie s'est spontanément manifestée, de diverses façons, il y a trois milliards d'années, peut-être plus, et qu'elle se caractérise par un procès d'isolement du continuum et que l'isolat ainsi formé tend à transformer ce qui l'entoure pour se poser en tant qu'entité et se pérenniser. Á ce niveau ce qui importe ce sont essentiellement les membranes qui garderont tout au long du phénomène perdurant jusqu'à nos jours, le caractère d'être une zone de séparation et donc de détermination de quelque chose qui va opérer, un opérant.



L'édification de l'isolat, de l'opérant qui, au cours d'une longue transformation aboutira à l'être cellulaire se réalise grâce à une fonction essentielle la nutrition-assimilation-appropriation, le fait d'intégrer à soi, pour soi s'édifier, tant du point de vue spécifique qu'individuel.



Les transformations des diverses formes vivantes les unes en les autres aboutissent à une extrême diversité des êtres vivants pouvant s'étudier à partir de la prise en considération des divers plans d'organisation des grands phyla vitaux (espèce de logique de la vie) et en ayant une perspective néo-lamarckienne, c'est-à-dire qui intègre la position de Lamarck pour qui fondamentalement le vivant est créateur, et qui pense que l'effort pour réaliser quelque chose est déterminant dans son devenir5.



En ce qui concerne l'adaptation il est vrai que: «accoler l'étiquette adaptative à un organe ou à une fonction déterminée ne correspond à aucune réalité, l'adaptation c'est l'organisation elle-même. L'adaptation correspond donc simplement à une certaine façon d'envisager l'organisation de l'être vivant; dans ses rapports fonctionnels ou encore dans ses relations avec le milieu extérieurs ou les êtres qui les entourent. En ce sens on peut dire que le problème de l'adaptation n'est rien d'autre que celui de la genèse de l'organisation sous son aspect fonctionnel.» (A. Vandel "L'homme et l'évolution")



Étudier l'adaptation c'est étudier le comportement d'une espèce par rapport au milieu. Ce qui est le plus important n'est pas ce qui est désigné sous le nom d'adaptation qui est un résultat (de ce fait il peut toujours être justifié) mais c'est le comportement de l'espèce pour s'intégrer dans un certain milieu et tender, en se soumettant à ses exigences et en le dominant, à réaliser pleinement ses possibles6. On doit mettre en évidence les phénomènes d'immergence et d'émergence, et ne pas séparer, dans notre étude, l'être vivant de son milieu,mais appréhender l'ensemble synergique; ce qui est le corollaire du rejet de la séparation matière inerte matière vivante comme de celle entre intériorité et extériorité7.



On doit en outre tenir compte de tout le monde vivant. Or, la plupart du temps les savants qui s'occupent des transformations subies par la vie (ce qu'ils nomment évolution) ou à fortiori de l'émergence de l'homme, délaissent tout le monde végétal. Or oublier l'existence de ce dernier c'est entériner la coupure d'avec la nature et s'interdire de comprendre qu'est-ce qui se réalise à travers les formes de vie végétale. Est-ce qu'obligatoirement leur réalisation doit être absolument différente de celle à laquelle parviennent les animaux et donc l'homme? Le phénomène vie aurait-il une dualité irréductible, telle que nous ne pourrions pas participer à la vie végétale?



1.7. «Dès l'origine des êtres vivants, l'organisation fonctionnelle des Êtres vivants implique une coordination très hautement harmonisée entre les organes de relation qui informent l'être vivant, les organes de préhension qui, assurent son acquisition alimentaire, et le dispositif locomoteur qui lui permet l'exploration du milieu extérieur.» Leroi-Gourhan "Le fil du temps", Ed. Fayard, p.122)



«C'est pourquoi la locomotion sera considérée ici comme le fait déterminant de l'évolution biologique, exactement comme dans la troisième partie elle apparaîtra comme le fait déterminant de l'évolution sociale actuelle.» Leroi-Gourhan "Le geste et la parole - Technique et langage", Ed. Albin-Michel, p 42)



Á ces deux affirmations de Leroi-Gourhan on doit ajouter quelques considérations afin d'expliquer la dynamique d'acquisition de la station verticale et son importance.



On doit également tenir compte de la reproduction - à partir du moment où elle s'autonomise assez fortement de la simple assimilation - comme fonction jouant un rôle fondamental dans l'intégration d'une espèce dans un milieu donné, en même temps que fonction de jonction au cosmos et de continuité entre les êtres vivants.



En outre, comme on l'a déjà affirmé, les êtres vivants ne sont pas passifs; ils interviennent dans leur milieu environnant, ce que signale Leroi-Gourhan, mais il n'en tire pas toutes les conséquences. Pour lui cette intervention est «exploitation physico-chimique de la matière» qui «entraîne depuis un bon milliard d'années une partie dés êtres vivants dans la voie de la recherche du contact conscient».



«Dans cette recherche se résout toute l'évolution puisque la spiritualité comme l'investigation philosophique et scientifique occupent le sommet de la recherche d'un contact réfléchi.» (Le geste et la parole - Technique et langage», p.86)



Or, à mon avis c'est la dynamique de l'intervention qui va devenir de plus en plus essentielle dans le devenir des êtres vivants et qui va orienter cette recherche du contact (sur laquelle nous reviendrons) dont parle Leroi-Gourhan. Elle est d'abord opérante dans un milieu qui n'est pas perçu comme séparé (pas d'intérieur ni d'extérieur) puis, ensuite, au niveau humain, elle s'effectue au sein d'une autonomisation à cause de la séparation qui se produit au cours de l'émergence de l'homme.



Pour qu'il y ait une intervention il faut que l'être vivant ait une représentation de lui-même et de son milieu.



"Pour reprendre le mot de J.Z. Young, l'organisme devient une représentation de plus en plus complète de son environnement."(J.P. Changeux : «De la molécule au cerveau», Le Débat N° 20).



On comprend ainsi l'extraordinaire complexité du cerveau et son aptitude à représenter un environnement immense: tout le cosmos, mais aussi un environnement intériorisé, le milieu humain, et que l'espèce humaine ait une capacité d'intervention sans commune mesure avec celle des autres espèces. Cette capacité s’autonomisera sous la forme de la thérapeutique généralisée et opérera comme fonction de rééquilibration.



Au cours de son étude A. Leroi-Gourhan parle de libérations successives. Or, nous l'avons montré ailleurs, la libération peut conduire à une autonomisation totale. C'est pourquoi faut-il chaque fois préciser et situer vis-à-vis de quoi, pour réaliser quoi, s'effectue la libération; c'est-à-dire que chaque fois se pose la question de la rééquilibration de la totalité de l'être vivant une fois la libération réalisée.



Ceci est très important car le devenir de la vie se caractérise par deux tendances complémentaires: une parcellisation qui implique des discontinuités et une unification qui implique une continuité (ou sa reformation); c'est-à-dire qu'elle est à la fois continue et discontinue. Pour qu'il y ait un développement harmonieux i1 faut qu'il y ait un équilibre entre les fonctions du continu et celles du discontinu. Comme exemple de relation entre ces deux derniers éléments on peut donner l'émergence de l'espèce humaine du sein de la vie et celle de l'individualité du sein de l'espèce. Les deux phénomènes sont similaires; ils semblent relever de mécanismes très différents en fait ils sont en continuité et même la séparation dans le temps est peu déterminante puisque c'est au sein de l'anthropogénèse que s'édifient les présupposés de la production de l'individualité. C'est leur dissociation actuelle qui crée la vaste crise où se trouve l'espèce humaine et tout le phénomène vie.



L'étude de ces fonctions de continuité et de discontinuité ne peut avoir une certaine validité que si elle est faite en liaison avec l'étude des variations du milieu ambiant déterminées par l'évolution géologique.



En tenant compte de toutes ces remarques, on comprend qu'au travers du phénomène d'intervention, la vie constamment se particularise et demeure continuum.





2. Acquisition de la station verticale



2.1. Comprendre l'émergence de l'espèce humaine et sa relation aux divers anthropoïdes implique qu'on situe parfaitement l'importance de l'acquisition de la station verticale au sein du phénomène vie. Ce n'est pas comme on semble la considérer la plupart du temps une simple détermination de l'espèce. Sa réalisation fonde un autre phylum et ouvre à la vie un énorme champ de possibles. Cela correspond, en importance, à l'apparition du type mammifère ou du type reptile, c'est-à-dire qu'elle relève - dit en jargon scientifique- non de la simple microévolution (formation d'espèces) mais de la macroévolution.8



Á partir de la réalisation de la station verticale va se produire une radiation adaptative c'est-à-dire une formation de différentes espèces en fonction des divers milieux où le nouveau phylum va se développer. En conséquence il pourra y avoir à la fois des phénomènes de convergence et de divergence et même une sorte de régression dans la mesure où les animaux retourneront à un milieu originel dont l'abandon avait été une des causes de l'acquisition de la station verticale.



Cette station ne pouvait pas s'acquérir à partir d'un être spécialisé. On comprend qu'elle se fit au sein du groupe des primates qui, par beaucoup de caractères, sont des vertébrés primitifs. Cependant en plus des fonctions fondamentales caractéristiques des mammifères: homéothermie, viviparité, lactation, ils avaient acquis une vision binoculaire frontale et une audition perfectionnée, qui se révéleront essentielles avec la réalisation de la station verticale qui effectue une nouvelle liaison entre toute ces fonctions et leur impulse une autre dynamique.



2.2. L'élément déterminant dans l'acquisition de la station verticale doit être un élément opérant au moment de ce devenir acquisitionnel comme à l'heure actuelle parce que c'est ce qui fonde l'espèce phylum. Au début il opère pour réaliser cette acquisition, maintenant il opère en tant que modalité d'être et doit être perceptible dans le comportement.



Cette détermination essentielle est la volonté d'intervenir sur son milieu qui ne peut pas se réduire à un simple faire manuel mais implique la totalité de l'organisme: la préhension.



La tendance à autonomiser la préhension afin de pouvoir plus facilement intervenir dans le milieu environnant, pour en extraire le maximum de substance et le modifier (à noter la variation, source d'une nouvelle représentation: lors de la locomotion habituelle l'être vivant se déplace au sein du milieu, avec la préhension c'est le milieu qui est mis en mouvement) est une tendance qu'on trouve dans divers groupes de mammifères, tout particulièrement chez les primates. Or, c'est évident le seul moyen pour y parvenir - étant donné le squelette des vertébrés - est la réalisation de la station verticale. Car ce n'est qu'ainsi que la main, c'est-à-dire l'extrémité du membre antérieur chez les animaux à station horizontale, du membre supérieur chez ceux à station verticale ou chez les bipèdes, est définitivement libérée de la locomotion. Ainsi se réalise une tendance profonde du phénomène vie qui la caractérise depuis son apparition: l'intervention sur l'environnement puis la tendance à s'organiser un monde pour mieux se situer, se représenter dans l'univers.



Ceci a pour conséquence de ne pas placer une quelconque invention de l'outil après la libération de la main, ni d'affirmer que l'outil constitue le prolongement de cette dernière, puisque la main s'est réalisée en essayant d'utiliser au mieux l'outil et ce de façon continue. Dés lors, les fonctions préhensiles qui étaient assurées par les dents le sont par la main, et les fonctions techniques des dents sont assurées par l'outil qui est bien un exsudat.



« (…) l’outil est en quelque sorte exsudé par l’homme au cours de son evolution. (…) Une impression identique est suscitée par l'analyse du geste technique, plus forte encore, car on voit l'outil sourdre littéralement de la dent et de l'ongle du primate sans que rien marque, dans le geste, la rupture décisive.» (Leroi-Gourhan: Le geste et la parole -La mémoire et les rythmes, pp. 4O-41.



"Á l'issue des chapitres précédents nous sommes parvenus à cette notion de l'outil comme une véritable sécrétion du corps et du cerveau des anthropiens." (Leroi-Gourhan: "Le geste et la parole -Technique et langage", p.132)



2.3. La station verticale se réalise à la fin du tertiaire dans diverses lignées de primates dont certains ont bien fossilisé comme I'oréopithèque, le kényapithéque, etc. Il est difficile de faire une filiation, ce qui n'a pas une importance primordiale. L'essentiel c'est de noter qu'en même temps qu'on constate un changement climatique, on assiste à l'apparition d'êtres qui vont fonder un nouveau phylum.



On peut considérer quatre moments dans le devenir de l'hominisation et de l’anthropogenèse. Le premier au milieu du miocène est un assèchement du climat ce qui provoqua de la part des ancêtres hominiens l'abandon d'une stricte vie arboricole, élément qui rendit la station verticale opérante en même temps que cela exerça un effet de pression pour que celle-ci s'épanouisse.



Le second est encore un assèchement dû à la formation du Rift africain:



«La Rift Valley en s'effondrant, aurait perturbé, par le relèvement de ses bords, le régime des précipitations; l'ouest serait resté couvert, tandis que l'est aurait vu sa forêt se réduire et son paysage se découvrir. Les "occidentaux" de notre -famille seraient ainsi demeurés dans un environnement humide et boisé, en maintenant et en améliorant cette parfaite adaptation à la vie à la fois à terre et dans les arbres. La conjuration de la grande cassure et du changement climatique progressif aurait peu à peu contraint les "orientaux" à s'adapter à un environnement de plus en plus sec et déboisé.» (Yves Coppens: «Le singe, l'Afrique et l'homme.» Ed. Fayard, p.114)



Le troisième au contraire est un refroidissement à la fin du tertiaire et surtout au début du quaternaire qui imposera aux divers Homo érectus un changement d'alimentation qui ira s'accentuant sous l'effet des diverses glaciations que connaîtront Homo sapiens néanderthalensis et Homo sapiens sapiens qui acquirent une alimentation carnée prépondérante.



Le quatrième moment enfin est celui du réchauffement qui a eu lieu il y a 9.000 à 10.000 ans, au néolithique, causant la régression des forêts boréales, la disparition du gibier d'où la nécessité d'une nouvelle alimentation qui fut assurée par les céréales cultivées, En même temps on peut considérer l'élevage comme une réponse plus directe à la raréfaction du gibier.



Les variations climatiques jouent donc un grand rôle, en synergie toutefois, avec les phénomènes démographiques, leurs effets ont pu se conjuguer pour provoquer une pression évolutive sur l'espèce.



Au magdalénien, on a, par suite de l'abondance du gibier, une "explosion démographique" qui deviendra dangereuse pour le devenir de l'humanité lors de la diminution des ressources nutritionnelles par suite de la déglaciation. La solution sera apportée par la domestication des animaux (élevage) et des plantes (agriculture).



On doit noter en outre que le néolithique s'est développé d'abord, en ce qui concerne l'occident, dans les zones assez chaudes comme celles du Proche-Orient et que ce n'est qu'ensuite, au moment de la Warmzeit (4.000 à 3.000 ans B.P) où le climat fut plus clément que celui actuel, qu'il se manifestera dans les zones septentrionales.



Les variations climatiques eurent un gros impact sur l'histoire de l'espèce. En effet, on peut penser que les grandes migrations furent dues non seulement à des phénomènes démographiques mais à des phénomènes locaux d'assèchement dû au climat nécessitant une recherche d'autres lieux de nourriture. Et ces migrations vinrent très souvent du nord où, par suite d'oscillations climatiques causant un refroidissement localisé, les conditions de vie n'étaient plus adéquates: ainsi des invasions parties de la Suède et des bords de la Baltique environ 2.000 à 2.400 ans B.P (Befor present). La migration des Huns il y a environ 2.000 ans B.P. fut liée à une sécheresse dans l'Asie centrale.



En revanche aux XI°-XII° siècles i1 y eut un petit optimum (à cette époque le Groenland était bien le pays vert = Greenland) qui permit ce qu'on a appelé la première Renaissance en Europe Occidentale, première poussée de la bourgeoisie.



Inversement au XVII° on a eu un petit âge glaciaire qui a freiné un développement commencé au XVI°. Il faudra attendre 1a fin du XVIII° pour avoir un essor déterminant avec la révolution agraire qui est le point de départ du développement du capital en sa domination formelle.



Avant que les européens ne se répandent sur toute la surface du globe en essayant de s'accaparer 1e maximum de terre, l'espèce humaine-féminine à conquis toute la planète et a atteint ainsi un développement extensif maximum.



Á l'heure actuelle on assiste à des fluctuations dont on ne peut pas encore dire quel est leur sens exact. Toutefois une variation climatique d'importance n'est pas à exclure qui sera d'autant plus percutante que l'équilibre de la biosphère a été totalement rompu par l'espèce du fait qu'elle a surmonté les diverses crises découlant du choc de la progression démographique avec la raréfaction de la nourriture, non en diminuant sa démographie, mais en étant à même de trouver des sources de production plus importantes entraînant une nouvelle augmentation de population, d'où son excroissance actuelle qui est un obstacle au développement des autres espèces vivantes. Dans ce cas on pourrait avoir un effet catastrophique qui obligerait l'espèce à comprendre qu'elle doit abandonner son développement en extensivité et à entreprendre celui en intensité afin de parachever ce à quoi elle tend: la réflexivité qui est une nécessité pour la vie en sa totalité; l'espèce pourrait jouer un rôle de rétrocontrôle au sein du procès vie.



2.4. Ainsi il y a environ cinq millions d'années, on a un animal qui a une station verticale plus ou moins parfaite, une tête avec un museau réduit en liaison avec la réduction de l'olfaction et à celle du nombre de dents dont l'importance diminue, ce qui détermine la libération de la face qui peut acquérir une autre fonction développée chez les singes: l'expression des émotions grâce au langage facial.



Dès lors on peut dire que le phénomène d'hominisation se réalise; c'est le moment d'émergence de Homo parce qu'on a tous les présupposés fondamentaux de l'être Homo sapiens actuel. En effet: 1. la station verticale assurant le déblocage de toute la partie occipitale de l'encéphale; 2. La régression de l'importance des dents, particulièrement les canines, amenant la disparition des contraintes mécaniques dans la zone antérieure de la tête osseuse laissant libre cours au développement de l'encéphale dans cette zone (phénomène culminant avec la formation des lobes préfrontaux).



On peut donc regrouper sous le terme de Homo tous les êtres qui apparurent à ce moment là; c'est-à-dire qu'on doit y inclure tous les australanthropes. Déjà Leroi-Gourhan les avait séparés d'une lignée considérée plus ou moins simiesque et leur avait enlevé le nom d'australopithèque. Nous allons plus loin et nous avons confirmation de la validité de notre position dans cette remarque d'Yves Copeens: «...Dans l'ensemble, cette organisation, caractéristique de l'homme, par opposition à celle des grands singes, était pratiquement établie dés les plus anciens australopithèques et probablement dès le pré-australopithèque.» (Commencement de l'homme, Le Débat, No2, 1982, p.45).



2.5. L'acquisition de la station verticale, celle de l'outil ne sont pas des phénoménes successifs. Elles sont synergiques sinon elles n'exprimeraient pas la tendance à la préhension. Cela veut dire que les espèces qui présentent une station verticale plus ou moins perfectionnée sont des espèces qui étaient dotées de capacités d'utilisation d'outils et de leur fabrication. Ceci explique qu'on puisse trouver- des outils associés à des formes très antérieures à Homo, mais se situant dans la dynamique de son émergence comme Kényapithéque ou Ramapithèque .



Lors de la mise en place de cette station il y a en même temps une autre phase essentielle qui s'accomplit: la production d'un outil permanent servant à faire des outils: le chopper, le chopping-tool qui ne sont pas des outils simples ayant une utilisation immédiate Parce qu'ils présupposent l'existence d'outils antérieurs faiblement élaborés. Ils vont permettre de perfectionner la confection d'outils immédiats, c'est-à-dire ceux entrant directement en contact avec la matière à élaborer-. En même temps ils témoignent du changement d'origine du matériau utilisé: on passe de la biosphère à la lithosphère; changement qui s’amplifiera au cours du devenir humain et qui ne sera pas sans répercussions sur la représentation de l'espèce et sur son comportement par rapport à la biosphère.



Ce qu'on appelle outil, le chopper par exemple, est une synthèse d'outils antérieurs.



De même le langage verbal n'est pas une simple conséquence de l'accroissement des capacités encéphaliques et de la production d'outils; il s'édifie en même temps qu'eux, car il est une autre modalité de réalisation d'une jonction plus efficace avec le monde environnant et une autre expression de la nécessité d'intervention (rapport à la préhension). Lui aussi est une synthèse qui permet une intervention plus efficace car il accroît le caractère différé de tout acte volontaire. C'est-à-dire la possibilité de ne pas répondre immédiatement à une stimulation du milieu extérieur par une réaction plus ou moins appropriée, mais de répondre à un autre moment déterminé par la réflexion qui est le procès de retour sur soi et d'investigation de divers possibles afin de trouver la réponse la plus adéquate. En effet l'acte peut être différé à d'autres éléments du groupe humain et ainsi la possibilité d'intervention se trouve considérablement accrue. Ceci implique que le langage verbal est une acquisition de l'espèce.



La station verticale permettant une préhension-intervention est grosse d'un possible de séparations qui se réalisèrent provoquant des, déséquilibres importants pour l'espèce, générateurs de traumatismes qui ont jalonné son devenir. En conséquence il y eut nécessité de réalisation d'un phénomène de rééquilibration tendant à annihiler les effets de la séparation: le toucher.



Si donc la tendance à la réalisation de la station verticale est inséparable de celle de la réalisation de l'outil et de celle de la production du langage verbal, il est certain que dans la dynamique totale, c'est l'acquisition de la première qui est déterminante pour l'émergence des deux autres parce qu'en permettant le développement de l'encéphale, elle permet la production de l'organe qui va consentir un plus grand développement de l'un et de l'autre et surtout le moyen de les unifier ce qui va retentir sur le toucher qui deviendra de plus en plus réflexif et  pas seulement immédiat ne serait-ce que parce qu'il va réaliser diverses rétroactions.



La main organe de la réflexivité du toucher doit être en rapport avec l'encéphale et avec la nécessité  de produire une représentation conduisant-dirigeant la perception, en fonction du comportement interventionniste de l'espèce, comportement qui opère dans une dynamique de séparation de la nature. Cette représentation s'est édifiée au cours même de l'émergence-développement de l'homme.



2.6. La main se libérant permet la préhension qui peut se réaliser au sein d'une activité technique ou à travers la locomotion. Le premier cas s'actualise au cours de l’anthropogenèse qui est en rapport avec la séparation du milieu forestier, tandis que le second implique au contraire la vie arboricole telle qu'on la constate chez les lémuriens, les singes platyrhiniens et catarhiniens mais aussi de façon moins développée, chez le chimpanzé et encore moins chez le gorille chez qui elle peut être une acquisition secondaire due à un retour au milieu forestier. Dans le cas de l'homme la préhension locomotion permet l'escalade des rochers ou des arbres, par exemple.9



Ce qui est essentiel c'est qu'elle devient un organe d'investigation par déplacement des objets et par leur contact ce qui permet d'édifier la représentation et d'opérer une simulation. Par là elle est aussi organe d'extraction, séparation du milieu donnant accès à la réalisation d'un autre assemblage, d'une combinatoire. Tout cela opère dans la dynamique de l'assimilation où la main' est substitut de la bouche et où prendre pourra être relayé ultérieurement par posséder et la possibilité de séparer par celle d'enlever quelque chose à quelqu'un. Ainsi d'organe du don elle se transforme en organe de spoliation.



Telle est la dimension technique et intellectuelle de la main qui est fondamentale pour l'intervention et la représentation, mais elle a une autre dimension qu'on peut dire affective: elle exalte l'union, le contact entre les membres de la communauté dont l'unité est renforcée; elle est l'organe de la caresse et du don dans son sens simple de ce qui est donné. Don, sans qui l'entraide absolument nécessaire au sein de l'espèce n'aurait pas pu se déployer car la station verticale en fragilisant le jeune humain l'a rendu dépendant, ainsi que la mère pendant une certaine période de développement de ce devenir. Grâce à la dimension donatrice de la main, il y a eu compensation et rééquilibration dans le développement. L'espèce humaine doit être l'espèce qui offre...



2.7. L'outil appartient non seulement à la main de l'être individuel qui l'utilise mais à la communauté; il n'y a pas de séparation lorsqu'il passe d'un être à un autre. Toutefois n'étant pas soudé à la main par une articulation organique quelconque, il y a le possible de la séparation et par là, il participe à la genèse de l'individu. Mais celui-ci ne pourra apparaître que sur le terrain social.



«On pourrait dire que dans une large mesure, chez les archanthropiens, l'outil reste une émanation directe du comportement spécifique. L'intelligence individuelle y joue certainement quelque rôle mais lorsque l'on considère deux bifaces l'un abbevilien, l'autre de l'acheuléen final, on ne peut échapper au sentiment qu'en plusieurs centaines de milliers d'années, bien peu d'archanthropiens de génie ont dû surgir dans la série phylétique pour modifier le stéréotype industriel.» (Leroi-Ghouran: Le geste et la parole -Technique et langage, p. 140)



Dans un premier temps les outils ne sont que des substituts des dents puis ils s'autonomisent et peuvent entrer dans un autre ensemble d'où alors, un développement intense. L'outil synthèse dont nous avons parlé devient une source d'outils. De même, au début, en tant qu'émanation organique il se modèle sur l'organe qui l'a engendré pour finalement le remplacer (ex: le marteau =avant bras +poing). Ceci est la base d'un phénomène de mimésis: copier ce que font animaux et végétaux; ce qui correspond à se doter d'éléments que l'homme ne possède pas, comme s'il y avait une tendance à récupérer ce qui fut perdu à cause d'un devenir dans une voie différente, originale. Ultérieurement se posera la question de produire quelque chose de non réalisé dans la nature.



Dès lors avec le phylum humano-féminin s'effectue un changement dans l'évolution : elle va se faire par l'utilisation des éléments extérieurs et non plus à partir d'éléments internes. L'outil n'est plus un organe comme la pince l'est pour le crabe. D'où pourra se produire une combinatoire de tout ce qui est à l'extérieur du corps, et cette combinatoire pourra s'édifier en une organisation, de telle sorte que l'évolution externe avec les outils peut entrer en conflit avec l'évolution interne, et donc la vie s'opposer à la non-vie, alors que la dynamique était d'organiser la non-vie en-forme de vie. On en arrive à l'heure actuelle à la situation où la non-vie domine, opprime la vie.



On comprend ainsi la hantise de la technique parce qu'en plus de cette donnée il y a la peur de ne pas pouvoir reformer une unité ou de former une unité nouvelle. En effet, comme l'a expliqué Leroi-Gourhan dans Le geste et la parole la technique est une extension du geste et l'outil résulte de la rencontre de ce geste et d'une matière (cf. dans ce cas L'homme et la matière, Leroi-Gourhan p. 320). Lorsqu'il y a extériorisation, libération, il y a ensuite formation d'une unité nouvelle: un comportement donné de l'être humain doté de l'outil produit. La crainte de ne pas pouvoir retrouver une unité est liée à celle de la perte de sécurisation en rapport avec d'autres données du devenir humain qui sont elles aussi en connection avec un phénomène de libération-séparation qui peut entraîner dépouillement, dépossession.



Il semble que depuis longtemps, il n'y ait pas possibilité de refaire une unité ne serait-ce qu'à cause de la contradiction entre individu et société qui empêche toute unification réelle. C'est là qu'on rencontrera le phénomène du capital en tant qu'opérateur fondamental de séparation, de coupure...



Ainsi la technique est une détermination essentielle de l'espèce phylum parce qu'elle fonde en outre deux domaines: celui d'une prise de conscience du faire: la méthode, et celui d'une union avec le phénomène physique ou artificiel qui fonde à son tour une transcroissance de l'espèce. Mais son développement a engendré, et engendre encore maintenant, des traumatismes difficilement surmontables à cause de la séparation d'avec la nature. Pour le moment, l'espèce semble tendre vers la formation d'une unité-totalité hors la nature ce qui implique un développemnt de la technique pour la technique. En rester là c'est se contenter d'une affirmation immédiate, on verra qu'est ce qui sous-tend en réalité ce phénomène.



3. Rééquilibration par le toucher



3.1. L'acquisition de la station verticale, le développement des organes des sens de la distanciation: l'oreille et l'oeil sont gros d'une possibilité de séparation qui est accrue avec le surgissement du langage verbal et l'accroissement des capacités cérébrales. Il faut donc un mécanisme qui tende a enrayer ce phénomène sinon il pourrait y avoir non seulement cladisation mais éclatement des communautés. C'est la peau qui va l'assurer et de ce fait maintenir l'union. Elle est l'organe du toucher dont une forme élaborée, le contact est très développé chez les primates: «La communication tactile joue un rôle majeur dans la vie des primates. En tant qu'ordre animal les primates sont des animaux de contact, comme l'a remarqué Harlow.» (A. Montagu: La peau et le toucher, Ed. Le seuil, p.35)



On comprend mieux cette activité de la peau si on tient compte qu'elle est une limite et que du feuillet qui la produira, l'ectoderme, découle le Système nerveux (phénomène de neurulation: invagination de l'ectoderme à l'intérieur de l'embryon); de ce fait elle est le point de départ de projections dans le système nerveux, et elle est le point d'arrivée de projection des divers organes sur elle-même (ceci est parfois très évident pour certaines zones comme la plante des pieds). De ce fait elle est la surface essentielle de stimulation pour exalter les fonctions de l'être vivant.



Pour bien comprendre le rôle de la peau, il faut tenir des conséquences de l'acquisition de la station verticale: accroissementr du volume de la tête, rétrécissement de l'orifice pelvien; «le développement des os du crâne par rapport aux membranes qui les contiennent est beaucoup moins avancé chez les humains que chez les singes du même âge de gestation» (idem p.41). Dès lors pour que l'accouchement soit possible sans mettre en cause la vie de la femme, il faut que le fœtus humain naisse par- la manipulation, forme la plus élaborée du toucher10.



3.2. Au cours de la naissance c'est l'utérus qui opère la stimulation de la peau de l'être naissant, lors de l'extérogestation c'est la main qui prend le relais.



«Le docteur Barron soutient que la stimulation cutanée à posteriori peut compenser en partie le manque de stimulation de la peau pendant le processus de naissance lui-même." (idem p.53) A, Montagu fait ensuite remarquer: «...la longue phase de travail de la femme, et surtout les contractions de l'utérus, ont une fonction importante, la même que le léchage et la toilette du nouveau-né chez les animaux. Elles servent à parachever le développement du foetus pour lui assurer un fonctionnement optimal de ses systèmes vitaux après la naissance.» (pp.. 54-55)



Ici s'instaure une autre relation fondamentale au sein de l'être humano-féminin: celle entre la main et le sexe; leur fonctionnement synergique ne réalise pas simplement la reproduction mais elle permet la réalisation de l'équilibre, celle d'une assise qui le rend apte à opérer la jonction au cosmos. (restauratrice de continuité).



Chez le jeune enfant diverses manipulations comme le massage (cf., shantala de Leboyer) ou tout simplement les caresses de la mère (et du père) exaltent le développement-éveil. En outre il y a rétroaction, surtout sur la mère ce qui provoque son épanouissement.



Paléontologiquement ce phénomène de rétroaction a dû jouer d'une façon plus ample: entretenir la poussée vers la réalisation parfaite de la station verticale qui, considérée en elle-même, semblerait une acquisition négative: difficulté de l'équilibre, fatigabilité, impossibilité de réalisation de performances importantes que ce soit à la course, au saut, etc...Il est normal que si un ensemble de facteurs, eux positifs, favorisant la vie de l'espèce n'étaient pas intervenus, il y aurait eu en quelque sorte arrêt de l'acquisition de cette station. On peut même imaginer qu’il y a pu y avoir une régression, en particulier sous l'influence du milieu. C'est ainsi que l'on peut comprendre que le gorille et le chimpanzé soient ni des brachiateurs parfaits (et donc arboricoles) ni des marcheurs évolués. Particulièrement suggéstive à ce sujet est la position de la main en supination lors du déplacement au sol.



Cette relation entre main et sexe nous permet de comprendre l'extraordinaire importance de la sexualité chez l'homme qui n'opère pas seulement au sein de la reproduction mais également en tant que fonction d'équilibration, d'harmonisation, de connaissance (en interaction avec le toucher) comme l'intuitionnèrent divers sages.



Toutefois la sexualité n'intervient pas de façon primaire et immédiate, car elle est le résultat d'un procès de maturation du jeune être fémino-humain et, ce, en relation avec les autres êtres qui l'entourent; car, là aussi, l'ontogenèse récapitule une phylogenèse de vaste amplitude puisqu'elle concerne non seulement le phylum homo, mais le phénomène vie: la sexualité est apparue bien des années après l'émergence de la vie.



Ainsi au niveau de notre espèce, il est évident qu'étant donnés: la rupture qu'implique la naissance (phénomène commun à tous les mammifère), l'extrême faiblesse-dépendance du nouveauné et le possible très grand de l'autonomisation séparation ultérieure, il est nécessaire qu'il y ait un désir, une propension, un besoin, une tension-pulsion énorme de la part de l'enfant d’aller vers ses parents, d'autres enfants, ou vers d'autres êtres fémino-humains. C'est la fonction de continuité qui prédomine et elle se manifeste telle, en sa globalité, parce qu'elle peut opérer sur la mère, le père ou sur une autre personne s'occupant de l'enfant. Ensuite ce qu'on nomme l'attachement (une variété d'empreinte des ethologues) s'édifie par interactions entre l'enfant, la mère et le père. L'homme à la naissance est un être inachevé, un prématuré. En conséquence il y a la nécessité d'une seconde gestation: l'extérogestation: «La gestation humaine fait partie des gestations longues; néanmoins, la seconde partie de son développement se poursuit hors de la matrice. Dans l'acception que nous lui avons donnée, la gestation n'est pas terminée à la naissance, et l'utérogestation (c'est-à-dire la gestation à l'intérieur de l'utérus) se prolonge en extérogestation (gestation à l'extérieur de la matrice). Bostock a proposé que la fin de l'extérogestation soit fixée au stade où l'enfant commence à courir à quatre pattes.» (idem p.43)



Pour exciter la peau il faut un organe. Chez la plupart des mammifères c'est la langue: il y a léchage de la progéniture par exemple; chez les primates les plus voisins de l'homme et chez ce dernier c'est la main. Ainsi il y a une cohérence totale dans le développement puisqu'une activité, le léchage, est remplacée et s'opère la rétroaction essentielle dont nous avons déjà parlé.



Les fonctions de nutrition et de jouissance vont s'effectuer simultanément et même synergiquement à celle de continuité (recherche de contact) et, du sein de la fonction de jouissance, va s'édifier la sexualité qui permettra de maintenir toute puissante la fonction de continuité au sein de la vie entière de l'être humano-féminin.



L'amour est le résultat d'un procès au cours duquel divers phénomènes doivent se réaliser qui dépendent de l'enfant, de la mère, du père, ainsi que, dans une moindre mesure, des adultes et des enfants qui constituent l'entourage de cet enfant (étant donné qu'à l'heure actuelle la communauté dans sa dimension structurelle se réduit à quelques personnes). S'ils ne se réalisent pas tous correctement, il y a une perturbation fondamentale de l'amour; il y a des ratés de sa manifestation entre êtres de sexes opposés qui implique le jeu de la sexualité immédiate, et êtres de sexes identiques: amour filial, parental, amitié, etc...



Ces ratés du procès de formation de l'amour sont compensées par l'activité encéphalique qui, grâce à l'imagination créatrice des possibles, engendre des fantasmes qui tendent à rééquilibrer l'être humano-féminin11.



3.3. Le sens fondamental, primordial est le toucher qui se distribue différemment en fonction des organes qui le monopolisent en quelque sorte, son rôle est modifié par interaction des divers organes; de là on a un toucher actif et passif, moteur et sensoriel.



Au cours de l'ontogenèse le toucher s'effectue d'abord par la bouche: oralité; ensuite il s'effectue par la main.



Ces deux activités réflexes, l'orientation orale et la préhension par les lèvres, sont les deux étapes du développement de ce comportement fouisseur... Le geste des lèvres qui enveloppent le mamelon et l'aréole du sein- comme plus tard celui des mains qui prennent le sein, s'y accrochent ou s'y reposent- est selon Spitz, l'archétype précurseur des relations aux objets." (idem, p.82)



La bouche conserve un toucher essentiel grâce à l'amour, mais aussi grâce au langage verbal avec lequel s'effectue un toucher à distance (on dit d'une expression qu'elle touche!). D'où l'oralité est une fonction de jouissance intense.



Ainsi grâce à la main il y a abolition de la séparation qu'opère la naissance et il y a maintien d'une continuité avec transmission de l'acquis des parents, de telle sorte que l'enfant n'est pas un simple segment de l'espèce qui vient s'ajouter à un segment plus grand, mais un rameau bourgeonné au cours de la parturition.



3.4. Dans le développement de l'être humano-féminin on a donc des pôles à partir desquels se déterminent des gradients: la bouche et l'oralité, la main et la chiralité (nous n'oublions pas le sens que ce mot possède en chimie), le sexe et la sexualité, l'encéphale et la pensée. Le langage verbal est bien une synthèse permettant la liaison entre ces divers pôles car, si dans son immédiateté, il est produit par la bouche, il nécessite l'activité de l'encéphale pour être pleinement réalisé et en même temps il exprime le trop plein de flux de vie qu'est la pensée: l'être doit se libérer pour pouvoir poursuivre son procès de vie, pour ne pas exploser.



On a parlé de gradient parce qu'en fait la pensée, par exemple, est en réalité une sécrétion de tout le corps qui n'apparaît, s'exsude fondamentalement qu'au niveau de l'encéphale et devient manifeste dans le langage verbal qui a supplanté d'autres formes d'expression. Il s'agit bien d'une sécrétion qui permet une harmonisation avec le milieu et une émersion.



On doit tenir compte en outre de la totipotence des organes. Certes elle n'est pas aussi puissante que celle qu'on trouve chez les plantes où il peut y avoir une régénération à partir de quelques cellules; mais c'est suffisant pour établir le gradient. Il y a en réalité maintien des anciennes fonctions; ainsi la bouche conserve sa fonction de préhension, la peau sa sensibilité à la lumière, l'encéphale sa fonction endocrine, etc..



Enfin, si on examine la question du point de vue de la jouissance, on peut constater qu'elle existe au niveau de la bouche, de la main , du sexe de même qu'elle résulte de l'interaction entre ces organes. Une appréhension immédiate conduirait à penser que l'encéphale serait uniquement le lieu où se réfléchissent les diverses jouissances et qu'il serait passif, non générateur propre de jouissance. Ce serait alors oublier celle engendrée par la pensée: il y a un rut de l'encéphale comme il y a un orgasme de celui-ci.



L'essentiel est que ces divers moments ne soient pas séparés, car si en eux-mêmes ils sont parfaits, ils ne peuvent pas, isolément, apporter plénitude à l'être qui les vit. Un orgasme de l'encéphale en l'absence de l'autre (femme ou homme selon le sujet) est très proche d'une masturbation qui fonde, justifie la séparation-autonomisation et empêche toute union.



La peau organe de contact, d'union doit être envisagée dans la dynamique de la reproduction et de la réactualisation de l'être humain, procès au cours duquel l'espèce se vérifie dans son effectivité, procès devenant de plus en plus important et nécessaire au cours de l'anthropogénèse.



3.5. La plupart des troubles psychiques sont dus à une absence de stimulation de la peau, à un défaut de toucher. Or ces manques sont souvent voulus et sont pratiqués à cause d'une représentation individualiste de la vie humaine, d'une volonté de se séparer de l'animalité, de la nature, de se rendre indépendant, autonome. D'où lors de l'éducation des enfants, la pratique afin d'aguerrir, de viriliser, etc.... de ne pas toucher, de ne pas caresser, de ne pas porter l'enfant!



On a, par là, brisure d'un procès d'édification qui peut seul réaliser l'individualisation c'est-à-dire la particularisation de l'espèce ou, dit autrement, le développement de celle-ci à partir d'une unicité. Il est clair que la production de l'individu en est la caricature réductrice.



Tout cela découle de la séparation phénomène possible à partir de l'acquisition de la station verticale mais qui ne devient opérante qu'avec le développement de la culture surtout lors du surgissement des castes, des classes, de l'État, etc....



Ainsi l'État représentant séparé, abstraïsé d'une communauté ne peut perdurer qu'en rompant la continuité entre les êtres sujets: il faut diviser pour régner. En conséquence toutes, les communautés où l'État s'est imposé sont des communautés où les fonctions sensorielles odorat et toucher sont réduites. Ainsi les distances peuvent êtres maintenues et certains individus deviennent inaccessibles (hiérarchisation). Le phénomène est très apparent en Inde où l'on a même une caste des Intouchables.



En Occident le christianisme sanctionne et réclame non seulement la séparation du corps et de l'esprit mais la négation du corps. "Peut-être serait-il plus exact de dire que les tabous sur la tactilité viennent de la peur du plaisir charnel, étroitement associé à la tradition chrétienne dans toutes ses variantes. L'une des grandes réalisations négatives du christianisme a été de transformer en péché les plaisirs de la tactilité." (idem p.l78)



En règle générale les différences entre les grandes religions dérivent de la différence des moments de séparation d'avec la nature qu'elles représentent ainsi que de la modalité qu'elles ont de substituer à la communauté naturelle une communauté illusoire.



3.6. La réduction du toucher, son inhibition ont permis un développement autonome des sens, car: «Seule la peau réussit à combiner les dimensions spatiales et temporelles de l'ouïe et dela vue même si l'oreille est plus efficace pour appréhender le temps, et l'oeil pour appréhender l'espace.» (idem p.118). Ce qui a son tour a facilité la séparation sens cerveau.



En fait la séparation intérieur-extérieur a conduit à autonomiser l'espace et le temps et ce sont les organes des sens de la distanciation (oreille et œil) qui ont pu appréhender ces éléments autonomisés. En revanche l'autre organe de la distanciation, le nez voit son importance se réduire; toutefois elle se retrouve dans les langues où le verbe désignant la sensibilité sous toutes ses formes est celui qui désigne celle particulière de l'odorat: sentir (français, italien alors qu'en anglais on a to smell, to feel). Cela est peut-être dû à deux choses: imbrication avec le goût qui lui apporte une dimension de contact et son interaction avec la respiration.



Cette séparation aurait pu détruire l'unité de l'être humain si la peau n'avait pas compensé par une appréhension globale, unificatrice ce qui avait été séparé. C'est pourquoi les êtres humains dont la peau n'a pas été sollicitée par les caresses maternelles et paternelles durant la période enfantine peuvent  facilement présenter des troubles de dissociation psychique: schizophrénie, paranoïa, etc.... dus également à l'insécurité.



Mais la destruction pouvait se porter sur l'espèce elle-même en tant que superorganisme. C'est pourquoi les religions, représentations qui supplantèrent celle dite mythique, magique, pré-logique, etc., de la solidarité organique, lorsqu'il y eut fragmentation de la communauté, durent réintroduire un élément de continuité. Dans le cas de la religion chrétienne c'est le Christ, qui est de ce fait la médiation suprême et l'opérateur d'immédiateté; son rôle est complété par celui des Saints, etc.... Ainsi les religions sont une expression d'une exigence biologique.



L'espèce ne pouvait pas subir une telle négation du corps (équivalent à une négation de la nature, de la vie) sans risquer l'extinction. Voilà pourquoi est-ce en Occident où le phénomène du capital (opérateur fondamental de séparation s'instaura le plus précocement, que le naturisme (voir aussi l’hygiène naturelle)) prit naissance au début de ce siècle (il fut précédé par de petits mouvements dans l'antiquité). Il fut la première manifestation de ce que nous avons nommé la dimension biologique de la révolution.



Ce fut un refus de la séparation qui depuis quelques siècles se réalise avec le port du vêtement.



«A Bali habiller l'enfant signifie l'attacher au corps de sa mère. Ce qui est radicalement différent de ce qui se passe en Occident, où le vêtement au contraire sépare l'enfant de sa mère.» (idem p.93)



Le vêtement en effet, n’a pas pour unique fonction de protéger; il s'y ajoute une fonction culturelle car il exprime l'appartenance, la différence, il isole. L'uniformisation actuelle engendre, en réaction normale, l'excentricité et, à cause d'elles, 1a mode est une nécessité pour assurer cette uniformisation, l'enfreindre et la renouveler (on dit suivre une mode et lancer une mode). De nos jours le vêtement exprime de moins en moins la dimension esthétique de l'espèce et l'originalité de l'être particulier qui le porte.



La généralisation d'un certain naturisme, surtout en saison chaude, en Occident, n'est pas seulement dû à un phénomène de récupération car il est déterminé par la nécessité impérieuse de rétablir, au moins momentanément, le contact. En outre il n'est possible que parce qu'il y a eu répression intériorisée: il n'y a plus de toucher il y a simplement un rapport superficiel avec la nature.



Au cours de tout le procès qui mène à homo sapiens sapiens la peau assure une fonction de continuité et permet la rééquilibration compensant la séparation d'avec la nature, puis la fragmentation de la communauté. Mais à un moment donné, le fait culturel enraye ce phénomène d'où la maladie de l'espèce12. Et cette maladie consiste encore en une réaction de cette dernière à cette situation intolérable, une réaction pour vivre, subsister, comme l'ont bien montré W. Reich, A. Janov ou Lowen, en mettant en évidence à quel point la carapace qui permet à l'individu de se protéger, s'isoler, l'enferme dans une folie. De là découle la nécessité de détruire cette carapace pour permettre l'épanouissement du toucher qui induira celui de l'être humano féminin retrouvant la concrétude et la continuité.



Ainsi la main a pour fonctions:

1. La préhension technique.

2. L' investigation du monde par déplacement et contact ce qui fonde le toucher réflexif.

3. Assurer la continuité entre les êtres.



La première et une partie de la seconde sont conservées, mais la troisième est excessivement réduite ne serait-ce que par 1a perte de la concrétude, tandis que 1e toucher réflexif est escamoté.



À l'heure actuelle, par suite du développement de la robotique, de l'évanescence du toucher ainsi que de la tendance à produire du vivant à partir du non-vivant sans passer par tout le procès-continuum: du minéral à l'organique puis au biologique, la main tend à devenir superflue. Ici il y a un risque énorme parce qu'il y a déséquilibre total. Qu'est-ce qui pourrait remplacer la main pour accomplir la jouissance des êtres humano-féminins? En fait on pourrait envisager, dans une certaine mesure, une diminution du rôle technique de la main puisque beaucoup de tâches ne sont plus assurées manuellement, accompagné d'une compensation due à une exaltation du rôle de celle-ci dans le contact avec les êtres dans le procès de jouissance au monde. Toutefois, il faut tendre à maintenir toutes les fonctions de la main en découvrant des domaines où celle-ci puisse encore opérer techniquement et surtout en faisant en sorte de refuser la division du travail qui conduit à ce que chaque être humanoféminin n'accomplit qu'une fraction d'un procès de production donné, ce qui a comme autre nocivité celle d'empêcher d'avoir une vision globale du monde et inhibe un développement psychique harmonieux et harmonisé au monde. L'être n'est jamais en présence d'une perfection c'est-à-dire d'un procès de production accompli en son intégralité, jusqu'à son parachèvement, sa perfection. Or, c'est le psychique, domaine le plus fragile, qui, en définitive-fonde toute l'activité à cause des phénomènes de représentation et de rétrocontrôle.



4. Le langage verbal



4.1. Si la station verticale et la réduction de la taille des dents fondent le possible matériel, en tant que substrat, du développement de l'encéphale, l'acquisition du langage verbal fonde le possible "immatériel" de celui-ci. Cela le force en quelque sorte à se développer, à remplir l'espace libéré; ce qui implique que le langage verbal est acquis progressivement à partir du moment où la station verticale s'est réalisée (on a bien une coévolution); donc il concerne également les australanthropes, fait qui renforce notre thèse de les englober dans le genre Homo.



Cette coévolution se manifeste dès le début puisque l'acquisition de la station verticale permit le passage du larynx de sa position juste en arrière de la gorge comme c'est le cas chez les animaux -ce qui empêche l'articulation de nombreux sons nécessaires du langage verbal- à une position plus profonde, ce qui permet une vibration plus ample.



Appréhendé au moment de son émergence, le langage verbal doit être envisagé en rapport avec la préhension, l'intervention et le corollaire-complément sans lequel ni l'un ni l'autre ne sont possibles: la représentation. On doit étudier quelle restructuration de l'être humain il implique, et comment les fonctions de nutrition, de locomotion, de reproduction sont modifiées.



«L'Homme fabrique des outils concrets et des symboles, les uns et les autres relevant du même processus ou plutôt recourant dans le cerveau au même équipement fondamental.Cela conduit à considérer non seulement que le langage est  aussi caractéristique de l’homme que l’outil, mais qu’ils ne sont que l’expression de la même propriété de l'Homme.» (Leroi-Gourhan, Le geste et la parole -Technique et langage)



En tenant compte en outre que pour nous les outils en pierre sont déjà des outils composés, produits d'une synthèse, comme le langage verbal.



«La technique est à la fois geste et outil organisé en chaîne par une véritable syntaxe qui donne aux séries opératoires à la fois leur fixité et leur souplesse. La syntaxe opératoire est proposée par la mémoire et naît entre le cerveau et le milieu matériel. Si l'on poursuit le parallèle avec le langage, le même processus est toujours présent.» (idem p.164)



On doit ajouter que la technique fragmente la réalité, la segmente pour l'ordonner d'une autre façon; le langage verbal opère de même. Dans les deux cas une totalité est visée d'où le germe de despotisme du langage verbal et de la technique.



Il est donc possible de faire une paléontologie du langage verbal à partir de l'étude des outils. Ainsi Leroi-Gourhan mit en évidence qu'au niveau d'un australanthrope, le zinddjanthrope, on a un outil nécessitant une seule série de gestes, on a donc un nombre de chaînes opératoires peu élevé; avec les archanthropiens producteurs de cinq ou six formes d'outils; on a une double série de gestes; le nombre de chaînes opératoires est plus élevé.



Il est possible également de faire une paléontologie plus immédiate, organique, en étudiant la forme du palais, celle de l’arc dentaire, l’importance de la partie du moule endocranien correspondant à l’aire du langage verbal, ou celle de l’artère irriguant cette zone, etc… des formes fossiles.



On constate qu’il y a convergence des résultats entre ces deux approches, ce qui permet d’affirmer la haute ancienneté de la manifestation du langage verbal.



Le langage verbal a pu facilement  s’imposer parce qu’il offrit immédiatement des avantages: possibilité de communiquer la nuit ou tout en effectuant une activité déterminée, ce qui permit simultanément d’accéder à une jouissance plus grande du fait de la mise en œuvre d’une plus grande partie de l’être humano-féminin, facteur essentiel de réalisation d’une plénitude.



4.2. Le langage verbal a une fonction de rééquilibration en ce sens qu’il permet à la bouche de réacquérir une motricité qu’elle avait perdue du fait de sa migration à la main dotée d’outils. Toutefois, il ne faudrait pas penser qu’il y eut une période de dénuement buccal car la migration de la motricité ne s’est pas faite d’un seul coup et l’on doit imaginer qu’au fur et à mesure que la main accaparait cette motricité technique, la bouche en acquérait une autre, la phonation, de plus en plus  articulée du langage. C’est-à-dire que le moment d'acquisition du langage verbal est précédé d'une période  où les hommes et les femmes émettent des sons qui vont progressivement acquérir une signification de plus en plus constante: deuxième système de signalisation selon I. Pavlov et dépassement de l'immédiat. Autrement dit le langage verbal est précédé d'un langage émotionnel à signification diffuse: cris, etc...



Il s'élabore en coexistence avec un langage gestuel lui même particularisation du langage corporel, comme l'est le langage facial des singes. Ainsi on doit penser que le langage verbal incorpore ces autres langages et devient synthèse d'une activité exprimant un comportement donné. Par là il permet une participation globale de tous à un faire, à un rythme, à un chant; il est prolongement de gestes et geste luimême en tant qu'attitude de tout le corps s'exprimant; d'un corps non strictement particularisé car, au début, il est une donnée fondamentalement spécifique.



Ainsi le langage verbal a une fonction de continuité qui est encore renforcée par son rôle au sein de la reproduction et du contact entre membres de la communauté: Durant l'extérogestation, la voix de la mère et celle du père ont un rôle dans le développement de l'enfant, d'autant plus qu'à l'origine la parole devait avoir une composante chantée et donc comporter en elle un rythme plus accentué qu'elle n'en renferme actuellement. La parole est le contact à distance; elle renforce le toucher comme celui-ci la complète. Ce faisant il y a également une jouissance provoquée par la mise en action du langage verbal (oralité) et l'on peut penser que dans une certaine mesure l'effet du rythme de la voix prolonge celui du rythme de l'utérus et probablement d'autres organes comme le cœur.



En conséquence il y a un équilibre qui s'établit au sein de la fonction de jouissance totale entre la bouche où phonation et nutrition sont sources de plaisir, et le sexe avec la reproduction.



Dans le développement harmonieux de l'être humain, cette fonction totale opère de façon rythmique en ce sens qu'à certains moments c'est une des zones de l'ensemble qui polarise la jouissance, les autres opérant pour ainsi dire en arrière fond, en résonance; à un autre moment c'est une autre zone et ainsi de suite. En revanche le développement sans plénitude, inharmonique, conduit à ce qu'une zone devienne prépondérante, c'est-à-dire que toute la jouissance tend à se réaliser à travers elle; ainsi il y a des êtres où l'oralité est quasi exclusive, soit à travers la nourriture, soit à travers la langage verbal, comme il y en a d'autre où c'est la sexualité qui a tout envahi.



Ce développement non harmonieux qui implique une mutilation est fréquent de nos jours. En ce qui concerne la prépondérance presqu'exclusive de la sexualité, elle a même été théorisée: S. Freud et toute l'école psychanalytique, qui l'ont érigée en fondement de l'être humain. Ce faisant S. Freud ne se rendit pas compte qu'il interprétait un déséquilibre organique profond (sur l'origine duquel il n'est pas utile de discuter en détail pour le moment) et que lorsqu'il en est ainsi il y a toujours un organe ou une partie de l'organisme qui tend à effectuer la totalité du procès (donc mutilation parce qu'une fonction globale comme la jouissance ne peut s'accomplir que par diverses modalités de saisie, et c'est la sommation de ces dernières qui apporte la plénitude). En effet la fonction persiste -ici la fonction de jouissance qui implique la jonction aux êtres et au monde- mais elle se réalise à partir d'une zone qui, dit en termes biologiques, subit une espèce d'hypertélie.

La station verticale permettant une préhension-intervention est grosse d'un possible de séparations qui se réalisèrent provoquant des, déséquilibres importants pour l'espèce, générateurs de traumatismes qui ont jalonné son devenir. En conséquence il y eut nécessité de réalisation d'un phénomène de rééquilibration tendant à annihiler les effets de la séparation: le toucher.




La coordination des trois composantes de la fonction jouissance est sous la dépendance de l'encéphale. Je préfère parler d'encéphale parce qu'en réalité c'est la totalité de celui-ci qui intervient et non uniquement le cerveau; en tenant compte simultanément à l'esprit que ce n'est que pour faciliter l'exposition que je sépare l'encéphale du reste du corps, car en réalité toute fonction met en jeu la totalité de ce dernier. L'organisme est réordonné en fonction de chaque activité et pour la réaliser il y a des zones qui sont plus actives que d'autres.



Il en découle que la jouissance est en relation avec la représentation. L'être humain en même temps qu'il opère dans l'immédiat se représente l'activité en cours. Etant donné que la représentation peut être mémorisée, il s'ensuit inévitablement que toute perception, par exemple, est le produit immédiat de la jonction au monde en train de se produire et de la représentation (quitte à ce que, à un moment donné, la seconde soit modifiée par la première et réciproquement). Il est clair qu'au fur et à mesure du développement de l'espèce la représentation devient très importante et fonde un inné qui oriente les êtres humains dans une modalité de se capter entre eux et de capter le monde. Dès lors toute contradiction entre jonction au monde et représentation est un moment de crise pour l'espèce, comme on le constate dans l'histoire des sciences.



Cet inné n'est pas une donnée transcendante, extérieure à l'être humain immédiat; il est le corollaire de son organisation biologique acquise au cours du procès d'anthropogénèse.



Originairement le langage verbal a une dimension essentiellement spécifique: il renforce la cohésion entre les fonctions (nutrition, motricité générale, utilisation des outils, reproduction, etc.) mais aussi entre les êtres humains. De ce moment là jusqu'à la formation des centres préfrontaux chez Homo sapiens sapiens, il y aura une certaine rigidité qui ne permet pas un épanouissement des divers éléments aussi bien du langage verbal que la technique ou de la représentation.



Toutefois dès le début on peut penser que le langage verbal a joué un rôle de simulation d'une activité et que là se trouve le germe de l'expérience (au sens scientifique). Cette simulation pourra avoir été réalisée ensuite grâce à des dessins, des schémas, comme elle peut l'être maintenant grâce aux ordinateurs.



Cette faculté est en liaison avec le pouvoir de désignation signalisation qui retentit essentiellement sur le procès de la représentation. En outre, le langage verbal renforce l'aptitude à la réflexion lui fournissant une assise, car il assure une espèce d'investigation de ce qui est advenu qui n'est pas une simple redondance du vécu.



Ainsi le langage est inséparable de la pensée, fonction qui permet au mieux de réaliser la représentation devenant non immédiate et opérateur de connaissance et d'action parce qu'elle va se placer entre l'être humain connaissant, percevant, et les éléments à connaître, à percevoir. Toutefois, on ne peut pas dire que le langage verbal exprime toute la pensée; il y a certainement une pensée sans langage et il semble que dans l'hindouisme et le bouddhisme on essaye de retrouver une telle pensée; un flux total de l'être pensant, connaissant qui, alors, se sent plus en continuité avec le cosmos puisqu'il n'y a pas de séparation, de tri, de choix, de sélection, etc., flux qui ne soit pas canalisé au niveau de l'encéphale en des segments donnés à travers le mécanisme de la conscientisation13.



Le langage verbal exprimerait en définitive une portion de la pensée de l'être humano-féminin conçue comme activité totale de celui-ci ; la portion non énonçable est définie comme inconscient, le ça de G.Groddeck.



Un autre aspect de la fonction de continuité, réalisée grâce au langage verbal apparaît dans la  transmission qui est non seulement synchronique, opérant entre les êtres contemporains, mais aussi diachronique, opérant entre membres de générations successives, de façon globale incluant la pensée, c'est-à-dire l'activité totale de l'espèce.



Le langage verbal est donc intimement lié à l'apprentissage, à l'aptitude à acquérir des connaissances au sujet du faire global de l'espèce, ce qui la définit, comme au sujets de faires particuliers au fur et à mesure que le faire spécifique devient de plus en plus immense et ne peut être acquis de façon immédiate par un être déterminé.



On comprend dès lors l'essentialité de la possession d'un organe de récapitulation de tout le devenir humain, permettant à chaque composant de l'espèce de se mettre potentiellement au niveau où elle est advenue: l'encéphale qui escamote la nécessité d'une transmission héréditaire de type génétique qui serait trop rigide, lestée de trop d'inertie et inhiberait tout possible de variation continue et d'acquisition immédiate.



4.3. Avec l'acquisition du langage verbal s'engendre ce qui deviendra la culture, c'est à dire ce qui à partir de la nature est élaboré par l'espèce et devient base de son développement ultérieur. Ce faisant se crée le possible de la séparation d'avec la nature et ce qui, ensuite, permet de l'effectuer. Ce phénomène est d'autant plus important que le langage verbal est une synthèse d'activités de l'espèce et que dans la mesure où il deviendra de plus en plus médiation entre les membres de la communauté, il se posera en tant qu'activité distincte séparée de la nature, activité en laquelle les hommes et les femmes pourront se retrouver et se fonder, d'où accélération du procès de séparation-distanciation.



Dans la mesure où l'on a déjà indiqué le procès de séparation inclus dans celui  d'anthropogénèse; procès qui s'exalte avec celui d'individualisation, on doit dès maintenant indiquer une autre fonction de continuité du langage verbal, celle d'abolir la séparation, de colmater la brèche.



Il est important également de signaler que le langage verbal va retentir sur toutes les autres fonctions, qu'il va tendre à se les subordonner et ceci est déterminé par l'impulsion qui a provoqué sa genèse: la nécessité d'une jonction, d'un contact; toute activité doit être signifiante. En ce sens le langage verbal est l'élément fondamental de la représentation et pour s'épanouir il a besoin que toute activité se déroule en activité propre déterminée par ses caractéristiques et activité signifiante; il y a un redoublement, un faire immédiat et un faire médiat, signifiant. Ainsi manger n'est pas seulement une activité qui vise à assouvir une faim et donc à apporter une quantité d'énergie; elle est également signalisatrice d'un comportement donné vis-à-vis de l'environnement et deviendra signe d’une participation qui fonde la communauté. Tout homme, toute femme doit se faire signifiant dans un système de référents donné pour être reconnu.



On a un lestage de toute activité qui est par là une métactivité ou point de vue sur cette activité; c'est ce lestage qui détermine de plus en plus l'espèce.



On peut également envisager l'apparition d'une signifiance base d'un langage propre aux diverses activités ou des objets de l'espèce, comme étant une compensation opérant au niveau de tout le corps: empêcher une polarisation trop excessive qui déséquilibrerait l'organisme.



Dit autrement: il s'agit en même temps que l'on opère, que l'on intervient, de se situer dans le continuum humain. Par là, on reste en contact, car le faire pourrait amener lui aussi une autonomisation. Donc le langage verbal permet à nouveau de maintenir la continuité.



Sous cette impulsion du langage verbal tout va être signifiant pour pouvoir être traduit en paroles, c'est-à-dire qu'il y a exaltation de la fonction-symbolique, sémiotique.



Là réside un autre danger: s'affronter uniquement au symbole et perdre de vue le référent, le support. C'est une autonomisation qui a pu souvent produire des troubles. Il est clair qu'au moment de son émergence cela ne peut pas être opérant, mais il est essentiel de signaler cela afin de comprendre le traumatisme qui affectera l'espèce.



Parler est un acte volontaire et, comme tel, avons- nous dit, il a la caractéristique de pouvoir être différé mais aussi, et c'est nouveau, de réactualiser un acte, ce qui renforce énormément la représentation, lui donnant une quasi matérialité vis-à-vis de laquelle le (ou les) locuteur pourront se distancier, d'autant plus que le langage verbal est apte à simuler (fonction par laquelle on fait jouer un possible, ultérieurement plusieurs) initiant un procès d'autonomisation qui, sous l'action de divers facteurs ultérieurs s'accomplira pleinement et fera du langage verbal une réalité despotique aliénante.



En Occident la représentation-désignation du langage indique bien ce phénomène: muthos et logos.



Pour saisir leur importance, on doit se reporter en amont de l'acquisition du langage verbal. L'être vivant est alors comme absorbé par sa représentation, tant tous deux forment une unité où il n'y a pas dissociation entre les deux mouvements qui fondent cette dernière: une projection à l'intérieur de l'être vivant de lui-même et de son environnement, et une projection de son être dans ce dernier: le territoire.



Avec le langage verbal il y a une distanciation entre les deux et une espèce de dialogue peut s'effectuer qui, à un moment donné, ultérieur, peut se faire avec escamotage de l'être support de cette représentation.



Lorsque la séparation d'avec la nature commence à s'effectuer le langage verbal, avons-nous dit, permet, par le phénomène sus-indiqué, de colmater la brèche et de la maintenir (ce qui la conjure), et de représenter ce moment fondateur du devenir particulier de l'espèce phylum. C'est ce que justement exprime le mythe puisqu'il est récit, parole donnée d'un élément fondateur (M. Eliade), phénomène absolument évident, transparent dans les mythes situant l'origine de l'ethnie, se considérant, d'ailleurs, comme l'espèce. Il est paradigmatique puisqu'il postule qu'une action donnée s'est déroulée à un moment déterminé de la vie de l'espèce qui n'a pas besoin d'être située dans le continuum vie, il ne peut pas y avoir de notion de temps, ni d'histoire, ni non plus d'origine. Il s'agit de la fondation de l'espèce qui se traduit souvent par un acte de métamorphose, une transformation essentielle ; c'est aussi sa justification vis-à-vis de la nature.



Ce qui est essentiel c'est que le mythe est fondateur et représente la création de l'espèce. On peut dire que tout mythe de fondation est une représentation de la particularisation de l'espèce au sein du continuum vie, qui est grosse d'une séparation. Cette instauration ne peut être efficace, et l'espèce ne peut continuer à persister dans sa nouvelle dimension qu'en réactualisant l'acte primordial, d'où les rites, les pratiques, etc. qu'il n'est pas nécessaire d'analyser ici. Il suffit de signaler pour caractériser l'essentialité du langage verbal pour l'espèce, et l'autre aspect de la détermination paradigmatique du mythe.



Cette interprétation du mythe semblerait confirmer la thèse de G. de Tarde ("Les lois de l'imitation") sur l'essentialité de l'imitation (qui est un phénomène de répétition) posé comme une espèce d'instinct, dans tous les cas comme quelque chose de tout à fait inconscient (une espèce de somnambulisme dit-il). Elle est compatible également avec la représentation de M. Jousse pour qui la mimésis occupe une place essentielle opérant non seulement entre les hommes mais entre ceux-ci et les autres êtres vivants et avec les phénomènes naturels.



Toutefois pourquoi cette nécessité de se référer à un moment primordial où un fait déterminé exemplaire se serait produit qu'il s'agit de reproduire? La question n'est pas abordée par ces auteurs, ou est escamotée. On ne peut y répondre que si on tient compte du facteur d'insécurité, d'incertitude, voire d'angoisse qui accompagne la séparation d'avec la nature. L'immédiateté, l'évidence s'abolissent. Dès lors il faut bien s'appliquer à répéter l'acte qui fonde le nouveau devenir si on ne veut pas qu'il y ait destruction, fin du monde (crise de la présence selon E. De Martino). Ceci s'amplifiera avec le surgissement d'Homo sapiens sapiens.



Tant que les différentes communautés ne se séparèrent pas de façon effective de la nature et ne subirent pas une fragmentation en rapport avec le mouvement de la valeur d'échange, le mythe fut la représentation déterminante. Ensuite, et ce avec la fin de la tradition orale consécutive à l'apparition de l'écriture, l'acte de parler sera désigné par logos qui viendrait d'une racine signifiant recueillir, rassembler et qui connote l'idée d'un discours réglé discipliné pour la conquête de la vérité (article Mythe, Encyclopédia Universalis).



Muthos est le produit d'une pensée rayonnante qui ne connaît pas la séparation intérieur-extérieur, logos est celui de la pensée linéaire. Lors de la supplantation de muthos par logos, en rapport avec le surgissement des sociétés de classe, il y eut une dévalorisation profonde du premier qui fut présenté comme "parole servant à créer l'illusion bienfaisante ou malfaisante" (Encyclopedia Universalis) mais il ne fut pas possible d'extirper le mythe ce qui aurait consisté une domestication précoce de la pensée, et c'est même ce qui s'opposa au mythe qui prit valeur mythique. (cf.. bien plus tard le mythe de la science)



À deux moments de son évolution l'humanité occidentale désigne de manière différente une même activité biologique qui revêt des déterminations différentes. Cette essencialité retrouve dans la représentation surgie dans une zone non strictement occidentale bien que fondant un autre moment de la pensée de l'Occident: le judaïsme. Dieu est le verbe: "Dieu dit "que la lumière soit" et la lumière fut.". Elle réapparaît dans le christianisme en tant que mouvement réformateur, prêchant la bonne parole, l'évangile.



Le langage verbal est donc conçu comme déterminant l'espèce et ceci ne se produit pas uniquement en Occident. En Afrique où la pratique de la palabre est encore fortement opérationnelle on a dans la représentation des Dogons, par exemple, une expression remarquable d'un rôle fondamental du langage (cf. ce que dit Ogotommeli dans Dieu d'eau de M. Griaule) et il y a une parenté avec la conception du logos spermatikos des grecs. Cette conception considère que la parole féconde (indication que cette représentation date du moment de l'agriculture) et dans la relation de locuteur à locuteur il y a un moyen terme: celui de locuteur à écouteur avec réversibilité des rôles, sinon il n'y aurait pas de dialogue effectif. En conséquence on peut dire que chacun tour à tour féconde et est fécondé, ce qui veut dire qu'on est tour à tour homme et femme et qu'ainsi se réalise l'androgynie que certains peuples considèrent comme étant le stade antérieur d'où dérive l'espèce actuelle. C'est le rêve d'une continuité.



On retrouve ici la dimension de jouissance de l'oralité ainsi que le mimétisme qui s'opère entre les divers pôles: sexe, main, bouche.



Ainsi le langage verbal amène une transformation dans le comportement de l'espèce et est lui-même transformé par les variations du mode de vie de celle-ci en relation par exemple avec le surgissement de l'agriculture et de la sédentarisation favorisant une linéarisation de la pensée et donc une réduction de la rayonnance du langage, de sa polysémie, en même temps qu'elle produit un opérateur de connaissance, la fécondation qui permet de se représenter autrement le langage verbal qui est l'organe (N.Chomsky) d'effectuation de la représentation.



Au cours des siècles on a une dégradation du mythe en fable, en conte, mais il a par là-même persisté et il réacquiert une certaine effectivité actuellement au sein de la science-fiction.



Le langage verbal a connu une évolution similaire: plus personne maintenant ne se laisse féconder, personne n'écoute, car il y a longtemps que l'on a oublié que parler impliquait de savoir écouter et personne n'est plus apte à féconder. Le langage verbal ne sert plus qu'à communiquer, à transmettre les injonctions d'un ordre social déterminé par le capital. Dès lors on comprend que la sexualité soit amenée à s'enfler car il faut exalter cette activité afin qu'elle puisse manifester la jouissance évanouie de l'oralité. D'où ce que l'on nomme les perversions sexuelles qui sont des tentatives de rééquilibration, qui font appel à d'autres êtres vivants où à des prothèses, pour retrouver en définitive ce qui fut perdu.



Enfin un des éléments fondateurs du mythe: la nécessité de se situer dès que s'accomplit la rupture d'avec la nature persiste jusqu'à nos jours. ".., mais la paléontologie rejoint le mythe dans le besoin physiologique et moral de se situer... Toutes les sciences du "qui suis-je?", "où suis-je?" ont donc réellement le même rôle essentiel à jouer que la mythologie." (Leroi-Gourhan). Si on ne se situe pas il n'y a pas de représentation possible et, dès lors, toute activité est inhibée.



À partir du moment où l'on a aboli la coupure, il n'y a plus un besoin "physiologique et moral de se situer" car on participe à une totalité. Il ne peut pas y avoir, d'angoisse! C'est pourquoi notre étude vise surtout à situer l'errance afin de comprendre le moment actuel de notre devenir et à poser les données d'une autre dynamique sans pour cela postuler faire acte fondateur. Car ce serait implicitement affirmer une discontinuité totale avec le passé. Or nous l'avons maintes fois affirmé: divers possibles se plaçant dans la mouvance qui est la nôtre s'affirmèrent tout le long du devenir de l'espèce. L'espèce est elle-même l'intégration de ces possibles.



Si nous avons tant insisté sur le mythe c'est parce que sa production précède certainement l'apparition de Homo sapiens sapiens.



5. Le feu



5.1. Avec le feu intervient un élément fondamental dans la maturation du phylum-espèce qui aboutit à l'homme actuel (anthropogenèse).



La fonction de continuité opère d'abord car, le lieu où se fait le feu, le foyer (le mot avec ses extensions sémantiques indique bien son essentialité), est celui de l'union de la communauté où se vérifie un faire qui ne peut pas être individuel; continuité en outre en ce sens que le feu n'a pu être produit que par l'action coordonnée de la main, des organes producteurs du langage verbal, de l'encéphale.



La maîtrise du feu n'a pas été acquise dans un but pratique immédiat, cuisson d'aliments, ou action sur des matériaux donnés, etc... puisqu'il aurait fallu que les êtres humains eussent d'abord fait l'expérience d'une cuisson et de son intérêt pour vouloir la produire de façon contrôlée. En revanche son utilisation immédiate est probablement liée à une nécessité de défense, ce qui a pu renforcer la volonté de vouloir le maîtriser.



Il est le produit de l'activité d'investigation de l'espèce, ce que certains réduisent à une activité ludique qui, à la limite, est celle de combiner des possibles, mais  qui exprime en fait la volonté d'intervention sur l'environnement, donnée constante du phylum. A ce propos, il est bon de faire remarquer qu'à l'origine les découvertes se placent hors de la sphère de vie immédiate pratique. Elles provoquent un bouleversement en son sein et elles sont intégrées dans la production de cette sphère de telle sorte qu'à un certain moment donné il y a effectivement départ à partir de celle-ci pour essayer de la modifier, améliorer, etc. Mais l’activité d’investigation persiste toujours au-delà de cette sphère, en conséquence il peut y avoir un transfert de découverte d'une sphère à l'autre.



Ce à quoi on assiste historiquement c'est à la progressive prépondérance de la sphère de production qui mobilise toutes les activités sises en dehors d'elle afin d'accroître son efficacité.



En outre il arrive parfois que c'est parce qu'un être humain ne parvient pas à réaliser son projet dans la sphère non immédiate (ce que dans certaines limites, d'aucuns nomment le sacré) qu'il opère dans celle immédiate. Comme ces deux sphères ne sont pas séparées, comme notre exposé semblerait le laisser supposer, il arrive que c'est pour améliorer une représentation dans la sphère du sacré que finalement un être humain parvient à des découvertes concernant l'autre sphère (cf. J. Képler, I. Newton, etc...). Elles sont bien en continuité et toute action dans l'une a son efficace dans l'autre.





5.2 Grâce au feu l'espèce est placée devant un phénomène de transformation, métamorphose, qu'elle essayera de plus en plus de contrôler; ainsi naîtront cuisine, céramique, métallurgie, etc... Le pouvoir de création production, l'imagination, sont sollicités et exaltés, ce qui renforce l'espèce. En même temps elle va être attractée par cette dynamique d'intervention-maîtrise ce qui va la diriger vers des acquisitions diverses et, pour qu'il y ait harmonisation dans le tout de son savoir, il lui faudra accroître sa capacité de représentation.



Le feu est créateur de possibles et de formes (cf. en particulier les ombres) qu'il est possible de manipuler. En conséquence avec lui, l'espèce se trouve en présence d'un ferment d'imagination parce qu'il dévoile un monde inaccessible auparavant. On peut en percevoir le retentissement dans le mythe de la caverne de Platon.



Du fait de sa contrôlabilité, il va permettre de créer un pôle de connu à partir duquel par l'analogie et la métaphore (fonction de continuité) l'espèce va pouvoir imaginer, concevoir, se représenter des phénomènes: la vie, l'amour. Il est l'un des premiers opérateurs de connaissance qui va contraindre à l'élaboration d'une représentation plus vaste dont la cohérence doit être rigoureuse (ce qui est un présupposé de la logique) sinon elle serait inopérante, inutilisable.



De ce fait si l'accroissement de l'encéphale est un des éléments fondamentaux qui a permis de maîtriser le feu, réciproquement cette acquisition va obliger l'espèce à développer l'imagination sinon elle ne serait pas en mesure de produire une représentation apte à englober tout ce que l'activité immédiate engendre et à lui permettre d'actualiser ainsi son procès de vie. C'est cette pression qui explique l'apparition ultérieure des centres préfrontaux. Or il est intéressant de noter que les découvertes récentes mettent en évidence la difficulté de placer une coupure nette entre les derniers Homo erectus et les premiers sapiens, de telle sorte que certains savants en arrivent à attribuer à ce dernier une ancienneté de 150.000 ans (cf. le cas de l'homme de Broken Hill); de-même qu'il est difficiIe de connaître l'ancienneté exacte de !a maîtrise du feu qui a pu être réalisée à différentes périodes séparées par de longs intervalles et en divers endroits14.



Cette continuité entre Homo erectus et Homo sapiens sapiens se perçoit non seulement sur le plan anatomique: accroissement de la capacité encéphalique, par exemple, mais aussi dans le développement technico-culturel; outre les améliorations de la taille des outils avec l'acquisition de la maîtrise de la symétrie, on doit noter les progrès dans la construction d'un habitat et donc la production d'un monde plus autonomisé qui implique une séparation possible, il y a la manifestation esthétique. Tout cela n'a pu qu'influer profondément sur le langage verbal et faire pression, comme indiqué plus haut, sur le développement de l'encéphale.



Or en exerçant une pression dans le sens de la production de l'imagination, le développement de l'espèce tend à accroître la fonction de continuité,   car l’imgination renferme une telle détermination fondamentale, bien qu'on puisse également lui trouver une aptitude à poser le discontinu (B. de Spinoza).



5.3. Le feu opère aussi au sein d'une fonction de discontinuité parce qu'il permet de séparer la communauté du milieu ambiant dans ses composants vivants (protection contre les prédateurs) et dans sa composition climatique. Dans ce cas l'espèce se met hors saison, hors du déroulement du cycle naturel et tend à dépasser sa détermination biologique.



Il y a une première rupture importante avec le phénomène vie dans la mesure où pour faire du feu les êtres humains la détruisent. Mais ce dut être assez limité à l'origine, d'une part à cause de difficultés pratiques de faire brûler  (les végétaux ne sont pas toujours secs), et d'autre part à cause d'un refus inconscient, inné de tuer!



La maîtrise du feu est le présupposé d'un devenir hors nature dans sa dimension immédiate comme cela se réalise avec la métallurgie et la cuisine.



Il est certain que dans un premier temps les êtres humains ont voulu reproduire-mimer la nature exprimant par là leur liaison-attachement profond, mais par suite de l'incorporation  des découvertes dans la sphère de vie immédiate productive, il y eut autonomisation de plus en plus grande et séparation, comme on peut s'en rendre compte par exemple quand on étudie l'évolution de l'alchimie et celle qui va de cette dernière à la chimie.



Le feu en permettant l'accroissement du domaine de vie va conduire l'espèce à une séparation de plus en grande vis-à-vis du milieu grâce à un énorme développement de la technique. Mais la production imitation des phénomènes naturels témoigne d'une volonté de maintenir aussi une union avec la nature remise en cause par l'activité technicienne.



5.4. C'est avec l'agriculture que le feu opère une discontinuité radicale. En effet ce n'est qu'à l'aide de ce dernier que les hommes du néolithique parvinrent à défricher de vastes zones où ils pratiquèrent la culture des plantes; ce faisant ils opéraient une distanciation fondamentale avec la nature originelle -qui devient une nature anthropique- fondant de façon plus aiguë la coupure, abolissant l'immédiateté primordiale.



La discontinuité opère également dans la mesure où grâce au feu, il y a renforcement du possible d'individuation. En effet on a beaucoup insisté sur l'aspect continu de telle sorte que beaucoup de savants sont allés jusqu'à parler du feu comme d'un élément de "socialisation", comme si les individus avaient pu exister à cette époque.


On a escamoté la fonction discontinue et on n'a pas compris que le feu est un présupposé lointain à leur apparition car ce n'est que s'il y a réalisation d'une importante sécurité pour la communauté qu'il peut y avoir épanouissement en son sein de divers possibles et, en conséquence, possibilité pour l'imagination de l'espèce de fonctionner. Or l'individu doit se concevoir comme une production de l'imagination de celle-ci.



5.5. Peut-être que le feu fut un des premiers opérateurs de la connaissance parce qu'il fut facile d'établir des analogies entre la chaleur qu'il dégage et celle engendrée par la vie, l'amour. Toutefois il est difficile d'affirmer qu'il ait été maîtrisé à cause d'une pulsion sexuelle, bien que la sexualité ait pu jouer, ensuite, pour représenter le mécanisme de sa production.



En ce qui concerne la vie, le rapport fut pensé, parfois, de façon très étroite à tel point que certaines ethnies envisagèrent la possibilité de faire revivre un mort en le réchauffant, d'où la pratique de l'incinération.



Quand la dynamique du pur et de l'impur s'instaurera, à la suite de la mise en place des interdits, le feu acquérera une autre détermination: la purification (à ce moment là l'incinération pourra être faite dans ce but).



Le feu fut, évidemment, mis en rapport avec le soleil et tous deux avec l'amour, la sexualité, surtout après l'instauration de l'agriculture avec qui prend naissance l'opérateur fécondité: le soleil en tant que phallus, dont le gland est embrasé, féconde quotidiennement la terre qu'il pénètre le soir pour s'en retirer le matin.



Enfin on ne peut pas ne pas rappeler le rapport du feu à la lumière, qui si elle est posée en général en relation avec le jour et le ciel, elle est potentialisée par lui. Or la lumière a une importance considérable au sein de la pensée de type manichéen fonctionnant avec le dualisme fondamental entre ténèbres et lumière. Cette dernière devenue représentation autonomisée devient principe d'explication qui sous sa forme la plus rationnelle est l'illuminisme = Aufklärung.



Avec l' autonomisation du pouvoir le feu va devenir une propriété ou un attribut des souverains qu'ils soient terrestres ou célestes, à cause de son pouvoir destructeur, apte à semer la terreur et donc à faire ployer la volonté des autres, ou à cause de sa vertu purificatrice comme chez les chrétiens.



L'utilisation du feu détermine un vaste cycle de développement de l'espèce: il y a au moins 400.000 ans, à Partir du mouvement mécanique il y a production de chaleur, le feu; à la fin du XVIIIème siècle, la chaleur va permettre de produire  un mouvement mécanique: la machine à vapeur.



En conséquence la production d'énergie nucléaire pose un autre rapport au feu.



Ces quelques remarques au sujet du feu nous imposent - en faisant un bond jusqu'à nos jours- d'envisager autrement ce dernier. Á partir du moment où l'on se pénètre bien de sa capacité de destruction, on ne peut plus accepter de faire du feu pour le simple plaisir de faire errer son imagination, sans parler du rejet absolument nécessaire de son utilisation pour éliminer les «mauvaises herbes», ou les résidus de tailles et de récoltes.



L'espèce humaine devra se resituer par rapport au feu comme par rapport aux trois éléments: air, terre, eau (qu'on peut considérer comme des équivalents généraux), en affirmant un autre mode d'être, une autre réalité.





6. Le déverrouillage des zones préfrontales



6.1. L'émergence de Homo sapiens sapiens est en relation avec 1a libération de la zone faciale et le développement des lobes préfrontaux du cerveau que l'on peut considérer comme étant les supports de l'imagination15 (plus de relations strictes entre un centre nerveux et un organe, mais un grand nombre de possibilités de relations entre différentes parties de l'encéphale, avec présence de neurones disponibles, car non liés), de toute action (dans son sens total incluant théorie et pratique) non strictement déterminée par un schème biologique inscrit, programmé dans le cerveau. La partie de celui-ci qui opère de cette façon peut être considérée, à la suite de A. Leroi-Gourhan, comme un cerveau technique. On a, toujours selon A. Leroi-Gourhan, un déblocage, un déverrouillage qui permet le développement de l'imagination qui est fondamentalement une fonction de continuité dans la mesure où elle permet une représentation de la totalité de l'être humano-féminin et du milieu où il vit, et surtout parce qu'elle est apte à englober, intégrer le continuum; grâce à l'imagination l'espèce embrasse tout l'univers. Son émergence témoigne de la continuité dans la poussée évolutive tendant à acquérir une possibilité d'intervention toujours plus efficace.



Sur le plan de l'activité cognitive il est évident que la faculté de généraliser une connaissance d'un domaine à un autre qui peut être plus vaste, l'analogie, la métaphore (ainsi qu'à des titres divers les autres tropes) - productions essentielles d'une fonction de continuité - ne sont possibles qu'à cause de l'imagination.



Le déverrouillage préfrontal est donc ce qui parachève la formation de l'encéphale, moment fondamental de l'anthropogénèse qui se caractérise par une opération de synthèse, en ce sens qu'elle intègre toutes les acquisitions antérieures. Réciproquement cela implique que son développement ne put pleinement se réaliser que lorsque les autres organes, main, larynx, etc... dont l'activité est déterminante dans l'anthropogénèse, eurent atteint leur plénitude; tandis qu'à partir de ce stade, la nouvelle structure de l'encéphale va avoir une influence sur ces derniers.



L'encéphale est un organe de signalisation, de là l'importance du langage verbal, deuxième système de signalisation; de confrontation16 ce qui permet à l'espèce de se situer et donc d'adapter efficacement son comportement en fonction de tout changement de milieu; de mémorisation en tant qu'acquisition de mémoire, ou mémoire médiate par opposition à la mémoire immédiate qui est le retentissement direct des événements du monde sur l'être vivant et leur rémanence; de jonction médiate au cosmos et c'est là qu'opère l'imagination; d'intégration qui est non seulement la faculté de sommer différents éléments, mais celle d'inclure un élément dans un tout, de le connecter à lui, ce qui implique la cohérence; de la représentation opérante pouvant se traduire directement en action.



Toutes ces fonctions n'opèrent pas séparément. Ainsi l'imagination exalte la capacité de signalisation, donc celle du langage verbal; tout peut devenir signifiant, ce qui oblige accroître la puissance d'intégration. Cette dernière, qui est en même temps fonction de régulation du procès de vie de l'espèce, est en relation étroite avec l'imagination qui est vraiment la dimension caractéristique de l'espèce.



Cette interdépendance se révèle de façon prégnante si on tient compte que l'imagination a une autre dimension qui la fait participer de la fonction de discontinuité parce qu'elle permet le surgissement des possibles qui fonde la séparation d'avec la sphère immédiate. En effet, si par l'imagination l'espèce accède à la découverte d'un possible qui lui pose une discontinuité par rapport à son devenir, cela lui impose un effort d'intégration pour rétablir la continuité, réalisable seulement au niveau de la représentation, et c'est l'imagination qui, ici encore opère. Et l'on doit ajouter qu'elle n'opère en discontinu que parce qu'il y a eu une discontinuité qui induit chez l'être humain un comportement de séparation, car les possibles peuvent être envisagés comme autant de modalités de ce qui est, du continuum; ou comme, la coupure avec la nature advenant, des points d'appui pour des diversifications séparatrices.



Ces fonctions sont aussi en rapport avec la détermination radicale de l'espèce humano-féminine qui est l'espèce phylum en qui le procès de vie tend à se développer dans l'intensité et la réflexivité. Cette dernière ne peut se réaliser que si le tout par rapport auquel elle opère ne s'évanouit pas. En conséquence la mémoire est exaltée car elle doit en quelque sorte conserver tout l'advenu de la vie. Il en est de même de la représentation. Cela traduit simultanément la nécessité pour l'espèce de maintenir la continuité avec tout le phénomène vie au moment où elle tend à s’en séparer (cf.1.8)17



6.2. L'émergence de l'imagination en tant que fonction prépondérante renforce la dimension Gemeiwesen de l'Homme et retentit directement sur le langage verbal. Le surgissement des possibles va se manifester au travers de ce dernier et l'une des formes les plus aiguës de cette manifestation est la négation.



On peut penser que la négation sous sa forme simple qui est l' affirmation d'une absence devait préexister à l'émergence d'Homo sapiens sapiens mais la négation sous sa forme réfléchie qui affirme en même temps (dans une présence) une autre réalité qui peut n'être qu'imaginée, donc effective immédiatement que dans la représentation, ne peut apparaître que plus tard, car dans ce cas l'imagination est nécessaire sinon l'être humain se heurterait à un vide. Il faut un certain développement psychique avant qu'il ne puisse soutenir cela, d'où la nécessité d'un substitut.



Ensuite on a la négation en tant que refus qui pose la discontinuité brutale tandis que la négation en tant qu'affirmation d'une absence se déroule dans le continu. Toutefois il ne faut pas négliger le fait que nier une absence peut être, au contraire, affirmation d'une continuité par refus d'une séparation, c'est une autre façon de maintenir le contact avec la personne ou l'objet.



Cette possibilité de la négation dans sa nouvelle dimension avec affirmation de possibles est en liaison avec une diversification au sein de l'espèce, qui aurait pu aller jusqu'à une cladisation (formation d'espèces nouvelles, cf. A. LeroiGourhan) qui est une tendance du phénomène vie. En fait le phénomène s'est arrêté à la formation d'ethnies caractérisées par une langue déterminée, différenciée des autres, chacune érigeant une barrière de compréhension entre les ethnies rendant extrêmement difficiles les unions ce qui, sur un certain espace de temps, pouvait conduire à divers isolats points de départs d'espèces nouvelles. Le phénomène a une détermination paléontologique puisque chaque ethnie tendait à s'affirmer comme l'espèce et à nier les autres.



Il est à noter, en faisant à nouveau un bond jusqu'à nos jours, que c'est seulement avec la généralisation du capital à la surface de la planète que le risque de cladisation est finalement enrayé, mais c'est au prix d'une destruction des particularités et donc d'un appauvrissement substantiel du patrimoine humain. Mais cela fait saillir simultanément à la fois la force du procès de diversification et celui d'unification ce qui fonde la nécessité de considerer le phénomène capital dans une perspective paléontologique, ne serait que pour délimiter la fin de la phase de l’expansion de l’espèce-phylum, et que l’on doive se poser la question du rééquilibrage, maintenant extrêmement nécessaire au sein de l'espèce qui est unifiée. Comment peut-elle manifester le divers, expression des possibles, que tout composant de l'espèce perçoit, sans rompre son unité, en maintenant cohérence et compatibilité entre tous ses membres?



Le langage verbal est donc ce qui permet la diversification au sein de l’espèce et ce en liaison avec les divers milieux qu'elle conquérait en poursuivant l'effort d'extension déjà considérable avec Homo erectus. Chaque milieu différent imposait un comportement divers à l'espèce, ce qui se traduisait dans le langage qui est l'expression de tout le comportement en tant que mode d'être et réflexivité de celui-ci, d'où la production de langues diverses. Chaque langue exprimait une modalité de relation au cosmos et entre les ethnies.



6.3. Le surgissement des possibles engendre le problème de la sécurité et celui de la réalité au monde. Si tout est possible qu'est-ce qui est réel? C'est de là que date toute la dynamique de l'érection de tabous (déterminé aussi par d'autres raisons que nous verrons ultérieurement) afin de garantir un ethos, un comportement donné. Il engendre aussi le possible le plus déterminant pour le devenir de l'espèce: celui de l'individu, et ce directement en relation avec le langage verbal. Nier, permet d'édifier une représentation en écart, en marge de celle de la communauté ou, tout au moins, en tant que variation importante de celle-ci. Ainsi le langage verbal instrument fondamental de la Gemeinwesen parce que qu'il réalise sa représentation et sa transmission en même temps que sa jouissance dans le dire, est également l'opérateur d'individualisation de base - mais qui n'est pas suffisant - pour produire l'individu. Dès lors le mouvement de séparation de l'espèce vis-à-vis de la nature en tant que communauté et de l'individu vis-à-vis de l'espèce ainsi que de la Gemeinwesen est posé.



Au niveau historique où nous raisonnons, pour le moment, c'est la formation des ethnies qui est déterminante, et dans ce cas ce sont les phénomènes géographiques, climatiques qui sont essentiels parce qu'ils favorisent l'isolement et imposent des variations dans le régime alimentaire provoquant un bouleversement du rapport au monde; d'autant plus que la nourriture n'a pas seulement une détermination immédiate: ce qui est nécessaire pour calmer la faim; mais une détermination dans la relation des êtres humains entre eux: elle est une affirmation de la parenté et de l'originalité de l'ethnie.



Le langage verbal apparaît comme étant apte à fonder une réalité, comme l'indiquent les mythes de création. Il est une présupposition essentielle à la production de l'individu, à la formation de communautés artificielles telles que les société secrètes ou les rackets actuels qui adoptent un langage particulier qui érige une barrière entre elles et le monde environnant. En outre, l'individu une fois produit peut accéder à une universalité, à une communauté illusoire grâce au langage verbal; il peut se créer un monde. De là la possibilité de divers délires de folie. Enfin, étant de plus en plus une médiation, il s'autonomise et devient une réalité indépendante que rien ne vient plus contrôler, réguler. Dès lors, il peut opérer une brèche dans la totalité de l'espèce (folie spécifique) si celle-ci ne parvient pas à retrouver l'immédiateté.



Tous ces phénomènes acquièrent d'autant plus d'impact qu'ils viennent se greffer sur un acquit général de l'espèce: la perception profonde de la Gemeinwesen comme cela ressort à travers la pratique de l'inhumation qui est en définitive préservation de la continuité. De même en ce qui concerne la dimension esthétique, que nous avons vue s'affirmer dès Homo erectus, qui exprime la sensibilité de l'espèce à son environnement, à son devenir par rapport à lui, et son mode de se situer par rapport à ces deux phénomènes.



L'inhumation n'est pas, au départ une expression pure et simple d'une métaphysique, ce qui impliquerait la séparation réalisée posant la dualité du monde, mais il est évident que cela pose le possible de celle-ci à partir du moment où cette séparation adviendra posant deux mondes et deux vies.



Cependant même lorsque la séparation tendra à s'effectuer, la mort n'aura pas encore sa dimension métaphysique et religieuse qu'on veut rétrospectivement lui accorder, elle est plutôt vécue comme une initiation à une autre vie, d'où les pratiques d'enterrer les humains en position foetale, ainsi que, ultérieurement, la construction de tombes ayant une forme et une structure en ressemblance avec l'utérus. Ce disant nous ne nions pas l'intervention d'autres déterminations dont il sera fait état plus loin.



C'est à ce propos qu'il convient de marquer l'importance de l'initiation à partir du moment où la vie n'est plus une donnée immédiate, où il y a une naissance en la communauté, culturelle; comme si seule cette deuxième permettait d'accéder à une réalité.



Ce n’est pas un simple apprentissage car l’enfant doit montrer sa capacité à être membre de la communauté et, en même temps, celle-ci doit se verifier en tant que telle, ainsi que sa puissance.



La mort a une autre importance: à partir d'une réflexion sur, elle, non posée comme une calamité, une désolation, mais en tant que phénomène d'une totalité qu'on ne parvient pas réellement à intégrer, elle va focaliser une recherche sur la réalité de l'espèce.



Plus tard la mort va être posée en tant que rupture-séparation d'avec la communauté totale, même si l'être tend à être inséré à celle des Hommes. Les anciens égyptiens ont été traumatisés par le phénomène de la mort. L'on ne peut comprendre ce traumatisme que si on ne le considère pas d'une façon immédiate mais en rapport avec le drame profond que constitue pour l'espèce sa séparation d'avec la nature.



Le christianisme exprime une séparation plus poussée: la réunion-résurrection ne concerne que la communauté humaine séparée de la vie!



6.4. En ce qui concerne l'esthétique le surgissement du phénomène de séparation plus accusé que lors des phénomènes antérieurs va renforcer son rôle dans la fonction de continuité; elle va servir à représenter et à refaire vivre ce que l'espèce est en train de perdre, en même temps, et c'est là que l'imagination est déterminante, qu'elle va représenter des possibles que l'espèce n'a jamais empruntés mais que le phénomène vie a pu effectuer et dont l'espèce garde en sa profondeur une nostalgie qui est déterminée par un principe de complétude, d'anti-mutilation. C'est pourquoi l'espèce-phylum est bien le phénomène vie dans son intensivité.



Ce que les êtres humains ont représenté sur les parois des cavernes était un monde dont ils se séparaient; par là ils transmettaient à leurs descendants les indications nécessaires pour qu'ils puissent se représenter ce qu'ils furent, même si ce ne fut pas le but conscient, immédiat, poursuivi. Dès lors on peut penser que les diverses manifestations artistiques dans l'ordre pictural et scriptural sont comme des discours permettant un dialogue entre les diverses générations.



Ce mélange de représentations de moments révolus et de possibles non réalisables par l'espèce, ou même par la vie, se retrouve à divers moments de son devenir, ainsi en Occident lors de la Renaissance, les classifications animales regroupent à la fois des êtres réels, des êtres imaginaires (imaginés, accordant à la nature un surcroît de nature!). On en verra l'importance en fonction de la séparation.



Il se manifeste de plus en plus la nécessité d'une représentation totale (prépondérance de l'encéphale) qui donne en quelque sorte le cadre de vie à l'espèce qui, se séparant de la nature, n'a plus de référent stable, qui soit en même temps capable de la maintenir en continuité avec ce dont elle se sépare. Il est important dès lors de déterminer en quoi cela peut retentir sur la biologie de l'espèce. Il est clair que ceci a un impact direct sur le système d'ajustement au milieu, d'équilibration, de relation entre membres de la communauté, etc., (d'où l'importance accrue du toucher), c'est-à-dire sur le psychisme qui n'est pas quelque chose de purement extérieur au biologique ou son simple prolongement. Cependant il est clair que à un moment donné le retentissement peut être tel qu'il affecte même la sphère de vie immédiate.



6.5. L'importance de plus en plus grande de l'imagination a eu des conséquences sur le développement de la technique comme c'est attesté par les découvertes préhistoriques qui montrent qu'avec l'émergence d' Homo sapiens sapiens iI y a une accélération dans le procès d'inventions techniques, ce qui ne peut pas être sans effet sur la représentation d'elle-même de l'espèce en tant qu'interventionniste; phénomène qui a dû modifier la représentation globale et intervenir sur la culture qui ne s'exprime d'ailleurs qu'au travers de cultures, par suite du mouvement de séparation dont il a été question auparavant.



Il est à remarquer que cultiver implique une idée de séparation pour pouvoir obtenir une espèce végétale donnée. Donc par extension l'Homme se cultive afin de se différencier dans les deux sens du mot: produire une différence par rapport à la nature, et une diversification au sein de l'espèce.



Ainsi Homo sapiens sapiens se définit fondamentalement,comme l'affirment certains savants, par sa non spécialisation qui dérive de la libération de la main, qui n'est plus englobée dans un processus de locomotion, par la production de l'outil par tout le corps et, enfin - pour ne récapituler que les moments extrêmes – par le déploiement des centres préfrontaux.



Le premier moment l'a fait échapper à la spécialisation anatomique, puisque la création d'outils permet de répondre aux impératifs de diverses situations sans se spécialiser dans chacune. Le deuxième moment la fait échapper à la spécialisation technique, c'est-à-dire au fait de s'enraciner dans une conduite déterminée lui permettant grâce à des outils donnés, de résoudre au mieux une situation précise. Il n'y a pas fixation dans une réponse technique.



Dès lors il apparaît - comme l'ont senti divers penseurs au cours de l'histoire - que l'espèce n'a pas un monde qui lui soit particulier, et l'on peut ajouter que la technicité la pousse à trouver son monde véritable celui où elle pourra s'épanouir dans toutes ses potentialités. Toutefois ceci risquait de se limiter à de simples réponses immédiates aux sollicitations du milieu, si la libération des centres préfrontaux n'était pas venue ouvrir le champ des possibles.



Homo sapiens sapiens n'a donc pas une nature définie irrévocablement, ni un monde (Umwelt) précis où elle puisse se réaliser comme cela s'actualise chez les animaux qui occupent une place déterminée dans tout le réseau du monde vivant. Elle devra donc trouver sa nature et son monde afin de pouvoir effectuer au mieux le procès de vie qu'elle représente: par la manifestation des possibles, elle est la vie dans son intensivité. C'est pourquoi l'espèce a-t-elle pu être conçue comme le miroir de tous les êtres vivants. En réalité elle est plus que cela puisqu'elle est apte à imaginer ce qui ne s'est pas réalisé ici, sur la terre, et surtout, elle peut concevoir des modalités de réalisations diverses.



Il faut donc que l'espèce crée son monde au sein de la vie en tant que réflexivité.



La recherche d'un monde est également recherche d'une sécurité, d'un fondement d'être, d'où les diverses angoisses de l'espèce: peur de la fin du monde, de la folie, de la perte de sa propre réalité, etc. qui se sont surtout manifestées aux moments de crise du développement de celle-ci. Tandis qu'au niveau individuel c'est au cours des moments particuliers du procès de vie que l'inquiétude surgissait: passage de la veille au sommeil et réciproquement, le rêve etc. De même qu'il y eut toujours une certaine suspicion vis-à-vis de la rêverie (rêve éveillé) qui est en même temps imprégnation du monde ambiant et activité imaginative où tous les possibles semblent atteindre une effectivité.



La séparation de la communauté est pour l'être individuel le pire des événements puisqu'il fonde sa solitude qui est intolerable, et son insécurité. Il en est de même pour l'espèce: en se séparant de la nature elle plonge dans la solitude qu'elle essaye de conjurer en produisant diverses représentations qui sont autant de manifestations de l'errance.



Le besoin de sécurité est à la racine de l'errance; c'est à dire en définitive la fixation dans une conduite qui donne à l'espèce une réalité stable, mais qui la conduit à avoir son être manifesté en inadéquation à sa biologie – comme on peut le constater tout particulièrement avec l'alimentation - et en opposition à la réalisation du procès de vie en sa totalité. Elle est à la base de la formation d'un monde extranature produit d'un développement prodigieux de la technique où, finalement, l'espèce domestiquée, est bloquée dans son devenir, fixée dans ses prothèses. Ainsi ce dont avaient eu peur les anciens et particulièrement les grecs: être fixé à la nature, en être esclaves s'est réalisé d'une autre façon.



Cette domination de la technique ne concerne pas seulement celle qui est liée au corps, mais celle liée à l'esprit: la magie qui veut courtcircuiter la pratique manuelle grâce à une pensée directement agissante, puis toutes les représentations qui ont pris sa place, jusqu'à la logique actuelle.



En définitive il y a deux dangers: se confier totalement à la technique qui est dans une grande mesure une mimésis et qui, de ce fait, tend à fixer; s'abandonner à l'imagination qui explore et explose, ce qui peut conduire à une autonomisation qui fasse perdre tout contact avec la réalité.



Ce qu'enseignent les mythes, croyances, etc., provenant du plus lointain passé de l'espèce, c'est le double mouvement de se confier à la technique définie de façon large, et celui d'y échapper.



Que sont les rites sinon des techniques de sécurisation. Il en est de même de la réalisation des archétypes dont nous parle tant M. Eliade: “(...) c'est bien plutôt de ce besoin que l'homme éprouve constamment de réaliser les archétypes jusqu'au niveau les plus vils et les plus impurs de son existence immédiate." (Traité d'histoire des religions, Ed. Payot p. 324)



Il semblerait que l'espèce ait craint de se confier à l'imagination, à une investigation des possibles parce qu'elle est génératrice d'insécurisation et donc d'angoisse. Il fallait donc compenser la tentation de l'imaginaire par une observation stricte des rites (processus de domestication), par une réactualisation d'un procédé, d'une technique éprouvée, garantie d'une relation effective et efficiente à la réalité.



Toutefois, à l'heure actuelle, l'opposition technique imagination n'est plus aussi rigoureuse dans la mesure où la première ne peut se développer qu'à l'aide de la seconde, et du fait que le devenir du capital tend à rendre caduc tout ce qui est acquis grace à l'innovation.



L'espèce phylum après avoir échappé à la spécialisation anatomique, à celle technique, doit abandonner son errance en accédant à la certitude de sa réalité et de sa nécessité au sein du procès de vie dans sa totalité. Elle n'a plus besoin de se créer des référentiels externes, placés dans un au-delà afin de se fonder (cf. les diverses religions et autres représentations thérapeutiques), mais elle doit vivre l'immédiat de sa réalité qui est l'accession de tout le monde vivant à la réflexivité.



La formation d'Homo sapiens sapiens il y a environ 40000 ans semble s'accompagner de l'extinction du phénomène biologique direct. On a vu que diverses acquisitions biologiques induisirent la nécessité de rééquilibration qui déterminèrent un changement de comportement chez l'espèce évoluant. Ensuite ce furent des acquisitions culturelles qui ont nécessité des rééquilibration stimulant de façon différenciée l'activité organique de l'être humano-féminin. Ceci se fit au cours de crises plus ou moins graves, mais il y eut chaque fois accès à un équilibre permettant la développement ultérieur, jusqu'à notre époque actuelle où il y a une inadéquation de plus en plus criante entre l'être biologique de l'espèce et le mode qu'elle a de se manifester. Autrement dit la dimension biologique de I'espèce ne peut plus être escamotée comme elle le fut durant des millénaires. Celle-ci ne peut plus opérer en dépit de sa réalité biologique.



Avec l'émergence d'Homo sapiens sapiens s'affirment tous les présupposés de l'errance mais non encore les éléments permettant son effectuation. Ceux-ci vont se manifester de façon séparée en diverses zones de la planète; mais ce n'est qu'en Occident qu'ils vont finalement se sommer; puis, à partir de celui-ci, l'errance engendrée se généralise à toute la planète: ce sera le devenir du capital.









CAMATTE Jacques



Janvier 1985





1  Cf. Invariance, série I, n° 6, 1969: "Thèses introductives"

On peut légèrement préciser et généraliser:

Toute forme est une limite d'un contenu, non au sens où cela le limite, le borne, mais au sens qu'elle est le point ultime de son développement. Au delà, ce contenu ne peut plus avoir de validité d'être, d'existence. Voilà pourquoi elle est zone de "catastrophe" comme dirait R. Thom. Si le contenu va au delà, on a rupture. Si ce qui environne va en deçà, on a aussi catastrophe par rupture. Il n'y a donc que des morphogénéses et non, simplement, des morphes et l'on peut dire que tout contenu en rapport avec un enveloppant engendre une forme, une limite de son développement.



Il se pose alors la question de savoir, comment on peut percevoir les formes à partir du moment où l'on n'intègre plus une coupure intériorité-extériorité?



2 Il est évident que nous opérons ici à partir d'une réflexion autonome en rapport avec une approche je dirais bordiguienne de la question. Toutefois il est nécessaire d'amplifier cette étude de 1a catastrophe par une réflexion en particulier sur l’œuvre de René Thom qui présente une difficulté certaine à cause de ses fondements mathématiques assez abscons que nous n'envisagerons pas dans cette note; nous nous contenterons de signaler un thème en rapport avec notre étude: celui du continu et du discontinu.

En effet R. Thom déclare:

« La théorie des catastrophes est grosso modo une théorie de l'analogie. Elle vise à classifier toutes les situations analogiques possibles, aussi bien dans le monde animé que dans le monde inanimé. En cela c'est une théorie très pré-socratique; certains thèmes apparemment très anthropomorphes comme le conflit, l'équilibre ou la justice pour parler comme Héraclite peuvent avoir un sens dans le domaine inanimé. C'est très intéressant. Il n'y a pas eu de théorie générale de l'analogie depuis Aristote. Toute ma métaphysique sous-jacente, c'est d'essayer de transformer le conceptuel en géométrique.» (cf. La planète de l'oncle Thom, Le sauvage, Janvier 1977)



L'analogie est fondamentalement régie par une problématique du continu. En outré, l'utilisation des opérateurs de la connaissance que sont les comportements humain, dans des domaines autre que celui de la société, impliquerait une étude sur leurs déterminants afin de situer leur validité intemporelle.



Enfin ce retour aux pré-socratiques qui s'affrontèrent à une réalité où une grande discontinuité avait eu lieu avec la naissance de la polis, implique à son tour une analogie de situation entre les deux moments historiques qui conduit à réfléchir sur la nature de la coupure actuelle et sur l'arc historique qui va justement de la naissance de la polis à nos jours.



À propos des opérateurs de la connaissance on se doit de réfléchir sur la nécessité de continuer à les utiliser car ils peuvent entrer en contradiction avec ce que nous voulons atteindre. Ainsi, R. Thom utilise beaucoup la prédation, en son sens cynégétique, pour expliquer divers phénomènes, et il remarque: «Dans la prédation, nous essayons continuellement de récupérer une sorte d'unité primitive.» (idem). Mais est-ce que tous les hommes affirment leur réalité dans la chasse?



En outre l'unité primitive est beaucoup plus prégnante au moment où l'on mange; mais, dans ce cas, ce qui est mangé n'est pas obligatoirement le résultat d'une chasse. Enfin il convient de noter la convergence entre R.Thom et Castaneda qui lui aussi considère la chasse comme une activité paradigmatique.



L'ennui dans le comportement théorique de divers savants ou philosophes c'est qu'ils ne se posent jamais la question: pourquoi tel problème essentiel a été affronté sous tel angle à tel moment et pourquoi moi qui l'aborde à mon tour le fait sous un autre? Répondre à cette question conduirait à démontrer en même temps que la notion de précurseur est très ambiguë. La continuité est opérante au niveau du thème abordé, mais très rarement au niveau des préoccupations profondes qui conduisirent à affronter ce thème; elle peut l'être entre certaines affirmations qui sont des possibles théoriques d'un chercheur donné, et le développement de la réflexion d'un autre situé plus en aval de l'histoire. Ce dernier phénomène peut être source de polémiques portant sur la détermination de la filiation ou non entre deux personnes, parce qu'en général les possibles théoriques ne sont pas délimités, et que l'on tend à définir l'oeuvre de quelqu'un par métonymie et en se dispensant de faire une investigation exhaustive de celle-ci.

Mais revenons au continu:

«Pour moi la mathématique, c'est la conquête du continu par le discret. Nous disposons d'une donnée continue qui est l'espace dans lequel nous agissons. L'action est toujours quelque chose de discret. On a agi d'abord avec des corps solides, on les a disposés à la suite l'un de l'autre. Ainsi ont été définies les longueurs, la métrique, etc.» (idem)



Ici se dévoilent bien l'insuffisance de réflexion sur la motivation et la modalité d'une recherche: celle du continu est en liaison avec la séparation de la nature et de la Gemeinwesen. La mathématique ne peut être qu'un expédient, certes efficace, parce qu'elle entérine la coupure. En effet l'espace dont parle Thom est le résultat de la séparation dans la totalité, de la coupure entre extériorité et intériorité.



Il serait intéressant d'envisager comment notre pensée n'intégrant plus une coupure par suite d'une abolition de la séparation serait à même de penser directement le continu qui dès lors perdrait de sa réalité différentielle puisque la discontinuité fondamentale ne serait plus opérante.



Nous reviendrons ultérieurement sur l’œuvre de R. Thom parce qu'elle est significative du moment actuel où le phénomène capital s'épuise.



3 Les catastrophes géologiques sont celles où l'on a la disparition de diverses espèces végétales et animales. Elles sont liées à des phénomènes d'orogenèse (formation de chaîne de montagnes) expliquée à l'heure actuelle à l'aide de la théorie des plaques, impliquant un mobilisme terrestre qu'avait nettement affirmé Wegener au début de ce siècle. En effet la formation de chaînes de montagnes joue de diverses façons: directement par création d'une nouvelle zone émergée provoquant par 1à même en ce même lieu une régression marine (d'où une transgression ailleurs), qui ne peut pas être sans influence sur les formes vivantes, indirectement par les effets climatiques puisqu'on constate une corrélation assez assurée entre orogenèses et grandes glaciations. Enfin, et c'est un autre fait direct, l'orogenèse conditionne la rhexistasie qui est un moment de rupture d'équilibre entraînant la destruction des forêts continentales qui déterminaient par leur rôle de filtre une sédimentation marine calcaire, et qui par leur disparition permettent la constitution de couches d'argile qui avaient été auparavant retenues par la forêt (théorie d'Erhart). Ce faisant on a une variation brusque du milieu marin passant d'une ambiance calcaire à une ambiance argileuse, siliceuse, et on constate effectivement, surtout au niveau des protozoaires, des successions d'animaux à squelette calcaire et à squelette siliceux.



On doit noter que l'accumulation des calcaires est un procès lié à l'activité de la vie et que c'est à partir du moment (infracambrien) où cette accumulation devient importante qu'on a apparition des animaux à squelette calcaire. Ainsi chez les vertébrés les poissons cartilagineux précédent les poissons osseux qui ne se manifesteront qu'au primaire alors que la sédimentation calcaire est devenue considérable.



Il semblerait qu'il y ait un rapport divers des animaux et des végétaux par rapport aux éléments minéraux: les premiers sont surtout liés au calcaire et les seconds, par l'intermédiaire du sol, à la silice. Toutefois il y a des animaux qui ont un comportement plus semblable à celui des plantes tels les protozoaires à squelette siliceux déjà cités ou les éponges à spicules siliceuses.



À propos de ces derniers, un autre phénomène géologico-climatique a été déterminant dans leur évolution. En effet à la fin de l'éocène (début du tertiaire) l'Europe subit une transformation où le climat serait passé de chaud et humide en permanence, à un climat saisonnier; la forêt aurait régressé à la suite de l'apparition de la saison sèche provoquant le recul de divers primates vers des zones plus chaudes tandis que d'autres se seraient adaptés aux nouvelles conditions par suite de l'acquisition de capacités encéphaliques leur permettant d'adopter d'autres comportements dans une différenciation morphologique nette. (cf. Yves Copeens: Le singe, l'Afrique et l'homme, pp. 54-55).



Ces catastrophes géologiques ont joué un rôle important dans les phénomènes de l'évolution: formation de phyla et de radiations adaptatives, à cause de la formation de barrières géographiques ou au contraire de pont continentaux comme lors de la jonction de la plaque afro-arabe avec l'Europe il y a sept millions d'années qui en fermant la Thétys permit expansion des primates hors d'Afrique.



Depuis le néolithique dans les zones du Proche-orient et le sud égyptien et depuis la fin du XVIIIème siècle pour la quasi totalité du globe, Homo sapiens sapiens a une action géologique qui est une catastrophe car elle induit une rhexistasie. En effet, normalement nous sommes dans une phase biostasique et l'érosion devrait être limitée aux hautes zones montagneuses et à celles strictement désertiques. Or ce n'est absolument pas le cas et si le phénomène perdure, le passage de l'espèce sur la terre se traduira dans quelque millions d'années par un horizon argileux, puis détritique.



Il est absolument nécessaire que l'espèce abandonne son rapport actuel à la biosphère dont elle fait partie, afin que toutes deux puisent se régénérer.



4 La reproduction sexuée est elle aussi, initialement,  un processus par lequel une forme de résistance aux mauvaises conditions ambiantes est élaboré permettant à une espèce déterminée de survivre. Ainsi il semble à peu près certain que tous les organismes initiaux aient été haploîdes c’est-à-dire formés de cellules n’ayant qu’un nombre N de chromosomes comme par exemple pour l'algue d'eau douce, la spyrogire. On constate à un moment donné du procès de vie de cette dernière un  rapprochement entre deux filaments et formation d'une série de zygotes dans l'un des deux (zygote = cellule diploïde à 2N chromosomes). Or ces zygotes présentent des parois épaisses qui leur permettent d'attendre des conditions favorables pour se développer avec réduction chromatique, c’est-à-dire avec une réduction du nombre de chromosomes qui rétablit le nombre N initial.



Cette sexualité au niveau pluricelluliare fut précédée par une sexualité opérant au niveau unicellulaire qui dut avoir plusieurs modalités de réalisation.



   Dans la suite des transformations des êtres vivants le stade diploïde est devenu le stade définitif et non plus transitoire (autre manifestation de paedomorphose) parce que justement il était plus résistant. A partir de là, la sexualité ne peut plus concerner la totalité de l’être vivant comme dans le cas de la spyrogire mais des cellules particulières de celui-ci: les gamètes (chez les algues on trouve tous Ies cas possibles).



La preuve que l'augmentation du nombre de chromosomes tend à conférer une vigueur accrue à l'être vivant peut être trouvé dans le fait que beaucoup d'espèces végétales plus résistantes sont polyploïdes (le nombre de chromosomes est un multiple de N supérieur à 2) d'une espèce donnée.



Ainsi le phénomène vie n'a pu pleinement se développer qu'au travers d'un procès d'union.



Il y a convergence des différentes formes de vie, et symbiose, en effet quand on étudie, par exemple, les relations entre ADN, enzymes, protéines, on constate que chaque élément détermine l'autre et qu'il est difficile de savoir à partir duquel on doit opérer pour comprendre les procès de vie fondamentaux. En conséquence, on doit penser qu'avant la formation de la cellule, il y eut une production prodigieuse de formes vivantes élémentaires dont les nucléotides (base azotée plus un pentose c'est-à-dire un glucide à 5 atomes de Carbone qui peut être soit le ribose soit le désoxyribose, plus l'acide phosphorique) sont les exemples conservés les plus démonstratifs et qui sont le point de départ de corps jouant un rôle fondamental dans le métabolisme général tels que ARN, ADN ainsi que ATP, UTP, GTP, CTP et leurs dérivés; formes de vie qui purent être plus ou moins autonomes pendant une période assez longue mais qui durent s'unir ultérieurement afin de pouvoir persister; ce faisant elles permirent au procès de vie d'atteindre une plus grande complexité et d'accéder à un développement plus ample.



Il y eut donc différentes modalités simples avec autant de comportements possibles qui coexistèrent dans un continuum où il n'y avait pas de particularisation qui se réalise avec les formes cellulaires, résultats de la sommation de certaines de ces modalités car il est fort probable qu'une série d'autres n'ont pas survécu. Toutefois la production de syncitiums, de plasmodes, de fibres, témoignent qu'elles ne constituent pas l'unique voie de développement.



Les savants tendent à nier ces formations et essayent de retrouver la structure cellulaire grâce à l'utilisation du microscope électronique, parce qu'ils ne peuvent pas accepter le schème du continu, infectés qu'ils sont d'idéologie démocratique fondée sur le discrétum, et, parce que, à partir de tels présupposés (plus ou moins conscients), opérer une combinatoire est plus facile.



Cependant, encore à l'heure actuelle, il existe des formations vivantes qui représentent bien ce que fut la vie avant la cellule; ainsi l'humus dont Caspari cité par Rusch nous donne une bonne définition: «l'humus n'est pas une matière, mais un processus.»



Et Rusch explicite notre affirmation antérieure:

«On arrive manifestement à cette conclusion, à savoir que les substances vivantes cellulaires sont capables, sous des formes nouvelles, et sans la protection que leur offre la cellule, d'une vie extra-cellulaire, dans l'état primitif qui était le leur avant que les cellules apparaissent sur la terre. (La fécondité du sol, Ed. Le courrier du livre, pp.70-71)



Il esquisse même ce que put être la vie avant que le carbone ne devienne prépondérant:



«Les cristaux d'argile sont même en partie des "systèmes ouverts" comme les substances vivantes puisqu'ils sont capables bien que dans une mesure limitée, de céder, ou, comme le font constamment les substances vivantes, de fixer des éléments sans modification de leur structure propre. Les cristaux d'argile sont donc capables de quelque chose qui ressemble à un métabolisme, caractéristique propre aux structures des substances vivantes. La relation moléculaire entre les cristaux d'argile et les substances vivantes est ce "point de suture" capital au niveau duquel les minéraux et les cycles biologiques sont le siège d'interactions effectives." (idem, p.135)



"D'un point de vue physique, l'apparition de la structure plasmatique signifie que, avec la destruction de toutes les structures cellulaires, y compris celles des micro-organismes participant au travail de décomposition, on est au niveau des relations entre les cristaux organiques et les cristaux minéraux; les forces cellulaires font place aux forces colloïdales qui sont considérablement plus grandes..." (idem p.148)



Ainsi l'humus est la vie en tant que continuum.

«(...) l'humus est le tissu le plus primitif qui existe, un tissu dont la plante vit (...) Tissu vivant primitif, une forme originale faite d'une conjugaison de substances minérales, organiques et vivantes, sans agencement particulier, comparable à ceux que l'on trouve dans les organismes, avec un liquide tissulaire rempli d'anions et de cations." (idem, p.150)



Certains savants, à l’heure actuelle, en viennent aux positions de Rusch, puisqu’ils considèrent le sol comme une muqueuse.



Enfin, voici une citation pour indiquer la vision communautaire de Rusch. «Une vie optimale, c’est-à-dire dans la santé et la fécondité, n’est possible que dans la commuanuté vivante des organismes, communauté qui comprend l’organisme terre vivant, dont la vie se maintient ou disparaît en fonction  de la vie des autres organismes». (Idem. P. 150)



Á partir de ces remarques, il est logique de considérer l'être pluricellulaire comme étant une restauration du continuum à partir d'éléments particularisé. En outre au niveau de l'espèce humaine, il est normal qu'il y ait tendance à retrouver par la représentation ce moment initial qui a toutes les apparences du chaos.



Enfin pour en revenir à la symbiose et la vie du sol, on doit citer les mycorhizes ( association entre les racines d'un arbre et le mycelium de certains champignons) qui ont une importance considérable et au sujet desquels nous reviendrons ultérieurement. Indiquons seulement ceci: on peut considérer les champignons comme un groupe d'êtres vivants particuliers séparés aussi bien des végétaux que des animaux (thèse acceptée par divers savants) et ayant été probablement les premiers à même de coloniser les terres émergées. Ils ont ensuite "aidé" les autres plantes -tout particulièrement les spermaphytes (plantes à fleurs) grâce à leur capacité à capter l'eau et les sels minéraux. La nécessité de cette symbiose a pu peut-être également s'imposer (ou se renforcer) à la suite d'une diminution de la quantité de sels minéraux libres dans le sol du fait d'une multiplication des êtres vivants.



Un même champignon étant en relation avec le système racinaire de différentes spermaphytes, il en résulte que la forêt n'est pas une simple intégrale d'êtres vivants, une communauté telle qu'on l'entend couramment, mais une communauté en tant que super organisme unitaire.



5 Il me semble qu'on n’a pas mis en évidence l'importance de la notion d'effort dans la théorie de J.B. Lamarck qui montre que pour lui l'adaptation et la transformation sont opérées par I'être vivant qui n'est pas passif comme dans les diverses théories à partir de celle de Darwin.

On doit noter la contemporanéité approximative entre cette position théorique de J.B. Lamarck et la conception de Maine de Biran pour qui le sujet accède à la conscience de soi au travers de l'effort.


Enfin, il ne faut pas oublier que J.B. Lamarck a vécu la révolution française qui s'est caractérisée par un délire de la volonté de l'effort tendu, soutenu (K.Marx).


C'est aussi en pleine cohérence avec tout cet arrière fond historique que Lamarck fonde sa théorie sur le concept d'usage qui traduit l'activité se déroulant et non, comme Ch.Darwin, sur l'utilité qui est une activité purement potentielle. Or, le premier a vécu le bouleversement transformateur, le deuxième la contre-révolution c'est-à-dire la tentative de revenir à un statu quo bien qu'en réalité tout ait continué à se transformer.



6 Le comportement est toute activité que développe l'espèce ou l'individu dans sa relation avec le milieu. On ne peut pas le concevoir selon l'optique réductrice du béhaviorisme.



En première approximation, on peut le considérer également comme l'intégrale des gestes accomplis par un être vivant au cours de son procès de vie.



En outre, tout comportement n'a de réalité que par rapport au milieu où l'être vivant évolue. On ne peut donc pas étudier ce dernier séparément; on doit l’envisager en union avec son biotope. Conséquence: toute variation dans les conditions du milieu vont amener un changement de comportement. D'où, à l'heure actuelle, l'intégration de l'étude du comportement dans celui des processus évolutifs.



Ainsi J.Piaget dans son ouvrage Le comportement moteur de l'évolution, Ed. Idées-Gallimard, se place un peu dans la perspective qui est la nôtre. Toutefois, il me semble qu'il ne remet pas en cause de façon radicale la coupure entre matière vivante et matière inanimée. En effet il définit le comportement de la façon suivante:



«En un mot, le comportement est constitué par les actions de caractère téléonomique visant à utiliser ou transformer le milieu ainsi qu'à conserver ou à augmenter- les pouvoirs que les organismes exercent sur lui" (p.08)



Il n'est nullement fait mention d'une réaction du milieu aux actions des organismes. Ceci est d'autant plus néfaste qu'en définitive le milieu est en grande partie constitué par d'autres êtres vivants, il peut, même, être exclusivement vivant.



Il faut donc étudier les différentes formes de vie s'engendrant les unes les autres sur notre planète sans opérer aucune discontinuité radicale mais en tenant compte des diverses émergences, dont celle de notre espèce.



Enfin on ne peut pas étudier un geste isolé pour comprendre une activité donnée; de même qu'on ne peut pas rester à l'étude du réflexe pour accéder à une compréhension du fonctionnement de l'organisme. (cf. K.Goldstein: La structure de l'organisme)

.

On ne peut pas de même réduire l'étude de l'activité humaine à celle de ses résultats ou de ses moyens tels les outils; cela ne peut qu'aboutir à une vision décharnée du procès de vie de nos ancêtres. C'est pourquoi la thématique de Marcel Jousse dans Anthropologie du geste est intéressante, mais dans la mesure où elle est dominée par une représentation autonomisée du geste, elle n'atteint pas son but. En outre il y aurait à entreprendre non seulement une anthropologie mais une paléontologie du geste, abordées, il est vrai, par Jousse et surtout par A. Leroi-Gourhan. Ce qui est fascinant c'est de parvenir à se représenter comment opéraient nos ancêtres et ceci ne pourra être atteint que lorsque l'on essayera vraiment de comprendre comment, en fonction de leur représentation, ils se comportaient vis-à-vis de leur monde. On pourra mieux, alors, percevoir le devenir de l'humanité et particulièrement son errance.





7. Le terme de biologie fut créé en 1902 (Treviranus et J.B. Lamarck). Le concept de biologie ne fut possible qu'à partir du moment où nacquirent la théorie cellulaire (première formulation: Oken en 1805) et celle du transformisme (J.B. Lamarck 1806). Or ces deux théories n'ont été possibles que parce qu'auparavant avaient été affirmées: 1. discontinuité du monde vivant d'avec le monde inanimé: l'inanimé ne peut pas engendrer l'animé; 2. continuité des êtres vivants: tout être vivant dérive d'un autre être vivant.



Les représentations théoriques actuelles tendent à maintenir ces deux theories, bien que diverses découvertes (parfois anciennes d'ailleurs) remettent en cause ce qu'est la cellule et mettent en évidence qu'il n'y a pas une discontinuité absolue, radicale, entre animé et inanimé. C'est pourquoi la biologie apparaît-elle à l'heure actuelle comme une entreprise de bricolage, de rafistolage. En fait il faut rejeter les deux théories pour pouvoir étudier la vie du cosmos au niveau de notre terre afin de comprendre notre propre émergence.



En ce qui concerne le comportement, les études récentes en éthologie ont montré, même si elles pêchent parfois de zoomorphisme, que l'homme est bien un animai (Cf. les phénomènes d'empreinte et d'attachement).



8 Étudier l'émergence de l'homme implique d'étudier tout le procès-vie dans son unité-diversité. Il est important d'affirmer cela en opposition à la démarche mesquine qui a été d'étudier cette émergence en tant que justification d'une supériorité de l'espèce actuelle, en opérant avec un référentiel négatif le singe. Ce qui d'un point de vue immédiat apporte une confusion étant donné qu'il n'existe pas un singe mais des singes. En outre cela implique de faire du singe une espèce d'archétype ayant existé depuis des millions d'années et immuable en tant que référentiel négatif permettant à chaque phase de la transformation anthropogénique de mesurer l'écart entre l'homme à venir et le singe. Or les singes dérivent eux-aussi d'êtres qui différaient d'eux du fait de la non réalisation achevée des caractères qui les définissent actuellement. En un mot cela conduit à fixer "le singe" et à poser l'homme évoluant.


Abandonner un tel référentiel permettrait de nommer de façon plus rigoureuse les espèces (coupures que nous faisons dans le devenir des divers phyla; ce sont des données de la représentation qui servent de points de repères), qui se trouvent au sein du phénomène d'émergence de l'homme Ainsi il est totalement aberrant de parler de kényapithèque pour désigner un animal ayant vécu de 10 à 7 millions d'années B. P. puisque cela veut dire singe du Kenya. Si l'on veut signifier qu'il est dans la lignée conduisant vers «le singe"» (il faudrait préciser lequel, il serait préférable de le nommer Kényaprépithécus (sans oublier que le terme Kenya pour désigner une zone géographique d'il y a des millions d'années relève encore d'une grosse imprécision, qu'on peut accepter par convention).



En outre on pourrait également mettre ce Kényapithéque dans la lignée humaine en particulier à cause du fait qu'on aurait trouvé des outils associés à ce fossile. Alors, maintenir un tel nom signifie que l'homme descend du singe ou bien que les singes ont aussi comme caractère celui d'utiliser et de fabriquer des outils, ce qui est contradictoire avec le reste de la représentation.



Certains savants se sont rendu compte de la difficulté de maintenir un référentiel, c'est pourquoi ils ont essayé de définir plus rigoureusement l'ancêtre de l'homme.



«Cet ancêtre dont il est possible aujourd'hui de dessiner le portrait-robot - on dit le morphotype -, bien qu'il n'ait pas encore été découvert, est un primate supérieur qui n'est encore ni homme ni chimpanzé. Petit (moins d'un mètre quand il est debout, et il l'est de temps en temps), il devait avoir une tête de taille très modeste, une face projetée, des membres supérieurs longs, des membres inférieurs courts; vivre à terre et dans les arbres, marcher à quatre pattes mais se redresser de temps à autre, ne serait-ce que pour se servir de ses mains et de leurs capacités de préhension. Comment appeler cet animal autrement que par ce thème très général de Singe, tant qu'il n'y en a pis d'autres." `(Yves Coppens: Le singe, l’Afrique et l'homme pp.22,23)



Cela n'élimine en rien les difficultés d'autant plus qu'à l'heure actuelle on considère que l'homme n'est pas le dernier être vivant apparu et que le «singe» descendrait de l'Homme!





9 De récents travaux semblent confirmer notre hypothèse:

"Mais cette étude apportait un élément supplémentaire: elle suggérait, que la fameuse "trifurcation" entre chimpanzé et gorille, gorille et homme pouvait se dédoubler, la branche de l'homme se détachant avant la bifurcation entre chimpanzé et gorille. Si cela était vrai, cela signifierait que le chimpanzé et le gorille ont eu un ancêtre bipède (ou quasi bipède) et sont revenus, quant à eux, à une démarche de type quadrupède (ils ne marchent pas réellement à quatre pattes, mais prennent appui sur les phalanges de leurs doigts repliés)."    (Marcel Blanc: L'histoire génétique de l'espèce humaine", La Recherche, n°155, p.119).



Le terme de bipède est tout à fait inadéquat puisqu'il n'implique pas obligatoirement une station verticale. Ainsi la bipédie des oiseaux, de certains iguanes ou des reptiles du secondaire, ou même encore celle des kangourous n'a aucun rapport avec celle des Homo.



10 Depuis quelques années on assiste à un mouvement de revalorisation du corps qui est un phénomène d'équilibration imposé par la coupure corps-esprit avec la prépondérance accordée à ce dernier. C'est surtout notable en ce qui concerne la peau et le sens qu'elle commande: le toucher. Ainsi D. Anzieu écrit: «La peau serait ce qui permet au nourisson de passer du plaisir à la pensée.» tandis que F. Veldman fonde l'haptonomie: «science du toucher et du sentir, dans sa dimension intime et affective.» Tous ces travaux et maints autres que nous signalerons  dans «Repères» à la fin de ce texte, confirment la fonction de continuité de la peau qui en même temps joue un rôle intégrateur, rééquilibrateur fondamental.


Toutefois je voudrais -à cause de sa grande importance signaler l'ouvrage d'A.Tomatis L'oreille et le langage Ed. Seuil, Points, dont je citerai le paragraphe initial et final (pp. 07 et 135) qui résument bien le rôle considérable de la peau.



«Lorsque vous parlez, le son s'écoule de votre bouche comme le flot qui déborde d'un vase trop plein. Il inonde tout votre corps sur lequel il s'étale. Chaque onde syllabique se déverse et déferle sur vous d'une manière inconsciente mais certaine. Votre corps sait par toute sa surface en noter la progression, grâce à sa sensibilité cutanée dont le contrôle fonctionne comme un clavier sensible aux pressions acoustiques.»



Ainsi on peut penser que le port des vêtements est venu perturber notre captation de la parole qui, de ce fait, a perdu de sa puissance. En outre A.Tomatis fait observer à quel point les nuisances auditives, les bruits trop violents qui se manifestent avec la. manière d'écouter la musique à un volume très élevé, tendent à rendre sourds hommes et femmes et, en détruisant le mécanisme de rétro-contrôle langage verbal, inaptes à produire un discours cohérent.



Dans notre société «invivable» hommes et femmes tendent à ce replier sur eux-mêmes; l'écoute de musiques assourdissantes les fait communiquer avec un phantasme et les rends sourds aux autres. Ils deviennent invulnérables.



L’œuvre de A. Tomatis est une confirmation de la thèse que le langage verbal est le résultat d'une synthèse et que sa production nécessite tout le corps. «Le corps de l'homme est l'instrument dont se sert la pensée humaine pour parler.» (p. 179),



L'ennui c'est qu'il semble opérer une séparation pensée-corps.


11 «Déjà chez le nouveau né le besoin de contact, la recherche de proximité avec la mère prime la faim.» (R.Zazzo: L'attachement, une théorie nouvelle sur les origines de l'affectivité, in L'attachement, Delachaux et Niestlé, p.35)


Cet auteur ajoute p.25: «Le premier lien est établi en général avec la mère, mais il peut aussi s'accompagner d'attachement avec d'autres individus.» Affirmation qu'il reprend dans un autre texte L'inné et l'acquis dans les processus d'attachement, inclus dans le recueil précédemment cité, en lui donnant plus d'ampleur. (p.234)



Il affirme en outre comme l'avait déjà fait Leboyer que: «Les premiers sourires "significatifs" sont bien plus précoces qu'on ne le pensait... » (p.32).



Le sourire a pour fonction de maintenir le contact avec, tout d'abord, la mère et le père. Il est l'expression de l'accueuillance, de la réceptivité en même temps qu'il est l'indication de l'harmonie profonde qui règne en l'être humano-féminin qui l'exprime même si cette harmonie ne perdure qu'un instant très court. Il exprime la volonté d'adéquation. Au cours de la vie, le sourire acquiert, évidemment, d'autres fonctions.



12 Norman Brown commence son livre Life against Death (La vie contre la mort) traduit en français par Eros et Thanatos" Ed. Denoël, par cette phrase: "Cette maladie appelée l'homme".



13 La pensée est antérieure au langage. Elle est un flux engendré par tout l'être humano-féminin, qui au niveau de l'encéphale devient énonçable. Toutefois le divorce entre une continuité de la pensée et la discontinuité du langage verbal liée à la communication n'est pas dû à la nature de ce dernier mais au fait qu'il renferme comme possible cette discontinuité qui se réalise au cours du procès d'individuation. «Einstein trace une nette ligne de démarcation entre la pensée personnelle et la communication interpersonnelle» (R.Jacobson Einstein et la Science du langage, Le Débat, n° 20, p.131)


Einstein déclara:

«Je pense très rarement en mots. Une pensée vient et je peux essayer de l'exprimer en mots après coup.»



«Les mots et le langage écrit ou parlé ne semble pas jouer le moindre rôle dans le mécanisme de ma pensée.» (Phrases citées dans l'article sus-indiqué)



Á notre avis la recherche du vide chez les hindous est celle d'une pensée sans langage verbal, plus précisément sans les traumatismes de ce dernier; d'une pensée qui soit un retentissement du monde sur la personne.



Nous reviendrons ultérieurement sur ces questions.



14 Jusqu'à une période récente on considérait que la maîtrise du feu avait été acquise par le Sinanthrope vers 400.000 ans B.P. (Choukoutien). Or, on aurait trouvé à Chesowanja au Kenya des restes de feu contrôlé, en même temps que des outils pareils à ceux d'Homo erectus dans des dépôts datant de 1. 400.000 ans B.P., donc un million d'années avant le Choukoutien. Á cette époque on n’ a normalement que des australanthropes.


Dans ce dernier cas, il est clair -étant donné que le climat était chaud - qu'on ne peut pas faire appel au besoin de se chauffer pour déterminer la recherche d'une maîtrise du feu. Donc notre mode d'appréhender la question s'en trouve renforcé.

Il n'est pas dit qu'il y ait continuité entre les deux moments: celui de Chesowanja et celui du Choukoutien. Il est possible que la maîtrise se soit perdue et ait dû être réacquise ultérieurement. Les cas sont multiples où une invention donnée a été faite plusieurs fois. En ce cas, ce qui a pu déterminer la perte est lié au fait qu'il n'y avait pas une situation permettant d'intégrer réellement cette acquisition dans le procès de vie de l'espèce. En revanche plus tard, au moment du refroidissement, de multiples facteurs ont fait pression pour l'intégrer. On le sait: une découverte isolée n'a pas d'efficacité. Elle ne peut s'intégrer dans le corpus de connaissances que s'il y a une pression de la part d'autres découvertes, et la mise en oeuvre d'un phénomène de rétrocontrôle. En cela il y a parenté avec les phénomènes d'acquisition biologique.




15 Ce n'est qu'à notre époque que l'on accorde une importance réelle à l'imagination et qu'on lui attribue le rôle de caractériser l'espèce. Est-ce que cela veut dire que celle-ci commence à être capable de l'utiliser pleinement sans s'effrayer de ses conséquences?


Il serait intéressant de faire une étude historique sur la façon dont les hommes ont successivement considéré l'imagination.

Dit autrement: nous serions parvenus au stade où nous serions à même d'être compatibles avec les possibilités de fonctionnement de notre encéphale!

On verra plus loin les difficultés et les traumatismes qu'a engendrés la dynamique des possibles, particulièrement lors de la naissance de l'État.



16 C'est Leroi-Gourhan qui affirme cela.


Il semblerait qu'aux divers moments historiques, il y ait comme un développement privilégié d'une fonction donnée de l'encéphale. Ainsi la fonction de confrontation (et donc d'analyse) est exaltée lors de la genèse du mouvement de la valeur d'échange.



17 La mémoire est une fonction de continuité: il ne peut pas y avoir de vie sans mémoire. Celle-ci n'est pas strictement liée à l'encéphale: tout le corps a capacité de mémoire. Cependant c'est au niveau de ce dernier qu'il y a mémorisation et on a pu le considérer comme un organe d'actualisation (ce que nous verrons de façon nette quand nous étudierons la représentation) grâce auquel une image a la puissance de l'acte. Il est dès lors possible de passer de la virtualité à la réalité.


On verra ultérieurement l'importance que les hommes ont attribué à la mémoire en tant que fonction de conservation de ce qui advient, ainsi que les mécanismes mis en place pour l'assurer d'une façon efficace et de plus en plus globale.

C'est la fonction qui montre d'une façon qui est peut-être la plus prégnante que l'espèce somme en elle tout le phénomène vie, du moment qu'elle est la vie au stade de l'intensivité.