ENCORE  LE  P.C.  ET  LA  QUESTION  COLONIALE








     « Il y a un an l'Internationale Communiste a appelé les esclaves des colonies à la révolte contre leurs oppresseurs. La section du Parti Communiste français de Sidi-bel-Abbès, en Algérie, vota une résolution condamnant ces appels à des hommes d'une autre race, exploités par l'impérialisme français. Je demande aux camarades français dans quels documents, ils ont proclamé le droit de séparation des colonies (c'est Manouilsky qui parle).

     SELLIER. - Dans le programme du Parti.

     MANOUILSKY. - Il y a actuellement en France 8000.000 indigènes. Je demande ce que vous avez fait pour les organiser, pour former parmi eux des cadres d'agitateurs révolutionnaires pour les colonies. L'armée française compte 250.00 noirs. Pensez-vous pouvoir faire la révolution sociale si demain ces 250.000 sont contre vous de l'autre côté de la barricade ? Votre classe ouvrière pourra-t-elle gagner un seule grève, si la bourgeoisie dispose de réserves noires qu'elle peut lancer à tout moment contre elle ? Avez-vous fait une propagande anti-militariste parmi les soldats noirs ?


     Sur les bancs français. - Oui, Oui !


     Non, je n'ai connaissance d'aucun documents sérieux. Je vais vous citer un fait qui est insignifiant mais qui est caractéristique. Pendant le Congrès de Lyon, l'Internationale Communiste avait adressé un appel aux ouvriers français et aux peuples coloniaux. La rédaction de « L'Humanité » en le publiant, a intentionnellement supprimé les mots « Aux peuples coloniaux ». Peut-on, avec une telle mentalité faire une propagande sérieuse ? Je souhaite au Parti Communiste français de retourner, tout au moins dans cette question, aux traditions jauressistes. Bien des choses, dans la pratique et la théorie, nous séparent du défunt chef du Parti Socialiste français. Mais sa voix s'élevait toujours résolument contre les aventures coloniales. Souvenez-vous de sa courageuse campagne contre l'aventure marocaine. Jaurès n'était pas pour la séparation des colonies, mais il savait attirer l'attention du pays sur la question coloniale.


     Je vais vous citer un fait plus récent. Aux dernières élections, sur sept candidats désignés dans les colonies, il n'y avait pas un seul indigène. Pourquoi n'avez-vous pu trouver comme candidats que des représentants de la race dominante ? »1.


     Il ne semble pas que par la suite, le Parti Communiste Français ait tenu compte des « réprimandes » de Manouilsky. Loin d'essayer « d'attirer l'attention du pays sur la question coloniale » ; ils ont escamoté le problème2. Une preuve de cela fut leur théorie de l'Algérie, nation en formation. Ils concevaient cette dernière « avec, comme éléments composants, non seulement les huit millions de Musulmans, mais aussi le million d'Européens, ou, plus exactement, d'Algériens d'origine européenne » (Discours prononcé à l'Assemblée Nationale le 11 octobre 1955, par Jacques Duclos, « J.O. » p. 5002 à 5010). Si vous voulez la même chose, mais « lyriquement » exprimée, il faut citer le discours de Thorez à Alger le 11 février 1939 :


     « Nous, Communistes, nous ne connaissons pas les races, nous ne voulons connaître que les peuples.


     Où serait maintenant dans votre pays la race élue, celle qui pourrait prétendre à la domination exclusive, celle qui pourrait dire : « Cette terre a été la terre de mes seuls ancêtres. Elle doit être mienne » ?


     Ne se trouve-t-il pas, parmi vous, les descendants de ces anciennes peuplades numides civilisées déjà au point d'avoir fait de leur terre le grenier de la Rome antique, les descendants de ces berbères qui ont donné à l’Église catholique Saint-Augustin, l'évêque d'Hippone, en même temps que le schismatique Donat (Exclamations et rires à droite et à l'extrême droite) ; tous les descendants de ces Carthaginois, de ces Romains, de tous ceux qui, pendant plusieurs siècles, ont contribué à l'épanouissement d'une civilisation attestée encore aujourd'hui par tant de vestiges ?


     Sont ici également, les fils des Arabes venus derrière l'étendard du prophète, les fils des Turcs, convertis à l'Islam, apparus par la suite en conquérants nouveaux, des Juifs installés nombreux sur ce sol depuis des siècles. Tous ceux-là se sont mêlés sur votre terre d'Algérie, auxquels se sont ajoutés des Grecs, des Maltais, des Espagnols, des Italiens et des Français.


     Il y a une nation algérienne qui se constitue, elle aussi, dans le mélange de vingt races » (Applaudissements de l'extrême gauche). Cité par J. Duclos dans le discours mentionné plus haut.


     Quel est le programme et l'action qui en résultent ?


     « Voilà ce que j'ai vu, senti et dit là-bas (en Algérie), pour unir, unir toujours. Quiconque va là-bas pour diviser fait une vilaine besogne, un crime contre l'Algérie et la France, un crime contre le progrès, contre la démocratie, contre la paix » (Article de M. Thorez dans « L'Humanité » du 18.2.1939, republié dans le même journal du 27.3.1957).


     Ceux qui « divisaient » c'étaient, par exemple, ceux qui demandaient l'indépendance de l'Algérie, sans se rendre compte qu'ils le faisaient au nom d'une minorité (arabe), sans s'apercevoir – pauvres écervelés – que l'Algérie n'était pas encore une Nation. Il fallait, au contraire, qu'ils attendent pour apprendre la bonne vieille sagesse française : « Laissez agir la faux du temps ». Ils ne comprenaient pas non plus – preuve de leur immaturité – qu'on ne lutte pas pour une Nation qui se forme, mais pour une Nation formée. C'est le grand enseignement du stalinisme (et de ses stupidités théoriques), c'est pour le même mot d'ordre de l' « Union » vont jusque-là !


     « Les Français (d'Algérie) se sont, plus que jamais avant, rapprochés des indigènes. Ils savent ce que signifient la mainmise de Mussolini sur les Baléares. Toute la nation algérienne a besoin de renforcer son unité. Et même la coupure redoutable entre l'Algérie et la France pousse à une modification profonde, à une économie plus développée. Des usines de transformation doivent s'élever. Il faudra une industrie aéronautique locale (curieux : de Constantine, dernièrement, nous sont parvenus des paroles analogues). Chacun s'en rend compte et j'en parlais notamment avec le Président de la Fédération radicale d'Alger » (article de M. Thorez).


     Voilà donc pourquoi il faut s'unir à tout prix : pour lutter contre le fascisme ! L'Algérie est contre le fascisme : « Les masses indigènes savent ce qu'elles peuvent attendre du racisme. Laborieuses, elles savent ce que leur réserverait le régime fasciste », (article cité). Au nom de l'anti-fascisme, on justifie la domination démocratique de la France. En conséquence, sera fasciste, tout élément qui s'opposera à l'union.


     Fidèles à ce schéma, les communistes français condamneront les auteurs de la révolte algérienne de 1945 :


     « Il en assez significatif que les instruments de la grosse colonisation sont le M.T.L.D. et les P.P.A. et ses chefs3, tels Messali et les mouchards à sa solde qui, lorsque la France était sous la domination nazie, n'ont rien dit et rien fait et qui, maintenant, réclament l'indépendance. Ce qu'il faut, c'est châtier impitoyablement les organisateurs des troubles... » (« Humanité » du 12 mai 1945, article de Léon Feix, cité dans « Inter-Afrique Presse », Supplément du n° 118-119 du 27 Juin au 4 Juillet 1947).


     Il faut noter ici que la justification se fait au nom de l'intérêt de la France. Les communistes étaient, à l'époque, au gouvernement et ce fut leur ministre qui commanda le bombardement de la région de Sétif : Union oblige !


     Pendant la période « fasciste » qui finit, d'après eux, en 1945, il fallait défendre l'Algérie – nation en formation – contre l'Italie et l'Allemagne. À peine ces ennemis eurent-ils disparus qu'un autre se leva, d'origine démocratique pourtant et plus dangereux que le premier : l'impérialisme américain.


     « Il est clair, en effet, que la mainmise américaine sur la Tunisie, le Maroc, et puis sur l'Algérie, ne serait nullement un élément de libération pour ces pays.


     Cette mainmise constituerait, une nouvelle entrave vers une véritable indépendance nationale » (J. Duclos).



     C'est bien clair, en effet. Seule la France peut permettre, en définitive, la formation de la nation algérienne. En dehors d'elle il n'y a pas de salut !


     « Certains dirigeants nationalistes préconisent la fusion des trois pays au sein d'un Maghreb arabe ou musulman, lié à tous les les pays arabes ou musulmans, depuis le Maroc jusqu'au Pakistan. C'est là une vieille idée de la ligue arabe, reprise et impulsée par les milieux bourgeois dirigeants du Caire et de Karachi. Voilà longtemps que Lénine et Staline ont montré le caractère forcément réactionnaire des courants basé sur la race et la religion. Il est tout naturel que les Algériens, les Tunisiens, les Marocain éprouvent les uns pour les autres des sentiments fraternels. Il est également naturel qu'ils éprouvent une grande sympathie pour les peuples du Proche et du Moyen-Orient : tant en raison de la communauté, de la religion et de la similitude de langue, que du soutien qu'ils ont reçu de ces peuples au cours de ces dernières années.


      Mais cela ne justifie pas une communauté politique contre laquelle jouent tant d'éléments historiques, géographiques, économiques et autres. Une autre voie est possible ou mieux, encore possible, pour les peuples d'Afrique du Nord, la voie de l'Union Française » (Article de Léon Feix dans les « Cahiers du Communisme », 1956, cité par le document F.L.N. : « Le Parti Communiste et la révolution algérienne »).


     La thèse ultra, actuelle, est la fille légitime de cette « théorie ». Ici on ne dit plus que l'indépendance de l'Algérie passa par la France, mais que l'Algérie est indépendante puisqu'elle est française.


     L'Algérie semblait pourtant choisir une autre voie que celle prévue par les stalinistes pour aller au « nationalisme ». Le 1ier Novembre 1954 éclatait une « émeute » qui ne s'est pas encore terminée. Ceci bouleversait toutes les constructions théoriques des dirigeants du P.C.F. Il leur fallut longtemps pour réagir. Puis, devant la ténacité de la révolte et son extension, il fallut bien admettre la « réalité de la nation algérienne ». Entre-temps, ils avaient appris qu'il y avait des voies nationales au socialisme, qu'il est possible d'y arriver par la voie pacifique, parlementaire ; que pour cela, il faut s'unir avec tout le monde, voter les pouvoirs spéciaux et la loi d'exception. Si les communistes n'ont pas pris le pouvoir à la suite de tout cela, ils ont sauvé, tout de même, la France du fascisme et l'Algérie avec elle. Ce n'est pas de leur faute, si les électeurs sont des ingrats et ne comprennent pas les subtilités théoriques, si, malgré leurs affirmations (verbales) de la nécessité de l'indépendance de l'Algérie, les députés de ce pays veulent l'intégration, si enfin la plupart des Français désirent la communauté (l'union des Thorez). Ils auraient tort de se plaindre ; ils ne récoltent que ce qu'ils ont semé : l'intérêt de la France bourgeoise et impérialiste !





1  Rapport de Manouilsky à la XX° séance du V° Congrès de la III° Internationale (1924). Compte-rendu 

         analytique, Librairie de l'Humanité, 1924, p. 215-216.


2   Voir à ce sujet : « Le P.C.F. et la question coloniale », Programme Communiste, n°5.




3   M.T.L.D. : Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques.

         P.P.A. : Parti Populaire Algérien.