EXTRAIT DE LETTRE

 

 

 

«J’aborderai tes remarques par ton analyse de mon comportement.[1]Tu dis que, d’une part, je suis écoute à tout ce qui “déserte les normes de vie” et que, d’autre part, j’essaye d’unifier toutes ces données. Tu me taxes alors de centralisateur. Je pense que ta perception est incomplètement correcte. Je ne veux rien unifier. Je veux montrer seulement un procès de dissolution en même temps qu’un certain procès de réacquisition (langage[2], rythme etc.) en montrant à quel point on a des phénomènes parcellaires. Je ne cherche en aucune façon à unifier. Pour cela je tenterais des liaisons avec les divers groupes portant à bout des dissolutions ou des affirmations parcellaires. Je veux simplement montrer que l’on est dans une dynamique de destruction qui pose la nécessité d’une autre dynamique qui doit être totale et donc je me pose directement en tant que totalité, centralisé en moi-même, et par là je suis mon but et mon mouvement. Si j’ai raison de poser que je ne puis être simplement “individualité” mais simultanément Gemeinwesen, ma prise de position est valable pour des millions d’êtres. Car ce n’est pas moi qui crée ex-nihilo, mais c’est au travers de moi qu’une certaine humanité s’impose. Je veux témoigner de cela. Je suis, si tu veux, dans l’attitude du prophète. Pour témoigner il faut aussi dénoncer, mettre en évidence, louer, sensibiliser les femmes et les hommes, mais je ne fais aucun prosélytisme, ce à quoi conduirait ma tendance centralisatrice dont tu parles. Ce qui est certain, c’est que les autres dans leur manifestation parcellaire poussée, exagérée, exacerbée, me permettent de comprendre en profondeur certains phénomènes que je n’aurais peut-être pas perçus ou compris, et m’obligent à m’affronter à mon exigence de cohérence et d’identité[3]. Je ne suis pas une girouette et j’ai un projet global cohérent. C’est ce que je veux faire ressortir ne serait-ce que pour que les autres puissent eux-mêmes se retrouver».


«Il nous faut toujours être plus prés les uns des autres pour pouvoir affronter l’avenir; il ne s’agit donc pas de faire semblant de se comprendre, de se faire des concessions; il faut s’affronter à bras le corps en se posant des questions devant lesquelles on ne peut pas reculer, des questions qui nous piègent pour mieux saisir notre substance afin de pouvoir ensuite fougueusement nous élancer. Je suis heureux de sentir une plus grande convergence. Je n’attribue pas une valeur négative à l’isolement. Il faut s’édifier dans ce cadre, ne rien attendre des autres, sinon on attendra toujours. Notre cheminement doit être un appel pour les autres… J’espère que tu comprendras au-delà de tout ce que les mots ont dit. T’espère la graine mûrissante de l’hiver…».


 



     [1]  Extrait d’une lettre à Venan Brisset du jeudi 2 février 1978

 

[2] En fait il conviendrait mieux de parler de langue. [Note de 2001]

[3] Terme que j’ai rejeté depuis. En fait il s’agit d’une originalité, d’une idiosyncrasie. [Note de 2001]