CAPITAL ET GEMEINWESEN

 

 

 


I. - LES FORMES DE LA VALEUR ET DÉFINITION DU CAPITAL

 

 

 

Cette question fut au centre des préoccupations de l’économie politique même avant qu’elle ne se développât en tant que science autonome. Une réponse claire et nette ne pouvait apparaître avant que les faits eux-mêmes ne se fussent clarifiés. Autrement dit, ce n'est qu'à un certain stade de généralisation de l'économie marchande qu'elle pouvait surgir. Ιl fallait d'abord que les hommes puissent voir clairement dans les rapports économiques qui déterminent la vie matérielle.

K. Marx, aussi, eut beaucoup de difficultés, non pour saisir ce qui détermine la valeur: le temps de travail social nécessaire, mais pour exposer cela historiquement; c'est-à-dire les formes de la valeur et les conquences qui en découlent. « Marx a élaboré la théorie de la plus-value dans les années cinquante tout seul et dans le silence et il s'est refusé à toute force à n'en publier rien, tant qu'il n'en avait pas tiré parfaitement au clair toutes les conquences. D'où la non-parution du second cahier de la « Contribution à la critique de l'économie. politique » et des cahiers suivants... » (F. Engels ά Schmouilov, 07.02.l893).

On sait que K. Marx rédigea Le Capital à la place. Au cours de la rédaction, F. Engels lui conseilla quelques modification: « Tu as commis l'erreur de ne pas rendre plus sensible l'enchainement de la pensée, dans ses développements abstraits, par un plus grand nombre de petites divisions et d'intertitres. » K. Marx en tint compte et publia, dans l'édition allemande, un appendice: La forme de la valeur [1]. C'est pourquoi on trouve un exposé compréhensible de tout cela dans le premier livre du Capital. Seulement beaucoup de conquences dont parle F. Engels à Schmouilov n'ont pas été analysées. Ιl est important de ce fait de résumer, d'abord, ce que traite le premier livre à ce sujet.

 

A. - Apport du premier Livre

 

Tous les produits de l'activité humaine (même ceux qui sont simplement filtrés par le travail) deviennent au cours des âges des marchandises tandis que, parallélément, une marchandise devient équivalent néral, c'est à dire une marchandise en laquelle toutes les autres vont se mesurer en s'équivalant. C'est l'or, l'argent. Ce qui veut dire que ce qui pvaut progressivement, c'est la valeur d'échange et non plus la valeur d'usage des produits de l'activité humaine.

Une telle transformation suppose dans le même temps celle du travail concret en travail abstrait. C'est-à-dire que les produits perdent de plus en plus le caractère d'être engendrés par une activité particulière de l'homme pour être un produit du travail humain. A ce stade de généralisation de la production marchande, l'homme devient une marchandise; il est une force de travail qu'il peut vendre. C'est cette marchandise particulière qui par sa consommation au cours d'un procès de production engendre la plus-value. Ceci se réalise de la façon suivante: les capitalistes détenteurs des moyens de production assurent l'existence à l'ouvrier, d'un homme qui a été exproprié de ses moyens de production, qui est réduit à l'état de dépendance absolue parce qu'il n'a que sa force de travail et que celle-ci ne peut être efficace, donc réelle, que si elle entre en contact avec les moyens de production détenus par le capitaliste [2]. Celui-ci accepte de lui donner un salaire, c'est-à-dire une certaine quantité d'argent qui lui permettra d'acheter sur le marché détenu par les capitalistes les subsistances nécessaires à l'entretien de sa vie matérielle à condition que l'ouvrier aliène sa force de travail dont le capitaliste usera selon son bon plaisir; selon les exigences du procès de production lui-même. Dès lors l'origine de la plus-value apparaît de façon limpide: l'usage de la force de travail engendre plus de produits qu'il n'en faut pour la reproduire. La première forme de la plus-value est celle absolue. Elle découle de l'allongement au maximun dé la durée de l'utilisation de la force de travail afin d'avoir un plus grand nombre dé produits; allongement de la journée de travail afin d'accroître la fraction de celle-ci au cours de laquelle l'ouvrier travaille gratuitement pour le compte du capitaliste.

La lutte du prolétariat contre l'exploitation effrénée, engendrée par cette recherche de plus-value absolue devait amener les capitalistes à introduire les machines, instruments dociles. À ce moment là, l'extorsion de plus-value νa se faire indirectement, par l'intermédiaire de l'accroissement de la productivi du travail. Tout d'abord la machine assujettit l'homme, comme cela avait été déjà expliqué dans les Manuscrits de l844: « La machine s'adapte à la faiblesse de l'homme pour transformer l'homme faible en machine. (p. l02). D'autre part, elle accroit considérablement la productividu travail. Une plus grande quanti de produits est engendrée avec la même quanti de travail originelle. La valeur unitaire des produits diminue, en particulier celle des subsistances nécessaires à l'ouvrier. Les marchandises produits du capital, contiennent de moins en moins de travail payé. La journée de travail peut donc rester inchangée puisque la fraction de celle-ci durant laquelle l'ouvrier travaille pour reproduire son salaire diminue, étant donné que la somme des valeurs des subsistances nécessaires à sa vie diminue. La contrainte physique directe fait place à la contrainte économique indirecte. Ce qui implique pour qu'elle s'exerce de façon sûre, la domination du capital sur tous les mécanismes économiques afin de pouvoir opérer cette pression globale qui fera que le prolétaire ne peut que se soumettre ου mourir de faim. Le capital s'assujetit aussi la science non seulement pour l'incorporer au procès de production, mais comme arme théorique pour démontrer au prolétariat que la production ne peut pas s'effectuer d'une autre façon.

 

Β - Apport de la version primitive

 

K. Marx met donc à nu, de manière violente et décisive le secret de la production capitaliste: l'exploitation du prolétariat; il explique la naissance de la plus-value, et, pour réfuter les économistes qui veulent poser le capital comme une forme éternelle de production, il montre qu'il est un rapport social. Mais les épigones du capital peuvent soutenir leur théorie parce qu'ils raisonnent sur l'apparence, car: « Si donc ίl est juste de dire que la valeur d'échange est un rapport entre les personnes, il faut ajouter: un rapport qui se cache sous l'enveloppe des choses. » (Contribution, p. l3). Or, le rapport est d'autant plus masqué que la valeur d'échange, née au sein de la circulation des marchandises, devient de plus en plus autonome.

C'est ce que K. Marx analyse dans le Fragment de la Version Primitive de la Contribution à la critique de l'économie Politique. (Urtext). La notion d'autonomisation apparait aussi dans d'autres textes, mais ce n'est que dans celui- ci qu'elle se trouve au centre de la démonstration. Dans les Grundrisse, K. Marx l'utilise comme une notion déjà acquise, qui a été définie dans d'autres travaux; il en est de même dans la Contribution et dans le Capital. D'où l'intérêt de cette versione primitive. Elle commence par une analyse des formes de la valeur, (comme dans le Capital) depuis la forme simple, x marchandises A équivalent y marchandises Β, jusqu'à la forme la plus évoluée: la forme monnaie, et, mise en évidence de ce qu'il y a d'essentiel dans tout cela: la circulation. C'est au travers de celle-ci que les marchandises peuvent s'affronter, se confronter, s'équivaloir. « ...l'or est une marchandise distincte du froment et c'est dans la circulation seulement qu'il est possible de vérifier si le quarter de froment devient réellement l'once d'or comme son prix l'indique par anticipation.» (Contribution, p. 43), «...les marchandises doivent entrer dans le procès d'échange comme temps de travail néral matérialisé et que d'autre part, la matérialisation du temps de travail des individus comme temps de travailnéral n'est elle même que le résultat du procès d'échange.» (ibid. p. 24) L'enveloppe des choses se manifeste effectivement dans la circulation. C'est en elle que se réalise la valeur et c'est en elle que s'effectue l'autonomisatίon de celle-ci. C'est pourquoi les premiers économistes lui attribuaient l'importance essentielle dans la création de la valeur. Alors que - nous le savons par les démonstrations des économistes classiques et surtout par K. Marx - cela est faux: l'incrément de valeur apparait dans la sphère de la production mais il est réalidans la circulation. Celui-ci part de la donnée de l'apparence du phénomène; il le montre dans son devenir, il expose les contradictions qu'il implique et parvient à extirper de l'analyse de celle-ci le secret du mouvement réel. « Ιl nous faut donc étudier comment l'argent que nous distinguerons du moyen de circulation naît de la forme immédiate de la circulation des marchandises Μ-A-Μ.» (ibid. p. 89).

 « Le premier procès de la circulation est, pour ainsi dire, un procès théorique, préparatoire à la circulation réelle. Les marchandises qui existent comme valeur d'usage, se créent d'abord la forme sous laquelle elles apparaissent idéalement les unes aux autres commes valeurs d'échange, comme des quantités déterminées de travail général matérialisé. Le premier acte nécessaire de ce procès, on le voit, consiste en ce que les marchandises excluent une marchandise spécifique, mettons l'or, en tant que matérialisation immédiate du temps de travail général οu équivalent néral. » (Contribution, p. 39). C'est le début de l'autonomisation de la valeur d'échange. Mais pour que cela se réalise pleinement, il faut que l'or soit une grandeur variable qui puisse servir de mesure des valeurs. « Pour pouvoir servir de mesure de valeur, il faut que l'or soit virtuellement une grandeur variable; il ne peut, en effet, devenir l'équivalent d'autres marchandises que comme matérialisation du temps de travail. » (Contributions, p. 4l). Justement, l'or est apte à remplir ces fonctions et K. Marx analyse longuement les métaux précieux, substrats de la fonction monétaire. (Cf. Version primitive et Grundrisse). L'or peut, s'équivaloir à toutes les marchandises et à n'importe quelle partie aliquote de celles-ci. D'où son autonomisation et son caractère magique. Parvenu à ce stade de l'analyse, K. Marx étudie les limites de l'autonomisation de l'argent, et quelles sont les conditions pour que la valeur d'échange devienne réellement autonome. Cela donne lieu à l'étude du passage de l'argent au capital. «La circulation a pour point de départ les deux déterminations de la marchandise: la valeur d'usage et la valeur d'échange. Si la première pdomine, la circulation aboutira à l'autonomie de la valeur d'usage; la marchandise devient objet de consommation. Si c'est la seconde, la circulation aboutit à la seconde détermination, à l'autonomisation de la valeur d'échange. La marchandise devient argent. Mais elle n'adopte cette dernière détermination que par le procès de la circulation et elle continue à se déterminer par rapport à la circulation. Mais dans cette détermination, elle poursuit son développement de temps de travail neral objectivé sous sa forme sociale. C'est de ce côté que doit nécessairement provenir la détermination ulrieure du travail social, qui apparaît d'abord comme valeur d'échange de la marchandise, puis comme argent. La valeur d'échange est la forme sociale en tant que telle. Ainsi son développement ulrieur est-il le développement (ou l'approfondissement dans) du procès social qui projette la marchandise à sa surface ». (Version primitive. p. 239). Marx aborde ici la -transformation de l'argent en capital dont la circulation réalisera le contraire de celle des marchandises: « Dans le mouvement Μ-A-Μ ce qui est matériel apparaît dans le contenu propre (eigentlίche) du mouvement; le mouvement social, lui, comme simple médiation fugitive afin de satisfaire les besoins individuels.» (ibid. p. 233.) [3].

La marchandise devient argent et donc valeur d'échange autonome. Pour expliquer l'autonomisation, il faut analyser de façon plus détaillée la valeur d'échange. « Si nous partons non de la marchandise, comme auparavant, mais de la valeur d'échange en tant que telle dont l'autonomisation est le résultat du procès de circulation, nous trouvons: l° La valeur d'échange existe doublement en tant que marchandise et en tant qu'argent; ce dernier apparaît comme sa forme adéquate; mais dans la marchandise - aussi longtemps qu'elle reste en tant que telle - l'argent ne disparait pas, mais existe en tant que son prix. L'existence de la valeur d'échange se débouble d'une part en valeur d'usage, d'autre part en argent[4]. Mais ces deux formes s'échangent l'une l'autre et, au cours du simple échange en tant que tel, la valeur ne disparaît pas ».

2°. « Pour que l'argent se conserve en tant que tel, il doit au même titre qu'il apparaît comme le précipi et le résultat du procès de circulation, garder la faculd'y entrer à nouveau, c'est-à-dire qu'il ne doit pas devenir dans la circulation ùη simple moyen de celle-ci, moyen qui, sous forme de marchandise, disparaît lors de l'échange contre une simple valeur d'usage » (ibid. p. 239)

Cette valeur d'échange ne peut devenir autonome qu'en « tant que procès et non plus en tant que forme purement fugitive de la valeur d'usage indifférente au contenu matériel de celle-ci, ni comme simple objet, sous la forme de l'argent. » (ibid. p. 239-40). Mais à ce moment-là, la circulation elle-même subit des changements et elle n'est « plus un procès purement formel, où la marchandise parcourt la série de ses déterminations (comme dans le cas de la circulation simple des marchandises, n.d.r.) mais c'est la valeur d'échange elle-même mesurée en argent qui doit, en tant que présupposition même, apparaître posée par la circulation et en tant que posée par elle, sembler la présupposer. La circulation elle-même doit apparaître comme un moment de la production des valeurs d'échange (en tant que procès de la production des valeurs d'échange). » (ibid. p. 240).

La contradiction impliquée par la circulation de l'argent est maintenant posée; contradiction qui induisit en erreur les économistes. Ils raisonnent sur le phénomène apparent. Or, en apparence, nous avons un rapport entre les choses et celles-ci sont en circulation. On constate qu'à un moment donné de cette dernière, effectivement, la valeur s'est engrossée. Mais poursuivons l'analyse de K. Marx qui nous conduira au dévoilement de la mystification des choses. « Cette valorisation, cet accroissement quantitatif de la valeur - seul procès que la valeur en tant que telle puisse parcourir - n'apparaît dans l'accumulation de l'argent qu'en opposition à la circulation, c'est-à-dire qu'elle apparaît au travers de sa propre suppression (Aufhebuιτg). La circulation doit plutôt être posée en tant que procès au cours duquel la valeur se conserve et se valorise. Or, dans la circulation l'argent devient monnaie et, à ce titre, s'échange contre des marchandises. » (ibid. p. 240).

Autrement dit, la circulation doit en quelque sorte contenir en elle-même une phase productive au cours de laquelle il y a valorisation, c'est-à-dire accroissement de la valeur. K. Marx précise alors quels sont les caractères d'une telle circulation et quelles sont les conditions pour que la valeur parvienne à l'autonomie:

l. « Si l'on ne veut pas que ce changement soit uniquement formel - οu que la valeur d'échange disparaisse dans la consommation de la marchandise - (...) il faut que la valeur soit réellement échangée contre de la valeur d'usage et que la marchandise soit consommée comme valeur d'usage, tout en demeurant valeur d'échange dans cette consommation; ου encore, il faut que sa disparition disparaisse et ne soit que le moyen de faire naître une valeur d'échange plus grande (ici est donnée, en anticipation, la définition de la marchandise produit du capital, n.d.r.) qu'elle soit la production et la reproduction de la valeur d'échange; qu'elle soit une consommation productive; c'est-à-dire une consommation par le travail pour objectiver le travail, pour poser de la valeur d'échange.» (ibid. pp. 240-4l).

2. «Pour s'autonomiser la valeur d'échange devrait non seulement surgir en tant que résultat de la circulation, mais être capable d'y entrer à nouveau, de se conserver en elle, en devenant marchandise. » (ibid.p. 24l).

3. D'autre part, il ne faut pas qu'il y ait un simple mouvement quantitatif comme pour l'argent: « En tant que forme de la richesse générale, valeur d'échange autonomisée, l'argent n'est capable d'aucun autre mouvement que quantitatif: s'accroître. Selon son concept il est la quintessence de toutes les valeurs d'usage; mais en tant qu'il n'est jamais qu'une grandeur de valeur déterminée, une somme déterminée d'or ου d'argent, sa limite (Schranke) quantitative est en contradiction avec sa qualité. » (ibid. p. 244).

4. « Tant que l'argent, c'est à dire la valeur d'échange autonomisée, ne se fixe que par rapport à son contraire, la valeur d'usage en tant que telle, il n'est en réalité susceptible que d'avoir une existence abstraite. Ιl doit se conserver et s'accroître simultané­ment en tant que valeur d'échange dans son contraire, au cours de son devenir de valeur d'usage et dans le procès de celle-ci, la consommation (c'est-à-dire que la consommation de cette valeur d'usage engendre de la valeur d'échange, c'est pourquoi il ne peut pas y avoir indifférence vis-à-vis de la qualité de cette valeur d'usage, n.d.r.); il lui faut donc transformer la consommation de la valeur d'usage - la négation active et l'affirmation positive de celle-ci - en production et reproduction de la valeur d'échange elle-même.» (ibid. p. 248).

Quelle est dans ce cas la valeur d'échange qui soit capable de remplir ces fonctions, ces conditions? Le capital. « L'argent en tant que valeur d'échange adéquate résultant de la circulation, valeur d'échange autonomisée, mais entrant de nouveau dans la circulation, se valorisant (se multipliant) et s'éternisant en elle et par elle, c'est le capital. » (p. 245) [5].

Après cette définition dérivée de l'étude de la circulation, de l'autonomisation de la valeur d'échange, K. Marx caractérise le capital.

l. «L'immortali à laquelle tend l'argent en prenant une attitude négative vis-à-vis de la circulation (en s'en retirant) le capital y parvient, car il se conserve précisément en s'abandonnant à la circulation. En tant que valeur d'échange présupposant la circulation, présupposée par elle, se conservant en elle, le capital emprunte alternativement les deux moments inclus dans la circulation simple, mais non comme cela se produit au cours de celle-ci: il ne passe pas seulement d'une forme à l'autre, mais dans chacune des déterminations il est en même temps la relation à la forme opposée.» (p. 246).

2. «Ιl n'est pas telle ou telle marchandise, mais peut être metamorphosé en chacune d'elles et dans chacune il continue d'être la même grandeur de valeur et d'être une valeur qui fait d'elle-même son propre but. » (ibid. p. 249).

3. D'autre part, il ne s'y perd plus (dans la circulation) « en se convertissant de la forme argent en la forme marchandise» et son « autonomie ne réside plus qu'en ceci: la valeur d'échange se maintient en sa quali de valeur, qu'elle existe sous forme d'argent ou de marchandise et elle ne passe dans la forme marchandise que pour se valoriser elle-même » (p. 250).

Mais, puisque « la valeur d'échange en tant que telle ne peut, somme toute, devenir autonome qu'en s'opposant à la valeur d'usage qui lui fait face en cette quali » (p. 250), il faut savoir quelle est la valeur d'usage qui puisse subir une consommation productive et donc s'opposer en tant que valeur d'usage de la valeur d'échange. C'est le travail, plus exactement, la force de travail. «L'unique valeur d'usage qui puisse constituer l'opposé et le complément de l'argent en tant que capital, c'est le travail ». ( p. 25l). C'est pourquoi dans cet échange il ne peut y avoir d'indifférence vis-à-vis du contenu de la valeur d'usage. «L'échange qui fait de l'argent du capital ne peut être un échange contre des marchandises, mais contre son contraire conceptuellement déterminé, contre la marchandise qui se trouve en opposition conceptuellement determinée avec lui: le travail » (p. 252).

« C'est donc uniquement par l'échange de l'argent contre le travail que peut se produire sa transformation en capital. La valeur d'usage contre laquelle l'argent, en tant que possibilité de devenir du capital, peut s'échanger, ne peut être que celle de laquelle naît la valeur d'échange elle-même, à partir de laquelle elle s'engendre et s'accroît. Or c'est uniquement le travail. La valeur d'échange ne peut se réaliser comme telle qu'en faisant face à la valeur d'usage - non pas n'importe laquelle - mais à celle qui se rapporte à elle. Cette valeur d'usage, c'est le travail. La capacide travail est cette valeur d'usage dont la consommation coïncide immédiatement avec l'objectivation du travail, donc avec la création (Setzung) de valeur d'échange. Dans la circulation simple, le contenu de la valeur d'usage n'avait pas d'importance, l'aspect formel du rapport économique lui restait extérieur. Ici ce contenu est un facteur économique essentiel de celle-ci ». (p. 252).

Autrement dit, le salariat est une caractéristique fondamentale du mode de production capitaliste. La production marchande a pu dissoudre des modes de production, des rapports de production déterminés, mais, à elle seule, elle ne pouvait pas fonder une autre société. «En effet, la valeur d'échange n'est déterminée dans sa propriété de rester elle-même dans l'échange que parce qu'elle s'échange avec la valeur d'usage qui lui fait face selon sa propre détermination formelle» (p. 252).

«Le non capital réel, c'est le travail lui-même». (p. 25l). En conséquence, le capitalisme ne peut se développer pleinement que lorsque tout le travail humain est devenu travail abstrait.

Ainsi donc, l'analyse de la marchandise: valeur d'usage correspondant au travail abstrait ne suffit pas à expliquer la transformation de l'argent en capital. D'autre part, l'étude de la circulation de la valeur d'échange a mis en évidence le fait que pour parvenir à l'autonomie, celle-ci devait inclure une phase productive au cours de laquelle son contraire - une valeur d'usage particuliere - est consommée (consommation productive) et engendre de la valeur d'échange. Ce n'est qu'ainsi que peut apparaître le capital. [6]

 «En lui l'argent a perdu sa rigidi et, d'objet tangible, il est devenu procès.»[7] Ιl est donc nécessaire de préciser ce procès dont le moment essentiel est celui de production immédiat, c'est-à-dire celui au cours duquel de la valeur d'échange est engendée (donc du capital), au cours duquel il y a consommation productive de la force de travail. C'est ici que le VIéme Chapitre inédit du Capital conclut l'étude abordée dans les deux textes analysés plus haut et résoud la contradiction posée par le phénomène apparent.

 

C - Apport du VI° Chapitre inédit du «Capital».

 

Pour comprendre ce procès, il faut faire appel à deux nouvelles distinctions: le procès de travail qui consiste en l'affrontement de l'homme avec les moyens de production et le procés de valorisation qui consiste d'une part à conserver la valeur de telle sorte qu' «au lieu de la valeur de la partie variable ν du capital, nous avons maintenant la valorisation en tant que procès» (p. l33) [8]. Le procès de production immédiat est uni des deux.

Ces distinctions nous les retrouvons dans le reste de l'œuvre  économique de K. Marx. Ainsi, dans le Livre II du Capital lorsqu'il critique les différentes théories sur le capital fixe ou bien lorsqu'il aborde «La reproduction et la circulation de l'ensemble du capital social.» C'est là d'ailleurs que nous trouvons, en dehors du VIéme Chapitre (et aussi des Grundrisse où les notions sont bien développées), l'énonciation la plus claire de ces deux éléments du procès capitaliste de production: «Le procès de production immédiat du capital, c'est son procès de travail et de valorisation, qui a pour résultat la marchandise et pour motif déterminant la production de plus value » (Livre II, t. 5 p. 7) [9].

 

Avant de poursuivre, il nous faut faire deux remarques:

 

l) Dans notre Formulaire Économique du l° Livre du « Capital », nous avons indiqué de façon très suggestive l'unité des deux procès (bien que ne connaissant pas encore le VI° Chapitre). En effet, nous représentions le procès de production immediat de la façon suivante:

ν + c, verticalement, indique le procès de travail en société capitaliste: rapport entre travail vivant-capital variable et travail mort- capital constant: Le procès de valorisation est indiqué par les deux relations figurées horizontalment:

a - aspect de conservation de la valeur avancée sous forme de moyens de production:c c [10]

b - aspect de création de valeur: v  ν + p

(il est évident qu'il y a aussi conservation de la valeur, puisqu'il faut d'abord que ν soit restauré pour qu'il y ait production de p. Seulement cet aspect est beaucoup moins important ici que dans le cas précédent. Ιl est masqué par le phénomène de création de valeur).

2) Le procès de travail a été présent dans tous les modes de production. Seulement, au fur et à mesure que les produits se transformaient en marchandises, se créait parallèlement un procès de valorisation qui prit de plus en plus d'importance pour finalement, dans le capitalisme, supplanter et masquer le premier. D'où la mystification opérée sur les économistes vulgaires qui sont obnubilés par le procès de valorisation. D'où aussi la remarque faite par  K. Marx dans le Premier Livre du Capital: « Si donc, au début de ce chapitre, pour suivre la manière de parler ordinaire, nous avons dit: la marchandise est valeur d'usage et valeur d'échange, pris à la lettre c'était faux. La marchandise est valeur d'usage ou objet d'usage et valeur. Elle se présente en tant que duali - ce qu'elle est - dès que sa valeur possède une forme phénoménale propre, celle de la valeur d'échange, distincte de sa forme naturelle; elle ne possède jamais cette forme si on la consire isolément, mais seulement si on la consire en rapport de valeur ou d'échange avec une deuxième marchandise d'une espèce diverse. Dès qu'on sait cela, cette locution ne renferme plus de malice et sert pour l'abréviation » (L. Ι, t. Ι, p. 74). Ιl y eut des sociétés où la valeur n'existait pas; il y aura une société où la valeur aura été détruite: le communisme.

Mais revenons au procès de production immédiat: « il ne s'agit que d'un seul procès de travail indivisible. On ne travaille pas doublement: une fois pour créer un produit approprié, une valeur d'usage, pour transformer les moyens de production en produit et, une autre fois, pour créer de la valeur et de la plus-value; pour valoriser la valeur » (VIème Chapitre, p. l45). Le procès de production immédiat est uni indissoluble du procès de travail et de celui de valorisation; ici, les caractéristiques se portent donc au niveau de la production. « Le procès de production est uniimmédiate du procès de travail et du procès de valorisation, comme son résultat immédiat, la marchandise, est uni immédiate de la valeur d'usage et de la valeur d'échange ». (VIème Chapitre, p. l45).

Pour mieux saisir ce devenir de la valeur se valorisant au cours du procès de production, il faut encore préciser deux notions: le travail mort et le travail vivant. Nous avons vu que pour comprendre la circulation il fallait savoir que toute marchandise possède une valeur d'usage et une valeur d'échange correspondant l'une au travail concret l'autre au travail abstrait; lorsqu'il s'est agi de comprendre la transformation de l'argent en capital, il a fallu aller dans le procès de production qui se divisait en procès de travail (aspect d'usage) et en procès de valorisation (aspect d'échange); maintenant, au sein de ce procès de travail, il faut distinguer le travail mort, accumulé, objectivé, c'est a dire les moyens de production qui ont un caractère d'échange (capital constant) et le travail vivant, la force de travail qui a un caractère d'usage (capital variable). « La différence entre travail objectiet travail vivant se manifeste dans le procès de travail réel ». (VIème Chapitre, p. l48).

« … dans le procès de travail, le travail objectivé se manifeste en tant que moment objectif, élément, pour l'effectuation (Verwerklichung) du travail vivant » (VIème Chapitre, p. l48) En ce sens le travail mort a un aspect d’usage, mais il apparaît surtout sous la détermiίnation de valeur d'échange.

Voici donc le devenir:« Dans la meure où le travail passé remplace du travail vivant, il devient lui-même un procès; il se valorise et devient fluens qui crée une fluxio. Cette absorption de travail vivant additionnel est son procès d'autovalorisation, sa métamorphose effective en capital, en valeur se valorisant elle-même, sa métamorphose de grandeur de valeur constante en grandeur de valeur variable et en procès ». (VIème Chapitre, p. l49).

Ainsi, après la defίnition dérivant de la circulation, nous avons maintenant celle découlant de la production. Le capital est du travail objectivé, mort, sans cesse rappelé à la vie par le travail vivant qu'il englobe et ce, dans un cycle apparemment sans fin. Cette derniere définition inclue la premίere fournie par la Version primitive: le capital valeur en procès, puisque nous savons maintenant en quoi consiste ce procès: il ne peut s'effectuer que s'il y a assujetissement du travail. « En outre, la valeur existante ou l'argent devient effectivement capital seulement si:

1) elle se présente en tant que valeur se valorisant, en tant que valeur en procès et, elle se présente en tant que telle, si l'activité de la capacide travail, le travail, agit dans le procès de production en tant qu'énergie qui lui a été incorporée et qui lui appartient;

Si en tant que plus-value elle se distingue de la valeur présupposée originellement, ce qui est encore le résultat de l'objectivation du sur-travail » (VIèmeChapitre, p. l48).

«Au sein du procès de production capitaliste, le travail se transforme en capital» (VIèmeChapitre). L'enveloppe des choses est déchirée. On voit le rapport entre les hommes, celui entre les capitalistes et les prolétaires que les économistes vulgaires, ardents défenseurs du capitalisme, avaient tout intérêt à masquer, comme s'acharnèrent et s'acharnent à le faire tous leurs successeurs. Mais K. Marx νa plus loin et indique que ce qui apparaît comme une chose est encore le produit d'un rapport entre les hommes: le capital constant est du travail matérialisé, cristallisé, objectivé, et de ce fait: « Tout le procès de production capitaliste se déroule entre le travail objectivé et le travail vivant créateur de capital, c'est-à-dire la valeur qui se valorise elle-même grâce au travail vivant».

Cette façon d'envisager la transformation de l'argent en capital nous explique pourquoi K. Marx dans la Version primitive et dans le VIème Chapitre parle de capacité de travail au lieu de force de travail comme il le fait dans Le Capital. Ιl analyse un processus dans son devenir: le moment où la transformation essentielle est sur le point de se produire (ce n'est pas pour rien que dans le VIème Chapitre il a recours au langage mathématique pour saisir l'instant précis où l'incrément de valeur νa surgir, une différentielle de celle-ci νa pouvoir se manifester). De ce fait il montre que la valeur d'échange ne peut s'accroître qu'à la condition de s'échanger contre une valeur d'usage apte à créer de la valeur. Lorsque, par la suite, le secret de la métamorphose de l'argent en capital a été trouvé, il n'est plus nécessaire de présenter cela sous cette forme. Ιl ne s'agit plus d'aptitude, mais de données se réalisant concrètement. Ce qui se consomme effectivement ce n'est pas une capacité de travail (ceci étant quelque chose de potentiel), mais une force (il emploie aussi le mot puissance). « L'argent est maintenant du travail objectivé, qu'il possède la forme de l'argent ou de la marchandise particulière. Face au capital il n'y a pas un mode d'existence objectif du travail, mais chacun d'eux apparait comme son mode existence possible, qu'il pourrait adopter par simple changement de forme en passant de la forme argent à la forme marchandise. La seule opposition au travail objectivé, c'est le travail non-objectivé, en opposition au travail objection a le travail subjectif. Ou encore, en opposition au travail passé dans le temps mais existant dans l'espace on a le travail vivant existant temporellement. En tant que travail non-objectif, existant dans le 'temps (et qui n'est donc pas encore objectivé) le travail ne peut exister qu'en tant que capacité, possibilité, faculté, capacide travail du sujet vivant. Au capital - travail objectivé autonome, se maintenant fermement dans cette déeermination - ne peut s'opposer que la puissance de travail vivante et ainsi le seul échange qui puisse transformer l'argent en capital est celui qu'effectue le possesseur de capital avec le possesseur de la puissance de travail vivante, c'est-à-dire de l'ouvrier. » (Version primitive, p. 250).

C'est pourquoi, nous avons dit, d'autre part, que dans les Manuscrits parisiens, K. Marx était parti de l'aspect subjectif, de l'aspect du travail salarié. Ceci n'est nullement en contradiction avec le fait que, par la suite, le capital tende à apparaître comme le véritable sujet. Ce qui est expliqué dans l'exposé sur la mystification du capital.

Il a donc répondu sur le terrain de l'adversaire: oui, il peut y avoir une augmentation de la valeur au travers de l'échange, mais uniquement lors d'un échange particulier (pour les économistes, ce serait au travers d'un échange universel), celui du travail objectivé contre du travail vivant. Cet échange ne peut avoir de réalique si la valeur d'usage est consommée et elle ne peut l'être que productivement, ce qui signifie nécessité d'un procès de production immédiat. Le produit de celui ci réclame à son tour un échange - semblable à ceux de la circulation simple des marchandises - pour que cette valeur soit réalisée.

Ainsi est résolue, mais d'une autre façon, la contradiction posée dans le Premier Livre du Capital (tome Ι, pp. l68-69): « La transformation de l'argent en capital doit être expliquée en prenant pour base les lois immanentes de la circulation des marchandises, de telle sorte que l'échange entre équivalents serve de poin de départ...» « La métamorphose de l'homme aux écus en capitaliste doit se passer dans la sphère de la circulation et en même temps ne point s'y passer». Nous avons vu d'autre part que la même exigence se posait en circulation simple: les valeurs devant se réaliser dans la circulation, alors qu'elles on été produites dans une autre sphère. La circulation était réalisation et matérialisation de leurs temps de travail. Dans le cas du capital, ce qui faisait la difficulté, c'est qu'apparemment il ne s'agit pas d'expliquer une équivalence mais une inéquίvalence.

On est effectivement parti de la circulation et on a montré que celle-ci posait la réalisation de quelche chose qui avait été produit dans une autre sphère, celle de la production. Mais d'autre part, « sous l'enveloppe dès choses », nous avons trouvé le «rapport entre les hommes ». C'est le même résultat que celui auquel parvient le Premier Livre.

Dans les Grundrisse, la démarche est la même, expliquer le mouvement réel: la naissance du capital à partir de la circulation elle-même. Car le capital apparaίt dès le début comme un quantum de valeur toujours en mouvement. K. Marx n'a pas voulu abstraire les différents stades du mouvement pour les analyser parément, mais ίl a voulu indiquer ce dernier dans sa totalité avec les contradictions qui lui sont inhérentes, parce que c'est ainsi, qu'historiquement, il s'est affirmé. Dans le Capital il a, pour simplifier l'exposé et rendre accessible la compréhension du phénomène, posé d'entrée la contradiction du capital, l'a isolé du mouvement pour la disséquer. Dans les Grundrίsse, nous retrouvons le contenu de la Version Primitive, mais moins centré sur le phénomène de l'autonomisation. Nous ferons, ulrieurement, d'autres emprunts à cet ouvrage, car il est l'expression même de la pensée de K. Marx. Ιl intègre - même sous forme non développée, non explicitée - toutes les données du mouvement historique qu’il voulait retraduire dans toute sa complexité.

Enfin, le « produit du procès de production capitaliste n'est pas la valeur mais la plus value ». (VIème Chapitre) D'où toute la différence entre la circulation en période de circulation simple des marchandises et en période capitaliste. Cette dèrnière semble être déterminée par un échange entre quantités qui ne sont pas équivalentes. Cela explique une nouvelle distinction, faite cette fois au sein du travail vivant: le temps de travail nécessaire et le temps du surtravail. Au cours du procès de travail, le prolétaire restaure la valeur avancée correspondant à son salaire; mais il crée de plus une valeur supplémentaire pendant une fraction déterminée de sa journée de travail, le surtravail correspondant à la plus value.

C'est d'autre part sous forme développée une réponse aux deux objections faites par les adversaires de la loi de la valeur et indiquée par K. K. Marx dans la Contribution:

1) «Le travail lui même a une valeur d'échange et des travaux différents ont une valeur d'échange différente. C'est un cercle vicieux de faire d'une valeur d'échange la mesure de la valeur d'échange, puisque la valeur d'échange, qui sert à mesurer, a besoin elle-même à son tour d'une mesure. Cette objection se fond dans le probléme suivant: le temps de travail comme mesure immanente de la valeur d'échange étant donné, développer sur cette base le salaire du travailleur. La réponse est donnée par la théorie du travail salarié ».

2) «Si la valeur d'échange d'un produit est égale au temps de travail qu'il contient, la valeur d'échange d'une journée de travail est égale au produit d'une journée de travail. Ou encore, ίl faut que le salaire soit égal au produit du travail. Or c'est le contraire qui se produit. Ergo (donc) cette objection se fond dans le probléme suivant: comment la production, sur la base de la valeur d'échange déterminée par le seul temps de travail, conduit-elle à ce résultat que la valeur d'échange du travail est inférieure à la valeur d'échange de son produit? Nous résoudrons ce probléme en étudiant le capital» (p. 38). C'est ce que nous avons vu effectivement avec l'étude du procès de production immédiat, en particulier avec celle du procès de valorisation.

Les différentes parties de l'œuvre de K. K. Marx se répondent et se complètent en une vaste uni harmonieuse, où ne se trouve aucune faille, aucune contradiction. De telle sorte que la méthode favorite de nos adversaires qui consiste à vouloir opposer certains fragments de l'œuvre à d'autres afin d'en faire surgir une contradiction qui pourrait jeter le discrédit sur l'ensemble de celle-ci, débouche dans la manifestation de leur impuissance à comprendre le formidable système où tout n'est que concordance entre les divers éléments.

Nous retrouvons ce même accord, cette même harmonie entre les Manuscrits de l844 et le VIème Chapitre. Dans ce dernier, il scrute de façon décisive les rapports sociaux en société capitaliste et, il aboutit à la conclusion suivante: « Pas plus que l'argent, le capital n'est un objet. Dans le capital comme dans l'argent, les rapports sociaux déterminés de la production des hommes se manifestent comme des rapports d'objets vis-à-vis des hommes; autrement dit des rapports sociaux déterminés se présentent comme des propriétés naturelles sociales des objets ».

Tout le mouvement social-économique montre que ce n'est pas l'homme qui domine, mais l'objet: « Ce n'est pas l'ouvrier qui achète les moyens de subsistance et de production, mais les moyens de production qui achètent l'ouvrier afin de l'incorporer aux moyens de production ». (VIéme Chapitre, p. l65) L'homme est une machine, c'est la réification dont parlait K. Marx dans les Manuscrits de l844 (et qu'il reprendra dans le Livre III du Capital).

 « La production ne produit pas l'homme seulement en tant que marchandise, la marchandise-homme, l'homme dans la détermination de la marchandise, elle le produit, conformément à cette détermination, comme un être déshumanisé aussi bien intellectuellement que physiquement: immoralité, dégénérescence, abrutissement des ouvriers et des capitalistes. Son produit est la marchandise douée de conscience de soi et d'activipropre... la marchandise-homme...» (p. 72). Seulement nous l'avons dit, dans ces Manuscrits, la méthode est encore subjective: « De même que du concept de travail aliéné (dépouillé - entäιιssert), extranéisé (entfremdeten), nous avons tiré par une analyse le concept de propriété privée, de même à l'aide de ces deux facteurs, on peut développer toutes les catégories de l'économie politique et, dans chaque catégorie, comme par exemple le trafic, la concurrence, le capital, l'argent, nous ne trouverons qu'une expression déterminée et développée de ces dernières bases ». (p 68).

Ιl analyse trop les superstructures, les formes de propriété en liaison seulement au travail aliéné; c'est ainsi qu'il définit le capital: « La propriété des produits du travail d'autrui "ou" du travail amassé ». Cette définition juste est trop statique et ne permet pas par-là même de saisir jusqu la racine l'aliénation de l'homme. La définition du VIème Chapitre (à la suite de la Version Primitive): le capital est la valeur se valorisant, la valeur en procès, éclaire, projette une vive lumière sur tout le développement du procès social de la production. Ιl y a bien appropriation du travail vivant, de sur-travail - par l'intermédiaire de l'appropriation du produit de ce travail vivant - mais ceci a pour but la valorisation de la valeur avancée. Cela se traduit en définitive par la réduction de « la plus grande partie de l'humanité au travail abstrait ». (Manuscrits de l844, p l2); ce qui est la conquence de l'autonomisation de la valeur.

Mais il ne s’agit pas seulement de montrer comment le VIème Chapitre explique mieux certaines données, il faut montrer aussi comment tout en étant une synthèse, il  articule l’œuvre entière[11].

 

 

 

 



[1] Cf. en allemand Kleine ôkonomischen Schriften et, en italien, Scritti inediti di economia ροlitica. Ed Rίuniti, Roma, 1963.
 

 

[2] L'ouvrier n'a pas seulement à lutter pour ses moyens de subsistances physiques, il doit aussi lutter pour gagner du travail, c'est-à-dire pour 1a possibilité, pour les moyens de réaliser son activité. » (Manuscrits de 1844. Ed. Soc. ρ. 7)

 

[3] Passage central sur lequel nous reviendrons car i1 pose que c'est le mouvement économique qui νa donner un contenu au mouvement social, lui donner sa matérialité pour finalement le supplanter et devenir lui-même le mouvement social.

 

[4]"Si pour apparaître les unes aux autres comme valeurs d'échange, les marchandises acquièrent ainsi un double mode d'existence, 1a marchandise exclue, en tant ququivalent général, acquiert, elle, une double valeur d'usage. Outre sa valeur d'usage particulière, comme marchandise particulière, elle acquiert une valeur d'usage générale. » (Contribution, ρ. 25).

 

[5] « La première détermination du capital, est donc que 1a valeur d'échange qui est issue de 1a circulation et la présuppose, se conserve en elle et par elle. » (Fondements, t. Ι, . 206).

 

[6] La notion de consommation productive est essentielle (centrale) car elle permet de saisir la différence entre les modes de production antérieurs et le capitalisme, ainsi que la caractéristique de celui-ci: la surproduction.

« La conversion de capital argent en capital productif est l'achat des marchandises pour produire les marchandises (*). C'est seulement quand la consommation devient aussi consommation productive qu'elle tombe dans le cycle du capital lui-même; la condition requise est que la marchandise consommée serve à faire de la plus value, et c'est là quelque chose de bien différent de 1a production, et même de la production marchande, qui a pour but l'existence de producteurs; le remplacement d'une marchandise par une autre, lorsqu'il obéit ainsi à la production de plus-value, est tout autre chose que l'échange pur et simple de produits, dont l'argent est seulement le moyen. C'est pourtant la confusion que commettent les économistes pour montrer qu'aucune superproduction n'est possible. » Le Capital Livre II, tome 4, ρ. 70).

 

(*) M. Rubel indique qu'ici F. Engels a sauté 1a portion de phrase suivante: «C'est-à-dire production capitaliste de marchandises » (note de Mai 1972):

 

[7] VIème Chapitre inédit du « Capital  (nous noterons ultérieurement VIème Chapitre, seulement) ρ. 133 de l'édition Union générale d'éditions 10/18, 1971. Nous avons revu la plupart des citations à partir du texte allemand paru aux éditions Neue Kritik, Frankfurt, dans 1a collection Archiv Sozialistischer Literatur, 17/1969: Karl Μaτx : Resultate des unmittelbaren produktions prozesses.

 

 

[8] « Le capital n'est pas un simple rapport, mais un procès » Fondements de la critique de l'économie politique (traduction des Grundrisse) tome 1, ρ. 205 (ultérieurement nous indiquerons simplement  Fondements ou Grundrisse).

 

Dans le Livre IV,  K. Marx indique ce que ceci peut avoir de réel et de paradoxal: « Cette autonomisation ressort encore plus dans le capital que l'on peut appeler valeur en procès, donc argent en procès - étant donné que 1a valeur ne peut exister de façon autonome que dans l'argent - qui parcourt une série de procès dans lesquels il se conserve, dont il sort, auxquels il retourne en ayant atteint un volume plus grand. Que le paradoxe de 1a réalité s'exprime dans des paradoxes du discours qui contredisent le bon sens - ce que les économistes vulgaires pensent et croient dire - se comprend de soi-même » (Ed. Costes, t.6, p. 210).

(Quand nous rédigeames ce texte nous n'avions pas, auparavant, pris 1a précaution de relire en allemand les œuvres de Marx, d'où notre affirmation erronée que c'est seulement dans les Grundrisse οu dans le VIème Chapitre que l'on trouve 1a définition du capital comme valeur en procès. Or, dans le Livre Ι, dans le chapitre: « La transformation de l'argent en capital », on trouve 1a phrase suivante : « La valeur devient valeur en procès, argent en procès et, en tant que tel, capital(Werke, t. 23, p. 170). La connaissance des œuvres dans leur langue originale aboutit à modifier le jugement qu’on a  porté sur celles-ci dans le présent travail, mais cela n'altère en rien toute 1a démonstration au sujet de l'importance de 1a définition du capital en tant que valeur en procès. - note de Mai 1972).

 

[9] Dans le Capital, en allemand, section 3, on trouve le chapitre 5, intitulé: « Le procès de travail et le procès de valorisation » (Werke, τ. 23, ρ. 192 sqq.). Note de Mai 1972.

 

[10] Cet aspect du procès de valorisation implique, déjà, 1a rationalisation de 1a production. Il ne faut pas qu'il y ait gaspillage des moyens de production.(Cf. Le Capital, L. ΙΙΙ, t. 6, p. 96 : «  Economie dans l'emploi du capital constant »). (Le formulaire fut rédigé par A. Bordiga et fut publié en français in Programme Communiste n° 10, 1960 - note de Mai 1972).

 

 

[11] Nous avons poursuivi notre investigation au sujet de la différence entre capital et valeur, en tenant compte, en particulier, de ce que la première eu différentes formes et du fait que le premier n’en a qu’une. Ainsi en 2001, dans une ébauche d’étude du proccès de connaissance j’écrivis ceci : « Cette étude est comme une articulation entre l’investigation initiale  au sujet de la représentation liée à l’étude du capital (le capital n’est plus que représentation confirmé par la citation de K. Marx, extraite des Théories sur la plusvaleur) et l’investigation au sujet du procès de connaissance tel qu’il est modifié par le surgissement de la valeur, liée à l’étude de Emergence de Homo Gemeinwesen. Au fur et à mesure de la rédaction de ce texte s’imposa la nécessité de comprendre comment se présente d’abord le procès de connaissance avant le surgissement de la valeur, sinon on ne fait que présenter le procès tel qu’il est constitué par la valeur. Mais il y a une autre difficulté, l’émergence ultérieure du capital a en quelque sorte réorienté la valeur. Il faut en tenir compte. Là nous sommes en présence d’une question délicate: la différence essentielle entre valeur et capital. On ne peut répondre à cette question qu’en appréhendant le comportement de l’espèce lors du surgissement de la valeur, c’est-à-dire qu’est-ce qu’elle essaie de résoudre, de représenter, à un certain moment de la séparation d’avec le reste de la nature ? De même il faut essayer de percevoir qu’est-ce que l’espèce, en Occident, résout en produisant le capital. Il n’est plus simplement une question d’enregistrer un mode d’être, un positionnement dans un monde se situant hors nature, il s’agit de produire hors nature, de sortir des fixations imposées par la propriété foncière ainsi que par la valeur. Celle-ci semblait pouvoir s’échapper dans l’extériorité par l’usure, la spéculation, mais elle le faisait comme à la périphérie d’un monde qui restait rigide et non déterminé par elle. Avec le capital, il y a formation d’un monde qui n’a plus de limites, plus de rigidité, et qui est en procès. C’est comme si l’espèce retrouvait un devenir avec fluidité, dont elle s’était privé en se coupant de la nature, en s’excluant en quelque sorte d’un devenir afin de se protéger. »

À l’heure actuelle où se réalisent la mort du capital et une dissolution autonomisation de l’ensemble qui formait le monde déterminé par lui, cette investigation continue à s’imposer.

(note de 2009)