LES GANTS SALES DU CAPITALISME









     La campagne de presse que mène le parti communiste français depuis un mois contre l'installation des bases allemandes présente des aspects intéressants. D'une part, les déclarations antimilitaristes et appel au désarmement, d'autre part le rappel du patriotisme de la résistance. Voici donc les deux motifs pour lesquels le P.C.F. appelle « tous les patriotes » à lutter.



     Rappellerons-nous à tous ces adorateurs stupides de Lénine combien de fois celui-ci a ridiculisé le mot d'ordre de désarmement ? Combien de fois il a dit que ce qu'il fallait au socialisme, c'était l'armement du prolétariat1 ? Voilà qui situe la théorie dans la réalité et fait foin de cette coexistence paisible entre les peuples, et, dans les peuples entre les classes.



       À quel moment le peuple français fut-il armé ? Entre 1940 et 1945. Que lui proposa le P.C.F. ? De faire la Révolution et d'abattre en France la source même de toute guerre : l’État bourgeois ?



     Non, le P.C.F. se paya le luxe d'être patriote sur le dos de milliers de militants ouvriers. Que fit-il ? Il s'allia avec ce que la bourgeoisie a de plus éminemment représentatif : son armée. Il y a de cela 18 ans, presque jour pour jour, accompagné d'un élu communiste et porteur de deux lettres, le colonel Rémy, auteur du Livre du courage et de la peur, se rendait à Londres auprès du général de Gaulle. L'un des deux documents, rédigé par le Comité Central Militaire National des F.T.P. (organisation militaire en majorité composé de communistes) contenait ceci :



     « Les F.T.P. se battent, font la guerre, et savent mourir avec un courage et un cœur de soldat. C'est pourquoi ils demandent au grand soldat que vous êtes de ne pas laisser ignorer qu'ils font aussi partie de la France combattante. Leur plus ardent désir de soldats obscurs, inconnus, confondus dans la foule ardente des patriotes, afin de mieux pouvoir frapper l'ennemi, est de voir se former à l'appel de la France Combattante et sur tout le territoire français, l'Armée Française de la Libération pour en finir avec l'ignoble occupant dont la France entière est souillée. Le seul droit auquel prétendent les Francs-Tireurs et Partisans de France sera d'y prendre leur place pour se battre avec honneur et discipline » (Tome II, page 17).



     Mais ces pseudo-marxistes justifieront leur passage au côté de la bourgeoisie en prétendant que la lutte du peuple contre les Allemands était valable pour deux raisons :


          1°) Lutte contre l'envahisseur de la patrie ;


           2°) Lutte pro-soviétique.



     Réponse : « Admettons que les Allemands parviennent à prendre jusqu'à Paris et Pétersbourg. Le caractère de la guerre sera-t-il modifié pour autant ? Pas le moins du monde. Le but des Allemands et, ce qui est encore plus important, la politique réalisable en cas de victoire des Allemands – ce sera la mainmise sur les colonies, l'annexion de régions peuplées de nations étrangères, la Pologne, par exemple, etc... mais nullement l'instauration d'un joug national étranger sur les Français ou sur les Russes. L'essence réelle de cette guerre n'est pas due au fait qu'une des parties met fin à l'oppression nationale et que l'autre la défend. La guerre oppose deux groupes d'oppresseurs, deux brigands qui se disputent sur la façon de partager le butin ». Et nous pourrions ajouter : « La bourgeoisie de toutes les grandes puissances impériales : Angleterre, France, Allemagne, Italie, Japon, États-Unis, est devenue tellement réactionnaire, est tellement animée du désir de dominer le monde que toute guerre de la part de la bourgeoisie de ces pays ne peut être que réactionnaire2. Le prolétariat ne doit pas seulement être opposé à toute guerre de ce genre, il doit encore souhaiter la défaite de « son » gouvernement dans ces guerres et la mettre à profit pour déclencher une insurrection révolutionnaire si l'insurrection en vue d'empêcher la guerre n'a pas réussi ».



     Cette réponse est de Lénine. Tome 23 de ses œuvres, page 34 et 93. Éditions en langue étrangère. Moscou 1959.



     Pourtant après la première guerre mondiale, nous objectera-t-on, les conditions avaient changé ; un État prolétarien était apparu. C'est bien vrai, mais cela ne fait que renforcer la cinglante riposte de Lénine : le conflit entre l'Allemagne hitlérienne et les démocraties occidentales répondant exactement à sa description des guerres impérialistes et l'organisation de Moscou, si elle n'avait cessé, depuis des années déjà, d'être une force révolutionnaire dans les deux camps. Bien au contraire, elle a montré, d'abord en désorientant la classe ouvrière des pays belligérants par l'imprévu du pacte germano-soviétique de 1939, ensuite en la liant à son nouvel allié l'impérialisme franco-anglo-saxon, qu'elle avait perdu ses dernières caractéristiques prolétariennes et révolutionnaires.



      La « Continuité française »3 dont se vante la clique de Thorez, c'est en réalité sa discontinuité de parti ex-révolutionnaire. L'organisation patronnée par Moscou a donné d'innombrables cadavres à la restauration de la puissance nationale du capitalisme français. Elle a brisé toute velléité d'autonomie ouvrière dans la sordide besogne des « efforts productifs » de la reconstruction d'après-guerre. Et maintenant cette putain du capitalisme reproche à son maquereau de faire fi des souffrances endurées par le peuple lors de la Résistance. A-t-elle donc oublié que le capitalisme lui, est internationaliste ? Qu'il ne lui a rien « coûté » de faire la guerre ? Qu'il n'a jamais payé la note et qu'il peut donc se réconcilier avec son ennemi d'hier si cela doit lui rapporter quelques années supplémentaires de « prospérité » ?



     Fernand Chatel, reporter de l'Humanité, se voit interdire l'entrée dans les bases françaises de Mourmelon que les Allemands occupent. Et le P.C.F. s'offusque ? Et le P.C.F. ne comprend pas ?



     Lorsqu'on utilise des gants pour une très sale besogne, après en avoir fini, on retire les gants et on les jette. La sale besogne c'est la dernière guerre ; les gants ? C'est le P.C.F. De Gaulle, c'est-à-dire le capitalisme français, n'a plus, momentanément du moins, besoin de gants. Il les jette. Cet instrument corrompu dont le capitalisme ne veut plus, vient encore auprès des ouvriers réclamer, en prébendes gouvernementales, le prix de ses « bons offices ».



     Que la classe ouvrière rejette donc cet instrument corrompu qui ne peut plus lui servir à aucune besogne, propre ou sale. En attendant, si la venue en France d'Allemands, même casqués, même bottés, même prêts à tuer, doit ouvrir les yeux à quelques prolétaires, leur dévoilant l'ignoble farce patriotique qui a détruit toute une génération politique, ce n'est certes pas nous qui le regretterons.


    Nous ne craignons pas de nous réjouir au spectacle du P.C.F. contraint de lutter pour son existence, demandant à de Gaulle de ne pas détruire sa raison d'être, l'être de son coexistentialisme. Nous avons coexisté depuis toujours, disent nos « pôvres » Staliniens, avec vous bourgeois et démocrates de la grandeur française. Pour cela nous avons mobilisé les masses prolétariennes pour le charnier impérialiste. Ne défigurez pas notre action, ne montrez pas la vanité de nos justifications, ne faites pas éclater au monde toutes la supercherie de nos argumentations sur les « lendemains qui chantent ». Pour que la France soit éternelle il ne faut pas que notre trahison ait été vaine4.



     Les bourgeois se moquent bien de ces lamentations. Tout comme le capitalisme – par son développement même – produit ses propres fossoyeurs, il engendre la mort bouffonne des opportunistes qu'il s'était attachés – à un moment donné – pour défendre son existence et dont, ensuite, il n'a plus besoin.



     Nous citerons In memoriam à ces continuateurs de la grandeur française, bafoués par leurs propres idoles, ces paroles de feu écrites par Lénine en 1916, à propos du désarmement :



     « La militarisation envahit actuellement toute la vie sociale. L'impérialisme est une lutte acharnée des grandes puissances pour le partage et le repartage du monde ; il doit donc étendre inévitablement la militarisation à tous les pays, y compris les pays neutres et les petites nations. Comment réagiront les femmes des prolétaires ; se borneront-elles à maudire toutes les guerres et tout ce qui est militaire, à réclamer le désarmement ? Jamais les femmes d'une classe opprimée, vraiment révolutionnaire, ne s'accommoderont d'un rôle aussi honteux. Elles diront à leur fils :


      « Bientôt tu seras grand. On te donnera un fusil. Prends-le et apprends comme il faut le métier des armes. C'est une science indispensable aux prolétaires, non pour tirer sur ses frères, les ouvriers des autres pays, comme c'est le cas dans la guerre actuelle et comme te le conseillent les traîtres au socialisme, mais pour lutter contre la bourgeoisie de ton propre pays, pour mettre fin à l'exploitation, à la misère et aux guerres autrement que par de pieux souhaits, mais en triomphe de la bourgeoisie et en la désarmant. »



     « Si l'on se refuse à faire cette propagande, et précisément cette propagande-là, en liaison avec la guerre actuelle, mieux vaut s'abstenir complètement de grandes phases sur la social-démocratie révolutionnaire internationale, sur la révolution socialiste, sur la guerre contre la guerre » (t. 23, p. 109, Éditions en langues étrangères, Moscou, 1959).




1Lénine, Œuvres, tome 23, « A propos du mot d'ordre de désarmement », p. 105. Cette question est traitée en

détail dans l'article: « Désarmement de l'impérialisme ou désarmement du prolétariat » dans ce même numéro de

Programme Communiste.


2Les passages soulignés le sont par Lénine.


3« Nous représentons la continuité française. Nous n'avons rien à faire oublier de notre passé » (Thorez, cité

dans France Nouvelle, du 2.11.60).


4 « Au contraire, les communistes ont impulsé et nourri le patriotisme populaire en continuant sur tous les fronts

leur lutte contre  les  monopoles  captitalistes, contre le fascisme, contre l'Allemagne hitlériienne et ses complices. 

La résistance en 1940, n'est que la continuation de la même politique communiste, dans des conditions nouvelles »

(France Nouvelle, 2.11.60).