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GLOSES CRITIQUES MARGINALES À UN ARTIC
LE
:
LE R01
DE PRUSSE ET LA RÉFORME SOCIALE. PAR UN PRUSSIEN.
Le numéro 60 du
Vorwärts
contient un article intitulé
:
Le roi de
Prusse et la réforme sociale
, signé
:
Un Prussien.
Tout d'abord le prétendu prussien se réfère au contenu de l’ordre du
Cabinet du roi de Prusse concernant l'insurrection ouvrière de Silésie et à
l'opinion, sur cet ordre, du journal français
La Réforme.
La Réforme
considère la "
terreur"
et le
sentiment religieux"
du
roi
comme l'origine de
l'ordre du Cabinet. Elle découvre même dans ce document le
pressentiment
de grandes réformes qui annoncent la société bourgeoise. Le
"prussien " fait comme suit la leçon à
La Réforme
.
"Le roi et la société allemande ne sont pas encore arrivés au
pressentiment de la réforme sociale
; même le soulèvements de Silésie et de
Bohème n'ont pas fait naître chez eux ce sentiment. Il est impossible de faire
comprendre â un pays
non politique
comme l'Allemagne que la détresse
partielle
des régions manufacturières est une question d'ordre général, bien
plus encore un préjudice causé à tout le monde civilisé. Pour les allemands
,
cet événement a le même caractère qu'une inondation ou une famine
locales.
Voilà pour
quoi
le roi la traite comme un manque d'administration ou de
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bienfaisance. Pour cette raison
,
et parce qu'il n'a fallu que peu de troupes pour
venir à bout des faibles tisserands, la démolition de fabriques et des machines
n'inspire pas la moindre terreur au roi et aux autorités. Bien plus, ce n'est pas
le
sentiment religieux
qui a dicté l'ordre de Cabinet
; cet ordre de Cabinet,
c'est l'expression la plus insipide de la science politique chrétienne
et
d'une
doctrine qui ne laisse subsister aucune difficulté devant son unique remède,
les bonnes dispositions des cœurs chrétiens. La pauvreté et le crime sont
deux grands maux; qui peut les guérir? L'État et les autorités? Non, mais
l'union de tous les cœurs chrétiens."
Une des raisons pour lesquelles le prétendu prussien nie la "
terreur
"
du roi, c'est
qu'il n'a fallu
que
peu de troupes pour venir à bout des faibles
tisserands.
Ainsi donc dans un pays où des banquets avec toasts libéraux et
champagne libéral - qu'on se rappelle la fête Dusseldorf - provoquent: un
ordre du Cabinet du roi, dans un pays où l'on n'eut besoin d'
aucun
soldat pour
étouffer dans
toute
la bourgeoisie libérale le désir de liberté de la presse et de
la constitution; dans un pays où l'obéissance passive est â l'ordre du jour
1
,
dans un tel pays l'emploi contraint de la force armée contre de faibles
tisserands
-
,
ne
serait
pas un évènement,
ni surtout un évènement
terrifiant
? Et
les faibles tisserands sortirent vainqueurs de la première rencontre. Ils furent
ultérieurement réprimés grâce à un accroissement du nombre des troupes. Le
soulèvement d'une masse d'ouvriers est-il moins dangereux, parce qu'on n'a
pas besoin d'une armée pour l'étouffer? Que notre malin prussien compare la
révolte des tisserands de Silésie avec les soulèvements des ouvriers anglais,
et les tisserands de Silésie lui paraîtront de
forts
tisserands,
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Nous expliquerons, â l'aide du rapport
général
de la
politique
aux
maux sociaux,
pourquoi le soulèvement des tisserands ne pouvait pas inspirer
de
"terreur
" au roi. Il nous suffira,
poux le moment, de dire ceci
: le
soulèvement n'était pas dirigé directement contre le roi de Prusse, mais
contre la bourgeoisie. En tant qu'aristocrate et monarque absolu, le roi de
Prusse peut ne pas aimer la bourgeoisie, il peut encore moins s'effrayer quand
la tension et la difficulté des rapports entre prolétariat et bourgeoisie
accroissent la servilité et l’impuissance de cette dernière. En outre, le
catholique orthodoxe est plus hostile au protestant orthodoxe qu'à l'athée, de
même que le légitimiste est plus hostile au libéral qu'au communiste. Non pas
que l'athée et le communiste soient plus proches du catholique et du
légitimiste
,
mais au contraire parce qu'ils leur sont plus étrangers que le
protestant et le libéral, parce qu'ils se meuvent
en dehors
de leur sphère. Le
roi de Prusse, en tant que politicien, a son contraire immédiat, dans la
politique, dans le libéralisme. Pour le roi
,
la contradiction du prolétariat
existe aussi peu que le roi existe pour le prolétariat. I1 faudrait que le
prolétariat eût atteint déjà une puissance décisive pour étouffer les
antipathies, les oppositions politiques, pour s'attirer toute l'hostilité de la
politique. Enfin, il est évident que le roi, dont le caractère avide de choses
intéressantes
et
importantes
est universellement connu, devait être surpris et
enchanté â la fois de trouver sur son propre terrain ce
paupérisme
"
intéressant
" et "
de grand avenir
",
et d'avoir ainsi une nouvelle occasion de
se mettre en vedette. Quelle ne dut pas être sa béatitude, à la nouvelle qu'il
possédait,
désormais, son
propre paupérism
e royal prussien.
Notre "
Prussien
" est encore: plus malheureux quand il
nie
que le
"sentiment religieux " soit la source de l'ordre de Cabinet royal.
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Pourquoi le sentiment religieux n'est-il pas la source de cet ordre de
Cabinet? Parce que cet ordre" est l'expression la
plus insipide
de l'art
politique chrétien", l'expression "la
plus insipide
" de la doctrine " qui ne
laisse subsister aucune difficulté devant son unique remède, les bonnes
dispositions des cœurs chrétiens
"
Le
sentiment religieux
n'est-il pas la source de l'art politique
chrétien
? Une doctrine qui possède son remède universel dans les bonnes
dispositions des
cœurs chrétiens
n'est-elle pas fondée sur le sentiment
religieux ? L'expression
très insipide
du sentiment religieux cesse-t-elle
d'être une expression du sentiment religieux? Bien plus ! Je prétends que c'est
un sentiment religieux très infatué de lui-même
,
très
enivré,
qui cherche la
"
guérison de grands maux
",
guérison dont il dénie la possibilité "
à l’État et
aux autorités,
dans
"l'union des coeurs chrétiens
".
C est un sentiment
religieux très
enivré
qui, d’après l’aveu
-
du Prussien, voit tout le mal dans le
manque de sens chrétien et renvoie les autorités au seul moyen qu’il y ait de
fortifier ce sens religieux
: à "
l'exhortation".
Le
sentiment chrétien
,
voilà
,
d'après le Prussien, le but de l'ordre de Cabinet. Le sentiment religieux quand
il est ivre et non quand il est sobre se considère comme le seul bien, Partout
où il voit du mal, il l'attribue à sa propre
absence
:
en effet
,
puisqu'il est le
seul bien, il peut seul produire le bien. L'ordre de Cabinet dicté par le
sentiment religieux dicte donc, par voie de conséquence, le sentiment
religieux. Un politicien de sentiment religieux
sobre
, ne chercherait pas dans
sa "perplexité ''son
aide'' dans "l'exhortation du pieux prédicateur au
sentiment chrétien"
.
Comment le prétendu Prussien de la "
Ré
forme"
démontre-t-il donc
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que l’ordre de Cabinet n'est pas une émanation du sentiment religieux? En
nous
le
représentant partout comme une émanation du sentiment religieux!
Peut-on espérer d'une tête si
illogique
la compréhension des mouvements
sociaux? Ecoutons ses
bavardages
au sujet du rapport de la société
allemande
au mouvement ouvrier et la réforme sociale en général.
Distinguons
, ce que le Prussien néglige, les différentes catégories
qui ont été groupées sous l'expression "
société allemande
''. Gouvernement,
Bourgeoisie, presse, enfin les ouvriers eux-mêmes. Voilà les masses
différentes
dont il s'agit ici. Le Prussien fait un tout de ces masses et, de son
point de vue élevé, les condamne en masse. D'après lui, la
société
allemande
"n’est pas encore arrivée au
pressentiment
de sa réforme".
Pourquoi cet instinct lui manque-t-il
?
"Il est impossible de faire comprendre à un pays
non politique
comme l'Allemagne", répond le Prussien "que la détresse
partielle
des
régions manufacturières est une
question d'ordre gén
é
ral
,
bien plus encore,
un préjudice causé à tout le monde civilisé, Pour les allemands, cet
évènement a le même caractère qu'une inondation ou une famine
locale
s.
Voilà pourquoi le roi la traite
comme un manque d'
administration
ou de
bienfaisance.''
Cette conception
à l'envers
de la détresse ouvrière, notre Prussien
l'explique donc par cette
particularité
que l'Allemagne est un pays
non
politique.
On nous concédera que l'Angleterre est un pays politique. On
reconnaîtra encore ceci
: l’Angleterre est le
pays du paupérisme,
de
terme est
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même d'origine anglaise.
-
L'examen de l’Angleterre sera donc le moyen le
plus sûr pour connaître le rapport d'un pays
politique
au
paupérisme.
En
Angleterre, la détresse ouvrière n'est point
partielle
, mais
universelle
;
elle ne
se
limite pas aux régions industrielles, mais s'étend aux régions agricoles. Les
mouvements, n'y sont pas à leur naissance. Ils reviennent périodiquement
depuis prés d'un siècle.
Comment la bourgeoisie
anglaise,
le
gouvernement et la presse qui lui
sont liés conçoivent-ils le
paupérisme
?
Dans la mesuré où la bourgeoisie anglaise admet que le paupérisme
est une
faute de la politique,
le
Whig
considère le
Tory
le
Tory
le
Whig,
comme la cause
du
paupérisme. D’après Le Whig, la source principale du
paupérisme,
c’est
la grande propriété foncière et la législation
protectionniste inter
disant l'importation de céréales. D'après le Tory, tout
le mal réside dans le libéralisme, la concurrence, le système
manufacturier poussé trop loin. Aucun des partis n'en trouve la raison
dans la politique en général, mais plutôt, uniquement, dans la politique du
parti adverse. Et aucun des deux partis ne songe â une réforme de la
société.
L'expression la plus nette de la compréhension anglaise du
paupérisme - nous parlons toujours de la compréhension de la bourgeoisie
anglaise et du gouvernement - c'est l
'économie nationale anglaise,
c'est-
à-dire le reflet scientifique de la situation économique anglaise.
Un des meilleurs et des plus fameux économistes anglais qui
connaît la situation actuelle et doit posséder une vison globale du
mouvement de la société bourgeoise, Mac Culloch, élève du cynique
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Ricardo, vient encore d'oser, dans un cours public et au milieu des
applaudissements, appliquer â l’économie nationale ce que
Bacon
dit de
la philosophie.
"L'homme qui, avec une sagesse véritable et inlassable, suspend
son jugement, avance par paliers, surmonte l'un après l'autre les obstacles
qui, semblables â des montagnes, arrêtent la marche de l'étude, finira par
atteindre, avec le temps, le sommet de la science où l'on jouit du calme et
de l'air pur, où la nature s'offre aux yeux dans toute la beauté, et d'où, par
un sentier commode et facile, on peut descendre aux derniers détails de la
pratique."
Le bon
air pur
, 1'atmosphère empestée des logements anglais dans
les caves
! La
grande beauté de la nature
, les haillons étranges des
pauvres anglais et la chair ratatinée et flétrie des femmes usées par le
travail et la misère, les enfants couchés sur le fumier
; les avortons que
produit l'excès de travail dans le mécanisme uniforme des fabriques ?
Détails ultimes
, adorables
de la praxis
: la prostitution, assassinat, le
gibet.
Même ceux des bourgeois anglais qui se sont pénétrés du danger
du paupérisme conçoivent celui-ci, comme aussi les moyens d'y remédier,
d'une façon non seulement
particulière
, mais, disons-le sans détour,
puérile
et
stupide.
C'est ainsi par exemple que dans sa brochure
: Recent measures
for the promotion of education in England , le docteur
Kay
ramène tout â
l’éducation négligée
. 0n deviné pour quelle raison
! Par manque
d'éducation notamment l'ouvrier ne comprend pas "
les lois naturelles du
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commerce
" qui le réduisent
nécessairement
au paupérisme. C’est pour
cela qu'il se révolté
2
. Cela "pourrait
gêner la prospérité
des manufactures
anglaises et du commerce anglais, ébranler la confiance mutuelle, des
gens d'affaires
diminuer
la
stabilité
des institutions politiques et
sociales."
Telle est la grande irréflexion de la -.bourgeoisie anglaise et sa
presse, au sujet du paupérisme de cette épidémie nationale de
l'Angleterre.
Supposons donc que les reproches adressés par notre "Prussien" à
la société
allemande
soient fondés. La raison- réside-t-elle dans l’état
non politique
de l’Allemagne ? Mais si la bourgeoisie de Allemagne
non
politique
ne parvient pas à la compréhension de la signification générale
d’une détresse
partielle
, la bourgeoisie de l'Angleterre
politique
sait, en
revanche, méconnaître la signification générale d'une détresse universelle
qui a manifesté son importance universelle par son retour périodique dans
le temps, son extension dans l'espace et par l'échec de toutes les
tentatives en vue de la supprimer.
Le "Prussien" impute encore à l'état
non politique
de l'Allemagne
le fait que le
ro
i de Prusse trouve la cause du paupérisme dans un
manque d'administration et de bienfaisance
et recherche donc dans les
mesures d'administration et de bienfaisance
les remèdes au paupérisme.
Cette façon de voir est-elle particulière au roi de Prusse? Jetons un
rapide coup d'œil sur l'Angleterre, le seul pays où l'on puisse parler d'une
grande action
politique
contre le paupérisme.
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La législation d'assistance publique telle que nous la voyons dans
l’Angleterre actuelle date de la loi du 43° acte du règne d'Elisabeth
3
En
quoi consistent les moyens de cette 'législation? Dans l'obligation
imposée aux paroisses de secourir leurs ouvriers indigents, dans la taxe
des pauvres, dans la bienfaisance légale'. Cette législation - la
bienfaisance par voie administrative - a duré deux siècles. Après de
longues et douloureuses expériences, quel point de vue voyons-nous le
Parlement défendre dans son bill d'amendement de 1834 ?
Le Parlement commence par déclarer que l'accroissement énorme
du paupérisme est dû à un "
manque d'administration
"
On réforme donc l'administration de la taxe des pauvres qui
comprenait jusqu'alors des fonctionnaires des paroisses respectives. On
constitue des
unions
d'environ vingt paroisses soumises, à une seule
administration. Un bureau de fonctionnaires - Board of Guardians -
désignés par les contribuables, se réunit, un jour déterminé, au siège de
l'union et décide de l'attribution des secours, Ces bureaux sont dirigés et
surveillés par des délégués du gouvernement, la commission centrale de
Sommerset-House, le
ministère du paupérisme
, comme l'appelle un
français
4
Le capital que cette administration contrôle est presque aussi
considérable, que le budget de la guerre en France. Le nombre des
administrations locales qu'elle occupe est de 500, et chacune de ces
administrations locales compte un minimum de douze employés.
Le Parlement anglais ne se borna pas à une réforme purement
formelle
de l'administration.
C'est dans la
loi sur les pauvres
elle-même qu'il découvrit la
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source principale de l'état
aigu
du paupérisme anglais. Le remède légal
contre le mal social, c'est-à-dire la bienfaisance, favorise le mal social
5
.
Quant au paupérisme
en général
c'est, d'après la théorie de Malthus, une
loi éternelle de la nature
:
"Comme la population tend incessamment à dépasser la limite des
moyens de subsistance, la bienfaisance est une pure folie, un
encouragement officiel â la misère. Tout ce que l'État peut donc faire,
c'est d'abandonner la misère â son sort et de faciliter tout au plus la mort
des miséreux,"
Le Parlement anglais compléta cette théorie philanthropique par
l'idée que le paupérisme est
la misère dont la faute incombe aux ouvriers
eux-mêmes,
qu'on n'a donc pas à le prévenir comme un malheur, mais
qu'il faut au contraire le châtier comme un crime.
Ce fut là l'origine des Workhouses, des maisons de travail, dont
l'organisation
effraie
1es miséreux et les empêche d'y trouver un refuge
contre la mort par la famine. Dans ces maisons de travail, la bienfaisance
est ingénieusement combinée â la
vengeance
que la bourgeoisie tient â
tirer des miséreux qui font appel à sa charité.
L'Angleterre a donc essayé d'abord d'anéantir le paupérisme par la
bienfaisance
et les
mesures administratives
. Elle s'aperçut ensuite que le
progrès incessant du paupérisme était, non la conséquence nécessaire de
l'
industrie
moderne, mais celle de la taxe des pauvres. Elle conçut la
misère universelle uniquement comme une
particularité
de la législation
anglaise. Ce que l'on attribuait précédemment à un
manque de
bienfaisance
fut attribué maintenant à. un
excès de bienfaisance
. Enfin on
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considéra la misère comme une faute des miséreux et on la punit comme
telle.
L'importance générale que l'Angleterre
politique
a retiré du
paupérisme se limite â ceci
: le paupérisme, au cours de son
développement et en dépit des mesures administratives, s'est érigé en
institution nationale
, il est devenu, par là, l'objet d'une administration
ramifiée et toujours plus étendue; une administration dont la tâche
n'
est
plus
de le juguler, mais de le
discipliner
, de l'éterniser. Cette
administration a renoncé â tarir la source du paupérisme par des moyens
positifs;
elle se contente , chaque- fois qu'elle rejaillit à la surface du
pays officiel, de lui creuser, avec une douceur policière, un nouveau lit de
mort. L’État anglais, bien loin d'aller au delà des mesures
d'administration et de bienfaisance, est resté bien en deçà. Il n'administre
plus que
le
paupérisme qui, rempli de désespoir, se laisse prendre et
incarcérer.
Jusqu'ici le "Prussien" ne nous a donc révélé rien de
particulier
dans la conduite du roi de Prusse. Mais
pourquoi
, s'écrie le grand homme
avec une
rare naïveté
, " pourquoi le
roi de
Prusse
n'ordonne-t-il pas
immédiatement l'éducation de tous les enfants abandonnés
?" Pourquoi
s'adresse-t-il d'abord aux autorités et attend-il leurs plans et leurs
propositions?
Le très astucieux Prussien n’aura, plus d'inquiétude dés qu'il
saura qu'ici, comme dans toutes ses autres actions, le roi de Prusse n'a pas
montré d'originalité, et qu'il a même suivi la seule voie que
puisse
prendre un chef d'État.
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Napoléon
voulut d'un seul coup, anéantir la mendicité. Il chargea
les autorités de préparer des plans en vue
d'éliminer la mendicité
dans
toute la France. Le projet se fit attendre. Napoléon perdit patience. Il
écrivit à son ministre de l'intérieur, Cretet, et lui intima l'ordre de
supprimer la mendicité dans le délai d'un mois. Il lui disait
:
"On ne doit pas passer sur cette terre sans laisser de traces qui
recommandent notre mémoire â la postérité. Ne me réclamez plus trois ou
quatre mois pour recevoir des renseignements. Vous avez de jeunes
auditeurs, des préfets avisés, des ingénieurs des ponts et chaussées bien
instruits, mettez les tous en mouvement, ne vous endormez pas dans le
travail bureaucratique habituel."
En quelques mois tout fut fait. Le 5 juillet 1808 parut la loi qui
interdit la mendicité. Comment? Par la création de dépôts de mendicité,
qui se transformèrent tellement vite en établissements pénitenciers que
l'indigent ne put bientôt plus y entrer qu'après avoir passé devant le
tribunal correctionnel
. Et pourtant M. Noailles du Gard, membre du
corps législatif, s'écria alors
:
"Reconnaissance éternelle au héros qui assure un refuge à
l'indigence et des aliments à la pauvreté. L'enfance ne sera plus
abandonnée, les familles pauvres ne seront plus privées de ressources, ni
les ouvriers d'encouragement et d'occupation. Nos pas ne seront plus
arrêtés par l'image dégoûtante des infirmités et de la honteuse misère.
6
"
Ce dernier passage cynique est la seule vérité de ce panégyrique
Puisque Napoléon a fait appel au discernement de ses auditeurs,
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de ses préfets, de ses ingénieurs, pourquoi le roi de Prusse ne ferait-il pas,
lui aussi, appel à ses autorités?
Pourquoi Napoléon n'ordonna-t-il pas
immédiatement
la
suppression de la mendicité ? La question du Prussien est du même style
:
" Pourquoi le roi de Prusse n'ordonne-t-il pas immédiatement l'éducation
de tous les enfants abandonnés ?" Sait-i1, le Prussien, ce que le roi
devrait ordonner? Rien d'autre que
l'anéantissement du prolétariat.
Pour
éduquer des enfants,-il faut les, nourrir et les dispenser de travailler pour
gagner leur vie. Nourrir et éduquer les enfants abandonnés, c'est-à-dire
nourrir et élever tout le prolétariat
qui va croissant
, reviendrait à
anéantir
le prolétariat et le paupérisme
7
.
La
Convention
eut, un moment, le courage d'
ordonner
la
suppression du paupérisme, pas
immédiatement
, comme le "Prussien"
l'exige de son roi, mais seulement après avoir chargé le comité du salut
public d'élaborer les plans et les propositions nécessaires et après que
celui-ci eut utilisé les enquêtes détaillées de l'Assemblée Constituante sur
la situation de la misère en France et proposé, par l'intermédiaire de
Barrére la fondation du Livre de la bienfaisance nationale , etc., Quelle
fut la conséquence de l'ordre de la Convention? Il y eut une ordonnance
de plus au monde et,
un
an après, les femmes affamées assiégèrent la
Convention.
Or, la Convention fut le
maximum de l'énergie politique
, de la
puissance politique
et de
l'intelligence politique
.
Aucun
gouvernement au monde n'a pris,
immédiatement
et sans
accord avec les autorités, de
mesures
contre le paupérisme. Le parlement
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anglais envoya même des commissaires dans tous les pays d'Europe, afin
de prendre connaissance des différents remèdes administratifs contre le
paupérisme. Mais pour autant que les Etats se sont occupés du
paupérisme, ils en sont restés aux mesures d'
administration
et de
bienfaisance
ou en deçà.
L'
État
peut-il se comporter autrement ?
L'
État
ne découvrira jamais dans "l'
État
et
l'organisation de la
société",
comme le "Prussien" le demande à son roi, la raison des
maux
sociaux.
Là où il y a des partis politiques,
chacun
trouve la raison de
chaque mal dans le fait que son adversaire occupe sa place à la
direction
de l'État.
Même les politiciens radicaux et révolutionnarismes trouvent la
raison non pas dans l'
essence
(Wesen) de l'État, mais dans une
forme
déterminée d'
État
qu'ils veulent remplacer par une
autre
.
Du point de vue
politique
l'
État
, et
l'organisation de la société
ne
sont pas
deux
choses différentes. L'État c'est l'organisation de la société.
Dans la mesure où l'État reconnaît des anomalies
sociales
, il en cherche
la raison soit dans les
lois naturelles
qu'aucune puissance humaine ne
peut plier, soit dans la
vie privée
qui est indépendante de l'État, soit dans
une
inadaptation de l'administration
qui dépend de l'État. C'est ainsi que
l'Angleterre trouve que la misère a sa raison d'être dans la
loi naturelle
,
d'après laquelle la population doit toujours dépasser les moyens de
subsistance. D'un autre côté, elle explique le
paupérisme
par la
mauvaise
volonté des pauvres
, comme le roi de Prusse l'explique par le sentiment
non chrétien des riches
et, selon la Convention, par
la mentalité contre-
révolutionnaire des propriétaires
. C'est pourquoi l'Angleterre punit les
pauvres, le roi de Prusse exhorte les riches, et la Convention guillotine
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les propriétaires.
Enfin,
tous
les États cherchent dans les
déficiences accidentelles
ou
intentionnelles
de l'
administration
la cause, et par suite, dans des
mesures
administratives, le remède à tous leurs maux. Pourquoi?
Précisément parce que l'
administration
est l'activité
organisatrice
de
l'État.
L'État ne peut supprimer la
contradiction
entre la décision et la
bonne volonté de l'administration d'une part, ses moyens et ses
possibilités d'autre part, sans se supprimer lui-même parce qu'il
repose
sur cette contradiction. Il repose sur la contradiction entre la
vie publique
et la
vie privée
, sur la contradiction entre
l'intérêt généra
l et les
intérêts
particuliers
. L'
administration
doit donc se borner à une activité
formelle
et
négative
car là où la vie civile et son travail commencent, le pouvoir de
l'administration cesse. Bien plus, vis-à-vis des conséquences qui
découlent de la nature non sociale de cette vie civile, de cette propriété
privée, de ce commerce, de cette industrie, de ce pillage réciproque des
différentes sphères civiles, vis-à-vis de ces conséquences, c'est
l'
impuissance
qui est la
loi naturelle
de l'administration. Car cette
division poussée à l'extrême, cette bassesse,
cet esclavage de la société
civile
constituent le fondement sur lequel repose l'État
moderne
, de même
que la
société civile de l'esclavage
constituait le fondement naturel sur
lequel reposait l'Etat
antique
. L'existence de, l'État et l'existence de
l'esclavage sont inséparables. L'État antique et l'esclavage antique
franches oppositions
classiques
- n'étaient pas plus intimement
soudés
l'un à l'autre que ne le sont 1'État moderne et le monde moderne du trafic
sordide - hypocrites oppositions
chrétiennes
. Si l'État moderne
supprimer l'
impuissance
de son administration, il faudrait qu'il supprime
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la
vie privée
actuelle. S'il voulait supprimer la vie privée, il faudrait qu'il
se supprime lui-même car il n'existe
qu'
en opposition avec elle. Aucun
être vivant
ne croît que les défauts de son être immédiat (Dasein) soient
fondés dans le,
principe
de sa vie, dans l'essence de sa vie mais plutôt
dans des circonstances
en dehors
de sa vie. Le
suicide
est contre nature.
L'État ne peut donc pas croire à l'impuissance
intrinsèque
, de son
administration, c'est-à-dire à son impuissance. Il ne peut y découvrir
que
des imperfections formelles et accidentelles et s'efforcer d'y remédier. Si
ces modifications sont infructueuses, c'est que le mal social est une
imperfection naturelle, indépendante de l'homme, une
loi de dieu
ou bien,
la volonté des particuliers est trop corrompue pour correspondre aux
bonnes intentions de l'administration. Et quels particuliers pervertis? Ils
murmurent contre le gouvernement dés que celui-ci limite la liberté; ils
demandent au gouvernement d'empêcher les conséquences nécessaires de
cette liberté!
Plus l'État est puissant, plus un pays est donc
politique
, et moins il
est disposé à chercher dans le
principe de l'Etat
, donc dans
l'organisation
actuelle de la société
dont il est lui-même l'expression active, consciente
et officielle, la raison des maux
sociaux
et d'en comprendre le principe
général
. L'intelligence
politique
est précisément intelligence
politique,
parce qu'elle pense
dans
les limités de la politique. Plus elle est aiguë,
plus elle est vivante et plus elle est
incapable
de comprendre les maux
sociaux. La période
classique
de l'intelligence politique c'est la
révolution française
, Bien loin d’apercevoir dans le principe de l'État la
source des imperfections sociales, les héros de la révolution française
découvrent au contraire dans les tares sociales la source d'embarras
politiques. C'est ainsi que
Robespierre
: ne voit dans la grande pauvreté et
la grande richesse qu'un obstacle à l'avènement de la
démocratie pure
. Il
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désire donc établir une frugalité générale
à la spartiate
. Le principe de la
politique est la
volonté
. Plus l'intelligence
politique
est unilatérale, c'est-
à-dire donc, parfaite, plus elle croit à la toute puissance de la volonté,
plus elle se montre aveugle à l'égard des
limites naturelles
et spirituelles
de la volonté, plus elle est donc
incapable
de découvrir la source des
maux sociaux. Un plus long développement n'est pas nécessaire pour
détruire le ridicule espoir du "Prussien" pour qui "
l'intelligence politique
"
"est appelée" à découvrir en Allemagne
la racine de la misère sociale
"
I1 était insensé d'exiger du roi de Prusse qu'il possède une
puissance comparable à celles de la Convention et de Napoléon réunies;
d'exiger de lui un mode de voir qui dépasse les limites de
toute
politique,
un mode de voir que l'astucieux "Prussien", comme son roi, est loin de
posséder Toute cette déclaration est d'autant plus stupide que le
"prussien" nous confesse ;
"Les bonnes paroles et les bons sentiments sont
bon marché
, mais
le discernement et les actes efficaces sont
chers
; dans ce cas, ils sont
plus que chers
, ils
sont encore à venir
."
Mais si elles sont encore à venir que l’on reconnaisse les efforts
de qui que ce soit en vue de les rendre possibles. D'ailleurs je laisse, à
cette occasion, le soin au lecteur de décider si le langage mercantile de
romanichel: "bon marché", "cher", "plus que cher","sont encore à venir"
peut être compté dans la catégorie des "bonnes paroles" et des "bons
sentiments "
Supposons donc que les remarques du "Prussien'' sur le
gouvernement allemand et la bourgeoisie allemande - cette dernière
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rentrant évidemment dans la~société allemande - soient absolument
fondées. Cette partie de la société est-elle plus désemparée en Allemagne
qu'en Angleterre et en France? Peut-on être plus désemparé que par
exemple en Angleterre, où l'on a érigé la
perplexité
à la hauteur d'un
système? Lorsque, de nos jours, des soulèvements ouvriers éclatent dans
toute l'Angleterre, la bourgeoisie anglaise et le gouvernement anglais ne
sont pas mieux avisés que dans le dernier tiers du XVIII° siècle. Leur
unique expédient, c'est la force matérielle; comme la force matérielle
diminue dans la même mesure que l'extension du prolétariat augmente
ainsi que son discernement, la perplexité anglaise augmente
nécessairement dans une proportion géométrique.
Enfin il est
inexact
, matériellement
inexact
de dire que la
bourgeoisie allemande méconnaît totalement la signification générale de
l'insurrection silésienne. En bien des villes les patrons essaient de
s'associer avec les ouvriers. Tous les journaux
libéraux
allemands,
organes de la bourgeoisie libérale, ne tarissent pas au sujet de
l'organisation du travail, la réforme de la société, la critique du monopole
et de la concurrence, etc… Tout cela, à la suite des mouvements ouvriers.
Les journaux de Trèves, Aix-la-Chapelle, Co1ogne, Wesel, Mannheim,
Breslau, Berlin même, publient fréquemment des articles sociaux fort
raisonnables où 1e "Prussien" peut toujours apprendre quelque chose.
Bien plus, dans lès lettres d'Allemagne, on s'étonne constamment que la
bourgeoisie n'oppose pas plus de résistance aux tendances et aux idées
sociales
.
Si le "Prussien" était plus au courant du mouvement social, il
aurait posé la question à l'envers. Pourquoi la bourgeoisie allemande
donne-t-elle à la misère partielle cette importance relativement
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universelle? D'où viennent l'
animosité
et le
cynisme
de la bourgeoisie
politique
, le
manque de résistance
et les
sympathies
de la bourgeoisie
impolitique
à l'égard du prolétariat?
Vorwärts
, n° 63, 7 Août 1844
* * *
Venons-en maintenant aux oracles du "Prussien" à propos des
ouvriers allemands.
"
Les allemands pauvres
"raille-t-il "
ne sont pas -plus astucieux
que les pauvres allemands
; c'est-à-dire: ils ne voient nulle part au delà de
leur foyer, de leur fabrique, de leur district; toute la question a été
jusqu'à maintenant délaissée par l'âme politique
qui pénètre tout."
Pour pouvoir établir une comparaison entre la situation des
ouvriers allemands et la situation des ouvriers français et anglaise le
"Prussien" aurait dû comparer
la première forme
, le
début
du mouvement
ouvrier en France et en Angleterre, avec le mouvement
débutant
actuellement en Allemagn
e. Il néglige cela. Son raisonnement aboutit
donc à une trivialité dans le genre de celle-ci l'industrie allemande est
encore moins développée que l'industrie anglaise, ou, un mouvement à
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ses débuts ne ressemble pas à un mouvement en cours de développement.
Il voulait parler de la
particularité
du mouvement ouvrier allemand. Il ne
souffle pas mot de tout cela.
Que le "Prussien" se place au point de vue exact. I1 trouvera que
pas un seul
des soulèvements ouvriers en France ou en Angleterre n'a
présenté de caractère aussi
théorique
, aussi
conscient
, que la révolte des
tisserands silésiens.
Qu'on se rappelle d'abord la
chanson des tisserands
, ce hardi
cri
de guerre, où il n'est même pas fait mention du foyer, de la fabrique, du
district, mais où le prolétariat clame immédiatement, de façon brutale,
frappante, violente et tranchante, son opposition à la société de la
propriété privée. Le soulèvement silésien
commence
précisément par là
où
finissent
les insurrections ouvrières anglaises et françaises, avec la
conscience de ce qu'est l'essence du prolétariat L'action même a ce
caractère de
supériorité
,On ne détruisit pas seulement les machines, ces
rivales de l'ouvrier, mais encore les
livres de commerce
, les titres de
propriété, et tandis que tous, les autres mouvements ne sont d'abord
dirigés que contre le
patron industriel
, l'ennemi visible, ce mouvement se
tourne également contre le banquier, l'ennemi caché Enfin, pas un
soulèvement ouvrier anglais n'a été conduit avec autant de vaillance, de
supériorité et d'endurance.
En ce qui concerne la culture des ouvriers allemands en général,
ou leur aptitude à se cultiver, je rappellerai les écrits géniaux de
Weitling
qui, au point de vue théorique, dépassent même, souvent, les ouvrages de
Proudhon, tout en y étant bien inférieurs quant à l'exécution. Où donc la
bourgeoisie - y compris ses philosophes et ses savants - peut-elle nous
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présenter- au sujet de l'émancipation bourgeoise, de l'émancipation
politique
-un ouvrage comparable à celui de Weitling -
Garanties de
l'harmonie et de la liberté
. Que l'on compare la médiocrité mesquine et
prosaïque de la littérature politique allemande avec ce début littéraire
énorme et brillant des ouvriers allemands. Que l'on compare cette
gigantesque
chaussure d’enfant
du prolétariat avec la chaussure politique
éculée et naniforme de la bourgeoisie allemande, et l'on devra prédire une
forme athlétique
à
la cendrillon allemande
. On doit admettre que le
prolétariat allemand est le
théoricien
du prolétariat européen, tout comme
prolétariat anglais en est
l'économiste
et le prolétariat français le
politicien
. On doit admettre que l'Allemagne, possède autant une vocation
classique
pour la révolution
sociale
qu'une incapacité pour une révolution
politique
. Car de même que l'impuissance de la bourgeoisie allemande est
l'impuissance
politique
de l'Allemagne, les aptitudes du prolétariat
allemand - sans parler même de la théorie allemande - sont les aptitudes
sociales de l'Allemagne. La disproportion entre le développement
politique et le développement philosophique de l'Allemagne n'a rien
d'anormal
, c'est une disproportion nécessaire. Ce n'est que dans le
socialisme qu'un peuple philosophique peut trouver sa pratique adéquate;
ce n'est donc que dans le
prolétaria
t qu'il peut trouver l'élément actif de
sa libération.
Mais, en ce moment, je n'ai pas le temps, ni l'envie d'expliquer au
"Prussien" le rapport de la "société allemande" au bouleversement social
et de dégager de ce rapport; d'une part la faible réaction de la bourgeoisie
allemande contre le socialisme, et d'autre part les aptitudes excellentes du
prolétariat allemand pour 1e socialisme. Les premiers éléments pour
l'intelligence de ce phénomène, il les trouvera dans mon introduction à la
critique de la philosophie du droit de Hegel. (Annales franco-
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allemandes.)
La malice des
allemands pau
vres est donc en raison
inverse
de la
malice des
pauvres allemands
. Mais les gens pour qui tout objet doit
servir à des exercices de style publics aboutissent, par cette activité
formelle
â renverser le contenu, tandis que le contenu renversé impose, à
nouveau, à la forme le cachet de la vulgarité. Aussi la tentative du
"Prussien", dans une occasion comme celle des événements de Silésie, de
procéder sous forme d'antithèses, l'a conduit à la plus grande antithèse
avec la vérité. L'unique tâche d'un homme qui pense et aime la vérité - en
face de la première explosion du soulèvement ouvrier de Silésie -
consistait non à jouer au
maître d'école
mais plutôt à étudier son
caractère
particulier
. Pour cela il faut avant tout une certaine perspicacité
scientifique et un certain amour de l'homme tandis que pour l'autre
opération une phraséologie toute prête, immergée dans un creux égoïsme
suffit amplement.
Pourquoi le "Prussien" juge-t-i1 avec tant de mépris les ouvriers
allemands ? Parce qu'à son avis "toute la question" - c'est à dire la
question de la misère des ouvriers allemands - est "
jusqu'à maintenant
"
délaissée " par l'âme
politique
qui tout". Il exposé ensuite son amour
platonique pour l'âme
politique
:
"Seront étouffées dans le sang et dans l'incompréhension toutes les
émeutes qui éclateront dans l'
isolement
funeste
des hommes de la
Gemeinwesen (
communauté) et dans l'isolement de
leurs idées vis-à-vis
des principes sociaux
. Mais, dès que la misère engendrera l'intelligence et
que l'intelligence
politique
des allemands aura découvert les racines de la
misère sociale, alors, en Allemagne aussi ces événements seront ressentis
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comme les symptômes d'un grand bouleversement."
Que notre "Prussien" nous permette d'abord une remarque sur
son
style.
Son antithèse est incomplète. Dans la première moitié il est dit
: la
misère
engendre l'
intelligence
et, dans la seconde
:
l'intelligence
politique
découvre les
racines de la misère sociale
. La
simple
intelligence
de la première moitié de l'antithèse devient, dans la seconde moitié,
l'intelligence
politique
, comme la simple
misère
de la première moitié de
l'antithèse devient, dans la seconde moitié, la misère
sociale
. Pourquoi
notre orfèvre en style a-t-il ordonné si inégalement les deux moitiés de
l'antithèse ? Je ne crois pas qu'il s'en soit rendu compte. Je vais
interpréter son
instinct
véritable. Si le "Prussien" avait écrit "La misère
sociale
engendre l'intelligence
politique
, et
l'intelligence politique
découvre la racine de la misère
sociale
", le
non sens
de cette antithèse
n'aurait pu échapper à aucun lecteur impartial. Chacun se serait demandé
d'abord pourquoi l'anonyme ne joint pas l'intelligence sociale â la misère;
sociale et l'intelligence politique à la misère politique, comme le réclame
la plus simple logique. Au fait, maintenant !
Il est tellement faux que la misère
sociale
engendre l'intelligence
politique, que c'est tout au contraire le
bien-être social
qui produit
l’intelligence
politique
. L'intelligence politique est une spiritualiste, elle
est donnée à celui qui possède déjà, à celui qui est douillettement installé.
Que notre "Prussien" écoute à ce sujet un économiste français, Michel
Chevalier: "En 1789, au moment où la bourgeoisie se souleva, il ne lui
manquait, pour être libre, que de participer au gouvernement du pays.
Pour elle, la libération consistait à retirer des mains des privilégiés qui
possédaient le monopole de ces fonctions la direction des affaires
publiques, les hautes fonctions civiles, militaires et religieuses.
Riche
et
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éclairée
, capable de se suffire à elle-même et de se diriger toute seule,
elle voulait se soustraire au régime du bon plaisir."
Nous avons déjà démontré au "Prussien" à quel point l'intelligence
politique
est incapable de découvrir la source de la misère sociale.
Ajoutons encore un
mot
au sujet de sa manière de voir. Le
prolétariat
, du
moins au début du mouvement, gaspille d'autant plus ses forces dans des
émeutes inintelligentes,inutiles et étouffées dans le sang,que l'intelligence
politique
d'un peuple est plus développée, plus générale. Parce qu'il pense
dans la forme de la politique, il aperçoit la raison de tous les abus dans la
volonté
tous les moyens d'y remédier dans la
violence
et le renversement
d'une forme d'Etat déterminée. Exemple: les premières explosions du
prolétariat
français
. Les ouvriers de Lyon croyaient ne poursuivre que
des buts politiques, n'être que des soldats de-la république, alors qu'ils
étaient en réalité des soldats du socialisme. C'est ainsi que leur
intelligence politique leur masquait la racine de la misère sociale, faussait
chez eux la compréhension de leur véritable but et
mentait
à leur instinct
social.
Mais si le "Prussien" s'attend à ce que la misère engendre
l'intelligence pourquoi associe-t-il "
étouffements dans le sang "
et
"étouffements dans l'incompréhension"?
Si la misère en général est un
moyen, la misère
sanglante
est un moyen très aigu d'engendrer
l'intelligence. Le "Prussien" devait donc dire: l'étouffement dans le sang
étouffera l'inintelligence et procurera à l'intelligence un souffle
nécessaire.
Le "Prussien" prophétise l'étouffement des émeutes qui éclatent
dans l
'"isolement funeste des hommes de la Gemeinwesen
(communauté)
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et dans la
séparation de leurs idées vis-à-vis des principes sociaux."
Nous avons montré que, dans l'explosion de l'émeute silésienne, il
n'y avait nullement séparation des idées et des principes sociaux. Nous
n'avons donc plus à nous occuper que de l’"
isolement funeste des hommes
de la Gemeinwesen
(commun
auté)".Par Gemeinwesen, il faut entendre
ici la Gemeinwesen politique,
l
'être de l'Etat
(Staatswesen).C'est le vieux
refrain de l'Allemagne
non-politique
.
Mais
toutes
les émeutes, sans exception, n'éclatent-elles pas dans
l
’isolement funeste des hommes de la Gemeinwese
n?
Toute
émeute ne
présuppose-t-elle pas nécessairement cet isolement. La Révolution de
1789 aurait-elle pu avoir lieu sans cet isolement funeste des bourgeois
français de la Gemeinwesen? Elle était précisément destinée à le
supprimer
8
.
Mais la
Gemeinwesen
dont le travailleur est
isolé
est une
Gemeinwesen d'une toute autre réalité, d'une toute autre ampleur que la
Gemeinwesen politique.
La Gemeinwesen dont le sépare son
propre
travail
, est la
vie même
, la vie physique et intellectuelle, les mœurs
humains, l'activité humaine, la jouissance humaine, l'être
humain
.
L'être
humain
est la
véritable Gemeinwesen
de l'homme. De même que
l'isolement funeste de cet être est infiniment plus universel, plus
insupportable, plus terrible, plus rempli de contradictions que le fait
d'être isolé de la Gemeinwesen politique
; de même la suppression de cet
isolement - et même une réaction partielle, un soulèvement contre cet
isolement - a une ampleur infinie comme l'homme est plus infini que le
citoyen
et la
vie humaine
que la
vie politique
. L'émeute
industrielle
si
partielle
soit-elle, renferme en elle une âme
universelle
. L'émeute
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politique
si universelle soit-elle, dissimule sous sa forme
colossale
un
esprit
étroit
.
Le "Prussien" termine dignement son article par cette phrase
:
"Une
révolution sociale sans âme politique
(c’est-à-dire sans
compréhension organisatrice opérant au point de vue de la totalité) est
impossible."
Nous l'avons vu: quand bien même elle ne se produirait que dans
un seul
district industriel, une révolution
sociale
se place au point de vue
de la
totalité
, parce qu'elle est une protestation de l'homme contre la vie
inhumaine, parce qu'elle part du
point de vue de chaque individu réel
,
parce que la
Gemeinwesen
dont il s'efforce de ne plus être isolé est la
véritable
Gemeinwesen de l'homme, l'être
humain
. Au contraire,
l'âme
politique
d'une révolution consiste dans la
tendance
des classes sans
influence politique de supprimer leur
isolemen
t vis-à-vis de
l'être de
l'Etat
et du
pouvoi
r. Leur point de vue est celui de l'État, d'une totalité
abstraite
qui n'existe
que
par la séparation de la vie réelle, qui serait
impensable
sans la contradiction
organisée
entre l'idée générale et
l'existence individuelle de l'homme. Conformément à sa nature
limitée
et
désunie
, une révolution à
âme politique
organise dans une sphère
dominante dans la société, aux dépens de la société
9
.
Nous allons dire au "Prussien" ce qu'est une "
révolution sociale
à
âme
politique
", nous lui révèlerons le secret de son incapacité à s'élever
avec ses
beaux discours
, au-dessus du point de vue politique borné.
Une révolution "
sociale
" à âme
politique
est: un non-sens
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complexe, si le "Prussien" comprend par révolution sociale
opposée
à une
révolution politique, et prête néanmoins à la révolution sociale une âme
politique au lieu d'une âme sociale
; ou bien une simple
paraphrase
de ce
qu'on appelait d'ordinaire une "révolution politique" ou une "
révolution
tout court
". Toute révolution dissout
l'ancienne société
: en ce sens elle
est
sociale
. Toute révolution renverse
l'ancien pouvoir
: en ce sens elle est
politique.
Que notre "Prussien" choisisse entre la
paraphrase
et le
non-sens
.
Mais, autant une
révolution sociale à âme politique
est paraphrastique ou
absurde, autant une
révolution politique à âme sociale
est raisonnable. La
révolution
en général, - le
renversement
du pouvoir existant et la
dissolution
des anciens rapports - est un acte politique. Mais, sans
révolution
, le socialisme ne peut se réaliser. I1 a besoin de cet acte
politique
, dans la mesure où il a besoin de
destruction
et de
dissolution.
Mais là
où commence son activité
organisatrice,
et où émergent son
but
propre
, son
âme
le socialisme rejette son enveloppe
politiqu
e.
Il nous a fallu, tout ce long, développement pour déchirer le tissu
d'erreurs dissimulées dans une seule colonne de journal. Les lecteurs ne
peuvent tous avoir la culture et le temps pour se rendre compte d'une telle
charlatanerie littéraire
. Le "Prussien" anonyme n'a-t-il donc pas
l'obligation, vis-à-vis de son public de lecteurs de commencer par
renoncer à toute élucubration littéraire dans le domaine politique et
social, comme aux déclamations sur la situation allemande,et de se mettre
plutôt â l' étude consciencieuse de son propre état?
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Vorwärts
!,
n°
64, 10 août 1844.
Paris, le 31 Juillet 1844.
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1
En français dans le texte.
2
On voit, là; s’affirmer la science en tant qu’opérateur de répression. Il faut donc éduquer
et instruire pour donner la conscience, qui se présente bien comme le compendium de tout ce qu’il
faut admettre pour être en adéquation avec la société en place, incarnation transitoire –parce que
sujette à modifications au cours de l’histoire - de la répression en devenir. [Note de mai 2010]
3
I1 est inutile, pour notre but, de remonter jusqu'au statut des ouvriers sous Edouard
III.
4
Eugène Buret (note des Werke, tome 1 p. 397).
5
C’est un thème fondamental et persistant encore et toujours. Tout ce qu’a exposé K.
Marx dans les quelques paragraphes précédents, de même que ce qui suit concernant les
Workhouses et la question du paupérisme en Angleterre, nous évoque l’ANPE (agence nationale
pour l’emploi) devenue Pôle Emploi, ainsi que l’État providence La dynamique d’assister afin
d’assurer la paix sociale, et les contradictions qu’elle recèle, se trouve exposée dans l’ouvrage de K.
Polanyi,
La grande transformation – Aux origines politiques et économiques de notre temps.
Ed.
Gallimard, 1983 (1944 pour l’édition originale), tout particulièrement dans:
7. Speenhamland,
1795
et
8.
Antécédents et conséquences.
La répression s’exprime de façon invariante, avec alternance de récompenses
(bienfaisance) et punitions (mesures coercitives vis-à-vis de ceux qui sont culpabilisés).
Dans
Pour la question juive
, K. Marx a affronté la question de la sûreté (que nous
retrouvons ici en rapport au soulèvement social) qui est en fait absolument nécessaire afin de
permettre l’assurance c’est-à-dire que tout le procès de vie du capital puisse se dérouler sans qu’il
soit pour une raison ou autre remis en cause. L’assurance est l’antidote contre le doute qui peut
surgir de la contestation mais aussi des spéculations multiples surgissant sur la base de
l’autonomisation de la forme capital en rapport à sa mort effective. [Note de mai 2010]
6
Dernière phrase en français dans le texte-
7
D’une certaine façon ceci s’est réalisé grâce à l’État providence, aux
assurances
sociales
qui s’imposèrent pour
assurer
la survie du système. Mais le rejouement inclus dans le mécanisme
infernal de la répression nécessitant la mis en dépendance, fait que c’est la plus grande majorité de
la population humaine qui, maintenant, se trouve plongée dans le paupérisme. L’
assurance
est
devenue un moyen pour maintenir la dépendance. [Note de mai 2010]
8
Nous avons plusieurs fois cité ce passage pour signifier l’importance de la
Gemeinwesen, même au sein des sociétés de classe, dans le conglomérat social actuel, et comme
témoignage d’une invariance au sein du devenir de l’espèce. Mais nous avons remis en question
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l’affirmation au sujet de l’être humain comme véritable Gemeinwesen de l’homme, car infestée
d’anthropocentrisme et exprimant la séparation d’avec la nature. Nous l’avons remplacée par l’être
vivant est la vraie Gemeinwesen de l’homme.[Note de mai 2010]
9
Mais toute organisation est une expression de la séparation, et opère aux dépens et
contre les autres, ceux qui sont hors d’elle. [Note de mai 2010]
À la fin de l’article K. Marx développe un discours polémique, comme il le fera souvent,
exprimant son rejouement de la répression qu’il subit. (Le "Prussien" «fait la leçon à la "Réforme"
»
(début de l’article), il fait la leçon au "Prussien"). [Note de Mai 2010]