CARACTÈRES DU MOUVEMENT OUVRIER FRANCAIS.


 


Introduction : le point d’arrivée.

 

 

Ιl y a deux mois se tenait le XVII° Congrès du P.C.F. Ιl était bien dans la ligne des précédents, en particulier du XVI° à, propos duquel nous avions consacré un article Les amis du peuple[1]. En effet, nous retrouvons dans ces deux congrès trois revendications fondamentales : 1° une démocratie rénovée avec un État républicain; 2° unification des forces démocratiques (unification d’autant plus nécessaire à l’heure actuelle que le pouvoir personnel est plus fort); 3° reconnaissance du rôle irremplaçable du P.C.F. dans la nation. Mais les insultes au prolétariat, la dérision de sa mission historique y ont été faite de façon plus précise. Deux exemples suffiront; tous deux tirés de ce que l’on peut appeler la question algérienne. Le premier a trait à l’action du P.C.F. en vue d’aider la révolution  algérienne. Waldeck Rochet raconte : « L’ampleur des efforts que nous avons déployés était d’autant plus nécessaire qu’il s’agissait de vaincre des préjugés nationalistes et chauvins solidement implantés depuis plus d’un siècle, par la bourgeoisie française dans les couches les plus larges du peuple français ». Or, chacun sait que pour les stalino-krouchtchéviens le prolétariat fait partie du peuple. Donc le prolétariat est chauvin et colonialiste. Première insulte. Mais, qui a diffusé dans les rangs du prolétariat l’amour de la patrie, la volonté de concilier l’internationalisme prolétarien avec la grandeur de la France, sinon Saint-Thorez? D’autre part W. Rochet continue en citant comme exemples de luttes pour aider la révolution algérienne « les grèves politiques de masse du 1er février 1960 et du 27 avril 1961 » qui furent en fait des grèves contre la droite, contre pour soutenir de Gaulle contre lequel il faudrait, aujourd’hui, lutter. Rochet se garde bien de parler du mouvement spontané des rappelés et des grèves de Saint-Nazaire de 1956. Il lui aurait fallu expliquer pourquoi ces mouvements ne purent avoir une quelconque efficacité ce qui l’aurait amené à expliquer, â grands renforts de citations de Lénine et d’alchimie dialectique que le P.C.F. avait été obligé de trahir ces mouvements et donc la révolution algérienne dans l’intérêt de la grandeur française. Ils ont détruit toute lutte autonome du prolétariat, puis ils viennent l’insulter.

 

Le second exemple a trait à la caractérisation donnée à la société algérienne actuelle. W. Rochet salue « les progrès réalisés par la jeune République Démocratique Populaire Algérienne et la volonté de son gouvernement de suivre le chemin du socialisme ». Ce qui veut dire tout simplement que l’acheminement au socialisme peut se faire sans l’action du Parti Communiste. Ici, l’insulte a une ampleur historique. Le prolétariat a toujours lutté pour se constituer en classe et donc en parti afin de pouvoir abattre l’État de classe de la bourgeoisie et instaurer sa dictature qui permettra le développement du socialisme. L’affirmation de W. Rochet revient à jeter par dessus bord tout le marxisme et dire en fait –  au prolétariat que tous ses efforts en vue de s’émanciper furent inutiles puisqu’il luttait pour quelque chose d’inessentiel.

 

Tout cela est élément permanent de l’activité du P.C.F. Seulement le XVII° Congrès se présente comme ayant des caractères bien propres qui lui donnent une grande importance dans la décomposition totale de ce Parti.

 

Ce fut, en fait, un congrès non pour les communistes mais pour les socialistes, une réunion où l’on venait proclamer que la seule façon d’exister pour le P.C.F. était de faire l’unité avec la S.F.I.O. Cela avait été préparé bien avant l’ouverture du congrès par une série d’articles intitulés Problèmes idéologiques et uni,  parus dans L’Humanité du mois de mars. Le premier de ceux-ci donnait largement le ton: «Le rétablissement de l’unité,   par la réunion des communistes et des socialistes dans un seul parti, est une aspiration profonde des travailleurs qui mesurent tout le profit que la bourgeoisie tire de la division». 

 

«La liquidation de la scission est un objectif constant des communistes. « Nous n’aurons de cesses que nous ayons assuré l’unité du prolétariat… Une classe ouvrière unie contre la bourgeoisie, un seul syndicat, un seul parti du prolétariat» (Thorez, discours du 02.12.1932) ».

 

 « En finir avec la scission qui existe depuis 1920 signifie tirer les leçons de l’expérience vécue par la classe ouvrière et le peuple de France » (L’Humanité du 17.03.1964).

 

Oui, le ton était donné et le slogan trouvé – il faut surmonter la scission de 1920. Thorez en donnait, ensuite, la justification historique: «Que de chemin parcouru depuis 1922; depuis ce congrès de Paris où jeune ouvrier, j’étais délégué par la Fédération du Pas-de-Calais. C’est alors que pour la première fois, sur la recommandation de nine, furent  posés devant notre parti les problèmes de l’unité de la classe ouvrière, du front unique avec le parti socialiste.»

 

«  Dès cette époque lointaine, nous avons lutté sans répit pour liquider la scission. Pour unir à nouveau tous les travailleurs dans un même front de combat. Nos efforts devaient aboutir en 1934, il y a juste trente ans, quand la France du travail se leνa contre le fascisme, au pacte d’uni daction entre le Parti Communiste et le Parti Socialiste. Bientôt devait suivre la formation du Front Populaire.... » !!

 

« Les communistes dénonçaient et combattaient ceux qui compromettaient le patrimoine national et poussaient le pays à la décadence. Ils rendaient au peuple la Marseillaise et le drapeau tricolore. »

 

Pour réaliser cette unité tant désirée il faut écarter tout ce qui risque de séparer. Ιl faut enlever tout préalable. Unissons-nous, nous trouverons un programme ensuite. Le P.C.F, fait de l’œil à toutes-les formations politiques de gauche, comme la pute sur le trottoir. Ιl reste dans l’immédiat pour n’effrayer personne; il ne courtise que l’actualité pour avoir succès du jour. La parabole du P.C.F. est presque achevée. C’est la pute et son grand sentiment, la grandeur nationale.

 

Pour s’unir, il faut éliminer, après le parti unique, la dictature du prolétariat. C’est ce que réclamait une cellule de Paris qui faisait remarquer que « dans l’esprit du public, cette expression » est «interprétée comme signifiant l’existence d’un seul parti»; que d’autre part: « Lorsque l’expression a été utilisée par Lénine il n’y avait pas eu l’expérience Hitler-Franco et l’expression de dictature dans la tête de tous les travailleurs est un peu liée à la dictature d’une minorité « . G. Marchais répond à ces « camarades trop pressés » « que notre Parti a rejeté l’idée que l’existence d’un parti unique était une condition obligatoire du passage au socialisme ».

 

« Mais nous sommes allés plus loin. En effet, nosus considérons qu’aux côtés d’un parti unifié de la classe ouvrière, aux services du socialisme et de l’intérêt national, d’autres partis pourront exister et collaborer à l’édification du socialisme, permettant ainsi de réaliser celui-ci dans les meilleures conditions, grâce à une large alliance entre la classe ouvrière, la paysannerie labnrieuse, les intellectuels et les classes moyennes ». Comme on le voit, cela aboutit à nier, en fait, la dictature du prolétariat. Ιl faut seulement garder encore le terme, il ne faut pas aller trop vite comme le dira J. Vermeersch. Pour ce qui est de la seconde raison ïnvoquée, G. Marchais se garde bien de faire remarquer que ce n’est pas Lénine qui  "a créé" le mot mais que Marx dès 1850 l’utilisait tout comme Flora Tristan dès 1840. Ce pauvre Marx n’avait pas connu la dictature. Ιl ne pouvait pas en trouver un exemple chez Napoléon 1er, Napoléon III, le roi de Prusse οu l’empereur d’Allemagne, tandis que Lénine ne savait pas que le pouvoir du tsar était un pouvoir dictatorial ! Vraiment les maîtres du marxisme étaient des innocents !

 

On ne peut donc pas enlever des statuts la dictature du prolétariat. Mais on peut l’escamoter. C’est ce qui ressort nettement à la lecture de la Résolution politique adoptée par le XVIII° Congrès comme du discours de W. Rochet. On connaît la solution : la coexistence pacifique doit remplacer le phénomène dictature.

 

Arrivés à ce point, ils retrouvent, pour appeler les socialistes à l’unité, le langage des minoritaires du congrès de Tours. C’est-à-dire de ceux qui étaient contre l’adhésion à la ΙΙΙ° Internationale. Quelques comparaisons entre les deux seront édifiantes.

 

Voici comment Léon Blum caractérisait le Parti Socialiste :

« Notre Parti était de recrutement aussi large que possible. Comme tel il était un parti de liberté de pensée, car les deux idées se tiennent et l’une dérive nécessairement de l’autre. Si vous voulez grouper dans le même parti tous les travailleur; tous les salariés, tous les exploités, vous ne pourrez les rassembler que sur des formules simples et générales. Vous leur direz : « Sont socialistes tous ceux qui veulent travailler à la substitution d’un régime économique à un autre, tous ceux qui croient, car c’est le fond du marxisme, qu’il y a liaison et connexion inéluctable entre le développement du capitalisme, d’une part, et du socialisme, d’autre part, Si vous êtes d’accord pour travailler à cette œuvre  votre acte de foi est consommé, vous êtes socialistes »[2].

 

Les communistes ont bien compris le conseil et déclarent dans les nouveaux statuts du P.C.F: « Entre ceux et celles qui acceptent les présents statuts, il est constitué une association se dénommant Parti Communiste Français ».

 

« Le Parti Communiste Français est le parti de la classe οuvrière de France. Ιl rassemble les ouvriers, les paysans, les intellectuels, tous ceux qui entendent agir pour le triomphe de la cause du socialisme, du communisme ».

 

« Le Parti communiste français a été fondé pour permettre à la classe  ouvrière de créer les conditions du bonheur et de la liberté pour tous, de la prospérité et de la sécurité de la France, de l’amitié et de la paix définitive entre les nations ». L’acte de foi peut, ici, être encore consommé. Le parti est ainsi un parti de masse, c’est ce dont parlait L.Blum lorsqu’il disait que la parti socialiste était un parti de recrutement. Le P.C.F. abolit en fait les limites. « Il est ouvert aux souffles de notre temps », comme le déclara Garaudy. C’est le parti du réalisme. Or, toujours selon Garaudy, celui-ci doit être sans rivages, donc, le parti n’en a pas !

 

En ce qui concerne la dictature du prolétariat L. Blum avait la même position que celle adoptée par le XVII° congrès, Ιl déclare en effet : « nous en sommes partisans. Là aussi nul désaccord de principe. Nous en sommes si bien partisans que la notion et la théorie de la dictature du prolétariat ont été inrées par nous dans un programme qui était un programme électoral ». Ici, L. Blum se montre encore plus fort puisqu’il est possible, selon lui, d’escamoter la réalité afférente à ce mot. « Je crois impossible, dit-il, d’abord, comme on l’a tant répété, de concevoir d’avance et avec précision, quelle forme revêtirait une telle dictature, car l’essence même d’une dictature est la suppression de toute fοrme préalable et de toute prescription constitutionnelle ». Et après avoir analysé différentes formes de dictature, il en arrive à condamner le terrorisme. Adieu la dictature du prolétariat puisque celle-ci n’est pas une idylle entre les classes mais abolition des classes et donc application du terrorisme.

 

Pour ce qui est du programme, la similitude est encore plus frappante Nous ne citerons qu’un point parce qu’il est- très cher à nos communistes actuels : la réunion d’une constituante ! La comparaison est toujours valable pour la défense nationale et le patriotisme. L. Blum affirmait ce que W.Rochet et compagnie proclament maintenant : « que, même en régime capitaliste, le devoir internatiοnal et le devoir national peuvent coexister dans une conscience socialiste. »

 

Ainsi, la phrase de Léon Blum : « Nous sommes convaincus, jusqu’au fond de nous-mêmes que, pendant que vous irez courir l’aventure, il faut que quelqu’un reste garder la vieille maison », prend maintenant une drôle de saveur prophétique. Nos communistes actuels retournent à la vieille maison. Voilà la signification de leur dernier congrès. La recherche de l’unité et de l’intégration communautraire fut la « passion » de Thorez. Le moment est arrivé où elle trouve sa réalisation. L’histroire dit-on a besoin de grands hommes. Quand elle n’en a pas, elle en invente. Cela veut dire qu’elle leur donne vie tout le temps qu’ils sont nécessaires. Elle la leur retire dès que leur rôle est terminé. Thorez était devenu un être inutile depuis que l’unité se réalisait dans les faits. Sa mission était terminée. Il devait disparaître… La vieille maison étant, à nouveau, habitée par tous, il n’y avait plus besoin de l’apôtre du grand retour.

 

La vieille maison c’était l’ancien parti socialiste avec ses traditions républicaines et démocratiques, et, Faure, Blum, Longuet, de rappeler - à Tours en 1920 - 1830, 1848, 1871… tout cela considéré sous l’angle uniquement démocratique. On veut disaient-ils, remplacer cela par une nouveauté : « nous sommes en présence de quelque chose de neuf » (Blum). Le bolchevisme est un phénomène particulier dû à l’état arriéré de la Russie. Il ne peut être valable pour un pays civilisé comme la France En conséquence, comment accepter le diktat de Moscou, les fameuses 21 conditions et, en particulier, la dernière : « Les adhérents du parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l’Internationale doivent être exclus du parti. Ιl en  est de méιne des délégués au congrès extraordinaire ».

 

Nos martyrs socialistes ne savaient pas que les 21 conditions n’étaient pas le diktat de Moscou mais qu’elles avaient été réclamées, aussi, par les délégués occidentaux comme Zinoviev, au congrès de Halle, le rappelait aux socialistes allemands. La 21° condition tant décriée avait été adoptée sur proposition d’un délégué italien, membre de la Fraction abstentionniste qui devait devenir la Gauche Communiste Italienne.

 

Les stalino-kroutchéviens désireux de s’installer pleinement en la vieille- maison proclament. « Le parti communiste français est l’héritier des traditions démocratiques du peuple français [et non du prolétariat, n.d.r.]. Ιl s’inspire de ses luttes pour l’indépendance  nationale, la liberté de l’homme et le progrès social, notamment des expériences des combattants de la Commune de Paris, premier État prolétarien du monde  du parti ouvrier français, du parti unifié de Guesde et de Jaurés, de l’ensemble du mouvement ouvrier et démocratique de notre pays».

 

Ils considèrent, comme les minoritaires de Tours, que la Révolution russe est un cas particulier, contingent. Ainsi le parti unique ou la dictature du prolétariat purent être nécessaires en Russie parce que c’était un pays arrièré, Ils rejettent en fait la Révolution russe et les 21 conditions, en escamotant la question: « Quant à la question : « Les conditions [les 21, n.d.r.] sont-elles toujours valables? » elle ne peut plus se poser puisque l’Internationale Communiste « n’existe plus depuis 1943 » (L’Humanité du 17.03. 1964).

 

Ιl ne peut plus y avoir d’obstacle à l’unité. Il ne peut plus y avoir de conditions, de parti unique, de dictature du prolétariat parce qutil n’y a plus de pays arrière comme la Russie et qu’il n’y a plus d’Internationale. Quant à la question: « Le P.C.F. doit-il toujours rester un parti communiste luttant pour la révolution communiste mondiale?» Elle ne se pose plus puisque l’Internationale Communiste n’existe plus depuis l943.

 

Le cycle est donc bouclé de la scission - si faible - de 1920 à la volonté d’unification de 1964. La seule question qui reste en suspens - c’est nous cette fois qui la posons - est celle-ci : est-ce que la véritable tradition du prolétariat était celle enclose dans la vieille maison, véritable asile de vieillards, ou bien était-elle en fait représentée dans le quelque chose de soi-disant nouveau qu’était le bolchevisme? Est-ce que les bolcheviks ne venaient pas en réalité rappeler au prolétariat français sa véritable lutte; l’inviter à quitter la maison des morts, remplie de souvenirs bourgeois ?

 

Pour répondre à cette question nous allons étudier les caractères originaux du mouvement ouvrier qui sont liés aux particularités de son origine (de son enfantement). C’est-à-dire qu’il faut expliquer le poids, l’influence de la Révolution Française sur ce mouvement. Dans les périodes ascentionnelles de luttes il a pu surmonter cela. Lorsqu’il dégénéra, que la lutte autonome fut abandonnée, le prolétariat s’immergea dans le peuple, et devint le continuateur de l793 comme le disaient les minoritaires de Tours en l920 et comme le proclament les communistes actuels.

 

 

Le Mouvement ouvrier français et la révolution de 1789

 

 

 

 

L. - La Révolution française dans le cycle de la Révolution bourgeoise.

 

 

 

« Le seul modèle de la révolution de 1789, du moins en Europe fut la révolution de 1648; le seul modèle de celle-ci, la révolte des Ρays Bas contre l’Espagne[3]. Toutes deux étaient, non seulement dans le temps, mais par leur contenu, en avance d’un siècle sur ces modèles.

 

 « Dans les deux révolutions, la classe qui se trouva à la pointe du mouvement fut la bourgeoisie. Le prolétariat et les fractions de la population n’appartenant pas à la bourgeoisie n’avaient pas encore d’inrêts distincts d’elle οu bien ne représentaient pas encore des classes ou couches bien développées. Là où ils entrèrent en opposition avec la bourgeoisie, comme par exemple de l789 à l794 en France, ils ne luttèrent que pour le triomphe de ses inrêts, même ce ne fut pas à la manière bourgeoise. Toute la terreur en France n’exprime rien d’autre que la manière pbéienne d’en finir avec les ennemis de la bourgeoisie, l’absolutisme, le féodalisme et les boutiquiers.

 

« Les révolutions de 1648 et de 1789 n’étaient pas des révolutions anglaise et française, mais des révolutions de style européen. Elles n’étaient pas la victoire d’une classe déterminée dc la Société sur l’ancien ordre politique pour la nouvelle société européenne. Elles marquaient le triomphe de la bourgeoisie, mais celui-ci représentait alors la victoire d’un nouvel ordre social. La victoire de la propriété bourgeoise sur la propriété féodale, de la nation sur le provincialisme, de la concurrence sur les corporations, du partage sur le droit d’aînesse, du propriétaire de la terre sur la domination des propriétaires sur la terre, des lumières sur la superstition, de la famille sur les titres de famille, de l’industrie sur la fainéantise héroïque, du droit bourgeois, sur les privilèges moyenâgeux. »

 

«  La révolution de 1648 fut la révolution du 17° contre le 16° siècle ; celle de 1789 la victoire du 18° siècle sur le 17°. Elles exprimaient plus encore les besoins du monde de que ceux des secteurs où elles s’étaient produites, l’Angleterre et la France ».

 

Cette longue citation de Κ. Marx extraite de Bilan de la révolution prussienne de 1848 donne trois caractères essentiels de la révolution française qui permettent de la situer dans le cycle historique de la révolution bourgeoise : 1° elle est l’expression des besoins de l’époque, 2° elle est plus universalisation des rapports sociaux que création de ceux-ci, 3° apparition du prolétariat.

 

 

Révolution française et capitalisme.

 

 

 

La révolution française est l’expression des besoins de l’époque, elle est le signe de la montée, à l’échelle mondiale, d’une forme sociale de production (le capitalisme) au sein d’une autre (le féodalisme). En effet, le mouvement d’instauration de rapports capitalistes qui commence au XIII° siècle (mouvement des Communes et révolte des Ciompi en Italie) présente une accélération au XVII° siècle avec les révοlutiοns anglaise et hollandaise. Cela aboutit à la destruction de l’antique communau agraire et de celle du mode de production féodal. Seulement, en France, ce mouvement est freiné et de ce fait la révolution française apparait comme étant une révolution en retard. Ceci explique la contradiction que présentait la France de la fin du XVIII° : présence d’un grand capitalisme agraire, qui fut théoripar les physiocrates, au milieu d’un féodalisme agonisant et de restes tenaces de l’antique communauté.

 

Ιl y avait pourtant eu une expropriation de la population campagnarde, une destruction des antiques liens de dépendance personnelle, lirant l’homme qui pouvait aller s’installer à la ville et devenir le futur prolétaire; destruction qui permettait parallèlement à un certain nombre de paysans d’accèder à la propriété. Ceci ne se développa avec une certaine ampleur qu’à partir du XVIII° siècle, et, en 1789 les paysans possédaient 30 à 40 % du sol. Mais il n’y eut pas de mouvement d’enclosures cοmme en Angleterre.

 

Au cours de la révolution, la révolte paysanne se manifesta de deux façons : contre les féodaux pour le capitalisme, pour la préservation des droits communaux contre féodaux et capitaliste. L’on aboutit à un équilibre entre les différentes formes économiques. « Ainsi la volutiοn française a réalisé un compromis. La transformation capitaliste de l’agriculture qui s’était amorcée sous l’Ancien Régime a vu disparaitre une partie des οbstacles qui encombraient sa voie, mais les usages collectifs non pas été supprimes brutalemen; on s’en est remis au temps et à l’ intérêt personnel pour persuader les paysans de les abandonner ; en fait, ils ont persisté à peu près tels quels jusqu’à une époque très proche de nous et ils n’ont pas disparu tout à fait, la loi de 1889 subordonne encore l’abolition de la vaine pâture à la volonté des paysans du village » (G. Lefebvre)

 

Ici se manifeste un premier trait essentiel de cette révolution : elle ne détruisit pas complètement les antiques rapports sociaux, le capitalisme buta contre la parcelle ; bien qu’elle fut une révolution radicale, violente parce que justement elle venait en retard. Cela devait marquer tout le développement ultérieur de la France. L’expropriation paysanne ne se fait réellement avec l’aide de l’État que depuis l’avènement de De Gaulle au pouvoir. Cette masse de petits paysans, « cette classe de barbares » (Marx) allait être un frein énorme au développement du mouvement ouvrier. Dans un premier temps pour les avoir ignorés et pas su les toucher (1848-1871) et dans un second temps pour avoir voulu se les concilier en faisant des concessions de principes (le mouvement socialiste à partir de 1890, puis les staliniens).

 

Ce trait se retrouve dans un pays qui connut une révolution encore plus puissante, plus radicale : la Russie. La formation du kolkhoze est la réalisation d’un compromis entre différentes formes sociales puisqu’on y a une parodie de forme communautaire, une propriété foncière conservée en fait et le salariat. C’était la forme idéale pour enchaîner la lutte de classe à la campagne et constituer ainsi le plus sûr rempart de la contre-révolution stalinienne.

 

La destruction de la commaunaturelle n’est pas l’apanage de la révolution française. Nous retrouvons cela dans tous les pays qui sont minés par l’introduction de rapports de production capitalistes. Marx l’a décrite pour l’Inde. « L’Angleterre a détruit les fondements du régime social en Inde, sans manifester jusqu’à présent la moindre velléité de construire quoi que soit. Cette perte de leur vieux monde qui n’a pas été suivie de l’acquisition d’un monde nouveau, confère à la mire actuelle des Hindous un caractère particulièrement désespéré, et sépare l’Hindoustan, gouverné par les anglaise de toutes ses traditions anciennes, de son histoire passée dans son ensemble ». (Marx, 10 juin 1853. New York Daily Tribune.) Rosa Luxembourg l’a décrite pour d’autres pays comme l’Egypte οu l’Algérie. Nous voyons le phénomène « en action » dans toute l’Afrique Noire.

 

Parallèlement, il y avait eu accumulation importante de capital dans les villes, surtout par l’intermédiaire du commerce. Cela permit, à la suite de découvertes scientifiques importées d’Angleterre, un grand  veloppement des manufactures qui absorba les hommes chassés de la terre: formation du prolétariat. Seulement, très souvent, le nombre de ces gens ëtait trop élevé par rapport au « emplois offerts » d’οù la pénurie de travail et corrélativement la lutte pour en obtenir. La bourgeoisie comprit le danger d’une telle situation. « Assurez du travail à tous les citoyens, accordez des secours aux vieillards et aux infirmes, et, pour couronner votre ouvrage, organisez promptement l’instruction publique ». (Hébert) C’est ainsi que pour la premre fois fut proclamé le droit à l’assistance [4]: « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors, d’état de travailler ».

 

L’apparition de "citoyens prolétaires, dont la seule prορriété est le travail" (Lepeletier de Saint-Fargeau) posait de graves problèmes. Comment assurer leur existence ? Le prolétariat naissant répondit à la question en proclamant le droit au travail. On voit poindre celui-ci tout, au cours de la Révolution de 1789, puis s’affirmer en une nouvelle révolution en 1848 ; là encore la révolution française se présente comme modèle de celles qui suivirent. Au cours de toutes les révolutions bourgeoises le prolétariat se manifesta et le fit toujours, dans υn premier temps en demandant le droit au travail. Les révoltes des prolétaires au Congo-Brazzaville comme celles des algériens à Oran en l963 en sont les exemples récents.

 

Cette double série de transformations, dans les villes et dans les campagnes aboutissait à la formation du marché national; phénomène que l’on retrouvera dans tous les pays subissant la même transformation sociale. nine décrivit cela pour la Russie dans Le développement du capitalisme en Russie. La formation du marché national est en même temps l’accession à une certaine indépendance économique. C’est dans la réalisation de celui-ci que résident les grandes difficultés des pays récemment parvenus à l’indépendance.

La formation du marché intérieur s’accompagne du remplacement de la circulation simple des marchandises M-A-M par celle de la circulation du capital A-M-A. C’est-à-dire qu’une forme sociale οù la νaleur d’usage était encore le but de la production était supplantée par une forme οù elle n’était plus que le prétexte peur produire de plus en plus de la valeur d’échange.[5]

 

Tous ces processus étaient déjà fortement développés en 1789, de telle sorte que l’antique communauté agraire et celle fondée sur la hiérarchie féodale étaient de plus en plus supplantées par un nouveau mode de production défendu par la classe bourgeoise. « En 1789, au moment où la bourgeoisie se souleva, il ne lui manquait pour être libre que de participer au gouvernement du pays. Pour elle l’affranchissement consistait à retirer des mains des privilégiés qui possédaient le monopole de ces fonctions de direction des affaires publiques, les hauts emplois civils, militaires et religieux. Riche et éclairée, capables  de se suffire à elle-même et de se diriger toute seule, elle voulait, se soustraire au régime du bon  plaisir » (Michel Chevalier, cité par K. Marx in Vorwärts de Paris, août 1844). Seulement elle était éloignée de la communauté ; elle ne pouvait pas accepter celle féodale qui était en contradiction avec ses intérêts gnéraux et particuliers. Elle était donc isolée. Elle ne pouvait briser cet isolement qu’en en fondant une autre. « Toute révolution dissout l’ancienne société » (K. Marx). « La révolution française aurait-elle pu avoir lieu sans cet isolement funeste qui séparait les bourgeois français de la Gemeinwesen? Elle était destinée précisèment à mettre fin à cet isolement » ( K. Marx, idem).

 

Il semblerait donc qu’il y ait contradiction avec le matérialisme historique disant que ce sont les phénomènes économiques qui déterminent les phénomènes politiques. Comme toujours dans de pareils cas, la soi-disant contradiction n’est que la reconnaissance d’une incapacité à intégrer les différentes données exprimées dans leur mouvement. La révolution apparaît d’autant plus nécessaire, d’autant plus inévitable que l’homme est coupé de la communauté. On ne peut pas « acheter » l’espèce humaine, on ne peut lui assurer  une certaine vie matérielle qui lui ferait oublier le malheur social de la coupure de la communauté. C’est pourquoi le despotisme éclairé a échoué[6].

 

Mais la révolution en tant que mise en mouvement des masses, que poussée d’énergie nécessaire pour détruire l’État oppresseur et fonder une nouvelle communauté est déclenchée par une crise économique. « Depuis le début du XVIII° siècle, il n’y a pas eu de révolution sérieuse en Europe qui ne fut précédée par une crise finanière et commerciale. Ceci ne s’applique pas moins à la révolution de 1789 qu’à celle de 1848 » ( K. Marx, New-York Daily Tribune, 1853).

 

 

Bourgeoisie et universalisation des rapports sociaux.

 

 

 

La bourgeoisie voulait fonder une nouvelle communauté. Pour cela, il fallait trouver une forme d’organisation apte à lier les hommes entre eux. C’est là que se place le second caractère donné par K. Marx à la révolution française: le phénomène d’universalisation.

 

Dans le Fragment de la version primitive de la Contribution  à la critique de l’économie politique, il explique l’origine du capital à partir du mouvement d’autonomisation de la valeur d’échange. C’est-à-dire d’une valeur qui ne serait plus liée directement aux paticularités des marchandises qui l’engendrent. Dans ce but, il est amené à montrer qu’une telle réalisation suppose parallèlement l’autonomisation de l’homme, donc sa libération (sa séparation) de la communauté, et la propriété privée qui se concrétise dans l’égalité. « Ainsi donc le procès de la valeur d’échange que développe la circulation ne respecte pas suelement la liberté et l’égalité, il les crée, il est leur base réelle. En tant qu’idées pures elles sont des expressions idéalisées de ses diverses phases ; leurs développement juridiques, politiques et sociaux n’en sont que la reproduction sur d’autres plans. Cette affirmation a été d’ailleurs vérifiée historiquement. Non seulement cette trinité, propriété, liberté, égalité, a d’abord été formulée théoriquement sur cette base, par les économistes italiens, anglais et français des XVII° et XVIII° siècles, mais ces trois entités n’ont été réalisés que dans la société bourgeoise moderne ».

 

La loi de la valeur opère, disait F. Engels, depuis la dissolution du communisme primitif ; l’argent et le commerce sont les dissolvants de cette forme sociale. C’est pourquoi dans certains pays, où la propriété privée individuelle avait pu prendre une certaine extension, la personne « sujet d’échange » apparut. D’où la méprise des révolutionnaires français. « Le monde antique, qui n’avait pas fait de la valeur d’échange la base de sa production, qui, au contraire, mourut précisément de son développement, avait créé une liberté et une égalité de contenu tout à fait opposé à celui-ci et qui n’avait qu’un caractère essentiellement local. D’autre part, les diverses phases de la circulation simple s’étant développées dans le monde antique, entre les hommes libres tout au moins, il est explicable qu’à Rome et spécialement dans la Rome impériale, dont l’histoire est précisément la dissolution de la communauté antique, on ait développé des déterminations de la personne juridique, sujet du procès d’échange ; ainsi s’explique que le droit de la société bourgeoise y ait été élaboré dans ses déterminatiosn essentielles et qu’on ait dû, surtout vis-à-vis du moyen-âge, le défendre comme droit de la société industrielle naissante ».

 

Le monde romain et le monde bourgeois de la fin du XVIII° siècle avaient un caractère commun : ils provenaient tous les deux de la dissolution de la communauté naturelle. Celle-ci ne fut pas totalement détruite par la société esclavagiste. D’autre part, elle fut pour ainsi dire restaurée, mais sous une forme aliénée, dans le féodalisme. Là, la communauté est fondée sur des liens de dépendance personnels reliant efficacement les hommes entre eux. La terre, source principale de la richesse, dominait l’ensemble de la communauté qui lui était directement liée: le seigneur en tant que possesseur (seigneur parce que propriétaire terrien) et les serfs par leur dépendance vis-à-vis du seigneur. Une telle forme de production où production et consommation s’équilibraient, tendait à vivre en circuit fermé, à limiter les échanges et par là même à empêcher que la valeur d’échange puisse accomplir son mouvement d’autonomisation commencé sous l’empire romain. Il fallait détruire cette communauté  pour que les deux éléments essentiels qui fonderont le capital, l’argent, valeur d’échange, et la force de travail (valeur d’usage) soient libérés. La communauté fut détruite. Comment fonder une organisation sociale qui puisse la remplacer ? De là les recherches de tous les philosophes du XVIII° siècle afin de trouver un droit qui eut une base naturelle, un ensemble d’institutions aptes à maintenir les hommes réunis. Ce fut aussi la recherche de Saint-Just qui disciple de J.J. Rousseau, se propos de définir le nouveau contrat social : « On voit que les hommes, se traitant eux-mêmes en ennemis, ont tourné contre leur indépendance sociale la force qui n’était propre qu’à leur indépendance extérieure et collective ; que cette force, par le contrat social, est devenue une arme à une portion du peuple pour opprimer le peuple entier, sous prétexte de le défendre contre ses membres et contre des ennemis étrangers »[7].

 

 « Si tel fut l’objet du contrat social de conserver l’association, les hommes dans ce sens sont considérés comme des bêtes sauvages qu’il a fallu dompter ».

 

Dans l’ouvrage d’où est tirée cette citation, Fragments sur les institutions républicaines[8], il définit de façon précise l’importance des institutions : « Les institutions sont la garantie du gouvernement d’un peuple libre contre la corruption du gouvernement ». Lutter contre la corruption, voilà la préoccupation centrale des révolutionnaires bourgeois. Il faut encadrer les hommes sinon la société  serait en péril. « Sans institions, la force d’une République repose sur le mérité des fragiles mortels ou sur des moyens précaires ».

 

 « Les institutions ont pour objet d’établir de fait toutes les garanties sociales et individuelles, pour éviter les dissenssions et les violences ; de substituer l’ascendant des mœurs à l’ascendant des hommes ».

 

Cedtte vision institutionnelle suppose une définition de l’homme. Elle se trouve dans la fameuse déclaration des Droits de l’homme et du citoyen. Robespierre trouvait celle de 1789 trop incomplète car laissant en dehors de son champ d’application un grand nombre d’hommes : les citoyens passifs. Ceux qui n’avaient pas assez d’argent  pour payer le cens. C’est là que s’exprime toute la méprise des hommes de 93. Ils voulaient faqire comemches les anciens chez qui « nous ne trouvons jamais une étude pour déterminer   quelle forme de propriété  foncière, etc… est la plus productive ou crée le plus de richesse. Même si Caton a pu rechercher quelle culture du sol était la plus avantageuse ou que Brutus a pu prêter son  argent à l’intérêt le plus élevé, la richesse n’apparaît pas comme le but de la production. L’étude porte chaque fois sur le mode de propriété, qui produit les meilleurs citoyens de l’État ». « La richesse n’apparaît comme fin en soi que chez les quelques peuples marchands monopolistes du carrying trade, qui vivaient dans les pores du monde antique comme les juifs dans la société médiévale ». En effet Saint-Just proclame : « Il ne faut ni riches, ni pauvres, l’opulence est une infâmie ». Mais la révolution à la tête de laquelle  il se trouvait provisoirment libérait un mode de production où justement la richesse est une fin en soi. Il voulait abolir l’inégalité, mais il ne pouvait pas comprendre que la seule égalité entre les hommes acceptée par le capital, c’est celle de l’exploitation. Ils exprimaient la généralisatioon du mercantilisme. Seulement à un stade de généralisation donnée celui-ci se transforme en capitalisme[9]. C’est pourquoi ils expriment les exigences des deux en essayant de les concilier avec les données humaines. « Il faut donner à tous les français le moyen d’obtenir les premières nécessités de la vie, sans dépendre d’autre chose que des lois et sans dépendance mutuelle dans l’État civil » car « il faut que l’homme vive indépendant » (Saint-Just). Quel est dans ce cas le premier droit de l’homme ? « Le premier droit est celui d’exister, la première loi sociale est donc celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister ; toutes les autres sont subordonnées  à celle-là » (Robespierre). De plus, pour que l’homme vivre indépendant, il faut lui garantir la propriété : « La propriété est le droit qu’a chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion des bien qui lui est garantie par la loi ». Enfin, cette propriété ne sera pas assurée  par un partage égalitaire, il n’y a pas d’égalité des biens, mais par une intervention de la société qui doit faire en sorte que tous aient quelque chose en partage : « Âmes de boue ! qui n’estimez que l’or, je ne veux point toucher à vos trésors, quelque impure qu’en soit la source ». Robespierre connait très bien la puissance de l’argent. Il lui attribue tous les maux puisqu’il est cause de déséquilibre : grâce à lui il est possible d’accumuler aux dépens des autres. Cette puissance de l’argent corrompt. Robespierre ne se fait aucune illusion sur la valeur morale des riches. « Vous devez savoir que cette loi agraire, dont vous avez tant parlé, n’est qu’un fantôme créé par les fripons pour épouvanter les imbéciles ; il ne fallait pas une révolution sans doute pour apprendre à l’unviers que l’etrême disproportion des fortunes est la source de bien des maux et de bien des crimes, mais nous n’en sommes pas moins convaincus que l’égalité des biens est une chimère. Pour moi je la crois moins nécessaire encore au bonheur privé qu’à la félicité publique. Il s’agit bien plus de rendre la pauvreté honorable que de proscrire l’opulence. (Robespierre, Sur la pauvreté)[10] La propriété est donc la solution, mais la propriété dans des limites données. Robespierre se faisait le héros d’un monde disparu[11]. La petite propriété individuelle fondée sur le travvail allait être de plsu en plus supplantée  par l’appropriation capitaliste ; tandis que l’inégalité des richesses allait en s’accroissant. Le paupérisme est un produit du capitalisme. Robespierre indiquait ici un moyen pour escamoter la réalité. La Suisse moderne a poussé la décence jusqu’à empêcher ses « pauvres » de se montrer dans la rue ; d’où négation du problème. Cette proposition de Robespierre est en fait le premmier principe de la philosophie de la misère commune à J.P. Proudhon, au romantiques, ainsi qu’aux déchets de  la révolution russe : krouchtchéviens, staliniens, etc. Les hommes à la Thorez  lui donnèrent un vernis marxiste en  parlant de la misère absolue, niant que le capitalisme ait amélioré quelque peu la condition ouvrière sur le plan matériel. Dans tous les cas, il est vrai, la bourgoisie reste fidèle à elle-même et n’accorde à une grande partie de la société qu’un minimum vital. À l’époque de Robespierre et de Saint-Just, c’était une solution : abolition de l’inégalité. « Que l’Europe apprenne  que vous ne voulez plus un malheureux ni un oppresseur sur le terrtoire français ; que cet exemple fructifie sur la terre ; qu’il s’y propage l’amour des vertus et le bonheur. Le bonheur est une idée neuve en Europe » Saint-Just.

 

 « Ainsi [comme le dit A. Soboul  dans son Histoire de la révolution française, n.d.r[12]], était restaurée, dans la pensée républicaine la notion de droit social : la communauté nationale, investie du droit de contrôle sur l’organisation de la propriété, intervient pour maintenir une égalité relative par la reconstitution de la petite propriété, à mesure que l’évolution économique tend à la détruire, afin de prévenir le monopole de la richesse comme la formation d’un prolétariat indépendant » (t. II, p. 107).

 

La communauté est donc la nation, le peuple souverain constitué. De là, le cri de Kellermann à Valmy : Vive la nation, et non plus vive le roi ! Le bien commun du peuple est la patrie. Le bien commun de l’antique communauté naturelle est remplacée par une pure évanescence. « La patrie n’est point le sol, elle est la communauté des affections qui fait que chacun combattant pour le salut ou la liberté de ce qui lui est cher, la patrie se trouve défendue » (Saint-Just). Les révolutionnaires avaient au moins l’avantage de proclamer des illusions.

 

Entre la communauté nationale et l’individu (intérêt particulier) se place l’État (intérêt général), comme A entre M et M’. L’État apparaît à la fois comme nécessaire, puisque garant des institutions, donc garant du lien entre la communauté et les individus, et comme superflu, comme une simple convention ; tout comme l’argent, entre les marchandises M et M’, apparaît comme nécessaire et comme quelque chose d’inutile et même perturbateur dans l’échange entre marchandises à valeurs équivalentes.

 

Là est l’origine de toutes les aberrations concernant l’État. La bourgeoisie, en général, comprit très bien la fonction de celui-ci : faire triompher les revendications économiques, pour faire reconnaître son monopole de classe. Ici, chez Saint-Just et Robespierre, à une époque où la bourgeoisie n’est pas encore assez puissante pour s’affirmer dans toute sa réalité, la question est vue de façon morale.

 

L’État est la garantie contre la corruption, à condition qu’il réalise la vertu. Donc le véritable intermédiaire entre communauté et individu devient une valeur morale. Ceci est une autre caractéristique de la révolution française. « La terreur peut nous débarasser de la monarchie et de l’aristocratie ; mais qui nous délivrera de la corruption ? Des institutions. On ne s’en doute pas ; on croit avoir tout fait quand on a une machine à gouvernement… » (Saint-Just). Les lois sont révolutionnaires, ceux qui les exécutent ne le sont pas… La République ne sera fondée que quand la volonté du souverain comprimera la minorité monarchique et règnera sur elle par droit de conquête… Il faut gouverner par le fer ceux qui ne peuvent l’être par la justice… Il est impossible que les lois révolutionnaires soient exécutées si le gouvernement lui-même n’est constitué révolutionnairement» (Robespierre). Il théorise les rapports entre la morale et la politique : « Dans le système de la Révolution Française, ce qui est immoral est impolitique, ce qui est corrupteur est contre-révolutionnaire». «Je parle de la vertu publique qui opèra tant de prodiges dans la Grèce et dans Rome ; de cette vertu qui n’est autre chose que l’amour de la patrie et de ses lois ».

 « Le fondement unique de la société civile, c’est la morale… L’immoralité est la base du despotisme, comme la vertu est l’essence de la république…Ravivez la vertu publique. Commandez à la violence, mais replongez surtout le vice ans le néant ». Mais, bien qu’étant sur un terrain moral, Robespierre est beaucoup plus matérialiste que tous les politiques et moralistes actuels. Il est vrai qu’il fonde son système sur une valeur morale, qu’il chasse donc la violence de la société. Thèmes chers à nos pacifistes actuels. Mais en définitive, la vertu ne peut être fondée que par la force, par la violence organisée, la Terreur. Robespierre savait très bien que ce n’était que par l’intermédiaire de cette dernière que l’on pouvait, neutraliser la puissance des trafiquants et de tous les accapareurs, « les âmes de boue », mus uniquement par la recherche du profit.

 

La Vertu ne peut être acquise que par un long apprentissage. Il est donc nécessaire d’éduquer le peuple en conséquence. « Les révolutions qui se sont passées depuis trois ans ont tout fait pour les autres classes de citoyens, presque rien pour la plus nécessaire peut-être, pour les citoyens prolétaires, dont la seule propriété est dans le travail. La féodalité est détruite, mais ce n’est pas pour eux, car ils ne possèdent rien dans les campagnes affranchies. Les contributions sont plus justement réparties; par leur pauvreté même ils étaient inaccessibles à la charge… L’égalité civique est établie, mais l’instruction et l’éducation manquent… Ici est la révolution du pauvre… » (Lepeletier de Saint-Fargeau).

 

L’instruction doit conduire à l’égalité sans laquelle la vertu ne peut s’exercer. « L’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens » (Robespierre). Elle doit être commune  et doit permettre de former des hommes aptes au travail et à l’abstinence : « Les enfants recevront également et uniformement, chacun suivant son âge, une nourriture saine, mais frugale, un habillement commode, mais grossier ; ils seront couchés sans mollesse ; de telle sorte que, quelque profession qu’ils embrassent, dans quelque circonstance qu’ils puissent se trouver durant le cours de leur vie, ils apportent l’habitude de pouvoir se passer des commodités et des superfluités, et le mépris des besoins factices » (Lepeletier de Saint-Fargeau).

 

La culture de masse ne date pas d’aujourd’hui. La volonté de donner âme commune, de standardiser, de produire les hommes en série n’est pas l’apanage de la Chine actuelle, comme voudrait nous le faire croire R. Guillain dans une série d’articles relatifs à ce pays. Les bourgeois actuels ironisent souvent sur ces méthoes et parlent de besoins de pays pauvres. La France de 1789 était – elle aussi – un pays pauvre en  capital; d’où la nécessité d’une exploitation intense du prolétariat. Les chinois d’ailleurs semblent avoir un malin plaisir à reparcourir les étapes de la révolution française. Ils ont arrivés actuellement au culte de l’Être suprême. Il est vrai qu’ils ont rompu de façon plus radicale que les révolutionnaires français de 1789 avec la religion et que de ce fait ils ne parlent pas, comme Robespierre, d’une divinité supra-humaine. Seulement la révolution bourgeoise est aussi génératrice du culte des grands hommes, de ces individus qui seraient des êtres suprêmes. Ainsi les chinois s’adonnent-ils au culte de Mao-Tsé-Toung, tout comme les russes s’adonnèrent à celui de Staline. La révolution française est bien le modèle des contre-révolutions actuelles.

 

La révolution française comme toutes les révolutions qui l’ont précédée, et toutes celles qui la suivront, est une révolutions sociale à âme politique. Une révolution sociale parce qu’elle ne peut se produire que s’il y a destruction des antiques rapports sociaux, communataires ou féodaux. Elle a une âme politique parce que toute sa préoccupation fondamentale est de trouver un lien entre les hommes ; lien qui a été détruit par les phénomènes économiques, par l’introduction de l’argent dans les échanges entre les hommes, par le commerce. La république apparaît, comme l’a montré K. Marx dans la Contribution  à la critique de la philosophie de l’État de Hegel, comme la fin de la politique. La république avec ses institutions apporte les nouveaux rapports entre les hommes qui peuvent remplacer la vieille communauté. L’antique procès d’expropriation des hommes de celle-ci et de leurs moyens de travail atteint son plein développement au cours de l’accumulation primitive, genèse du capital, ainsi que de la classe bourgeoise qui le représente. C’est justement cette classe qui pose les questions de la vie sociale, de l’ensemble du procès de production et de reproduction de l’espèce huamine, sous forme de questions organisationnelles. Pour le prolétariat, c’est une question d’être: restaurer l’être communautaire primitif maître de tous les apports productifs et techniques des sociétés de classe.

 

 «La révolution (dit Saint-Just) doit s’arrêter à la perfection du bonheur et de la liberté publique par les lois. Ses élancements n’ont point d’autre objet, et doivent renverser tout ce qui s’y oppose ; et chaque période, chaque victoire sur le monarchisme, doit amener une institution républicaine».

 

Il exprime en même temps la vision gradualiste de l’histoire qui postule qu’on ne peut progresser que par étapes, qu’il est impossible d’en sauter une. Nous sommes en présence de la théorie menchévique. Mais c’est aussi la théorie de la révolution indéfinie. Quand pourra-t-on dire que la révolution est accomplie, terminée? Les révolutionnaires socialistes français devaient être prisonniers de cette vision, eux qui voulaient achever la révolution française, alors qu’ils œuvraient pour l’avènement d’un monde nouveau. Mais dans cette optique gradualiste Saint-Just avait raison de faire remarquer : « On parle de hauteur de la révolution : qui la fixera, cette hauteur ? Elle est mobile . Il fut des peuples qui tombèrent de plus haut ».

 

Saint-Just avait compris l’ampleur de la vague révolutionnaire. Il ne voulait pas l’arrêter et empêcher l’entrée en scène des sans-culottes sans lesquels la révolution ne pouvait se développer pleinement. Il savait bien «que ceux qui font des révolutions à demi ne font que se creuser un tombeau »[13]. Pourtant l’ironie de l’histoire allait faire qu’il allait se conduire ainsi. Saint-Just et Robespierre refusèrent le 9 thermidor l’aide des sans-culottes qui leur aurait permis de triompher. Mais ils auraient été alors prisonniers de leurs alliés et donc contraints de pousser plus loin les merusres révolutionnaires. Il en fut de même de Napoléon qui refusa de libérer les moujiks comme cela lui fut conseillé, puis l’aide des ouvriers de Paris pour lutter contre l’invasion. Il fut battu. Staline connut le même sort. Il ne conduisit, lui aussi, qu’une révolution à demi, puisque la révolution ne devait pas s’arrêter, se figer à l’étape bourgeoise. Il est mort après sa mort réelle. La déstalinisation est son véritable tombeau.

 

La révolution française a universalisé des principes, elle ne les a pas créés. Ils sont passés au travers du brasier révolutionnair et y ont acquis valeur mondiale. C’est pouorquoi ils pont pu être adoptés ensuite par tous les pays. C’est ce qu’exprimait Robespierre en disant que la France doit devenir le modèle des nations. « Nous voulons remplir les vœux de la nature, accomplir les destins de l’humanité, tenir les promesses de la philosophie, absoudre la providence du long règne du crime et de la tyrannie. Que la France jadis illustre parmi les pays esclaves, eclipsant tous les peuples libres qui ont existé, devienne le modèle  des nations, l’effroi des oppresseurs, et qu’en scellant notre ouvrage de notre sang, nous puissions voir au moins briller l’aurore de la félicité universelle ». Elle le deviendra après les échecs militaires prouvant qu’elle ne pouvait pas englober les autres pays, montrant par là même, aussi, que la révolution ne s’exporte pas. Les révolutionnaires pensaient en effet que la Déclaration des Droits de l’Homme était valable pour tous les pays et que de ce fait les nationalités devaient disparaître. Ce qui, dans la réalité, se traduisit en la tentative d’hégémonie de la France sur l’Europe. La lutte de la Prusse, de l’Autriche, etc., contre la nation révolutionnaire ne pouvait se faire qu’en trouvant des motifs révolutionnaires à celle-ci. D’où les promesses de libération des paysans faites par le roi de Prusse, par exemple. D’où aussi la théorisation de Hegel de ce que l’on peut appeler les voies nationales de la libération, de l’accession au capitalisme. Hegel ne pensait pas qu’une nation dût englober les autres, mais posait la nationalité comme un mode d’incarnation de l’Idée dans le réel. Chaque peuple, chaque nation a des caractères originaux, des qualités qui sont la manifestation de l’Idée: «c’est pourquoi chaque peuple a la constitution qui lui est appropriée et qui lui convient ». Les nations ne doivent pas être détruites mais renforcées. La nation française devenait simplement la nation guide. Dans l’un et l’autre cas, on voit comment la bourgeoisie utilise la nation à des fins propres.

 

La défense de la grande nation, de la France éternelle sera le thème majeur de la propagande bourgeoise. Malheureusement beaucoup de prolétaires en seront infestés. En 1914, non seulement les ouvriers français, mais beaucoup d’étrangers s’engagèrent pour défendre la patrie menacée, puisque tout homme a deux patries, la sienne et puis la France. Le succès de la propagande gaulliste est dû lui aussi au fait qu’elle s’orchestre autour de ce leit-motiv.

 

L’ONU et la déclaration universelle des droits présente à la fois le triomphe de la vision hégelienne: pullulemùent des nations, et la généralisation la plus extrême des principes de la révolution française. Ceci se retrouve enfin chez les krouchtchéviens qui ne peuvent concevoir l’internationalisme prolétarien que de la façon suivante: «Tous les partis sont indépendants et égaux en droits. Tous sont responsables du Mouvement communiste et membres égaux de la grande communauté révolutionnaire mondiale » L’internationalisme prolétarien, in L’Humanité du 19.03.1964.

 

La France est le berceau de toutes les idéologies néfastes au prolétariat. Les ouvriers doivent avant tout lutter contre leur nation du fait de l’importance internationale de celle-ci, foyer de toutes les illusions bourgeoises pour tous les pays.

 

 

 

Révolution bourgeoise et prolétariat

 

 

Cependant cette universalisation ne semblait pas réelle. La révolution bourgeoise avait détruit les états, elle avait englobé les hommes dans une communauté: la nation. Mais en fait beaucoup d’hommes demeuraient en dehors de celle-ci. Ils avaient été déracinés, arrachés à celle naturelle ou féodale; la nouvelle ne pouvait pas les englober. Comment les «citoyens prolétaires allaient-ils réagir à la dissolution des liens communautaires? La première réaction fut de proclamer, puisque le nouveau monde ne pouvait pas les intégrer sinon de façon antagonique, que la révolution avait échoué. Pour eux, comme pour Marat, il fallait que la révolution  fût proclamée en permanence[14] sinon c’était l’échec. Là réside une autre source de déviations, d’influences néfastes au sein du mouovement ouvrier. Les prolétaires doivent reprendre l’œuvre des jacobins; tout ce qui est fait dans ce sens est un mieux absolu, c’est une étape nécessaire qu’on ne peut pas sauter. Avant quoi que ce soit il faut compléter 1793. Dans La Sainte Famille, K. Marx critiqua violemment cette position : « Dans la Révolution de 1789, l’intérêt de la bourgeoisie bien loin d’être « manqué » a tout « gagné » et a eu le résultat le plus « durable », bien que le « pathos » se fût évanouit que se fussent fanées les fleurs « enthousiastes » dont l’intérêt avait orné son berceau. Cet intérêt fut tellement puissant qu’il vainquit la plume de Marat, la guillotine des terroristes, l’épée de Napoléon, le crucifix et le sang royal des bourbons. La révolution n’a été « manquée » que pour la masse, qui ne possèdait pas dans l’« idée » politique l’idée de son « intérêt » réel, dont le véritable principe vital ne se confondait donc pas avec le principe vital de la révoluion, dont les conditions réelles d’émancipation différaient des conditions dans lesquelles la bourgeoisie et la société voulaient s’émanciper. Si donc la Révolution, qui peut représenter toutes les grandes « actions » de l’histoire est « manquée », elle l’est parce que la masse, dans les conditions d’existence de laquelle elle se cantonna quant à l’essence, était une masse exclusive et n’embrassait pas la totalité de la société, mais une masse limitée. Et si elle fut manquée, ce ne fut pas parce que la masse « s’enthousiasmait » pour la Révolution ou s’y intéressait, mais parce que la partie la plus nombreuse de la masse, celle qui était distincte de la bourgeoisie, ne possèdait pas dans le principe de la révolution, son intérêt réel, ni son principe révolutionnaire propre, mais une simple idée, donc un simple oblet de l’enthousiamse momentané et d’une excitation purement apparente » (Œuvres philosophiques, éd. Costes, t. II, p. 144-145).

 

La révolution n’avait pas échoué. Elle avait profité à une seule classe : la bourgeoisie. L’émancipation n’avait pas été universelle.

 

 « Toutes les révolutions ont abouti jusqu’à présent à l’évincement de la domination d’une classe déterminée par celle d’une autre ; … Mais si nous faisons abstraction du contenu concret de chaque cas, la forme commune de toutes ces révolutions était d’être des révolutions de minorités. Même lorsque la majorité y collaborait, elle ne le faisait – sciemment ou non – qu’au service d’une minorité ; mais par là, et déjà aussi du fait de l’attitude passive et sans résistance de la majorité, la minorité avait l’air d’être le représentant du peuple tout entier » (Engels, Introduction aux luttes de classes en France).

 

La révolution française – révolution en retard – portait les germes d’une autre. C’étaient les fleurs enthousiastes dont parle Marx. C’est pourquoi le heurt entre prolétariat et bourgeoisie fut plus puissant que dans les révolutions antérierues ; le prolétariat s’affirme de façon plus autonome et non plus comme simple adjuvant de la bourgeoisie. « Dans toutes les proclamations aux prolétaires, de 1688 à 1846, la bourgeoisie libérale a-t-elle fait autre chose que « tailler des systèmes et arranger des phrases » afin de briser, par la force du prolétariat, le pouvoir des aristocrates » (Marx, Herr Vogt, t. I, p. 128).

 

Comment s’est donc développé le conflit entre les classes au cours de la révolution française et comment est apparu celui entre prolétariat et bourgeoisie ?

 

 « Le nom sous lequel une révolution s’introduit n’est jamais celui qu’elle portera sur ses bannières le jours du triomphe[15]. Pour s’assurer des chances de succès, les mouvements révolutionnaires sont forcés, dans la société moderne, d’emprunter leurs couleurs, dès l’abord, aux éléments du peuple qui, tout en s’opposant au gouvernement existant, vivent en totale harmonie avec la société existantge. En un mot, les révolutions doivent obtenir leur billet d’entrée pour la scène officielle des mains des classes dominantes elles-mêmes » (Marx, New-York Tribune, 27.7.1857). En effet, « les premiers coups portés à la monarchie française venaient de la noblesse et non des paysans » (Marx, idem.). La révolution bourgeoise se caractérise de plus en plus par la mise ne mouvement des masses libérées des antiques liens de dépendance à la terre ou à la hiérarchie (lorsque le cordon ombilical liant l’homme à la communauté a été coupé). Elle est la destruction des ordres, des états en lesquels celles-ci étaient enfermées. Aussi, pendant une certaine période, la révolution revêt-elle l’aspect d’une révolution populaire intéressant l’ensemble de la société (le pathos et les fleurs enthousiastes dont parlait Marx) ; une force impersonnelle liée à aucune classe parce qu’aucune classe n’est individualisée.

 

Le clivage se produit très tôt et l’on constate le regroupement de certains éléments : Girondins, Montagnards, Sans-Culottes (Bras-Nus). De là, la question du pouvoir. Qui va diriger les masses ? Qui va contrôler l’État qui vient d’être instauré ? Un phénomène que l’on retrouvera dans toutes les révolutions va, alors, se produire : la dualité des pouvoirs : Convention et Comité du Salut Public ; la république bourgeoise de 1870 et la Commune ; l’Etat bourgeois de Kérensky et les Soviets.

 

Le prolétariat est une force motrice mais non un protagoniste dirigeant. Il est une des couches qui conduiisent la révolution, l’émancipation. Il peut contester le pouvoir à la bouorgoisie mais il ne peut le lui ravir  (Germinal et Prairial, la conjuration des Égaux). Par là, il marque la caractéristique essentielle de son être: la soif du poouvoir, il pose la contestation fondamentale : les forces écon omiquies développées avec le capital peuvent être dirigées soit par le prolétariat, soit par la bourgoisie. D’autre part, seule son intervention a permis que l’on ne compose pas avec la féodalité (terreur = manière plébéienne d’en finir avec le vieil ordre de choses, K. Marx).

 

Mais la contre-révolution triomphe en 1795. La poussée plébéienne est stoppée. C’est de ce moment que date le développement de la société bourgeoise : « Après la chute de Robespierre, le progrès politique, qui avait vouolu se surpasser luit-même, qui avait pêché par excés d’enthousiasme, commence seulement à se réaliser prosaïquement . sous le gouvernement du Directoire, la spociété bouorgeoise, que la libération avait elle-même libéré des entraves féodales et reconnu officiellement, bien que le terrorisme ait voulu la sacrifier à une conception antique de la vie politique, manifeste une vitalité formidable. La course au entreprises  commerciales, le désir de s’enrichir, l’ivresse de la nouvelle vie bourgeoise dont la première jouissance est encore audacieuse, primesautière, frivole, enivrante ; le progrès réellement éclairé de la propriété foncière française dont l’organisation féodale a été brisée par le amrteau de la révolution, et que, dans la premièree fièvre de la possesssion, les nombreux nouveaux propriétaires soumettent partout à la culture intense; tous ces premiers mouvements de l’industrie devenue libre, voilà quelques manifestations de la nouvelle société bourgeoise. La société bourgeoise  est positivement représentée par la bourgeoisie. Le bourgeois inaugure donc son régime. Les droits de l’homme cessent de n’exister qu’en théorie » (La Sainte Famille, in o.c., t. II, p. 220).

 

Ainsi la première révolution bourgeoise s’est édifiée sur la défaite des ouvriers[16]. En effet, les ouvriers du faubourg Saint-Antoine sont désarmés, privés d’organisation (1797).  Ils durent ensuite soutenir Napoléon qui accomplissait une tâche révolutionnaire.

 

 « Napoléon, ce fut le dernier combat du terrorisme révolutionaire contre la société bourgeoise et sa politique, également proclamée par la révolution. Certes, Napoléon comprenait déjà la nature de l’État moderne; il savait qu’il était fondé sur le libre développement de la société bourgeoise, sur le libre jeu dres intérêts particuoliers, etc… Il décida de reconnaître ces fondements et de les protéger. Ce n’était pas un terroriste rêveur. Toutefois, en même temps, Napoléon considérait encore l’État comme une fin en soi et la bourgoisie comme un bailleur de fonds, ujn subordonné qui ne devait pas avoir de volonté propre. Il réalisa pleinement le terrorisme en substituant à la révolution permanente la guerre permanente » (Ouvrage cité).

 

La contre-révolution féodale se réalisa en 1815 avec la défaitre des troupes françaises à Waterloo. De telle sorte que pour le prolétariat la phase contre-révolutionnaire ouverte en 1795 ne devait se clore, pour peu de temps, qu’en 1830. Notre époque n’est donc pas  la seule à connaître une phase de recul aussi longue. Celle qui suivit la vague révolutionnaire de la fin du XVIIIe dura 35 ans. La nôtre en compte 38, mais il est vrai que l’aube des Trois Glorieuses n’est pas encore levée.

 

Le mouvement de 1789-99 se répétera par la suite conférant à l’histoire de la société française un air de parodie. Mais chaque fois un élément nouveau apparaîtra. La structure sociale se fera de plus en plus purement capitaliste, avec accomplissement des tâches de la révolution. « L’histoire de la révolution française commencée en 1789, ne s’est pas encore terminée avec l’année 1830, où l’un de ses éléments , grossi par le sentiment de son  importance sociale, remporta la victoire ». (K. Marx, Œuvres philosophiques, t. I, p. 222) Chaque fois, une couche sociale apparaîtra plus progressive et tentera de résoudre la question sociale. C’est l’émancipation progressive : « En France, il suffit qu’on  soit quelque chose, pour vouloir être tout. En Allemagne personne n’a le doit d’être quelque chose, à moins de renoncer à tout. En France, l’émancipation universelle est la condition sine qua non de toute l’émancipation partielle. En France c’est la réalité, en Allemagne c’est l’impossibilité de l’émancipation progressive qui doit enfanter toute liberté. En France, toute classe du peuple est idéaliste politique, et elle a d’abord le sentiment d’être non pas une classe aprticulière, mais la représentation des besoins généraux de la société. Le rôle d’émancipateur passe donc successivment, dans un mouvement dramatique, au différentes classes du peuple français, jusqu’il arrive  enfin à la classe quii réalise la liberté sociale, non plus en supposant certaines conditions extérieures à l’homme et néanmoins créées par la société humaine dans l’hypothèse de la liberté sociale » (K. Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel, in Œuvres philosophiques, éd. Costes, t. I, p. 104-105[17].

 

Dans chaque phase le prolétariat s’est manifesté. La révolution française fut de bout en bout une révolution socilale (Engels). À partir d’elle, l’importance du prolétariat va aller croissante : « le développement économique de la France depuis 1789 a fait que depuis cinquante ans, aucune révolution n’a pu éclater à Paris sans revêtir un caractère prolétarien, de sorte qu’après la victoire , le prolétariat qui l’avait achetée par le sang entrait en scène avec ses revendications propres ». (Engels. Préface à l’édition allemande de La Guerre civile en France.)

 

Dans la dernière partie du drame qui s’est dérouilé de 1789 à 1799 apparaît un courant qui rompt, sur le terrain pratique, avec l’ordre bourgeois et marque une discontinuité avec la révolution bourgeoise, posant l’amorce du cycle prolétarien: la conjuration des Égaux, dite de Babeuf. Celui-ci procalmait : « La révolution française n’est que l’avant-courière d’une autre révolution bien plus grande, bien plus solennelle, et qui sera la dernière [18]». Son système  n’est plus simplement tributaire du passé ; il contient les éléments de l’avenir, étant la pointe ultime de la révolution bourgeoise et déjà l’amorce, sur le plan pratique, du mouvement communiste. Babeuf est d’abord partisan de l’égalité à  la façon de Robespierre. Il veut une égalité politique qui soit réelle. Pour qu’il en soit ainsi, il faut une égalité économique. Il revendique la propriété privée pour tous. Puis, il se rend compte que le mal réside justement dans cette dernière; en conséquence, il veut une propriété collective. Les citations suivantes vont mettre en évidence son originalité et son anticipation  par rapport aux utopistes.

 

 « Les hauts et puissants du jour entendent singulièrement la mot révolution, quand ils prétendent que la révolution chez nous, est faite. Qu’ils disent plutôt la contre-révolution ! (Ici, Babeuf fait d’abord la même remarque que Saint-Just: «La révolution est glacée ; tous les principes sont affaiblis ; il ne reste que des bonnets rouges portés par l’intrigue». Celui-ci parle de  la révolution de sa classe; il reste dans le cycle bourgeois. Babeuf parle au nom d’une nouvelle classe, très faible encore, embryonnaire. De ce fait la structuration de l’État et donc de la nouvelle société est un fait contre-révolutiionnaire vis-à-vis de la nouvelle classe qui tend, par le processus historique même, à se développer au sein de la nouvelle société.) La révolution encore une fois, c’est le bonheur de tous (c’est la même déifnition  que celle de Saint-Just, seulement où tout va diverger ce sera sur : comment organiser celle-ci afin  que tous soient heureux. La rupture s’opérera sur le but : pour Saint-Just la petite propriété privée et la antion, la propriété collective et la communauté humaine pour Babeuf) ; c’est ce que nous n’avons pas ; la révolution n’est donc point faite. La contre-révolution est le malheur du plus grand nombre; c’est ce que nous avons: c’est donc la cotnre-révolution  qui est faite!» Babeuf précise alors « Qu’est-ce qu’une révolution poliitique en général ? qu’est-ce, en particulier, que la révolution française ? Une guerre déclarée entre les patriciens et les plébéiens, entre les riches et les pauvres ».  «Des 24 millions contre le million doré ». Babeuf proclame de manière imparfaite, c’est-à-dire en situant mal les protagonistes, la lutte des classes. Tel est l’aspect social, politiquement comment cela se présente-t-il? «Révolutionner, nous avons dit plusieurs fois ce que c’est. C’est conspirer contre un état de choses qui ne convient pas, c’est tendre à le désorgansier et à mettre à sa place quelque chose qui vaille mieux. Or, tant que ce qui ne vaut rien n’est pas renversé et que ce qui serait bon  n’est pas stabilisé, je ne reconnais point qu’on ait assez révolutionné pour le peuple ».

 

 « La révolution est à refaire » dit Babeuf. Il le démontre en faisant une critique de la société. Ainsi pour la déclaration des Droits de l’Homme : « selon moi très incomplète, trop peu substancielle et rédigée dans des termes tro peu précis et trop peu nets. Il y a abondance de mots, mais sous cette prolixité par trop métaphysique se cache  le perfide moyen de neutraliser ou de réduire à de simples apprences qui s’annoncent  d’abord comme une réalité. L’appât et le piège s’y confondent  si bien qu’en étudiant cette déclaration, on  ne tarde pas à s’apercevoir qu’elle est un leurre, tel que devaient le concevoir les endormeurs du peuple. Leur déclaration n’a que la valeur d’un hochet [souligné par nous, n.d.r]. Elle admet, il est vrai, les grands principes de liberté et d’égalité, mais avec toutes espèces de réserve qhui permettent de les dénaturer dans leur application et en les mitigeant  avec des correctirfs qui ne leur laissent plus aucune portée ». Babeuf apparaît réellement comme un géant par rapport  aux radicaux-socialistes qui créèrent la ligue des droits de l’homme à laquelle adhérèrent non seulement des socialistes, mais aussi des communistes de fraîche date, 1920. La déclaration des droits de l’homme est un  hochet affirme Babeuf et, prés de deux siècles après lui, des individus se réclamant du communisme convient les masses à lutter pour la défense des droits de l’homme. Il n’est donc plus possible de polémiquer à ce stade. Il nous faut simplement réaffirmer ce qu’est le communisme, ce qu’est le parti communiste à cheval sur plusieurs générations. Les autres sont des valets du capital. Polémiquer avec eux serait penser qu’ils puissent avoir quelque chose en commun avec le parti, qu’ils seraient en filiation avec Babeuf.

 

K. Marx devait reprendre la critique de Babeuf, lui donner une assise plus solide et donc fournir une arme plus terrible au prolétariat. « On démontra que la reconnaissance des droits de l’homme par l’État moderne n’a pas d’autre signification que la reconnaissance  de l’esclavage par l’État antique. La base de l’État antique, c’était l’esclavage; la base de la société bourgeoise, l’homme de la société bourgeoise, c’est-à-dire l’homme indépendant rattaché simplement au autres hommes par le lien de l’intérêt privé et de l’inconsciente nécessité  naturelle, l’esclavage du travail utilitaire, de ses propres besoins et des besoins égoïstes d’autrui. Cette base naturelle l’État l’a reconnue comme telle dans les droits universels de l’homme. Et il ne les a pas créés. Produit de la société bourgeoise, poussé par sa propre évolution au-delà de ses entraves politiques, il ne faisait que reconnaître de son coté sa propre origine et sa propre base en proclamant les droits de l’homme » (K. Marx, La Sainte Famille, p. 202). K. Marx montre un phénomène qui ne pouvait pas être perceptible à Babeuf et que ne comprit aucun révolutionnaire de l’époque: la société bourgeoise existait dans le sein de la société féodale. La révolution brisa la séparation de la bourgeoisie et de la communauté. Elle fonda un État qui correspondait à la situation économique  dont elle était, elle-même, le produit. En proclamant les droits de l’homme, elle ne faisait que reconnaître sa propre origine.

 

En opposition à toutes les déclarations des droits, Babeuf affirme : «qui a la force a raison», démasquant par là toutes les mystifications et les supercheries de l’idéologie bourgeoise et proclamant que ce qui deviendra le prolétariat aura la force et donc fera triompher la solution humaine qu’il possède. Pour accomplir cette révolution il faut utiliser la violence, et il répond à ceux qui lui en font grief: «La guerre civile ! je te demanderai s’il en est une plus terrible que celle qui existe perpétuellement depuis l’établissement de la propriété, par le moyen de laquelle chaque famille est une république à part, qui, par crainte d’être dépouillée et l’inquiétude constante de manquer, elle ou les siens, conspire sans cesse pour dépouiller les autres ». C’est une première ébauche de la mise en évidence de l’aliénation de l’homme. C’est une virulente critique du principe d’incertitude de la société bourgeoise. Ce fameux principe énoncé par F. Engels dans sa critique au programme d’Erfurt: «Il est possible que l’organisation  des travailleurs, leur résistance toujours croissante opposent une certaine digue à l’accroissement de la misère. Mais ce qui grandit certainement, c’est l’incertituide de l’existence».

 

Babeuf n’a pas non plus d’illusion sur le principe démocratique :

«Ce sophisme, cette théologie sustile qui établit la nécessité de la réunion du peuple à voter pour légitimer une insurrection, est une manière heureuse d’avoir l’air de rendre hommage aux principes, lorsqu’on sait que, par la forme, l’impossibilité certaine assure le règne éternellement paisible des oppresseurs. À ce compte, celles du l4 juillet et du l0 août ne le furent pas. Ce ne fut que Paris qui s’insurgea alors, et Paris n’est pas toute la France…Paris même ne se mit pas tout entier en mouvement; la classe qui reste toujours calme… ne voit jamais dans les mouvements populaires que les emportements d’une multitude indomptée… Il n’y eut que la multitude et ce que cette classe-là appelle la canaille parisienne [maintenant les staliniens parlent de blousons noirs ou de Teddy boys, lorsqu’il s’agit de prolétaires qui revendiquent sur des bases de classe, en dehors des partis, nd.r] qui s’ébranla ; et quelque nombreuse que puisse être la multitude parisienne elle ne représente qu’une poignée de factieux relativement à la population de toute la France; [donc, non  la démocratie, mais un acte de force, une action violente, fait triompher une couche sociale, n.d.r.] ainsi les mouvements tant vantés du 10 août et du 14 juillet, qualifiés du beau nom de sublime, de grand et de généreux, ces mouvements ne furent au fond que des séditions dont les auteurs, la canaille parisienne, mériteraient la plus inéxorable comme la plus exemplaire punition. Aussi lui en a-t-on infligiée une bien conditionnée depuis trois ans ».

 

Ce qui est fondamental dans l’évolution de la société humaine, ce n’est donc pas le mécanisme démocratique qui est une duperie, mais la force. Les Égaux ne pourront triompher qu’en utilisant la violence, qu’à l’aide d’un mouvement politique fortement organsié  qui conduira la révolte. C’est la leçon politique que le prolétariat devait tirer au travers de Babeuf et de Ph. Buonarotti et que K. Marx devait intégrer dans le programme du parti communiste.

 

Il part, pour conduire sa politique de la révolution bourgeoise, de l’égalité. Il montre comment elle ne généralise pas, n’universalise pas complètement les données qu’elle avait trouvé toutes prêtes. Mais cela le conduit à faire la critique du lien de l’homme à la commuanuté en société bourgeoise. «La conscience c’est l’égalité de l’homme avec lui-même dans la pensée pure. La liberté, c’est la conscience que l’homme a de lui-même dans l’élément de la pratique, c’est-à-dire par conséquent, la connaissance qu’un homme a d’un autre homme considéré comme son égal. La liberté est l’expression française de l’unité de l’être humain, de la conscience générique  et du rapport social et humain de l’homme avec l’homme. De même qu’en Allemagne la critique destructive, avant d’arriver avec  L. Feuerbach à l’intuition de l’homme véritable, avait essayé de dissocier , par le principe de la conscience de soi, la critique destructive a tenté, en France, d’arriver au même but par le principe de l’égalité » (Œuvres philosophiques, éd. Costes, t. III, p. 67).

 

Babeuf prend au mot la bourgeosie: réalisons l’égalité. La bourgeoisie y voyait  le principe unificateur de l’espèce humaine qui venait d’être fragmentée par le procès d’expropriation. Il était très au courant des données des vieilles sociétés communautaires, ayant vécu en Picardie, où celles-ci subsistaient fortement à la fin du XVIIIe[19]. Il connaissait fort bien, de même, le processus de prolétarisation. C’est au nom des expropriés de la terre qu’il parlait; de ces hommes chassés de leur campagne par la misère ; de ces hommes qui n’avaient pour toute richesse que leur force de travail. En conséquence, comment réaliser l’égalité entre ceux-ci et les riches bourgeois de la ville ou les propriétaires fonciers de la campagne ? Le mal réside-t-il dans l’inégalité des richesses, ou celle-ci ne réside-t-elle pas dans la propriété privée ? Alors, la solution ne consisterait-elle pas dans la communauté, dans le communisme ? Ainsi, à la solution bourgoise de la la dissolution de l’antique communauté, s’oppose celle du prolétariat. L’avenir de l’humanité ne réside pas dans l’appropriation privée, mais dans celle collective.

 

Pour atteindre ce but il faut une nouvelle révolution. Seulement cela ne va-t-il pas entraîner des maux pour l’humanité. Cela n’engendrera-t-il pas l’anarchie? Babeuf répond: «Fut-il vrai que ce passage dût amener des écarts, je dis qu’ils seraient les derniers effets de l’anarchie mourante. À proprement parler, le désordre et l’anarchie exitent réellement dans toutes les sociétés d’Eurpope, où, sous différents prétextes et par différents moyens, le peuple est dépouillé de ses droits. Et certes il vaudrait bien la peine de courir le danger de quelquess écarts momentanés pour mettre fin à la grande anarchie organisée et perpétuelle ». Sa réponse est à peu prés la même que celle que fera K. Marx prés de cinquante ans plus tard. «L’anarchie est la loi de la société bourgeoise émancipée des privilèges classificateurs, et l’anarchie de la société bouorgeoise est la base de l’organisation publique moderne, de même que cette organisation est à son tour la garantie de cette anarchie. Malgré toute leur opposition, elles sont condition l’une de l’autre» (Œuvres philosophiques, éd. Costes, t. III, p. 2l0).

 

Au travers de Babeuf on voit bien le caractère de la nouvelle révolution, la révolujtion prolétarienne: elle est politique à âme sociale. Révolution politique puisque seul un acte politique: le renversement de l’état de choses actuel, donc la destruction de l’État bourgeois, lié à la prise du pouvoir par le prolétariat grâce à un parti fortement organisé, peut libérer l’humanité de l’oppression. Mais la question sociale ne peut être résolue que par des mesures sociales prises après la révolution. Dans l’énonciation de ces mesures, il anticipe sur celles que prendra la commune de Paris de 1871.

 

 «Que chaque article de la constitution soit pur des expressions et des définitions, à la portée du plus gros bon sens (pour Napoléon au contraire, il fallait que la constitution soit courte et obscure), sans ambiguité, sans possibilité de commentaires ou d’interprétations, sans la moindre prise laissée aux arguties des fabricateurs de eprnicieuses doctrines, des embrouilleurs de tetes, des chercheurs juristes des faux-fuyants et d’échappatoires, des secrets de l’amphibologie et de tous ces oiseaux faussaires  de la basoche qui spéculent sur la place du point et de la virgule ; que, par exemple, toutes les libertés dont se composent la Liberté y soient énumérées sans en omettre une seule,et je réponds qu’on ne parlera pas d’attenter à la moindre d’entre elles, sans que chacun ne se croit aussitôt menacé dans sa propre vie… ».

 

«La possibilité du retrait du mandat est une menace utile, indispensable ; elle est avec la publicité de tous les votes, une des meilleures garanties pour le peuple».

 

Dans toutes ces mesures, Babeuf intègre le machinisme qui n’est pas considéré comme une calamité. Là encore, il anticipe. Ceci n’est pas aberrant. Babeuf est le porte-parole d’une nouvelle couche sociale qui est déjà dans la situation de ne pouvoir s’émanciper qu’en émancipant l’humanité entière. Les théoriciens qui suivront immédiatement vivront dans une phase de recul ; dans une phase où cette classe montante aura été stoppée et, d’un point de vue politique, complètement jugulée.

 

 «Si j’ai inventé une machine, un procédé qui simplifie et abrège la besogne de mon art, si je possède un secret pour faire mieux ou plus vite en quoi que ce soit, je ne tremble pas qu’on me le dérobe, je m’empresserai au contraire de la communiquer à l’association et de le déposer dans ses archives pour que jamais on est à déplorer de l’avoir perdu. Ce secret me sera compté, il me vaudra du repos, il en vaudra à tous, dans la catégorie des travaux que faciliteera son application, et ce repos ne sera plus un funeste chômage mais un agréable loisir… ».

 

Plus loin, Babeuf réfute l’objection stupide de ceux qui considèrent la société future comme une société de fainéants: «aucun oisif volotnaire ne pourra exister dans son sein». Cette formule doit être rapprochée de celle-ci: «nul ne doit se soustraire au travail». Toutes deux rappellent celle qui caractérise la phase de dictature du prolétariat et du socialisme inférieur : «Qui ne travaille pas, ne mange pas». La société de Babeuf ne connaissait pas un développement économique tel qu’il fut possible de libérer l’homme de la suggestion de la vie matérielle et d’arriver ainsi à la vision de K. Marx: la société communiste où l’homme social manifeste ses potentialités, développe toute son activité sans qu’il y ait de problèmes de reproduction de la vie matérielle, avec absence d’antagonisme entre travail obligatoire pour entretenir la vie matérielle et travail manifestation de la joie de produire.

 

Ce qu’il est important de noter ce n’est pas l’insuffisance liée au caractère borné de la production, c’est la méthode, la perspective, la vision. Celle-ci est déjà sur la trace de la société communiste. Elle quitte l’utopie pour s’enraciner dans la réalité. Vision limitée, certes, mais il y a en elle les prémisses de la vision réelle. Elle est dans le devenir réel du communisme et Babeuf la tire de la lutte. En effet, les révoltes ont conduit à l’établissement du maximum; les émeutes de la faim de Prairial et de Germinal lui montrèrent la nécessité d’une organisation rigoureuse de la « distribution du travail et de celle des produits ». Il y a là une expression nette et claire de la dictature de classe sur les phénomènes économiques et sur les classes. Pour Babeuf, nous l’avons vu, nul ne doit se soustraire au travail. Voilà le premier temps du devenir à la société communsite, le premier temps encore marqué par les stigmates infâmants de la société bourgeoise.

 

Le but de cette révolution qu’il faut absolument faire, est d’instaurer une société communiste. C’est dans la description de celle-ci que Babeuf arrive à la fois à la plus grande condamnation de la société capitaliste qui ait été faite avant K. Marx, et à saisir dans son essence intime ce qu’est la société communiste.

 

 «Ce gouvernement fera disparaître les bornes, les haies, les murs, les serrures au portes, les disputes, les procès, les vols, les assasssinats, tous les crimes ; les tribunaux, les prisons, les gibets, les peines, le désespoir que causent toutes ces calamités ; l’envie, la jalousie, l’insasiabilité, l’orgueil, la tromperie, la duplicité, enfin tous les vices ; plus [et ce point est sans doute l’essentiel, n.d.r] le ver rongeur de l’inquiétude générale, particulière, perpétuelle de chacun de nous, sur notre sort du lendemain, du mois, de l’années suivante, de notre vieillesse, de nos enfants et de leurs enfants ».

 

Babeuf avait bien compris l’incapacité où se trouvait la société bourgeoise d’assurer à tous la sécurité et la subsistance tel que cela est indiqué dans la constitution de 1793.

 

Art. 8. – «La sûreté consiste dans la protectiona ccordée par la société à chacun de ses membres, pour la cosnervation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés».

Art. 9. – «La loi doit protéger la liberté publique et individuelle contre l’oppression de ceux qui gouvernent.»

 

La même chose est indiquée dans le projet de constitution de Robespierre que nous avons reporté plus haut.

 

La société bourgeoise est en fait celle de l’incertitude de l’existence, de l’angoisse sociale. Seul, K. Marx est allé plus à fond dans la critique de la misère sociale de l’homme, parce que l’homme devait être encore plus détruit, plus déshumanisé. Il devait faire ressortir avec une extraordinaire violence toute l’inhumanité de notre monde, parce que celle-ci devient si forte qu’elle est intolérable. Mais comment ne pas saluer la puisssance de classe et la virulence de la vision de Babeuf qui puise sa force non plus dans le passé  mais dans le futur ; qui termine avec les antiques conceptions, laissant les morts enterrer les morts. Comment, corrélativement, accorder une quelconque attention à tous ces pseudo-philosophes et politiciens de l’heure actuelle qui sont incapables de comprendre le monde et, même, de l’interpréter.  Le roman de leur stupidité et de leur misère est déjà écrit dans l’histoire depuis près de deux siècles. Tout l’existentialisme, l’inquiétude et l’angoisse de notre monde moderne sont fils de la même société que celle dénoncée et vilependée par Babeuf.

 

La société bourgeoise est aussi celle du super-individualisme qui fait de chaque homme un étranger pour l’autre, ne lui donnant que deux modalits d’existence : exploiteur ou exploité. « Qu’est-ce ,en effet, que cette société  où l’on trouve la solitudé la plus profonde au sein de plusieurs millions d’âmes  où l’on peut être pris d’un désir implacable de se tuer, sans que qui que ce soit nous devine ? Cette société n’est pas une société, elle est, comme le dit Jean-Jacques, un désert habité de bêtes féroces… 

 

« En somme, les rapports entre les intérêts et les esprits, les véritables relations entre les individus sont encore à créer de fond en comble parmi nous, et le suicide n’est qu’un  des mille et un symptômes du combat social général et se développant sans cesse à nouveau, d’où beaucoup de combattants se retirent parce qu’ils sont fatigués de compter parmi les victimes ou parce qu’ils se révoltent contre l’idée de prendre une place d’honneur parmi les bourreaux » (K. Marx[20]). Babeuf l’avait bien compris, c’est pourquoi il proclamait que « dans la société régénérée […] rien ne pouvait être motif à se mettre en avant, à se faire valoir, à vouloir dominer. Il ne doit y avoir ni haut, ni bas, ni premier, ni dernier… ».[21]

 

Il est évident que c’est surtout sur le plan pratique que Babeuf marque une étape nouvelle, tandis que sur le plan théorique il a des intuitions géniales qui prennent racine au sein même de la lutte du Quart-État. Nous ne devons pas oublier à quel paroxysme de violence était parvenu la société française au cours des années 1793-1795. Dans cette période volcanique, certaines positions purent aller au-delà du contenu de la révolution bourgeoise. «La révolution française a fait éclore des idées qui mènent au-delà des idées de l’ancien état de choses. Le mouvement révolutionnaire qui commença en 1789 au Cercle Social, qui eut comme représentants principaux au milieu de son évolution, Leclerc et Roux et finit par succomber un instant avec la conspiration de Babeuf, avait fait éclore l’idée communiste que Buonarotti[22], l’ami de Babeuf, réintroduisit en France après la révolution de 1830. Cette idée, haussée dans ses conséquences logiques, c’est l’idée du nouvel état de choses» (K. Marx, Œuvres philosophiques, éd. Costes, t. II, p. 213).

 

Babeuf avait compris que la révolution ne devait pas s’arrêter à la « hauteur » qu’elle avait atteinte en 1794, mais qu’il fallait en faire une autre, la communiste, qui solutionnerait la question sociale. « La conspiration de Babeuf, écrite  par son ami et compagnon Buonarotti, montre comment ces républicains ont pmuisé dans le « mouvement » l’idée très nette qu’en se débarassant de la question sociale : monarchie ou république, on n’avait encore résolu la moindre question dans le sens du prolétariat » (K. Marx, o.c., p. 135).

 

Ailleurs K. Marx appelle Babeuf le fondateur du premier parti communiste agissant « qui se produit dans le cadre de la révolution bouorgoise au moment où la mornarchie constitutionnelle est mise de côté ». C’est justement sur le plan pratique, politique, que se fait l’apport du mouvement ouovrier français, à la théorie marxiste, intégration de toutes les données de la lutte et de la théorie. C’est lui qui donnera les bases de la dictature du prolétariat, parce qu’il en avait cherché la réalisation et la définition polittique (Flora Tristan).

 

Avec Babeuf, commence réellement le cycle prolétarien. À partir de lui la fameuse phrase de K. Marx est valable : « La révolution du XIXe siècle ne peut tirer sa poésie du passé, mais seulement de l’avenir. Elle ne peut commencer avec elle-même avant d’avoir liquidé complètement toute superstition à l’égard du passé. Les révolutions antérieures avaient besoin  de réminiscences historiques pour se dissimuler à elles-mêmes leur propre contenu. La révolution du XIXe doit laisser les morts enterrer les morts pour réaliser son propre objet. Autrefois la phrase débordait le contenu, maintenant c’est le contenu qui déborde le vase » (K. Marx, Le l8 Brumaire de Louis Bonaparte, éd. Sociales, p. 175).

 

Ceci se réalisera dans la période sujivante. Mais, en France, ce fut long, par suite du lent développement du capitalisme. En  effet, il ne suffit pas que l’idée aille au-devant de la réalité, il faut que la réalité aille au-devant de l’idée (K. Marx). Celle-ci naquit aa XVIIIe, au moment de la dissolution de la société féodale. Deux solutions à cette désintégration, celle bourgeoise : la communauté fondée sur l’individu privé et la nation ; celle prolétarienne : la communauté fondée sur la propriété collective et l’homme social, le communisme. C’était une idée ; les forces économiques étaient trop faibles pour mettre  la réalité à la hauteur de celle-ci. C’est pourquoi, seul un faible détachement, une petite avant-garde put s’opposer à la nouvelle société bourgeoise : le premier parti communiste agissant, germe de la future communauté humaine. Il montrait par là qu’il avait résolu toutes les questions de forme d’organisation, puisqu’à un nouveau mode d’exploitation de l’homme, il opposait un être impersonnel : la communauté future. Depuis les forces économiques se sont tellement accrues que la société communiste est prisonnière de celle bourgeoise. Mais la contre-révolultion a chassé l’idée. La réalité déborde les théories parce qu’elles ne sont plus, même partiellement, à sa hauteur. Seule la lointaine idée émise par Babeuf et devenue, sous forme du Programme communiste, le prinicpe vital du parti communiste internationaliste, peut l’englober et, leur union, donner société nouvelle. Le cycle du mouvement prolétarien sera, alors, achevé.

 

 

 

APPENDICE  I

 

 

 

Ce travail sur le mouvement ouvrier français fut abordé dès 1959, mais ce qui fut seulement en 1964 que ce qui précède fut exposé à la réunion de juilet qui eut lieu à Marseille et fut publié, avec maintes coupures (censure oblige), dans il programma comunista n° 4, 5 et 6 de 1965. Il devait se relier à l’étude de la «question militaire», où la Révolution française fut à nouveau abordée, à celle de la démocratie et enfin à celle de la formation de l’État belge où la révolution française fut encore une fois analysée (cf. la revue Le fil du temps, n° 1 et 4). Voici quel en était le plan :

 

1.     Introduction : le point d’arrivée.

 

2.     Le mouvement ouvrier et la révolution française.

 

 

2.1.         La révolution française dans le cycle de la révolution bourgeoise.

 

2.2.         Influences de la révolution française sur le mouvement ouvrier.

 

 

2.2.1.                         La révolution bourgeoise a réalisé toutes ses mesures importantes à la suite de mouvements populaires qui venaient imposer leur force à l’assemblée. Ceci a impressionné beaucoup de révolutionnaires, ce qui les a conduit à la position suivante : le mouvement politique d’une élite serait suffisant pour arriver 1° à mobiliser de larges masses, 2° à transformer la société grâce à l’aide ce smasses opérantes surtout après le « coup de main ». C’est là l’essence du blanquisme qui théorisa la nécessité de la dictature du prolétariat. Bien que se démarquant nettement de la théorie bourgeoise, le blanquisme tend, en définitive, à compléter la révolution bourgeoise et ne parvient pas réellement à penser la nouvelle révolution. Ainsi il est arrivé au moment ouvrier français, blanquiste à l’origine, la même mésaventure qu’aux jacobins.

 

« Robespierre, Saint-Just et leur parti succombèrent parce qu’ils confondirent l’antique Communauté (Gemeinwesen) réaliste démocratique qui repose sur l’esclavage effectif, avec l’Etat représentatif spiritualiste démocratique moderne. Quelle colossale illusion[23] que de devoir reconnaître et sanctionner dans les droits de l’Homme la société bourgeoise moderne, la société de l’industrie, de la concurrence générale, des intérêts privés poursuivant librement leurs buts, l’anarchie et, en même temps, d’annuler chez certains individus les manifestations vitales de cette société et de vouloir éduquer à la manière antique la tête politique de cette société.

 

Cette illusion se manifeste (erscheint) tragiquement quand Saint-Just le jour de son exécution montrant le grand tableau des droits de l’Homme accroché dans la salle de la Conciergerie déclara : « C’est pourtant moi qui ait fait cela ». Ce tableau proclamait justement le droit d’un homme qui ne peut pas être l’homme de la communauté (Gemeinwesen) antique, pas plus que les rapports industriels, économiques actuels ne peuvent être ceux de la société antique » (Marx-Engels, La Sainte Famille, éd. Costes, in Œuvres philosophiques, t. 2, p. 218-219).

 

L’autre caractère du Blanquisme ce fut la surestimation de la politique (cf. Marx : le roi de Prusse et la réforme sociale. Par un prussien., Invariance, série I, n° 5, pp. 97 et 100, ou Marx-Engels, Textes de 1842-47, pp. 81 et 86-87, Spartacus n° 33. On a déjà cité ce passage dans Invariance, série I, n° 1, p. 39).

 

2.2.2.                         La position des blanquistes était : il faut réaliser la vraie égalité et, pour cela, une autre révolution est nécessaire. En revanche les républicains et plus tard les radicaux pensaient qu’il suffisait simplement de compléter 93. C’est pourquoi sont-ils partisans de réformes, habiles manœuvriers pour utiliser la force prolétarienne afin de faire triompher leurs revendications. Ils eurent une influence néfaste sur la classe ouvrière par l’intermédiaire de la franc-maçonnerie, la ligue des droits de l’homme, la libre-pensée et tout le mouvement laïcs en général. Pour eux, il fallait éduquer l’homme selon les principes d’une société meilleure avant de pouvoir faire une transformation de la société en place. Mythe de la culture.

 

Ces éléments se rattachent aux matérialistes du XVIII° siècle et par là on comprend – en dehors de ce qui précède – qu’ils purent avoir une influence sur le mouvement prolétarien.

 

 « Point nest besoin d’une grande perspicacité pour reconnaître en quoi les théories du matérialisme au sujet de la bonté originelle et de l’égale intelligence des hommes, sur la toute-puissance de l’expérience, de l’habitude, de l’éducation, sur l’influence des conditions extérieures sur les hommes, sur la haute importance de l’industrie et le bien-fondé de la jouissance, etc., se rattachent nécessairement au communisme et au socialisme. Si l’homme tire toute connaissance, sentiment, etc., du monde sensible et de l’expérience dans ce monde, il importe alors d’organiser le monde empirique de telle façon que l’homme y apprenne le véritable humain, et s’accoutume à s’y éprouver en tant qu’homme. Si l’intérêt bien compris est le principe de toute morale, il importe que l’intérêt particulier del ‘homme se confonde avec l’intérêt humain. Si l’homme est non libre, dans le sens matérialiste du mot, c’est-à-dire s’il est libre non par la force négative d’éviter ceci ou cela, mais par la force positive de faire valoir sa propre individualité, il ne convient pas de châtier les crimes dans l’individu, mais de détruire les endroits anti-sociaux où naissent les crimes, et de donner à chacun l’espace dont il a besoin dans la société pour la manifestation essentielle de sa vie. Si l’homme est formé par les circonstances, il faut former les circonstances humainement. Si l’homme est, par nature, sociable, il ne développe sa véritable nature que

Ensuite il entérine les formes antérieures d’existence du capital ce qui contredit: «Ainsi, le capital aurait existé dans toutes les formes de société, ce qui est parfaitement non historique.» Fdts. T.1, p. 204.G. 169.

Ce qui accomune, apparente divers phénomènes c’est une forme amenant à les confondre, engendrant ou, plus précisément, réactivant la confusion chez celui qui les étudie.

dans la société, et la force de sa nature doit se mesurer non par la force de l’individu particulier, mais par la force de la société » (La Sainte-Famille, in Œuvres philosophiques, t. II, éd. Costes, p. 234-235).

 

Les républicains et les jacobins n’allèrent jamais jusqu’au bout de l’exposition des conséquences des affirmations des matérialistes francais ; ils se contentèrent d’être des humanitaires. Vers la fin du siècle ils se « revigorèrent » en pillant dans le programme socialiste un très grand nombre de points ; ce fut le radical-socialisme qui est une première « adaptation » de la théorie bourgeoise à l’existence du prolétariat. L’adaptation du capital au prolétariat sera le fascisme.

 

Réciproquement les éléments dits socialistes furent à leur tour influencés par ces radicaux et on eut le socialisme humanitaire à la Jaurès.

 

2.2.3.Un autre lot de théoriciens percevaient effectivement l’importance du mouvement des masses dans la révolution française, mais ils décelaient en celle-ci une infirmité, une déviation : elle a asphyxié l’individu. Le courant anarchiste représenté par Stirner se rattache dans une certaine mesure à Sylvain Maréchal, même s’il n’y a pas filiation directe, il y a même « problématique ».

 

2.2.4.Les principes mis en avant par la révolution sont les principes fondamentaux émanant de la nature humaine éternelle ; cependant le développement du capital est venu perturber le mouvement économique ; il est cause d’une inégalité, d’une injustice. D’où pour Proudhon, il faut réaliser la justice (autre variante d’anarchisme). A remarquer que, comme Robespierre, Proudhon a besoin d’un intermédiaire, équivalent général qui est une valeur morale : vertu chez l’un, justice chez l’autre.

 

2.2.5. La position « réflexive » du marxisme – postérieure aux autres – se fonde sur une étude de tout le mouvement plébéien et en particulier l’hébertisme qui n’a pas été assez étudié dans les pages qui précèdent, et le babouvisme. La révolution de 89 a réussi, c’est une révolution bourgeoise.

 

« Je t’ai conseillé de travailler le « Cloots » d’Avenel[24] pour les raisons suivantes :

 

Selon mon avis (et celui de Marx) le livre contient le premier exposé juste, basé sur des recherches d’archives, en ce qui concerne spécialement l’époque critique de la révolution française, notamment la période du 10 août au 9 thermidor.

 

La Commune parisienne et Cloots étaient pour la guerre de propagande en tant qu’unique moyen de salut, pendant que le comité de salut public jouaient aux hommes d’Etat, avait peur de la coalition européenne et cherchait la paix par l’entremise de la division des coalisés. Danton voulait la paix avec l’Angleterre, c’est-à-dire avec Fox et l’opposition anglaise qui espéraient parvenir au pouvoir lors des élections. Robespierre trafiquait à Bâle avec l’Autriche et la Prusse et voulait s’arranger avec elles. Tous deux s’unirent contre la Commune, pour abattre avant tout les gens qui voulaient la guerre de propagande et la républicanisation de l’Europe. Ils réussirent : la Commune (Hébert, Cloots, etc.) fut décapitée. Mais à partir de ce moment la paix devint impossible entre ceux qui voulaient faire la paix avec la seule Angleterre et ceux qui voulaient la faire avec les seules puissances allemades. Les élections anglaises furent à  l’avantage de Pitt. Fox fut exclu du gouvernement pour des années, ce qui ruina la position de Danton ; Robespierre triompha et le fit guillotiner. Mais – et c’est ce point qu’Avenel n’a pas suffisamment souligné – tandis que le règne de la terreur fut poussé jusqu’à la folie parce qu’elle était nécessaire pour maintenir Robespierre au pouvoir dans les circonstances existant à l’intérieur, elle devint tout à fait superflue à la suite de la victoire de Fleurus, le 26 juin 1794, qui libéra non seulement les frontières mais livra à la France la Belgique et indirectement la rive gauche du Rhin. Dès lors Robespierre devenait lui aussi superflu. Il tomba le 28 juillet.

 

Toute la révolution française est dominée par la guerre de coalition, toutes ses pulsations en dépendent. L’armée de la coalition pénètre-t-elle en France, alors il y a prédominance des tensions, le cœur bat violemment : il y a crise révolutionnaire. L’armée de coalition recule-t-elle, il y a prédominance du relâchement, le cœur bat moins vite, les éléments réactionnaires se pressent sur l’avant-scène ; les plébéiens – débuts de ce uqe sera plus tard le prolétariat – dont l’énergie seule a sauvé la révolution, seront ramenés à l’ordre et à la raison.

 

Le tragique, c’est que le parti de la guerre à outrance, de la guerre de libération des peuples eut finalement le dernier mot et que la république vint à bout de l’Europe entière, mais seulement après que ce parti eut été depuis longtemps décapité et qu’au lieu de la guerre de propagande vint la paix de Bâle et l’orgie bourgeoise du directoire » Engels à Adler, 04-12-1889.

 

Remarque : le mouvement anarchiste a en commun avec le blanquisme le culte de la volonté : la méthode des attentats pour réveiller la spontanéité des masses (cf. en France fin du XIX° siècle, en Russie, etc.) ; avec les bourgeois, le mythe de l’éduction mais ici c’est pour entretenir la spontanéité ou la réveiller. Variante : le populisme russe et le vaste « populisme de type maoïste » actuel.

 

Cependant les anarchistes convergèrent avec les marxistes dans la compréhension de l’importance de l’organisation, ex. : les anarcho-syndicalistes ; d’autres cherchent une synthèse entre communisme et anarchisme : le communisme libertaire, l’anarcho-communisme.

Dans tous les cas, l’anarchisme est un syncrétisme.

 

2.2.6. Un aspect tout à fait négatif de l’influence de la révolution française c’est la glorification de la grande nation et de la république comme mieux en soi.

 

« La république est la forme politique nécessaire de l’affranchissement prolétarien. A tout prix elle doit être conservée. C’est l’impuissance, ce sont les crimes de nos soits-disants républicains (donc ce ne sont pas les institutions) qui l’ont compromise et l’exposent à l’assaut des monarchistes conjurés et masqués. C’est leur détestable politique qui a crée le péril boulangiste », Guesde-Lafargue-Deville.

 

Corollaire à une telle déclaration : possibilité toujours renouvelée d’un retour du féodalisme !

 

La grande nation était exaltée en tant que modèle pour les autres nations. Mieux, chez le jeune Lafargue, la question des nationalités était résolue. Au fond, toutes les nations allaient être absorbées dans la France qui avait enfin découvert les principes de l’émancipation humaine. Déjà Marx, dans sa correspondance (cf. tome IX, éd. Costes, pp. 74-75) raconte comment il avait ridiculisé cette prétention française ! Engels devra de même combattre ce blanquisme chez Lafargue mûr :

 

 « Vous avez encore parfaitement raison en vous glorifiant du passé révolutionnaire de la France, et de croire que ce passé révolutionnaire répondra de son avenir socialiste. Mais il me paraît que, arrivés là, vous donnez un peu trop dans le blanquisme, c’est-à-dire dans la théorie que la France est destinée à jouer dans la révolution bourgeoise de 1789-98. Cela est contraire aux faits économiques et politiques d’aujourd’hui » (Correspondance Engels-Lafargue, éd. Sociales, tome III, p. 293).

 

 « Vouloir attribuer à la France dans l’avenir le même rôle, c’est dénaturer le mouvement prolétarien international, c’est même, comme le font les blanquistes, rendre la France ridicule, car au-delà de vos frontières on se moque de ces prétentions » (ibid., p. 293).

 

 « L’émancipation prolétarienne ne peut être qu’un fait international, si vous tâchez d’en faire un fait simplement français, vous la rendez impossible » (ibid.).

 

Remarque : la question du centre de la révolution a donné lieu après 45 à toutes sortes d’élucubrations qui atteignirent le niveau de ridicule des socialistes français. La prévision du centre révolutionnaire est un problème théorique. L’affirmation des socialistes du siècle passé comme celle des trotskystes sur le tiers-monde centre révolutionnaire traduisent leur totale vacuité théorique.

 

Ceci vaut aussi pour le débat au sein de la Gauche. Après le débat sur la nature de l’URSS, celui sur le centre révolutionnaire, le foyer de la révolution, donna lieu à plusieurs errances. D’un point de vue global, on peut dire que les faits ont montré l’erreur de placer l’Allemagne comme centre révolutionnaire de la révolution prolétarienne future. L’étude théorique le montrerait tout aussi clairement. Le centre est désormais aux E.U[25].

 

De cette exaltation de la grande nation et de la république comme mieux en soi, on passa au chauvinisme pur et simple. Ce fut le cas pour Blanqui lors de la guerre de 1870. Lafargue, Guesde, etc., le justifièrent au nom de l’internationalisme prolétarien : « En criant vive l’Internationale ! Ils crient vive la France du travail !

 

« Et maintenant que nous avons établi comment, loin de s’exclure patriotisme et internationalisme ne sont que deux formes, se complétant, du même amour de l’humanité, nous répétons bien haut, à la face de nos calomniateurs… » (Ibid., p. 291).

 

Et c’est évidemment l’humanitaire Jaurès qui couronnera le tout en théorisant la nécessité de la patrie et en tentant de réfuter le Manifeste :

 

 « Le prolétariat n’est donc pas hors de la patrie. Quand le Manifeste Communiste de Marx et d’Engels prononçait en 1847 la fameuse phrase si souvent répétée et exploitée en tous sens : « les ouvriers n’ont pas de patrie », ce n’était qu’une boutade passionnée, une réplique toute paradoxale, et d’ailleurs malencontreuse, à la polémique des patriotes bourgeois qui dénonçaient le communisme comme destructeur de la patrie » (J. Jaurès, L’armée nouvelle, éd. 10/18, p. 254).

 

En 1924, Bordiga disait que le fascisme n’avait pas créé de théorie. Il faudrait préciser: le fascisme n’eut pas besoin d’élaborer une théorie parce que celle-ci avait été déjà produite par les divers socialistes nationaux.

 

Exaltation de la patrie liée au terroir et presque à l’Urmensch.

 

 « Elle tient par ses racines au fond même de la vie humaine et, si l’on peut dire, à la physiologie de l’homme » (p. 268).

 

« Figer l’État, c’est supprimer l’espérance, c’est supprimer l’action. Non, l’État démocratique d’aujourd’hui n’est pas un bloc homogène et d’un seul métal, ce n’est pas une idole monstrueuse et impénétrable qui, de son poids toujours égal et de son ombre immobile, opprime uniformément les générations jusqu’à l’heure où les prosternés se rebellant soudain, le renversent d’un coup » (Ibid., p. 253).

 

Exaltation du travail. « … qu’il [le socialisme, n.d.r.] noue avec les prolétaires de tous les pays des relations internationales toujours plus étroites et institue ainsi pratiquement un commencement d’humanité ouvrière capable de mettre un peu d’ordre et d’équité dans le chaos des rivalités nationales […] créant le libre consentement des patries historiques, une patrie sociale du travail » (Ibid., pp. 48-50).

Plus loin il parle de l’humanité du droit et du travail.

 

 « Le seul rôle social que la France puisse remplir dans le monde […] c’est d’aider, en France même, par toutes les forces de la démocratie républicaine, à l’avènement du travail conquérant enfin la propriété » (p. 60).

 

Remarque : Dans la rédaction définitive de cette étude, on aurait suivi le comportement théorique de Marx qui est d’indiquer d’abord la possibilité de manifestation d’un phénomène (ainsi la possibilité des crises indiquées dès le chapitre III du Livre I du Capital) pour ensuite étudier l’effectivité de ce phénomène (ce travail ne fut pas terminé : voir par exemple ce qu’il y a dans le Livre IV lorsque Marx traite de Ricardo). En conséquence, le devenir national-socialiste des théoriciens eut été abordé dans le point 8.

 

Dans ce résumé nos avons adopté un autre comportement afin de montrer immédiatement l’importance de certaines affirmations.

 

 

2.2.7.  De façon tout à fait générale on peut dire que l’influence négative de la révolution française sur le mouvement ouvrier consiste à avoir accrédité la théorie de l’émancipation progressive. De la lutte pour la révolution on est passé à celle pour les réformes ; on s’accommode de la révolution par le haut et finalement certains socialistes considèrent la société des nations, puis l’ONU avec sa déclaration des droits, comme une conquête décisive même pour le prolétariat.

 

 

3. La période de recul 1815 – 1830.

 

3.1.Le mouvement de recul et le mouvement du prolétariat.

 

3.2.Les utopistes : éducation, émulation, anticipation.

 

 

4.L’organisation du prolétariat 1830 – 1848.

 

4.1.L’importance de l’idée d’organisation autonome du prolétariat.

L’unité ouvrière de Flora Tristan.

 

4.2.         Le mutualisme de Proudhon.

 

À noter un caractère important : à partir de 1840 le mouvement ouvrier français se lie avec celui des autres pays. Sur le plan théorique, influence de la théorie babouviste sur le chartisme (Bronterre) et influence de ce dernier ainsi que l’owenisme sur les ouvriers français, par l’intermédiaire de Cabet et de Leroux. Sur le plan organisationnel, il y a tentative de formation de diverses organisations internationales, jusqu’à la formation de la Ligue des communistes. Parallèlement, il y a séparation entre républicains et ouvriers.

 

 

5.   La révolution de 1848.

 

 

6.   Période de 1850 à 1871.

 

 

6.1.  Le recul du mouvement ouvrier puis la reprise à partir de la crise de 1857.

 

Formation du parti blanquiste. Il est nécessaire de mettre en évidence l’apport de Blanqui souvent « calomnié » parce que jugé au travers de stéréotypes (ceci ne doit pas conduire à voiler sa tare : son chauvinisme pour la grande nation – cf. ci-dessus). Dans ce but, quelques citations :

 

 « Vers 1859, il faut, dit-il, créer le parti socialiste de la masse la plus révolutionnaire qui se trouverait ainsi le seul organisé, à l’état actif et militant ». Le moment était des plus difficiles. « La politique, à mon sens, va de mal en pis. L’aplatissement ne fait que croître et embellir. On se croyait au fond du fossé, on s’aperçoit que l’on peut tomber plus bas encore… La bourse est en rut ; elle monte comme une marée d’équinoxe, saluant de ses cris de joie l’écrasement de la révolution ».

 

Les situations de recul engendrent la stupidité : « Tout est en complète décomposition. Vous ne pouvez vous imaginez dans quel état de platitude, de couardise, de pourriture les gens sont tombés. Il n’y a plus trace d’hommes. Ceux qui ne sont pas gangrenés sont stupides ». Même difficulté de se faire entendre : « Les vaincus ennuient et incommodent. Ils ne comptent pas ». « Tout ce qui parle, tout ce qui écrit est notre ennemi ».

 

Le mouvement ne pourra se reconstruire en utilisant le parlement. « Le peuple a renoncé à l’action qui n’est plus dans son tempérament et jeté les cartouches pour prendre les bulletins. Son héroïsme ne dépasse pas le petit morceau de papier à mettre dans l’urne ». Or les élections ne résolvent rien : « La force ne s’est pas déplacée. Elle est toujours dans les mêmes mains et ne fait pas mine d’en sortir. Or, il n’y a d’autre force que la force ». « Tous les bulletins de France et de Navarre ne pèsent pas un grain de poudre… ».

 

Aux alentours de 1865, l’agitation se développe dans les milieux estudiantins ; de plus, le « droit de coalition » avait été reconnu à la classe ouvrière le 25 mai 1864 bien que la loi limita le droit de grève. Blanqui critiqua cette limitation :

 

 « On veut parquer l’ouvrier dans son individualité, d’atome, lui interdire tout concert, pour la protection de ses intérêts… on prétend l’isoler dans son impuissance individuelle… Aces brins d’herbe isolés qui se courbent et jaunissent sous le vent, on ne permet pas de se serrer en faisceau contre la tempête ».

 

À l’encontre de Proudhon, Blanqui revendiquait la grève comme moyen de lutte : « La grève est la seule arme vraiment populaire dans la lutte contre le capital ».

 

Blanqui ne se fait aucune illusion sur le principe démocratique et fait confiance à la dictature de classe : « Lorsque la contre-révolution a seule la parole depuis cinquante ans, est-ce donc trop de l’accorder une année à la liberté, qui ne réclame que la moitié de la tribune et ne mettra pas, elle, la main sur la bouche de son adversaire ? »

 

 « Dictature parisienne.

L’appel précipité au suffrage universel en 1848 fut une trahison réfléchie. On savait que, par le bâillonnement de la presse depuis le 18 Brumaire, la province était devenue la proie du clergé, du fonctionnarisme et des aristocrates. Demander un vote à ces populations asservies, c’était le demander à leurs maîtres ».

 

 « En 1848, les républicains, oubliant cinquante années de persécutions, ont accordé liberté pleine et entière à leurs ennemis… »

 

« Quelle fut la réponse ? L’extermination. Affaire réglée. Le jour où le bâillon sortira de la bouche du travail, se sera pour entrer dans celle du capital ».

 

« Un an de dictature parisienne en 48 aurait épargné à la France et à l’histoire le quart de siècle qui touche à son terme ».

 

Cette leçon ne fut pas perdue. Les bolcheviks n’hésitèrent pas à disperser l’assemblée constituante.

 

Critique de ceux qui veulent savoir ce qu’est le communisme avant de s’engager, et ce, dans les moindres détails. Critique de ceux qui veulent qu’on résolve leurs problèmes sans mettre en cause leur être actuel.

 

 « C’est une chose réjouissante, quand on discute communisme, comme les terreurs de l’adversaire le portent d’instinct sur ce meuble fatal. « Qui videra le pot de chambre ? » C’est toujours le premier cri. « Qui videra mon pot de chambre ? » veut-il dire, au fond. Mais il est trop avisé pour user du pronom possessif, et, généreusement, il consacre ses alarmes à la postérité ».

 

Quelle justesse. Nous ne pouvons accepter que les hommes qui sont d’accord pour jeter le pot à la figure de notre adversaire de classe. Ce qui nous préoccupe c’est de nous débarrasser de la merde actuelle qui est le capitalisme et tous ses suppôts : staliniens, philanthropes, gauchistes, philosophes, etc. Nous ne voulons plus qu’ils se tiennent mutuellement le pot à merde. Nous voulons libérer l’humanité de ces excréments !

 

Enfin, ce qui est important c’est l’organisation de la lutte. La théorie des combats de rue, les barricades. Seuls les marxistes ont englobé ces données dans leur théorie révolutionnaire : l’insurrection est un art.

 

 « Le devoir d’un révolutionnaire, c’est la lutte toujours, la lutte quand même, la lutte jusqu’à l’extinction ».

 

Dans le même ordre de pensée il y a le fameux « toast » que nous avons publié dans Invariance, n° 1, 1968, p. 56, mais pas dans les rééditions successives [26]

 

Déjà en 1831 il avait écrit : « en fait de liberté, il ne faut pas attendre, il faut prendre ». « L’insurrection est une œuvre pratique qui exige une technique qu’il faut savoir ».

 

Blanqui n’est indulgent ni envers les autres ni envers lui-même. Il déclarait : « Quand on se mêle de politique sérieuse, on ne doit pas se laisser surprendre »[27].

 

Il déclarait cela avant tout pour lui-même. De même après l’échec de la Villette en 1870, il dira, après avoir fait une analyse des causes et envisagé les facteurs défavorables ayant pu intervenir : celui qui se trompe est un traître.

 

Ce n’est donc pas faire injure à Lénine d’affirmer qu’il fut plus blanquiste que marxiste. D’ailleurs en un certain sens, à un moment donné, Marx aussi le fut (c’est le grand reproche que lui fait Bernstein, qui considère qu’il y a coupure dans l’œuvre de Marx entre celui blanquiste adepte de la dictature du prolétariat et le Marx adulte partisan de la démocratie[28]), dans la mesure où il reconnaissait que le mouvement réel était blanquiste (le parti formel d’alors) : « le prolétariat se groupe de plus en plus autour du socialisme révolutionnaire, autour du communisme pour lequel la bourgeoisie elle-même a inventé le nom de Blanqui » (Les luttes de classes en France, éd. Sociales, pp. 114-115).

 

 

6.2.La fondation de l’AIT et importance des internationaux en France à la veille de la Commune.

 

 

7.   La Commune.

 

Nous nous contenterons de rappeler un double jugement de Marx sur la Commune, afin de montrer l’insuffisance de la plupart des analyses de celle-ci.

 

D’une part, il écrit : « La Commune fut le fait le plus glorieux de notre parti depuis 1848 » ; d’autre part, il a affirmé que la Commune n’était pas fille de l’Internationale. Ces deux positions ne peuvent s’expliquer qu’en fonction de la distinction entre parti historique et parti formel. D’autre part, les travaux historiques récents ont mis en évidence le rôle important qu’eurent les internationaux dans la période qui précéda la Commune.

 

 

8.   Période de 1871 à 1914.

 

8.1.  L’impossibilité d’un développement d’un parti « marxiste » en France.

 

8.2.  Le mouvement anarcho-syndicaliste.

 

8.3.  Le socialisme réformiste et l’idéologie « national-socialiste ».

 

 

9.      Le désastre de 1914 et l’influence de la révolution russe sur le mouvement ouvrier.

 

9.1. Le désastre de 1914.

 

Les quelques citations rapportées au point 2.2.6. témoignent à suffisance de l’absence de position révolutionnaire des divers chefs du socialisme en France. En conséquence expliquer leur prise de position en 14 en faveur de l’union sacrée par une trahison soudaine du socialisme est totalement insuffisant. Cette insuffisance n’est pas une entorse à la « vérité » historique, mais elle est un obstacle à la réappropriation de la théorie. Si on ne comprend pas que la théorie du prolétariat fut niée par les chefs socialistes dès la fin du XIX° (ce qui implique que le prolétariat lui-même – pour des causes qu’il n’est pas possible d’étudier ici – n’était pas révolutionnaire[29]), on ne comprend pas simultanément l’immensité de la tâche historique nécessaire pour jeter par-dessus bord tous les apports des socialistes, et rejeter les explications des bolcheviks car, étant insuffisantes, elles participent à la négation de la théorie.

 

9.2. La mascarade de la formation du P.C. section de l’Internationale communiste.

 

9.3.  Le front populaire et les différentes périodes du stalinisme français.

 

 

10.      La guerre de 39-45.

 

 

11.       Remarques sur le mouvement ouvrier après la guerre.

 

 

 

 

 

APPENDICE  II

 

 

 

Cette étude du mouvement ouvrier français avait surtout deux objectifs essentiels : mettre en évidence la question de la communauté, montrer que les révolutions anti-coloniales dont le cycle venait à peine de s’accomplir étaient bien des révolutions bourgeoises (cf. Invariance, série I, n° 6, Thèse 3).

La question de la communauté avait déjà été abordée dans Origine et fonction de la forme parti, 1961 (cf. Invariance, série I, n° 1), dans La mystfication démocratique (réunion de Paris – juillet 1963) et enfin dans l’étude sur le VI° chapitre terminée fin 1966 (cf. Invariance, série I, n° 2). Cependant étant donné l’inachèvement de ce travail un aspect important de l’histoire du mouvement ouvrier n’a pas été exposée. Elle est directement en liaison avec la mystification démocratique. Il s’agit de la formation de la communauté matérielle et de l’action du prolétariat au moment de la réalisation de celle-ci.

 

Lorsque le capital se fut assez développé pour remplacer les antiques présuppositions naturelles et sociales, il fit éclater les institutions qui avaient constitué le peuple (même si celui-ci était divisé en classes antagonistes) et fourni la base de l’Etat. Ce  phénomène se produisit dès la fin de la guerre de 14-18 en Allemagne et se répèta dans différentes pays depuis lors. En Allemagne dans les années 20 le mouvement du capital provoqua une croissance importante des nouvelles classes moyennes, couches sociales non réductibles au prolétariat classique, ni à la classe bourgeoise, ni à la vieille classes moyenne, mais participant du prolétariat parce que salarié et de la classe moyenne du fait d’être situé entre le prolétariat et le capital. Cette nouvelle couche sociale fut, une fois que le prolétariat eut été battu, un des éléments fondamentaux pour le triomphe du fascisme qui proposait une solution organisationnelle à la crise que traversait le monde capitaliste (dont la phase aiguë affectait l’Allemagne). Le fascisme proposait à nouveau la nation en tant que communauté, en la définissant Volksgemeinschaft et en tendant à lui donner racines profondes dans la race et le terroir. Aux déracinés, déboussolés de cette époque, une telle solution pouvait paraître valable. Elle fut acceptée par les nouvelles classes moyennes comme par la grande majorité du prolétariat allemand. Cependant ici encore la méprise dont Marx parle pour la révolution de 89 se produisit. Les théoriciens « gauchistes » du fascisme[30] qui exprimaient les aspirations du mouvement des masses, présentaient le fascisme comme une vraie révolution populaire devant abolir le capitalisme alors qu’en fait la communauté dont ils parlaient n’était qu’une illusion qui masquait le développement de la communauté matérielle, celle du capital sur l’ensemble social. Même méprise, même fin : la mort (la nuit des longs couteaux). Le même phénomène se produisit avec moins d’ampleur en Italie et dans une mesure beaucoup moindre en Espagne. Dans ce pays, le capital n’était pas encore au stade de se constituer en communauté.

 

La domination réelle du capital ne peut se réaliser que par la médiation de la domination du travail productif, donc du prolétariat en tant que capital variable[31]. C’est la mystification de la domination du prolétariat classe dominante. Dès lors le cycle du mouvement ouvrier commencé sous la révolution française est bel et bien fini. Même le prolétariat ne pourra plus penser uniquement dans le mode politique. Seuls les excréments du mouvement ouvrier tel que le trotskysme ou le parti communiste international peuvent encore se mouvoir dans la sphère politique, sphère opaque qui les empêche de constater leur inadéquation à la réalité du mouvement révolutionnaire.D’autre part, la « méprise » vaut aussi pour les groupuscules qui font l’apologie du travail sans se rendre compte que c’est faire l’apologie du capital.

 

Au sein de ce cycle il y eut un moment d’une importance particulière : la Commune de Paris. Beaucoup d’auteurs affirment que Marx a contribué à la création de son mythe, comme à celui du prolétariat. Cependant une lecture attentive de La guerre civile en France suffit à lever tout soupçon. Le passage extrait du « Premier extrait de rédaction » (éd. Sociales, pp.215-216) confirme notre affirmation.

 

 « Telle est la Commune forme politique de l’émancipation sociale, de la libération du travail à l’égard de l’usurpation (l’esclavage) de ceux qui monopolisent les instruments de travail, créés par les travailleurs eux-mêmes ou constituant un don de la nature. Tout comme l’appareil d’Etat et le parlementarisme ne sont pas la vie véritable des classes dominantes, mais ne sont que les organismes généraux de leur domination, les garanties politiques, les formes et les expressions du vieil ordre de choses ; de même, la Commune n’est pas le mouvement social de la classe ouvrière, et par suite, elle n’est pas le mouvement d’une régénération universelle de l’humanité, mais seulement son moyen d’action organisé. La Commune n’élimine pas la lutte de classe par lesquelles la classe ouvrière s’efforce de supprimer toutes les classes et, par suite, toute domination de classe (parce qu’elle ne représente pas un intérêt particulier. Elle représente la libération du « travail », c’est-à-dire la libération des conditions fondamentales et naturelles de toute vie individuelle et sociale, que seule l’usurpation, la fraude et de sruses artificieuses permettent à la minorité de confisquer à la majorité), mais elle crée le stade intermédiaire rationnel dans lequel cette lutte de classes peut passer par ses différentes phases de façon plus rationnelle et la plus humaine. La Commune peut susciter des réactions violentes et des révolutions tout aussi violentes. Elle commence l’émancipation du travail, son grand but : elle élimine les racines du mal qui livre une immense partie du revenu national à la nourriture du monstre étatique en supprimant d’une part l’activité improductive et malfaisante des parasites de l’Etat, d’autre part en accomplissant l’œuvre rélle de l’administration locale et nationale au moyen de salaires d’ouvriers. Elle débute donc pas une immense épargne, par une réfome économique aussi bien que par une transformation politique ».

 

 « L’organisation communale une fois fermement établie à l’échelle nationale, les catastrophes qu’elle aurait peut-être encore à subir seraient des rébellions sporadiques d’esclavagistes qui, en interrompant certes momentanément l’eouvre de progrès pacifique, ne feraient qu’accélérer le mouvement, en armant le bras de la révolution sociale ».

 

« La classe ouvrière sait qu’elle doit passer par différentes phases de la lutte des classes. Elle sait que le remplacement des conditions économiques de l’esclavage du travail par les conditions du travail libre et associé (transformation économique) ne peut être que l’œuvre progressive du temps ; elle sait que cette transformation n’exige pas seulement un changement (Veränderung) de la distribution, mais encore une nouvelle organisation de la production ou mieux letravail organisé actuel (Befreiung – Freisetzung) des formes sociales de production dans le travail organisé actuel (engendré par l’industrie actuelle) des liens de l’esclavagve, de leur caractère de classe actuel et en les coordonnant de façon harmonieuse nationalement et internationalement. La classe ouvrière sait que cette œuvre de régénération sera sans cesse ralentie et entravée par la résistance des intérêts traditionnels et les égoïsmes de classe. Elle sait que l’actuelle « action spontanée des lois naturelle du capital et de la propriété foncière » ne peut être remplacée par « l’action des lois de l’économie sociale du travail libre et associé » qu’à la suite d’un long processus de développement des conditions nouvelles, tout comme furent remplaçées « l’action spontanée des lois économiques de l’esclavage » et « l’action spontanée des lois économiques du servage ». Mais elle sait en même temps qu’on peut réaliser de grands pas grâce à la forme communale d’organisation politique et que le moment est venu de commencer ce mouvement pour elle-même et pour l’humanité ».

 

Cette longue citation met nettement en évidence ce que pouvait être une révolution communiste en domination formelle du capital. La Commune est une forme politique de l’émancipation sociale ; ce qui veut dire que les classes ne sont pas supprimées mais que la direction politique est assurée par la classe travailleuse, le prolétariat. L’émancipation du travail implique simultanément le développement des forces productives et le prolétariat doit diriger cela dans l’intérêt même de la classe qui travaille en détruisant celle qui s’approprie le produit du travail d’autrui.

 

La Commune finit la période où le prolétariat peut penser dans la forme politique. C’est une ultime tentative du prolétariat français pour accélérer le développement économique et social – comme il l’avait fait en 1794 où, comme le dit Mars, il prit momentanément le pouvoir – et, pour ce faire, utiliser les mécanismes politiques. Même en réunissant le pouvoir exécutif au pouvoir législatif, la Commune ne supprimait pas la politique mais la réalisait définitivement.

 

Désormais, capital et travail unis forment la communauté matérielle. La seule action révolutionnaire du prolétariat est désormais de se détruire. Il ne peut le faire qu’en impulsant la formation de la communauté humaine qui naît au-delà de la politique comme de l’économie (mais qui ne peut exister qu’à la suite d’un certain développement des forces productives) parce qu’elle ne peut se réaliser qu’à partir de fondements humains, c’est-à-dire à partir de l’homme socialisé qui prend en charge l’ensemble automatisé – le nouvel être inorganique de l’homme – qui apparaît pour le moment en tant que capital. C’est à partir de là que l’être humain individuel, l’homme social, pourra s’épanouir.

 

La Commune est un moment du passé. Toute tentative de la faire revivre ou de réaliser ce que sa courte existence ne put accomplir, conduirait à enfermer le prolétariat dans la sphère d’activité du capital qui, lui aussi, à sa façon, a unifié exécutif et législatif.

 

La Commune anticipa. Le mouvement ouvrier entre 1871 et 1917, au contraire, se développa à un rythme normal, puis recula par rapport à l’A.I.T. Ce recul fut lié à la perspective que l’utilisation de la démocratie pourrait permettre au prolétariat de se reconstituer (ceci surtout dans le cas de la France) et qu’il pourrait, à l’abri des lois démocratiques, éviter toute provocation et préparer son nouvel assaut. En fait, la participation au parlement, l’acceptation du jeu démocratique porta scission au sein de la classe et l’empêcha de se rendre compte à quel point la société changeait, à quel point la démocratie avait dévitalisé la classe, lui enlevant toutes possibilités d’affronter la crise ouverte en 1913, développée en guerre puis en longue guerre civile. Pourtant quelques groupements entrevirent le phénomène nouveau sans pouvoir reéellement le circonscrire et donc l’expliquer (Gauches allemande, hollandaise, italienne).

 

L’anticipation de la Commune s’épuise dans le mouvement ouvrier allemand. A partir de là une autre phase est possible. Le mouvement prolétarien noir des E.U. est le début de son effectuation : la suppression du prolétariat donc celle définitive de la politique comme de l’économie.

 

 

Mars 1971

 

 



[1]           Programme Communiste, n°16, 1961. Cet article n’a pas grand intérêt. (Note d’octobre 2009)

 

[2]           Les citations de Léon Blum sont extraites de Le congrès de Tours (1920). Naissance du parti communiste français, A. Kriegel, éd.Archives Julliard, Paris, 1964. (Note d’octobre 2009)

 

[3]           Il est intéressant de noter que dans ce cas le phénomène révolutionnaire est concomitant à celui de libération nationale. Ceci l’apparente en partie à la révolution étasunienne de 1776, ainsi qu’aux révolutions anti-coloniales. La république des Provinces Unies des Pays-Bas a été fondée en 1579.

 

Cette révolution fait partie du cycle des révolutions bourgeoises, mais on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’une révolution capitaliste, car ce qui est déterminant dans cette aire c’est encore la fonciarisation et, surtout, le phénomène de la valeur. À noter que la révolution étasunienne triomphe en tant que révolution capitaliste avec la victoire du nord lors de la guerre de Sécession, c’est-à-dire avec le triomphe du capital sur la propriété foncière et la valeur. (Note d’octobre 2009)

 

[4]           Ce n’est pas exact en ce sens que les thèmes du droit au travail (dont il est question au paragraphe suivant) et le droit à l’assistance s’imposent dés que commence la dissolution du mode de production féodal. K. Polanyi dans La grande transformation Ed. Gallimard, 1983 a abordé cette question en étudiant le Speenhamland Act de 1795 à partir duquel se cristallisent les thèmes de la nécessité de travailler, celle d’aider les chômeurs involontaires ainsi que celui d’éviter de faire des assistés qui profiteraient du système et pourraient par là même remettre en cause l’obligation de travailler. Robert Castel dans Les métamorphoses de la question sociale Ed Fayard, 1995, a repris à son tour l’étude de cet Act dont il résume le contenu : «  non seulement chaque paroisse prend en charge ses pauvres, mais elle doit leur assurer une sorte de revenu minimal en garantissant un complément de ressources indexé sur le prix des céréales si le salaire est insuffisant (p. 59). Christian Topalov dans Naissance du chômeur, 1890-1910, Ed. Albin Michel, 1994 a tenu compte de cet Act pour son étude sur le chômeur. Ces études complètent ce que K. Marx écrivit dans le chapitre : La législation sanguinaire contre les expropriés à partir de la fin du XV° siècle – Les lois sur les salaires, de Le Capital, où il écrit en particulier ceci : « Dans cette enceinte (celle de la Chambre des Communes, n.d.r) où depuis plus de quatre cents ans on ne cessait de fabriquer des lois pour fixer au mouvement des salaires le maximum qu’il ne devait en aucun cas dépasser, Whitbread vint proposer en 1796, d’établir un minimum légal pour les ouvriers agricoles ». (Ed. Sociales, Livre I, t. 3, p. 181) On voit donc que la question du minimum vital ne date pas d’hier. Mais ce qui apparaît beaucoup plus intéressant à travers les études des divers auteurs cités c’est que dés le début, le salaire a une fonction économique mais aussi une fonction de contrôle social, de répression, qui devient toujours plus importante alors que la première régresse. (Note d’octobre 2009)

 

 

[5]           La tendance à la création du marché mondial préexiste au capital, mais ce n’est que lorsqu’il parvient à la domination réelle sur la société que celle-ci parvient à sa pleine réalisation. En revanche la création d’un marché intérieur, national, est l’œuvre du capital et elle est déterminée en partie par les exigences du salariat.

Le marché mondial est en fait un marché intérieur pour le capital. (Note d’octobre 2009)

 

[6]           Comme échoueront tous les  « socialismes » qui ne sont que singeries dépravées du socialisme scientifique. On doit faire remarquer toutefois que si le despotisme avec Turgot, par exemple, singeait la forme future, nos divers socialistes singent le plus souvent la forme ancienne : le capitalisme.

 

[7]           Comme toujours, la dynamique de c’est pour ton bien, s’impose. (Note d’octobre 2009)

 

[8]           Ce texte a été publié dans Saint-Just:L’esprit de la révolution  suivi de Fragments sur les institutions républicaines, Ed. 10/18, 1963. Le titre complet du premier texte est L’esprit de la révolution et de la constitution de la France. (Note de septembre 2009)

 

[9]           En fonction même de ce qui est exposé dans l’Urtext (Version primitive), cette affirmation est imprécise. Le mercantilisme s’est imposé en tant que théorie économique et qu’expression non du phénomène capital mais de celui de la valeur en sa phase d’argent sous sa troisième forme (monnaie universelle). Il y a capitalisme quand le capital parvient à la domination réelle dans le procès de production et tend à la domination formelle sur la société.

 

Pour saisir le surgissement du capital, il faut raisonner en fonction du phénomène de la fonciarisation (la propriété foncière fonde le pouvoir), de celui de la valeur et de l’anthropomorphose du travail (le travail fonde, détermine l’homme). À partir de la fin du XIV° siècle où, selon K. Marx « surgit la classe salariée » (Le Capital, Ed. Sociales, Livre I, t. 3, p. 179), tandis qu’il date l’apparition du capitalisme à partir du XVI° siècle (« l’ère capitaliste ne date que du XVI° siècle », idem, p. 156), il y a une lutte entre tenants de la fonciarisation (qu’on ne peut pas simplement définir comme des féodaux), et tenants du phénomène de la valeur, les bourgeois, en même temps que les travailleurs libérés des liens féodaux tentent de se maintenir indépendants grâce à l’anthropomorphose du travail. Je tiens compte également de la lutte des propriétaires fonciers et des bourgeois contre la rémanence des communautés comme le montre, par exemple, K. Marx dans le chapitre XXVII du Livre I de Le Capital : « L’expropriation de la population campagnarde ».

 

            Au cours de la deuxième partie du XVIII° siècle, et surtout à la fin, un autre phénomène s’impose, celui du capital, qui se définit, initialement, selon K. Marx, en tant que rapport social se fondant grâce à la récupération de l’anthropomorphose du travail et en tant que phénomène de production qui devient le paradigme de l’activité humaine. La plus-valeur est, produite et non, pour ainsi dire, « cueillie ». Les capitalistes s’opposent tant aux propriétaires fonciers qu’aux détenteurs de la valeur (particulièrement sous sa forme spéculative et usuraire).

 

            Pour triompher les capitalistes devront s’emparer du commerce, de la propriété foncière, du crédit, du système monétaire et de l’État. (Note d’octobre 2009)

 

[10]         Nous avons utilisé : Robespierre, Textes choisis, Ed Sociales, trois tomes, à partir de 1956.

 

[11]         Ceci se retrouve chez les bourgeois, économistes ou politiciens : « la conception juridique générale, de Locke à Ricardo, est donc celle de la propriété petite-bourgeoise. Ce qui permet cela, c’est le rapport entre acheteur et vendeur, ceux-ci restant  formellement les mêmes dans les deux formes. On trouve donc, chez tous ces auteurs, la dualité suivante :

 

1° Du point de vue économique, ils présentent les avantages de l’expropriation des masses et du mode de production capitaliste en opposition à la propriété privée, basée sur le travail ;

 

2° Du point  de vue idéologique et juridique, ils reportent sans plus l’idéologie de la propriété privée, basée sur le travail sur al propriété  fondée sur l’expropriation du producteur immédiat » (K. Marx, Le VI° chapitre inédit du capital, Ed.10/18, p. 303)

 

La société bourgeoise est celle de la mystification parce qu’elle est la forme sociale où les forces de production se libèrent des antiques tutelles et subjuguent l’homme. Les théories bourgeoises sont des compromis entre la réalité et le minimum de « vision humaine ». C’est pourquoi ce qui est proclamé en théorie est la plupart du temps en contradiction avec la réalité. Le meilleur exemple en est la démocratie qui est la mystification intégrale de l’homme. À la suite de cela, il y en a encore qui s’étonnent que la Russie, où seule la révolution bourgeoise a triomphé, soit le pays du grand mensonge.

 

[12]         A. Soboul, Histoire de la révolution française, Ed. Gallimard, 2 volumes. Ultérieurement nous avons particulièrement apprécié l’ouvrage de D. Guérin, La lutte des classes sous la Première république (1793-1797), Ed. Gallimard, 2 tomes, 1946, dont il faudrait tenir compte pour une reprise de l’étude sur le mouvement ouvrier. Il en est de même en ce qui concerne La classe operaia nella rivoluzione  francese, Ed. Riuniti 1960, deux volumes, 1909 et 1911 pour l’original russe (La classe ouvrière dans la révolution  française) de l’historien russe Evgheni Viktorovic Tarle car il contient une documentation très détaillée

 

[13]         Faire une révolution à fond implique un grand développement de la volonté car qu’est-ce qui pourrait permettre de passer d’une révolution « à demi », à une révolution complète ? Dans quelles conditions peut-on la porter à bout? Je sens là une certaine déconnexion de St-Just par rapport à la réalité. Mais je pense aussi qu’il affirme quelque chose de très important: toute gestalt incomplète fonde l'ontose, une sorte de mort de l'être naturel, et impulse la compulsion de répétition afin de parvenir à un achèvement, jamais réalisé. Or, que s'est-il passé en France sinon un délire de la volonté comme je le signale au sujet du blanquisme, mais qu’on voit se répéter avec l’Internationale Situationniste, accompagné de moult fanfaronnades et insultes. Les situs sont non seulement les derniers qui résistent (à la façon d’Astérix et des ses compagnons) mais ce sont ceux qui vont créer, à l'aide des conseils ouvriers à venir, la nouvelle société. Une dynamique similaire se réimpose avec les membres de la mouvance Tiqqun qui préconisèrent un parti imaginaire pour un prolétariat occulté.

          Toutefois une exception très importante est constituée par le mouvement anarchiste des Naturiens dont je n'ai pris connaissance, grâce à F. Bochet, qu'au début des années 1990 (cf. Invariance, n° spéciaux de 1993 et 1994). Ce qui manque fondamentalement dans leur investigation, c'est la prise en compte de la répression parentale. (note de décembre 2009)




[14]         « L’acte constitutionnel va être présenté à la sanction du souverain ; y avez-vous proscrit l’agiotage ? Non. Avez-vous prononcé la peine de mort contre les accapareurs ? Non. Avez-vous défendu la vente de l’argent monnayé ? Non. Eh bien ! Nous vous déclarons que vous n’avez pas tout fait pour le bonheur du peuple.

 

 La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. L’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie et de mort sur son semblable. La République n’est qu’un vain fantôme quand la contre-révolution s’opère de jour en jour par le prix des denrées, auxquelles les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verses des larmes. »

 

« Prononcez donc encore une fois. Les sans-culottes avec leurs piques feront exécuter vos décrets » (Jacques Roux).

 

 « Lorsque je lus le livre de Bourgeron sur Marat, je m’aperçus qu’à bien des égards, nous imitions inconsciemment le grand exemple de l’Ami du peuple. Je m’aperçus aussi que les hurlements et les falsifications qui, depuis bientôt cent ans, ont altéré le vrai visage de Marat, s’expliquent très simplement. D’abord dévoilant ceux qui se préparaient à trahir la Révolution, Marat arracha sans pitié les masque des idoles du moment ; d’autre part, comme nous, il ne considérait pas que la Révolution soit terminée, mais il voulait qu’elle fût proclamée permanente » (F. Engels).

 

[15]         Il en fut de même de la révolution russe. Elle s’introduisit sous le nom de révolution démocratique et bourgeoise (février 1917), elle triompha sous celui de révolution socialiste (Octobre 1917).

 

[16]         Ceci est une affirmation inexacte, en vertu même de la citation de K. Marx au début du I (La révolution française dans le cycle de la révolution bourgeoise). D’autre part la révolution anglaise de 1640 triomphe quand sont vaincus, niveleurs, bécheux, antinomiens, etc. (Note d’octobre 2009)

 

[17]         Cf. Invariance, n° spécial, novembre 1968, pp. 38-39.

 

[18]         Le thème de la dernière révolution qui est à venir sera maintes fois repris particulièrement par A. Bordiga qui parlera de la N+1ème révolution pour définir la révolution communiste devant advenir. Il évoque inévitablement celui du dernier prophète, mais aussi celui de l’imam caché, occulté, qui doit parachever l’œuvre du dernier prophète, Mahomet. Le prolétariat qui doit réaliser la dernière révolution se présente lui aussi occulté et les révolutionnaires attendent ardemment qu’il sorte de son occultation. D’une certaine façon les positions des chiites ont anticipé sur celles affirmées par la gauche italienne, surtout par A. Bordiga. Dans les deux cas, à des périodes différentes, il s’est agi de savoir comment se comporter dans une période de recul. (Note d’octobre 2009)

 

[19]         Est-ce à cause de cela qu’il n’a pas condamné comme tant d’autres le mouvement insurrectionnel vendéen ? Toutefois il est étrange qu’en fonction de son passé et de sa prise de position communiste, il n’ait pas mis en évidence – s’il l’a effectivement perçue- la dimension communautaire de celui-ci. En effet dans son ouvrage La guerre de la Vendée et le système de dépopulation (Ed. Tallandier, 1987) il n’est pas question des causes profondes de cette guerre ainsi que de l’alliance de facto des nobles et des paysans, ni du fait que ces derniers luttaient pour maintenir ce qui restait de la communauté que le mouvement bourgeois essayait partout de liquider. Cependant il présente de façon sympathique les vendéens et dénonce les atrocités commises par les républicains. Cette guerre est présentée comme ayant étant déterminée par une nécessité d’exterminer royalistes aussi bien que républicains du fait « que la population française était en mesure excédente des ressources du sol » (.p. 91) Toutefois cette thèse de l’extermination ne nous est pas présentée de façon bien fondée et, ce, même dans le chapitre terrible Plan de destruction total. Babeuf rapporte divers propos d’hommes politiques mentionnant la nécessité d’extermination, cela est insuffisant. Alors est-ce un ouvrage qui se limite à une dénonciation ?

 

Ce qui nous est dit dans ce virulent pamphlet est inconscient chez Babeuf, mais le travaille et l’horrifie: hommes et femmes ont tendance depuis très longtemps à s’exterminer et, j’ajoute, dans la perception de ce qui ne devient pas conscient chez lui, que ce faisant ils rejouent le risque originel d’extinction, comme si pour vérifier qu’ils existent, ils devaient s’exterminer. Ceci advint au cours des diverses guerres générées par des conflits d’intérêts matériels ou spirituels, mais aussi dans des mouvements de libération; le possible de celle-ci provoquant la remontée de l’horreur qu’on ne peut pas exorciser, si ce n’est dans le carnage. Les XIX° et XX° siècles sont remplis de ces mouvements libérateurs exterminateurs (note de 2009)

 

[20]         En fait c’est une citation que K. Marx  fait de Jacques Peuchet qu’il nous présente comme « conservateur des archives de la police ». Cf. K. Marx, Peuchet au sujet du suicide in Invariance, n° 6 (disponible), série II, 1975. Ces deux citations se trouvent aux pages 27 et 28 (122 et 124, du texte de J. Peuchet, 394 et 395 de celui de K. Marx.).

 

J’ai utilisé le texte allemand – Peuchet : vom Selbstmord - paru dans le volume 4 de la MEGA (œuvres complètes de K. Marx et F. Engels), reprise du texte paru en janvier 1846 dans la revue de Moses Hess Geselleschaftspiegel. J’ai confronté avec le texte en français de J. Peuchet qui est constitué par le chapitre LVIII  (pp. 117-181), Du suicide et de ses causes du livre, Mémoires historiques tirés des archives. Les photocopies de ce chapitre m’ont été fournies par G. Pogorel. Malheureusement, je n’ai pas l’indication de l’édition.

 

Du texte de K. Marx, je n’ai pas reproduit les tableaux statistiques sur le nombre de suicides, leurs causes, etc. Ces tableaux diffèrent d’ailleurs de ceux publiés par J. Peuchet. En outre j’ai reproduit des passages – qui me semblaient intéressants - non traduits par K. Marx. Enfin j’ai signalé les commentaires interpolés de K. Marx, comme celui-ci par exemple. « Les hommes les plus peureux, les plus incapables de résistance deviennent inexorables dés qu'ils pensent faire valoir leur autorité parentale absolue. L'abus de cette dernière est également un substitut grossier aux multiples soumissions et dépendances auxquelles ils sont soumis, volontairement ou contre leur volonté, dans la société bourgeoise » (p. 396 du texte de K. Marx ; cette insertion se place p. 127 de celui de J. Peuchet après le mot furie de la phrase « Ses raisons et sa douleur ne désarmèrent pas leur furie », et non après chorus, dernier mot de la phrase suivante, comme ce fut indiqué, de façon erronée, dans Invariance  à la note 5, p. 29).

 

               Je dois ajouter toutefois que je ne peux pas éliminer l'hypothèse que ce paragraphe interpolé ne soit pas de J. Peuchet lui-même, qui aurait été prélevé en une autre partie du livre.

 

               Je tiens à noter que dans ce qu'écrivent J. Peuchet - K. Marx émerge de façon perceptible l'intuition de l'existence du mécanisme infernal qui engendre victimes et bourreaux, et la difficulté d'y échapper, suscitant le suicide ou diverses maladies mentales. (Note de 2009)

 

[21]         Sur beaucoup de questions G. Winstanley et les Bécheux anticipèrent sur ce qu’exposa Babeuf. (Note d’octobre 2009)

 

[22]          Conspiration pour l’égalité dite de Babeuf, Ed. Sociales, 2 volumes, 1957. Cf. aussi Maurice Dommanget, Sylvain Maréchal « L’homme sans dieu » (1750- 1803) - Vie et œuvre de l’auteur du Manifeste des Égaux, Ed. Spartacus, 1950, ainsi que du même auteur Jacques Roux le curé rouge – Les « Enragés » contre la vie chère sous la Révolution, Ed. Spartacus, 1948 (Note d’octobre 2009)

 

[23]         En allemand, Taüschung signifie illusion et désillusion. Ici, il s’agit des deux significations à la fois.

 

[24]         G. Avenel, Anarchasis Cloots, l’orateur du genre humain.

 

[25]         En fait il y a une certaine imprécision. On voulait indiquer que le centre déterminant pour l’éclosion d’une révolution était aux USA parce que c’était là que se trouvait le capitalisme le plus évolué et que se développait un mouvement révolutionnaire au sein du prolétariat noir. Toutefois l’ensemble des données historico-théoriques conduisait toujours à penser que l’Allemagne demeurait le centre névralgique de la révolution à venir comme Bordiga l’avait indiqué dans son texte commémorant le 40° anniversaire de la révolution d’Octobre 1917 – cf. le texte dans Invariance, série I, n° 6. (Note de 1990)

 

[26]         « Traîtres seront les gouvernements qui, élevés sur le pavois prolétaire, ne feraient pas opérer à l’instant même : 1°le désarment général des gardes bourgeoises ; 2° l’armement et l’organisation en milice nationale de tous les ouvriers. »

            « Sans doute il est bien d‘autres mesures indispensables, mais elles sortiront naturellement de ce premier acte, qui est la garantie préalable, l’unique gage de sécurité pour le peuple. »

            « Il ne doit pas rester un fusil aux mains de la bourgeoisie, hors de là point de salut. »

            « Les doctrines diverses qui se disputent aujourd’hui les sympathies des masses pourront un jour réaliser leurs promesses d’amélioration et de bine être, mais à la condition de ne pas abandonner la proie pour l’ombre. »

            « Elles n’aboutiraient qu’à un lamentable avortement si le peuple, dans son engouement exclusif pour les théories, négligeait le seul élément assuré, la force! »

            « Les armes et l’organisation, voilà l’élément décisif du progrès, le moyen sérieux d’en finir avec la misère Qui a du fer a du pain. On se prosterne devant les baïonnettes, on balaie les cohues désarmées. La France hérissée de travailleurs en armes, c’est l’avènement du socialisme. »

            « En présence des prolétaires armés, obstacles, résistances, impossibilités, tout disparaîtra. »

            « Mais pour les prolétaires qui se laissent amuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d’arbres de la liberté, par des phrases sonores d’avocat, il y aura de l’eau bénite d’abord, des injures ensuite, enfin de la mitraille, de la misère toujours. »

            Cette citation figurait dans l’édition de 1968, de Origine et fonction de la forme parti ce n’est pas le cas des éditions ultérieures où l’ensemble des notes a été supprimé. Voilà pourquoi nous la reportons  ici.

 

 

[27]         Blanqui, Textes choisis, Ed. Sociales p. 201 (L’affaire de la Villette).

 

[28]         Cependant, G. Bernstein indique aussi que : « Le marxisme n’a jamais su se débarrasser complètement de la conception blanquiste » (Socialisme utopique et social-démocratie pratique – Die Voraussetzungen des Sozialismus und die Aufgaben des Sozialdemokratie, éd. Stock, 1900, p. 55).

 

            A. Blanqui fut la bête noire de G. Bernstein, comme l’est Hegel pour Althusser. Tous deux « voient » une coupure en Marx. Mais celle-ci ne se laisse pas facilement saisir. On croit ne plus « lire » Blanqui ou Hegel dans Marx et puis, horreur pertinente, dans un blanc de Marx réapparaît Hegel ou Blanqui ? Ajoutons que Althusser est bien « parent » avec Bernstein, du moins en ce qui concerne les dons de lecture, puisque ce dernier déclarait : « Ce que Marx et Engels ont produit de grand, ils l’ont produit non pas grâce à la dialectique hégélienne, mais malgré elle » (o.c. p. 63).

 

            C’est pourquoi il ne nous est pas possible d’être d’accord avec le traducteur du VI° chapitre inédit du capital de Marx, Roger Dangeville, qui déclare qu’ « aucun révisionniste d’antan n’eût osé le faire [rechercher une faille dans l’œuvre de Marx, n.d.r.] : opposer Marx à lui-même, le mettre en contradiction avec ses propres affirmations et idées, en découpant par exemple son œuvre en écrits de jeunesse et en écrits de maturité » (éd. 10/18, p. 13).

 

            En fait, ce fut toujours la méthode utilisée par les adversaires de Marx. Exemple : certains économistes ou même des socialistes « constatèrent » une coupure entre le 1° et le 3° livre du Capital, disant que Marx avait élaboré une autre théorie dans ce dernier livre en opposition à la théorie de la valeur exposée dans le 1° (certains parlaient simplement d’accommodation). D’autres auteurs soupçonnaient Marx de s’être coupé lui-même : en effet celui-ci serait parvenu après l’étude du Procès de Production immédiat du capital dans une impasse théorique, ce qui l’aurait inhibé, d’où la non parution de son vivant de la suite du Capital. A propos de la valeur, on pourrait justement faire remarquer à M. Dangeville qu’il reprend sans s’en rendre compte des positions des socialistes ricardiens. Mais fi de la polémique ! Terminons, ici, cette note – parenthèse.

 

[29]         Cette deuxième affirmation peut paraître en contradiction avec ce qui est dit dans le deuxième paragraphe de la page 1. Dans ce dernier cas, il semblerait que le prolétariat ait une constante tendance à être révolutionnaire, tandis qu’ici je fais remarquer, qu’à la fin du XIX° siècle, le prolétariat n’est pas révolutionnaire. Je n’ai pas écrit : plus révolutionnaire. Autrement dit, la théorie du prolétariat n’était pas encore niée. Je pensais que cette classe, à la suite d’une crise du mode de production capitaliste, pourrait à nouveau devenir révolutionnaire ; le contenu de son action devenant différent : le prolétariat doit se nier immédiatement au cours du procès révolutionnaire. La différence donc entre les deux textes espacés de sept ans (le premier est de 1964, le second de 1971) est que la révolution est vue d'abord comme ayant pour moment initial, essentiel la constitution du prolétariat en classe, donc en parti ; il doit s'affirmer de façon apparente, bien réelle, en généralisant sa condition à l'ensemble du corps social. Ensuite, je considère que le moment de la constitution du parti est celui-là même de la négation du prolétariat, car le mode de production capitaliste a déjà réalisé sa généralisation. Il en découle que l’appréhension du caractère révolutionnaire du prolétariat est obligatoirement différente dans les deux cas. En outre, dans le second texte, s’insinue la critique à tous ceux qui ont glorifié, mythifié cette classe. Ultérieurement, j’ai été amené à abandonner la théorie du prolétariat. Tout ceci a donc une valeur historique permettant de comprendre un cheminement. (Note de novembre 1976)

 

[30]         Les « théoriciens » du national-socialisme s’appuient sur une donnée réelle : la socialisation des moyens de production et des hommes, opérée par le capital. Ils veulent la circonscrire à un espace donné : la nation.

 

[31]         Il y a entre capital et travail un mouvement dialectique, une interpénétration des contraires et non une opposition rigide, métaphysique, comme l’envisagent la plupart des théoriciens groupusculaires.