5.3. MYSTIFICATION DÉMOCRATIQUE ET  PROLÉTARIAT

 

 

 

 

 

 

          Cette étude commencée en 1962, dont une partie parut dans Invariance, série 1, n° 6, avait en définitive comme présupposition que le prolétariat dans son mouvement révolutionnaire dépassait la démocratie et posait le communisme. Mais l'étude de l'histoire, de la révolution française à nos jours, montre un mouvement différent de celui que nous nous présentions au départ. Il y a effectivement un certain parallélisme entre développement des théories socialistes et mouvement prolétarien. Les prolétaires ont produit leurs propres représentations; elles étaient la plupart du temps réformistes; dans beaucoup de cas ils se sont raccrochés à des théories en place. La question était de savoir que tendaient à mettre en place les prolétaires dans leur lutte contre le capital; les buts dont ils n'avaient pas conscience, il fallait les dévoiler, se rendre compte de ce qui se manifestait dessous le désir apparent, la force brute, etc. C'est là que Marx place la représentation du prolétariat en tant que négation de la totalité sociale et en tant que porteur d'une autre société. Mais c'est là - avec la question du réformisme révolutionnaire de Marx - que nous pouvons voir qu'inévitablement il devait y avoir retour à la démocratie parce que le communisme n'était pas perçu en tant que discontinu réel. On le voyait prendre son essor sur les bases mêmes de la société capitaliste. D'où l'analyse qui suit doit être reprise dans notre nouvelle perspective. ( Avertissement de 1972 )

 

 

 

 

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5.3.1. - Communisme et démocratie

 

 

La naissance du communisme et la rupture avec la démocratie est analysée surtout à travers l'étude de l'œuvre de Marx et d'Engels. Car ce sont eux surtout qui font une telle rupture; la plupart des autres théoriciens ne voient le socialisme ou le communisme que comme une réalisation de la démocratie. Proudhon, Bakounine et autres anarchistes gardent les présuppositions démocratiques.

 

 

 

 

5.3.2. - Démocratie et domination formelle du capital sur la société

 

 

 

5.3.2.1. Période de 1789 à 1848

 

C'est le moment du surgissement du capital, le passage du moment où l'argent dans sa troisième détermination est prépondérant, à la domination formelle dans le procès de production et, dans certains pays, passage à la domination formelle sur la société ( cf. Angleterre par exemple ).

 

5.3.2.2. Période révolutionnaire de 1848 à 1851

 

Étude faite surtout au travers des œuvres de Marx et d'Engels ( cf. La Neue Rheinische Zeitung ).

 

5.3.2.3. Période de reflux de 1852 à 1864

 

5.3.2.4. La constitution du prolétariat en classe: la formation de l'AIT et la Commune, 1864-1871

 

5.3.2.5. Nouvelle période de recul pour le prolétariat: 1871-1914 : période d'extension de la domination formelle du capital à l'ensemble de la planète.

 

 

5.3.3. - Démocratie durant la période de passage de la domination formelle à la domination réelle sur la société: 1914-1945.

 

 

Le fascisme, le nazisme, le new-deal, le franquisme, le salazarisme, ainsi que le stalinisme ont un rôle fondamental dans la l'instauration de la domination réelle du capital sur la société. Sous une autre forme, le front populaire et le mouvement d'occupation des usines (cf. aux USA, mais aussi le mouvement au Brésil ) ont contribué également fortement à cette instauration.

 

N.B. La périodisation ne peut pas être si rigoureuse pour tous les pays : en France, après 1945, se développe le mouvement qui permet la réalisation de la domination réelle et il ne prend de l'ampleur qu'à partir de 1958: le gaullisme.

 

De même il faut voir dans une optique à peu prés similaire le péronisme juste après la guerre de 1939-45; de même, au Brésil, le mouvement de Goulart, dans les années 60 (maximum 1964) relayé par la dictature actuelle.

 

 

5.3.4. - La domination réelle du capital à l'échelle sociale

 

 

Sa généralisation passe par la greffe du mode de production capitaliste en Chine et la consolidation de celui-ci en URSS, par l'intervention de la communauté mondiale représentée par les USA.

 

Ici, il n'y a plus de raison de parler de démocratie. La démocratie sociale pouvait être évoquée en 5.3.3. maintenant ce serait absurde.

 

Ce plan est celui de 1972 qui modifie celui de 1969 pour mieux faire ressortir la thématique en fonction de la périodisation de la société capitaliste. En revanche le contenu est celui originel, 1969 (note de 1990).

 

 

 

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5.3.1. COMMUNISME ET DÉMOCRATIE

 

 

 

5.3.1.1. La mystification démocratique ne pouvait se révéler dans toute sa réalité qu'au moment où se formait la solution historique, la formation du prolétariat en tant que classe: le parti communiste, l'affirmation d'une nouvelle communauté qui soit la véritable Gemeinwesen humaine.

 

En conséquence, avant d'envisager les différents rapports entre prolétariat et démocratie, il est important de définir le cheminement théorique qui aboutit à l'affirmation de la nouvelle Gemeinwesen et donc à la négation positive de la démocratie.

 

Dans une première phase, Marx lutta pour l'autonomie de l'État pour son abstraction, donc pour sa manifestation politique. La philosophie, le parti philosophique doit s'occuper de cette politique, ce parti doit aider à émanciper la politique et l'État de la tutelle théologique (la philosophie n'est pas en dehors du monde); «Seule l'ignorance la plus crasse peut soutenir que cette théorie, celle de l'autonomisation du concept d'État - est une invention actuelle des nouveaux philosophes.»

 

Cette autonomisation, toutes les sciences l'ont effectuée, mais la philosophie doit, de plus, interpréter «les droits de l'homme et demander que l'État soit l’État de la nature humaine.» De plus «un État qui n'est pas la réalisation de la liberté rationnelle est un mauvais État.» En faisant cela on tend à pousser l'action de la bourgeoisie jusque dans ses conséquences les plus radicales et on prépare le terrain à la véritable critique.

 

D'autre part, si la religion est le sommaire des luttes théoriques de l'humanité, l'État est le sommaire des luttes pratiques. Rendre l'État indépendant c'est permettre une certaine émancipation de la pratique. Voilà pourquoi dans un premier temps la démocratie se présentera en tant que solution vis-à-vis de la religion et vis-à-vis de l'État.

 

 

5.3.1.2. Ce faisant Marx rencontre l'œuvre de Hegel qui théorise l'abstraction de l'État et l'abstraie réellement du monde social. C'est un pas en avant. Cela correspond à la réalité du mouvement bourgeois. La bourgeoisie a fait de l'État une abstraction pour mieux le conquérir. Il faut cette abstraction pour avoir le véritable État (Question juive).

 

Ensuite au sein de cet État, lutte pour le conquérir ( lui donner un contenu ), car il était la réalisation de l'homme abstrait.

 

Cependant Hegel ne résout les contradictions individu-universel, constitution-peuple, qu'avec un sophisme. La véritable solution c'est la démocratie. Cf. Analyse de la Critique de la philosophie de l'État de Hegel à la fin de cette étude.

 

 

5.3.1.3. La tâche est donc de réaliser la démocratie.

 

« Le sentiment de la dignité personnelle, la liberté, il fallait d'abord les réveiller dans la poitrine des hommes. Ce sentiment seul qui, avec les grecs, disparaît de ce monde et, après le christianisme, s'évanouit dans la vapeur bleue du ciel, peut re-transformer la société en une communauté d'hommes en vue de leurs fins les plus élevées, en faire un État démocratique. » Marx à Ruge in Œuvres philosophiques, Ed. Costes, t.1, ( pp. 338-339 )

 

« Une fois qu'il est parvenu au monde animal politique, il n'y a plus d'autre réaction que d'aller jusqu'à lui, et plus d'autre Vordringen que d'en abandonner la base et de passer au monde humain de la démocratie. » (idem. p. 341) (84)

 

 

5.3.1.4. Le socialisme apparaît comme unilatéral :

 

«Et tout le principe socialiste n'est à son tour que le seul côté qui concerne la réalité du véritable être humain. »

 

«Ce communisme n'est lui-même qu'une manifestation particulière du principe humaniste, infesté de son contraire la propriété privée

 

On doit tenir compte que ces lettres à Ruge sont écrites après l'étude non terminée du point de vue de l'exposition de la philosophie de l'État de Hegel ( la première est avant l'étude, la deuxième postérieure ). Voilà pourquoi on sent le renversement dans la deuxième : la philosophie doit faire une critique sans prendre de considération aucune de tout ce qui existe; elle ne doit pas donner de solutions toutes faites. Il faut se mettre sur le terrain qui a engendré la philosophie et non rester au niveau de cette dernière.

 

«La raison a toujours existé, pas toujours, seulement, sous une forme rationnelle. Le critique peut ainsi s'attacher à chaque forme de conscience théorique et pratique et développer à partir des formes particulières de l'effectivité (Wirklichkeit) existante, la véritable effectivité en tant que celle-ci est le devoir ( Sollen ) et le but final de celle-là. En ce qui concerne la vie effective, l'État politique, même là où il n'est pas rempli des exigences socialistes, contient directement, sous toutes ses formes modernes, les exigences de la raison. Et il en reste là. Il suppose partout la raison comme réalisée. Mais partout il tombe dans la contradiction entre sa détermination (Bestimmung) idéale et ses présuppositions réelles.»

 

«C'est à partir de ce conflit entre l'État politique et lui-même que la vérité sociale peut se développer partout. De même que la religion est le sommaire des luttes théoriques de l'humanité, l'Etat politique est le sommaire des luttes pratiques. L'État politique exprime ainsi, à l'intérieur de sa forme, toutes les luttes sociales, tous les besoins et toutes les vérités sociales sub specie republicae.

 

( ... ) Nous lui montrons seulement pourquoi il lutte en réalité et la conscience est une chose qu'il ( le monde, n.d.r) doit s'approprier, même s'il ne le veut pas. » Marx à Ruge, septembre 1843

 

 À noter: l'accent mis sur la nécessité de partir des conditions réelles; l'absence de conscience venant de l'extérieur.

 

«La réforme de la conscience consiste seulement à faire en sorte que le monde s'aperçoive de sa conscience ( dass man die Welt ihr Bewusstsein innenwerden lässt ) à le sortir du rêve qu'il fait sur lui-même ( dass man sie aus dem Traum über isch selbst aufweckt ) à lui rendre claires ses propres actions. Tout notre but ne peut consister, comme c'est d'ailleurs le cas dans la critique de la religion de Feuerbach, qu'à donner une forme humaine consciente aux questions religieuses et politiques

 

«On montrera enfin que l'humanité ne commence aucun nouveau travail, mais achève avec conscience son ancien travail

 

C'est un comportement anti-démocratique puisqu'il abolit la dualité et donc la médiation nécessaire pour reconstituer l'unité ( délégation des pouvoirs, représentation parlementaire apparaissent comme équivalents généraux ); cependant la conscience est potentielle et non en acte.

 

 

5.3.1.5. Nous n'en sommes qu'au renversement du mode d'appréhension de la réalité sociale : moment de la généralisation. C'est la négation non positive de la société bourgeoise. La démocratie est vue comme contenant en elle une contradiction, une non-vérité; la liberté politique est un semblant de liberté, la pure forme de l'esclavage. D'où la vraie liberté, la vraie égalité, c'est le communisme. Autrement dit le communisme sera la réalisation de la démocratie véritable ( Cf. Progrès de la réforme sociale sur la continent , Engels, 1843 ).

 

Le Communisme est donc la réalisation de la démocratie. En même temps un argument politique est ici avancé : nous réalisons ce que vous prétendez vouloir effectuer; votre mouvement est donc dépassé, place au socialisme. D'où :

 

« La démocratie c'est-à-dire aujourd'hui le communisme... »

 

« Tout le mouvement européen d'aujourd'hui n'est que le deuxième acte de la révolution, que la préparation pour le dénouement du drame qui commença à Paris en 1789 et a maintenant toute l'Europe pour scène. » Engels, « La fête des nations à Londres », fin 1845.

 

Ceci se comprend: on entrevoyait, à l'époque, une longue période entre capitalisme et communisme; il fallait la dictature du prolétariat pour établir une nouvelle organisation de la société. La démocratie pouvait encore être réclamée; le communisme ne s'imposait pas de façon précise. Cependant, Engels, dès ce moment-là est contre la nation. « Seuls les prolétaires peuvent détruire les nationalités; le prolétariat mûr seul peut faire fraterniser les différentes nations. » Werke, t.1, ( p. 614 ).

 

Mais ce qu'il y a de plus important c'est que la révolution communiste est encore vue comme prolongement, comme complément de celle de 1789; et là c'est le terrain même où s'enlisera le blanquisme. Marx aussi aura à un moment cette position (Cf. article sur K. Heinzen ). Nous pouvons dire que depuis c'est la différenciation entre la révolution bourgeoise et la révolution prolétarienne communiste qui s'est opérée; au fond c'est seulement maintenant que ceci s'est effectué et que la révolution a toutes ses chances. La coupure avec la révolution de 89 dut se faire sur tous les plans; elle s'effectua pour la classe de façon nette dans la pratique en 1848 et surtout en 1871. La contre-révolution ( et ce surtout en ce qui concerne la théorie ) réinstalla la confusion (cf. le cas de la France où la secousse de la révolution russe ne fit finalement que réactualiser les révolutionnaires de la période de 89-95, cela n'alla pas au -delà de Babeuf ).

 

 

5.3.1.6. La rupture avec la démocratie s'opère avec  Pour la critique de la philosophie du droit de Hegel  où pour la première fois est affirmé de façon explosive, en tant que négation absolue, le prolétariat classe qui ne peut faire qu'une révolution radicale, universelle, à un titre humain.

 

« La philosophie ne peut se réaliser sans la suppression du prolétariat, le prolétariat ne peut se supprimer sans la réalisation de la philosophie. »

 

Par là se termine la critique à la philosophie; le terrain de l'étude, de la recherche est totalement déplacé.

 

 

5.3.1.7. Marx était en ce qui concerne la critique au stade de Feuerbach; il faisait de l'homme une objectivité sensible : « Hegel part ici de l'Etat et fait de l'homme l'Etat subjective, la démocratie part de l'homme et fait de l'Etat l'homme objectivé. » Cette objectivité sensible peut encore avoir besoin d'un État qui a bien entendu une constitution où l'homme est le principe. Il a encore besoin d'une forme d'organisation. » En revanche dans les « Notes critiques marginales... » Marx envisage l'homme comme une activité sensible et la forme d'organisation est l'être humain, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de problème d'organisation : « L'être humain est la véritable Gemeinwesen de l'homme. »

 

Dès lors la démocratie est réellement dépassée puisque le sont les données de l'individu et de l'Ètat et qu'à la place on a l'homme social et la Gemeinwesen (ce qui n'implique pas une substitution au sens chimique du terme). Ces deux derniers éléments ne constituent pas un nouveau dualisme parce que l'homme social pose directement la Gemeinwesen et celle-ci l'homme social.

 

 

5.3.1.8. Dans « Pour la question juive » on trouve la critique virulente de la société bourgeoisie, de la démocratie et de son corollaire l'émancipation politique.

 

« L'émancipation politique est en effet un grand progrès. Elle n'est pas, il est vrai, la dernière forme de l'émancipation humaine en général, mais elle est la dernière forme de l'émancipation à l'intérieur de l'ordre mondial en vigueur. »

 

Il dénonce violemment la supercherie des droits de l'homme :

 

« La création imaginaire, le postulat du christianisme, la souveraineté de l'homme, mais en tant qu'être étranger et différent de l'homme réel, tout cela est dans la démocratie, la réalité sensible, présente, une maxime du monde profane. »

 

On a la mise en évidence de la coupure, de la dichotomie absolue homme-citoyen donc le parachèvement de l'abstraction de l'homme. L'homme en tant qu'homme est un pur esprit, tandis que l'homme réel est le citoyen soumis aux impératifs de la société bourgeoise, puis de la société capitaliste.

 

« Le droit de liberté repose non sur l'union de l'homme avec l'homme mais plutôt sur la séparation de l'homme avec l'homme. C'est le droit de cette séparation, le droit de l'individu limité, limité à lui-même. »

 

 « La vie politique n'est qu'un simple moyen dont le but est la vie de la société bourgeoise. »

 

La démocratie est la forme parachevée du dualisme, mais d'un dualisme pratique; c'est la réalisation pratique de la religion.

 

 

5.3.1.9. Avec les Manuscrits de 1844 la rupture exprimée dans les oeuvres antérieures est définitivement fondée par la mise en évidence du communisme dissolution des antique énigmes et négation positive de la démocratie. En effet, ils sont la première rédaction du Capital; ils montrent tout le mouvement économique comme fondant les différents moments de l'aliénation de l'homme; on y trouve l'indication que la démocratie est expression de cette aliénation, l'essai de la faire supporter, de la concilier; pour ce faire elle l'englobe mais ne la détruit pas ( l'aliénation est liée à un dualisme comme la démocratie ).

 

 

5.3.1.10. À la même époque, Engels :

 

« Mais la simple démocratie n'est pas capable de guérir le mal social. L'égalité démocratique est une chimère, le combat des pauvres contre les riches ne peut être livré sur le terrain de la démocratie ou de la politique en général. Aussi ce stade est donc encore un passage, le dernier moyen politique qui est encore à essayer et d'où doit se développer un nouvel élément, un principe qui dépasse toute nature politique.

 

Ce principe c'est le socialisme. »

 

Cependant il est à noter qu'il dit qu'il est encore à essayer, ce qui implique une possibilité d'utilisation de la démocratie. Et c'est sur ce terrain qu'on retrouvera la démocratie et que le mouvement prolétarien s'enlisera d'ailleurs.

 

 

5.3.1.11. Dans la Sainte famille est réaffirmé de façon plus catégorique que le sujet de la transformation est le prolétariat.

 

« Si les auteurs socialistes attribuent au prolétariat ce rôle mondial, ce n'est pas du tout, comme la critique affecte de le croire, parce qu'ils considèrent les prolétaires comme des dieux. C´est plutôt le contraire. Dans le prolétariat pleinement développé, il est fait abstraction de toute humanité; même de l'apparence de l'humanité; dans les conditions d'existence du prolétariat se trouvent condensées, sous leur forme la plus inhumaine toutes les conditions d'existence de la société actuelle; l'homme s'est perdu lui-même, mais il a, en même temps, non seulement acquis la conscience théorique de cette perte, il a été contraint directement, par la nécessité désormais inéluctable, impossible à pallier, absolument impérieuse - par l'expression pratique de la nécessité - à se révolter contre cette inhumanité : et c'est de tout cela que le prolétariat peut et doit s'affranchir lui-même. Mais il ne peut s'affranchir lui-même, sans supprimer ses propres conditions d'existence. Il ne peut supprimer ses propres conditions d'existence, sans supprimer toutes les conditions d'existence inhumaine de la société actuelle qui se condensent dans sa situation. Ce n'est pas en vain qu'il passe par l'école rude, mais fortifiante du travail. il ne s'agit pas de savoir ce que tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier, se propose momentanément comme but. Il s'agit de savoir ce que le prolétariat est et ce qu'il doit historiquement faire conformément à son être. Son but et son action lui sont traces, de manière tangible et irrévocable, dans toute l'organisation de la société bourgeoise actuelle. » ( Ed. Costes, pp. 62-63 )

 

De nouveau le dualisme est condamné.

 

« Ce rapport ( esprit masse, n.d.r ) découvert par M. Bruno, n'est en effet rien d'autre que le parachèvement critique et caricatural de la théorie historique de Hegel qui de son côté n'est que l'expression spéculative du dogme germano-chrétien de l'opposition de l'esprit et de la matière, du dieu et du monde. Cette opposition s'exprime en effet dans l'histoire sous la forme suivante : quelques individus élus s'opposent en tant qu'esprit actif au reste de l'humanité considérée comme la masse sans esprit, la matière. » ( t. II, p. 150 )

 

« On démontra que la reconnaissance des droits de l'homme par l'Etat moderne n'a pas d'autre signification que la reconnaissance de l'esclavage antique. La base de l'État antique c'était l'esclavage; la base de l'État moderne, c'est la société bourgeoise, c'est-à-dire l'homme, indépendant rattaché simplement aux autres hommes par le lien de l'intérêt prive et de l'inconsciente nécessité naturelle, l'esclavage du travail utilitaire, de ses propres besoins et des besoins égoïstes d'autrui. Cette base naturelle, l'État moderne l'a reconnue comme telle dans les, droits naturels de l'homme. » ( p. 202 )

 

« Mais l'esclavage de la société bourgeoise est, en apparence, l'indépendance achevée de l'individu pour qui le mouvement effréné, libéré des entraves générales et des limitations imposées par l'homme, des éléments vitaux dont cri l'a dépouillé, la propriété par exemple, l'industrie, la religion, etc., est la manifestation de sa propre liberté, alors que ce n'est en réalité que l'expression de son asservissement absolu et de la perte de son caractère humain. Ici, le privilège a été remplacé par le droit. » ( p. 208 )

 

Donc mystification totale. Et, ici, c'est le lieu de préciser que mystification indique un processus dont le résultat est le fétiche, comme Marx le montre de façon claire et nette dans « Pour la critique de l'économie politique » et dans  Le capital .

 

D'autre part Marx rappelle qu'avec l'État bourgeois finit la politique.

 

« Dans État moderne développé, c'est tout le contraire. L'État déclare que la religion ainsi que les autres éléments de la vie bourgeoise n'ont commencé à exister dans leur pleine étendue que le jour où il les a déclarés non politiques et les a abandonnés à eux-mêmes. La désagrégation de son existence politique, tout comme, par exemple, la désagrégation de la religion par la suppression de l'Eglise Etat, cette proclamation de sa mort civique, a précisément comme corrélatif sa vie la plus puissante, qui dès lors, obéit tranquillement à ses propres lois et déploie toute la largeur de son existence. » ( pp. 209-210 )

 

Ceci rappelle l'affirmation de la question juive et pose les données de la démocratie sociale (cf. Thèses sur la démocratie in n° 6, série I)

 

 

5.3.1.12. Avec l'Idéologie allemande l'affirmation centrale est toujours présente et elle est fondée sur une étude historique, c'est-à-dire à travers la succession des rapports sociaux depuis la préhistoire. On a à la fois la reprise des Manuscrits de 1844, une première rédaction des formes, la préface de 1859 et une polémique féroce contre Stirner, Bauer, pour montrer que le communisme est dépassement de l'État. La question de la destruction de l'État a été en premier lieu posée par les communistes; que le communisme n'est pas la négation de l'individu sinon il ne serait rien d'autre que le capitalisme, mais qu'il sera le plein épanouissement de l'homme social et simultanément de la véritable Gemeinwesen. Le prolétariat est encore une fois présenté comme étant le seul sujet apte à conduire la transformation de la société.

 

« Il s'ensuit que toutes les luttes à l'intérieur de l'État, la lutte entre la démocratie, l'aristocratie et la monarchie, la lutte pour le droit de vote, etc., en somme l'universel, ne sont que la forme illusoire sous lesquelles se font les luttes réelles des différentes classes entre elles ( ce dont les théoriciens allemands n'ont pas la moindre idée, bien que dans les Deutche französische Jahrbücher et dans la Sainte-famille on leur ait suffisamment indiqué le chemin ), et en outre que toute la classe qui aspire au pouvoir bien que sa domination conditionne comme c'est le cas pour le prolétariat, la suppression de toute la vieille forme de la société et de la domination en général et doive d'abord conquérir la puissance politique, pour représenter de nouveau son intérêt comme intérêt général, à quoi elle est contrainte au premier moment. »

 

« Le communisme n'est pas pour nous un état qui doit être établi ni un idéal d'après lequel la réalité doit se comporter. Nous appelons communisme le mouvement réel qui supprime l'état de choses actuel. Les conditions de ce mouvement découlent de la présupposition actuellement existante. »

 

« Le prolétariat ne peut donc exister qu'on fonction de l'histoire universelle, comme le communisme son action ne peut exister qu'en tant qu'existence « ressortissant à l'histoire universelle ». Existence ressortissant à l'histoire universelle c'est-à-dire existence des individus rattachés directement à l'histoire. »

 

On doit noter que c'est dans l'Idéologie allemande (1845 - été 1846) que Marx et Engels anticipent peut-être le plus et ne décrivent pas le mouvement immédiat, ce qui est immédiatement possible. On y trouve la revendication de l'abolition du travail, l'exposé de la formation de la classe universelle, celui du rapport individu société décrit de façon plus concrète que dans les autres oeuvres de Marx, sans entrer en contradiction avec elles. Cette oeuvre clôt effectivement un cycle. Marx ne devient pas simplement Marx et à partir de là effectuerait son oeuvre réelle; c'est l'achèvement d'un cycle culminant avec l'arrivée de la révolution - et dont Misère de la philosophie est l'autre aspect apical - car il y a une anticipation que bien souvent on ne retrouvera plus dans l'œuvre mûre de Marx et surtout dans celle d'Engels. Dans Le capital, par exemple, on trouve exprimé de la façon la plus précise le réformisme révolutionnaire de Marx, le développement des possibles en effectivités à un moment historique donné. Il n'y a pas de réelle anticipation. On ne peut pas dire que la description du socialisme inférieur en sait une puisque c'est un possible qui pouvait immédiatement s'effectuer. En revanche dans l'idéologie allemande, il y a réellement un saut révolutionnaire dans la perception du devenir social total.

 

 

5.3.1.13. Misère de la philosophie complète l'Idéologie allemande : rupture avec les théoriciens immédiats du socialisme, avec les glorificateurs du prolétariat, les partisans de la philosophie de la production et de l'exploitation; les opposants immédiats au capital etc., ( les socialistes ricardiens ). Il y a indication de la constitution du prolétariat en classe de façon non conceptuelle mais pour ainsi dire concrète, alors que l'Idéologie allemande cette classe est définie par sa fonction historique : détruire le capital et toute espèce de société de classes. On précise ici : la classe prolétarienne devra détruire le dualisme, « L'organisation des éléments révolutionnaires comme il suppose l'existence de toutes les forces productives qui pouvaient s'engendrer dans la vieille société. »

 

« Est-ce à dire qu'après la chute de l'ancienne société il y aura une nouvelle domination de classe, se résumant à un nouveau pouvoir politique ? non. »

 

« La condition d'affranchissement de la classe laborieuse c'est l'abolition de toute classe, de même que les conditions d'affranchissement du Tiers-État de l'ordre bourgeois fut l'abolition de tous les états, de tous les ordres. »

 

« La classe laborieuse substitue dans le cours de son développement, à l'ancienne société civile une association qui exclura les classes et leur antagonisme, et il n'y aura plus de pouvoir politique proprement dit, puisque le pouvoir politique est précisément le résumé officiel de l'antagonisme dans la société civile. » ( p. 135 )

 

 

5.3.1.14. À la veille donc de la révolution de 48, avant la publication du Manifeste du parti communiste, on a les positions fondamentales suivantes :

 

 
-  Le communisme comme négation positive de la démocratie.

 

-  Avec la réalisation de la société bourgeoise on a la fin de la politique,

 

-  Le prolétariat classe universelle détruit l'État bourgeois et permet le développement du communisme, pour ce faire il faut qu'il se constitue en classe et donc en parti.

 

-  Pas de conquête de l'État de l'intérieur.

 

- Le prolétariat doit accomplir une révolution radicale, une révolution politique à âme sociale.

 

 

5.3.1.15. Pour comprendre les positions contenues dans le Manifeste qui apparaissent en retrait par rapport à celles exposées ci-dessus, il faut tenir compte de cette remarque de Marx de 1847.

 

« Si donc le prolétariat renverse la suprématie politique de la bourgeoisie, sa victoire ne sera que passagère - un simple facteur au service de la révolution bourgeoise même, tout comme en 1794 - aussi longtemps que, dans le cours de l'histoire, c'est-à-dire dans son mouvement, ne se trouveront pas créées les conditions matérielles qui rendent nécessaires l'abrogation du mode de production bourgeois et par conséquent la chute définitive de la suprématie politique bourgeoise. La terreur ne devait donc servir en France qu'à faire disparaître comme par enchantement, sous ses terribles coups de marteau, les ruines féodales du territoire français. La bourgeoisie avec ses conceptions timorées et trop conciliantes, n'eût pas eu assez de plusieurs dizaines d'années pour achever cette besogne. L'intervention sanglante du peuple ne fit que lui préparer les voies. »

 

 

5.3.1.16. Ce n'est pas parce que la solution a été trouvée qu'elle peut devenir immédiatement effective. La solution est celle de l'opposition du prolétariat au capital, saisie au moment où l'un et l'autre des protagonistes commencent à peine leur développement. C'est en ce sens justement que la théorie du prolétariat, le marxisme, anticipe et ceci était possible parce que coexistaient tous les éléments requis pour le faire : société féodale, restes de la communauté paysanne, ultimes vestiges de l'antique communauté, la bourgeoise démocrate et le prolétariat avec le communisme.

 

Une fois cette solution indiquée, il pouvait sembler en effet que tout fut résolu. Or il était facile sur le plan théorique ( à partir des luttes prolétariennes antérieures et de celles en cours ) de se défaire de la démocratie, de monter qu'elle n'avait été nécessaire que pour une période déterminée de la vie de l'espèce, facile de révéler le dualisme qu'elle implique et donc son antinomie au communisme. Mais sur le plan de l'action se pose le problème du mouvement intermédiaire entre le moment où la théorie surgit et celui de sa réalisation effective; problème de la volonté : comment intervenir pour pouvoir accélérer le développement, favoriser l'épanouissement des conditions rendant le communisme possible. C'est là qu'on retrouve la question de la démocratie de son utilisation, qui semblait avoir été éliminée pour toujours.

 

Mais d'autre part, on entre dans le processus même de la mystification démocratique : intervenir, opérer un acte volontaire pour essayer de favoriser le mouvement contenait en germe la possibilité de penser que c'était cela qui était déterminant ( la volonté de quelques-uns ). D'autre part l'obtention de l'accord pour cette action c'est-à-dire la consultation des hommes pour l'accomplir allait apparaître comme essentielle alors que les décisions n'étaient possibles que dans un cadre bien déterminé et que les questions suggérées avec leurs solutions (mystification non seulement dans la réponse mais déjà dans la question ) étaient suggérées par la classe dominante, elle-même déterminée par le mode de production. Car comme toujours l'élément intermédiaire s'autonomise : l'utilisation de la démocratie en vue de faciliter l'organisation unification de la classe, afin d'accélérer la domination du capital, devait parvenir au premier plan.

 

Corrélativement se posait et se pose encore ne serait-ce que pour une compréhension de l'histoire de la classe, la nécessité de délimiter les bornes entre lesquelles l'utilisation de la démocratie est possible : utilisation soit à l'intérieur, soit à l'extérieur de la classe; dans quelles limites chaque fois celle-ci était envisagée, comment voulait-on l'utiliser. Cela ne peut être compris, même rétrospectivement, que si on clarifie les points suivants : 1. domination formelle et réelle du capital, 2. parti historique et parti formel, 3. tactique directe et indirecte, 4. question centrale du point de vue de la lutte révolutionnaire : la destruction de l'obstacle fondamental du féodalisme russe qui bloque le développement non seulement vers le communisme, mais même vers le capitalisme. On doit ajouter la question du réformisme révolutionnaire.

 

Ce qui est important dans la domination formelle du capital c'est qu'à ce moment-là se réalise la politique, comme Marx l'avait affirmé, réalisation qui pose son dépassement. Le capital n'est pas la force dominante; il doit s'emparer de l'Etat et, par son procès de valorisation, transformer les antiques présuppositions en présuppositions capitalistes, dans cette lutte le prolétariat pourrait très bien lui aussi utiliser la démocratie comme nous le verrons ultérieurement et alors on pourrait même avoir la révolution pacifique, possibilité historique définitivement perdue à partir d'un certain moment donné.

 

         Dès lors que tout ce qui fonde la société est dépendant du, ou directement engendré par le capital, la politique n'existe plus de manière déterminante. Elle entre dans le folklore, comme un élément mystificateur de la représentation du capital.

 

L'affirmation théorique globale du rôle du prolétariat dans l'histoire et de l'accession de l'humanité au communisme, représente le but du mouvement communiste, celui pour lequel les divers groupements ont lutté; tout cela constitue le parti dans sa large acceptation historique; au contraire le parti formel est celui qui est un produit direct de la société - des luttes qui s'y déroulent - à un moment donné; il exprime les possibilités qu'elle recèle et il lutte pour réaliser ce qu'il est possible de réaliser tout en gardant présente la possibilité d'une transcroissance éventuelle.

 

Il est clair que le parti formel en élément duel du parti historique ne peut exister que dans la mesure où il y a certaines tâches intermédiaires à accomplir et ce d'autant plus que la bourgeoisie est faible, et que le mode de production féodal oppose une force de résistance puissante; mieux cela se pose dans la mesure où il faut réaliser, à la place de la bourgeoisie, les tâches qu'elles auraient dû accomplir.

 

       La stratégie est prévision des rapports de classe à un moment donné, lors de leur heurt futur, elle s'occupe donc des positions respectives des classes au moment immédiat et au moment du futur révolutionnaire; elle s'occupe des positions qu'il est possible de conquérir avant l'engagement; elle est prévisionnelle. En elle s'affirme le rôle irremplaçable de la théorie. La tactique s'occupe des règles de l'engagement quand celui-ci a commencé; elle est dépendante de la stratégie. Car on peut se poser très tôt: quelle peut être l'action qui puisse réellement accélérer un processus ? ou quel développement des luttes qui sont absolument hors de notre contrôle peut avoir une issue favorable pour une intervention future ? ex : la destruction du tsarisme lors d'un heurt entre une nation quelconque et la Russie.

 

Il est évident qu'il y aura toujours une question de tactique mais celle-ci perd fondamentalement de l'importance à partir du moment où il n'y a plus de distinction possible entre tactique directe et tactique indirecte (la première est en rapport avec la possibilité d'utiliser la démocratie - à l'intérieur comme à l'extérieur de la classe - la seconde est lutte directe pour le communisme ).

 

 

 

5.3.2. DEMOCRATIE EN DOMINATION FORMELLE DU CAPITAL

 

 

 

5.3.2.1. Période de 1789 à 1848

 

 

5.3.2.1.1. Avant d'envisager la période de domination formelle proprement dite il est nécessaire de se préoccuper de la période où le capital n'est pas encore parvenu à la domination, période où l'on a la formule A-M-M'-A', celle de l'argent dans sa troisième détermination, argent devenant capital. Cette période est celle des premières révolutions bourgeoises ( la Réforme en Allemagne, par exemple ). Or, dès ce moment-là surgit une position qui n'emprunte pas à la démocratie mais exprime la volonté de structurer à nouveau soit le communisme primitif, soit le christianisme primitif, lui-même essai de retrouver le premier.

 

Pour comprendre cette période il faut tenir compte à la fois de la puissance de la communauté féodale, de celle agraire et de l'existence de l'État en tant qu'équivalent général similaire à l'or. (Cf. Grundrisse)  Cf. Bécheux, niveleurs, et divers mouvements similaires.

 

5.3.2.1.2. Au début donc le prolétariat est au sein du peuple, il n'en émerge pas; il défend donc la démocratie ( la revendique ), il lutte pour elle car c'est le mouvement même de sa propre production. Le prolétariat est tout au plus une classe mobilisée mais non mobilisatrice. Pourtant malgré ce, en pleine révolution française, il y a un courant qui va au-delà de la démocratie ne serait-ce qu'en posant la question de la réalisation de la vraie démocratie.

 

« Loin de nous cette pusillanimité qui nous ferait croire que nous ne pouvons rien par nous-mêmes et qu'il nous faut toujours avec nous des gouvernants. Les gouvernants ne font des révolutions que pour toujours gouverner. Nous voulons en faire une pour assurer à jamais le bonheur du peuple par la vraie démocratie. Sans-culottes ! écartons nos idées d'une simple animadversion contre quelques hommes; c'est pour du pain, l'aisance et la liberté que nous nous échauffons. » Babeuf, ( p. 63 ).

 

Babeuf dénonce la déclaration des droits de l'homme :

 

« que chaque article de la constitution soit pur des expressions et des définitions, à la portée du plus gros bon sens, sans ambiguïté, sans possibilité de commentaires ou d'interprétations, sans la moindre laissée aux arguties des fabricateurs de pernicieuses doctrines, des embrouilleurs de textes, des chercheurs de juristes de faux-fuyants.

 

En observant la racine de mes principes, vous aurez pu deviner que je serais d'avis que les successeurs de l'Assemblée Constituante refondissent son oeuvre de fond en comble, sans épargner même la déclaration des droits, selon moi trop incomplète, trop peu substantielle et rédigée dans des termes trop peu précis et trop peu nets. Il y a abondance de mots, mais sous cette prolixité par trop métaphysique se cache le perfide moyen de neutraliser ou de réduire à de simples apparences qui s'annoncent d'abord comme une réalité. L'appât et le piège s'y confondent si bien qu'en étudiant cette déclaration, on ne tarde pas à s'apercevoir qu'elle est un leurre, tel que devaient le concevoir les endormeurs du peuple. Leur déclaration n'a que la valeur d'un hochet. » ( pp. 57-58 )

 

En voulant la vraie démocratie, en poussant à bout les données, en généralisant, il anticipe les mesures que prendra la Commune de Paris.

 

« La possibilité du retrait de mandat est une menace utile, indispensable; elle est avec la publicité de tous les votes une des meilleurs garanties pour le peuple. » ( p. 59 )

 

D'autre part, il dénonce l'incapacité, l'infirmité du principe démocratique pour régler des questions essentielles ( par exemple celle de l'insurrection - sur ce point Blanqui est son disciple ).

 

« Ce sophisme, cette théologie subtile qui établit la nécessité de la réunion du peuple à voter pour légitimer une insurrection, est une manière heureuse d'avoir l'air de rendre hommage aux principes, lorsqu'on sait que par la forme, l'impossibilité certaine assure le règne éternellement paisible des oppresseurs. »

 

Enfin il arrive à remettre en cause la société du droit, et toutes les illusions idéologiques.

 

« La valeur de l'intelligence est une question d'opinion, il faut examiner si la force purement naturelle et physique ne la vaut pas. »

 

 

5.3.2.1.3. Quelques années plus tard, certains chartistes répondirent affirmativement. Ce furent les adeptes de la force physique. Cependant ils furent supplantés par les partisans de la force morale qui, en prônant et en réalisant l'alliance avec les radicaux bourgeois, firent du mouvement ouvrier anglais un appendice de la bourgeoisie; le mouvement chartiste s'enlisa dans le marais démocratique. La revendication, l'agitation pour le mois saint, mois au cours duquel s'effectuerait l'expropriation des expropriateurs, était encore une revendication antidémocratique.

 

 

5.3.2.1.4. Même les théories surgissant sur la base de la faiblesse numérique du prolétariat ne sont pas imprégnées de démocratie. Cela est surtout vrai pour Fourier. Le but est la constitution d'une nouvelle communauté. Il en est même pour toute la tradition des utopistes à partir de T. Morus, Campanella en passant par Mably. Ces utopies sont tout au plus remplies du principe égalitaire, un des fondements de la démocratie idéale; la démocratie en tant que conciliation entre les classes est en dehors de leurs préoccupations, ne serait-ce que parce que le conflit entre celles-ci n'a pas atteint une acuité suffisante pour pouvoir être extériorisé en une utopie et parce que toute utopie est une vision nivellatrice de l'humanité; elle se situe en dehors du champ démocratique parce que tendance à rupture avec l'ordre établi.

 

 

5.3.2.1.5. L'œuvre qui exprime au mieux l'état du prolétariat en domination formelle du capital, sa volonté de se constituer en classe, donc d'émerger tant de la société féodale que de celle bourgeoise, est celle de Flora Tristan: L'Union ouvrière , 1843.

 

     1. Constituer la classe ouvrière au moyen d'une Union complète, solide et indissoluble.

 

     2. Faire représenter la classe ouvrière devant la nation par un défenseur choisi par l'Union ouvrière et salarié par elle, afin qu'il soit bien constaté que cette classe a son droit d'être, et que les autres classes l´acceptent.

 

     3. Réclamer, au nom du droit, contre les empiétements, les privilèges.

 

       4. Faire reconnaître la légitimité de la propriété des bras. ( En France, 25 millions de prolétaires n'ont pour toute propriété que leurs bras. )

 

         5. Faire reconnaître la légitimité du droit au travail pour tous et pour toutes.

 

         6. Examiner la possibilité d'organiser le travail dans  l'état social actuel.

 

         7. Elever dans chaque département des palais de l'Union ouvrière où l'on instruira les enfants de la classe ouvrière intellectuellement et professionnellement, et où seront admis les ouvriers et les ouvrières blessées en travaillant et ceux qui sont infirmes ou vieux.

 

          8. Reconnaître l'urgente nécessite de donner aux femmes du peuple une éducation morale, intellectuelle, et professionnelle, afin qu'elles deviennent les agents moralisateurs des homes du peuple.

 

         9. Reconnaître en principe, l'égalité en droit de l'homme et de la femme comme étant l'unique moyen de constituer l'Unité humaine.

 

Tout en incluant en son sein des revendications de type démocratique ( droit, égalité, etc., ), c'est l'affirmation du monopole de classe, des bras, de la force vivante vis-à-vis du capital. Il n'y a donc pas de démocratie; cela va au-delà. C'est d'autre part l'affirmation complémentaire, came le monopole est le complément de la libre-concurrence. De même les syndicats à l'origine tout en effectuant une contestation de la plus-value de type démocratique, sont en définitive des éléments de constitution du monopole de classe, et entraient en contradiction avec la libre concurrence. Ce sont les éléments mêmes de la constitution d'une démocratie sociale.

 

« Si nous voulons que la classe ouvrière devienne une force ... notre premier devoir et la première nécessité sera l'organisation des ouvriers. » S. Born : Programme de la « fraternité des ouvriers ». ( S. Born fut membre de la Ligue des communistes )

 

 

5.3.2.1.6. Ces propositions de F. Tristan rencontrent en grande partie celles du Manifeste. L'immense différence c'est que dans ce dernier (et surtout dans les oeuvres antérieures de Marx ) il y a l'affirmation de la nécessité de la destruction du prolétariat, la grande tâche du XIXe. siècle. Le Manifeste revendique :

 

*   Organisation du prolétariat en classe, donc en parti.

 

*  Erection du prolétariat en classe dominante et, pour la réalisation de ceci de façon effective, généralisation de la condition de prolétaire à l'ensemble des hommes; accroissement des forces productives.

 

 * Négation des classes, suppression du prolétariat, affirmation du communisme.

 

Autrement dit développement des forces productives (ce que réalisera le capital ) sous le contrôle du prolétariat, tel est le sens de l'érection en classe dominante. Ceci implique obligatoirement la conquête de la démocratie puisque cette dernière nécessite la généralisation du libre-échange, de la concurrence avec la destruction des antiques rapports sociaux; conquête de la démocratie afin de diriger ce mouvement. En revanche avec la domination du capital on aura affaire à un mouvement autonomisé par rapport aux homes.

 

« Nous avons vu plus haut que la première étape de la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie.

 

« Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l'État, c'est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter plus vite la quantité des forces productives. » ( pp. 45-46 )

 

Étant donné que le capitalisme et le communisme ont pour base la socialisation de la production et des hommes, il apparaît que dès que le processus est enclenché, le prolétariat peut le diriger. En conséquence il ne développera pas le communisme, mais il élargira les bases favorables à son développement. Voilà le pourquoi des mesures suivantes :

 

1. Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de l'État.

 

5. Centralisation du crédit entre les mains de l'État, au moyen d'une banque nationale dont le capital appartiendra à l'Etat, et qui jouira d'un monopole exclusif.

 

6. Centralisation entre les mains de l'État de tous les moyens de transport.

 

7. Multiplication des manufactures nationales et des instruments de production; défrichement des terrains incultes et améliorations des terres cultivées, d'après un plan d'ensemble.

 

8. Travail obligatoire pour tous, organisation d'armées industrielles, particulièrement pour l'agriculture.

 

Le Manifeste est par là relié à la situation immédiate non pour l'interpréter mais pour transformer. Or, cette transformation implique l'utilisation de la démocratie;, sa généralisation qui est le premier temps de sa négation. Mais en même temps, en posant la nécessité de la destruction du prolétariat, il va très au-delà. Il prévoit les données de la domination réelle, disons celles qui ne pourront se développer qu'en elle.

 

« Elle ne peut plus régner (la bourgeoisie, n.d.r ) parce qu'elle est incapable d'assurer l'existence de son esclave dans le cadre de son esclavage, parce qu'elle est obligée de le laisser dé choir au point de devoir le nourrir au lieu de se faire nourrir par lui. La société ne peut plus vivre sous sa domination, ce qui revient à dire que l'existence de la bourgeoisie n'est plus compatible avec celle de la société. » ( p. 35 )

 

L'utilisation de la démocratie c'est le moment où la politique peut encore avoir une efficacité sur une période assez longue; c'est celle de l'exercice de la volonté sur une société non encore dominée de façon intime par le capital. Car la volonté dans sa forme et son contenu variera avec la variation de la domination du capital.

 

On a donc trois points à analyser : le libre-échange, les mouvements d'indépendance nationale, la démocratie et, liée à celle-ci, une question militaire d'importance exceptionnelle : la destruction du tsarisme.

 

 

5.3.2.2. La période révolutionnaire : 1848-1850

 

 

5.3.2.2.1. Le déroulement de la révolution de 48 confirme le Manifeste. En France dans un premier temps (février 1848) : « Ce qu'il (le prolétariat n.d.r) avait conquis c'était le terrain en vue de la lutte de son émancipation révolutionnaire, mais nullement cette émancipation même ».

 

Dans un deuxième temps (juin 48 ) le prolétariat est écrasé par la réaction bourgeoise. Le secret de la lutte du XIXe siècle est dévoilé. D'autre part : « Au lieu de quelques fractions seulement de la bourgeoisie c'étaient toutes les classes de la société française qui se trouvaient soudain projetées dans l'ordre du pouvoir politique. » ( p. 45 )

 

Tandis que le prolétariat en revendiquant le droit au travail (cf. Luttes de classe en France, p. 70 ), comme le voulait F. Tristan, réclamait alors sa propre généralisation, son accession à une réalité assurée, au-delà de son existence immédiate; dans le même temps perce la revendication du contrôle sur le capital qui deviendra plus tard celle du contrôle ouvrier.

 

La faiblesse du prolétariat reconnue après sa défaite de juin 48 conduit à l'alliance avec la petite-bourgeoise, c'est alors que naît le parti social-démocrate.

 

« Nous avons vu peu à peu les paysans, les petits-bourgeois, les couches moyennes en général passer aux côtés du prolétariat, poussés à l'opposition ouverte contre la république officielle... » ( p. 113 )

 

Le prolétariat minoritaire a besoin d'autre part d'un allié : les paysans. Ainsi l'impossibilité de réaliser la transcroissance - à cause de données historico-sociales - oblige le prolétariat à recourir à la démocratie. D'autre part la victoire de la démocratie en France présenterait un avantage considérable :

 

« Car la victoire de la république en France est la victoire de la démocratie dans toute l'Europe. » ( Werke, t.4, p. 456 )

 

« La démocratie ne peut vaincre en Europe que si le prolétariat l'emporte à Paris. » ( Neue Rheinische Zeitung. Werke t.4, p. 456 )

 

« Il faut d'abord que la réaction en France soit elle-même vaincue avant qu'elle puisse être anéantie en Italie et en Allemagne. Il faut donc d'abord que soit proclamée la république démocratique et sociale, il faut d'abord que le prolétariat français ait réduit à sa merci sa propre bourgeoisie avant de penser à une victoire durable de la démocratie en Italie, en Allemagne, en Pologne, en Hongrie, etc. . .» ( Neue Rheinische Zeitung, cf. Ed. Sociales, t.1, p. 456 )

 

 

5.3.2.2.2. En Allemagne se posait la nécessité d'une double révolution parce que dans ce pays la faiblesse, la lâcheté de la bourgeoisie autochtone imposait au prolétariat de prendre le pouvoir et de réaliser les tâches de celle-ci, donc à développer les forces productives.

 

En premier lieu se pose la question de l'unité allemande, la formation de la nation allemande. or, ceci nécessitait l'indépendance de la Pologne : «l'instauration d'une Pologne libre démocratique est la condition première de l'instauration d'une Allemagne démocratique.»

 

En domination formelle, le capital n'a une domination que dans des aires fort limitées, d'où il faut soutenir le mouvement de libération nationale ( cf. Werke, t.6, p. 298; il faut s'allier même avec l'ennemi ) : la lutte pour la démocratie à l'échelle internationale signifie lutte pour développer les forces productives. Cela impliquait la destruction du tsarisme, donc la guerre contre la Russie et l'élimination des petits peuples slaves.

 

« La prochaine guerre mondiale ne verra pas seulement l'élimination de la surface de la terre des classes et des dynasties réactionnaires mais aussi celle de peuples réactionnaires. » ( t.6, p. 176 ) ( cf. aussi lutte capital--prolétariat et guerre mondiale, 6, p. 397 )

 

« Les grands pays agricoles entre la Baltique et la mer Noire ne peuvent se libérer de la barbarie patriarco-féodale que par une révolution agraire qui transforme les paysans serfs ou corvéables en propriétaires fonciers libres, une révolution qui soit à la campagne exactement la même que la révolution française de 1789. La nation polonaise a le mérite d'être la première, parmi les peuples agricoles ses voisins, a l'avoir proclamé.

 

( ... ) Du jour où ils furent opprimés, les polonais agirent en révolutionnaires et enchaînèrent ainsi d'autant plus solidement leurs oppresseurs à la contre-révolution. Depuis 1846 la Pologne « lutte pour l'indépendance » et pour « la démocratie agraire » - la seule possible en Europe orientale contre l´absolutisme patriarco-féodal. » ( Neue Rheinische Zeitung, 20.08.1848, Ed. Sociales, p. 407 )

 

« dans le fait que l'instauration de la démocratie agraire est devenue pour la Pologne une question vitale non seulement politique mais sociale ». ( idem, p. 421 )

 

Pour obtenir l'unité allemande, il faut détruire l'Autriche, la Prusse.

 

Cependant toutes ces luttes importantes et nécessaires ne faisaient pas perdre de vue ( ne voilaient pas, ne masquaient pas ) le point central, c'est-à-dire la nécessité de détruire la puissance de l'Angleterre pour que la révolution socialiste triomphe : « L'Angleterre n'accepte pas la révolution du continent, l'Angleterre dictera, quand son heure sonnera, la révolution au continent. » ( Werke, t. 6. p. 149 )

 

Donc au cours de cette grande phase révolutionnaire, ce qui fut  surtout à l'ordre du jour, parce que dans l'ordre des possibles qui pouvaient être effectués, ce fut la démocratie.

 

« Les quelques cent membres de la Ligue disparurent dans la masse subitement projetée en mouvement. Le prolétariat allemand apparut donc ainsi pour commencer sur la scène politique comme le parti démocratique extrême. »

 

« Lorsque nous fondîmes en Allemagne un grand journal, le drapeau nous était tout donné de soi. Ce ne pouvait être que celui de la démocratie, mais d'une démocratie qui mettait partout en évidence le caractère spécifiquement prolétarien que nous ne pouvions pas encore inscrire une fois pour toutes sur notre drapeau. » 13.03.1884

 

Ceci ne contredit en rien cette affirmation du 31.08.1848 dans La Neue Rheinische Zeitung : « Nous n'avons jamais ambitionné l'honneur d'être l'organe de quelque gauche parlementaire que ce soit. Avec les éléments disparates composant le parti démocratique en Allemagne, nous avons au contraire estimé qu'il était absolument nécessaire de surveiller les démocrates plus étroitement que quiconque. » ( Engels )

 

Ainsi Neue Rheinische Zeitung: organe de la démocratie, c'est absolument logique, puisque l'émersion du prolétariat est tout juste possible et que ce journal doit exprimer - non d'une façon nationale, mais de façon internationale comme l'est le processus révolutionnaire - la montée de la démocratie, sa nécessité. Il s'agissait d'appuyer les forces productives qui devaient engendrer le capital mais, au fond, sans une conscience erronée, comme ce fut le cas pour les révolutionnaires français de 1789-95, en sachant qu'est-ce qu'on émancipait, et quelle devait être l'émancipation véritable. Le prolétariat intervient pour accélérer un processus sans perdre son autonomie et ce même à l'intérieur de la coalition démocratique. voilà pourquoi cette position démocratique allait au-delà de la démocratie.

 

A noter justement cette remarque : «La volonté de tout le peuple est la volonté de la classe dominante.»

 

Enfin on ne peut comprendre la position de Marx et d'Engels, ainsi que celle de la majorité des membres de la Ligue, si on ne tient pas compte de cette remarque fondamentale : « Les classes travailleuses sont nécessairement un instrument dans la main de la bourgeoisie, aussi longtemps que la bourgeoisie est elle--même révolutionnaire, ou au moins progressive. » II. 580

 

 

5.3.2.2.3. La double révolution impliquait partout la conquête de la démocratie et pour cela une guerre mondiale était nécessaire : « Soulèvement révolutionnaire de la classe ouvrière française, guerre mondiale tel est le contenu de l'avertissement de l'année 1849. » ( Werke, t.6, p. 506 )

 

« Les combats de Juin à Paris, la chute de Vienne, la tragédie-comédie de Berlin en novembre 1848, les efforts désespérés de la Pologne, de l'Italie et de la Hongrie, l'épuisement de l'Irlande par la famine - tels furent les moments principaux où se concentra en Europe la lutte de classe entre la bourgeoisie et la classe ouvrière et nous permirent de démontrer que tout soulèvement révolutionnaire, aussi éloigné que son but puisse paraître de la lutte des classes, doit nécessairement échouer jusqu'au moment où la classe ouvrière révolutionnaire sera victorieuse, que toute réforme sociale reste une utopie jusqu'au moment où la révolution prolétarienne et la contre-révolution féodale se mesureront par les armes dans une guerre mondiale. » ( Marx Travail salarié et Capital , p. 19 )

 

C'est peut-être dans ce texte que s'exprime le mieux la volonté de dépasser le capitalisme, d'escamoter sa phase de développement. On est loin du prétendu fatalisme économique de Marx. Seulement quand le capital aura triomphé, il ne sera plus possible d´avoir un tel langage et c'est le nouveau langage que les adversaires du communisme relèveront et en feront le matérialisme historique ultra-déterministe, fataliste !

 

Le triomphe de la révolution bourgeoise réclamait encore la lutte pour la démocratie afin de purifier les rapports sociaux dans la nation où cette révolution s'était produite, et à l´échelle internationale afin de généraliser le mode de production capitaliste. Mais cela n'impliquait pas obligatoirement un appui inconditionné aux démocrates. Il y avait eu la phase où le prolétariat était immergé dans le peuple et sa défense de la démocratie fut immédiate et lui permit d'émerger; ultérieurement le prolétariat s'individualise mais n'est pas assez puissant pour réaliser seul la transformation; alors il soutint les forces de destruction du féodalisme, celles qui permettent la structuration de la société capitaliste, donc la démocratie.

 

Au contraire au moment de l'enraiement de la vague révolutionnaire vers 1850 se pose la nécessité nette et précise de rompre avec la démocratie parce que : « le suffrage universel avait accompli sa mission. La majorité du peuple avait passé par l'école du développement que seul le suffrage universel pouvait donner dans une époque révolutionnaire. Il fallait qu'il fût aboli par la révolution ou par la réaction. » (« Les luttes de classe en France », p. 125 )

 

« La défaite des insurgés de juin ( ... ) avait montré que la République bourgeoise signifiait ici le despotisme absolu d'une classe sur les autres classes. » ( idem, p. 180 - Cf. aussi la suite concernant la comparaison avec les E.U )

 

« La meilleure forme d'Etat est celle où les conditions sociales ne sont pas estompées, ne sont pas jugulées par la force, c'est-à-dire artificiellement et donc en apparence seulement. La meilleure forme de gouvernement est celle où les contradictions entrent en lutte ouverte, et trouvent ainsi leur solution. » ( Neue Rheinische Zeitung, p. 184 )

 

Dans la lutte contre le féodalisme le prolétariat peut prendre momentanément le pouvoir, exercer le terrorisme et en finir plus vite avec la vieille société. D´autre part quand la bourgeoisie prit la pouvoir, la lutte du prolétariat contre cette dernière fut une lutte pour l'obliger à réaliser sa propre fonction historique.

 

« Les prolétaires prennent la bourgeoisie au mot : l'égalité ne doit pas être établie seulement en apparence, seulement dans le domaine de l'Etat, elle doit l'être également dans le domaine économique et social. Et surtout depuis que la bourgeoisie française a pris le pouvoir la lutte du prolétariat contre celle-ci à partir de la grande révolution a mis au premier rang l'égalité civile, le prolétariat français lui a répondu coup pour coup en revendiquant l'égalité économique et sociale; l'égalité est devenue le cri de guerre spécialement du prolétariat français. »

 

« La revendication de l'égalité dans la bouche du prolétariat a ainsi une double signification. Ou bien elle est - et c'est notamment le cas au début - la réaction spontanée contre les inégalités sociales entre riches et pauvres, maîtres et esclaves, dissipateurs et affamés; comme telle elle est simplement l'expression de l'instinct révolutionnaire et c'est en cela - en cela seulement - qu'elle trouve sa justification. Ou bien née de la réaction contre la revendication bourgeoise de l'égalité, dont elle tire les revendications allant au-delà, qui sont plus ou moins justes, elle sert de moyen d'agitation pour soulever les ouvriers contre les capitalistes et, en ce cas, elle tient et elle tombe avec l'égalité bourgeoise elle-même. Dans les deux cas le contenu réel de la revendication prolétarienne d'égalité est la revendication de l'abolition des classes. Toute revendication d'égalité qui va au-delà tombe nécessairement dans l'absurde. » ( Engels : Anti-Dühring, p. 138-139 )

 

Ceci recoupe parfaitement ce que dit Marx dans la Sainte famille au sujet de Proudhon : l'apport de celui-ci est de prendre la bourgeoisie au mot (à propos de « La propriété c'est le vol »).

 

D'autre part, on voit ici le danger de la première partie : en rester à vouloir terminer la révolution française, réaliser l'égalité, la fraternité qui, de moyens, deviennent des fins

 

 

5.3.2.2.4. Il y eut nécessité sur le plan théorique de défendre la démocratie contre les théoriciens réactionnaires qui voulaient le retour au féodalisme (Cf. critique d'Engels à Past and Present de Carlyle ).

 

Cependant il y a une ambiguïté parfois, surtout si la question n'est pas abordée dans sa totalité. En effet les réactionnaires dé fendent une communauté où la démocratie n'a pas de place, mais c'est une communauté aliénée ( les hommes aussi, pas de dichotomie ) et de ce fait il faut montrer comment le procès de dissolution peut conduire à la formation de la vraie Gemeinwesen humaine.

 

Il faut tenir compte de la ressemblance avec la polémique des populistes, mais tenir compte simultanément de l'énorme différence dérivant de la possibilité de greffer le communisme sur le mir.

 

 

5.3.2.3. La période de recul : 1852 - 1864

 

D'un point de vue général, on peut caractériser cette période par :

 

1. Coupure avec la démocratie, c'est-à-dire coupure avec le mouvement démocratique ayant pour base le prolétariat.

 

2. Soutien à tous les mouvements démocratique dans la mesure où ils luttent réellement contre le féodalisme. On a donc en quelque sorte utilisation de la démocratie en dehors de la classe, c'est-à-dire qu'on a une tactique indirecte. C'est toute la question nationale qui est importante ici.

 

3. Marx et Engels envisagent toujours les possibilités d'exploitation du suffrage universel de la part du prolétariat, en Angleterre.

 

Pour comprendre la position de Marx et d'Engels comme celle des autres révolutionnaires, il faut tenir compte du caractère de cette époque. En Europe il y a freinage du développement par suite de l'action de la Sainte-Alliance. Ce ne sera que vers la fin de cette période que de nouveau on aura un boom de l'économie, surtout de l'industrie, qui remettra le prolétariat en selle. La société dans son ensemble paraît liquider encore les séquelles de la révolution française de 1789. Le capital ne parvient pas à donner forme à la société. C'est le règne du flou, de l'imprécision et donc de la confusion, avec toutes les utopies possibles tant dans leur sens péjoratif que positif. Enfin, un dernier élément dont il faut tenir compte pour comprendre l'affaiblissement du prolétariat, c'est l'immigration qui, si elle permet d'étendre immédiatement le réseau révolutionnaire, détruit en fait la force vive du mouvement.

 

Pour Marx et Engels : « Si nous avons été battus, il ne nous reste qu'à reprendre par le commencement » (« Révolution et contre-révolution en Allemagne », Ed. Costes )

 

Étant donné que « la fraction la plus progressiste » de la bourgeoisie, les grands industriels, n'a pas conquis le pouvoir politique et remodelé l'Etat selon leurs besoins, le grand problème du XIXe. siècle, la suppression du prolétariat, ne peut pas encore être mis au premier plan, ni ne peut apparaître sous son vrai jour. Etant donné d'autre part que l'expérience pratique faite durant la révolution de 1848-49 confirmait le raisonnement théorique, qui aboutissait à la conclusion suivante : « la démocratie des petits commerçants devait avoir son tour d'abord, avant que la classe ouvrière communiste pût espérer s'emparer définitivement du pouvoir et détruire ce système de l'esclavage salarié qui la plie sous le joug de la bourgeoisie. » ( « Révolution et contre-révolution en Allemagne », pp. 182-183 ), il était nécessaire, après la défaite, de rompre avec la démocratie, avec le mouvement démocratique qui, en cas de victoire, se serait retourné contre le prolétariat et qui, dans la défaite, ne pourra fournir aucune aide à ce dernier.

 

C'est avec la circulaire de 1850 qui «n´était au fond qu'un plan de bataille contre la démocratie» ( Marx à Engels, 13.07.1851 ) que la rupture avec cette dernière est conseillée, revendiquée. Il y est déclaré qu'il faut se méfier des démocrates, que le parti démocratique est plus dangereux pour les ouvriers que l'ancien parti libéral.

 

Avec le triomphe de la contre-révolution, tout rapport avec la démocratie est devenu absolument inutile, surtout pour les membres de la Ligue.

 

«Cet isolement répond tout à fait à notre position et à nos principes. Le système a cessé maintenant qui consistait à se faire des concessions réciproques, à tolérer, par politesse, des faiblesses, à se partager avec ces ânes, devant le public, le ridicule qui rejaillit sur le parti ». (Marx à Engels, 11.02.1851 )

 

Toutefois, si le parti ( ici la Ligue qui a été dissoute ) ne peut pas intervenir, il est bon tout de même de suivre le mouvement réel et d'étudier comment le prolétariat agit et lutte dans une phase de réaction.

 

« Le prolétariat dont le combat autonome pour ses propres intérêts contre la bourgeoisie industrielle peut seulement commencer que le jour où la suprématie politique de cette classe est assurée, le prolétariat devra dans tous les cas tirer aussi quelque avantage de cette réforme électorale. » ( Engels, 1852, Werke t.8, p. 218 )

 

Là nous trouvons le réformisme révolutionnaire de Marx. il serait important d'étudier ici l'opposition Marx-Proudhon, en particulier au sujet des œuvres de ce dernier telles que « Idée générale de la révolution au XIXe siècle » ( cf. lettres de Marx à Engels du 08.08.1851 et suivantes ainsi que les réponses d'Engels ). Tout d'abord la position vis-à-vis du suffrage universel en Angleterre.

 

« Voyons maintenant les chartistes, la fraction active, au point de vue politique, de la classe ouvrière britannique. Les six points de la Charte qu'ils poursuivent ne renferment autre chose que la revendication du suffrage universel et des conditions sans lesquelles ce suffrage serait illusoire pour la classe ouvrière, telles que le vote secret, les diètes pour les membres du parlement, les élections générales annuelles. Mais, pour la classe ouvrière anglaise, suffrage universel et pouvoir politique sont synonymes. Les prolétaires forment en effet la grande majorité de la population; par de longues guerres civiles, parfois secrètes, ils ont acquis la conscience de leur situation de classe et les districts eux-mêmes ne connaissent plus de paysans, mais des propriétaires fonciers, des capitalistes producteurs ( fermiers ) et des salariés. L'obtention du suffrage universel général en Angleterre serait donc une conquête où il y aurait plus d'esprit socialiste que dans n'importe quelle mesure qui, sur le continent, a été honoré de ce nom. »

 

Elle aurait pour conséquence inévitable la suprématie politique de la classe ouvrière. » (Les chartistes in Oeuvres politiques, Ed. Costes, t.2, pp. 18-19, Werke, t.8, p. 344 )

 

« A propos des tentatives faites en vue de créer un parti qui s'appelle lui-même national, Ernest Jones remarque très exactement : “ La charte populaire est le plus universel des essais de réforme politique, et les chartistes sont le parti vraiment national, qui puisse réaliser en Grande-Bretagne des réformes politiques ou sociales. ” » ( « Les efforts faits pour créer un nouveau parti d'opposition. » p. 76 )

 

Et Marx ajoute, ( p. 77 ) : « Au cas d´une crise politique ou commerciale l'importance de l'activité qui, sans bruit, est actuellement déployée au quartier général du chartisme se fera sentir dans toute la Grande-Bretagne. »

 

Un autre aspect, en quelque sorte économique, est ensuite traité dans un autre article du New York Tribune du 28.12.1852, ( p. 94 ).

 

« Je résume. Le libre-échange pousse vers le système des impôts directs. L'impôt direct implique des mesures révolutionnaires contre l'Église, les propriétaires fonciers, et les porteurs de valeurs d'État. Les mesures révolutionnaires exigent une collaboration avec la classe ouvrière, et cette collaboration enlève à la bourgeoisie anglaise les principaux avantages qu'elle attendait du libre-échange c'est-à-dire la mainmise absolue du capital sur le travail. »

 

Dans un article du 15.03.1853, Marx expose la nécessité de lutter pour la journée de 10 heures et explique comment les propriétaires fonciers sont incapables de profiter de la lutte des prolétaires contre les capitalistes, et à plus forte raison de les soutenir, d'où entre autres arguments la nécessite de l'intervention de l'Etat.

 

Mais c'est en 1855 que Marx expose avec le plus de précision la nécessite de la lutte pour la généralisation du suffrage universel.

 

« Après les expériences qui, en 1848, ont sape le suffrage universel en France, les gens du continent sont portes à sous-estimer l'importance et la signification de la charte anglaise. lis oublient qu'en France la société se compose pour les deux tiers de paysans, et pour un tiers de citadins, tandis qu'en Angleterre plus des deux tiers de la population habitent les villes et moins d'un tiers la campagne. En Angleterre, les résultats du suffrage universel seront donc nécessairement en proportion inverse des résultats de ce même suffrage universel en France, tout comme la ville et la campagne le sont dans les deux pays. C'est ce qui nous explique le caractère diamétralement opposé que la revendication du suffrage universel a revêtu en France et en Angleterre. Là, ce fut la revendication formulée par les idéologues politiques et à laquelle tout “ intellectuel pouvait plus ou moins prendre part, suivant ses convictions. Ici, c'est la large ligne de démarcation entre l'aristocratie et la bourgeoisie d'une part et les classes populaires d'autre part. Là ce fut une question politique, ici, c’est une question sociale. En Angleterre l'agitation pour le suffrage universel a parcouru une évolution historique, avant de devenir le Shibboleth de la masse. En France, on commença par établir le suffrage universel qui commença ensuite son évolution historique. En France ce fut la pratique du suffrage universel qui échoua, en Angleterre ce fut l'idéologie. Dans les premiers temps du XIXe. siècle, avec sir Francis Burdett, le major Carwright, Cobbett, le suffrage universel avait encore absolument le caractère idéaliste et imprécis qui en faisait le vain désir de toutes les fractions de la Population n'appartenant pas directement aux classes dirigeants. Pour la bourgeoisie, ce n'était en effet qu'une expression excentrique, généralisant ce qu'elle avait obtenu par la réforme parlementaire de 1831. Encore en 1838, la revendication du suffrage universel n'avait pas pris, en Angleterre, son caractère spécifique réel. La preuve Hume et O'Connell figuraient parmi les signataires de la charte. En 1842, les dernières illusions disparurent. C'est à cette époque que Lovett fît une dernière et vaine tentative de formuler la revendication du suffrage universel comme la revendication commune des soi-disant radicaux et des masses populaires. A partir de ce moment, il n'existe plus le moindre doute sur la signification du suffrage universel ni sur l'appellation même. C'est la charte des classes populaires et le sens en est : acquisition de la puissance politique en tant que moyens de réalisation de leurs besoins sociaux. Compris en France en 1848, comme le mot d'ordre de la fraternisation universelle, le suffrage universel devient en Angleterre un cri de guerre. En France, c'est le suffrage universel qui constitue le fond immédiat de la révolution; en Angleterre, c'est la révolution qui constitue le fond immédiat du suffrage universel. Quand on passe en revue l'histoire du suffrage universel en Angleterre, on s'aperçoit que le suffrage universel y dépouille son caractère idéaliste au fur et à mesure que la société moderne s'y développe avec ses contradictions infinies, telles que les produit le progrès de l'industrie. A côte des partis officiels, ou semi-officiels, came à côte des chartistes, on remarque en Angleterre une « clique » de sages, aussi mécontents du gouvernement et des classes dirigeantes que des chartistes. Que veulent les chartistes s'écrient-il. Rehausser et élargir la toute-puissance parlementaire en en faisant le pouvoir populaire; ils la lèvent à une puissance supérieure. La vérité c'est de briser le système représentatif. » ( pp. 79-82 )

 

Dans un article du 21.08.1853, la question du parlement ouvrier est à nouveau évoquée. ( Werke, t.10, p. 395 )

 

Il y a donc un rejet du mouvement démocratique organise par les divers démocrates, d'où les pamphlets comme « les grands hommes de l'exil » ( Werke, t.8, pp. 233 sqq. ) et soutien du mouvement démocratique.

 

Tout ceci concerne directement le prolétariat. C'est l'utilisation directe de la démocratie par le prolétariat. Mais il y a un autre mode d'utilisation que l'on peut appeler indirect. C'est le soutien aux mouvements d'émancipation contre l'absolutisme; le soutien de la démocratie comme moyen de permettre un développement du capital donc du prolétariat.

 

Luttes contre le tsarisme et contre le panslavisme dans la mesure où celui-ci apporte en définitive son soutien au tsar.

 

Exemple net : soutien des anglo-français lors de la guerre de Crimée.

 

Toutefois Marx n'a probablement pas perçu un élément fort important traité par les panslavistes, c'est celui de l'obchtchina. Marx, à cette époque là, voyait trop un devenir unilinéaire et donc la nécessité de passer partout par le mode de production capitaliste. D'autre part il était trop préoccupé par le problème de la formation de l'unité allemande vis-à-vis de laquelle le tsar jouait un rôle de frein indéniable Le mouvement révolutionnaire est des lors pensé comme continuateur de la révolution française et non réellement en tant que mouvement prolétarien.

 

Liée à la question de l'unité allemande, on a celles de l'indépendance de la Pologne et de l'unité italienne.

 

En ce qui concerne l'Inde et la Chine, Marx et Engels pensent à un développement rapide du MPC dans ces régions. En règle générale il y a l'idée que le MPC va rapidement se développer et donc créer les conditions de la révolution prolétarienne.

 

Pour en revenir à l'Inde et à la Chine, ce n´est qu'au cours des années 50 et même après 1860 que Marx parviendra à comprendre que le schéma unilinéaire n'est pas valable; le MPC n'est pas fatal.

 

Enfin dans les oeuvres non publiées du vivant de Marx : Urtext, Fondements, etc., on trouve un dépassement de la démocratie, car là ce dernier ne raisonne pas en fonction de l'immédiat.

 

 

 

5.3.2.4. Période de 1864 à 1871

 

 

 

En plus de l'utilisation indirecte de la démocratie comme ce fut le cas dans la période précédente , nous avons son utilisation à l'intérieur de la classe et par, là, en sorte réalisation de la démocratie prolétarienne grâce à l'AIT (Association internationale des travailleurs) où tous les courants affectant la classe ouvrière étaient représentés; la direction centrale, le Conseil général de Londres tendant à établir une autorité sur l'ensemble du mouvement. Il y a un certain dépassement du centralisme et du fédéralisme ainsi que des sectes.

 

La reprise d'un mouvement révolutionnaire date en fait de la fin des années 50. Elle reçut une impulsion de la crise de 1857. La création de l'AIT est le point culminant de cette période. Toutefois nous préférons partir de 1864 pour envisager toute l'histoire de l'AIT, étant donné que sa création marque une coupure dans la vie de la classe. Ce mouvement a deux causes : une interne au processus même de formation de la classe en tant que classe : résister à la pression des capitalistes, s´unir pour abolir l'état de choses existant, trouver une théorie, etc.; une externe : la lutte pour l'indépendance de la Pologne ( donc rapport avec le vieux mouvement de 1848 et par là avec la démocratie, dernier apport de ce pays ).

 

« Plus je réfléchis à l'histoire, et plus je comprends que la Pologne est une nation foutue dont on ne peut se servir que jusqu'au jour ou la Russie sera entraînée elle-même dans la révolution agraire. A partir de ce moment, la Pologne n'aura plus de raison d'être. Tout ce que les polonais aient jamais fait dans l'histoire ce sont des sottises qui attestent leur bravoure, mais aussi leur tempérament batailleur. »

 

Engels parle ensuite de la Russie et de son rôle civilisateur, puis de la prétendue immortalité de la Pologne, pour en arriver à :

 

« Par bonheur, nous n'avons, dans le Neue Rheinische Zeitung, contracte envers les polonais que l'inévitable engagement de rétablir le pays dans son autonomie avec une frontière acceptable; et cela même sous-la condition de la révolution agraire. Je suis certain que cette révolution s´opérera pleinement en Russie plus tôt qu´en Pologne à cause du caractère national et parce que les éléments bourgeois sont plus avancés en Russie. » ( Lettre à Marx du 23.05.1851 )

 

Pour traiter ce point à fond, il faudrait faire une histoire de l'AIT et utiliser tous les pamphlets ainsi que les diverses lettres de Marx et d'Engels à son sujet. Rappelons simplement qu'il y a ici un dépassement du parti formel en tant que regroupement d’avant-garde ( cf. lettre de Marx à Engels au sujet des ouvriers comtistes, 05.03.69 )

 

On a ici le réformisme révolutionnaire généralise et en acte par l'ensemble de la classe. On doit noter la différence avec Tolain : intégration du prolétariat; Lassalle : illusion de l'utilisation de l'Etat en place.

 

Deux moments dominent (en dehors des faits propres de l'Internationale) le mouvement populiste en Russie qui aurait dû permettre de poser progressivement le problème de la Pologne d'une toute autre façon; le mouvement d´émancipation des esclaves aux USA.

 

Avec la Commune de Paris on a à nouveau un dépassement de la démocratie. Dans l'œuvre de Marx, il semblerait que cela soit définitif cette fois. L'État est dénonce avec virulence et Marx retrouve sa position juvénile lors de sa critique à Hegel, à Ruge, à Mill. Il semble que les oeuvres de jeunesse expriment un possible et que la Commune en soit une effectuation.

 

«Le parlementarisme en France était parvenu à son terme. Sa dernière période, son plein épanouissement ce fut la république parlementaire, de mai 1848 au coup d´État. L'Empire qui le tua fut sa propre création ( ... ) Le parlementarisme était alors mort en France et la révolution ouvrière n'allait certainement pas le fait renaître de ses cendres. »

 

Condamnation sans appel. Dès lors on peut se demander est-ce qu'après la défaite le prolétariat devra-t-il ressusciter le parlementarisme en participant au parlement, en réclamant à corps et à cris le suffrage universel ?

 

« La Commune est la reprise du pouvoir d'État par la société dont il devient la force vivante, au lieu d'être la force qui la domine et la subjugue. C'est la reprise par les masses populaires elles-mêmes, qui substituent leurs propres forces à la force organisée pour les opprimer; la Commune c'est la forme politique de leur émancipation sociale, substituant à la force artificielle ( appropriée par leurs oppresseurs ) ( leur propre force s'opposant à eux et s'organisant contre eux ) de la société, mise au service de leurs ennemis pour les opprimer. Cette forme était simple comme toutes les grandes choses. »

 

«Ce ne fut pas une révolution contre telle ou telle forme de pouvoir d'État légitimiste, constitutionnelle, républicaine ou impériale. La Commune fut une révolution contre l'État lui-même, cet avorton surnaturel de la société; ce fut la reprise par le peuple et pour le peuple de sa propre vie sociale. »

 

Il faudrait citer toute la page 212. Ce qui est essentiel c'est la mise en mouvement des masses qui accèdent à leur pleine détermination; elle agissent donc et créent leur conscience. Sans un tel mouvement aucune révolution ne peut se réaliser. Et là on voit qu'un parti défini dans son sens étroit voulant encadrer, organiser, limiterait en fait le mouvement. Il ne peut être qu´à l'intérieur de celui-ci dans la mesure où il a pu préexister au phénomène révolutionnaire et, dés lors, il œuvre à sa généralisation, à la constitution de la classe en parti, donc à son propre dépassement.

 

« Quant au parlementarisme il avait été détruit par ses ouailles et par l'Empire. La seule chose que la classe ouvrière avait à faire, c'était de ne pas le ressusciter. » ( p. 260 )

 

Il y a toutefois une utilisation réelle, non mystifiée de certains mécanismes démocratiques.

 

« ... le suffrage universel adapté à son but véritable, qui est de faire élire par les communes leurs propres fonctionnaires d'administration et de législation. » ( p. 214 )

 

« Au lieu de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante devait « représenter » et fouler aux pieds le peuple au parlement, le suffrage universel devait servir au peuple, constitué en communes... » ( p. 43 )

 

Les démocrates ont pu se sauver en disant qu'ils élisaient maintenant des représentants ouvriers. En quelque sorte ils pouvaient utiliser ce que disait Marx à propos du parlement ouvrier.

 

Au cours de la révolution à venir le phénomène politique sera encore moins important. Il n'y aura pas une révolution politique, si ce n'est la destruction du pouvoir actuel. L'émancipation se fera par des organismes qui directement se mettront à vivre selon le communisme. Il ne peut pas y avoir d'autres formes d'émancipation.

 

Cependant la plus grande gloire de la Commune c'est d'avoir non seulement mit fin à l'Empire mais encore d'avoir démasqué :

 

« Cette forme anonyme ou républicaine des régimes bourgeois, cette république bourgeoise, cette république du parti de l'ordre, est le plus odieux de tous les régimes politiques. Sa tâche directe, sa seule raison d'être, c'est d'écraser le peuple. C'est le terrorisme de la domination de classe.

 

« Cette révolution n'avait pas été faite contre Napoléon le petit mais contre les conditions sociales et politiques qui avaient engendré le second empire. » ( p. 181 )

 

La destruction d'une telle monstruosité ne fut hélas que temporaire. Après la défaite, le prolétariat aurait dû rester sur ce terrain et non contribuer à sa réformation sous sa forme mystificatrice, mystifiée.

 

« La plus grande mesure prise par la commune, c'est sa propre existence. »

 

Mais la classe ouvrière ne peut se contenter de prendre telle qu'elle est la machine de l'État et de la faire fonctionner pour son propre compte. Tout cela prouve que la Commune était l'affirmation d'un être nouveau. Ce n'est pas pour rien qu'Engels proposait de traduire Commune par Gemeinwesen. En ce sens les ouvriers firent bien ce que proposait Marx.

 

« Ils n'ont pas à recommencer le passé, mais à édifier l'avenir. »

 

Cette victoire de 1871 sur la démocratie bourgeoise ne peut être définitive. Elle n'est pas, probablement, compatible avec la maturité du mouvement international. Marx saisit nettement le moment de vie de la classe et la caractéristique de celle-ci : impulser le mouvement, le développement, même si dans l'immédiat elle doit en pâtir: (cf. la citation des pp. 215-216 reportée dans Invariance, série I, n° 10 ). En outre :

 

« Elle devait être un corps agissant et non parlementaire, exécutif et législatif en même temps. Les agents de police au lieu de être les agents d'un gouvernement central devaient être les serviteurs de la Commune et devaient comme les autres fonctionnaires de tous les autres secteurs de l'administration, être nomes par la Commune en restant toujours révocables par elle. » ( p. 260 )

 

On voit par là la limite que nous avons dépassée. Il ne s'agit plus de prendre quelque chose et de le faire fonctionner au profit des homes et non au profit du capital, mais de créer quelque chose qui soit au delà de ce binaire négatif-positif. Ceci existe potentiellement à l'heure actuelle dans le mouvement contre le capital en dehors des groupuscules divers.

 

« La fonction publique devait cesser d'être une propriété personnelle, conférée par un gouvernement central à ses instruments. » ( p. 261 )

 

C'était donc la dictature du prolétariat. Les anarchistes sont contre ce terme. Cependant, eux aussi, d'une façon ou d'une autre seraient amenés à exercer une dictature. La vraie question c'est celle de comment la réaliser; même chose en ce qui concerne la violence. Dans tous les cas, ici, il ne s'agissait pas de réaliser la démocratie, mais de :

 

« .. libérer les éléments de la société nouvelle que porte déjà dans ses flancs la vieille société qui s'effondre. » ( p. 46 )

 

En conclusion la Commune est la dernière révolution prolétarienne en période de domination formelle du capital sur la société. (cf. Invariance, série I, n° 10 )

 

 

5.3.2.5. La période de 1871 à 1914

 

 

Marx et Engels ne sont pas demeurés au niveau de la discontinuité de 1871. À partir de cette période vont surgir des polémiques où Engels ne sera pas à même de sentir ce qu'il y a de nouveau. Le plus bel exemple est la question des jeunes au début des années 90. C'est de ce moment-là que date aussi la division avec les anarchistes. On peut dire aussi que la critique aux bakouninistes demeure dans les limites étroites du parti formel (cf. le texte sur le congrès de Sonvilliers ), de même en ce qui concerne les blanquistes.

 

Tout est dominé par la Commune de Paris. C'est le point central de la constitution du mythe du prolétariat ( d'autres l'ont dit avant nous, mais nous voulons montrer que cette affirmation s'articule dans une autre représentation théorique ). La problématique sera de reconstituer ce qui a été brisé, l'unité de l'AIT plus affirmée que vraiment opérante.

 

Quelques affirmations: la république démocratique est la dernière forme en laquelle se fera la lutte pour le pouvoir. La dictature du prolétariat est réalisation de la démocratie, comme s'est affirmé dans les critiques au programme de Gotha comme à celui d'Erfurt (p. 87). Toutefois il y a un essai d´établir une périodisation rigoureuse du passage au communisme.

 

C'est le moment précis du réformisme révolutionnaire de Marx et d'Engels avec enlisement complet, à partir de là, de ce dernier, dans la démocratie ( cf. ses lettres des années 91-92 ).

 

La démocratie dans la classe et utilisation de celle-ci par la classe prolétarienne: cf. les Considérants du POF.

 

En ce qui concerne l'Allemagne: peur d'une saignée comparable celle de la Commune. L´abrogation des lois anti-socialistes semble confirmer qu'il est possible de passer par une phase non violente pour accéder au socialisme, tout au moins qu'il est possible d'atténuer celle-ci et que dans tous les cas il est possible de se renforcer considérablement avant de donner l'assaut à l'État.

 

Il ne faut pas, non plus, ne pas tenir compte de l'idée d'Engels selon laquelle il faut encore terminer la révolution bourgeoise en Allemagne grâce à une poussée par le bas.

 

L'impulsion du mouvement russe n'est pas suffisante pour radicaliser en Occident et, d'autre part, la vison classiste est trop prédominante au sein du mouvement ouvrier pour que celui-ci soit capable de profiter de cette poussée.

 

Sur le plan théorique Marx a publié ses ouvrages fondamentaux. Il semble tourner en rond parce qu'il ne parvient pas à un dépassement.

 

En ce qui concerne le mouvement lui-même on a, à partir de 1889, la IIe internationale, mouvement intégré et intégrant simultanément. Les actes les plus révolutionnaires sont accomplis par ceux qui se placent en marge: les anarchistes effectuent les actes les plus irrécupérables. Cela désigne par là même le déséquilibre, la discontinuité, le porte-à-faux qui se manifeste.

 

On peut dire qu'on est toujours à la recherche du prolétariat. A ce propos il convient de noter la convergence entre Kautsky avec son livre sur les origines du marxisme et Lénine avec Que faire? qui théorise un parallélisme entre le mouvement socialiste et le mouvement ouvrier. De la nous en arrivons à l'affirmation qu'on ne doit pas tomber dans le traquenard: ce sont les chefs qui ont trahi; car, la classe ouvrière, que voulait-elle réellement ? Quand elle se manifesta au début de ce siècle ce fut pour le suffrage universel, en Belgique, en Allemagne, en Hollande, par exemple. En Russie nous sommes dans un autre cycle.

 

En ce qui concerne Bernstein, il ne fait qu'aller jusqu'au bout mais en perdant toute perspective révolutionnaire; il est discours direct du capital. À la même époque s'affirme la thèse que le capitalisme est un mieux en soi; cela conduit au soutien du colonialisme.

 

Remarque : il faut tenir compte toutefois du phénomène révolutionnaire mondial du début de siècle: avant 1905, avec apogée à cette date dans l'aire slave, qui concerne l'ouest européen ( Portugal particulièrement ), le Mexique, la Turquie, la Perse, la Chine (1911), mouvement de type capitaliste accompli par le prolétariat.

 

Correspondant à cette phase il y a eu une certaine radicalisation au sein de la IIe Internationale : il y a formation de gauches (sans qu'il y ait une théorisation nouvelle) comme en Italie; en Hollande cela aboutit à une scission, mais on reste dans le cadre du socialisme classique. En outre il n'y pas production d'une oeuvre théorique réellement marquante de la part des socialistes, comparable, à ce qui est produit par les théoriciens partisans de l'idéologie en place (savants, philosophes etc...).

 

 

 

 

5.3.3. LA DÉMOCRATIE DURANT LA PÉRIODE DU PASSAGE DE LA DOMINATION FORMELLE À LA DOMINATION RÉELLE SUR LA SOCIÉTÉ: 1914 - 1945

 

 

 

 

Pour comprendre le passage à la domination réelle du capital sur la société il faut tenir compte d'un devenir important, celui de l´accession du prolétariat au stade de classe dominante sous forme mystifiée. Cela implique que c'est l'être immédiat du prolétariat qui fut ainsi porté à la domination, que c'est ainsi qu'il fut possible de nier tout élément de contestation de la part de cette classe. D'autre part, grâce à la généralisation du salariat, il y a tendance à la disparition de la structure de classe proprement dite; cela conduit à établir une hiérarchie afin de pouvoir mettre en évidence la classe ou bien alors on est conduit à dire que la classe dominée est extrêmement vaste et la classe dominante fort réduite. Simultanément on a la démonstration que le prolétariat ne luttait finalement que pour la socialisation, c'est-à-dire tendait à réaliser en définitive la communauté matérielle à laquelle accède le capital. Corrélativement la tendance toujours plus accusée à partir de la fin du siècle dernier à définir la classe prolétarienne par la conscience, par des données spirituelles, par le programme. Ou alors on a la conception du prolétariat comme force minoritaire et théorisation de sa solitude : Gorter.

 

Quoi qu'il en soit, toute cette période indique qu'en définitive le mouvement prolétarien - comme le mouvement bourgeois - a eu ( pour dire cela de façon sûre, il faut encore vérifier ) une fausse conscience de son propre mouvement : il croyait faire du socialisme, il ne faisait que parachever la domination du capital. C'est de cette période que date la question de la gestion et de ses différentes formes.

 

Le passage se fait par l'intermédiaire d'un faisceau de phénomènes.

 

Défaite du prolétariat en 1914 qui est aussi celle de la démocratie politique. Toutefois il est important de noter que c'est la défaite de ce qu'on posait être le prolétariat révolutionnaire; en outre c'est le triomphe du travail salarié, autre pôle du capital. Ensuite on doit faire entrer en ligne de compte le fascisme, le nazisme, le salazarisme, le franquisme. Ces derniers mouvement ont un intérêt pour le mode de production capitaliste dans la mesure où ils bloquent justement un mouvement révolutionnaire qui pourrait prendre relaie dans ces aires où ce mode est moins développé ( inhiber une transcroissance possible ! ); ceci se répétera en Argentine ( péronisme ) ainsi qu'avec divers mouvements en Amérique Latine.

 

Dans tous les cas le prolétariat est l'acteur essentiel de cette période historique : révolution russe, révolution allemande, etc., car c'est lui qui conditionne, par ses victoires momentanées comme par ses échecs, tout le devenir social. Le mode de production capitaliste ne peut parvenir à sa domination sans prendre, sans utiliser le marxisme ramené à une théorie de la croissance. Autrement dit, à la fin de cette phase on peut dire aussi que le rôle historique du prolétariat dans son ancienne détermination est fini. Il est évident que l'on peut de nouveau le faire jouer en tant que classe universelle, mais ce n'est que la contradiction figée d'un moment particulier que le mouvement social a déjà dépassé.

 

Cette question de la fin du rôle de la classe ouvrière est en liaison directe aussi avec la question russe : révolution se développant dans une aire à forte persistance du phénomène communautaire.

 

Autrement dit, dès ce moment il y a les éléments pour penser le devenir nouveau du monde.

 

Ce dont il s'agit c'est donc de l'accession du capital à sa domination réelle sur la société dans les vieilles zones où le capital s'était déjà instauré. Il est évident que la question de sa domination ne peut être résolue victorieusement que s'il parvient à dominer les zones où il lui fut normalement très difficile de prendre pied.

 

Le phénomène doit être vu dans sa totalité, c'est-à-dire que si les prolétaires se sont illusionnés sur leurs tâches, on peut dire aussi que les capitalistes en firent autant et surtout ils n'avaient pas pris conscience des mécanismes de vie du capital ni compris ses mécanismes d'autorégulation, de telle sorte que leur intervention put souvent être catastrophique. Mais avec la transformation de l'État en État capitaliste la question se règle de façon précise. Naît alors la possibilité de lever le complexe d'infériorité de ceux qui se posent dans le camp capitaliste; il leur est possible de produire une théorie globale, de dépasser Marx ...

 

Le passage de la domination formelle du capital sur la société à celle réelle s'est effectué grâce à divers mouvements dont le fascisme, le nazisme, etc. ... Dans tous les cas ceci s'effectue au cours d'une crise qui affecte la société dans sa totalité. Cependant les différentes zones où ceci s'effectue n'ont pas la même maturité, de ce fait même si parfois les mouvements partent le même nom ils ne recouvrent pas la même réalité tout en opérant dans la même direction : la domination du capital.

 

 

5.3.3.1. Cas de l'Italie.

 

« Considérant qu'il serait impolitique, en dehors de la réalité, de ne pas tenir compte du mécontentement populaire qui est une conséquence fatale de la guerre, ou de se fier à une vague formule d'uniformiser l'action ultérieure du parti à l'action développée jusqu'à maintenant; considérant que le mécontentement populaire présent est en train d'être exploité comme planche de salut pour l'intervention pseudo-démocratique et républicaine dans la but de la diriger vers une direction insurrectionnelle non socialiste, qui conduirait l'Italie à une concrétisation de programmes essentiellement républicains bourgeois; exprime des vœux pour que la direction du parti - en s'inspirant des événements de Russie et d'Amérique et de l'État d'esprit créé par la guerre - concrétise une ligne de conduite qui dirige, coordonne, unifie l'esprit et l'action du prolétariat italien. » Motion de la fédération de la jeunesse socialiste italienne. 1917.

 

Le fascisme naît en Italie en riposte à une montée révolutionnaire prolétarienne. Il naît dans les centres industriels mais se développe dans ceux agricoles ( les prolétaires agricoles, les braccianti, dispersés offrent une résistance moins efficace ) pour finalement triompher dans les centres industriels avec l'appui des forces de l'État en place. Crois périodes : combats de rue, expéditions punitives, conquêtes des villes. En 1922 triomphe officiel, tout à fait légal et en 1925 dictature ouverte.

 

Le mouvement fasciste se développe après l'arrêt du mouvement prolétarien; plus précisément après qu'il ait été dévié de sa juste voie : la lutte pour le pouvoir. On le fit lutter pour les élections, après avoir été enlisé dans le mouvement d'occupation des usines. Dans les deux cas la politique réformiste du gouvernement bourgeois de Giolitti, qui consista à lâcher du lest et à ne pas provoquer ni radicaliser la lutte du prolétariat, permit à la classe bourgeoise de conjurer le péril.

 

Durant la lutte contre le fascisme il y eut de graves erreurs commises tant dans l'appréciation du phénomène que dans la lutte pratique, de la part de la direction liée à Moscou ( Gramsci et Cie ). Un des meilleurs exemples du crétinisme parlementaire fut la tactique de se retirer sur l'Aventin après l'assassinat de Mattéoti.

 

Ultérieurement sous prétexte de bolcheviser le parti et de lui permettre de lutter correctement contre le fascisme (en particulier en faisant le front unique avec les partis socialistes responsables de l'arrêt de la vague révolutionnaire antérieure; pacte de pacification 02.08.1921), il y eut élimination systématique des postes de direction, de tous les communistes de la fraction de gauche. Le parti fut stalinisé. La contre-révolution l'avait emporté sur tous les fronts.

 

Durant toute la dictature fasciste jusqu'à la veille de la guerre, le PC fit tuer inutilement des prolétaires en les lançant dans des opérations suicides contre le régime de Mussolini. Ainsi ceux qui avaient sous-estimé le fascisme essayaient vainement de le déboulonner.

 

 

5.3.3.2. Cas de l'Allemagne.

 

En Allemagne aussi le nazisme est une riposte à la menace prolétarienne. Mais il ne porta en définitive que le coup de grâce au prolétariat. Les événements suivants expliquent cette particularité :

- la retraite de l'armée qui arrive intacte en Allemagne, compromis entre l'Etat-major et le Conseil  des soldats;  

-  alliance Ebert-Hindenburg;

-  alliance syndicats-industriels ( 15.XI.1916 );

- répression du mouvement spartakiste par Noske et Scheidemann; défaite en Bavière en 1919;

- réorganisation de l'armée sur des bases plus démocratiques;

- combats de la Ruhr en 1920, défaite de mars 1921.

On doit noter qu'après la défaite des spartakistes de 1919, le prolétariat lutte en ordre dispersé, recalquant la phase de 1848 ( indiquons également les combats en Saxe et Thuringe, et le soulèvement de Hambourg de 1923 ).

 

En conséquence la société bourgeoise est assez forte et n'a pas besoin du nazisme pour contenir le prolétariat. Le putsch nazi de Munich de 1923 est réprimé et le nazisme va se développer par voie électorale.

 

À partir de 1919 deux tâches s'imposent en Allemagne : détruire les clauses du traité de Versailles qui empêchent son développement, pour cela une militarisation poussée est nécessaire, d'où développement de l'industrie; conduire la mutation de la société allemande, celle du capital organisé qui n'est autre que le passage, à l'échelle sociale, du capital de la domination formelle à sa domination réelle sur la société : la formation de la communauté matérielle du capital. Ceci est d'autant plus urgent que la crise rend la situation instable et que le prolétariat peut à nouveau devenir menaçant. Le nazisme sera apte à résoudre cela. Il arrive légalement au pouvoir: « Nous reconnûmes qu'il ne suffit pas de renverser l'État, mais que l'État nouveau doit avoir été préalablement construit et rendu prêt à fonctionner sous la main qui le commande.

 

« ... en 1933 il n'était pas question de renverser l’État par un acte de violence, dans l'entre temps, l'État nouveau avait été construit, il ne restait qu'à détruire les derniers vestiges de l'ancien. Cela ne prit que quelques heures. » Hitler.

 

Entre temps ce fut toute l'action de la social-démocratie qui transforma l'État, le rendant plus interventionniste ( allongement de la journée de travail par exemple ). La social-démocratie ( Hilferding ) théorisa même cette intervention étatique, théorisa la substance même du fascisme : le capital organisé.

 

En Allemagne se posait une révolution qui devait opérer dans une période où le capital accédait à sa domination réelle sur la société. La classe ouvrière allemande tendit à se constituer en tant que classe sur cette base. La gauche allemande ( la plus grande partie du P. C. allemand à l'origine, puis le KAPD ainsi que d'autres groupes moins importants ) exprima le mieux cette tendance, mais ne parvint pas à la rendre consciente, à l'exprimer en tant que nécessité immédiate et du futur et ce tout en étant apte à intégrer l'autre révolution, celle relevant d'une période antérieure, la révolution russe.

 

Ce mouvement anticipa trop sans être à même de percevoir avec efficacité que cette anticipation n'était possible que localement et que la réalisation de celle-ci ne pouvait s'effectuer que par le moyen terme de la révolution dans les autres pays. Autrement dit c'était une mouvement immédiat, transmetteur de cette immédiateté mais incapable de la placer dans la totalité du mouvement de la classe.

 

La bolchevisation, les différentes variations tactiques de PIC sont l'autre cause fondamentale de l'enrayement de la constitution du prolétariat allemand en tant que classe. Bolchéviser consista essentiellement à éliminer toute influence de la gauche. La puissance du prolétariat allemand était telle qu'il fallut attendre tout de même 1933 pour qu'il soit éliminé et qu'il fallut la « nuit des longs couteaux » pour que le nazisme triomphe en éliminant son enveloppe prolétarienne, son masque révolutionnaire, et s'affirme bien en tant qu'expression de la domination du capital. Ce dernier avait réussi sa transformation et le prolétariat était battu pour un long bout de temps. D'autant plus que les deux forces contre-révolutionnaires : fascisme et stalinisme ( on ce qui concerne l'Occident ) s'allièrent en fait pour détruire toute tradition prolétarienne ( les quelques rescapés kapédistes furent assassinés par les staliniens à la fin de la guerre mondiale ).

Remarque :

En Allemagne les phénomènes économiques dépassent les phénomènes politiques. Il y eut le problème de mettre sur pied un organisme adéquat au développement économique, de même qu'il y eut le problème de l'unité nationale ( véritable guet-apens historique de 1914 où le prolétariat fut englué, cf. également certains kapédistes et le bolchevisme national ). En cela l'Allemagne est tout le contraire de là France où le développement politique dépasse celui économique, ce qui montre que politique et économie ne sont pas absolument, de façon stricte, liées; il n'y a pas obligatoirement adéquation parfaite. Il peut y avoir des moments de dissonance, de discordance qui peuvent perdurer avant que l'équilibre, l'adéquation se produisent.

 

Ceci explique la prétention des fascistes ( allemands surtout ) d'accomplir une révolution alors qu'ils ne parachevaient qu'un réa justement, phase ultime de la révolution par le haut.

 

On doit tenir compte aussi, dans le triomphe du fascisme, de la position de l'Internationale Communiste. Après la défaite de Spartakus et surtout après l'action de mars 1921, l'Internationale conçoit une phase révolutionnaire comme étant très éloignée en Allemagne ( théorie de Radek ), le prolétariat allemand n'est plus considéré comme le protagoniste essentiel. D'autre part, l'alliance avec l'Allemagne apparaît comme une condition essentielle pour desserrer l'étreinte autour de la Russie. D'où la théorie de renforcer l'Allemagne, le capital allemand devant développer automatiquement le prolétariat: la renaissance de l'Allemagne, réduite selon Lénine au stade semi-colonial, sera la renaissance du prolétariat. D'où l'alliance plus ou moins tacite avec le mouvement nationaliste, le freinage des mouvements révolutionnaires. C'était la naissance de la théorie du socialisme découlant d'une lutte entre États et perte de la vison de Marx, du heurt entre capital et prolétariat. L'illusion de la renaissance du prolétariat allemand en liaison avec celle de la nation allemande fut l'illusion tragique de Lénine et de Radek que Staline devait purement et simplement reprendre. Ce qui explique les zigzags de ce dernier vis-à-vis du fascisme. Lors de la formation de la Gemeinwesen matérielle, le prolétariat pouvait se développer englobé, intégré en elle, ce qui équivalait à sa destruction, puisqu'il était réduit à capital variable.

 

 

5.3.3.3. Cas de l'Espagne.

 

En Espagne on retrouve le même scénario mais greffé sur des particularités historiques différentes. L'Espagne est un cas particulier en Europe de pays dépendant du mode de production asiatique. Cela explique l'existence contradictoire en apparence d'un Etat central très fort, puissant, et d'une autonomie toute aussi puissante des provinces. Ce caractère fut encore renforcé par la défaite des bourgeois en 1522 (cf. Marx, Œuvres politiques, t. VIII p. 125, Ed. Costes). De là aussi à la fois la lutte opiniâtre et victorieuse contre la France durant les guerres napoléoniennes (Napoléon crut avoir conquis l'Espagne, parce qu´il avait pris Madrid) et l'incapacité d'organisation d'un vaste mouvement révolutionnaire qui puisse détruire les antiques rapports sociaux.

 

Pendant tout le XIXe siècle l'Espagne sera le point de départ de l'onde révolutionnaire et elle en sera la surface réceptrice lorsque celle-ci retournera affaiblie, amortie, après avoir secoué l'Europe, de telle sorte que comme Marx le rappelle : « L'Espagne avait dû supporter toutes les horreurs de la révolution sans y gagner en force révolutionnaire. » Il en fut de même pour la dernière grande vague révolutionnaire qui secoua l'Europe au début de ce siècle : elle naquit en Espagne avec les grèves insurrectionnelles de 1916 puis de 1919; elle s'y achève en 1936.

 

La puissance du localisme espagnol explique la prédominance de la tradition anarchiste en Espagne. Les anarchistes par leur position de 1873 ( ne pas vouloir soutenir la bourgeoisie pour abattre l'Ètat en place ) sont une des causes du développement retardé, presque figé de la société espagnole, de sa situation tout à fait instable: aucune des deux grandes classes de la société moderne ne se développant, l'armée apparaît comme le seul élément stable et domine l'Ètat. D'où l'importance des pronunciamientos dans l'histoire espagnole.

 

La classe ouvrière espagnole arriva difficilement à s'organiser en tant que classe ( l'organisation révolutionnaire fut d'ailleurs la CNT (1910), organisation anarchiste ). De ce fait, elle ne put en aucune façon porter une attaque unitaire contre l'Etat démocratique bourgeois. Pourtant dans les années 1920-30 le prolétariat se renforça de façon notable en conséquence du développement de l'industrie espagnole qui profita de la première guerre mondiale. L'influence de la révolution russe se fit sentir et favorisa le mouvement de radicalisation entre 1920 et 1930. Mais la transformation économique exigeait une modernisation de l'État qui faciliterait à son tour cette transformation pour la pousser plus avant. Cependant ceci ne pouvait plus se faire sans heurt du fait du renforcement de la classe prolétarienne.

 

La répression sur le prolétariat espagnol fut terrible surtout au cours des années 31, 32, 33 (aux Asturies notamment). Cependant la classe est affaiblie dans certaines zones mais non dans sa totalité ( aspect positif de la non organisation totale ), en particulier les ouvriers d'Andalousie conservent toutes leurs forces.

 

Le soulèvement de Franco préparé sous le gouvernement de gauche lui-même, après un départ foudroyant, rencontra une résistance très vive de la part des ouvriers. Ceux-ci réussirent en se battant sur leurs propres positions de classe à endiguer le mouvement réactionnaire et à menacer l'État bourgeois. La classe allait-elle se constituer en parti réel ?

 

Le front populaire, union sacrée, permit d'endiguer cette constitution, dévoya le mouvement prolétarien. La phase révolutionnaire de la lutte en Espagne était terminée. A la guerre civile fit place une guerre qui permettrait d'éliminer le prolétariat et où les ennemis de celui-ci étaient dans les deux camps. De ce fait elle allait avoir trois caractères fondamentaux :

-  briser la résistance du prolétariat,

- amener une formation étatique plus compatible avec le développement du capital,

- provoquer une lutte d'influences, d'intérêts entre les démocraties et les gouvernements et les gouvernements fascistes, ce qui en fait le prologue de la guerre de 1939-45.

 

Ceci est d'autant plus net que le soutien prolétarien sur le plan international se faisait au nom de la défense de la démocratie contre le fascisme et/ou au nom de la défense de l'URSS. Ce fut un moyen radical pour éliminer, à l'échelle internationale, les différents courants révolutionnaires; la plupart des révolutionnaires s'engagèrent dans la croisade pour sauver la révolution, etc. ... On eut les mêmes brigades internationales qu'en 1848 qui furent démocratiquement décimées ...

 

La lutte fut longue parce que le réformisme de type français ou anglais n'était pas possible; le capitalisme espagnol était trop faible ( avait donc besoin d'une intense exploitation du prolétariat pour se développer ) pour assurer son émergence.

Remarque :

Si dans un premier temps les faiblesses anarchistes constituent un des obstacles au développement d'un mouvement prolétarien, dans un second temps c'est la répression stalinienne, sous couvert de front populaire, qui liquida les militants révolutionnaires, alors que le mouvement anarchiste conduisit des luttes remarquables, par exemple en Andalousie.

 

L'incompréhension des phases intermédiaires, par exemple la nécessité de l'indépendance nationale devait être fatale : la non proclamation de l'indépendance de la partie espagnole du Maroc facilita le démarrage du mouvement de Franco.

 

C'est un peu abusivement que l'on parle de fascisme en Espagne. Il n'y a de similaire avec ce qui advint en Italie que l'utilisation de la violence. En Espagne le capital n'en était pas encore au stade où il pouvait passer à la domination réelle. Il y avait encore à éliminer les restes des modes de production antérieurs. La menace prolétarienne provoqua une alliance entre les forces capitalistes et celles des couches sociales antérieures. En outre le triomphe de Franco ne pouvait pas du jour au lendemain conjurer la menace et la peur du prolétariat. Ce n'est que prés de trente ans plus tard que l'Espagne devait connaître un développement capitaliste puissant préparant la domination réelle du capital, rendant inutile la dictature franquiste.

 

On peut parler de fascisme dans la mesure où il y a formation d'une communauté, intervention de l'Etat qui va se poser en représentant actif et démiurge de celle-ci. Par là il y eut possibilité de sauter des stades. Ainsi l'Espagne présenta une grande difficulté pour passer du premier moment du capital, le mercantilisme ( moment de la troisième détermination de l'argent ) au mode de production capitaliste effectif, à cause de la force des communautés. Or avec le franquisme il y a leur destruction et de ce fait possibilité pour un devenir à la communauté matérielle du capital. Cela montre qu'il n'y a pas le même enchaînement partout.

 

 

5.3.3.4. Cas de la France.

 

En France, il n'y eut pas de menace prolétarienne réelle. Il y eut seulement quelques épisodes révolutionnaires: révolte dans les tranchées, agitation des jeunes communistes lors de l'occupation de la Ruhr en 1923, campagne anti-coloniale en 1925 lors de la guerre du Rif, mais il ne s'agissait en aucune façon d'une menace pesant sur l'Ètat, sur la société bourgeoise. Cela découlait du faible développement du prolétariat depuis la Commune de 1871. En effet l'industrie s'était peu développée en France par peur du prolétariat et le pays était devenu surtout usurier et agricole. D'où le fleurissement du réformisme, le culte de la tradition de 1793, le prolétariat demeurant une aile gauche de la bourgeoisie.

 

Cependant entre 1919 et 1935 un certain développement industriel se produisit conduisant à un changement de composition de la classe devenant réellement ouvrière et non plus artisanale. C'est elle qui se souleva en 1936. Mais ceci s'effectua après un renforcement considérable de l'Ètat et après la défaite du mouvement révolutionnaire en Allemagne et en Italie ainsi qu'après le passage ouvert de l'URSS à la contre-révolution ( cf. congrès de l'I.C. de 1935 ). Aussi l'intervention du fascisme ne fut pas nécessaire. Le gouvernement de front populaire put très facilement avec l'aide souveraine du PCF et de la CGT désamorcer le grand mouvement en accordant des avantages sociaux, repris deux ans plus tard pour les besoins de la guerre venant.

 

Remarques :

 

1. Les faiblesses historiques du mouvement ouvrier français expliquent la situation entre 1914 et 1936. Cependant c'est le stalinisme qui dévoya et inhiba le mouvement de formation de la classe: la bolchevisation d'abord, la lutte contre le fascisme ensuite. Ceci explique que le grand mouvement de 1936 put facilement refluer: les prolétaires avaient été vidés de tout esprit révolutionnaire.

 

2. L'idéologie du front populaire implique que le peuple pourrait être plus fort que le capital, alors qu'il est un produit de ce dernier. D'autre part l'existence de ce peuple veut dire qu'il y a un certain équilibre entre le capital tendant à la domination réelle sur la société et toutes les forces de cette dernière qui s'opposent à lui. Le prolétariat fait partie de cette société à partir du moment où il ne défend plus sa position de classe mais défend le peuple, ce conglomérat de classes que la bourgeoisie devait à l'origine diriger au moyen de la démocratie politique.

 

 

5.3.3.5. Cas des Etats-Unis.

 

Aux USA, dans les années qui suivent la crise de 29-32, on a une menace prolétarienne importante. C'est la première constitution de la classe, mais cela n'est pas suivi par un assaut au pouvoir du capital. L'Ètat capitaliste doit tout de même réagir et le New Deal comporte un ensemble de mesures similaires à celles du fascisme qui visent à enrayer la montée prolétarienne, en rationalisant le procès total de production. C'est le moment où le capital conquiert l'État et l'on a donc le passage à la domination réelle de celui-ci sur la société.

 

La violence généralisée contre le prolétariat ne fut pas nécessaire bien qu'elle ait été appliquée dans tous les secteurs où cela fut nécessaire pour la défense globale du capital. En outre aux USA le prolétariat était, encore plus qu'en Europe, limité à une base économique; c'est-à-dire qu'il ne s'opposait pas réellement. Il ne posait aucune alternative; il voulait tout au plus gérer ce qu'il y avait, c'est-à-dire faire encore du capital. Sinon pourquoi la crise économique de 29-32 n'aurait-elle pas pu engendrer un grand mouvement révolutionnaire. Dans les pays européens le prolétariat était fatigue, voire épuisé (Allemagne), l'IC jouait un rôle énorme de dévoiement, mais aux USA le terrain demeurait encore vierge (ce n'est qu'après le mouvement d'occupation des usines 35-36 que les trotskystes purent s'implanter aux USA)

 

Le caractère nationaliste et autarcique correspond à cette phase de défense généralisée du capital qui s'effectue dans chacune des zones où un certain quantum de capital nation arrive grâce à l'État à mater la montée révolutionnaire. Il y a régénération dans chacune des zones ce qui n'empêche pas que l'un d'entre eux puisse aider celui qui est le plus menace : cas de l'Allemagne et rôle du capital étasunien dans la réalisation de la domination réelle du capital sur la société dans la zone européenne.

 

Aux USA on a une confluence : formation de la nation, du marché intérieur, de la classe et grande crise économique (de production et de spéculation) et tendance du capital à se constituer en totalité grâce au marché monétaire. Il semblerait qu'à partir de là le capital effectuerait comme un repli pour repartir à l'attaque après 1945 et triompher totalement.

 

Enfin on doit noter le rôle déterminant des USA dans la montée du nazisme par riposte à l'agression à l'Europe.

 

Remarque :

 

Le fascisme est un mouvement insurrectionnel en réponse à celui de grande amplitude du prolétariat. Pour triompher en une espèce de révolution populaire, il fallut qu'il détruise non seulement la force prolétarienne, mais qu'il conquière l'appui des classes moyennes, c'est-à-dire les classes coincées entre le capital et le prolétariat, classes qui sont le plus menacées par la crise par suite de leur position intermédiaire. De ce fait elles peuvent très bien dans un premier temps soutenir le prolétariat mais dès que le mouvement de celui-ci est enraye, elles basculent dans le camp opposé à la recherche d'une communauté qui puisse les englober, les sauver. Il en fut ainsi en 1922 en Italie confirmant par là la prévision indiquée au début de 5.3.3.1.

 

En Allemagne le phénomène fut encore plus net. Au cours des années 27-28 il y eut un développement considérable du capitalisme accompagné d'une rationalisation de la production et d'une augmentation de la productivité du travail. Le nombre des ouvriers s'accrut faiblement mais le nombre des composants des nouvelles classes moyennes, produits du capital, se fit de façon considérable ( en cela l'Allemagne de ces années-là préfigure bien les USA des années 55 à 68 où le phénomène est encore plus ample ). Lors de la crise de 1929 la faiblesse du prolétariat tant dans les limites de l'Allemagne que sur le plan international injecte le doute sur sa capacité à diriger la société et à résoudre le grave problème de la situation allemande consécutive au traite de Versailles. Les nouvelles classes moyennes se tournent vers le nazisme et pensent se sauver en s'intégrant pleinement dans la nation.

 

Le mouvement ouvrier international n'avait jamais abordé le problème de ces classes ou bien s'était contenté de lancer des anathèmes contre elles allant à l'encontre de ce que Marx préconisa :

 

« De ce point de vue, c'est une absurdité de plus que de faire des classes moyennes conjointement avec la bourgeoisie, et, par dessus le marché, des féodaux “ une même masse réactionnaire en face de la classe ouvrière. » ( Grundrisse, t. 1, p. 27 ).

 

Précisons que si la question des classes moyennes a été abordée, il n'en fut pas de même pour les nouvelles. Enfin il ne faut pas oublier que le fascisme correspond également à une nécessite interne de la société capitaliste.

 

5.3.3.5. Fascisme et bonapartisme

 

« Le bonapartisme est la forme nécessaire de l'État dans un pays où la classe ouvrière, bien qu'ayant atteint un haut niveau de développement dans les villes, mais numériquement inférieure aux petits paysans à la campagne, a été vaincue dans un grand combat révolutionnaire par la classe des capitalistes, la petite-bourgeoisie et l'armée. » Engels

 

(On a abordé cette question du bonapartisme dans une réunion en 1960 à Paris. Nous avons reproduit son compte-rendu dans une brochure contenant des textes de 1957 à 1965. On y trouvera d'amples citations de Marx et d'Engels sur ce sujet, ainsi que des considérations sur la situation de la France de l'époque qui complètent celles qui sont abordées ci-dessous. Note de 1991)

 

1. Après la Commune de Paris, par peur du prolétariat, le capital ne s'est pas développé en France de telle sorte que même sous sa forme républicaine la société française était encore bonapartiste. Le bonapartisme tendait toujours a resurgir. La crise Boulanger, le général revanche, en est un bon exemple. La guerre de 14-18 ne provoqua pas une secousse assez puissante dans cette société qui gardait son empire colonial et son rôle usurier. La seconde guerre mondiale en revanche eut une influence autrement plus profonde directement et indirectement à cause de la grande révolution anti-coloniale. C'est au début des années 50 que finalement la France rattrapait le niveau économique de 1929. L'union sacrée pendant et après la guerre avait permis de produire toujours plus et de renvoyer la satisfaction des revendications ouvrières dans un avenir de plus en plus lointain...

 

2. C'est à partir de 1954 environ que le mouvement d'expropriation des petits paysans commença à prendre une certaine ampleur, que l'industrie se concentra. Et le mouvement devait s'accélérer au cours des années ... Cependant la petite propriété paysanne avait sa plus sûre garantie de survie dans le maintien de la grande propriété foncière capitaliste en Algérie. Cette dernière produisait directement pour le marché mondial et français, permettant de maintenir une économie se suffisant presque à elle-même, rempart de la conservation sociale.

 

3. La perte de différentes colonies, la guerre d'Algérie ensuite provoquèrent un déséquilibre important dans la société française. Toute sa modernisation, sa transformation, était enrayée. Il fallait donc que le mouvement économique spontané soit relayé par une direction politique qui le favorise en éliminant les obstacles à son développement. Telle fut la nécessité de l'avènement du gaullisme.

 

4. De Gaulle était bien dans la lignée de Boulanger et Napoléon III. C'était le général revanche. Mais en fait son rôle historique ne devait pas et ne pouvait pas être celui-là car il fallait obligatoirement en finir avec les restes de l'empire. Paradoxalement, la France ne pouvait être sauvée et réussir une certaine revanche non vis-à-vis de l'Algérie (et même pour certains de la Tunisie et du Maroc) mais du bloc anglo-saxon, étasunien surtout, qui tendait à faire de la France non seulement une colonie économique mais politique des USA, qu'en abandonnant l'empire.

 

5. 1958 ne fut pas le triomphe du fascisme, mais celui d'une forme bonapartiste qui à l'inverse des précédentes devait en finir avec les potentialités bonapartistes de la société française. En effet sous cette forme archaïque l'État commençait à se transformer parce que les données de la société française s'étaient modifiées. Le prolétariat français ne s'opposa pas au gaullisme pour défendre le parlementarisme et la démocratie. De ce fait il était évident que l'État ne tenterait rien contre la classe ouvrière, se gardant bien de la provoquer. D'autre part cette dernière, au moins formellement, réclamait la fin de la guerre - sinon dans une perspective prolétarienne du moins dans une perspective immédiatiste: la fin des souffrances, etc. ... Des lors il ne restait plus que deux couches sociales qui devaient être sacrifiées, parce que devenues totalement inutile: la petite bourgeoisie (et les ouvriers vivant en Algérie et qui tiraient profit de la colonie), et les petits paysans. L'expropriation de ces derniers allait s'accélérer à partir de 1958 parce que le mouvement fut favorisé par l'État.

 

6. Dans un premier temps, par suite de la lutte contre les éléments qui devaient être éliminés ( représentés par l'OAS ) on a triomphe du contenu fasciste ( mouvement gaulliste ) sur sa forme (OAS ). D'autre part les courants de gauche, PCF tout particulièrement, partisans de l'État fort, sont aussi pour le contenu sans la forme. Cependant avec la fin de la guerre d'Algérie (1962) et la continuation du phénomène d'expropriation des paysans, la mutation de la société française est parachevée, elle devient fasciste dans son contenu.

 

7. La société française ne fut qu'imparfaitement libérée du passé et ne put avoir réellement un grand développement capitaliste. Au lieu d'utiliser ses excédents d'or pour renouveler la machine productive, accroître le capital fixe, la productivité du travail, et par là la production industrielle, elle chercha à récupérer du capital en essayant de forcer la politique monétaire des USA. Avec la spéculation sur le franc (1968) et la dévaluation (1969) le côté original du gaullisme, son excroissance, sa divagation historique greffée sur des particularités de la société française, disparaît et la domination réelle du capital - celle des USA - est reconnue.

 

8. Le mouvement de Mai-juin 68 en plus de la grande discontinuité historique qu'il a marquée a eu pour conséquence la réorganisation de l'État en France, en le renforçant: unification de tous les courants dont les anciens qui avaient été partisans de l'Algérie française. Par là-même sont enterrées toutes les conséquences de la phase coloniale et de la décolonisation et la France connaît la domination réelle du capital (l'idéologie officielle de glorification du travail en est une expression éclatante).

 

Variantes: après le paragraphe 5, on avait envisagé ceci :

 

6'. L'élimination ne fut pas immédiate. Le nouveau pouvoir était prisonnier des forces qui l'avaient favorisé. D'autre part il fallait trouver en Algérie une troisième force entre les ultras français ( OAS ) et la révolte des masses expropriées. Ce fut le FLN. Les difficultés du règlement du conflit algérien provinrent du fait que d'un côté comme de l'autre le gouvernement ( avec le GPRA gouvernement provisoire de la république algérienne créé en Algérie en 1959 ) n'était pas a même de faire respecter un accord éventuel. D'où le putsch d'Alger en 1960 et sa tentative de généralisation en France. Ce fut De Gaulle qui sauva la démocratie des griffes du fascisme importe d'Afrique du Nord. Pourtant c'est le mouvement gaulliste qui est partisan réel et conséquent de l'État dans l'économie, d'une société corporatiste, etc. ... donc favorable à un programme fasciste. Autrement dit en 1960 et 1961 c'est le contenu qui l'a emporté sur la forme, le développement réel du capital sur la violence et les bouffonneries de l'OAS.

 

7'. D'autre part les organisations qui représentent le prolétariat tel le PCF voulaient quoi ? des nationalisations, la défense des « justes » intérêts de la France en Algérie, la fin de la guerre parce qu'elle hypothéque les chances de la France dans la lutte au sein du Marché Commun, défense des petits paysans, un pouvoir fort.. En conséquence en dehors des positions démagogiques ( défenses des petits paysans, des artisans ), elles veulent le contenu sans la forme. Ce sont des fascistes passifs ( Bordiga ) et avec eux tout ce qui devait advenir : PSU, etc. ...

 

8'. Après avoir perdu en 1960 et 61, la petite-bourgeoisie perdit définitivement en 1962 (fin de la guerre). D'autant plus que l'intervention du prolétariat algérien devait radicaliser un certain temps la situation en faisant abroger les accords FLN-OAS et en limogeant Ben Kedda. Le mouvement des masses révolutionnaires fut malheureusement enrayé ensuite avec le mouvement ben belliste prisonnier de sa victoire. Il lui était difficile de ne pas jouer au socialisme et de ne pas s'opposer à la France. Les éléments français d'Algérie durent quitter l'Algérie tandis que le mouvement de l'OAS était jugulé. Cependant les résistances au développement du capital se faisaient tout de même sentir et, lié aux récessions en cascade des années 62-65 qui affectèrent le pays, on eut un certain ralentissement du développement du capital vers 1965.

 

9'. Un autre phénomène d'une grande importance explique aussi les difficultés du capitalisme français : la concurrence des pays capitalistes ayant une composition organique plus élevée en capital ( productivité plus élevée, capital fixe énorme ) dont le plus important était les USA. Or la France encore plus que les autres pays d'Europe comme Allemagne, suisse, Belgique, avait fait appel à une exploitation effrénée du prolétariat ( donc avait recouru à un accroissement de capital variable ) faisant venir d'Afrique et même d'Asie un grand nombre de prolétaires pour les englober dans l'immense procès de production. L'Europe redevenait négrière. 1964 enregistre le maximum du phénomène. Mais ceci n'était pas suffisant pour riposter a l'implantation étasunienne ( accroissement important du nombre d'entreprises installées en Europe qui pompaient les capitaux disponibles par des emprunts sur les marchés européens ). Il fallait moderniser. Mais cela voulait dire accroître le capital fixe, donc nécessité d´investissements très importants qui ne pouvaient pas être réalisés uniquement par un autofinancement. C'est la que se posait la question de l'Etat: pourquoi ne pas investir le "trésor", le fameux excédent d'or, pour renouveler la machine productive ?

 

10'. Tant qu'il y a des prolétaires en nombre croissant on peut limiter la concurrence, même s'il y a une certaine perte. Il n'y a pas urgence dans les transformations. Ceci n'étant valable cependant qu'à un certain niveau de développement technologique donc de productivité du travail. On comprend encore une fois que persévérer dans la volonté de faire pression sur les USA en espérant une réforme du système monétaire international qui ne fonderait plus le crédit uniquement sur le dollar ( ce qui permettait aux étasuniens de financer comme ils voulaient les investissements en Europe et ailleurs ) mais d'une autre façon, par exemple par un retour à l'or, aurait permis de revaloriser la monnaie française etc., et permettrait aux capitalistes français d'engendrer du crédit sur leurs propres bases. Le côté financier en filiation à la dimension usuraire du capitalisme français se faisait encore sentir.

 

11'. Le mouvement révolutionnaire de Mai-juin 1968 est venu tout remettre en question. Le prolétariat se mettant en mouvement sur une base non encore proprement classiste cela veut dire qu'il n'est plus possible d'extraire la même quantité de plus-value, surtout que la garantie de paix sociale n'est plus totalement assurée. Des lors se fait sentir l'exigence d'un renouvellement de la machine productive, d'une rationalisation, etc. ... Les causes qui avaient amené à lancer la reforme Fouchet sont encore plus opérantes, plus contraignantes. Il faut absolument lier l'université à la production, former des techniciens, si l'on veut avoir une efficience quelconque, une possibilité de lutter contre la concurrence.

 

La crise a fait rencontrer la forme avec le contenu. les anciens de l'OAS ont été amnistiés ainsi que tous les spécialistes de la guerre subversive, renforçant ainsi l'État, tandis que celui-ci avec son chef ne peut plus apparaître comme étant au-dessus ( un vrai État bonapartiste ) mais comme étant lié directement aux intérêts du capital contre la classe ouvrière. De ce fait l'État gaulliste est devenu un État fasciste ce qu'il tendait à être dès le début de sa fondation en 1958. Il est évident qu'étant donné qu'il n'y a plus de menace prolétarienne (PCF et CGT ayant bien accompli leur rôle) il n'y a pas de nécessite d'utiliser la violence et de ce fait les anciens de l'OAS et autres groupes n'ont pas besoin de se manifester. La forme peut être voilée, le contenu reste. Il suffira d'une crise pour que l'aspect formel, superficiel du fascisme apparaisse: la violence répressive généralisée.

 

09. En Allemagne avec le triomphe de la social-démocratie et l'écrasement du prolétariat en 1919, toute trace de bonapartisme est définitivement éliminée, car dés ce moment il n'y a plus un quelconque équilibre entre deux classes et l'intervalle entre 1919 et 1933 est occupé par la formation du nouvel État que les fascistes n'eurent qu´à conquérir de 1'intérieur. L'armée elle-même perdit son autonomie et devint l'armée de la nation qui est devenue capitaliste. La théorisation du bonapartisme à propos de la société française de la part de Trotsky revêt une part de réalité, elle n'a aucune pertinence en ce qui concerne l'Allemagne. Elle montre à quel point celui-ci ne comprenait pas les phénomènes nouveaux de l'accession du capital à sa domination réelle, parce que le procès total de vie du capital n'était pas au centre de sa position théorico-critique; d'où son recours à la politique afin d'expliquer.

 

10. Ainsi les ressemblances entre bonapartisme et fascisme sont superficielles et concernent le mode extérieur de domination: la violence, laquelle fut toujours vigoureusement utilisée dans toutes les sociétés de classe. Dans le bonapartisme on a un équilibre entre deux classes, dans le fascisme il y a domination de la classe capitaliste mais elle tend à se présenter comme domination du capital communauté matérielle, forme achevée de la domination qui dépasse par là la domination fasciste. Le bonapartisme parvient au pouvoir à cause de l'incapacité de l'une des classes à l'emporter et à dominer l'autre, le fascisme l'emporte en utilisant la force des classes moyennes et assure la domination du capital. Le fascisme comme le bonapartisme veut l'extinction du paupérisme, le deuxième en ayant recours à des mesures politiques, le premier à des mesures économiques. Tous les deux glorifient le travail. Le bonapartisme effectue une organisation politique qui permettra le plein épanouissement de l'économie, le second favorise la domination totale de l'économie qui s'annexe la politique. Le fascisme c'est le réformisme qui doit diriger la mutation du capital.

 

Le bonapartisme est une condition au grand développement du capital de telle sorte qu'inévitablement il se transforme en fascisme. Ce dernier assure la domination du capital à l'échelle sociale en obligeant le prolétariat à s´intégrer dans la société capitaliste, il l'oblige à n'être que capital variable. Celui-ci une fois intégré, il y a épanouissement total de la domination du capital qui impose un esclavage généralisé aux hommes : la rigidité du fascisme est dépassée et le capital reprend son mouvement en organisant ...

 

Le fascisme permit de supprimer l'autonomie de toutes les composantes de la société; ainsi de l'armée qui ne peut plus être une caste particulière. Elle est soumise au capital et à ses exigences valorisatrices.

 

Il est impossible de parler de bonapartisme en URSS. En France la défaite du prolétariat est déjà effective en 1795 et surtout en 1797. Tout le Directoire est affirmation de la domination prosaïque de la bourgeoisie (Marx). « Napoléon ce fut la dernière bataille du terrorisme révolutionnaire contre la société bourgeoise et sa politique, également proclamées par la Révolution ( ... ) il pratiqua le terrorisme en remplaçant la révolution permanente par la guerre permanente. » (Marx) Les ouvriers français soutinrent Napoléon parce qu'il représentait tout de même la révolution; c'était la fin de la féodalité. En Russie les ouvriers devaient-ils soutenir Staline ? ceux d'Occident devaient--ils également le faire ?

 

En URSS après la destruction de la transcroissance prolétarienne on aurait plutôt une situation ressemblant à celle de 1851 en France. On aurait donc un bonapartisme de second style. Or ce second bonapartisme, à son corps défendant, dut conduire des guerres de systématisation nationale, ne serait-ce que pour parachever sa domination a l'intérieur. Le stalinisme non seulement ne soutint pas l'émancipation, mais il contribua à l'asservissement des peuples pour augmenter ses aires d'influence, voila pourquoi certains parlèrent d'un nouvel impérialisme ou de l'impérialisme rouge (V. Serge).

 

Là encore les analogies sont superficielles. La restauration en France se fit sous couleur monarchique, en Russie avec le despotisme oriental; tout en développant le capital; le soutien aux nationalités était trop dangereux parce qu'il risquait de relancer le prolétariat.

 

 

5.3.3.6. Fascisme, bonapartisme, stalinisme.

 

Nous avons vu que le schéma fasciste et celui stalinien n'avaient que des différences de pure propagande. Tous deux empruntaient à la théorie communiste. Ils empruntèrent des éléments au schéma du parti formel de l'époque. Cependant si ce sont deux formes convergentes, on ne peut pas dire que stalinisme et fascisme recouvrent une seule et même réalité.

 

Le fascisme correspond à la période de passage de la domination formelle sur la société à la domination réelle. Son schéma exprime au mieux la nécessité de plier le prolétariat au procès du capital; il exprime la défaite du prolétariat dans sa tentative de détruire ce dernier. Le stalinisme exprime la même défaite du prolétariat mais en même temps une victoire, celle d'avoir imposé le mode de production capitaliste à l'aire slave. Dans sa généralisation, le stalinisme n´apparaîtra que comme une forme de gauche du fascisme, car le but est le même assujettir le prolétariat au pouvoir du capital ( thèse impliquant la dimension progressive de l'implantation du capital dans l'aire slave ).

 

La déification de l'État dans le cas du fascisme correspond à celle de la rationalisation d'une machine fonctionnant pour les intérêts du capital. Dans le cas du stalinisme elle provient du fait que momentanément l'État stalinien est en équilibre sur deux classes, le prolétariat et les paysans. Plus le capitalisme se développe, plus intervient un déséquilibre parce que les couches représentantes pures du capital se développent et trouvent des alliés chez les kolkhoziens. L'État apparaît de plus en plus comme celui d'une classe. Cependant étant données les particularités du développement historique et le rapide développement du capital, la classe capitaliste elle-même peut n'être pas visible, donc être plus ou moins escamotée. C'est alors une domination capitaliste plus directe; autrement dit la phase de domination formelle a été écourtée par suite de l'intervention du prolétariat. Pendant la période intermédiaire on eut quelque chose de semblable à la monarchie absolue, l'État autonomisé. Maintenant on a au contraire quelque chose de type fasciste mais encore en retrait sur l'Occident où la forme de l'État est plus fluide et fait moins obstacle à la valorisation.

 

Le futur n'est pas vers une fascisation ( phase dépassée ) de la société soviétique mais vers une étasunisation: démocratie sociale plus accentuée, despotisme du capital, réalisation de la communauté matérielle.

 

Il est noter que stalinisme et fascisme ont utilisé les camps de concentration, le travail forcé. Cependant dans le cas du premier on en était encore à la formation même du capital; c'est pourquoi on peut comparer son action a celle de la bourgeoisie anglaise fondant les workhouses.

 

Avec le fascisme le capitalisme s'est pleinement emparé de l'État. Il est donc une conciliation. Dès lors l'État puissant c'est le capitalisme puissant; il est un médiateur entre différentes organisations.

 

Il serait important de noter la dimension foncière du fascisme dans certaines de ses variantes par exemple avec le pétainisme en France. L´intégration de l'œuvre de Maurras qui affirme un enracinement, une certaine exaltation de la nature au travers justement de la dimension foncière avec la volonté de retourner à une base nationale, paysanne, etc., ... Ceci est à voir pour comprendre l´ambiguïté du fascisme se présentant comme l'expression du refus de l'expansion du capital bien que c'est lui qui va en assurer le triomphe.

 

 

5.3.3.7. Cas de divers pays.

 

En Europe il s'agit du Portugal avec le Salazarisme, de la Grèce, de la Roumanie etc., ou la domination réelle du capital ne se vérifie que bien après la fin de la seconde guerre mondiale.

 

Au Mexique se pose la question de situer correctement l'impact des diverses révoltes paysannes ainsi que le mouvement des christeros. Ensuite le mouvement des nationalisations de Cardenas est tout à fait compatible avec le contenu du fascisme. En Argentine le péronisme ( 1944 ) présente également des caractères fascistes mais l'essentiel est toujours le passage à la domination réelle du capital. Le Brésil présente un cas particulièrement intéressant et complexe. Le Chili etc. ...

 

 

5.3.3.8. Fascisme : idéologie-théorie.

 

Il n'y a pas de théorie ni de programme fascistes. Dans un premier temps, celui où il est sur le plan de la phase insurrectionnelle contre le socialisme, il pille le programme socialiste et est sensible aux réactions des masses mécontentes. Il leur emprunte des mots d'ordre pour les dévier : suffrage universel avec vote des femmes, destruction de l'inégalité des sexes; impôt extraordinaire et progressif, faire payer les riches; lutte contre le capital étranger; terre aux paysans, culture en coopération. Mais surtout il va exploiter l'anti-parlementarisme des masses, leur anti-démocratisme. Le système démocratique est présenté comme étant miné par la corruption, comme un lieu générateur de divers profiteurs. Au lieu de s'appuyer sur cet instinct pour faire accéder à la claire conscience de la nécessité de rompre une fois pour toutes avec la démocratie, les fascistes vont se servir de lui pour faire accepter que tous les maux de la société sont dus au système démocratique en tant simple mode de gouverner et pour présenter le fascisme comme une forme organisationnelle allant au-delà du capitalisme et du socialisme.

 

Il pille le programme : nécessité d'instaurer la journée de travail de 8 heures, utilisation du parti. Toutefois ce dernier peut être considéré comme un anti-parti, parce qu'il n'a pas de principes fixes ( il a seulement des normes ), et ne vise que l'action du moment. En ce sens les fascistes sont des bernsteiniens : le mouvement est tout, ou des gramscistes : il faut analyser les problèmes concrets; apologie de la praxis historique.

 

Cependant une fois qu'il aura exploité la vague insurrectionnelle populaire en la dirigeant contre le prolétariat, en la mettant au service d'un État qui ne s'était pas opposé à lui, mais avait besoin de son apport pour se moderniser et se renforcer, le fascisme abandonne ses ornements prolétariens liés à sa naissance et prend son vrai visage; par là apparaît aussi son apport, se manifeste sa nouveauté.

 

« Il apporte cependant quelque chose de nouveau dès que l'on passe du plan de l'idéologie à celui de l'organisation. Il nous faut alors immédiatement affirmer qu'apparaît ici quelque chose que ni la bourgeoisie italienne ni celle des autres pays n'avaient employé. Jusqu'ici la politique de la bourgeoisie italienne était caractérisée par le fait qu'elle possédait certes de grands chefs, des politiciens professionnels, des parlementaires qui pouvaient compter lors des élections sur un grand nombre de voix, grâce à son grand parti libéral. Mais au point de vue de l'organisation, la bourgeoisie italienne était totalement démunie. Le parti libéral possédait une doctrine claire et concrète, une tradition historique bien définie et, du point de vue bourgeois, une idéologie tout à fait suffisante. Mais elle manquait d'organisation. Le fascisme a complètement bouleversé cet état de faits : il n'apporte rien de nouveau au point de vue idéologique... mais il apporte un facteur nouveau dont les vieux partis étaient totalement dépourvus, un puissant appareil de lutte, puissant tant comme organisation politique que comme organisation militaire. Ceci prouve que dans la crise grave que traverse actuellement le capitalisme, l'appareil d'État ne suffit plus pour défendre la bourgeoisie. » ( Discours de Bordiga au Ve congrès de l'IC, 02.07.1924 ).

 

Cependant cette réalisation sur le plan de l'organisation demeure dans le cadre théorique bourgeois; elle est une exigence théorique de la société capitaliste. La révolution bourgeoise mit les masses en mouvement, masses ayant perdu leur antique communauté. La question fut : comment les organiser, leur donner une autre communauté ? La nation telle fut la réponse et il faut des lois pour organiser les rapports à l'intérieur de celle-ci : rapports entre les individus et entre ceux-ci et l'État. Le fascisme trouve une autre forme d'organisation pour sauver la société bourgeoise et par là, en définitive, pour sauver la communauté totale du capital. Plus précisément : c'est l'organisation qui va permettre à ce que s'instaure la vraie communauté du capital.

 

Tout problème de la société humaine posé sous l'angle de l'organisation, c'est-à-dire du comment on doit organiser les hommes, est un problème capitaliste; pour les communistes il n'y a pas de problème.

 

« Il intègre et ne démolit pas le libéralisme bourgeois. Il réalise dans l´organisation qui est autour de la machine officielle de l'Etat, la double « fonction » défensive que la bourgeoisie conduit. » « Sa formule de constitution est : tout organisation, pas d'idéologie, de même en correspondance dialectique, celle du parti libéral est : tout idéologie, pas d'organisation. » ( Bordiga )

 

La vision communiste est en dehors de cela, parce que selon les communistes la classe ouvrière se constitue en classe et donc en parti et par là devient un être historique. Donc nous analysons les données historiques sous l'angle suivant : quelles sont les conditions de la réformation de la classe en parti ? Il n'y a pas de question d'organisation. Le prolétariat retrouvera son être en retrouvant sa théorie; théorie et action sont liées.

 

Dans la révolution à venir l'humanité se mettra en mouvement, l'action du parti ( résultat du mouvement d'unification ) consistera à favoriser l'unification de celle-ci. Il n'est pas question de trouver une forme plus adéquate pour l'organiser, l'humanité formera l'être collectif : la communauté humaine, la Gemeinwesen.

 

Cette nécessité organisationnelle correspondait et correspond au passage du capitalisme de sa phase de domination formelle à celle réelle. Le capital s'est développé sur la base de la production marchande simple, laquelle avait engendré l'idéologie libérale, l'individualisme, justice et égalité. Cette théorie du laisser-faire, laisser-passer correspondit à la phase d'émergence du capital et à celle de sa constitution. Lorsqu'il se développe sur sa propre base il intègre la concurrence, il socialise la production et les êtres; il élimine les personnages. Il lui faut une organisation pour le défendre. C'est ce à quoi correspond le surgissement du fascisme.

 

Ceci apparaît de façon nette en Allemagne : la théorie du capitalisme organisé se développe en même temps que l'organisation nazie. Au fond le mouvement se faisait spontanément. Cependant il arriva un moment où il fallait tout de même un changement dans l'État existant pour assurer le triomphe de cette mutation. L'avenir, le communisme, et le passé, la caste de l´armée en particulier, constituaient des freins. Il fallut donc éliminer le prolétariat et l'armée. Celle-ci fut intégrée dans la nation et perdit son autonomie qui lui restait de l'ancien État bonapartiste bismarckien.

 

C'est pourquoi aussi l'État nazi interviendra beaucoup plus dans l'économie que ne le fera l'État fasciste italien. Le fascisme né en Italie, dévoile son contenu réel en Allemagne (cf. la Volksgemeinschaft ).

 

Le corporatisme initial n'est qu'une forme résurgente d'un passé révolu, comme chaque fois que la société subit une transformation. Il a surtout pu se développer dans les pays non pleinement développés comme l'Espagne et le Portugal. Dans tous les cas cela ne pouvait correspondre qu'au développement initial parce qu'il fallait immobiliser la classe prolétarienne avant de pouvoir la dominer complètement et la mettre dans une relation nouvelle. Celle-ci s'est le mieux exprimée dans le capitalisme populaire, la participation, celle qui intègre réellement le prolétariat dans la société capitaliste et redonne la mobilité nécessaire au mouvement du capital.

 

Si le fascisme n'a pas de théorie propre cela dérive du fait qu'elle était déjà toute prête, qu´il n'avait qu'à la prendre et à la colorer du moment de son intervention. Ce sont les sociaux-démocrates de tous les pays qui ont en fait décrit la société fasciste, ce sont eux qui croyaient pouvoir dominer la société capitaliste, dominer le capital. Ils ont donc produit tous les éléments nécessaires à l'arsenal fasciste : plan, exaltation du travail, de la nation. En quelque sorte on a le même phénomène qu'avec les saint-simoniens. D'ailleurs ce sont eux qui en Allemagne préparent l'avènement du fascisme-nazisme.

 

Hilferding: articles du Neuer Vorwaerts (fin 1938, début 1939). «Il devient de plus en plus difficile de décrire le cours des événements économiques en termes purement économiques. Les lois propres de l'économie capitaliste, se sont progressivement modifiées, du fait de leur subordination aux nécessités politiques. Au Japon, en Russie, en Allemagne, en Italie, un appareil gouvernemental dictatorial a acquis le contrôle des forces matérielles et humaines de production, et il les a obligées à opérer en vue de main tenir et d'étendre son pouvoir. La politique domine l'économie et la soumet à ses propres fins... »

 

«En Europe orientale et centrale et dans de nombreux pays latins et sud-américains, le pouvoir politique est parvenu à exercer une influence décisive sur le développement économique. Et dans de nombreuses régions d'économie prétendue libre, principalement en Suisse, en Belgique, en Hollande, dans l'Empire britannique et aux EU, des tentatives ont été faites pour contrôler la vie économique. Ces tentatives ont eu une incidence considérable sur le cours du développement de l'économie, singulièrement en France et aux EU.» ( Cité par Bertram D. Wolff:  Le marxisme une doctrine politique centenaire , Ed. Fayard, p. 374 ).

 

Ces textes sont postérieurs à la victoire du fascisme mais ils sont en continuité parfaite avec ceux antérieurs cités auparavant sur le capital organise.

 

Jean Jaurés : « ... il se peut très bien que, sous l'action de forces économiques nouvelles, la propriété individuelle rentre un jour dans la sphère de l'État et dans le domaine de la Nation, comme la propriété de l'Église, d'abord supérieure à l'État, en avait dû subir enfin la loi. » « ... le produit net de la terre doit se diviser entre la Nation elle-même, pour de grandes œuvres d'intérêt commun, et ceux qui travaillent le sol. » Histoire socialiste de la révolution française.

 

Tout le mouvement européen du début des années de ce siècle est bien celui de la constitution du prolétariat en classe dominante, donc en tant que classe de gestion du capital; c'est la fin du cycle prolétarien. Que dit Mussolini :

 

« La crise du capitalisme est le passage d'une ère de civilisation à une autre ». « La solution à la crise est le corporatisme où l'autodiscipline serait confiée aux producteurs. Et quand je dis producteurs j'entends aussi les ouvriers... »

 

« Quant au fascisme, son objectif est une plus grande justice sociale : le travail garanti, un salaire équitable, une habitation décente. Cela n'est pas suffisant. Car les ouvriers, les travailleurs, doivent être de plus en plus intimement associés à la production si l'on veut qu'ils se plient aux exigences de la discipline. » 1934

 

« Mais cette propriété est considérée, non pas seulement comme un droit, mais comme un devoir, à tel point que nous pensons que la propriété doit être entendue dans son sens de fonction sociale; ce n'est donc pas la propriété passive, mais la propriété active qui ne se limite pas à jouir des fruits de la richesse, mais qui les développe, les augmente, les multiplie. » ( idée du multiplicateur à la Keynes, du plein emploi etc. ... )

 

De ce fait il était idiot de parler de social-fascisme, d'identifier purement et simplement fascisme et démocratie car cela laisse de côté tout le contenu de la démocratie sociale et, d'autre part, cette accession du prolétariat a la domination sous forme mystifiée, mais à la domination tout de même. C'est son être qui est dominateur même si les individus doivent en pâtir.

 

Remarque: lorsque Rubel fait de l'œuvre de Marx une «éthique», il réduit le rapport de Marx au prolétariat à un problème d'émancipation de la classe la plus souffrante et escamote l'aspect subversif: la misère révolutionnaire. Toutefois quel est le rapport qui a réellement triomphé ?

 

5.3.3.9. Fascisme, réformisme, démocratie sociale, etc..

 

Il est important de tenir compte des remarques de Bordiga sur le lien réformisme fascisme, ce qui paradoxalement vient étayer le thème du réformisme révolutionnaire de Marx. Cf. Battaglia comunista n°. 4, 1950. Dans le n° 5  Capitalisme et réformisme: fascisme essai de constituer une réserve sociale; lier le prolétariat à la conservation du système social. D'où aussi le rapport avec, l'État providence, 1952, n° 4 et aussi profiter des calamités nationales plus ou moins naturelles. De même cf. 1951 n° 11 et 12, 1950 n° 20 et le rapport à l'État libéral, 1951 n° 16 et 22. Le n° 11 de 1951: Le socialisme des coupons indique bien cette donnée.

 

La limitation de la journée de travail à 10 heures est l'exemple classique de réforme imposée par l'Ètat. Elle fut évidemment arrachée de haute lutte par la classe prolétarienne. Cependant l'intérêt de l'État était de préserver les chances de développement du capital: 1. en empêchant de détruire la classe productrice de plus-value, 2. en inhibant une radicalisation trop grande de la classe. C'est avec la lutte pour la limitation de la journée de travail que se développe l'unification de la classe prolétarienne en Angleterre et ce jusqu'à ce qu'elle se constitue en parti (ce qui ne s'est pas pleinement réalisé). Le stade ultérieur aurait pu être un assaut à l'État en place.

 

Cependant au cours de cette phase les réformes ont encore un caractère positif, car elles se traduisent par un renforcement du développement du capital.

 

Les réformes proposées par les socialistes utopiques visaient aller du capitalisme au socialisme. Cependant elles ne pouvaient réaliser qu'une transformation plus complète dans le sens capitaliste. Ainsi les saint-simoniens furent partisans non seulement dune intervention de l'État, d'une centralisation extraordinaire à l'échelle nationale mais aussi internationale ( une banque ) ce vers quoi tend le capitalisme à l'heure actuelle.

 

« Le fascisme comme nous le disons depuis 40 ans, n'est que le réformisme moderne, avec les mêmes attraits mercenaires pour les aristocraties ouvrières, avec peut-être le masque noir moins dégueulasse que le jaune, au même service de la contre-révolution. » Bordiga, il programma comunista, no. 23, 1962.

 

« Le petit Etat italien naît bourgeois et sans tradition nationale. Sa lutte antiféodale s'épuise dans la littérature. Il naît en retard et à cause de cela moderne; il accomplit tout de suite son « aggiornamento » : il naît réformiste. En un certain sens il devance les temps : il naît fasciste. » Bordiga, Thèses de la Gauche, 1945.

 

Ainsi est levée la contradiction suivante : l'État fasciste, l'État le plus évolué, correspondant le mieux à la domination réel le du capital apparaît dans un pays dont le développement était retardataire, bien que le capital y eut une antique origine. On comprend que les pays les plus menacés par l'assaut prolétarien y aient eu recours le plus rapidement : Espagne et Portugal par exemple, d'où la complexité de la situation.

 

Il y a donc nécessité d'aborder la question du rapport du fascisme avec celle du développement de la révolution par le haut, l'émancipation progressive.

 

Bordiga ajoute une remarque essentielle : le marxisme avait prévu le devenir au totalitarisme. Toutefois il ne fit pas l'étude de l'intérieur pour le prouver. C'est vrai mais il faut étudier comment Marx montre le devenir de l'être totalitaire matériel ....

 

Cependant une affirmation fondamentale de Bordiga et qui va dans le sens de l'étude à faire est : le fascisme, c’est poser le capital constant égal à zéro - Homicide des morts, il programma comunista, n° 24, 1951. Or on pose le capital constant égale à zéro quand il y a nationalisation (cf. également Prophètes de l'économie démentielle, 1950 ).

 

Très importante également la remarque de Bordiga sur la bureaucratie. «L'autre idée erronée est celle de croire que la force totalitaire du régime capitaliste (dont le fascisme italien fut le premier grand essai) ait pour contenu un pouvoir prépondérant de la bureaucratie étatique contre les initiatives autonomes d'entreprise et de spéculation privée. La forme qui concentre dans la machine de l'Etat les forces anti-révolutionnaires mais rend la machine administrative plus faible et manipulable par les intérêts spéculatifs est au contraire, à un certain stade, une condition pour la survie du capitalisme et du pouvoir de la classe bourgeoise. » ( Crue et rupture de la civilisation bourgeoise, n° 23, 1951 )

 

Ceci nous conduit également à évoquer la théorie selon laquelle le fascisme, le nazisme sont le produit de l'action d'êtres déclassés. Ceci est très clair chez Talheimer, Rosenberg, Bauer, etc. ... Il est assez exceptionnel que: la théorie est celle de la lutte des classes et lorsqu'il faut expliquer un mouvement social elle n'est plus mise en jeu. On ne voulait pas reconnaître que le prolétariat avait soutenu le fascisme. Dans tous les cas, il aurait fallu alors aborder la question de la communauté. Ces prolétaires déclassés avaient perdu une communauté, ils en cherchaient une autre.

 

Le moment où les limites de classe s'estompent est celui aussi où se pose la nécessité d'une révolution non purement classiste; de là la proposition des fascistes de faire une révolution populaire, ce qui ne veut pas dire qu'ils aient compris le phénomène. Ils n'ont fait qu'exprimer le possible existant mais par là ils étaient plus compatibles avec le devenir réel. La société était mûre pour une certaine transformation mais le corpus humain n'avait pas été capable de produire des éléments aptes à comprendre ce qui s'était passé; d'où la multiplication des bouffons nécessaires à une mise en branle des « masses » qui aveuglément permirent ainsi la réalisation de ce qui advenait.

 

Par là on ne veut nullement dire qu'il ait manqué une "direction" quelconque; le parti ne peut pas être conçu séparé de la totalité.

 

Les fascistes, les nazis parlaient d'une révolution populaire, les sociaux-démocrates aussi. Les communistes coincés dans leur racket devaient soit défendre la révolution purement classiste, soit se lancer à corps perdu dans le front unique et donc patauger dans la révolution populaire. D'où, en définitive, on en arrive chaque fois au même résultat.

 

La donnée de bouleversement qu'apportent le fascisme, le nazisme etc.. ne peut être niée. Là on voit bien qu'il faut faire des différences entre les mouvements qui permirent la réalisation de la domination réelle du capital sur la société. Le franquisme par exemple en s'appuyant sur l'Église attestait sa faiblesse du point de vue de la montée du capital. En effet si l'Église a soutenu le fascisme comme le nazisme, ce sont des mouvements anti-religieux parce qu'ils portent en définitive la foi dans le capital, tout en posant un retour à la nature ( mais quelle nature ? n'a-t-on pas justement exaltation de l'homme domestiqué ? ); le capital devient lui-même mythe et pose une religion; il ne peut plus tolérer les autres présuppositions. Désormais se manifeste la dualité : la religion en tant qu'antique affirmation de l'homme et la religion du capital ( même si celle-ci se revêt des oripeaux des vieux cultes ). Alors le fascisme réalisation de la religion dans le monde profane et, en ce sens, parodie de la révolution française ?

 

 

5.3.3.10. Fascisme et démocratie sociale.

 

La fausse alternative fascisme ou démocratie se posa au moment où déjà le premier avait triomphé, lors des fronts populaires. Au début l'opposition fut en fait prolétariat-fascisme, mais dès que ce dernier l'eut emporté, la lutte pour la démocratie devient le moyen le plus sûr de conjurer toute possibilité de reprise, en fournissant un objectif fallacieux.

 

Il est possible que cette opposition soit encore reprise au moment où le heurt de classes se fera plus dur. Cependant il est clair qu'il faille poser dès maintenant que le fascisme est la réalisation de la démocratie. C'est la démocratie telle qu'elle peut être en période de domination réelle du capital sur la société, c'est la démocratie sociale.

 

Ce qui se posera sera une lutte ouverte avec l´actualisation d'une terrible répression qui rappellera celle effectuée par le fascisme, mais le contenu sera différent puisque les objectifs fondamentaux du fascisme ont été réalisés.

 

 

5.3.3.11. La lutte de classe qui s'est déroulée entre la période de la victoire du fascisme en Allemagne et le déclenchement de la seconde guerre mondiale tendit à éliminer le prolétariat en tant que classe, mais cela ne se réalisa complètement qu'avec cette dernière et ce par l'entremise de la lutte contre le fascisme.

 

Le mouvement de la Résistance, des partisans, a utilisé un mécontentement réel du prolétariat, sa volonté de s'opposer au capitalisme et permit, comme en Espagne de dévoyer le prolétariat dans la croisade anti-fasciste. On agita la perspective qu'une fois le fascisme abattu, il serait possible, ensuite, avec l'aide de l'État russe, de se dresser contre les ploutocraties occidentales et les abattre. Or, lorsque le moment fatidique arriva, les directions des différents partis désarmèrent les milices populaires, le dernier élan était brisé pour longtemps.

 

Les pays fascistes avaient été battus mais qui avait gagné la guerre, le fascisme ou la démocratie ? Ce fut en fait le triomphe généralisé du fascisme et l'élimination définitive de la démocratie politique.

 

Cependant du fait que la violence physique n'apparaissait plus on en déduisait que le fascisme avait été vaincu. On déclara qu'il avait été un accident de parcours du capitalisme et que l'on assisterait au déploiement du démocratisme. Or la violence est une caractéristique de toutes les sociétés de classe. En outre ne peut-on pas poser fascisme passif = violence potentielle ?

 

 

 

5.3.4.  LA DOMINATION RÉELLE DU CAPITAL SUR LA SOCIÉTÉ.

 

 

 

Cette phase se réalise vraiment après 1945, mais pas de façon simultanée partout. On a donné comme caractéristiques : rajeunissement du capital; le capital va au-delà de ses limites ( problème des formes du capital fictif ); la technique est totalement capitalisée, c'est du capital autonomisé; ce dernier est la forme autonomisée. Ce dernier caractère se retrouve sur le plan intellectuel, théorique. Impossibilité de distinguer une infrastructure d'une superstructure; il y a un continuum totalitaire. L'État devient société; formation de la classe universelle qui correspond presque à l'humanité asservie.

 

Peut-on se poser : y a-t-il une impasse ? Mais cela n'implique-t-il pas encore l'idée de progrès ?

 

La démocratie devient un élément dépassé dans l'idéologie généralisée. Elle n'est plus suffisante pour représenter les hommes dans leur totalité sociale. Faut mettre en évidence que la mystification parachevée réelle consiste en l'esclavage des hommes.

 

Plus de parti formel; dans la mesure où l'on ne peut plus parler de classe, il n'est plus possible de parler de parti même dans son sens historique. Il est important de mettre au premier plan la communauté. Les partis deviennent des rackets; rapport entre ceux-ci et le management, la technostructure, les bandes.

 

Bordiga disait qu'à la suite de la guerre de 1939-45 le fascisme avait gagné, c'est-à-dire que son contenu s'était généralisé a toutes les puissances en conflit. Mais ceci n'est pas assez rigoureux parce qu'il est toujours possible de mettre en évidence l'absence de répression contre le prolétariat due à l'absence de menace de la part de ce dernier. On peut préciser en indiquant le contenu du phénomène : la démocratie sociale. Mais il y a le risque d'accorder trop d'importance à un phénomène somme toute secondaire et accorder trop d'importance à la démocratie. Celle-ci est dépassée parce que le capital englobe les contradictions en particulier celle entre politique et société en laquelle apparaissait l'opposition fascisme--démocratie politique. Le capital englobe la démocratie mais ne la supprime pas, de même pour le fascisme. Mieux vaut parler de domination réelle du capital enfin réalisée et du mode du capital d'organiser les hommes en fonction de son procès de valorisation. L'individu resurgit dans la bande en même temps qu'il y ait nié (il est sujet d'échange dans le métabolisme du capital; l'Ètat est médiateur entre les bandes.

 

Toutefois : « Le rapport de l'échange a complètement disparu ou n'est plus qu'un simulacre. » ( Marx: Fondements, t.1, p. 422 ).

 

Cette remarque de Marx permet de penser le totalitarisme du capital. La domination réelle est négation de toutes les antiques présuppositions en même temps que celles-ci réapparaissent fondées, présupposées par le capital.

 

La question de la domination du mode de production capitaliste en URSS et en Chine pose celle de la convergence: comment ce mode devient semblable au mode de production asiatique ?

 

Dans les pays africains, pays nouvellement parvenus à l'indépendance, il est encore possible de parler de classes, le capital n'a pas encore recomposé la société.

 

Remarque :

 

Le fascisme correspondit à un moment historique précis: celui de l'affirmation de la menace prolétarienne; nécessité pour le capital de s'emparer de tous les rouages de la société. La théorie du parti unique est liée à celle de la communauté nationale, populaire. Elle indique un moment de faiblesse du capital. Il y eut alors emprunt au prolétariat du parti, de la planification, de la pratique de la formation de militants, etc.. Le capital ne domina pas selon ses propres lois, puisqu'il eut besoin d'une organisation qui découlait encore d'une intervention politique.

 

Avec le développement de la communauté matérielle, l'organisation est sécrétée par les déterminants économiques eux-mêmes. La société n'est plus en porte à faux; elle a un substrat homogène, cohérent; il y a intégration de toutes les vieilles contradictions et donc de la démocratie (de même que de la religion : tu travailleras à la sueur de ton front ) de la politique : on a le bipartitisme qui n'exprime plus un antagonisme, une antinomie, mais un épiphénomène (y a-t-il nécessité d'être antiparlementaire?). Intervention de l'État mais d'un État conquis par le capital (quel rapport peut avoir avec cela l'entreprise-plan de Chaulieu ?). On a dans une certaine mesure réalisation de ce que disait Marx dans sa critique à la philosophie de l'État de Hegel : l'État devient folklore populaire. Il tend à nier sa différenciation d'avec la société civile ( n ce sens l'État a été repris par l'activité réelle; on a une espèce de réalisation similaire à celle de la Commune ) ; il devient la société civile en tant qu'agent du capital.

 

En conséquence plutôt que de généralisation du fascisme nous préférons parler de celle de la domination du capital après la seconde guerre mondiale. Car le fascisme comme le libéralisme ne sont que des formes approchées de l'idéologie du capital. L'essence de cette dernière c'est la valorisation, la capitalisation. Il serait important de mettre en évidence pourquoi la science est une expression idéologique plus adéquate pour le capital.

 

Au niveau du mouvement ouvrier, de ses restes, quel retard tout de même que cette polémique de Bordiga contre la démocratie. Elle fut utile mais qu'elle existât et surtout qu'elle ait été traitée au niveau où elle le fut, témoigne du retard considérable pris par le mouvement révolutionnaire (de son recul). Aux USA, le mouvement révolutionnaire noir parvint à un certain dépassement de la démocratie mais sur une base très faible.

 

Variante conclusive :

 

Le fascisme fut la généralisation du despotisme de fabrique a l'intimité du tissu social. Il exprime au mieux le passage à la domination réelle du capital, donc la subordination de toutes les composantes sociales ou politiques au capital. Il fut le réformisme actif, c'est-à-dire qu'il utilisa la révolte des masses et put se parer du masque révolutionnaire pour triompher. En même temps il représente une certaine perception consciente de l'insuffisance des schémas libéraux et donc de la réalité économico-sociale qui est la négation des principes au nom desquels se fit la révolution bourgeoise. Il est donc l'expression de la révolte de la maturité du capital contre sa base étroite sur laquelle il s'est édifié. Enfin il tendit à réaliser la démocratie sociale, la démocratie dont la présupposition est le capital qui accorde un salaire à quiconque accomplit une fonction pour le capital. Sous une forme caricaturale c'est la vraie réalisation de la démocratie prolétarienne.

 

Il y a un essai de comprendre le devenir social ce qui se traduit par l'incorporation du marxisme comme idéologie de la croissance, du développement. Il y a confluence entre le mouvement social-économique et la conscience : mouvement d'intégration du prolétariat, donc fin du rôle de celui-ci.

 

Le communisme ne peut se poser qu'au-delà de tout ça.

 

 

 

*    *    *

 

 

 

Dans de nombreuses lettres il a été question de la mystification démocratique, en particulier celle du 06.02.1964 qui présente un plan de l'étude. Je le reporte ici. Etant donné que ce plan présente une ébauche de développement, constituant sa justification, je ne reproduis que ce qui n'a pas été abordé dans les textes antérieurs ( note de 1991 ).

 

I. - Introduction sur le mensonge démocratique.

 

(À noter ici que j'utilise encore l'expression utilisée originellement par Bordiga et Dangeville. Note 1991)

 

II. - La démocratie chez Marx.

 

( Il est développé en particulier le thème de l'utilisation de la démocratie comme preuve de la tactique indirecte. En même temps cette étude était mise en liaison avec celle de Dangeville sur la « Question militaire ». Note 1991 )

 

III. La question de la démocratie chez Marx et la société transitoire ( cf. Critique du programme de Gotha, Le Capital ).

 

Sur le plan économique validité de l'emploi du terme démocratie. Dans cette période, il y a encore un droit. Il s'agit avant tout de détruire la concurrence entre les hommes. La généralisation de la démocratie, l'égalité et donc aussi la propriété privée ( le bon de travail, la force de travail individuelle ) est le premier temps de sa négation totale. En ce sens cohérence totale avec ce qui est dit dans les œuvres de jeunesse. Autrement dit dans ces oeuvres cela pouvait sembler des phrases, ou des exigences logiques ( des conséquences ) tirées d'un ensemble de principes; maintenant cela revêt une réalité.

 

Ce point est fondamental pour expliquer la révolution russe et pour expliquer notre volonté d'exclure le terme de démocratie pour caractériser la période post-révolutionnaire. Déjà au XIXe siècle on l'avait chassé sur le plan politique : la dictature du prolétariat. Nous le chassons sur le plan économique et sur celui d'un fonctionnement de la société; nous préférons parler de généralisation du fonctionnement organique du parti à l'échelle de la société.

 

IV. Lénine et la démocratie.

 

Lénine et l'utilisation de la démocratie : question de la dictature des ouvriers et des paysans; question posée avant la prise du pouvoir.

 

Lénine et la démocratie et le dépérissement de l'État; cf. entre autres, L'État et la révolution.

 

On pourra à ce propos définir nettement les positions de Trotsky et de Lénine ( révolution permanente, etc.. ).

 

V. Les différents schémas expliquant le rapport de la société à l'État.

 

Cela nous permettra d'expliquer celui de la démocratie à l'État. On reviendra sur la question de l'État et l'on précisera les points dont parle Lénine à la fin de son livre : L´État et la révolution: évolution de l´État russe. Toutes les guerres se sont soldées par le renforcement du pouvoir de l'État, de la machine de l'État. Comment les deux guerres mondiales se présentent comme des victoires de l'État capitaliste sur le prolétariat au travers du renforcement de celui-là, jusqu'à ce que le capital s'empare de l'État : triomphe du fascisme.

 

VI. Démocratie et programme.

 

Seule l'émancipation radicale peut se produire à l'heure actuelle. L'utilisation de la démocratie pouvait se concevoir tant qu'il y avait possibilité de l'émancipation progressive ( cas typique : la France ); aucune classe ne peut être alliée au prolétariat.

 

Rejet de la forme démocratique - Pas de démocratie à l'intérieur du parti; celui-ci représente la Gemeinwesen future - Dictature du prolétariat et généralisation du fonctionnement du parti État et Gemeinwesen.

 

Autrement dit nous reprendrons ici les conclusions de tous les points précédents afin de montrer combien nous devons éliminer le terme de démocratie. D'autre part c'est à ce moment-là que nous pourrons montrer comment Marx et Engels ont essaye eux-mêmes de chasser ce terme.

 

 

 

 

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Paris le 18 Juin 1965

 

 

Cher Amadeo,

 

 

Voici une première partie sur les œuvres de jeunesse de Marx, encore appelées œuvres philosophiques, alors qu'on y trouve tous les éléments de l'œuvre de la majorité et qu'il n'y a donc pas un jeune et un vieux Marx.

 

C'est un résumé et un commentaire de la « Critique à la philosophie de l'Etat de Hegel ». Ceci a un intérêt

 

 

- Pour montrer que depuis le début Marx a la solution de tous les antagonismes, de toutes les énigmes: c'est la communauté (Gemeinwesen) ; que la société bourgeoise, c'est la dernière société politique; que la démocratie est la dernière forme politique. Ce qui veut dire que c'est dans la société bourgeoise que pour la dernière fois se pose un problème d'organiser les homes. La démocratie étant la solution, « l´énigme résolue de toutes les constitutions » et donc en même temps la fin de la politique.

 

- Pour mettre en évidence la critique de la volonté et de la bureaucratie. Tu retrouveras incluses les lettres à ce sujet que je t'avais écrites l'an dernier. Je crois que ce point est fondamental : tous ceux qui théorisent la volonté ont finalement besoin de la bureaucratie parce que celle-ci naît sur le plan de la transmission des ordres et sur la hiérarchie du savoir.

 

D'autre part Marx polémiquant avec Hegel déclare quel est l'être de la constitution ? Hegel répond le peuple. Là se trouve la mystification que Marx dévoilera dans tous ses travaux ultérieurs, en montrant que c'est le capital.

 

Marx a trouvé la solution dans la Gemeinwesen communiste. Il va démontrer la genèse de l´Ètat, donc la destruction de l'antique communauté et ensuite la réformation de la communauté. On peut démontrer que ceci fut la préoccupation fondamentale de Marx. En effet, celui-ci a abordé de quatre façons différentes Le Capital : 1. Les Manuscrits de 1844 : il insiste surtout sur le travail aliéné et salarié dans la société capitaliste. 2. La Contribution à la critique de l'économie politique : il part du rapport matériel, la marchandise, puis le capital. Les conclusions sont les mêmes. Seulement Marx voulait d'une part démontrer comment le procès social s'était effectivement produit et comment il s'était présenté chez l'homme : les diverses écoles économiques. D'où un plan double d'une part les données purement théoriques, d'autre part les considérations historiques. 3. Les formes qui précèdent la forme de production capitaliste. Dans les deux premiers textes on essayait de voir comment le travailleur salarié était produit, comment le capital s'était constitué. La différence entre les deux ouvrages résultant du point mis au centre : le travail salarié ou le capital. Ici, Marx explique que le capitalisme n'a pu se constituer qu'en détruisant la communauté naturelle, puis la communauté médiatisée par la terre, etc.. Le point central c'est la communauté. 4. L'Urtext qui n'est qu'un fragment de la version primitive de la Contribution à la critique. Ici Marx se pose la question de l'autonomisation de la valeur d'échange et il démontre que l'or ne peut pas réaliser cela, seul le capital le pouvait. Seulement, il indique de plus que maintenant le capital peut être la communauté matérielle. Seul, il peut remplacer l'antique communauté qui a été détruite au cours des diverses révolutions qui sont les divers temps de l'expropriation, jusqu'à l'homme totalement rejeté - même du procès de production et donc du travail - le prolétaire. Ceci est important parce que cela complète l'investigation des Formes et, d'autre part, permet d'unir toute l'œuvre sur la question fondamentale de la communauté c'est-à-dire du communisme. Marx s'est rendu compte qu'il ne pourrait pas arriver à construire toute l'œuvre en intégrant les diverses données. D'autre part l'échec de la Contribution lui montra qu'il fallait «être plus simple» (diciamolo alla svelta), c'est pourquoi étant donné l'urgence de donner une arme de lutte au prolétariat, il publia le I. livre du Capital qui est un tout et qui est en même temps le programme de la classe révolutionnaire et la démystification de tous les rapports sociaux. C'est pourquoi on trouve la même « terminologie », le même style dans le VIe Chapitre, l'Urtext, la Contribution ou dans les parties du Capital non publiées du vivant de l'auteur. Quand elle ne l'est pas la substance est la même, ex : dans le VIe Chapitre on parle de mystification de la marchandise puis du capital (comme dans la Contribution), dans le I. livre du Capital il est parlé du « caractère fétiche de la marchandise». Venons-en maintenant à la mystification des rapports sociaux et donc à la démocratie, voici une des phrases-clefs qui se trouve dans la Contribution :

 

« Il faut qu´un rapport social de production se présente sous la forme d'un objet existant en dehors des individus et que les relations déterminées, dans lesquelles ceux-ci entrent dans le procès de production de leur vie sociale, se présentent comme des propriétés spécifiques d'un objet. C'est ce renversement, cette mystification non pas imaginaire, mais d'une prosaïque réalité, qui caractérise toutes les formes sociales du travail créateur de valeur d'échange. »

 

Autre citation importante : « Comme la monnaie n'est pas le produit de la réflexion ou de la convention, mais se constitue instinctivement dans le procès d'échange, des marchandises très diverses, plus ou moins impropres, ont tout à fait fonction de monnaie. »

 

Donc la démocratie n'est un simple subterfuge des classes dominantes pour couillonner les masses. D'autre part, il y a pu y avoir plusieurs formes de démocratie. La recherche de la démocratie idéale - la démocratie rénovée des excréments staliniens - est tout aussi vaine que celle de la monnaie idéale.

 

Ceci nous a mis sur la voie de la compréhension - en profondeur - de la mystification démocratique. Roger t'écrira justement à propos du Capital de Marx et de la démocratie.

 

Ultérieurement, je te communiquerai le travail à propos de La Question Juive et de la Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel 1, toujours abordé selon la même optique. Je te communique tout cela qui est « matière à travail » et non produit élaboré afin de te tenir au courant du travail que nous faisons sur la mystification. Il est à peu prés certain que dans un proche avenir nous serons arrivés à bout de tout et pourrons synthétiser comme tu le demandes et te soumettre le texte.

 

 

 

*   *   *

 

 

ANALYSE DE CRITIQUE DE LA PHILOSOPHIE DE L'ÉTAT DE HEGEL  1841-1842

 

 

 

 

Marx est conduit dans son étude par deux fils conducteurs :

 

1. « Tous les philosophes ont fait des prédicats eux-mêmes des sujets. » Thèse de doctorat.

 

2. Montrer l'accommodation de la théorie de Hegel. Pour cela il aura tendance à attaquer sur le plan de la réalité. Il aborde la critique par celle de l'Etat ( préoccupation centrale de Marx ) qui pour Hegel, est « la réalité de l'idée morale ».

 

Comme toujours, Hegel part du général, de l'universel, de l'abstrait pour arriver au concret. Aussi va-t-il partir de la constitution considérée de façon abstraite, la constitution en général. C'est pourquoi, d'entrée, Marx va montrer comment Hegel opère le renversement prédicat-sujet.

 

« La famille et la société civile sont les présuppositions de l'Etat; elle sont à proprement parler actives, mais dans la spéculation c'est le contraire. » ( Œuvres philosophiques, Ed. Costes, t, V, p. 23 )

 

Au fond Hegel joue à cache-cache avec la réalité. Marx met à nu l'opposition fallacieuse d'un Hegel révolutionnaire ésotérique et d'un Hegel qui doit faire compromis avec la société: aspect exotérique. Donc, affirme et amplifie la critique faite dans sa thèse.                                                        

 

« L'intérêt de la partie ésotérique est de toujours retrouver dans l'Etat l'histoire de la notion logique. Mais il appartient au côté exotérique que se fasse le développement proprement dit. » (Œuvres philosophiques, Ed. Costes, t.V, p.23)

 

Marx oppose toujours la réalité empirique au système hégélien, d'où le problème de penser la réalité. Il faut lier la conscience du mouvement à la réalité. Mais pour cela, il faut transformer la réalité et non l'interpréter de diverses façons.

 

« Le réel devient phénomène, mais l'idée n'a d'autre but que le but logique “ d'être pour soi esprit réel infini ”. Dans ce paragraphe tout le mystère de la philosophie du droit et de la philosophie hégélienne en général est déposé. » (Idem, p. 26)

 

Encore le renversement :

 

« Ce qui est important, c'est que Hegel fait partout de l'idée le sujet, et du sujet réel proprement dit, tel que la « disposition politique », le prédicat. Mais le développement se fait toujours du côté du prédicat. » (Idem, p. 29)

 

« Au lieu de cela, l'idée est prise comme sujet... »

 

« Mais on parle ici de l'idée comme d'un sujet, de l'idée qui se transforme en ses différences. Outre ce renversement du sujet et du prédicat ( ... ) Le point de départ c'est l'idée abstraite dont le développement dans l'Etat est la constitution politique. » (Idem, p. 31)

 

« Ce n'est pas sa pensée qu'il développe d'après l'objet, c'est l'objet qu'il développe d'après une pensée achevée en soi et qui s'est achevée dans la sphère abstraite de la logique. » (Idem, p. 36)

 

« Le contenu concret, la détermination réelle, apparaissent comme formels, la détermination réelle absolument abstraite apparaît comme le contenu concret. »

 
       « La logique ne sert pas à prouver l'État, c'est au contraire l'État qui sert à prouver la logique . » (Idem, p. 41-42)

 

« La pensée ne se règle pas sur la nature de l’État, c'est l'État qui se règle sur une pensée toute prête. » (Idem, p. 45)

 

Marx fait non seulement des critiques de méthode qui l'amène à mettre à nu le caractère mystificateur de la pensée hégélienne, mais il montre concrètement la contradiction entre l'idée de l'Ètat et la réalité de celui-ci. Pour Hegel, État = intérêt général; individu = intérêt particulier. Les individus forment la société civile, et l'État politique est la réalisation de l'idée. Ainsi Hegel dit : « Que le but de l'État est l'intérêt général, etc. . . » (Idem, p. 37)

 

Cet État politique réalisation de la logique se présente comme ayant :

 

    un coté universel : pouvoir législatif

     un côté particulier : pouvoir exécutif

     un côté subjectif : pouvoir souverain

  

Et Marx lance l'anathème: voilà l'opportunisme de Hegel. Il fait cadrer l'État avec la logique ( réaliser ) pour mieux affirmer que la réalité cadre avec la raison; que la réalité est la réalisation de la raison.

 

Il y a plus lorsque Hegel déclare «Comme l'esprit... réalité de la constitution. Chaque peuple a donc la constitution qui lui est appropriée et qui lui convient. » 45

 

Marx rétorque : «Il ressort simplement du raisonnement de Hegel que l'Etat dans lequel “ le mode et la formation de la conscience de soi ” et la “constitution” se contredisent n'est pas un véritable État. C'est évidemment une banalité que de dire que la constitution qui est le produit d'une conscience passée peut devenir une entrave gênante pour une conscience plus avancée. La conclusion en serait simplement de réclamer une constitution ayant elle-même la détermination et le principe de progresser avec l'homme réel, ce qui n'est possible que lorsque “ l' homme” est devenu le principe de la constitution. Ici Hegel est sophiste. » (Idem, p. 45-46 )

 

Critique donc la méthode justificative de Hegel. C'est son côté mystificateur. Or, pour se justifier quoi de plus facile si : « le réel devient phénomène, mais l'idée n'a d'autre contenu que ce phénomène. » (Idem, p. 26)

 

Tout opportunisme est justificateur ( a besoin de se justifier ) . D'autre part Hegel ne fait que théoriser ce que les révolutionnaires français avaient posé en fait. Le droit à l'insurrection pour le peuple, lorsque la constitution irait à l'encontre des intérêts du peuple. Question uniquement institutionnelle.

 

D'autre part la réponse de Marx anticipe sur le développement. Dans «La guerre civile en France», il fait voir que la Commune était un corps agissant, etc.. donc le renversement important : on doit partir de 1 'homme et non de l'idée.

 

Le pouvoir souverain.

 

On retrouve cette question lorsque Marx fait la critique de l'opposition de l'universel au particulier : Etat à individu. La théorie de Hegel repose sur cette dualité. C'est ce qu'il faut abolir. L'individu doit donc avoir une vision d'ensemble de l'État. Mais cet État ne doit pas être séparé de lui, le subjuguer. Donc en germe la notion de Gemeinwesen, vision de l'espèce, de l'homme social.

 

« Cette absurdité vient de ce que Hegel considère les affaires et les activités de l'Etat d'une façon abstraite et en soi, et l'individualité particulière comme son contraire; mais il oublie que l'individualité particulière est une fonction humaine et que les affaires et les activités de l'État sont des fonctions humaines; il oublie que l'essence de la « personnalité particulière » n'est pas sa barbe, son sang, sa nature physique et abstraite, mais sa qualité sociale, et que les affaires de l'État etc..., ne sont rien d'autre que les modes d'existence et d'activité des qualités sociales des hommes. »

 

Il est évident qu'ici Marx dépasse déjà le cadre de la société bourgeoise et suppose un homme désaliéné. Seulement, il n'y a pas encore la solution au problème de l'État. On est encore au moment du raisonnement où l'on est sur le terrain de l'adversaire. On détruit son système mais on garde encore ses données.

 

« On comprend donc que les individus, en tant que représentants des affaires et des pouvoirs de l'État, soient considérés d'après leur qualité sociale et non d´après leurs qualités particulières. »(Idem, p.50)

 

« Le dualisme consiste en ce que Hegel ne considère pas l'universel comme l'idée du réel fini, c'est-à-dire de l'existant ( c'est-à-dire de l'individu, n.d.r ), du déterminé ni de ce qui est réellement le vrai sujet de l'infini. »

 

« Ainsi la souveraineté, l'essence de l´Etat, est ici considérée d'abord comme un être indépendant, c'est-à-dire objectivé. Ensuite, cela va de soi, cet objectif doit redevenir sujet. Mais le sujet apparaît à ce moment comme une incarnation propre de la souveraineté, alors que la souveraineté n'est rien d'autre que l'esprit objectif des sujets de l'Etat. »

 

En effet « Quel serait donc cet idéalisme d'État qui, au lieu d'être la réelle conscience de soi des citoyens, l´âme commune de l'État, serait une personne, un sujet. » (Idem, p.55)

 

Ceci amène Marx à apporter des précisions sur la subjectivité et donc sur la personne et l'individu.

 

« Il va de soit que la personnalité et la subjectivité n'étant que des prédicats de la personne et du sujet, n'existent que comme personne et comme sujet, et la personne est un individu. Mais, devait dire Hegel ensuite, l'individu n'a de vérité qu'en tant qu'il est beaucoup d'individus. Le prédicat, l'être n'épuise jamais les sphères de son existence dans un seul individu, mais dans beaucoup d'individus. » (Idem, p. 60-61 )

 

« La personnalité n'est, il est vrai, qu'une abstraction sans la personne, mais la personne n'est que l'idée réelle de la personnalité dans son existence d'espèce, en tant que les personnes. »

 

Autrement dit : vision de l'être humain qui porte en lui l'universel parce que l'universel est le produit des êtres humains. Déjà en germe la donnée : l'essence humaine = ensemble des rapports sociaux; donc en germe le lien individu-espèce ( être humain-espèce ).

 

Comment abolir l'antagonisme entre État = intérêt général et l'individu = intérêt particulier, privé; entre l'universel et le particulier, la séparation entre l'État politique représentant la conscience universelle = l'idée, la raison et l'individu représentant une conscience déterminée, limitée. En supposant une société où il n'y ait plus d'État, donc plus de séparation de l'individu à l'universel ( séparation de l'individu à la communauté, à l'espèce ). Là encore il reprend le point de critique où il déclare « ce qui n'est possible que lorsque l'homme est devenu le principe de la constitution. » (Idem, p. 46)

 

« La démocratie est l'énigme résolue de toutes les constitutions. Ici la constitution est non seulement en soi, d'après son essence, mais d'après son existence, d'après la réalité, constamment ramenée à son fond réel, à l'homme réel, au peuple réel, et posée comme son oeuvre propre. La constitution apparaît comme ce qu'elle est, un libre produit de l'homme; on pourrait dire qu'a certains égards, cela s'applique également à la monarchie constitutionnelle, mais la différence spécifique de la démocratie est qu'ici la constitution n'est en somme qu'un élément d'existence du peuple, que n'est pas la constitution politique en soit qui forme l'État.

 

« Hegel part ici de l'État et fait de l'homme l'État subjectivisé; la démocratie part de l'homme et fait de l'État l'homme objectivé. »

 

Ici Marx, dans sa critique, en est au stade de Feuerbach. Il fait encore de l'homme une objectivé sensible. Une objectivité sensible peut avoir encore besoin d'un Etat qui, bien entendu, a pour principe une constitution où l'homme est le principe même. Il a encore besoin d'une forme d'organisation. Plus tard la forme d'organisation ce sera l'homme lui-même ( cf. polémique avec Ruge ). Seulement pour parvenir à ce résultat, il fallait remettre sur pied tout ce qui avait été renversé.

 

« De même que la religion ne crée pas l'homme, mais que l'homme crée la religion, ce n'est pas la constitution qui crée le peuple, mais le peuple qui crée la constitution. La démocratie est, à un certain point de vue, à toutes les autres formes politiques comme le christianisme a toutes les autres religions. Le christianisme est la religion, l'essence de la religion, l'homme déifié sous forme de religion particulière. De même la démocratie est l'essence de toute la constitution politique, l'homme socialisé, comme constitution politique particulière; elle est aux autres constitutions comme le genre est à ses espèces; mais avec cette différence que le genre apparaît ici lui-même comme existence, et par conséquent, vis-à-vis des existences qui ne correspondent pas à l'essence, lui-même comme une espèce particulière. »(Idem, p. 67-68)

 

Donc première solution proposée aux antagonismes : la démocratie. Marx reste sur le terrain de l'adversaire : politique et philosophique. En fait c'est la généralisation du principe bourgeois, l'accession à la société idéale bourgeoise, une société sans État. C'est sur le plan théorique la même généralisation que celle que fit Babeuf sur le plan pratique; bien que dans l'un et l'autre cas se trouvent les ferments de la vraie solution. Ici, on essaie de réconcilier l'être général humain avec l'être individuel; Babeuf voulait que la société fut en accord avec les principes que la révolution avait édictés.

 

Mais l'élément fondamental qui sera ferment pour la constitution de l'édifice théorique est celui-ci : l'homme a eu besoin d'une politique parce qu'il y avait une nécessité d'organisation des hommes. Le jour où peut se faire la conciliation entre les hommes, leur réconciliation ( disparition des classes ), la politique n'est plus nécessaire; les antagonismes auront disparu. Seulement Marx est encore prisonnier de l'adversaire et cherche au fond quelle peut être la forme organisationnelle qui en termine avec la politique.

 

«La démocratie est à toutes les autres formes politiques comme à son ancien testament. L'homme n'existe pas à cause de la loi, la loi existe à cause de l'homme, c'est une existence humaine, tandis que dans les autres l'homme est l'existence légale. Telle est la différence fondamentale de la démocratie. »

 

Ultérieurement, Marx démontrera que toutes les idéologies se noient en fait, débouchent dans le christianisme; puis que toutes les visions sociales du futur se ramènent à des échafaudages démocratiques. Ici, il montre que la démocratie en finit avec l'ancienne façon de concevoir les rapports entre les hommes. Avec la démocratie ( il faudra préciser bourgeoise ), l'homme réel est posé au centre du fonctionnement du rapport politique. Il semble ainsi que la politique n'ait plus de raison d'être puisqu'elle est réalisée en chaque homme, qu'il n'y a plus une sphère indépendante où elle puisse se développer. La révolution bourgeoise et celle prolétarienne ont quelque chose en commun : la mise en mouvement des masses. Le mouvement démocratique correspond à la première, seulement après comme avant les masses demeurent divisées; le mouvement communiste correspond a la seconde; les masses seront unifiées : formation de l'humanité.

 

« Toutes les autres formations étatiques sont des formes politiques particulières déterminées. Dans la démocratie le principe formel est en même temps le principe matériel. Elle est donc la vraie unité de l'universel et du particulier. » ( Idem, p. 68 )

 

Pour qu'il y ait démocratie sur une large base, il faut que les hommes soient sur une base égalitaire, qu'ils soient réduits à peu prés à la même substance. L'espèce humaine unifiée sous l'action du capital mais encore objet, non sujet, voilà la limite bourgeoise du développement social historique. La démocratie forme d'organisation peut être valable pour une humanité parvenue a ce stade. L'humanité tendant à son unification peut encore avoir son être en dehors d'elle, prisonnier, aliéné à une force économique : le capital. La société tendant à unifier l'espèce et à lui donner son être véritable ne peut pas être démocratique.

 

Le mouvement d'unification s'est fait au profit d'un être oppresseur. Au début de la domination du capital, ce mouvement oppresseur ne se voit pas parce que le capital ne domine pas encore de façon réelle, mais doit affirmer son hégémonie et ce, surtout contre le prolétariat. En conséquence, c'est le premier aspect qui l'emporte. D'où les illusions des utopistes puis des réformistes.

 

«Dans la démocratie l'État, en tant que particulier, n'est que particulier, en tant qu'universel il est l'universel réel, c'est-à-dire pas quelque chose de déterminé distinct de l'autre contenu. Les français modernes ont interprété cela en disant que « dans la vraie démocratie l'Etat politique disparaît ». Cela est vrai en ce sens qu'en tant qu'Etat politique, en tant que constitution, il ne vaut plus pour le tout.»(p. 69)

 

Cela se vérifie amplement dans la société actuelle. C'est la limite. L'État est l'universel concret; il est la société; parce que la société a conquis l'État. Elle l'a modelé à son image. Là encore une limite : la société bourgeoise tend à détruire les classes pour faire des hommes des esclaves du capital. Elle tend à faire la même chose que le communisme. Seulement dans ce dernier la disparition des classes suppose la souveraineté de l'homme, la domination de la Gemeinwesen. L'Etat capitaliste peut être l'être universel non pas des hommes, mais des esclaves du capital.

 

Il ne vaut plus pour le tout, pour la base ! La question du lien de l'État à la société est celle --mutatis mutandi -- du lien du parti à la classe et, plus tard, à l'ensemble de l'humanité. Le capitalisme tend à résoudre la question en faisant de l'État une force sociale, la société aliénée au capital qui domine les hommes. Il nous faut donc préciser ce mouvement d'unification de l'espèce humaine qui suppose parallèlement la concentration de la conscience. Donc aussi, corrélativement, la question du lien entre cette masse unifiée et cette conscience : le lien entre la classe et le cerveau social, le parti. Là est la grande question posée par la philosophie (cf. Hegel surtout qui l'a posée de façon claire et nette dans sa philosophie de l'Etat). Dans la société bourgeoise commence a se faire la réconciliation entre mouvement social et mouvement politique. Auparavant il semblait que le mouvement politique fut réellement indépendant de l'autre. La force apparaissait encore comme une donnée de l'homme et non une donnée sociale, économique. C'est ce que n'a pas compris Proudhon. Sa théorie de la violence est une théorie de la violence physique, telle qu'elle pouvait avoir lieu dans une société primitive. L'homme qui était plus fort physiquement pouvait réellement l'emporter; à l'heure actuelle, que peut faire la force physique contre un système ? C'est ce phénomène d'égalisation qui est fondamental : nous sommes tous les mêmes devant la force impersonnelle du capital.

 

Toutes les forces ont été assujetties à une seule : la force économique. La politique en tant qu'élément qui pouvait sembler avoir une fonction autonome a été elle aussi subjuguée. Sa propre sphère a été annexée. Cela est vrai aussi pour la guerre. Les hommes ne peuvent plus faire la guerre comme au temps de Napoléon. Le capital, sous sa métamorphose d'engins de fer et d'acier, impose une forme donnée de destruction et cela en dehors de la considération fondamentale qu'auparavant on faisait la guerre pour s'enrichir, maintenant pour s'appauvrir afin de pouvoir refaire marcher au maximum la machine productive. Il faut détruire machines et hommes qui ont été produits en quantités démentielles.

 

De ce fait la caractérisation de l’État à l'époque où la société bourgeoise émerge de celle féodale est absolument valable. Auparavant, Marx fait la remarque suivante :

 

« Dans la démocratie, la constitution, la loi, l'État lui-même ne sont qu'une détermination propre du peuple, un contenu déterminé du peuple, en tant que ce contenu est constitution politique. » (Idem, p. 69 )

 

« Dans les anciens États, l'État politique forme le contenu de l'État, à l'exclusion des autres sphères; l'État moderne est un arrangement entre l'État politique et l'État non politique. »

 

Voilà la caractérisation fondamentale de la société où le capital opère une domination formelle. Une période où il tend à utiliser la force politique pour assurer sa domination, pour en faire une domination sociale. La révolution bourgeoise est révolution sociale à âme politique; elle tend aussi à assurer sa domination politique par une force sociale. Elle est en même temps fin de la politique : la question du lien entre les hommes, de leur organisation, de leur domination est résolue par un être qui est en dehors : le capital. Donc tant que le capital n'a pas assuré sa domination absolue, matérielle, il y a un arrangement entre l'Etat politique et l'Etat non politique. Il y a aussi arrangement entre la forme et la matière. D'où ce qui est apparemment paradoxal : la démocratie qui devait se réaliser pour l'homme, parvient à sa réalisation en excluant l'homme. Ceci devait inévitablement se produire puisque la démocratie suppose une domination, une dictature et une base la plus large possible. Ou cette force est humaine - politique - ou elle est une force non-humaine, donc aliénée - ce qui fait que dans ce cas la démocratie est plus ample puisque tous les hommes tendent à entrer dans la base sur laquelle opère la démocratie.

 

« L'homme n'existe pas à cause de la loi, la loi existe à cause de l'homme, c'est une existence humaine; tandis que dans les autres ( formes politiques n.d.r ) l'homme est l'existence légale. Telle est la différence fondamentale de la démocratie. »(Idem, p. 68)

 

Donc, la première solution proposée aux antagonismes est la démocratie. C'est en fait la généralisation du principe bourgeois, la société idéale bourgeoise : une société sans État, où l'État soit la société, cf. le passage «  Dans la démocratie ... pour le tout. »(Idem, p. 69) Le mouvement historique a répondu de la façon suivante : la société est devenue l'État. Cela implique une caractérisation de la société post-révolutionnaire. L'État prolétarien sera force politique pour détruire l'oppression du capital et libérer la société communiste. Car au fond contre une force sociale : la montée du communisme, le capital ne pouvait lutter qu'en s'emparant totalement de la direction de l'État et en réduisant tous les hommes à des esclaves salariés. Et c'est pourquoi on y revient toujours : la révolution communiste est une révolution politique à âme sociale.

 

Dans la phase de dictature du prolétariat et donc aussi en partie dans celle du socialisme inférieur, la démocratie dont parle Marx ou Lénine se réalise bien : « L'homme n'existe pas à cause de la loi, la loi existe à cause de l'homme.. etc. ».

 

La démocratie forme ultime de la politique : l'homme socialisé parce qu'intégré dans la société sans contradictions. En fait parce que déterminé directement par un rapport humain social et non plus par la présence d'un rapport extérieur ( terre ou théologie ) . Ceci est valable pour l'aube de la société capitaliste. Il pouvait sembler que l'homme n'ait plus besoin de médiations; qu'il n'aurait plus besoin ( qu'il ne serait plus contraint ) de s´aliéner. Or, le capitalisme en se développant dut détruire les illusions des hommes - des bourgeois comme des utopistes - et l'existence de l'homme fut médiatisée par le capital.

 

Le mouvement social a fait de l'État une abstraction. Nous y reviendrons.

 

« Dans la démocratie, l'État abstrait a cessé d'être l'élément dominant. La lutte entre la monarchie et la république est elle-même encore une lutte à l'intérieur de l'Etat abstrait. La république politique est la démocratie à l'intérieur de la forme politique abstraite. La forme politique abstraite de la démocratie est donc la république; mais elle cesse d'être ici la constitution simplement politique. » (Idem, p.  69-70 )

 

Le point central est maintenant de démontrer que la démocratie est la fin de la politique. Donc de démontrer que là où elle n'est pas réalisée, il y a toujours politique et donc il ne peut y avoir fin de l'antagonisme universel-particulier, forme-matière. D'autre part la critique aboutit à la démonstration qu'il n'y a pas de démocratie politique, de vraie démocratie dans la société bourgeoise ( cf. Question juive : « la révolution politique dissout la vie civile dans toutes ses parties constitutives... » ).

 

« La propriété, etc., bref tout le contenu du droit et de l'État, est à quelques modifications prés la même dans l´Amérique du Nord qu'en Prusse. Là-bas, la république est donc une simple forme politique comme chez nous la monarchie. Le contenu de l'Etat réside en dehors de ses constitutions. Hegel a donc raison quand il dit : l´Etat politique est la constitution, c'est-à-dire l'État matériel n'est pas politique. » ( Idem. p. 70 )

 

Dans la démocratie il doit y avoir coïncidence entre matière et sphère idéale ( forme ). Ici, il n'y a pas conciliation entre l'État matériel et l´État politique. « Le contenu de l'État réside en dehors des ses constitutions. » Voilà la critique fondamentale : peut-il y avoir un État où le contenu soit en accord à l'intérieur de sa constitution ?

 

Dans la république il n'y a pas de conciliation entre État matériel et État politique. La constitution est l'expression de ce divorce. D'où :

 

« La constitution politique fut jusqu'ici la sphère religieuse, la religion de la vie populaire, le ciel de son universalité vis-à-vis de l'existence terrestre de sa réalité. La sphère politique était la seule sphère politique dans l'État, la seule sphère où le contenu fut, comme la forme, un contenu générique, le véritable universel, mais en même temps de telle façon que, pendant que cet-te sphère s'opposait aux autres, son contenu aussi devenait un contenu formel et particulier. La vie politique au sens moderne est le scolasticisme de la vie populaire. La monarchie est l'expression achevée de cette aliénation. La république en est la négation dans sa propre sphère ». ( Idem, p. 70-71 )

 

La république semble rendre terrestre la constitution. Elle semble entrer dans la vie populaire. Elle est pour l'homme. Seulement elle ne se meut encore que dans la sphère politique. Il y a toujours séparation entre la sphère idéale et la matière.

 

« Il va de soi que la constitution politique comme telle, n’ est développée que là où les sphères privées ont acquis une existence indépendante. Là où le commerce et la propriété foncière ne sont pas libres, pas encore devenus indépendants, la constitution politique, elle aussi, ne l'est pas encore. Le Moyen-Age était la démocratie de la non-liberté. » ( Idem, p. 71 )

 

La constitution se présente comme étant l´élément nécessaire pour unir ce qui a été divisé. De même qu'avec la fin de la société tribale, la démocratie s'est présentée comme le moyen de réunir ce qui fut divisé. La république est le stade où la constitution est en dehors de la sphère matérielle. Elle est un mécanisme politique qui permet d'abolir l'antique oppression monarchique. Elle est négation de la sujétion mais elle reste sur le terrain de l'adversaire : elle reste dans le cadre politique. Il faut trouver un principe qui vienne de l'élément matériel lui-même. Il ne faut pas que la constitution soit en dehors du peuple; il faut qu'elle soit émanation de celui-ci. En un mot, il faut poser que l'homme soit au cœur de celle-ci. La démocratie permettrait d'abolir les différences entre les sphères, en abolissant l'existence de ces sphères. Abolir le schisme état social-état politique.

 

«Le Moyen-âge était la démocratie de la non-liberté» en ce sens qu'il n'y avait pas opposition entre état politique et état privé; que la constitution était celle de la société. Ceci lié aux rapports de dépendance personnelle. Il n'y a pas opposition entre constitution politique et sociale.

 

Il n'y avait pas coupure entre État et société. Cela n'est plus pareil à l'époque moderne :

 

« L'abstraction de l'État comme tel n'appartient qu'au temps moderne, parce que l'abstraction de la vie privée n'appartient qu'au temps moderne. L'abstraction de l'État politique est un produit moderne. »

 

Il nous faudra mettre ceci en liaison avec l'importance du mouvement économique qui tend à détruire tous les antiques rapports sociaux où l'homme était dépendant de la terre ou d'une hiérarchie sociale. L'État devenant quelque chose qui gène le développement du capital, celui-ci ne pouvant assurer sa domination qu'en utilisant celui-là puis en en faisant une puissance sociale. Á l'origine, volonté de la bourgeoise de représenter un état général, alors qu’elle n'est qu'un état particulier. Elle est une classe qui défend des objectifs de classe. Le prolétariat utilisera aussi un État pour arriver à la destruction des classes. L'État en tant qu'abstraction tend à disparaître dans le fascisme puisque c'est la société qui s'est séparée de l'État. Celui-ci peut facilement proclamer qu'il ne défend l´intérêt général qu'à la condition qu'il parvienne à faire de tous les hommes des esclaves du capital. L'unité de l'humanité sous le capitalisme c'est celle d'une humanité asservie.

 

Le mouvement social a fait de l'État une abstraction pour mieux le séparer de la communauté humaine, pour mieux se l'accaparer et en faire une force sociale. Cela n'est possible que lorsque l´être des hommes est aliéné à cette force impersonnelle : le capital.

 

Cet aspect se manifeste aussi sous son aspect subjectif : l´indifférence en matière politique. La politique étant une affaire spéciale en dehors de la vie réelle des individus. Pour les gens, cela devient une affaire sociale. C'est l'aveu « vulgaire » que le pouvoir est détenu par une force sociale.

 

Au fond - au stade où nous en sommes- la critique vise ceci: la philosophie veut concilier le mouvement réel avec la raison. Le seul moyen d'arriver à cela c'est de faire un renversement, c'est dans la pratique que l'on peut aboutir à cela. La démocratie mettant fin à l'État politique, donc à une société qui a besoin d'un hiatus entre état social et politique se présente comme étant la première solution. Marx fait ressortir que pour Hegel la philosophie est comme un deus ex-machina, cf. page 80.

 

La critique à Hegel est en même temps étude de la genèse de la société bourgeoise. Comment est-on passé de la société féodale à celle bourgeoise ? Quels sont les caractères de cette dernière ?

 

En particulier dans la société féodale, le droit c'est le droit coutumier, le droit du peuple (cf. article : « Á propos du vol de bois ») dont le monarque garantit l'exécution. En société bourgeoise c'est celui de l'État qui est fondé sur une propriété mobilière. Dans l'autre société : sur la terre.

 

Dans le résumé Marx précise sa pensée :

 

« Au lieu donc que l'État soit produit comme la plus haute réalité de la personne, comme la plus haute réalité sociale de l'homme, un seul homme empirique, la personne empirique, est produit comme la plus haute réalité de l'État. » (p. 85-86)

 

« Si par exemple dans l'étude de la famille, de la société civile de l'État, etc., ces modes d'existence sociaux de l'homme étaient considérés comme la réalisation, la subjectivisation de son être, la famille etc, apparaîtraient comme des qualités inhérentes à un sujet. L'homme reste toujours l'être de tous ces êtres, mais ces êtres apparaissant également comme son universalité réelle, donc aussi comme la communauté. » ( p. 87 )

 

Donc l'essentiel de la critique débouche dans la question de la démocratie et dans celle de la Gemeinwesen.

 

 

Le pouvoir gouvernemental

 

 

Marx insiste encore sur le dualisme de la théorie hégélienne qui dérive en définitive du dualisme de la société, ( p. 91 ). Donc contradiction société civile - État.

 

Hegel fait l'apologie de la classe moyenne. Or ce sont justement les gens de cette classe qui adorent l´État, parce qu'ils sont ses valets. C'est la question de la bureaucratie, (p. 95-96).

 

Pouvoir gouvernemental = bureaucratie (pour Hegel)

 

Comment arriver à une société où il n'y ait pas besoin de bureaucratie. Seulement si l'individu est universel parce que les affaires de la société sont aussi ses affaires privées. Donc suppression de l´antagonisme individu-espèce.

 

Toutes les critiques se font contre l'individu, cette limitation en laquelle on veut à tout prix enfermer l'homme.

 

« La suppression de la bureaucratie n'est possible que si l'intérêt général devient réellement et non pas, comme chez Hegel, purement en pensée, dans l'abstraction, l'intérêt particulier, ce qui ne peut se faire qu'en ce que l'intérêt particulier devient l'intérêt général. » 104

 

Cf. sur la bureaucratie et sur l'apologie de la classe moyenne faite par Hegel (pp. 97-104, 115).

 

La bureaucratie dérive de la différence entre intérêt particulier et intérêt général. L'état politique est séparé de la vie des hommes. De ce fait la bureaucratie est le matérialisme de l'État.

 

Il y a là la critique de toutes les visions bureaucratiques, dont Socialisme ou Barbarie. Il est intéressant que sur aucun point la société bourgeoise n'arrive à dépasser Hegel.

 

« Hegel prend pour point de départ la séparation de l'« État » de la société civile, les « intérêts particuliers » et l'« universel » qui existe en soi et pour soi, et il est vrai que la bureaucratie repose sur cette séparation.

 

Ensuite Marx analyse le lien entre les corporations et la bureaucratie. Mettre en parallèle avec de nos jours les « castes » sociales, les strates en la masse de salariés.

 

« La corporation est la tentative de la société civile de devenir État, la bureaucratie est donc l'État qui s'est réellement transformé en société civile. »

 

A l´heure actuelle, conjonction des deux phénomènes : le capital force sociale s'empare de l'État et c'est donc la société civile qui est devenue l'État. D'autre part, étant donné que cet État doit dominer par l'intermédiaire d'hommes, c'est une bureaucratie qui domine (voilant ainsi le phénomène pour les immédiatistes). Ces bureaucrates, ces technocrates font aussi que l'État est transformé en société civile.

 

La garantie contre la bureaucratie Hegel la place dans la classe moyenne. Nos immédiatistes n'ont rien inventé.

 

Le pouvoir législatif

 

 

Ici Marx va aborder la question de la dualité des pouvoirs. Il va la résoudre théoriquement, de façon organique avec ses présuppositions. La dissolution de l'antinomie se fait toujours lorsque l'on met l´homme réel au centre du problème.

 

« Pour que la constitution non seulement subisse la modification pour que cette apparence illusoire ne soit pas finalement mi-se en pièces par la violence, pour que l'homme fasse consciemment ce que la nature de la chose le force à faire sans cela inconsciemment, il est nécessaire que le mouvement de la constitution, que le progrès devienne le principe de la constitution, que le représentant réel de la constitution, le peuple, devienne donc le principe de la constitution. Le progrès est alors lui-même la constitution. » (p.120-121)

 

La solution pratique sera donnée par la Commune de Paris. Il est évident que seuls Marx et Engels pouvaient saisir tout de suite la leçon des événements parce que la théorie postulait leur manifestation.

 

Marx va donc analyser comment Hegel expose la dualité des pouvoirs, donc leur séparation et de ce fait comment il va poser la conciliation.

 

Antagonisme entre pouvoir législatif et constitution, (pp. 115-117).

 

« La collision est simple. Le pouvoir législatif est le pouvoir d'organiser le général. C'est le pouvoir de la constitution. Il dépasse la constitution. » ( p. 117 ) Nous voici retourné à notre point de départ : la constitution. Hegel, résout les contradictions en faisant appel à la nécessité. « L'´apparence contredit l'être, l'apparence est la loi consciente de la constitution, et l'être en est la loi inconsciente, en contradiction avec la première. Il n'y a pas dans la loi ce qui est dans la nature des choses. C'est plutôt le contraire qui est dans la loi. » 119

 

« Hegel veut partout représenter l´État comme la réalisation de l'esprit libre, mais en réalité il résout toutes les collisions difficiles par une nécessité naturelle qui est en opposition avec la liberté. La transformation de l'intérêt particulier en intérêt général n'est pas non plus une loi consciente de l'État, mais amenée par le hasard, s´opèrent contre la conscience; et Hegel veut partout dans l´Etat la réalisation de la libre volonté

 

Le remède est indiqué par Marx, un peu plus loin : « que le progrès devienne le principe de la constitution. » (p.122)

 

Seulement s'il y a collision entre pouvoir législatif et la constitution, on va voir comment va s'implanter une vision opportuniste.

 

« La constitution n'est qu'un arrangement entre l´État politique et l´État non politique ». ( p. 122 )

 

De là on passe à une vision évolutionniste :

 

« La transformation d´un état de choses, conclut Hegel, “ se fait donc, en apparence d'une façon tranquille et sans être remarquée. Après un long espace de temps une constitution arrive à être tout autre qu´antérieurement”. »

 

« La catégorie de la transition progressive est d´abord fausse au point de vue historique, ensuite elle n'explique rien. »

 

Et maintenant la solution donnée par Marx :

 

« Pour que la constitution non seulement subisse la modification, pour que cette apparence illusoire ne soit donc pas finalement mise en pièces par la violence, pour que l'homme fasse consciemment ce que la nature de la chose le force.. » (cf. citation reportée plus haut)

 

La réalité de la société est exprimée par son lien entre intérêt général et intérêt particulier, d´où la constitution. Le peuple existe par la constituante. Seulement : « (…) la “constitution ” doit-elle être elle-même du domaine du “pouvoir législatif ” ? Cette question ne peut être soulevée que : 1° si l’État politique existe comme simple formalisme de l´État réel, si l´État politique est un domaine à part, si l´État politique existe comme “constitution ”; 2° si le pouvoir législatif a une autre origine que le pouvoir gouvernemental, etc. » (p. 121)

 

Analyse ensuite de la révolution française.

 

On doit remarquer les révolutionnaires français avaient senti la question puisque Robespierre avait fait inclure le droit à l´insurrection.

 

« La constitution n'est qu'un arrangement entre l´État politique et l´État non politique; elle est donc nécessairement en elle-même une tractation entre puissances essentiellement hétérogènes. Il est donc impossible à la loi d'exprimer que l’une de ces puissances, une partie de la constitution, aura le droit de modifier la constitution, c'est-à-dire le tout».

 

Et Marx dit plus loin : « On a tenté de résoudre la collision par la distinction entre assemblée constituante et assemblée constituée. » (p. 123)

 

Cet antagonisme, nous l’avons déjà dit, Marx trouve son dénouement si le peuple est le moteur réel de la constitution. Nous aurons la même solution si le capital en devient le moteur. Seulement l'antagonisme sera total entre la puissance sociale (et aussi sous sa forme politique) du capital et la révolte humaine cristallisée dans le prolétariat. Cf, à la suite, la lettre à Amadeo du 22.02.1964, première partie.

 

J'ai appris que tu voulais faire un article à propos des «nouvelles thèses» de Socialisme su Barbarie (S.B). J'ai lu leurs «nouveautés» entre deux études sur Marx pour la question de la démocratie, en particulier au sujet de l'État. Critique de la philosophie de l'État de Hegel. T. IV. Ed. Costes.

 

Il est très curieux que ce qu'ils exposent ressemble en plus minable à ce que racontait le père Hegel. Je te communique les remarques que cela m´a suggéré et les textes de Marx auxquels je pense.

 

S.B. dit qu'à l'heure actuelle il n'y a pas que des prolétaires et des capitalistes. Nous ne l'avons jamais nié . Seulement nous sommes capables d'expliquer la genèse de ces couches intermédiaires. Ils en sont restés aux discussions qui agitaient Malthus ou Smith sur la question du travail productif ou improductif. Mais là n'est pas l'important. L'essentiel est qu'ils lient cela à la bureaucratie : « il s'agit de comprendre que la bureaucratisation ne diminue pas la division de la société mais au contraire l´aggrave » ( S.B. n° 35, p. 182).

 

Remarque de Marx à Hegel :

 

« Hegel prend comme point de départ la séparation de “l´État” de la société civile les “ intérêts particuliers” et l'“ universel qui existe en soi et pour soi ”, et il est vrai que la bureaucratie repose sur cette séparation. Hegel part de l'“hypothèse des corporations”, et il est vrai que la bureaucratie présuppose les “ corporations ”, du moins l´“esprit corporatif”. Hegel ne développe aucun contenu de la bureaucratie, (que fait S.B. 140 ans après !  mais seulement quelques déterminations générales de son organisation“ formelle”, et il est vrai que la bureaucratie n'est que le “formalisme” d'un contenu situé hors d'elle. » (Marx, o.c. pp. 98-99).

 

S.B. interprète la tendance à la statisation de la société, le fameux féodalisme industriel. C´est pourquoi tout ce qui vient ensuite, mutatis mutandis, peut-être appliqué à S.B. ( je te fais toute la citation ne sachant pas si vous avez le texte en italien )

 

« Les corporations sont le matérialisme de la bureaucratie, et la bureaucratie est le spiritualisme des corporations. La corporation est la bureaucratie de la société civile; la bureaucratie est la corporation de l'État. Dans la réalité elle s'oppose donc comme « société civile de l'État » à l'« État de la société civile », aux corporations. Là où la « bureaucratie » est un principe nouveau, où l’ intérêt général de l'État commence à devenir un intérêt à part, par suite un intérêt « réel », elle lutte contre les corporations, comme toute conséquence lutte contre l'existence de ses présuppositions. Au contraire, dès que la vie réelle de l'État s'éveille et que la vie civile, poussée par un propre instinct naturel, s'affranchit des corporations, la bureaucratie, essaie de les rétablir; car dès que dès que tombe l' “État de la société civile” la “société civile de l'État” tombe également. Le spiritualisme disparaît avec le matérialisme, son contraire. La conséquence lutte pour l'existence de ses présuppositions, dès qu'un principe nouveau lutte non pas contre l'existence, mais contre le principe de cette existence.  Le même esprit qui, dans la société, crée la corporation, crée, dans l'État, la bureaucratie. Dès que l'esprit de corporation est donc attaqué, l'esprit de bureaucratie l'est également, et si elle combattait antérieurement l'existence des corporations pour faire place à sa propre existence, elle cherche maintenant à sauvegarder de vive force l'existence des corporations pour sauver l'esprit corporatif, son propre esprit. » ( Idem, pp. 99-100 ).

 

Un peu plus loin ceci :

 

« La bureaucratie corporation achevée, remporte donc la victoire sur la corporation, bureaucratie inachevée. Elle la ravale ou veut la ravaler jusqu'à ne plus être qu'une apparence, mais elle veut que cette apparence existe et croie à sa propre existence. La corporation est la tentative de la société civile de devenir État, la bureaucratie ont donc l'État qui s'est réellement transformé en société civile. » (p. 100-101).

 

A l'heure actuelle, le capital force sociale impersonnelle s'empare de l'État et c'est donc la société civile capitaliste qui est devenue l'État. D´autre part étant donné que cet État doit dominer par l'intermédiaire d'hommes, c'est une bureaucratie qui domine (voilant ainsi le phénomène pour les immédiatistes. Ces bureaucrates, ces technocrates font aussi que l'État errent transformé en société civile. Sous le féodalisme la hiérarchie était fondée sur la propriété foncière, à l'heure actuelle elle est fondée sur le Capital. Seulement S.B ne voit que le côté formel :

 

« Le “ formalisme d'État ” qui est la bureaucratie est l´ “État en tant que formalisme ” et c´est comme un tel formalisme que Hegel l'a décrite. Comme ce “ formalisme d'État ” se constitue en puissance réelle et devient son propre contenu matériel, il va de soi que la « bureaucratie » est un tissu d'illusions pratiques ou l'“ illusion de l'État ”. L'esprit bureaucratique est un esprit totalement jésuitique, théologique. Les bureaucrates sont les jésuites d'État et les théologiens d'Etat. La bureaucratie est la république prêtre. »

 

Pauvre S.B. qui croit que nous sommes dans la phase théologique du mouvement !

 

Mais continuons :

 

« Puisque la bureaucratie est, d´après son essence l' “ État en tant que formalisme”, elle l'est aussi d´après son but. Le véritable but de l'État apparaît donc à la bureaucratie comme un but contre l'État. L'esprit de la bureaucratie est l'“ esprit formel de l'État”. Elle fait donc de l' “ esprit formel de l'État” ou du réel manque d'esprit de l'État un impératif catégorique. La bureaucratie est à ses propres yeux le dernier but final de l'État.

Comme la bureaucratie fait de ses buts « formels » son contenu, elle entre partout sa conflit avec les buts “ réels”. Elle est donc forcée de donner le formel pour le contenu et le contenu pour le formel. Les buts de l'État se transforment en buts de la bureaucratie ou les buts de la bureaucratie en buts de l'État. La bureaucratie est un cercle d'où personne ne peut échapper. Cette hiérarchie est une hiérarchie du savoir. La tête s'en remet aux cercles inférieurs du soin de comprendre le détail, et les cercles inférieurs croient la tête capable de comprendre le général, et ainsi ils se trompent mutuellement. » (p. 101-102).

 

« Mais, dans le sein même de la bureaucratie, le spiritualisme devient un matérialisme sordide, le matérialisme de l'obéissance passive, de la foi en l'autorité, du mécanisme d'une activité formelle fixe, de principes et de traditions fixes. Quant au bureaucrate pris individuellement, le but de l'État, devient son but privé : c'est la chasse aux postes plus élevés, il faut faire son chemin. Il commence considérer la vie réelle comme une vie matérielle, car l'esprit de cette vie a dans la bureaucratie son existence pour soi, son existence particulière. » (p.103)

 

« Tandis que la bureaucratie est d'une part matérialisme sordide, son spiritualisme sordide apparaît en ce qu'elle veut tout faire, c'est-à-dire fait de la volonté la cause première, parce qu'elle est un être purement actif et reçoit son contenu du dehors et ne peut donc prouver son existence qu'en formant et limitant ce conte-nu. Le bureaucrate a dans le monde un simple objet de son activité. » (p. 103).

 

S.B. dit « Pour nous, cette culture participe, dans toutes ses manifestations, de la crise générale de la société et ( souligné par eux ) de la préparation d'une nouvelle forme de vie humaine 3». Or, cette culture est la culture capitaliste. D'autre part elle ne peut pas être exprimée par les ouvriers, par le mouvement ouvrier puisque Iº la classe ouvrière n'existe pas 2º le mouvement ouvrier est un cadavre. Donc elle ne peut résider que dans les couches intermédiaires. Qu'est-ce que disait Hegel ? :

 

« C'est dans la classe moyenne à laquelle appartiennent les fonctionnaires, que résident la conscience de l'État et la culture la plus éminente. Aussi c'est elle qui est le fondement de l'État pour l´honnêteté et l'intelligence. » Hegel cité par Marx page 96.

 

De plus, pour Hegel, la classe moyenne est une garantie contre la bureaucratie. N'en serait-il pas de même pour S.B. Voyons les autres garanties données par Hegel et exposées par Marx :

 

1. « La “hiérarchiede la bureaucratie. Le contrôle. C'est-à-dire que l'adversaire a lui-même pieds et poings liés, et que, s'il est marteau vers le bas, il est enclume vers le haut. Mais où est la protection contre la hiérarchie ? Le moindre mal est, il est vrai supprimé par le mal plus grand dans ce sens qu'il disparaît devant lui.

 

2. Le conflit, le conflit non résolu entre la bureaucratie et la corporation. La lutte, la possibilité de la lutte, voilà la garantie contre la défaite.» (p.113)

 

Que dit S.B. des garanties contre la défaite du mouvement révolutionnaire ?

 

« Le fonctionnement même du capitalisme garantit donc qu'il y aura toujours des « occasions révolutionnaires », mais ne garantit pas leur issue, qui ne peut dépendre que du degré de conscience et d´autonomie des masses. Il n'y a aucune dynamique « objective » qui garantisse le socialisme, et dire qu'il puisse en exister une est une contradiction dans les termes. » (S.B, n° 35, p. 20 )

 

La seule garantie que l'on donne aux prolétaires c'est qu'il y a toujours à lutter et qu´un jour viendra où la conscience sera là ainsi que l'autonomie. On aura sauté sur l'occasion. ! ! !

 

Enfin quelle est la solution indiquée par Marx. Comment Marx voit la destruction de la bureaucratie. Ici, il faut tenir compte que Marx est sur le terrain de l'adversaire. Il va détruire l'autre sur son propre terrain, avec ses propres armes. Comme tu l'expliquais à une réunion à propos du Capital.

 

« La suppression de la bureaucratie n'est possible que si l´intérêt général devient réellement et non pas, comme chez Hegel, purement en pensée, dans l'abstraction, l'intérêt particulier, ce qui ne peut se faire qu'en ce que l'intérêt particulier devient réellement l'intérêt général. » ( p. 104 ).

 

Ceci est réalisé, comme il l'exposera, ultérieurement avec la Gemeinwesen, l'homme social dont la préfiguration est le parti de classe (communiste).

 

Remarque : la critique que Marx fait ici de la bureaucratie est applicable à ceux qui ne voient pas que le parti doit fonctionner de façon organique. Même s’ils ne théorisent pas une division stricte du travail ils prônent une hiérarchie du savoir. C'est l'euphémisme de la chose. On est toujours dans la contradiction bourgeoise qui ne peut se résoudre que dans la bureaucratie parce qu'on n'est pas sur le plan du programme.

 

Hegel dit : « L'unité organique des pouvoirs de l'État implique elle-même que c'est un esprit qui peut fixer le général, qui lui donne sa réalité déterminée et l´exécute. »

 

« Mais c'est précisément cette unité organique que Hegel n'a pas construite. Les pouvoirs différents ont un principe différent. Ils sont en même temps une réalité ferme. Se réfugier de leur conflit dans l'unité organique imaginaire, au lieu de les avoir développés comme élément d'un unité organique, n'est donc qu'une échappatoire mystique et vide de sens. »

 

Actuellement cette unité organique existe, c'est le capital, qui domine l'ensemble de la société. La tendance à la dictature, au pouvoir personnel, exprime simplement ce fait-là. Seulement la société ne peut rejeter ses oripeaux car l'aveu serait trop révolutionnaire.

 

« La première collision non résolue était celle entre la constitution entière et le pouvoir législatif. La seconde est celle entre le pouvoir législatif et le pouvoir gouvernemental, entre la loi et l´exécution. » ( pp. 124-125 )

 

Arrivé à ce stade de l'étude, Marx donne caractéristique de l'apport de Hegel et le secret de son accommodation.

 

« Hegel n´est pas à blâmer parce qu'il décrit l'être de l'État moderne tel qu'il est, mais parce qu'il donne pour l'être de l'État ce qui est. Que le rationnel soit réel, cela est précisément en contradiction avec la réalité irrationnelle, ce qui est partout le contraire de ce qu'elle exprime et exprime le contraire de ce qu'elle est. » ( p. 134 )

 

Cela apparaît magnifiquement dans la critique de l'État constitutionnel, cf. à la suite, la lettre à Amadeo du 25.02.1964

 

Deux citations encore qui viennent préciser l'envoi précédent.

 

« L'abstraction de l'État comme tel n'appartient qu'au temps moderne, parce que l'abstraction de la vie privée n'appartient qu'au temps moderne. L'abstraction de l'État politique est un produit moderne. » 71.

 

« Voilà le mystère du mysticisme. La même abstraction qui retrouve la conscience de l'État dans la forme inadéquate de la bureaucratie, hiérarchie du savoir, et, sans esprit critique, admet cette existence inadéquate comme existence réelle de pleine valeur, la même abstraction mystique avoue avec la même naïveté que l'esprit réel empirique de l'État, la conscience publique, est un simple pot-pourri des « idées et des pensées de plusieurs ». De même qu’à la bureaucratie elle substitue un être étranger, elle laisse au véritable être la forme inadéquate du phénomène; Hegel idéalise la bureaucratie et rend empirique la conscience publique. Hegel peut traiter la conscience réelle bien à part comme conscience publique. Il a d'autant moins à s'occuper de l'existence réelle de l´esprit d'État qu´il se figure l´avoir déjà réalisé comme il convient dans ses soi-disant existences. tant que l´esprit de l'État hantait mystiquement l'antichambre, on lui faisait force révérences. Maintenant qu'on l'a attrapé en personne, on le regarde à peine. » 129.

 

Marx, en critiquant Hegel fait souvent remarquer que pour abolir les collisions entre : pouvoir législatif et constitution, entre pouvoir législatif et gouvernemental etc. qu´« il est nécessaire que le mouvement de la constitution, que le progrès devienne le principe de la constitution, le peuple, devienne donc le principe de la constitution. » 127. De cette critique sur le plan de l'adversaire il devait aboutir à celle où il donne solution : la Gemeinwesen. Seulement cela n´empêche pas que ce qu'il dit est vrai. Mais ce n'est pas le peuple qui est le principe de la constitution mais le Capital qui pour Marx est bien un être impersonnel ( cf. les passages des Grundrisse où il est question du Capital fixe « de ce capital fixe fait homme lui-même. » L'État actuel est l´État politique du Capital se manifestant au travers de ces individus bureaucrates, technocrates, qui doivent assurer l'organisation sociale au mieux des intérêts du capital. Donc la conscience ( pour reprendre ce qui est dit plus haut ) ne peut pas être la bureaucratie c'est le capital lui-même.

 

Une dernière citation illustre ceci :

 

« L'État constitutionnel est l'État dans lequel l'intérêt de l'État n´existe, en tant qu'intérêt réel du peuple, que formellement, mais existe comme une forme déterminée à côté de l'État réel; l'intérêt de l'État a repris ici formellement de la réalité en tant qu'intérêt du peuple, mais il ne doit également avoir que cette réalité formelle. Il est devenu une formalité, le haut goût de la vie populaire, une cérémonie (n'est-ce pas cela l'État gaulliste !) L'élément constituant est le mensonge sanctionné, légal des Etats constitutionnels disant que l'État est l'intérêt du Peuple au que le peuple est l'intérêt de l'État. Ce mensonge se dévoilera dans le contenu. (ce contenu apparaît clair et net dans l'État fasciste : c´est le capital ) Il s'est établi comme pouvoir législatif, précisément parce que le pouvoir législatif a comme contenu l'universel, est davantage chose de savoir que de volonté, la force métaphysique de l'État, tandis que le même mensonge en tant que force gouvernementale, etc.. devrait ou bien se résoudre tout de suite ou se transformer en une vérité. La force métaphysique de l'État était le siège le plus adéquat de l'illusion générale et métaphysique de l'État. » (p. 137).

 

Il n'y a plus de force métaphysique, c'est une force bien réelle, celle du capital. (Fin de la lettre)

 

Si le capital est le principe moteur de la constitution, il faut qu'il se présente comme être général réel, qu'il représente sous forme aliénée l'ensemble des êtres humains qu'il s'assujettit. Le fascisme est une démocratie sociale où, ce qui constitue le peuple des esclaves du capital, c'est le capital lui-même. Marx dit que dans l'antique société grecque la société civile était l'esclave de la société politique, la société civile est une esclave du capital. La démocratie est parmi les esclaves.

 

Comment Hegel va-t-il réaliser la conciliation ?

 

Hegel part de la séparation de la société civile du pouvoir politique-gouvernement ( lÉtat ) ce qui est une caractéristique de la société bourgeoise. Pour concilier cela, il retourne à une vision moyenâgeuse : « Le summum de l'identité de Hegel, était ainsi qu'il l'avoue lui-même, le moyen-âge. Là les états de la société civile en général et les états au point de vue politique étaient identiques. On peut exprimer l'esprit du moyen-âge en disant que les états de la société civile et les états du point de vue politique étaient identiques parce que la société civile était la société politique : parce que le principe de la société civile était le principe de l´État. »

 

Or, Hegel ne veut aucune séparation de la vie civile et de la vie politique. ( p. 154 )

 

Les états du moyen-âge indiquaient à la fois la donnée sociale et politique. Le pouvoir s´exprimait en une hiérarchie de ces états. Religion et politique étaient liées et les hommes étaient devant l´État dominant comme devant un être les intégrant, les présupposant. Cet être devait être leur être réel, eux n'étaient qu'animaux ( cf. aussi « La question juive » : le secret de la noblesse c'est la zoologie, p. 217 ).

 

« Toute leur existence était politique, leur existence était l´existence de l'État. Leur activité législative, leur vote des impôts pour l'État, ce n'était qu'une émanation particulière de leur signification et leur activité politique générale. » ( p. 151-152 )

 

« Leur fonctionnement comme pouvoir législatif n'était que le complément de leur pouvoir ( exécutif ) souverain et gouvernemental; c'était plutôt leur accession à l'affaire absolument générale en tant qu'affaire privée, leur accession à la souveraineté considérée comme un état privé. Les états de la société civile étaient au moyen-âge, en tant qu'états de cette nature, en même temps des états législatifs, parce qu'ils n'étaient pas des états privés ou parce que les états privés étaient des états politiques. Les états du moyen-âge, en tant qu'éléments politico-constituants n'acquièrent aucune détermination nouvelle. Ils ne deviennent pas politico-constitutants parce qu'ils prenaient part à la législation mais parce qu'ils étaient politico-constituants. »

 

Ensuite Marx va analyser l'origine de la société bourgeoise. À ce propos, il faut faire une remarque : le côté philosophique, c´est sa lutte politique pour délimiter le féodalisme du capitalisme. Sa critique est d'abord sur le terrain de l´adversaire. Or, en Allemagne ce terrain était philosophique. Marx apparaît comme philosophe lorsqu´il se dispute avec Hegel sur l´origine de la société bourgeoise, sur ses caractères fondamentaux; de même avec les jeunes hégéliens.

 

Ensuite, dit Marx, il y eut dissociation par suite du développement du commerce et de l'industrie. Activités qui n´étaient pas englobées par l'être hiérarchisé. Les individus eurent de plus en plus tendance à avoir un état social séparé de leur état politique. Augmentation du pouvoir souverain et dissolution de la puissance de la hiérarchie entre lui et le peuple (souveraineté directe !). N'est-ce pas cela le mouvement de la bourgeoisie : abstraire l'État pour mieux le conquérir.

 

La révolution de 1789 pousse cela jusqu´à son stade ultime. Elle fait des états, des états sociaux. L'un d'entre eux le Tiers-État veut un état politique correspondant à sa réalité sociale. Pour le représenter, il veut une nouvelle Gemeinwesen; destruction de l'être féodal. Seulement avant que le capital ne se développe et ne s'empare de la société et n'en devienne le moteur, il semblait possible de mettre l'homme abstrait au centre de la question d'où l'illusion bourgeoise démocrate ( en ce sens Robespierre ressemble à Hegel : ils ne connaissent que l'homme abstrait ).

 

Donc au début, la réponse est : il faut mettre l'homme concret et non l´homme abstrait au cœur de la constitution; car, évidemment l'homme dérivant d'une abstraction d'une réalité donnée peut devenir contradictoire avec la nouvelle réalité. (Ajout ultérieur)

 

Voyons comment Marx expose ce mouvement :

 

« C'est par un progrès de l'histoire que les états politiques ont été changés en états sociaux, en sorte que les différents membres du peuple, de même que les chrétiens sont égaux au ciel et inégaux sur terre, sont égaux dans le ciel de leur monde politique, et inégaux dans l'existence terrestre de la société. La trans-formation proprement dite des états politiques en états civils s'est faite sous la monarchie absolue. ( Marx voit donc déjà de façon claire le rôle historique de la monarchie absolue, période nodale entre le féodalisme et le capitalisme, période justement où l´État s'abstraie de plus en plus, est de plus en plus coupé de la réalité sociale, et où il sera de plus en plus facile de le pénétrer. ) La bureaucratie faisait valoir l'idée de l'unité contre les différents états dans l´État. Mais à côté même de la bureaucratie du pouvoir gouvernemental absolu la distinction sociale des états restait néanmoins une distinction politique à l'intérieur et à côté de la bureaucratie du pouvoir gouvernemental absolu. Ce ne fut que la révolution française qui acheva la transformation des états politiques en états sociaux, ou, en d'autres termes, fit des différences d'états de la société civile de simples différences sociales, des différences de la vie privée, sans importance dans la vie politique. La séparation de la vie politique et de la société civile se trouve achevée. » ( p. 167 )

 

« Les états de la société civile se transformèrent, eux aussi en même temps : la société civile, de part sa séparation de la société politique, était devenue autre. L'état au sens médiéval du mot, ne subsista plus qu'à l'intérieur de la bureaucratie même, où la position civile et la position politique sont immédiatement identiques. La société civile s´y oppose comme état privé ( c'est une chose que n'ont pas comprise les barbaristes ! ). La différence des états n'est plus ici une différence du besoin et du travail en tant que corps autonome. La seule différence générale, superficielle et formelle qui existe encore ici, c'est la différence entre la ville et la campagne. Mais à l'intérieur de la société même la différence se développa dans des cercles mobiles, pas fixes, dont le principe est l´arbitraire. L´argent et l´instruction sont les critères principaux. Mais ce n´est pas ici, c'est dans la critique de l'exposé que Hegel fait de la société civile, que nous aurons à développer cela. Suffit. L'état de la société civile n'a ni le besoin, donc un élément naturel, ni la politique comme principe. C'est une division de masses qui se forment en passant et donc la formation est elle-même une formation arbitraire et non pas une organisation. » ( p. 167 )

 

Premier élément fondamental mis en évidence : les masses. D'où, erreur de Hegel :

 

« Le point vraiment important, c'est que Hegel voit une contradiction dans la séparation de la société civile et de la société politique. Mais son erreur, c'est de se contenter de l´apparence de cette solution et de la donner pour la chose elle-même, alors que les “soi-disant théories” qu'il dédaigne réclament la “séparation” des états civils et des états politiques, et la réclament à bon droit, vu qu'elles expriment une conséquence de la société moderne, l'élément politico-constituant n'y étant précisément rien d'autre que l'expression effective du rapport réel entre l'État et la société civile, leur séparation. »

 

« Hegel n'a pas appelé de son nom connu la chose dont il s'agit ici. C'est le différent entre la constitution représentative et la constitution constituante. La constitution représentative est un progrès certain parce qu'elle est l'expression franche, pure et logique de l'Etat moderne. Elle est la contradiction non déguisée» ( pp. 157-158 )

 

« L'état privé est l'état de la société civile, contre l'état. L'état de la société civile n'est pas un état politique. » (p. 159)

 

« C'est la façon non critique, la façon mystique d'interpréter une conception ancienne dans le sens d'une conception nouvelle du monde, interprétation qui en fait quelque chose de lamentablement hybride, où la forme trompe la signification et la signification la forme, où la forme n'acquiert sa signification sa forme réelle parce que la signification n'arrive à la forme ni à la signification réelle. Ce manque de critique, ce mysticisme est l´énigme des constitutions modernes ( et à fortiori des constitutions des états ) aussi bien que le mystère de la philosophie de Hegel, en particulier de la philosophie du droit et de la religion. »

 

« Le meilleur moyen de se débarrasser de cette illusion, c'est de prendre la signification pour ce qu'elle est, pour la détermination proprement dite, d'en faire comme telle, le sujet et de se rendre compte ensuite par comparaison, si le sujet qui est prétendu lui appartenir est son prédicat réel, s'il représente son être et sa véritable réalisation. » ( p. 172-173 )

 

On voit ici que Marx reste fidèle à sa définition du renversement : faire des prédicats des sujets (Différence entre la philosophie de Démocrite et d'Epicure).

 

Ce mysticisme dérive lui-même du fait que la société bourgeoise se prétendait - et pouvait se prétendre - comme émancipation de l'humanité. La question était de savoir quel contenu donner à l'État reliant les différents individus constituant la société bourgeoise. Le capital force sociale impersonnelle n'était pas encore assez puissant pour être l'Etre de l'Etat.

 

« Il y a donc ici, de la part de Hegel, une inconséquence dans sa propre manière de voir et une telle inconséquence est une accommodation (Cf. Différence entre la philosophie de Démocrite et d´Èpicure). D'autre part on voit bien que Marx est sur le terrain de l'adversaire : « L'élément politico-constituant est au sens moderne au sens développé par Hegel, la séparation achevée supposée entre la société civile d'une part, son état privé et ses différences d'autre part. Comment Hegel peut-il faire de l'état privé la solution des antinomies du pouvoir législatif avec lui-même ? Hegel veut le système constituant médiéval, au sens moderne du pouvoir législatif, et il veut le pouvoir législatif moderne, mais dans le corps du système constituant médiéval : c'est du très mauvais syncrétisme. » ( p. 197)

Remarques :

1. Pour Hegel, en définitive, ce n'est que le côté pratique qui donne « valeur » au système. L'idée abstraite se nie dans la nature. L'idée morale abstraite se nie en ses déterminations, de l´homme, ses actes et dans les éléments de l'Etat. Et à travers ce-lui-ci, elle se réalise. C'est le rapport entre les hommes qui est déterminant.

 

« L'État est la réalité de l'idée morale, l'esprit moral en tant que volonté substantielle, manifeste et évidente à elle-même.. Il a, dans la moralité, son existence immédiate et dans la conscience personnelle de l'individu son existence à lui, considéré comme son être, le but et les résultats de son activité, sa liberté substantielle. » ( Hegel, cité par K. Marx, p. 210)

 

« La réalité de l'idée morale apparaît ici comme la religion de la propriété privée (parce que dans la majorat, la propriété privée se trouve avec elle-même dans un rapport religieux, il s'ensuit que, dans nos temps modernes, la religion est devenue comme une qualité inhérente à la propriété foncière et que tous les ouvrages qui traitent du système majoritaire sont pleins d'onction religieuse. » (K. Marx, p. 211 )

 

2. La société féodale est le monde du droit coutumier. Cela indique les différentes modalités qu'a l'homme d´entrer en contact avec la nature et ses semblables dans un milieu donné (cf. article ultérieur sur la loi à propos des vols de bois).

 

Le féodalisme, par rapport à l'antiquité, restaure un être organique mais aliéné à la puissance divine qui est l'abstraction de l'être générique de l'homme.

 

La société antique esclavagiste est à la recherche de cet être général de l'homme. Elle pose l'homme politique, zoon politikon, comme pouvant le représenter. C'est l'homme de la polis. Celui-ci est encore sous la dépendance des phénomènes naturels, de la production limitée; il est donc dominé par la fatalité.

 

3. En société bourgeoise, notion hiérarchisée mais plus organique: position sociale, situation sociale. Cette position est déterminée par l'argent. L'augmentation de la quantité de celui-ci fait gravir des échelons à l'individu. Or, l'argent n'ayant pas de maître, tous les individus peuvent en théorie accéder à la situation la plus favorisée et ainsi avoir une situation politique puissante. Puis l'argent est capital et domine l'ensemble de la société. Tout est donc présupposé par celui-ci.

 

En société féodale, était seigneur celui qui possédait terre ou cheval, était porteur d'épée. La terre était inaliénable, impossibilité de gravir les échelons.

 

Marx analyse ensuite comment Hegel voit le problème de l'individu dans la société :

 

« Dans l'individu se montre ici ce qui est la loi générale : la société civile et l'État sont séparés. Donc le citoyen de l'État et le citoyen simple membre de la société civile sont également séparés  ( Marx anticipe sur ce qu'il dira dans la Question Juive où il critique les Droits de l'Homme et du Citoyen ). Il faut donc qu'il opère une rupture essentielle avec lui-même. En tant que citoyen réel il se trouve dans une organisation double, l'organisation bureaucratique - c´est une détermination formelle extérieure de l'État opposé, du pouvoir gouvernemental, qui ne touche ni à lui, ni à sa réalité indépendante - et l'organisation sociale, l'organisation de la société civile. Mais dans celle-ci il se trouve, comme homme privé, hors de l'État; elle ne touche pas à l’État politique comme tel. » ( p. 161 )

 

« Le citoyen doit dépouiller son état, la société civile, l´état privé, pour acquérir signification et activité politiques, car cet état se trouve précisément entre l´individu et l'État politique» ( p. 165 )

 

« L'atomistique où la société civile se précipite par son acte politique ressort nécessairement de ce que la communauté, l´ensemble communiste, où l'individu existe, est la société civile séparée de l'État ou que l'État politique est une abstraction de cette société. » ( p. 165 )

 

« La seule caractéristique, c'est que le manque de biens et l'état de travail immédiat, l'état de travail concret, forment moins un état de la société civile que le terrain sur lequel reposent et se meuvent les cercles de cette société. L'état proprement dit, où la position politique et la position civile coïncident, n'est que celui du pouvoir gouvernemental. L'état actuel de la société montre sa différence de l´ancien état de la société civile rien que par le fait qu'il n´est pas comme jadis, quelque chose de commun, une communauté tenant l´individu, mais qu'il est pour une partie de la contingence, pour un partie du travail, etc., de l´individu, que celui-ci se tienne ou non dans son état; c´est un état qui n´est à son tour qu'une détermination extérieure de l'individu, car il n'est pas inhérent au travail de l´individu et ne se rapporte pas non plus à lui comme une communauté objective organisée d'après des lois fixes et ayant avec lui des relations fixes. Il ne se trouve, plutôt, dans aucune relation réelle avec son action substantielle, avec son état réel. Le médecin ne forme pas d'état particulier dans la société civile. Un commerçant appartient à un autre état, à une autre position sociale que l'autre commerçant. Tout comme la société civile s'est séparée de la société politique, la société civile s'est dans son propre sein, divisée en l´état et en situation sociale, malgré toutes les relations entre les deux. Le principe de l´état civil ou de la société civile est la jouissance ou la capacité de jouir. Dans sa signification politique le membre de la société civile se détache de son état, de sa position privée réelle : c'est là seulement qu'il vaut au titre d'homme ( par la constitution, n.d.r ), ou qu'apparaît sa détermination comme membre de l'Etat, comme être social, comme sa détermination humaine. Car toutes ses autres déterminations dans la société civile apparaissent comme inessentielles à l'homme, à l'individu, comme des déterminations extérieures, qui sont, il est vrai, nécessaires à son existence en général, c´est-à-dire en tant que lien avec l'ensemble, lien dont il peut tout aussi bien se débarrasser par la suite. ( La société civile actuelle est le principe réalisé de l'individualisme; l'existence individuelle est le but final : activité, travail, contenu, etc., ne sont que des moyens. ) ( pp. 167-169 )

 

Ailleurs Marx dira : il utilise la vie de l'être générique pour son propre but.

 

« L'homme réel est l'homme privé de la constitution actuelle de l'État. »

 

« L'État a de façon générale, la signification que la différence la séparation sont l'existence de l'individu. Sa façon de vivre, d'agir, etc., au lieu d'en faire un membre, une fonction de la société, en fait une exception de la société et constitue son privilège. Que cette différence n'est pas une simple différence individuelle, mais s'établisse en tant que communauté, état, corporation, cela non seulement n'en supprime pas la nature exclusive, mais n'en est plutôt que l'expression. Au lieu d'être fonction de la société, la fonction individuelle devient plutôt une société pour soi. » ( pp. 169-170 ) ( cf. « où le privilège est considéré comme correspondant à la propriété privée assujettie aux états et le droit comme correspondant au système de la concurrence et aussi le droit de l´homme comme privilège et la propriété comme monopole. » (t. VII, p. 2064 )

 

« Non seulement l'état repose sur la séparation de la société comme loi générale, il sépare en outre l'homme de son être général, il en fait un animal qui coïncide directement avec sa déterminabilité. Le moyen-âge est l'histoire animale de l'humanité, sa zoologie. » 170 ( cf. aussi pp. 216-217 )

 

« Le temps moderne, la civilisation commet la faute inverse. L'être concret de l'homme, il le sépare de lui comme être purement extérieur, matériel. Elle ne prend pas le contenu de l'homme pour sa véritable réalité. » (p. 170) Or, il est important de noter que le capitalisme tend à sortir de la sphère de la réalisation des besoins matériels de l´homme. Parce que le caractère matériel de l'homme qui intéresse le capital c'est son usage, sa faculté d'engendrer la valeur.

 

L'état de quelqu'un c'est le fait d'être. Dans les sociétés précapitalistes, cet état est déterminé par l'appartenance à la tribu, à la cité, à la terre ( la cité est la forme abstraite de la tribu qui s'est sédentarisée ). L'état individuel est déterminé par l´état social; l'être déterminé par l'être générique.

 

Dans la société bourgeoise, séparation état civil état politique retentit sur l'individu et donne l´état de l'individu, son état politique ( son rapport à l'être général ) et sa situation sociale. Cette dernière masque la première parce quelle dépend de l'argent qui « fonde » tout (l'argent-capital). C´est de l'abstraction généralisée que l´individu affirme son être. Seulement pour Hegel n'y aurait-il pas possibilité de la part des états de faire une médiation entre société politique et individus ?

 

« Les états doivent être « médiateurs » entre le prince et le gouvernement dune part et le peuple d'autre part, mais ils ne le sont pas, ils sont plutôt l'opposition politique organisée de la société civile. » ( p. 191 )

 

« Il faut que l'élément constituant soit posé comme volonté souveraine ou que la volonté souveraine soit posée comme élément constituant... »

 

« Mais c'est l'illusion posée de l´unité de l'État politique avec lui-même ( de la volonté souveraine et la volonté constituante, outre le principe de l´État politique et de la société civile ), de cette unité comme principe matériel, c´est-à-dire de telle façon que non seulement deux principes opposés s'unissent, mais que leur unité soit la nature, la raison d'existence. Cet élément de l'élément constituant est la romantique de l'État politique, les rêves de sa substantialité ou de son accord avec lui-même. C´est une existence allégorique. » ( p. 1925

 

N' y aurait-il pas un état particulier qui permette de faire l´union État-individu ( une situation politique ) ? Cet état est celui de la moralité naturelle. Or, ceci est réalisé chez les paysans. ( p. 193 )

 

Cela conduit Hegel à revaloriser le majorat, donc la propriété privée qui devient le fondement de l´État ( cf. ce qui se produisit avec le système censitaire ). ( pp. 205 et 208-209 )

 

« La réalité de l'idée morale apparaît ici comme la religion de la propriété privée ( parce que, dans le majorat, la propriété privée se trouve avec elle-même dans un rapport religieux, il s'ensuit que, dans nos temps modernes, la religion est devenue en somme une qualité inhérente à la propriété foncière et que tous les ouvrages qui traitent du système majoritaire sont pleins d'onction religieuse. La religion est la forme suprême de cette brutalité ). » (p. 211)

 

« On a beaucoup attaqué Hegel au sujet de son développement de la morale. Il n'a fait que développer la morale de l´État moderne. On a voulu séparer davantage la morale de l´Etat, l'émanciper davantage. Qu´a-t-on prouvé par là ? que la séparation de l´Etat actuel de la morale est morale, que la morale n'est pas l'élément de l´Etat et que l'Etat n'est pas moral. Hegel a plutôt le grand mérite, inconscient dans une un certain sens ( dans ce sens que Hegel nous donne l´État, qui a une telle morale comme présupposition, pour l'idée réelle de la moralité ), d'avoir assigné sa vraie place à la morale moderne. » (pp. 221-222)

 

Quelques remarques caractérisant la société féodale qui peuvent ensuite être utiles pour comprendre le capitalisme finissant de notre époque.

 

« Il faut signaler deux éléments dans le majorat héréditaire :

 

1. L'élément constituant c'est le bien héréditaire, la propriété foncière. C'est l'élément durable dans le rapport, la substance. Le maître, le possesseur du majorat n'est à vrai dire qu'un accident. La propriété foncière s'anthropomorphose ( on peut dire de même que le capital s'anthropomorphose : cf. ce que dit Marx à propos du capital fixe ) dans les différentes générations. La propriété foncière hérite en quelque sorte toujours le premier-né de la maison comme un attribut attaché à cette propriété. Tout premier-né dans la série des propriétaires fonciers est la part d'héritage, la propriété de la propriété foncière inaliénable, la substance prédestinée de sa volonté et son activité. Le sujet est la chose et le prédicat est l´homme. La volonté devient la propriété de la propriété.

 

2. La qualité politique du majoritaire est la qualité politique de son bien héréditaire, une qualité politique inhérente à ce bien héréditaire. La qualité politique apparaît donc également ici comme une qualité qui revient directement à la terre ( la nature ) purement physique. » ( pp. 217-218 )

 

Dans la société capitaliste la même chose est valable, seulement rapporté au capital. Seule différence: le capital abstraïse l'homme, force de travail; toute la substance humaine est capital. D'où le capital s'anthropomorphose. Il le fait aussi dans son lien avec la société civile: l'ensemble des hommes, puisqu'il a besoin d'individus pour faire appliquer sa dictature. Ce sont les bureaucrates, les technocrates, etc... L'homme, c'est l'homme abstrait défini par la constitution. ( En plus de cela il ne faut pas oublier que le capital s'est assujetti toute la science, tout le travail intellectuel humain, et il domine au nom même de cet amas de connaissances. Il est la connaissance, l'homme le manœuvre. ) À l'encontre de l'homme de la société féodale qui était surtout animal, l'homme de la société bourgeoise est un pur esprit.

 

Ensuite Marx analyse la propriété privée et sa signification chez les romains et au moyen-âge.

 

« La propriété privée est de raison romaine et de sentiment germanique. » ( p. 224 )

 

« Les romains, à vrai dire, furent les premiers à développer le droit de la propriété privée, le droit abstrait, le droit privé, le droit de la personne abstraite. Le droit privé romain est le droit privé dans son développement classique. Mais nous ne trouvons nulle part chez les romains que le droit de la propriété privée ait été mystifié comme chez les germains. Et nulle part, il ne devient non plus droit public. » ( p. 224 )

 

« Que la société civile pénètre donc en masse et, si possible, toute entière dans le pouvoir législatif, que la société civile réelle veuille se substituer à la société civile fictive du pouvoir législatif, ce n'est pas autre chose que la tendance de la société civile à se donner une existence politique ou à faire de l'existence politique son existence réelle apparaît comme la tendance à participer de façon aussi générale que possible au pouvoir législatif. » ( p. 241 )

 

En définitive, la critique de Marx a porté autant sur l'absence d'organicité de la société. L'espèce humaine est atomisée et elle est cloisonnée en ses déterminations: états, ordres, classes... qui s'affrontent à un Ètat représentant de la Gemeinwesen qui est devenue abstraction de l'être humain. Le capital s'en est emparé.

 

« L'État moderne fait de lui-même abstraction de l'homme réel, ou ne satisfait tout l'homme que de façon imaginaire. » ( Critique à la philosophie du Droit de Hegel )

 

 

 

*   *   *

 

 

 

REMARQUES SUR LES ŒUVRES DE JEUNESSE DE MARX.

 

 

  

 

Dans ses œuvres de jeunesse, Marx arrive toujours au même résultat : il faut rétablir l'antique Gemeinwesen qu'il suppose plus qu'il ne connaît. Ce seront les œuvres de Morgan qui lui permettront de fonder cette intuition. C'est pourquoi il résout le problème dans la pratique en rompant avec la philosophie. La solution est tout de même philosophique, en ce sens qu'elle provient de la destruction de celle-ci. Il ne suffisait pas que l'idée aille à la recherche de la réalité, il fallait que celle-ci aille à la recherche de l’idée. Marx va montrer ce mouvement en étudiant le capital. Il montre que dans son entier, la société tend vers le communisme. Ici encore, on pourrait dire, en faisant le même raisonnement, qu´il donne une solution économique.

 

Seulement Marx montre que pour libérer l'homme, le communisme prisonnier de la société bourgeoise, il faut l'intervention consciente de l'homme, le parti. Le problème est un problème d'action et là est l'originalité fondamentale de Marx. Pour lui il faudra savoir quand on peut agir, comment on peut, comment on pourra empêcher le retour du capitalisme. Donc analyse de la révolution et de la contre-révolution : matérialisme historique, vision catastrophique de la société.

 

 

 

La Question Juive. 1844.

  

 

Dans la Question Juive se trouve posé le problème du rapport de la religion à l´État. Cela conduira à la question suivante : la société bourgeoise a-t-elle libéré l'homme de la religion ?

 

« Dans quel rapport l'émancipation achevée se trouve-t-elle vis-à-vis de la religion ? » ( p. 172 6)

 

Ici, encore, Marx donne des considérations de méthode qui l'amène à réexposer le renversement de la connaissance. Il trouvera les limitations et les défectuosités sur le plan pratique.

 

On peut répondre : il y a une émancipation de l'État : « l'État s'émancipe de la religion en s'émancipant de la religion de l'État, c'est-à-dire en ne reconnaissant aucune religion, mais en s'affirmant purement et simplement comme État. » ( p. 173 )

 

« Mais l'existence de la religion est l'existence d'une défectuosité. La source de cette défectuosité ne peut être recherchée que dans l'essence de l'État. » ( p. 172 )

 

Mais ce n'est pas l'émancipation réelle : « S´émanciper politiquement de la religion, ce n'est pas s'émanciper d'une manière absolue et totale de la religion, parce que l'émancipation politique n'est pas le mode absolu et total de l'émancipation humaine. » ( p. 173 )

 

« Après que l'histoire s´est assez longtemps résolue en superstition, nous résolvons la superstition en histoire. » (p. 172-173)

 

 Donc renversement dont nous avons parlé. De plus: pourquoi y a-t-il superstition? D´où vient-elle ? Il n'y a pas de problème gratuit, c'est-à-dire un problème qui ne tende pas à satisfaire un besoin humain. Le gratuit est peut-être l'expression de l'inassouvissement total de l'homme; inassouvissement dont il ne connaît pas la cause, ce qui augmente encore la notion de gratuité.

 

« La question des rapports de l'émancipation politique et de la religion devient pour nous la question des rapports de l'émancipation humaine. » (p. 173)

 

Cette émancipation réclame une connaissance de ce qu'est l'homme, donc une définition de celui-ci.

 

« La limite de l'émancipation politique apparaît immédiatement dans ce fait que l'État peut s'affranchir d'une barrière sans que l'homme en soit réellement affranchi, que l'État peut être un État libre sans que l'homme soit un homme libre. » ( pp. 173-174 )

 

Ainsi un pays peut accéder à l'indépendance, donc à la liberté, sans que cela corresponde à une libération des hommes de ce pays. Un État peut se libérer d'entraves économiques venant d'autres pays ( d'entraves féodales par exemple ) sans qu'il y ait libération pour les hommes.

 

Donc critique de tous ceux qui veulent rester sur le plan de l´État et veulent celui-ci libre; contre les proudhoniens, les lassaliens etc.. ( cf. Critique au programme de Gotha ).

 

Voici l'explication :

« L'élévation politique de l'homme au-dessus de la religion participe à tous les inconvénients et à tous les avantages de l´élévation politique en général. L'État comme tel supprime par exemple la propriété privée, l'homme décrète, politiquement, l'abolition de la propriété privée, dès qu'il décide que l'électorat et l´éligibilité ne sont plus liés au cens, ainsi qu'on l'a décidé dans nombre d'États d'Amérique du Nord. Hamilton interprète très exactement ce fait au point de vue politique : “ La grande masse a remporté la victoire sur les propriétaires et la richesse financière. ” La propriété privée n'est-elle pas supprimée théoriquement, lorsque celui qui ne possède rien est devenu le législateur de celui qui possède ? Le cens est la dernière façon politique de reconnaître la propriété privée

 

« Mais l'annulation politique de la propriété privée, non seulement ne supprime par la propriété privée, mais la suppose même. » (p. 175)

 

Le cens était une forme subissant le poids du passé : la propriété privée donnait un droit à être homme, donc à défendre. De même l'argent donnait le droit d'être citoyen.

 

Nous sommes arrivés au bout du cycle : le capital légifère pour les hommes. Il n'y a plus besoin d'avoir de l'argent pour voter. Seulement l'appartenance plus ou moins étroite permet de jouir d'un privilège plus ou moins grand en cette société.

 

Marx va indiquer maintenant ce que représente l'État pour la bourgeoisie. C'est l'apparente conciliation qui fait qu'il devient le monde illusoire de l'homme. Il va montrer ce monde d'illusions.

 

« L'Ètat politique parfait est, d'après son essence, la vie générique de l'homme par opposition à sa vie matérielle... et rempli d’une généralité irréelle. » ( p. 177 )

 

La critique fondamentale est là: mettre en évidence la coupure de l'homme d'avec sa Gemeinwesen. Coupure engendrée par la propriété privée et la division du travail. Marx raisonne en fonction du communisme. La solution n´est pas sur le plan de l´État mais dans la Gemeinwesen.

 

Critique de l´atomisation de l´homme, de sa segmentation.

 

« La différence entre l'homme religieux et le citoyen, c’est la différence entre le commerçant et le citoyen, entre le journalier et le citoyen, entre le propriétaire foncier et le citoyen, entre l’individu vivant et le citoyen. La contradiction dans la quelle l’homme religieux se trouve avec l’homme politique, est la même contradiction  dans laquelle le bourgeois se trouve avec le citoyen, dans laquelle le membre de la société bourgeoise se trouve avec sa peau de lion politique. » ( p. 178 )

 

« L'émancipation politique constitue, somme toute, un grand progrès. Elle n'est pas, il est vrai, la dernière forme de l'émancipation humaine dans les cadres de l'ordre social actuel. Entendons-nous bien, nous parlons ici de l'émancipation réelle, de l'émancipation pratique. » ( p. 175 )

 

Le mouvement ouvrier se plaça trop sur le plan de l'émancipation politique. L'histoire des divers mouvements ouvriers montre les différents modes de liquidation de l'émancipation politique, de celle de la société féodale et le mode de s'opposer à la société bourgeoise. Tares particulières qui seront bases de développement pour l'implantation de la vague stalinienne, en même temps que celle-ci unifie toutes les tares en devenant la tare du mouvement ouvrier international.

 

Or, l'essentiel c'est la question de la Gemeinwesen. La libération pratique, réelle, c'est la constitution de la nouvelle Gemeinwesen.

 

« L'homme s'émancipe politiquement de la religion, en la rejetant du droit public dans le droit privée... Elle n'est plus l'es prit de l'État... elle est devenue l'esprit de la société bourgeoise, de la sphère de l´égoïsme, de la guerre de tous contre tous. Elle n'est plus l'essence de la communauté, mais de la distinction. Elle est devenue ce qu'elle était à l'origine; elle exprime que l'homme est séparé de sa communauté de lui-même et des autres hommes. Elle n'est plus que l'affirmation abstraite de l'absurdité personnelle, de l'arbitraire... » (p. 179-180) ( Cf. formulation similaire in Critique de la philosophie du droit de Hegel: « La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l'homme qui, ou bien ne s'est pas encore trouvé, ou bien s'est déjà reperdu. » )

 

D'où vanité de l'émancipation politique et impossibilité pour l'État de représenter réellement l'homme.
 

« La décomposition de l'homme en juif... à la suppression de la vie, à la guillotine. » ( pp. 180-181 ). Puis Marx caractérise la période révolutionnaire de la société bourgeoise ( Robespierre, St. Just ) : « Aux moments où l'État prend particulièrement conscience de lui-même, la vie politique cherche à étouffer ses conditions primordiales, la société bourgeoise et ses éléments, pour s'ériger en vie générique véritable et absolue de l'homme. Mais elle ne peut atteindre ce but qu'en se mettant en contradiction violente avec ses propres conditions d'existence, en déclarant la révolution à l'État permanent; aussi le drame politique se termine-t-il nécessairement par la restauration de la religion, de la propriété privée de tous les éléments de la société bourgeoise, tout comme la guerre se termine par la paix. » ( p. 181 ) Ainsi ressort fondamentalement l'erreur tragique de Robespierre et de St. Just comme l'explique Marx dans la Sainte Famille. C'est au fond l'impossibilité de l'émancipation politique qui a ses contradictions internes. Ils ont exprimé cela de la manière la plus intense.

 

Marx analyse ensuite le rapport entre l'État chrétien et la religion : «Bien plus l´État chrétien parfait, ce n'est pas le prétendu État chrétien, qui reconnaît le christianisme comme sa base, comme la religion de l´État, et prend une attitude exclusive en-vers les autres religions, c'est plutôt l´État athée, l´État démocratique, l´État qui relègue la religion parmi les autres éléments de la société bourgeoise. » Jusqu´à la page 183 où se trouve l'analyse de l´État démocratique :

 

« L'État démocratique, le véritable État, n'a pas besoin de la religion pour son achèvement politique. Il peut, au contraire, faire abstraction de la religion, parce qu´en lui le fond humain de la religion est réalisé de façon profane. L’État dit chrétien a tout au contraire une attitude politique vis-à-vis de la religion, et une attitude religieuse vis-à-vis de la politique. S'il ravala les formes politiques en apparence, il ravale tout aussi bien la religion pour la forme. » ( p. 183 )

 

L´État démocratique est la dernière forme de l'État, il est sa forme ultime. Il pose l'homme souverain et lui-même est la souveraineté de l'homme. Auparavant, l'État était le dépositaire profane de la volonté divine, il dominait les hommes.

 

« Ce qui vaut dans l’État dit religieux, ce n'est pas l'homme c'est l'aliénation. Le seul homme qui compte, le roi, diffère spécifiquement des autres hommes et est, en outre, un être encore religieux se rattachant directement au ciel, à Dieu. Les relations qui existent ici sont encore des relations fondées sur la foi. L´esprit religieux ne s'est donc pas encore réellement sécularisé. » ( p. 185 )

 

L'État démocratique érige la mystification à une fonction d´État; il est la mystification achevée.

 

Sous le féodalisme, l'homme délègue toute son humanité à un État religieux, il n'est qu'animal. Dans l'État démocratique, on pose identité de l'être réel et de l'être théorétique, celui défini par la société civile et celui défini par l´État. Ou bien l'on dit que c'est le second qui détermine le premier. En fait lorsque le capital se développe, on constate que celui-ci s'approprie l'être réel des hommes, leur force de travail afin de leur ravir de plus en plus de plus-value. Le capital devient État avec le fascisme. L´être humain est réduit à un pur esprit à une définition posée par la constitution. L'être humain n'est plus qu´une abstraction. Il avait pu sembler que ce serait l'être humain réel qui allait diriger l´État ( émancipation politique ). Seulement on ne se rendait pas compte que la force matérielle passait en fait à une force impersonnelle, le capital. L'homme quittait une sujétion immatérielle pour en subir une bien matérielle. La période de passage de lune à l´autre est celle de toutes les illusions. Celle où la mystification démocratique peut se développer et a même une certaine fonction historique.

 

L'État démocratique est d´autre part la réalisation profane de la religion, la dernière forme dans laquelle la religion peut se manifester. « Mais l'esprit religieux ne saurait être réellement sécularisé. En effet, qu'est-il sinon la forme nullement séculière d'un développement de l´esprit humain ? L'esprit religieux ne peut être réalisé que si le degré de développement de l'esprit humain, dont il est l'expression, se manifeste et se constitue dans sa forme séculière. C'est ce qui se produit dans l'État démocratique. Ce qui fait le fond de cet État, ce n´est pas le christianisme, mais le fond humain du christianisme. La religion demeure la conscience idéale, non séculière, de ses membres, parce qu'elle est la forme idéale du degré de développement humain qui s'y trouve réalisé. » ( p. 186 )

 

Donc critique de la démocratie. Ici Marx dépasse le dernier stade et remarque que cette forme d'organisation de la société humaine réintroduit un dualisme ( cf. particulièrement : l'homme est souverain et délègue sa souveraineté à l´État, contrat social de Rousseau ). Le dualisme - individu de la société civile et de l'État politique - indique la séparation de l'homme d'avec lui-même et en même temps la recherche de cet homme. Le dualisme est une forme religieuse de percevoir le monde et il traduit une attitude religieuse.

 

« Religieux, les membres de l´État politique le sont par le dualisme entre la vie individuelle et la vie générique, entre la vie de la société bourgeoise et la vie politique; religieux, ils le sont dans ce sens que l´homme considère comme sa vraie vie la vie politique située au-delà de sa propre individualité; religieux ils le sont dans ce sens que la religion est ici l'esprit de la société bourgeoise, l'expression de ce qui sépare et éloigne l´homme de l'homme. » (p. 187)

 

La religion pose deux mondes; un monde nouménal inconnaissable à l'homme et un monde phénoménal ou le monde de l'homme. De même l'État est le monde en dehors de l'individualité humaine, tandis que la société civile est celui des individus. Donc dualisme Etat individu. Marx met bien en évidence ce dualisme, de même dans ce qui suit il fait saillir celui entre homme-individualité et homme générique dont le premier n'est qu'une variante.

 

«Chrétienne, la démocratie politique l'est dans ce sens que l'homme, non seulement un homme, mais tout homme, y est un être souverain, un être suprême, mais l'homme ni cultivé, ni social, l'homme dans son existence accidentelle, l'homme tel qu'il est, l'homme tel qu'il a été corrompu, perdu pour lui-même, aliéné par toute l'organisation; l'homme qui n'est pas encore un être réel de l'espèce. » (p. 187)

 

C'est-à-dire donc un être qui ne peut être appelé l'être humain. Nous sommes encore dans la préhistoire de l'humanité. Pour que l'être générique existe, il faut que se réalise la Gemeinwesen, seule forme d'être de l'homme qui le réalise, car c'est seulement là qu'est abolie l'opposition dualistique dont il a été parlé. Ensuite Marx continue par une critique à la fois de l'État et de la démocratie.

 

« La création imaginaire, le rêve, le postulat du christianisme, la souveraineté de l'homme, mais de l'homme en tant qu'être absolument différent de l'homme réel, tout cela devient, dans la démocratie, de la réalité concrète et présente, une maxime séculière. » ( p. 187 )

 

« La conscience religieuse et théologique s'apparaît à elle-même, dans la démocratie parfaite, d'autant plus religieuse et d'autant plus théologique qu'elle est, en apparence, sans signification politique, sans buts terrestres, une affaire du cœur ennemi du monde, l'expression de la nature bornée de l'esprit, le produit de l'arbitraire et de la fantaisie, une véritable vie de l'au de-là. Le christianisme atteint ici l'expression pratique de sa signification religieuse universelle, parce que les conceptions les plus variées du monde viennent se grouper dans la forme du christianisme, et surtout parce que le christianisme n'exige même pas que l'on professe ce christianisme, mais que l'on ait de la religion, une religion quelconque ( voir Beaumont ). La conscience religieuse se délecte dans la richesse de la contradiction religieuse de la variété religieuse. » (p. 187-188)

 

La démocratie est la forme parachevée du dualisme, mais d'un dualisme pratique. De ce fait, c'est la réalisation pratique de la religion. Ce n'est qu'en détruisant la démocratie que nous pourrons éliminer la religion. L'humanité ne se pose que des problèmes pratiques, qui ne peuvent être résolus que par la pratique. De ce fait, dès maintenant notre pratique doit être destruction de la religion et de la démocratie.

 

«Nous avons donc montré qu'en s'émancipant de la religion on laisse subsister la religion, bien que ce ne soit plus une religion privilégiée. La contradiction dans laquelle se trouve le sectateur d'une religion particulière vis-à-vis de sa qualité de citoyen n'est qu'une partie de l'universelle contradiction entre l'État politique et la société bourgeoise». ( p.188)

 

Sous la féodalité l'Église était propriétaire foncier, sous le capitalisme elle est entreprise capitaliste. En conséquence elle est soumise à la libre concurrence. Mais, par là, son rôle réel, pratique lui est reconnu. Les différentes religions avec leurs différentes églises se disputent le marché des âmes des esclaves du capital. Mais, elle ne peut être un pouvoir qui conteste celui du capital, parce que celui-ci s'est assujetti toutes les puissances matérielles et spirituelles de ce monde.

 

« L'achèvement de l'État chrétien, c'est l'État qui se donne comme État et fait abstraction de la religion des ses membres. L'émancipation de l'État de la religion n'est pas l'émancipation de l'homme réel de la religion. » (p. 188)

 

Cela d'autant plus qu'ultérieurement le capital reconnaît la religion en tant que force contraignante sur le prolétariat et l'utilise. Si donc l'État s'est émancipé de la religion, cela permet au capital de la conquérir et, ensuite, cet État utilise la religion pour faire accepter le pouvoir du capital.

 

Marx va étudier le rapport État-religion au niveau des droits de l'homme et du citoyen, ce qui l'amène à préciser le rapport individu à la religion et à faire une critique de la Déclaration et à analyser la différence entre homme et citoyen.

 

« D'après Bauer, l'homme doit sacrifier le “privilège de la foi”, pour pouvoir recevoir les droits généraux de l'homme. » (p. 190) On voit ici la position inchangée des réformistes, immédiatistes, etc : concilier; ici, conciliation individu-espèce. « Considérons un instant ce qu'on appelle les droits de l'homme, considérons les droits de l'homme sous leur forme authentique, sous la forme qu'ils ont chez leurs inventeurs, les Américains du Nord et les Français ! Ces droits de l'homme sont, pour une partie, des droits politiques, des droits qui ne peuvent être exercés que si l'on est membre d'une communauté. La participation à la vie commune politique, à la vie de l'État, voilà leur contenu. Ils restent dans la catégorie de la liberté politique. » (p. 190-191)

 

Puis viens l'analyse de la différence entre droits de l´homme et ceux du citoyen.

 

« Constatons avant tout le fait que les droits de l'homme, distincts des droits du citoyen, ne sont que les droits du membre de la société bourgeoisie, c'est-à-dire de l'homme égoïste, de l'homme séparé de l'homme et de la communauté. » (p. 192)

 

Donc dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est exprimé le dualisme : l'homme abstrait défini par les droits de l'homme et celui concret défini par l'État de la classe dominante : les droits du citoyen. Non seulement il y a là dualisme mais il y a un essai de conciliation. Donc elle est elle-même religieuse.

 

« L'inconciabilité de la religion et des droits de l'homme se trouve si peu dans le concept des droits de l'homme, que le droit d'être religieux, et de l'être à son gré, d'exercer le culte de sa religion particulière, est compté expressément au nombre des droits de l'homme. Le privilège est un droit général de l´homme. »  (p. 192) La question est escamotée en faisant de la religion un besoin immuable de la nature humaine; ou bien on généralise un phénomène : « le privilège de la foi est un droit général de l'homme.» (P. 192)

 

1. La liberté

  

Elle suppose l'individualité totale absolue, irréductible. La coupure totale des hommes d'avec les autres: «La liberté est dont le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Les limites dans lesquelles chacun peut se mouvoir sans nuire à autrui sont fixées par la loi, de même que la limite de deux champs est fixée par un piquet. Il s'agit de la liberté de l'homme considéré comme une monade isolée, repliée sur elle-même. » (p. 193)

 

Dans toutes les sociétés l'homme n'existe que parce qu'il appartient à une communauté. Dans le capitalisme, l'homme individuel est posé directement parce qu'est directement posée sa propriété privée ( un avoir déterminé ). Quelle peut donc être la communauté dans la société capitaliste ?

 

De là il découle que le droit à la liberté est le droit à la séparation entre les hommes. «Pourquoi, d'après Bauer, le juif est-il inapte à recevoir les droits de l´homme ? Tant qu'il sera juif, l'essence bornée qui fait de lui un juif l'emportera forcément sur l´essence humaine qui devrait comme homme le rattacher aux autres hommes; et elle l'isolera de ce qui n'est pas juif. Mais le droit de l'homme, la liberté, ne repose pas sur les relations de l'homme avec l'homme, mais plutôt sur la séparation de l´homme d'avec l'homme. C'est le droit de cette séparation, le droit de l'individu limité lui-même.» (p. 193)

 

«L'application pratique du droit de liberté, c'est le droit de propriété privée. Mais en quoi consiste ce dernier droit ?» (Autrement dit c'est sa manifestation, il faut qu'il possède quelque chose pour être libre). “Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer a son gré des biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie.” (Constitution de 1793, art. 16 ) (p. 193)

 

Le droit de propriété est donc le droit de jouir de sa fortune et d'en disposer à son gré, sans se soucier des autres hommes, indépendamment de la société; c'est le droit de l´égoïsme. C'est cette liberté individuelle, avec son application qui forme la base de la société bourgeoise. Elle fait voir à chaque homme, dans un autre homme, non pas la réalisation, mais plutôt la limitation de la liberté. » Donc proclamation du caractère borné de l'individu qui est érigé en droit. On voit combien le droit à la liberté est le droit à être bête.

  

2. L'égalité

 

« Le mot égalité n'a pas ici de signification politique; ce n'est que l'égalité de la liberté définie ci-dessus; tout homme est également considéré comme une telle monade basée sur elle-même. » (p. 194)

 

3. La sûreté

  

"La constitution de 1795 détermine le concept de cette égalité : « Art. 8. La sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chacun des ses membres pour la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés. » (p. 194)

 

« La sûreté est la notion sociale la plus haute de la société bourgeoise, la notion de la police : toute la société n'existe que pour garantir à chacun de ses membres la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés. C'est dans ce sens que Hegel appelle la société bourgeoise “ l'Etat du besoin et de la raison”. » (p. 195)

 

La sûreté ( peut-être la sécurité ) c'est la notion la plus importante. C'est là que réside la mystification la plus haute du capital. Quelle sûreté peut avoir le prolétaire qui ne possède rien et qui pour cela est rejeté de tous? Dans un premier temps l´État ne fait que pallier aux impondérables de la société bourgeoise; il assure de plus la sûreté ( sécurité ) de la propriété privée. Après il assure celle de toutes les couches du capital en assurant la péréquation. Seulement de plus en plus sa fonction est d'assurer la sûreté du capital contre le prolétariat. Plus la domination du capitalisme tend à devenir précaire, plus l´État renforce son dispositif de sécurité. Mais les idéologues n'y croient pas tellement : d'où leur théorisation du principe d'incertitude : reflet dans les sciences, de leur incapacité à prévoir les phénomènes économiques de grande amplitude : ceux qui vont tout bouleverser et donc amener le prolétariat au pouvoir. Ce principe ne fait qu'indiquer l'existence transitoire du mode de production capitaliste.

 

« La notion de sûreté ne suffit pas encore pour que la société bourgeoise s'élève au-dessus de son égoïsme. La sûreté est plutôt l'assurance de son égoïsme. »  (p. 194)

 

« Aucun de ces prétendus droits de l'homme ne dépasse donc l'homme égoïste, l'homme tel qu'il est, membre de la société bourgeoise, c´est-à-dire un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant à son arbitraire privé. L'homme n'y est pas considéré comme un être générique; tout au contraire, la vie générique elle-même, la société, apparaît comme un cadre extérieur à l'individu, comme une limitation de son indépendance initiale. Le seul lien qui les unisse, c'est la nécessité naturelle, le besoin de l'intérêt privé, la conservation de leurs propriétés et de leur personne égoïste. » (p. 195)

 

Nous retrouvons la constante de la recherche et de la pensée: la communauté. Dans la société bourgeoise, l'homme en est séparé; dans le communisme il y est intégré. Le parti, préfiguration de celui-ci, doit réaliser l'intégration de l'homme et, de ce fait, il n'y a plus d'individu. Le reste de la p. 195 jusqu´à la p.200 explique la genèse de la société bourgeoise et reprend des arguments qui furent développés dans la Critique à la philosophie de l´Etat. Ces éléments seront utilisés dans l'étude de l'histoire du mouvement ouvrier français pour expliquer le poids de la politique sur ce mouvement. Indiquons le résultat qui est essentiel pour expliquer les données sur la communauté donc la négation de la démocratie :

 

« L'homme ne fut donc pas émancipé de la religion; il reçut la liberté religieuse. Il ne fut pas émancipé de la propriété privée, il reçut la liberté de la propriété. Il ne fut pas émancipé de l´égoïsme de l'industrie, il reçut la liberté de l'industrie. » ( p. 200 )

 

Analyse ensuite de « la décomposition de la société bourgeoise en individus indépendants » (p. 200) mais aussi la division en homme politique et non politique . De ce fait « La révolution politique décompose la vie bourgeoise en ses éléments, sans révolutionner ses élément eux-mêmes et les soumettre à la critique. » (p. 200-201) ( C'est ce qui est arrivé en France, en Inde ). La société bourgeoise est donc la destruction de la politique; en elle la politique n'est plus une fonction de l'homme réel : « ... l´homme politique n'est que l´homme abstrait, artificiel, l'homme en tant que personne allégorique, morale. » (p. 201) Qui va donc s´emparer de la politique, qui va donc gouverner les hommes ? le capital. C´est lui qui devient présupposition de l'homme. « L´homme véritable on ne le reconnaît que sous forme de l'individu égoïste, et l´homme réel sous la forme du citoyen abstrait. » ( p. 201 ). Voilà la démocratie sociale, la démocratie de l´égoïsme. « Ce n'est que sous le règne du christianisme, qui extériorise tous les rapports nationaux, naturels, moraux et théoriques de l'homme, que la société bourgeoise pouvait se détacher complètement de la voie de l´État, déchirer tous les liens génériques de l'homme et mettre à leur place l´égoïsme, le besoin égoïste, décomposer le monde des hommes en monde d´individus atomistiques, hostiles les uns aux autres. » ( p. 212 ).

 

Marx oppose la véritable émancipation : « toute émancipation n'est que la réduction, à l'homme lui-même, du monde humain, des rapports. » ( p. 202 )

 

De nouveau l'opposition entre l'émancipation politique, bourgeoise : « L'émancipation politique, c'est la réduction de l'homme d'une part au membre de la société et d'autre part au citoyen, à la personne morale. » et l'émancipation communiste : « L'émancipation humaine n'est réalisée que lorsque l'homme a reconnu et organisé ses forces propres comme forces sociales et ne sépare donc plus de lui la force sociale sous la forme de la force politique. » (p. 202) Il n'y aura donc plus opposition espèce-être humain particulier. Dans le capitalisme la force sociale existe sous la forme de la force politique. C'est le capital lui-même. Il assure la sécurité du capital, sa protection contre les hommes, puisque l'Etat capitaliste, c'est la force sociale devenue force politique7.

 

 


1. Étant donnée l'importance de ces textes je les ai publiés dans le n°. spécial d'Invariance de novembre 1968. Il en fut de même pour l'autre texte fondamental pour les questions traitées ci-dessus « Le roi de Prusse et la réforme sociale » dans le n°. 5 d'Invariance ( note de 1991 ).

2. Article anonyme : Recommencer la révolution. (Note 2005)

 

3. Nous n’avons pas trouvé la référence de cette citation. (Note 2005)

 

4. K. Marx et F. Engels, Idéologie allemande, tome VII des œuvres philosophiques, Ed. Costes, p. 206. Il s’agit de la troisième partie qui concerne Max Stirner. (Note de2005

 

5. Le propre des petits-bourgeois est de chercher un élément médiateur: conciliation entre individus et État.

 

6. La question juive, Ed.Costes, t. I des Œuvres philosophiques. Nous avons publié, dans un n° spécial de 1968, une traduction plus fiable de ce texte. Comme ce n° est depuis longtemps épuisé, j’ai préféré recourir à la traduction de J. Molitor des Ed. Costes. (Note 2005)

 

7. Cf. également La Sainte Famille, Ed. Costes, t. II des Œuvres philosophiques, p. 194-196. Cet ouvrage contient également une importante critique des droits de l’homme. (Note 2005)