QUELQUES NOTES SUR L’ALGÉRIE (1961)









    Nous avons abondamment démontré notre thèse : en Algérie la solution pouvait être une solution prolétarienne entre 1924 et 1930. Maintenant elle ne peut être que bourgeoise. Les notes qui suivent viennent de nouveau illustrer cela.


    Elles doivent aussi mettre en évidence que le compromis ne résoudra rien : l'Algérie restera une poudrière. Les bourgeoise le sentent. Ils ont peur aussi pour les répercussions en France.


     L'article de Roger sur l'économie algérienne viendra préciser tout cela.


     Les événements de décembre

         

    Pour les comprendre replaçons-les dans leur continuité.



    En Mai 1958 c'est la « fraternisation ». Les masses algériennes sont passives. La mascarade des ultras peut se dérouler. Elle peut le faire d'autant plus qu'elle était désirée en France. Même certains gauchistes s'y sont laissés prendre. À ce moment-là, cette fraternisation a son complément en France entre le gaullisme et les ultras. Le prolétariat français est passif : il ne veut pas lutter pour défendre la démocratie (ce fut une bonne chose). De plus, pour la majorité des gens, De Gaulle c'était la paix (sens du référendum de 1958).


    En janvier 1959, la « fraternisation » avec les algériens est en perte de vitesse. Le divorce De Gaulle-ultras est accompli. Les masses algériennes sont dans l'expectative. Le FLN n'utilise pas les contradictions françaises.



    Le pouvoir gaulliste devra sacrifier les intérêts de la petite bourgeoisie s'il veut résoudre le conflit algérien. Tout cela était déjà contenu dans l'arrivée du gaullisme, c'est-à-dire du grand capital, au pouvoir. On ne peut plus parler de fascisme ; il n'y a pas eu de menace prolétarienne, il n'y a donc pas lieu de prendre des mesures contre le prolétariat ; De Gaulle le déclarera ouvertement peu après son arrivée au pouvoir. De ce fait le passif de la question algérienne c'est la petite bourgeoisie qui va le payer. Le heurt avec le prolétariat ne pourra venir qu'après la paix en Algérie (nous développerons cela ultérieurement dans la revue).



    Les événements de la semaine du 10 au 17 décembre 1960 sont le parachèvement des journées de janvier 1959. En effet :



    Le heurt gaullisme-ultras s'accentue, mais les masses algériennes manifestent maintenant pour l'indépendance. C'est à ce moment-là qu'apparaît le slogan : Algérie musulmane. C'est en définitive une caution pour la politique gaulliste qui veut parvenir à une indépendance contrôlée. La solution des ultras est définitivement rejetée. Ils ne s'y sont pas trompés. C'est à partir de ce moment qu'on commence à parler de maquis ultra.



    Cette fois encore le FLN ne profite pas de la situation. Pourtant la peur fut grande chez les européens, à tel point qu'un journaliste a pu écrire : « La terreur a changé de camp ». F. Abbas s'est contenté de considérer les événements comme une victoire : « Le monde entier l'a enregistrée comme une éclatante victoire de notre lutte de libération nationale ». Ce n'est pas une victoire de la révolution algérienne, mais celle du compromis. En effet, F. Abbas a lancé un appel au calme. On n'a pas profité de l'élan extraordinaire qui faisait que des femmes défilaient avec le drapeau FLN, et que beaucoup d’enfants narguaient les paras, lorsqu'ils ne les attaquaient pas avec des barres de fer, avec des chiffons assemblés en emblème national. On a préféré éteindre l'incendie et reporter le problème à l'ONU et remporter une victoire diplomatique avec l'obtention de la majorité des deux tiers acquise par la résolution afro-asiatique sur la nécessité d'un référendum contrôlé par l'ONU (ceci est aussi un indice de la perte d'influence de la France sur les anciens pays de la communauté, puisque la résolution est passée grâce à l'abstention de Madagascar, du Tchad, de la Haute-Volta, du Dahomey et du Cameroun).



    Ces événements indiquent que nous sommes arrivés au dernier acte de la guerre. Entre la position ultra et la rébellion des masses, il y a la troisième solution, celle du compromis entre grand capital français et le GPRA qui est un gouvernement bourgeois veule et lâche qui n'a pu aller de l'avant que parce que poussé par les fellaghas. F. Abbas en est le digne chef.



    La question qui se posait était celle de la passation des pouvoirs : est-ce qu'il y a aurait un gouvernement qui serait capable de faire respecter le compromis. Les événements de décembre viennent prouver que le FLN est apte à assurer cette besogne.



    Autre enseignement : depuis 1955, il n'y avait plus de mouvements dans les villes algériennes. S'il est vrai que la grève fut lancée par le FLN et que celui-ci ait pu diriger l'agitation dans les villes, cela nous montre que la révolution a accompli son cycle : après avoir complètement bouleversé les campagnes, elle bouscule les petits artisans et commerçants et le lumpenprolétariat des villes, les obligeant à prendre ouvertement parti pour l'indépendance.



    Le référendum de janvier 1961 devait amplement confirmer tout cela. Pour la première fois on avait une forte proportion d'abstentions. Le boycottage des élections réclamé par le FLN a été suivi. Seulement les masses allaient au-delà. La France sentit la menace. Ce référendum fut suivi d'une féroce répression, surtout dans les villes (Oran fut « filtrée » quartiers par quartiers ; on a déclaré des dizaines de morts ; fusillades sur des cortèges suivant les obsèques des victimes des représailles). Un danger de débordement s'est manifesté. En conséquence s'impose une plus grande nécessité de négocier. De Gaulle abandonne son projet d'exécutif algérien qui devait faire transition pour passer à l'indépendance. Bourguiba multiplie ses interventions pour faire pression sur les algériens et déclare que De Gaulle est le seul homme qui puisse régler le conflit.



    Ces événements ont fourni aux staliniens l'occasion d'un nouveau tournant. En effet ils proclamèrent que tout cela prouvait que les ultras ne pouvaient plus être un obstacle au règlement du conflit, que l'obstacle était De Gaulle ; précisément ce De Gaulle dans les bras duquel ils s'étaient jetés après les événements de janvier 1960 puisqu'ils avaient déclenché une grève pour le soutenir ! Maintenant que la difficulté est passée, ils peuvent revenir sur leur dada des méfaits du pouvoir personnel.



    Ainsi nous sommes arrivés à la nécessité urgente du compromis : l'agitation des algériens ne s'arrête pas dans les villes ; Bourguiba a peur de ses propres fellaghas ; la succession de Mohammed V peut ramener l'agitation au Maroc où la question agraire se pose avec acuité. C'est l'ironie de l'histoire qui veut que l'Algérie ait donné naissance à un mouvement pour la libération du Maghreb et qu'elle soit la dernière à devenir indépendante ; et son indépendance prostituée lui sera même imposée par ses voisins du Maghreb (cf. la réunion des trois chefs).



    L'indépendance algérienne est à peine à l'ordre du jour en France et dans le monde que les bourgeois se préoccupent de la paix sociale dans l'Algérie indépendante. Déjà on envisage la collaboration entre forces françaises et algériennes : « Comment organiser la coexistence et en cas de besoin la coopération des forces de sécurité et de l'armée de libération nationale ? » Le Monde 21/02/61.



    On se rappelle des deux côtés le désarmement des fellaghas tunisiens (Le Monde 19-20/02/61.



    Les français comme les tunisiens et les marocains savent bien que le problème agraire est le fond de la question. C'est de cela qu'ils ont peur (Le Monde 28/01/1961).



    La situation difficile, explosive est révélée par une analyse de l'économie algérienne.