SURGISSEMENT ET DEVENIR DE L’ONTOSE

 

 

THÈSES 

 

 

Préthèses

 

 

1. Le surgissement de l’ontose [1] et son développement ultérieur sont en relation étroite avec la spéciose. Notre investigation porte, ici, essentiellement sur la première, mais l’existence de la seconde n’est jamais perdue de vue. D’autre part la spéciose a un impact important sur les autres espèces, en la nature. La réaction de ces dernières affecte aussi bien l’espèce que l’individu et a donc une incidence sur l’ontose, que nous n’envisagerons pas dans les thèses qui suivent.


2. Le devenir hors nature de l’espèce – devenir de séparation – fonde la totalité, la multiplicité, l’unité. Cette dernière est l’individualité [2] qui est réduite à son tour à l’individu, lui-même fragmenté en être, avoir, faire, devenir incluant l’idée de d’où cela vient, donc de l’origine, de l’essence, et le but, le télos. Essence et télos peuvent amplement s’autonomiser.

Quand on parle de l’être, on parle du résultat d’un procès de fragmentation-réduction. La réduction implique, avant tout, un dépouillement de toutes les modalités de participation à la totalité, à partir duquel une autonomisation devient possible.


3. Séparé des autres composantes (déterminations) initialement incluses dans la totalité non fragmentée: essence, substance, avoir, faire, devenir, l’être apparaît, par suite de son caractère discret, voire de quantum, comme un opérateur qui peut entrer dans diverses dynamiques, ce qui constitue le germe d’une combinatoire actuellement pleinement réalisée entre ces déterminations autonomisées.


4. La tendance inconsciente – bien qu’elle s’impose parfois de façon parcellaire au niveau conscient – à retrouver la participation, à se réinsérer dans une communauté, à être en continuité, détermine tous les phénomènes examinés ci-après.


5. L’immédiateté de l’individualité-Gemeinwesen ne peut s’expliquer que par l’exposé de la totalité dont elle est l’expression; elle ne peut se percevoir qu’à travers le procès qui l’a engendrée: conception, gestation, parturition, qu’à partir de son émergence dans l’éternité.


6. L’éternité, autre expression de la totalité n’implique pas une constante répétition du même. Elle inclue le devenir. Toute individualité-Gemeinwesen est, dans son immédiateté, affirmation de l’éternité.


7. Dès le début nous vivons au sein d’une vaste mystification. Hommes et femmes aiment leurs enfants, pourtant ils sont amenés, sans le vouloir, au cours d’un procès totalement inconscient, à les réprimer, à leur infliger des blessures profondes. Voilà pourquoi il n’y a pas à lutter contre qui que ce soit, ou contre le capital, mais s’impose la nécessité de percevoir en acte le mécanisme implacable de la répression, le plus souvent invisible, qui génère en nous l’ontose qui s’installe de façon insidieuse.


8. Les parents aiment leurs enfants mais, afin d’exister, ils exercent sur eux leur pouvoir qui est une affirmation au sein du phénomène de la domestication. En conséquence ce pouvoir se développe en tant que répression de la naturalité de leurs enfants.

Il ne devrait pas s’agir d’exercer un pouvoir sur, mais en tant que puissance d’exister, et de l’effectuer dans la relation d’amour. Dit autrement amour et pouvoir doivent être réunis pour que s’impose la continuité, l’immédiateté.

 

 

I. Surgissement de l’ontose

 

 

1. La séparation d’avec la nature fonde l’isolement de l’individualité-Gemeinwesen qui est progressivement réduite à la dimension d’individu. L’ontose se présente à la fois comme le résultat de ce devenir et le procès par lequel ceci s’effectue.


2. L’ontose est un phénomène d’adaptation au mode de vie imposé par la séparation d’avec la nature qui induit inévitablement la répression parentale [3] . Elle est simultanément le résultat de cette adaptation qui fonde l’être ontosé [4] . Elle est constituée d’un ensemble de procès inconscients qui fondent le comportement inconscient de l’homme, de la femme.

Toute ontologie est une interprétation de l’ontose, un discours sur elle.


3. La répression parentale présente deux aspects. Le premier est pour ainsi dire passif: la non acceptation de l’enfant dans son originalité, dans son unicité, qui tend par sa simple actualisation à réprimer la manifestation spontanée de celui-ci qui incommode, à nier sa certitude sensible.

Le devenir hors nature implique le rejet de la naturalité de l’enfant. Le devenir à et dans la civilisation, à et dans la culture, est un devenir d’opposition à celui-ci, de négation de son originalité, de son unicité.

La finalité d’un tel devenir est de parvenir à ne plus naître, pour ne plus faire partie de la nature, de ce qui naît. À ce stade final, ce ne serait plus seulement l’enfant qui serait nié mais ce qui se trouve à son origine: la conception. Le clonage permettrait d’escamoter le procès d’engendrement; la virtualité formerait alors à la fois le milieu ambiant et le principe actif de vie.

L’absence de conception fonderait l’impossibilité de concevoir quoi que ce soit. Hommes et femmes ne pourraient plus être conçus que par et dans la virtualité, devenant des automates virtuels.


4. Le deuxième aspect, actif, s’exprime par une attaque plus ou moins soudaine et brutale qui endommage l’intégrité de l’enfant. Cette manifestation est tout de même peu importante chez la grande majorité des parents. Elle est vraiment opérante chez ceux qui exercent ce qu’on appelle des sévices qui ne sont pas uniquement sexuels. C’est ici que nous avons réellement agression. Alors, le rejouement des parents est plus important que la remontée que provoque l’enfant. C’est l’inverse dans la répression.

Ces deux aspects sont en connexion car le second n’est qu’une exaltation du premier (la répression parentale renferme une dimension d’agressivité) du fait que la manifestation du tout petit enfant provoque chez la mère, d’abord, lors de la gestation et de la parturition – moments où elle revit inconsciemment ses propres phases de développement – le père ensuite, une remontée [5] fondamentale de quelque chose qui leur est devenu étranger: le procès de vie, ce vis-à-vis de quoi ils ont dû se séparer, engendrant une immense souffrance. Cela réimpose chez le parent l’instabilité où il fut lui-même mis et qu’il refoule.

Si le premier aspect est absolument général, le second peut-être plus ou moins escamoté. Escamoter [6] consiste à ne pas tenir compte d’une phase d’un procès donné ou même de celui-ci en son entier, afin de pouvoir sauver la cohérence de la représentation qu’on expose. On escamote pour se justifier.

Faire par-dessus, c’est escamoter; c’est intégrer en nous un non développement, une atrophie; cela consiste à entrer dans la dynamique du recouvrement [7] .


5. Ce en face de quoi se trouve l’enfant et qui fait qu’il n’est pas accepté: c’est la peur du bébé en général, comme du bébé en nous. Le bébé provoque la remontée la plus puissante, celle du refoulé primordial, du moment de la non acceptation accompagnée de l’instabilité, de l’insécurisation qui lui sont liées. En conséquence l’adulte refuse, refoule ce qui du bébé provoque la remontée en lui, il refuse donc sa naturalité [8] . Dans le cas du parent il refuse également ce qui n’est pas en accord avec ses attentes, ses projections.


6. L’adulte se vit menacé par l’enfant, parce qu’il se sent remis en cause. Il perçoit l’artificialité (thèses 171, 172) de l’immense construction [9] en quoi consiste son ontose qui lui a permis de sousvivre et survivre. C’est parce qu’elle se sent menacée que la mère devient une menace pour l’enfant qu’elle rend responsable de l’agressivité qu’elle sent sourdre en elle, et qu’elle tend à exprimer parce qu’elle a été exprimée sur elle. Elle le culpabilise du mal-être, du désarroi, dont elle se sent envahie, tandis que, lui, va se sentir coupable d’exister et d’être inadéquat.


7. La réaction du parent à l’arrivée du bébé renferme les dimensions du refus, du rejet, ce qui fonde la répression, ainsi que celle de l’accueil, mais de lui en tant que support de divers désirs, ce qui n’empêche pas que puisse se faire sentir encore sa naturalité qui le met, sans qu’il s’en rende compte, en continuité avec son enfant.

L’enfant est placé devant la confusion (mélange, dans le cas courant, d’acceptation consciente et de refus inconscient ou l’inverse [10] ) dans laquelle l’adulte est plongé du fait de l’ontose, laquelle va lui être transmise.


8. La répression en tant que réponse à une rébellion ne s’impose que beaucoup plus tard, car l’enfant, initialement, est dans la totale acceptation, l’amour infini. Il en vient, ultérieurement, à se rebeller parce que c’est la seule façon qui lui reste de se faire entendre dans son originalité.

            La répression parentale se manifeste soit de façon purement passive, c’est la dynamique de la permissivité, soit de façon active, c’est la dynamique de l’autoritarisme et de l’interventionnisme brutal.

9. On ne naît pas agressif, tueur-né, pervers polymorphe etc. Cette représentation découle d’une justification inconsciente de leur comportement de la part des adultes, justification entérinée par les enfants afin de ne pas remettre en cause les parents, de justifier leur amour inconditionnel pour eux.

La justification est une mise en adéquation avec l’ontose. C’est pour l’enfant la forme première d’initiation, incluant une initialisation d’une programmation, la mise en place d’empreintes [11] , et celle de schémas comportementaux qui se complètent, s’imbriquent, s’emboîtent avec ceux des personnes avec qui il va vivre.

L’empreinte est une trace mnésique, potentiellement indélébile, qui, activée par un événement dans l’ici et maintenant, réimpose le comportement, avec son environnement, où elle a pris naissance. Le schéma comportemental est un type de conduite induit par une empreinte.


10. Justifier c’est rendre supportable ce qui ne l’est pas. C’est s’ajuster au désir des parents et accepter leur dynamique de réduction-indifférenciation car, ici, être juste c’est n’être que cela.

Le refus de la justification est un refus de l’ontose effectué sur le plan de celle-ci. Il conduit à poser l’aséité de l’être: le fait d’être par soi-même et de receler sa raison suffisante [12] .


11. La justification s’effectue au travers d’un déplacement de la culpabilisation des parents à l’enfant, ce qui induit chez lui l’acceptation du transfert en tant que transport de toute une série de défauts qui sont autant de constituants de l’ontose qui est, ainsi, transmise grâce à ce déplacement, à ce transfert.


12. Le déplacement, la transmission de la part de l’individu de ce qui l’encombre, l’asphyxie – ce qui est une forme de déversement dans un autre, avant tout l’enfant – opère comme si [13] , de ce fait, il pouvait lui-même redevenir enfant, se virginiser. Tel est le fondement de la dynamique du bouc émissaire [14] .


13. La naissance d’un enfant effectue comme une purification pour la mère, mais au lieu de la libérer, elle constitue le point de départ d’une régénération de l’ontose et de sa diffusion par transmission.


14. À l’origine de l’ontose il y a deux phénomènes. Tout d’abord la violence [15] qui s’exprime à travers une répression avec sa composante agressive: la non acceptation et le refus du nouvel être en sa réalité naturelle, en tant que forme d’émergence du phénomène vie, ce qui brise la continuité, le procès de vie, tant du point de vue total que du point de vue de l’être qui subit le refus, purement passif ou actif pour l’enfant non désiré et encore indésirable au moment de la parturition. C’est cette violence subie qui fonde la destructivité de l’espèce, son agressivité. Chaque homme, chaque femme, tend à rejouer l’acte de violence. Ensuite se manifeste la confusion et la remise en cause de la certitude qui est adhérence au procès de vie, à l’éternité, et qui s’exprime par l’évidence. C’est pour sortir de cette confusion initiale, avec les questions qui lui sont connexes, que l’espèce a déployé un immense procès de connaissance.


15. La brisure de la continuité apparaît comme une non confirmation du plan de vie de l’être advenant, moment d’irrationalité avec initialisation d’une empreinte et d’une compulsion de répétition, d’une dynamique de rejouement. Pendant toute sa vie l’homme, la femme cherche inconsciemment à être confirmé(e), ce qui se traduit par la volonté d’être reconnu(e). La mise en continuité avec le procès de vie permet au cours d’une dynamique de libération-émergence, d’échapper à cette compulsion qui devient souvent obsessionnelle [16] .


16. Au niveau de l’espèce, comme de l’individu s’est effectué et s’effectue une réaction à un traumatisme et non une action en fonction de divers éléments dont le traumatisme. L’être ontosé réagit constamment et n’opère pas dans la dynamique de l’agir [17] . Toutefois le désir d’effectuer réellement une action, de développer une praxis, s’est manifesté maintes fois, signalant le désir-volonté d’échapper à l’ontose [18] .


17. Violence et confusion sont deux empreintes au niveau de l’espèce et de l’individu. L’empreinte se présente comme un discretum de programmation, laquelle a opéré au moment de la coupure, celle où s’effectua une sorte d’hypnose, d’où ont découlé l’état hypnoïde et l’état hystéroïde.


18. L’être ontosé se développe à partir d’une discontinuité [19] . Pour lui, ce n’est qu’à partir d’elle qu’il peut percevoir la continuité.


19. C’est parce qu’on naît naturel et qu’on doit être adapté à un monde non naturel, qu’on devient ontosé. De là, la tentation de supprimer la nature en nous, de nous arracher à elle pour détruire l’ontose, devenir libre. Telle est une des racines du devenir d’autonomisation et de la mystification.

Fondamentalement, le procès d’autonomisation consiste en l’élimination des déterminations, pour faire en sorte que ce qui s’autonomise apparaisse, à un moment donné, déterminé uniquement par lui-même. Le moment ultime de ce procès est l’aséité de dieu ou celle du capital.

Cette autonomisation peut permettre de présenter sous une autre forme un procès donné, substituer une réalité à une autre. Elle opère en phase initiale d’une mystification.

En ce qui concerne l’ontose, la mystification peut s’exprimer ainsi: sous l’enveloppe de déterminations soi-disant innées se cachent les rapports des parents à l’enfant. Ces rapports ont été mystifiés. Cela veut dire qu’ils ont été mis au secret, les fondant en tant que mystère [20] .

La mystification implique une inversion. Ainsi l’inconscient est présenté comme déterminant la vie des hommes et des femmes alors qu’il est le produit de leurs relations. Le produit autonomisé devient le sujet des phénomènes [21] .

La mystification implique un escamotage (thèse 4).


20. Tout phénomène de l’ontose se greffe [22] sur un phénomène naturel. Le passage du second au premier s’opère grâce à un détournement [23] . Les différentes fonctions du procès de vie sont détournées de leur finalité intrinsèque.

Détourner c’est faire en sorte qu’un procès donné ait une fin, une finalité, autres que celles qui lui sont inhérentes.

Pour cheminer, on est tourné vers un but [24] . Le détournement nous met hors de notre cheminement, mode selon lequel, en fonction de notre plan de vie, nous nous comportons parmi les hommes, les femmes, les êtres vivants, dans le cosmos. Le labyrinthe – représentation active, concrète de l’ontose – est le lieu où l’on est constamment détourné.

Pour qu’il y ait détournement il faut que s’opère l’avortement d’un procès du fait même de l’abolition de sa finalité. En ce sens tous les hommes et toutes les femmes sont des êtres avortés [25] . L’importance qu’a prise la question de l’avortement depuis une trentaine d’années vient révéler sa présence en chacun.

Être détourné, c’est être égaré; c’est ne plus être à même de se positionner. La recherche de la voie exprime à la fois l’ontose et le désir d’y échapper.

Être détourné induit une souffrance qu’il nous faut refouler.

L’action de se détourner de quelque chose peut entrer dans la dynamique de l’auto-répression, de l’intériorisation de la répression subie [26] .

Le détournement a permis l’errance de l’espèce [27] .


21. Ne plus être en mesure de se positionner induit la perte de la présence et l’impossibilité de dire son désir; c’est l’expression plénière de la perte de la certitude.


22. Le phénomène ontosique est greffé-enté sur celui naturel. L’être originel, puis l’être s’adaptant à la société en place est hanté-enté par quelque chose qui lui est étranger et qui tend inexorablement à s’imposer en lui, fondants la hantise dans deux sens complémentaires: être habité, envahi, et de subir une greffe [28] .

Ainsi la hantise c’est avoir peur d’une présence inopportune, c’est appréhender d’être dévoyé, détourné par une sorte de greffe qui a opéré en fait lors du détournement.


23. La hantise opère inconsciemment particulièrement quand le sujet manifeste des peurs qui sont celles que ses parents lui ont transmises, ou réalise des actions induites par celles inachevées de ses aïeux, le conditionnant dans des rejouements dont il ne peut pas trouver la racine dans un événement le concernant.

La hantise est une modalité de transmission de l’ontose.


24. Le concept de hantise a été développé avec d’autres déterminations par Didier Dumas, Nicolas Abraham, Maria Torok. D’autre part divers psychanalystes et d’autres théoriciens affrontent l’étude généalogique de leurs patients et parlent d’un inconscient transgénérationnel, l’inconscient d’une lignée en quelque sorte [29] . Or ce qui se transmet c’est l’inachèvement de divers procès qu’inconsciemment le dernier de celle-ci, qui réceptionne, essaie enfin de porter à leur achèvement. Dans ce cas il ne réagit même plus; il est totalement agi par le mécanisme de l’ontose qui tend à s’autonomiser.

L’autonomisation se traduit par le fait que l’individu ne peut plus se positionner et, de ce fait, n’est plus apte à donner un contenu à la représentation que le je dénote, désigne [30] .


25. Nous sommes en quelque sorte agis par nos lointains ancêtres. Nous tendons à réaliser leurs désirs et, ceci, s’effectue au travers de la virtualisation. Leur être virtuel, projeté il y a dès milliers d’années, entretenu et renforcé par les rejouements successifs, nous meut. Le mort saisit le vif [31] .


26. Tout est donné au départ, au moment où s’effectue l’implantation des empreintes.

La difficulté de décrire ce qui s’est produit fonde la nécessité du symbolisme, des tropes etc.


27. C’est le moment initial, celui du traumatisme fondateur de la discontinuité, qui est déterminant et affecte profondément l’être advenant, originel, naturel, de diverses façons. Ce qui est ressenti en premier c’est l’évanescence du tout. Il n’y a plus rien sinon une sensation de dépression; stupeur et sensation de vide, avec perception de la proximité d’un gouffre; ressenti de ce qui sera nommé ensuite la mort; sensation de vertige [32] . Toute naissance est considérée comme une mort.

C’est à ce moment que se perd la possibilité de se positionner, c’est-à-dire d’être à même de se situer en tant que phénomène émergeant du procès de vie, et d’affirmer son désir, qui est une forme d’expression de la continuité. Tout positionnement est une affirmation, et réciproquement. Cette perte va conditionner la quête d’un moment fondateur, d’un être déterminant, et conduira à vivre une seconde naissance génératrice d’une certitude d’être et d’être au monde. Ressusciter c’est abolir sa propre naissance.


28. Se positionner n’est pas se fixer en un lieu donné, mais c’est se repérer dans la totalité en devenir, étant nous même en devenir, en étant présent à tous les devenir particuliers. La participation à la totalité, autre expression de la prégnance de la continuité, permet à tout homme, à toute femme, de conserver son positionnement par rapport à tous les mouvements [33] .


29. Se positionner c’est donner signifiance à sa présence; c’est signifier. Le positionnement, lorsqu’il est réalisé, est une source de significations qui permet à l’autre de se positionner également. Alors, la continuité s’impose. Il n’y a pas un procès de reconnaissance, tel celui décrit par Marx en ce qui concerne le mouvement des marchandises au cours de l’effectuation du phénomène de la valeur. Le désir d’être reconnu, qui s’affirme souvent de façon inconsciente, dérive de la perte du vécu de la continuité.


30. La perte de la possibilité de se positionner s’accompagne de celle du sens, de la direction du cheminement, de sa signifiance: plus rien ne s’écoule; on est encombré. La souffrance envahit le sujet. D’où, souffrir c’est perdre le sens, constatation qui induit le surgissement de la thématique: trouver un sens à la souffrance, qui encombre et fige et, étant donné que la vie apparaît en tant que souffrance, s’impose également le besoin de trouver un sens à la vie. En fait, on doit retrouver la continuité et donc l’aptitude à nous positionner en affirmant notre présence s’imposant, simultanément, comme présence à.


31. La dépression s’impose quand nous n’adhérons plus à notre procès de vie, qu’il n’y a plus de certitude, comme si nous n’avions plus en nous le support de ce procès. D’où l’émergence de la nécessité de trouver un support externe: moment de mise en dépendance avec perte de l’immédiateté. Réciproquement, chaque fois qu’un individu se trouve dans une situation qui réactualise fortement sa dépendance, il plonge dans la dépression.

La dépression se manifeste souvent comme phénomène complémentaire et compensateur de la rétention soit diachroniquement, soit synchroniquement. Dans ce cas une partie de l’être subit la rétention tandis qu’une autre entre en dépression.

L’état hypnoïde renferme toujours une dimension dépressive. Cependant chez certains individus celle-ci est telle que, pour survivre ils doivent se mettre constamment sous tension, rejouant constamment l’opération par laquelle ils ont réussi originellement à surmonter la dépression. Ce sont des individus exaltés, toujours sur le qui-vive, absolument incapables de percevoir l’autre. S’ouvrir à ce qui advient, être à l’écoute, impliquerait une diminution de la tension en eux, ce qui laisserait la possibilité à la dépression de les envahir. Ils se sentent simultanément et inconsciemment menacés.


32. Ce qui évoque le mieux ce moment de catastrophe c’est la sensation que la terre se dérobe sous nos pieds [34] , moment où se révèle à nous la dimension de support de la terre, de la terre posée en tant que mère. C’est la révélation d’une évidence et de sa perte.


33. La sensation de vide équivaut à celle de la perte d’un support d’où la mise en place d’une empreinte celle de la recherche d’un support, un support pour retrouver la continuité que l’enfant trouve en premier lieu chez la mère.


34. Tout le procès de vie témoigne du besoin de supports pour se développer. Le phénomène de l’ontose s’embraie donc sur un phénomène naturel, mais dans un détournement.


35. Toute épiphanie signale, témoigne de l’importance du support, de son essentialité. Sans support dieu s’évanouit.


36. Le développement de la science provoque une élimination de ce qui a été mis sur les supports, leur rend une virginité, d’où un désenchantement, un sentiment de solitude.


37. La volonté des jeunes d’acquérir des supports qui leur conviennent, constitue un des fondements du conflit entre les générations.


38. Le moment du traumatisme se caractérise par une dilatation du présent car il s’impose comme ne devant pas prendre fin; ce qui fonde, pour le restant de notre vie, la persistance indéfinie du passé.


39. À l’acmé de l’impact du traumatisme sur l’être advenant, participant encore à la totalité, celui-ci éprouve une sorte de fragmentation où chaque fragment le contient pourtant en son entier [35] .

Du fait de l’évanescence simultanée du support, la crise de la présence du monde (perte de son existence) s’affirme en tant que crise de la présence de l’être advenant et réciproquement.

Cette fragmentation permet le déploiement du procès de réduction qui va opérer sur lui.


40. La confusion, qui s’impose ensuite, se manifeste par l’induction d’un état hypnoïde et d’un état hystéroïde. C’est alors que s’imposent les questions: qu’y suis-je? Où suis-je? Et celle de savoir: qu’est-ce qui nous fait face? C’est-à-dire qu’il y a nécessité de comprendre les deux bouts de la continuité brisée.


41. Les niveaux de vigilance ne comprennent pas seulement la veille et le sommeil, avec le cas particulier du sommeil paradoxal, mais aussi le niveau hypnoïde qui est constamment sous-jacent aux deux autres et peut, dans certaines conditions, apparaître, se manifester.

L’état hystéroïde composé de diverses douleurs organiques peut difficilement être perçu parce que les douleurs peuvent être attribuées, et le sont, à des phénomènes pathologiques advenus ici et maintenant.


42. On vit sur un mode superposé, de façon stratifiée. La première strate est celle du passé constamment présent (état hypnoïde et hystéroïde), la seconde est celle du présent, celle du faire, de l’activité, la troisième est celle du futur, celle des fantasmes, complémentaire de celle du passé. Les différentes strates sont discordantes entre elles.


43. L’état hypnoïde affectant la dimension psychique, l’état hystéroïde affectant la dimension organique de l’individu, résultent d’un blocage du procès de vie en cours, ce qui se traduit par une perte d’autocontrôle, par une mise en suspension. C’est le moment de mise en place des empreintes (thèse 26). L’empreinte principale est celle du traumatisme.

La puissance du suspens c’est de réactiver ce moment de suspension.


44. Ces deux états s’établissent à la suite de l’inhibition de l’effectuation, de l’achèvement moteur d’un procès, et de sa conscientisation.

Intervenir c’est essayer de sortir du blocage tandis que parler peut signifier le sortir de la passivité.


45. La perte de continuité est vécue comme perte de support – tout s’effondre – et de repères. Pour pouvoir exister s’impose alors la nécessité de trouver des supports et des signes qui, eux-mêmes, deviennent des supports; car s’enracine alors un besoin d’interpréter, et la nécessité d’une herméneutique existentielle.


46. Cette perte induit les questions: qu’y a-t-il au-delà de la coupure, au-delà de la mère? Qu’est-ce qui a été perdu? Questions qui contribuent à l’initiation de la quête cognitive. Elle plonge dans l’inconnu et dans le questionnement sur l’au-delà, dont la quête ne concerne pas ce qu’il y a après la mort parce qu’elle s’enracine, au début, lors de la coupure et concerne ce qui peut être au-delà de celle-ci, au-delà de la mère.


47. En fonction de 27, de 32 et de 39, il s’avère que l’individu éprouve une profonde crise de la présence au monde qui se traduit par une inaptitude à se positionner dans la continuité, dans la totalité, parce que sa réalité lui est en même temps insaisissable.


48. Le blocage déterminé par la rupture de continuité empêche l’accès de l’enfant à sa réalité, l’empêche de se positionner et de parvenir à ce qu’on nomme autonomie. Cela le plonge dans la dépendance et dans la confusion. Il ne sait pas ce qui est de lui et ce qui est de sa mère. Le procès enrayé va, inconsciemment, avoir constamment tendance à s’achever, afin que l’individu parvienne à se saisir enfin lui-même, hors confusion.


49. La répétition de l’enraiement de divers procès, constituants des rejouements de l’enraiement initial, aboutit à ce que nous soyons constitués de discontinuités.

Le rejouement est une forme de réactualisation d’un événement anciennement vécu.


50. La confusion s’impose quand il y a une multiplicité hétéroclite et que cela part dans tous les sens, donc quand il y a dispersion, chaos, quand il y a des noeuds, des entrelacements; mais aussi quand il y a fusion de choses qui ne devraient pas l’être, ce qui empêche de les discerner.

La dynamique de discerner, de distinguer, de séparer, d’extraire, de purifier, d’ordonner, témoigne du désir de sortir de la confusion, car celle-ci évoque incertitude et insécurité.


51. La confusion devient souvent un support pour exprimer la culpabilité. Dire: je suis confus c’est esquisser un aveu; en même temps elle signale la réactivation de l’ébranlement subi.

Être confondu c’est être révélé coupable.


52. La confusion opère également en tant que support de la honte qui est de ne pas être accepté, pleinement aimé, ce qui ramène au traumatisme initial.


53. La peur d’être confondu avec qui que ce soit manifeste la peur originelle de se perdre, de perdre son originalité, son identité, son idiosyncrasie; la peur de s’aliéner. Elle s’impose en tant que rejouement: peur d’être confondu avec l’être ontosé que projette la mère.


54. Cette mise en discontinuité s’accompagne de la perte de certitude immédiate, et de l’évanescence de l’immédiateté qui induisent également un questionnement: pourquoi y a-t-il quelque chose et non rien? Qu’y a-t-il avant la naissance et, surtout, avant la conception? Nostalgie de l’origine, de ce qui fait apparaître, de l’essence.


55. Au sein de l’état de confusion s’affirme l’Hilflosigkeit, la déréliction [36] , la sensation d’infériorité, celle d’avoir été jeté dans le monde, celle d’y être abandonné – la crise de la présence – et que s’initie la quête d’être reconnu et la quête cognitive. Les deux sont liées: connaître pour être reconnu.


56. La déshérence est un rejouement de la déréliction: perte de la continuité par perte de descendance, sensation que ce que font les enfants est en discontinuité avec ce que nous faisons, perte de possibilité de continuité par perte d’enfants, ou de leurs substituts, ceux qui nous servent de supports d’enfants idéaux.


57. Un sentiment de solitude envahit l’être advenant, rencontrant la brisure de la continuité, moment d’appréhension de la folie: procès – et son résultat – par lequel on est réduit à soi. Par compensation il va fantasmer la présence d’un jumeau (cas où la solitude s’impose avant même la naissance), d’un ange gardien, d’un alter ego. Divers supports interviennent pour ces fantasmes, en particulier le placenta. Ces entités virtuelles, à leur tour, sont le support du désir d’achèvement, de perfection. On fantasme une présence pour conjurer une absence. Le fantasme constitue la compensation la plus efficace.


58. La folie de l’individu comme celle de l’espèce est le débouché logique et inévitable du procès de séparation d’avec le reste de la nature. L’espèce réduite à elle-même veut tout recomposer à partir de ses possibles, aptitudes, capacités. D’où le développement hypertélique de la technique, aboutissant à la virtualité. L’individu fou, folle, effectue en lui-même, elle-même, à l’aide d’un monde introjecté en lui, en elle, son procès de vie en ignorant le reste des hommes et des femmes.

Dans les deux cas, se réalise une mystification du rétablissement de la continuité.


59. Parmi les entités virtuelles, la plus importante est dieu. Cette entité ne peut pas se réduire seulement à une synthèse d’extériorisations des qualités de l’espèce et, donc, ne se limite pas à représenter la dépossession de celle-ci aux dépens de celle-là (Ludwig Feuerbach). Elle représente aussi le support idéal pour l’espèce en vue d’affirmer ses aptitudes, sa puissance. Tant qu’il y a ontose, la nécessité de dieu s’impose.


60. On compense parce qu’on est réduit, nié, parce qu’on est mis dans un état de dépendance, d’infériorité. C’est un procès sans fin parce que la mise en dépendance originelle reste toujours cachée, méconnue. La compensation s’impose comme un devenir par récurrence inverse. Si un type d’acte compensateur est efficace dans la situation n, alors il devrait également l’être pour la n-1, puis pour n-2 etc., jusqu’à n-n=0, la situation originelle [37] . Mais du fait que celle-ci n’est point perçue, il y a enlisement dans le passé, la plupart du temps à un moment généralement très éloigné d’elle.

Quand la compensation n’est pas possible, il y a autonomisation [38] de ce pour quoi on voulait compenser, ce qui peut initier un devenir à la folie.


61. Toute compensation constitue un détournement.


62. Le complémentaire de la compensation est le déniement, l’activité par laquelle on opère un déni [39] . Celui-ci consiste à nier une absence, un manque. L’être ontosé se constitue à travers un déniement constant de la non-acceptation originelle de la part de la mère, du père, de lui en tant qu’enfant s’affirmant dans sa naturalité, originalité, unicité.


63. La fascination du clonage – le clone est la figure de l’âme, corporelle à l’origine, du jumeau, de l’alter ego, de l’ange gardien – exprime un rejouement: briser la solitude et parvenir à la perfection qui se réalise lorsqu’un procès, une action, parvient à son achèvement [40] . En ce sens l’ontose se caractérise par l’absence de perfection. L’être ontosé est toujours inachevé.

Le concept d’infini renferme un procès d’inachèvement, de non fini mais qui a continuellement tendance à s’achever. Il est le support de la confusion suscitée par la vision de ce qui fascine et fait peur, ce que l’infini, d’ailleurs, engendre par lui-même.

Le sosie réimpose le moment de confusion: d’une part, sa présence peut permettre d’assouvir le désir d’avoir un alter ego, d’autre part, elle active l’empreinte de la peur d’être confondu, celle de perdre son unicité.


64. Le petit enfant n’a pas la capacité d’affronter le réel qui lui est imposé. Il ne peut pas le voir en tant que tel, du fait même de son plan de vie, de son inachèvement, et à cause du blocage des fonctions intégratives du système nerveux – en phase de maturation – provoqué par le traumatisme. Il est donc amené à fantasmer et il le fait à partir de la connaissance incluse dans le plan. La mystification peut alors se déployer: c’est dans le procès naturel que s’enracine l’ontose; pour échapper à cette dernière s’impose la nécessité de s’arracher à la nature.

Le fantasme (phantasme) est le produit du détournement de l’imagination.


65. La coupure de la continuité pose l’être advenant dans un état d’attente: que va-t-il arriver? Elle fonde l’empreinte de l’attente et de l’espoir et exalte encore la faculté de penser, parce que penser c’est panser, se sauver, dépasser un moment de brisure, une béance existentielle.


66. Penser c’est échapper à la souffrance; d’où la dynamique de poser que c’est le corps qui souffre mais non l’esprit; que c’est par l’esprit qu’on peut échapper à la condition terrestre c’est-à-dire au mode de vie modelé par la répression parentale. Être matière c’est souffrir, être esprit c’est se libérer, échapper au cycle des souffrances.


67. Toute pensée a une dimension thérapeutique. Dieu, l’esprit sont des thérapeutes. De même toutes les productions de l’espèce sont investies d’une telle dimension, que ce soient la médecine, la religion, la philosophie, l’art, la littérature, le droit [41] .


68. La coupure de la continuité nous réduit et nous particularise, c’est-à-dire qu’elle nous instaure en l’état de particule où nous sommes enfermés. Cet enfermement fonde un mystère, et le possible de la folie.


69. Nous sommes réduits à quelque chose qui ne peut pas être rien, à un ça, un ce que, un cela, un être-là etc. [42]


70. L’individuation est un rejouement. L’individu est ce qui ne peut plus être divisé; ce qui reste d’une division, d’une immense réduction maintes fois réitérée.


71. Le phénomène de réduction nous rend informe. D’où, en compensation, la nécessité d’une information, d’une mise en forme.


72. L’adaptation à la société est un rejouement de cette mise en forme. L’être spontané, immédiat, c’est-à-dire l’être originel, n’est pas accepté parce qu’il se pose sur le mode du continu. Il doit prendre une forme et devenir un quantum discernable et acceptable [43] .


73. La non acceptation de l’être en sa naturalité, en son unicité, en son originalité, provoque en lui la sensation d’être refoulé, et fonde la mère dans une inaccessibilité. Le refoulement, phénomène inconscient est initialement un rejouement, une agression intériorisée, une auto-agression en continuité avec l’auto-répression qui, elle, est un phénomène conscient. L’individu refoule ce qui provient de son être originel: l’intolérable souffrance et, de façon plus intense, l’activation de l’empreinte de l’instabilité, de l’insécurité, de la perte de certitude où le plaça le refoulement par la mère, lors du surgissement, dans le présent, de toute instabilisation, ainsi que l’installation dans la dynamique réactionnelle. D’autre part, il se sent rempli, engorgé, par le flux de vie qui, à son niveau, est interrompu par la brisure de continuité imposée par la mère. Il ne peut plus y avoir d’écoulement de ce qui est accru du fait de la confusion où il est placé. C’est le phénomène de rétention, phénomène inconscient qui s’accompagne de halètement qui fait que ce qui advient est retenu par peur de destruction, de remise en cause, de l’inconnu, ce qui est placé devant soi. C’est donc à ce moment-là que se constitue le contenu de l’inconscient, formation ontosique historiquement transitoire: le retenu et le refoulé.

L’oubli du passé est une forme de refoulement: inhibition de l’anamnèse. Il augmente la pression interne en nous et, de ce fait, amplifie le phénomène de rétention. D’où: on vit dans l’oubli (refoulement) et l’on est constamment hanté par le passé (rétention).


74. Beaucoup de phénomènes deviennent inconscients en nous du fait de la coupure liée au traumatisme initial ou à d’autres qui lui furent successifs. Cette coupure de continuité a induit une rupture dans divers procès vitaux et aboutit à la mise en place et à l’entretien de l’état hypnoïde et de l’état hystéroïde (thèse 17). Dans ce cas il n’y a pas eu refoulement – rendre inconscient ce qui tend à s’imposer conscient – mais accroissement du phénomène de rétention qui, globalement, résulte de l’impossibilité de la transition d’un phénomène inconscient à un phénomène conscient, ce qui ne permet pas à l’individu de se libérer.


75. La rétention est celle de la pulsion, phénomène non linéaire, mais périodique, rythmique fondant des spasmes, des bouffées qui se manifestent périodiquement.

Par suite de la non acceptation, de la répression, la pulsion se fragmente en pulsions.

En l’état d’attente (thèse 65), la rétention se réactualise.


76. La rétention en tant que phénomène permettant la condensation, la concentration est un phénomène biologique nécessaire permettant la formation et le maintien d’êtres particularisés, des êtres vivants distincts, comme cela s’est effectué lors de la formation des premiers procaryotes. La genèse d’une membrane permit la réalisation d’une telle rétention. Simultanément de multiples mécanismes firent en sorte que la particularisation ne se transforma pas en séparation.

La rétention se manifeste également et se réimpose lors de l’inspiration, tant sur le plan littéraire que scientifique ou artistique, ou lorsqu’il y a nostalgie: envahissement par un contenu antérieur.


77. La rétention en tant que mécanisme actif opère pour essayer de maintenir la continuité avec l’autre, pour éviter toute séparation. Elle traduit en même temps la peur du manque, initialement de la mère, puis de supports pour atteindre la continuité.

Retenir l’autre – c’est-à-dire retenir le support, le garder avec soi pour pouvoir continuer à rejouer – s’opère par exemple quand la mère refuse à l’enfant la sortie de l’utérus, refus qui sera confirmé lors de la scène traumatisante fondatrice, et rejoué lorsque s’opérera la non-acceptation qu’il grandisse, qu’il se développe en tant qu’être original, pour le conserver en tant que support de complétude, de réalisation d’un achèvement. Il en est de même lorsqu’un des conjoints refuse le départ de l’autre et est prêt à tout faire pour le conserver, rejouement de ce qui advint avec la mère et avec le père.

La peur de l’abandon se dévoile dans la rétention qui opère comme une conjuration.


78. La parenté entre refoulement et rétention dérive du fait que ces deux phénomènes sont en relation avec l’inhibition. En outre, dans le cas du premier, c’est un rejouement actif de ce qui s’est passé originellement, dans le cas du second, c’est un rejouement passif où l’individu se retrouve dans un état similaire à celui qu’il vécut originellement lorsqu’il fut interdit, mis dans la passivité.

Refoulement et rétention inhibent le procès conscient et donc augmentent le domaine inconscient: l’inconscient, phénomène ontosique.


79. Dans le refoulement, l’inhibition concerne les fonctions permettant l’achèvement du procès en cours, c’est-à-dire la phase de conscientisation, ce qui tend à faire resurgir l’état hypnoïde.


80. Ce n’est pas uniquement la peur de la souffrance [44] qui induit à refouler (thèse 73), c’est le surgissement d’une instabilisation qui rappelle l’instabilité, l’insécurité, la perte de certitude où nous fûmes placés. Ce qui est refoulé c’est un état qui est au-delà de celui de souffrance. Toutefois une connexion avec elle s’impose car: être en souffrance c’est être délaissé, en déréliction.


81. La coupure de continuité, au moment même où elle s’opère, induit en nous un phénomène d’aspiration. Le courant, le fluide, le flux, tout ce qui peut représenter le support de cette continuité, est contenu. Il ne peut plus s’écouler. Simultanément ce dont nous provenons et qui est désormais placé devant nous, est devenu l’autre pôle, l’autre extrémité de la continuité qui, presque de façon mécanique, aspire le flux désormais retenu en nous. Nous nous sentons aspirés et retenus. Nous percevons une aspiration et nous ne pouvons pas la libérer. Ceci se répétera souvent au cours de notre vie, et le lieu de cette aspiration, devenu utopie, nous restera désormais inconnu.


82. Du fait du renversement opéré lors de la naissance: ce d’où l’on provient est placé devant nous – comme si notre instance originelle nous était présentifiée, comme si notre essence devenait un objet – la confusion s’accroît en nous.

La recherche de l’utopie est contradictoire, vaine et illusoire dans son essence, mais efficace dans son effectivité. Elle consiste à chercher le lieu d’où nous provenons et auquel nous aspirons en vue de rétablir la continuité.


83. Pour alléger la tension provoquée par la rétention due à l’impossibilité d’un écoulement, l’individu est amené à transférer et à projeter. Il tend littéralement à se déverser afin de se soulager. On veut donner afin de se libérer. Tel est le soubassement essentiel du don qui le fait souvent percevoir comme un mal. Au moment où celui-ci s’effectue, celui qui reçoit, perçoit qu’on lui transmet en même temps quelque chose qui lui paraît étrange [45] . Il n’est pas conscient du phénomène mais il est troublé et dans un grand malaise.

La pulsion à donner devient pulsion à se déverser.


84. Le support peut être un homme, une femme (à tout moment de leur vie), tout autre être vivant, une chose, un objet, une entité, une pensée, un concept. Entre celui-ci et ce qui est transféré, projeté, déversé s’opère une dynamique d’action-réaction qui vient complexifier le ressenti, le vécu de l’individu.

Le fétiche, l’idole, sont des supports tellement gorgés de transferts, de projections, de déversements qu’ils accèdent à un statut ontologique, à une existence. Ils sont advenus en tant que tels par suite d’une sorte de transsubstantiation.

Un événement, une activité donnée opèrent également en tant que support afin d’exprimer les diverses modalités de mal-être qu’ont connu à l’origine les êtres ontosés, qui essayent vainement de dire, d’exprimer ce qui leur est advenu. En définitive tout l’environnement vient à être chargé du passé de l’ontosé [46] .


85. La rétention est un phénomène douloureux. Le flux de vie ne pouvant pas s’écouler opère comme un feu. C’est ce qu’ont décrit les mystiques de tous les pays, par exemple Sainte Thérèse d’Avila, et c’est souvent exprimé dans des cantiques où il s’agit de l’amour pour dieu, dont l’amour fou est la forme profane.

Ce qui s’impose là ne dérive pas de la sublimation de la sexualité.

Conséquemment, le feu est recherché en tant qu’opérateur de purification qui permet de détruire ce qui est retenu en nous, nous encombre et entrave la présence.


86. La rétention est repérable à travers divers rejouements: élans stoppés, mort-nés. L’individu se sent plein d’un immense discours, d’un désir brûlant, et pourtant il ne parvient pas à dire, à signifier, à exprimer; il halète et, parfois, transpire.

La timidité est une expression de la rétention, de même que la rancoeur et le ressentiment.


87. Le déversement à cause de la rétention s’opère de façon puissante lors de l’identification. Dans ce cas il y a un double mouvement: l’individu se transfère en un autre, et effectue diverses projections.

Le processus d’identification, surtout en ce qui concerne la mère par rapport à l’enfant, se présente comme comportant un phénomène de désubstantiation, en ce sens que la naturalité de l’enfant est niée, et un processus de transsubstantiation s’instaure du fait que, virtuellement, la mère place en lui l’être qu’elle désire. Ce processus est une composante de l’inoculation de l’ontose. Il est réitéré plusieurs fois au cours de l’enfance parce que, pour être accepté, l’enfant s’adapte à l’ontose de sa mère, comme à celle de son père, confirmant la transmission de l’ontose; transmission qui s’impose comme une inoculation [47] .

L’identification, particulièrement sa dimension de désubstantiation, fonde la mère dévoreuse, l’ogresse, la mère envahissante, castratrice. La désubstantiation est également à la base de la pédophilie, phénomène surtout répandu chez les hommes.

S’identifier à quelqu’un c’est se trouver un être de rechange, un clone.


88. Le miroir, qui intercepte les rayons lumineux, enraye la continuité, symbolise la non acceptation et, par là, évoque la rétention générée par la perte de continuité. Toute surface de discontinuité peut opérer en tant que miroir, donc servir de support de réactivation de la discontinuité originelle. L’aspiration à retrouver la continuité fonde le désir de traverser le miroir – échapper à la rétention – pour aller au-delà de ce qui nous limite, nous inachève.


89. À la puberté le phénomène de rétention est réactivé par suite de la pulsion sexuelle, et acquiert une expression extrêmement puissante causant l’exubérance, le débordement des adolescents mais aussi leur sentiment de ne pas pouvoir tout exprimer et d’être incompris.

       C’est surtout à cette époque de la vie qu’on a peur d’être débordé, submergé par le flux de vie, d’émotions, qui ne peut pas normalement s’écouler. Toutefois ceci est possible dans la représentation (littérature, art) comme cela se réalisa spectaculairement avec le romantisme ou le surréalisme. Alors l’individu s’étale, et étale son ontose sans jamais parvenir à saisir son être originel.


90. La rétention commande la recherche d’un réceptacle où mettre ce trop plein en nous. Cela commande, en ce qui concerne les hommes, la recherche de l’éternel féminin selon la dynamique de J. Wolfgang Goethe, et l’immense désir de se donner soit pour s’oublier, soit pour retrouver la continuité en nous et avec le cosmos. Parfois les deux dynamiques peuvent être intimement liées. Ce qui importe c’est que l’autre réceptionne ce qui, en quelque sorte, nous englue, nous inhibe (recherche de l’âme soeur). Au niveau de l’homme cela commande l’éjaculation précoce.

Toute personne qui écoute devient un réceptacle. On m’écoute, je me déverse.

Chez les femmes la recherche d’un réceptacle s’effectue en tant que dynamique du dévouement, particulièrement à l’enfant.


91. Le trop, ce qui encombre, dérive d’un manque, celui de la continuité. La confusion se réinstaure et se présente, ici, comme celle entre le trop et le manque.


92. La vie de l’être ontosé est une constante recherche de supports pour ses transferts et ses projections, de réceptacles (déversoirs) pour y déverser ce qui l’encombre. La littérature, l’art, la philosophie etc., de même que les diverses activités pratiques artisanales ou industrielles etc., opèrent également en tant que réceptacles.

Le phénomène est contradictoire, confusionnel: l’individu se déverse mais a souvent de grandes réticences à dire, à exprimer, à faire, rejouant l’interdit initial où il fut mis, ainsi que la confusion qui en résulta.

Il se complique également du fait que chaque fois qu’il y a un acte relevant de la création il y a rejouement de la conception et de la naissance avec tous les trauma qui leur sont liés.


93. En grande partie, ce que visa Siddharta, le Bouddha, lorsqu’il parla des agrégats, de tout ce qui nous encombre, relève du phénomène de rétention. La recherche du vide en nous, est un phénomène de compensation à la rétention. Cette dernière fixe, or tout est mouvement.

Le vide apparaît comme un opérateur pour retrouver la continuité, une fois l’immédiateté évacuée, escamotée. Il est recherché pour éliminer la conscience et l’inconscient qui, en tant que contenus encombrent l’individu; l’éloignent de lui-même. Dans cette dynamique, se vider c’est se libérer.


94. La rétention implique un retenu ou contenu mais aussi une retenance ou donnée intégrant la répression-inhibition, composante de la domestication. Elle peut être perçue comme un phénomène affectant la surface interne et donc la forme de l’être déterminée par son contenu.

En revanche le refoulement implique un enfouissement, un phénomène qui affecte l’intérieur, contribuant à lui donner une forme par modelèment du contenu. Originellement, il a opéré de l’extérieur. En conséquence il affecte la surface externe et donc la face visible de l’individu.


95. La retenance signifie l’acte même de retenir, la rétention étant à la fois le résultat et l’intégralité du phénomène. Elle s’impose comme une contenance du fait que c’est la forme que nous prenons à la suite du phénomène de non-acceptation. Toute contenance – mode d’être de quelqu’un en fonction d’une situation donnée – est un rejouement de la retenance primordiale. Or, contenance vient de contenir, et contenir a aussi la signification de retenir: contenir quelque chose, se contenir. S’auto-réprimer implique se contenir, d’où la parenté avec le refoulement qui lui aussi est en liaison avec l’auto-répression.

Tous ces phénomènes entrent dans la dynamique de domestication qui apparaît non seulement comme une opération de transsubstantiation, c’est-à-dire de l’opération d’implantation d’une autre substance qui fonde la hantise, mais aussi comme une mise en forme pour être ajusté, mis en adéquation avec le devenir hors-nature.


96. Détenir un secret c’est augmenter le quantum de retenu, c’est donc exacerber la rétention et par là accroître la tension interne qui s’exprime à la périphérie de notre être et fonde la retenance. Cela devient vite insupportable.

Le secret est un autre élément déterminant la pesanteur en nous.


97. Chacun recèle en lui-même quelque chose d’invisible, son ontose, son secret, dont il désire être libéré.


98. L’invisible forme également le contenu de la spéciose. Hommes et femmes, depuis des millénaires, se posent la question de savoir qu’est-ce qui les meut, le plus souvent à l’encontre de leur désir profond. Le destin, la fatalité, le karma, un ordre cosmique, dieu, dieu et le diable, la providence, la prédestination, l’ignorance, la main invisible, le développement des forces productives, l’inconscient, les gènes etc. ont été invoqués pour répondre. En outre pour expliquer le devenir du cosmos il est constamment fait appel à de l’invisible: l’attraction, une matière cachée, des variables cachées, une matière invisible etc. Ce faisant l’espèce est constamment en présence de son problème: il y a quelque chose de caché qui secrètement conditionne son devenir.


99. L’interdit rend invisible. Il ne faut pas toucher, se toucher réciproquement, donc être en continuité, afin de laisser intact l’invisible qui nous gouverne.

Tout pouvoir autonomisé a la dimension de l’invisible, de l’insaisissable.


100. La répression opérant sur des milliers d’années a rendu invisible des phénomènes auparavant apparents. Ainsi la perception de phéromones est devenue un phénomène totalement inconscient, donc invisible, et l’organe de leur perception, l’organe voméro-olfactif, a été supposé perdu.

Cela participe du phénomène de perte de présence au monde et aux êtres vivants, et à celui de l’instauration d’une physiologie idoine à l’être ontosé.


101. Cette physiologie est déterminée en grande partie par la nécessité de compenser. Ainsi l’encéphale, grâce à divers centres importants situés particulièrement dans le télencéphale (cerveau) doit compenser la perte d’activité de centres qui ont été réduits du fait de la répression de l’activité qu’ils exerçaient, et de la nécessité de contrôler (auto-répression) toute activité. Ceci donne apparemment un fondement à la théorie selon laquelle nous utilisons seulement dix pour cent de notre cerveau. On devrait dire de notre encéphale car toutes les parties de ce dernier interviennent pour réaliser les fonctions cognitives même les plus abstraites. En réalité nous utilisons toutes les capacités des centres céphaliques qui interviennent dans le procès de connaissance, mais pour réaliser, ou contrôler, des fonctions qui pourraient l’être par d’autres centres ou par d’autres organes. C’est un détournement (thèse 61) en même temps qu’un escamotage de la régression [48] .


102. Ces phénomènes sont liés à la transformation de l’inné en acquis, elle-même en rapport avec le despotisme de la conscience, formation produite historiquement par la répression, dont elle mime, rejoue, le despotisme.


103. Le désir de l’espèce comme celui de l’individu est de tendre à rendre tangible cet invisible qui est un virtuel enclos en chaque homme, chaque femme. La virtualisation constitue la tentative la plus puissante de le rendre accessible, perceptible, concret. Par là, elle opère une vaste mystification puisque l’invisible qui nous manipule est l’ontose, qui s’enracine dans la dynamique de séparation d’avec le reste de la nature [49] .


104. Un enfant n’aime pas garder un secret bien qu’il soit fasciné par lui, parce que cela lui évoque sa mère en tant que mystère; les adultes y parviennent difficilement. L’auto-dénonciation des révolutionnaires qui s’étaient immergés dans la clandestinité et qui avaient échappé à la répression, en témoigne.

Le phénomène de la délation relève également de la compensation de la rétention.


105. Somatiquement la rétention s’exprime dans l’obésité qui devient un phénomène universellement répandu et de plus en plus intense. Elle indique que tous les phénomènes de compensation sont inopérants du fait même que souvent ceux-ci, au lieu de simplement accomplir leur fonction, renforcent également la rétention.

L’anorexie est le phénomène inverse complémentaire.

D’autres somatisations témoignent de la rétention: constipation, hémorroïdes, asthme, divers troubles vasculaires etc. Une place particulière revient à la congestion à quelque niveau que ce soit de l’organisme où elle opère. Une certaine redondance du phénomène s’actualise souvent en s’effectuant simultanément sur le plan de la pensée.


106. En ce qui concerne le refoulement, il s’opère beaucoup par le souffle d’où son importance dans diverses techniques visant à la libération.

Les mouvements respiratoires où opère le souffle: inspiration et expiration sont des supports essentiels pour exprimer diverses émotions, affectations, sentiments, phénomènes cognitifs, désirs. Ceux-ci s’affirment, et se dévoilent aussi, à travers un phénomène qui ne concerne pas la respiration mais qui fait intervenir le souffle: l’aspiration. Ainsi à travers des tropes, particulièrement, ici, la métaphore, hommes et femmes expriment bien que c’est à travers leur totalité qu’ils vivent et pensent, et que la séparation âme (ou esprit)-corps n’est qu’un leurre, une mystification.


107. Le ça de Georg W. Groddeck est une expression de la rétention. Dans ce cas, c’est tout le corps, toutes les cellules de celui-ci qui tendent à dire, à déverser le trop plein. Le ça dit qu’on ne peut pas se contenir; que pour vivre il faut exprimer le vivre, le procès de vie qui nous est propre.


108. Éduquer c’est maintenir la rétention chez l’enfant, c’est lui imposer une contenance-retenance: apprentissage de la propreté, apprentissage des limites. Il doit contenir-retenir ses selle comme ses émotions, ses pensées, ses jugements. Il doit apprendre à dissimuler, donc à cacher, donc à augmenter le contenu-retenu en devenant poli, en sachant ne pas tout exprimer. Il doit également apprendre à différer ce qui accroît, pour un temps plus ou moins long, la rétention.

Les enfants sont les réceptacles pour le déversement des adultes. Ils sont périodiquement encombrés, et l’encombrement résultant inhibe leur naturalité.


109. Le refoulement renforce la rétention en régénérant un contenu qui produit une tension à l’intérieur de l’être, contenu qui a pu diminuer du fait de diverses remontées du refoulé. Il réactualise la perception de la pulsion intense telle qu’elle s’est imposée au moment où s’effectua la discontinuité, provenant de la pulsion de vie, du continuum.


110. Avec une libération momentanée, à la suite d’événements heureux – la joie est un phénomène qui permet de libérer un contenu – se vérifie une diminution de la tension fondamentale en rapport à la rétention, qui génère un désarroi parce que l’individu se trouve devant quelque chose d’inhabituel. Cela peut aller jusqu’à la dépression. Celle-ci s’installe par suite d’une sensation de vide due au fait que momentanément l’individu n’est plus en relation avec les supports, les réceptacles sur lesquels il a transféré, projeté, déversé ce qui le hante. Toute séparation induit un tel phénomène. Momentanément tout ce qu’il a extériorisé ne peut pas refluer en lui: il se trouve dans la dépossession, dépouillement, Entäusserung, et le risque de se perdre.


111. La dépression induit à son tour des phénomènes de compensation pour rétablir la tension comme par exemple la boulimie qui n’est pas seulement alimentaire.


112. La tension provoquée par la rétention nous donne la sensation d’exister, car c’est le seul mode de s’éprouver être, que nous connaissions. D’où la recherche d’une nourriture génératrice de tension comme la viande, les céréales, ainsi que la recherche de drogues ayant cet effet.


113. L’angoisse qui s’impose en engendrant une sensation d’envahissement appelle plutôt une compensation dans l’abstinence, l’anorexie.

L’ascétisme exprime la volonté de se libérer d’un contenu qui inflige une tension, de se passer de supports, de réceptacles.


114. Avec l’ascétisme, l’anorexie, voire l’autisme, l’individu rejoue la privation, le fait qu’il a manqué d’amour.

La confusion se réimpose. Elle porte sur manque, vide et retenu.


115. Échapper à la rétention c’est sortir d’une enveloppe qui, tendue, provoque une tension, c’est échapper à des limites contraignantes, d’où les pratiques de l’extase; c’est escamoter la coupure en se plaçant au-delà de ce qui nous enferme, dans une dilatation évocatrice de notre totalité.

L’extase est un au-delà de l’existence; or, exister est déjà sortir d’un état parce qu’il nous limite.


116. À l’échelle de l’espèce la surpopulation manifeste un phénomène de rétention, expression de la spéciose. En compensation s’impose une conquête de l’espace extraterrestre. Symboliquement, virtuellement, l’espèce tend toujours à se déverser en d’autres mondes.


117. Par suite de la non acceptation induisant refoulement et rétention, l’individu se perçoit comme inachevé et inférieur. Pour pouvoir sousvivre et survivre, s’impose à nouveau le phénomène de la compensation qui consiste, ici, en une recherche de la perfection posée comme un absolu.


118. L’insécurité provoque la perte de la certitude, l’ébranlement de l’immédiateté. Elle engendre un germe de folie, dans la mesure où il y a perte totale de la perception de ce qui advient, de présence à soi. Pour se représenter il faut faire appel à un support: le moi qui est une entité virtuelle.


119. La dynamique de sousvivre et survivre conduit l’individu à faire comme si la continuité n’avait pas été brisée et à se créer une communauté artificielle.


120. Compenser implique une recherche constante de la perfection, une recherche de l’être qui, inconsciemment, est celle de l’être originel. Compenser conduit à édifier une ontologie. La perfection étant de l’ordre du futur, celui-ci hante l’individu qui n’a pourtant pas de perspective.


121. La mère devient un support d’établissement ou plutôt de rétablissement de la continuité, elle devient une médiation, un vecteur.

                       

122. Projections et transferts ne peuvent se réaliser que s’il y a un support. Ils sont l’expression d’un phénomène naturel, non ontosique, le prolongement [50] fonctionnel de l’individualité-Gemeinwesen à son environnement, dynamique qui a disparu, par suite de la répression-réduction, sauf, relictuelle, chez quelques individus. Étant donné que le prolongement est une expression de la continuité, il est évident qu’il s’effectue dans les deux sens: de moi à l’environnement: c’est la projection, et de celui-ci à moi: c’est l’introjection [51] qui permet une incorporation, une intégration, phénomène qui abolit et conserve (Aufhebung).


123. Les transferts interviennent dans le mouvement de «reconnaissance» des êtres ontosés entre eux. En effet, en fonction de schémas comportementaux complémentaires, ceux-ci se reconnaissent inconsciemment à travers la mise en place simultanée de transferts. Le contre-transfert est une théorisation insuffisante liée à une pratique psychanalytique déterminée.


124. Tout blocage engendre un transfert et réactive l’empreinte de l’impatience, celle de rétablir la continuité.


125. L’attachement est la pesanteur du transfert. Étant donnée la non perception consciente de la réalité du phénomène, dans cette dynamique de mise en place de l’attachement et dans la réalisation quotidienne de celui-ci, la matière est vécue en tant que support de cette pesanteur dont il faut s’arracher [52] . Pour lui échapper, l’être ontosé peut être amené à postuler la grâce et à l’invoquer. Ce faisant il entre en fait dans une dynamique de dépendance totale par rapport au phénomène ontosique qui tend à opérer de façon autonomisée.


126. L’attachement, comme la fusion, entre dans la dynamique ontosique. Il dérive de l’état de déréliction, de la peur de l’abandon. S’il y a attachement, il y a fixation, et le flux de vie, la dynamique de celle-ci, ne peut plus librement, naturellement, opérer du fait de l’encombrement dû à ce qui est fixé. L’attachement accroît la rétention. Il peut également se présenter comme étant un moment de réalisation du procès désiré de fusion avec l’autre, où l’individu se perd. Il exprime la réactualisation de la mise en dépendance initiale.

L’identification est une forme d’attachement, lequel se présente comme un moment au sein du procès de réalisation de fusion avec l’autre.


127. Ce qui est fondamentalement transféré c’est le désir de continuité avec la mère, avec le père et, par de là ceux-ci, avec le procès de vie. Tout transfert est déplacement d’un désir d’un support à un autre.


128. Pour qu’il y ait transfert il faut que la personne support évoque, ne serait ce que par un détail infime, le père ou la mère, ou toute personne importante pour la personne tendant à opérer le transfert. Il y a un phénomène de présentification, dynamique par laquelle s’effectue normalement la révélation de la présence de quelqu’un à un’autre personne. C’est alors que le désir de continuité avec la mère ou le père peut être posé sur le support. La présentification ne peut s’opérer que parce qu’il y a eu réactivation de l’état hypnoïde et par là activation de l’empreinte.

Là encore se manifeste la puissance des tropes, ici, la synecdoque: un détail peut signifier la totalité, et la puissance des signes.


129. La présentification entre dans un processus de sécurisation. En utilisant un homme ou une femme – qu’ils soient plus jeunes ou plus vieux que lui – pour présentifier au sens littéral de rendre actuels des personnes qu’il désire, l’individu se sécurise, même s’il n’établit aucun transfert.

La possibilité de perversion de la présentification réside dans la dynamique du comme si. Celle-ci, en tant que phénomène ontosique, est en rapport avec l’escamotage, la compensation et le fantasme. Il se réalise une substitution d’un certain objet de désir par un autre, ce qui est une forme de détournement. À partir de là peut se déployer une dynamique complémentaire, celle de la simulation: simuler ce qui a été perdu, non atteint. Dès lors, on entre dans le devenir à la virtualisation, phénomène qui peut conduire à la réalisation plénière de la folie.


130. La dynamique totale de l’ontosisation peut se concevoir ainsi: faire comme si la coupure, la discontinuité, n’avait jamais existé.


131. Il peut aussi y avoir présentification sans qu’il s’en suive un transfert, lorsque l’individu se rend compte que quelque chose lui présentifie sa mère ou son père et qu’il se trouve devant il ou elle. Il peut avoir alors la sensation d’être obsédé, poursuivi et de ne pas pouvoir sortir d’une situation, d’un labyrinthe.


132. La projection est le complémentaire de la perception. C’est la faculté de se vivre hors des limites du corps lui-même, la possibilité de placer des contenus psychiques dans des entités externes. 

Ce qu’on projette ce sont les éléments d’une réalité qu’on désire ou qui nous a traumatisés. On projette également des défauts, des qualités, des éléments constitutifs d’un être soit pour s’en rapprocher, soit pour s’en distancier.


133. Projection et transfert opèrent ensemble pour incarner un désir. Le résultat de l’opération est la production d’un être virtuel. Ce qui est perçu à travers l’autre qui a servi de support pour l’élaboration, c’est l’être virtuel [53] .

Celui qui supporte l’être virtuel, en est hanté, sans pouvoir accéder à ce qui le hante. Il est extrêmement pénible de devoir supporter le transfert, le virtuel, car cela s’impose au travers de la sensation de ne jamais être perçu, et de devoir porter une charge c’est à dire tout un contenu émotionnel qui n’est pas afférent à soi. La charge peut aussi représenter le contenu d’un déversement. Dans tous les cas, l’individu placé en situation de charge, a la sensation d’une part qu’il n’est pas concerné et, d’autre part, celle d’être en face d’une étrangeté; d’où un mal-être qui, inconsciemment, lui évoque celui primordial vécu en face de sa mère qui ne l’accueille pas en sa naturalité.

Dans la relation avec autrui, l’attente éprouvée par l’autre, en ce qui nous concerne, est une charge pour nous.

On fait porter par quelqu’un, quand on le charge inconsciemment d’un contenu émotionnel dont l’essentiel, d’origine fort ancienne, a pour support pour se manifester un événement présent avec lequel il est en continuité: mécontentement, mal-être, ressentiment etc.


134. Tout est rejouement au cours de la vie de l’être ontosé. Deux sont fondamentaux. Le premier s’enracine dans la tentative constamment renouvelée de rétablir la continuité, de finir un procès, de l’achever, d’atteindre ainsi la perfection. Ceci est le rejouement dans sa dimension active où c’est le sujet qui directement opère. L’autre dimension est celle où il subit, où il est pour ainsi dire passif: le rejouement, alors, opère du pôle parental, même si ce sont d’autres personnes qui agissent, font subir. Le second, qui structure l’ontose, est en liaison avec un autre moment de vie. Pour sortir de la situation intenable où il est placé, le petit enfant est amené à trouver une solution qui lui permette de sousvivre et survivre. Étant donnée son efficacité, sa réussite, l’individu, même devenu adulte, aura tendance à la rejouer dans des contextes totalement différents et en ayant des capacités autrement puissantes. C’est le rejouement qu’on peut définir opérant du pôle de l’enfant, puis de celui de l’adulte que cet enfant est devenu. Mais il y a, comme indiqué plus haut, un autre rejouement qui opère du pôle parental. La mise en place de la dynamique salvatrice s’opère à partir d’une période où l’enfant vient de subir un traumatisme induisant en lui un état hypnoïde qui permet la mise en place d’une empreinte. Celle-ci est constituée par un certain mode comportemental de ses parents. Cela va entraîner une dynamique où l’enfant, puis l’adulte, aura tendance à rejouer le comportement de ces derniers et ce en dépit de sa volonté (dimension passive).

                                                              

135. Le rejouement est un rejeu, au sens où, naguère, l’on employait ce mot en géologie pour indiquer qu’une faille, bien après sa formation, se manifestait à nouveau. On parlait ainsi parce qu’on ne connaissait pas le déterminisme de la réitération du phénomène. Avec la théorie des plaques lithosphériques, qui s’imposa en 1968, on sait que cela est dû justement au déplacement de ces plaques, et que le mouvement de celles-ci est en relation à des courants de convection dans le manteau supérieur et le tout est en rapport avec l’activité du noyau [54] .


136. Le rejouement fonde la croyance en la prédestination, le destin, la fortune, ainsi que, dans une certaine mesure, la dynamique karmique, celle de la réincarnation et celle de la métempsycose.


137. Beaucoup de phénomènes ontosiques ont, comme le rejouement, une dimension passive où l’on subit, et une dimension active où l’on opère. Dit autrement: la dynamique ontosique nous conduit à adopter, en fonction des situations, deux modalités de vivre, soit en tant que victime, soit en tant que bourreau. Les conditions de la vie sociale vont opérer de telle sorte que l’un des rôles va effectivement prédominer au cours de la vie d’un homme, d’une femme.

La dynamique du maître et de l’esclave est une interprétation du devenir ontosique.

La servitude volontaire est l’expression d’un rejouement.


138. Tout rejouement a une dimension de conjuration, c’est-à-dire que, consciemment, l’individu pense ne pas répéter ce que ses parents lui ont fait subir et donc sortir d’une situation qu’il vit comme marquée par une malédiction. Toutefois, malgré les apparences divergentes, on constate – il arrive qu’il puisse le faire lui-même – qu’il a en fait rejoué.

La réactualisation, à travers un rejouement, de ce qui a été antérieurement vécu, engendre une sécurisation chez l’individu, parce qu’il se retrouve dans un milieu connu. Or, le traumatisme initial a placé en nous l’empreinte de la peur de l’inconnu, en même temps qu’il a ébranlé notre certitude. On rejoue pour se sécuriser; de même qu’on rejoue pour tenter de déjouer ce qui est perçu comme un maléfice: dynamique de l’exorcisme.


139. Dans le but de ne pas rejouer, les enfants tendent à rechercher d’autres supports que ceux utilisés par leurs parents. D’où, une des causes de l’affrontement entre les générations. Du fait du rejet de leurs supports de la part de leurs enfants, les parents se sentent niés et revivent une exclusion. De leur côté les enfants du fait de la non acceptation de la part de ces mêmes parents, rejouent le refus qu’ils subirent.

Inconsciemment, il y a la volonté d’échapper à l’éternel retour du même, au cercle magique de l’identification. Le non accès au vécu primordial, à son revécu entraîne implacablement un rejouement, procès inconscient.


140. La rétention ne peut se vivre que s’il y a des phénomènes de compensation qui permettent d’alléger la tension interne, ce qui pulse en nous, qui nous oppresse: les projections et les transferts. C’est en même temps une compensation au refoulement. Ils opèrent au travers de la dynamique du comme si.


141. Le support peut être en même temps un vecteur. Les objets sont souvent des vecteurs pour rétablir la continuité. C’est ce qui fonde la dynamique d’objectalisation [55] et celle de la fétichisation (thèse 84).


142. La coupure de continuité se manifeste comme la perte de tout support, de tout repère. Lors de chaque situation vécue en tant que catastrophe, s’impose l’impression que les objets ne peuvent plus servir de support, de repère (thèses 31 et 32), comme s’ils se révoltaient [56] .


143. L’importance du support se retrouve dans les figures du discours, dans les tropes. Quelque chose nous est nécessaire pour pouvoir transporter, transférer une signification, une signifiance, un sens comme cela apparaît bien dans la métaphore, mais aussi dans tous les non-dits, les omissions profondes etc.


144. Tout conflit entre les personnes est un conflit à propos des supports (thèses 37 et 139).


145. Le phénomène de la propriété témoigne également de la puissance du support pour retrouver la continuité. Ce qui nous est intolérable quand on est privé de la possession d’un objet, de quelque façon que ce soit, ce n’est pas sa perte, mais c’est la rupture de continuité qu’elle implique.

La peur de la perte est celle de la perte de la continuité. Cela advient de même avec l’abandon.


146. La rétention engendre le secret (thèses 96, 97 et 104), ce qui est caché devient inaccessible à l’individu qui, de ce fait, est habité par un mystère, ce qui traduit son état d’enfermement; et sa sensation d’être possédé.

Tout blocage réactualise la situation de rétention.


147. La pulsion de vie, très forte au début parce que nous sommes encore en continuité avec ce dont nous provenons, s’amortit au cours des ans, d’où ce qui va régénérer le contenu, qui cause la tension et la rétention, c’est surtout le refoulement. Simultanément, la compulsion de répétition, le rejouement, qui tend à ce qu’on revive le moment initial – éternel recommencement, retour éternel du même – redonne force à ce qui s’est estompé [57] .


148. Lors de la coupure de la continuité, l’individu est interdit: il se trouve placé devant quelque chose qui le terrifie et le fascine. Le posé de l’interdit est un rejouement, comme l’est également celui de la jouissance. L’interdit fondamental est celui de la continuité.


149. La coupure de la continuité institue deux extrémités. Par rapport à l’être advenant, la proximale, c’est lui-même, la distale, sa mère, entre: le vide. Ce sont les mystiques [58] qui ont, sans que ce soit ou ne fût jamais leur but conscient, le mieux décrit comment elle s’est présentée à eux. Bien qu’ils opérèrent et opèrent sans percevoir la mère (le non-dit fondamental, l’ineffable), ce qu’ils mirent et mettent en évidence c’est que cette coupure la place dans une totale extranéité, dans un domaine étrange, dans un mystère terrifiant et fascinant: le sacré, ou plus intensément exprimé selon Rudolf Otto, le numen [59] . Le discours mystique est ce qui exprime le mieux la situation confusionnelle où nous plonge la coupure [60] .

L’importance du témoignage des mystiques, c’est que s’y trouve exposé un vécu total c’est-à-dire qu’il concerne tant ce qui est désigné par le corps que ce qui est désigné par âme, psyché, intériorité. Toutefois, au cours du temps, s’est imposée la tendance à privilégier les phénomènes psychiques afin de rationaliser. De ce fait, le discours mystique proprement dit a été abandonné au profit d’un discours philosophique puis psychologique. Mais l’ontose persistant, le discours mystique ne peut en aucun cas être purement et simplement aboli.


150. La notion d’énergie a également pour origine ce moment de coupure. Car c’est lorsque celle-ci s’effectue que l’on perçoit un quelque chose de puissant qui nous relie normalement à la mère, c’est ce que plus tard on nommera énergie. D’ailleurs celle-ci se révèle le plus souvent à partir du phénomène de séparation, de fissurations qui sont autant de supports pour revivre le moment de la coupure.

La notion d’énergie de fusion apparaît plus tard. Elle peut être le support du désir de fusion avec l’être aimé (substitut de la mère) à partir de laquelle il est supposé que l’être fusionnant acquerrait une nouvelle énergie. Toutefois ceci relève de la confusion (thèse 156).


151. Divers éléments naturels et surnaturels ont servi de support pour le numen afin de l’appréhender et ceci au cours des siècles, à travers la magie, la mystique, la religion [61] , la philosophie et l’art, puis à travers la science, c’est-à-dire la science expérimentale, l’économie politique et, maintenant: la virtualité. Au cours de chacune de ces phases dont aucune n’a éliminé la précédente et qui peuvent coexister à l’heure actuelle, s’imposèrent simultanément une pratique, comme les rites ou l’expérimentation, et une théorie.


152. La voie (Maat, Magga, Sharia, Tao etc.) est ce qui doit permettre de relier les deux extrémités de la coupure et permettre de franchir la discontinuité [62] . Elle est un support pour exprimer la continuité qu’on vise à rétablir.

Le pèlerinage (souvent posé comme un retour à la source) s’impose comme une traversée de l’espace de séparation, ce qui est censé permettre au pèlerin de s’atteindre lui-même, essai de parvenir à son être originel.


153. Sujet et objet sont posés en tant que tels à travers l’instauration de la séparation, du fait de la coupure de la continuité. Celle-ci fonde un quelque chose en tant qu’objet du fait qu’il se trouve placé devant l’être advenant qui est par là même fondé en tant que sujet [63] . Ainsi ce dont on provient dans l’immédiat se trouve placé devant nous: la mère, objet terrifiant et fascinant [64] qui sera mystiquement transformé en sujet transcendant: dieu. Cela fonde la thématique de la présence en tant que puissance d’affirmation de la réalité d’un être posé comme surnaturel, présence à la fois hors de nous et en nous. Ce qui est le fondement à la mise en place d’une confusion (présence d’un ange, d’une entité quelconque, ou simplement d’une voix) mais aussi de la dynamique de la présentification, réactualisation du surgissement de la présence [65] .


154. La coupure de la continuité induit à poser l’autre en tant qu’objet afin de le manipuler en vue, originellement, de se le rendre favorable.

Objectiver c’est rendre saisissable ce qui n’est plus vécu, perçu dans son immédiateté. En cette dynamique, objectiver c’est médiatiser.


155. Le discours mystique tend à éliminer la coupure de la continuité et pose qu’il n’y a pas de différence entre sujet et objet, ainsi qu’entre intérieur et extérieur. C’est une illusion qui pâtit d’une confusion. Ce qui s’est avéré c’est la coupure de continuité entre sujet et objet, intérieur et extérieur. Poser leur identité c’est rejouer la confusion primordiale. Ce que nous devons affirmer c’est que naturellement il y a continuité entre chacun des éléments couplés, et ce qui est affirmé dans la représentation doit être vécu. Cette démarche est inclue dans la totalité du mouvement de sortie de l’ontose.


156. Le discours du mystique se déploie à partir de l’objet, à partir du retentissement en lui de la réalité de cet objet: numen, orenda, mana etc. Le désir de non différenciation, et de non séparation d’avec l’objet, implique une fusion avec lui, une fusion, en définitive, avec la mère.

Les mystiques sont ceux chez qui le traumatisme de la séparation n’a pas été pleinement occulté. La blessure en eux (les écorchés vifs) est toujours vivement apparente.

Toute fusion [66] est une confusion.


157. Le mystique tend à éliminer les produits résultant de la coupure de la continuité: l’inconscient et la conscience. Il cherche à réaliser le vide en lui, à n’être rien, sinon un contenant aspirant au contenu divin. Sa dynamique consiste à s’abolir pour accéder à l’être. Réalisant la dépendance suprême, il n’est que par la grâce de la divinité. C’est une mystification où triomphent l’illusion de se libérer de l’ontose et celle d’échapper à la mère.


158. C’est après la naissance, une fois le cordon ombilical coupé, que se situe ce moment numineux qui s’est constitué grâce à la synthèse [67] de différents autres moments advenus depuis la conception (parfois celle-ci est incluse en eux opérant d’entrée dans la dynamique de confusion, mais si elle se déroule de telle sorte qu’en son sein se constitue un élément positif – l’enfant désiré – son adjonction aux autres, chargés de négativité, augmente également la dimension de confusion) où il n’a pas été accepté ou a même subi des agressions telles les tentatives d’élimination, ou une intervention médicale comme l’amniocentèse. Toutefois, alors, c’est-à-dire dans l’utérus, divers éléments lui permirent de compenser de façon immédiate, en le rassurant: cordon ombilical, liquide amniotique, parois de l’amnios, placenta [68] .


159. Cette synthèse induit ultérieurement une passion de l’analyse, une volonté de comprendre, d’interpréter, et renforce le besoin d’une herméneutique. Constamment on essaye d’interpréter-expliquer ce qui nous avons subi au début de notre vie. Inlassablement on réélabore une interprétation en fonction des connaissances acquises, ce qui rend de moins en moins perceptible le moment initial.


160. Tout moment de discontinuité est vécu comme une naissance. Or, comme au cours de celle-ci, l’individu vit un moment où il a une sensation de risquer de disparaître, interprété rétrospectivement comme un risque de mort, il en résulte que tout moment de discontinuité est conçu ou vécu comme une mort, suivie d’une naissance, grâce à la purification apportée par la mort de l’être antérieur. Là gît un des fondements du désir de résurrection qui est un désir d’échapper à l’ontose, grâce justement à la purification opérée par cette mort. Le désir de mourir se présente également comme étant celui d’échapper totalement à la souffrance, d’accéder au refoulement intégral.


161. L’initiation est le rejouement du traumatisme initial, de la coupure de continuité; d’où son caractère extrêmement violent. La mort peut être conçue, en voulant être vécue, comme l’initiation suprême.

                                           

162. La mort peut-être ressentie comme une dissolution de l’être, comme une séparation d’avec soi afin de supprimer la souffrance. Ce faisant l’individu est soumis à la compulsion du retour à l’état antérieur, à la tendance à la régression, afin de parvenir à un moment avant même la conception, moment où il n’y aurait pas eu de souffrance. En ce cas, il peut régresser jusqu’à un être antérieur dont il serait la réincarnation. Mais pour passer de celui-ci à celui-là, une mort a été nécessaire. Elle est celle de l’être antérieur non celle de celui en état de régression. Il n’est donc pas mort et peut conjurer et dissoudre la souffrance dont la mort est la puissante métaphore en étant l’extrême de celle-ci.

Tout cela fonde la polysémie du concept de mort et exprime l’immense confusion de l’être ontosé [69] .

163. Ce qui terrifie et plonge dans l’effroi, fascine et attire, c’est la mère dans sa dimension ontosique et dans sa dimension naturelle. Là gît l’union de ce qui est rationnel et de ce qui est irrationnel [70] . En fait il y a quelque chose d’inconcevable, d’ineffable, de totalement étranger, qu’on essaie d’interpréter à l’aide des catégories du rationnel et de l’irrationnel.


164. Au cours de la vie, consciemment et inconsciemment, l’individu essaie de séparer le rationnel de l’irrationnel. Il essaie de discerner. Par là se fonde une certaine confusion entre séparer et discerner. La tentative de distinguer pour mieux percevoir devient support pour rejouer la séparation.


165. La colère et la culpabilité sont deux opérateurs d’explication du moment traumatique de la non acceptation. L’enfant est amené à penser que celle-ci est en liaison avec la colère de sa mère causée par son propre comportement. Rien ne peut expliquer le refus si ce n’est un vice en lui, un défaut, donc sa culpabilité.


166. Il n’y a de causalité (culpabilité) que s’il y a discontinuité.


167. Les sentiments de honte, d’humiliation s’enracinent également dans ce moment. On a honte et on est humilié parce qu’on n’est pas accepté, aimé.

La honte est une expression percutante, térébrante de l’ontose qui est une hontose: la non-acceptation de soi, fondement du rejet, du dénigrement, de la haine de soi.

La revendication de la dignité est une compensation à l’humiliation.


168. Du fait de la confusion, l’être advenant perçoit la mère comme un quelque chose difficilement déchiffrable, et un être mystérieux générant terreur, effroi, et fascination. En cette perception se fonde une partie de la dynamique de l’être qui émerge du chaos. Cette perception de la mère engendrant divers états vient confirmer la dimension médiatrice de celle-ci.

Ainsi, perçue en tant que numen, la mère est le support du concept de dieu [71] , instituant la haine des mères et leur adoration. C’est devant cette mère-numen que le petit enfant se sent totalement démuni et que s’impose en lui une totale dépendance.


169. Les menstrues, dans leur phénomène apparent, fondent la femme en tant qu’être mystérieux et irrationnel: elle saigne sans qu’il y ait eu blessure. Cette appréhension du phénomène réactive l’empreinte du caractère dangereux, terrifiant de la mère: ce qui interdit.


170. Le petit enfant, devant ce qui le fascine et le terrifie, perd sa substance et n’est plus rempli que par le flux de vie – ce dont il vient – qui, ne pouvant plus s’écouler du fait de la coupure de continuité, engendre la rétention. Il va donc aspirer à recevoir une autre substance, comme un’autre vie, de la part de ce qui sera vécu, plus tard, comme numen. Ce phénomène est complémentaire de celui de l’identification. Tous deux sont à la base de la transsubstantiation [72] (cf. thèse 87). Il sert également de support à la pratique de l’initiation: accès à la vie culturelle.


171. Ce qui apparaît totalement étranger chez la mère et qui fonde l’étrange familier, c’est son ontose qui est perçue ultérieurement comme quelque chose d’artificiel, comme relevant d’un artifice.


172. Pour être accepté, l’enfant a recours à l’artifice, ce qui rend possible un déploiement de la culture en général, de l’art en particulier, et un détournement de la technique. Dès lors, en fonction de cette empreinte, ce n’est pas de façon immédiate qu’on peut atteindre l’autre, mais par un détour (intériorisation du détournement). En outre s’impose le possible de feindre, particulièrement en mimant le comportement parental – phénomène inconscient – non seulement pour être accepté par les parents, mais pour qu’ils se dévoilent. C’est la dynamique de la ruse.

Le grave danger que recèle la ruse, c’est la perte de l’immédiateté, de la spontanéité. Ruser implique de quitter l’immédiat afin de ne pas affronter directement ce qui nous menace et de pouvoir, s’il le faut, tendre un piège.


173. Deux phénomènes président à la réapparition de ce qui a été vécu et de ce qui a été refoulé. La réinstauration qui se traduit par la réaffirmation, la restauration de l’état hypnoïde et de l’état hystéroïde par suite, d’une part de l’évanescence de la réalité qui perd de sa signifiance pour l’individu, et par suite d’une sorte de phénomène d’hystérésis, d’élasticité, qui tend à réimposer ce qui s’est produit mais qui n’a pas pu parvenir à son achèvement par suite de la coupure traumatisante.

Au cours de cette réinstauration, l’individu a un comportement qui peut le faire apparaître comme un zombie tandis qu’il peut en même temps éprouver des douleurs dont il ne perçoit pas l’origine mais dont il sait le retour périodique.


174. Dans le deuxième cas, la remontée du refoulé, l’individu explose, pour ainsi dire, et se trouve en discontinuité avec ce qu’il vit. Très souvent la phase explosive n’a pas le temps de se déployer parce qu’il y a refoulement; ne reste alors qu’une petite discontinuité dans le discours, dans le comportement de l’individu qui ne s’en aperçoit pas, mais qui intrigue celui qui est à son écoute, et le met mal à l’aise entraînant parfois, chez lui, une remontée.






[1] La mise en italique vise à signaler les concepts fondamentaux qui sont définis soit immédiatement, soit dans la suite des thèses. Pour une grande part, ils sont empruntés, mais ils renferment des déterminations nouvelles. D’autres sont nouveaux et doivent être fondés.


[2] Aptitude à se poser en tant que moment d’émergence et qu’unité perceptible du phénomène vie.


[3] Jean-Pierre P., avec qui j’ai cheminé, m’a convié à réfléchir sur l’insuffisance de l’expression répression parentale et que, ce qui s’impose au début, c’est un’agression de la part des parents. Immédiatement, j’ai perçu la justesse de sa réflexion profonde et le fait que c’était cohérent avec mon affirmation au sujet de la violence originelle. J’ai simultanément visualisé la confusion inscrite dans ladite expression. En effet cette remarque pâtissait d’une insuffisance de perception du phénomène répression lui-même qui découle du refus de la manifestation de la naturalité de l’enfant ce qui, de son pôle de vie, est vécu comme agression. Celle-ci est donc incluse dans la répression parentale (cf. précision thèse 4). Parler d’agression visait à affirmer que l’enfant n’est pas un agresseur, voire un tueur-né, et que le négatif opère du pôle parental. C’est incontestable, mais c’est aussi charger les parents qui, en règle générale, ne se comportent pas en agresseurs vis-à-vis de leurs enfants (cf. thèse 4 et thèse 9). En outre spéciogénétiquement, à l’origine, ce n’est pas ainsi que cela a fonctionné. D’où la nécessite d’effectuer une investigation au sujet de l’engendrement de l’agression du sein de la répression, puis son autonomisation. On n’a pas eu un simple transfert de l’agression opérant vis-à-vis d’autres espèces dans les relations parents-enfants. En conséquence je conserve le terme de répression sans lui adjoindre agression comme j’avais pensé le faire, durant un certain temps.


[4] En substituant psychose par ontose, je puis compléter cette définition par celle donnée in «Invariance», série V, nº 1, p. 34. Toutefois l’énoncé de cette définition pâtit d’une insuffisance de précision: la conscience, comme l’inconscient sont des données ontosiques. L’être naturel ne connaît que des procès conscients et des procès inconscients, comme ce sera exposé dans la suite de ces thèses. Voici cette définition: «La psychose est l’ensemble des mécanismes qui permettent à l’individualité, cherchant à survivre, de s’adapter aux conditions de domestication que lui imposent ses parents, à leur propre psychose qui les rend inaptes à l’accueillir tant ils sont préoccupés, hantés par elle, par leurs manques affectifs. C’est la perturbation fondamentale de la conscientisation, c’est-à-dire le processus par lequel les émotions, les sentiments parviennent à la conscience, c’est-à-dire qu’il y a enraiement de la continuité, il y a déviation, détournement du phénomène naturel et formation d’agrégats: les émotions, les souffrances non pleinement vécues et non parvenues à la conscience».

La spéciose est un phénomène isomorphe qui concerne l’espèce.


[5] Ultérieurement, nous montrerons que la dynamique de la remontée se greffe sur un phénomène naturel.


[6] Forclore et scotomiser ont un sens voisin. Cf. note 107 de l’article suivant.


[7] Ce concept sera mieux défini et amplement développé dans la deuxième partie: Devenir de l’ontose.


[8] La peur des bébés est, sinon plus forte, tout au moins égale à celle des mères. Toutes deux s’enracinent dans le moment primordial de la coupure de la continuité. Le complément de la première s’affirme dans le thème de l’enfant sauveur qu’on peut repérer dans les cultes de Dyonisos, d’Osiris, de Krishna ou dans celui de Jésus. Ces cultes opérant à divers moments et dans des aires géosociales différentes signalent les tentatives de libération-émergence opérées par l’espèce.

Tout enfant opère inconsciemment en tant qu’enfant sauveur d’où, au moins dans l’aire occidentale, l’importance du culte de Jésus.

La thèse de l’enfant-roi, à qui tout est accordé, pour qui tout est acheté, semble quelque peu infirmer ce qui précède. Elle en est au contraire la confirmation plénière. La royauté de l’enfant est en fait celle de la consommation – et donc du capital – dont les parents sont esclaves, et dont la pleine réalisation s’opère par l’intermédiaire de l’enfant qui, à travers cette médiation, est sacrifié, dans sa naturalité, sur l’autel de la consommation.


[9] Résultant de la dynamique de recouvrement signalée à la note 7. L’être ontosé est un être de recouvrement.


[10] C’est-à-dire refus conscient et acceptation inconsciente. Il peut arriver souvent qu’il y ait au cours de la vie une inversion de la polarité conscient-inconscient, ce qui traduit la confusion qui est à la base de la structure de l’être ontosé, et les tentatives d’achever un procès, de parvenir à une conscientisation de ce qui a été vécu.


[11] Le concept d’engramme est très voisin, mais je trouve que celui d’empreinte est plus expressif, prégnant, d’autant plus qu’il peut se poser, en outre, en continuité avec la vieille croyance en un destin qui aurait été empreint, ou imprimé (c’est écrit!), en nous par la destinée.


[12] La production de l’aséité est en fait le dévoilement d’un contenu. Du fait que l’être dérive d’un procès de réduction-séparation il contient le concept d’une suffisance, même lorsqu’il n’est plus en relation avec ce qui le déterminait en l’englobant dans une réalité plus vaste. La perte de relations est vécue comme l’échappement à toute dépendance. L’aséité présuppose l’autonomisation.


[13] On peut définir le comme si en indiquant qu’il est un opérateur très souvent inconscient. Dans l’exposé concernant l’oeuvre d’Alfred Adler, dans l’article suivant, toutes les précisions nécessaires sont développées au sujet de cet opérateur.


[14] En devenant comme un petit enfant, Jésus s’est exposé à la dynamique du bouc-émissaire – il a donc pleinement rejoué – et l’a subie, permettant le maintien de l’ontose. La célébration de son sacrifice est une réactualisation, revivification de la dynamique ontosique.


[15] «La violence apparaît, se manifeste, dès qu’il y a rupture d’un procès. Elle est ce qui permet la rupture, que ce soit dans le milieu physique, cosmique, humain». Violence et Domestication. À propos du devenir de l’espèce humaine de la communauté immédiate à la communauté émergée du, et intégrée dans le cosmos, «Invariance», série III, nº 9, 1980.


[16] Au sein de cette dynamique la dimension théorique a une grande importance: percevoir que la thématique de la reconnaissance relève de l’ontose et opère de façon extériorisée dans tout le phénomène de la valeur, puis du capital, en lesquels l’espèce a concrétisé en quelque sorte sa spéciose.

Vis-à-vis de l’enfant, au sein de cette société-communauté, un comportement qui vise à la libération-émergence nécessité de la part de l’adulte une confirmation plénière de l’activité de celui-ci afin de désactiver l’empreinte du désir d’être reconnu. Pour que ceci ne soit pas réduit à une approche thérapeutique, il convient que l’adulte soit bien conscient de ce qu’il fait et qu’il se place dans la dynamique de libération-émergence.


[17] Ceci se retrouve dans divers enseignements spiritualistes orientaux. C’est un acquis important qu’on peut retrouver d’ailleurs au sein d’autres enseignements.


[18] Le marxisme, par exemple, en est une bonne expression.


[19] Ici, comme pour continuité, la mise en italiques ne signale pas qu’une définition va être proposée. Elle est utilisée pour mettre en évidence l’essentialité de ces deux concepts en ce qui concerne la présentation de l’ontose.

[20] L’inconscient tel que le présente Sigmund Freud est une mystification. En réalité il résulte du refoulement qui ne peut se comprendre que si l’on tient compte du procès de domestication de l’enfant par la mère, au départ, par elle et le père, ensuite.


[21] Karl Marx a décrit un phénomène analogue dans son étude sur le capital, lorsqu’il exposa la réification – les rapports entre les hommes deviennent des choses – et comment de la réification on passe à la mystification quand ces choses en viennent à déterminer les relations entre les hommes. La réalité des hommes et des femmes devient un mystère, parce qu’elle est de plus en plus cachée.


[22] La pratique de la greffe est ce qui exprime peut-être le mieux l’essence de la culture, au sens originel du terme, traduisant ce qui s’est produit originellement avec la pratique de l’agriculture.


[23] Le mouvement de Mai-Juin 1968 a révélé l’existence du détournement qui fut théorisé par les tenants de l’Internationale Situationniste. Dans une certaine mesure on pourrait caractériser ce mouvement par le surgissement de ce concept qui implique à la fois un vécu bien déterminé de ceux qui l’ont fait surgir et une prise de position par rapport à la remontée (non perçue) incluse en ce vécu, support d’un revécu inconscient. Ce n’est pas un hasard si, durant la fin des années soixante et durant les années soixante et dix, il fut question du retour du refoulé.

S. Freud porté par tout un mouvement dont il fut inconscient produisit, à la fin du XIXe siècle, le concept de refoulement. Toute une génération en révolte affirma plus de soixante et dix ans après, un autre concept, celui de détournement, de séduction, qu’il avait exposé, puis rejeté sans totalement l’abandonner. Les jeunes de 1968 vécurent la séduction à travers la consommation qu’ils voulurent rejeter. La dimension de divertissement, comme l’avait bien perçu Blaise Pascal, est inclue dans le détournement et les jeunes se mystifièrent eux-mêmes puisqu’ils se divertirent en détournant.

Afin de comprendre en profondeur l’importance de ce mouvement, une investigation profonde au sujet du détournement se révéla obligatoire et nécessaire. Elle permit d’exposer le contenu de ce concept et les limites de la théorie de S. Freud.

On peut considérer l’errance de Homo sapiens et son auto-domestication comme l’effectuation-vécu d’un détournement.


[24] Dans la dynamique naturelle il n’est pas exclusif et ne se transforme jamais en une idée fixe.


[25] Le meurtre d’un enfant avant deux ans, avant la fin de l’haptogestation, est en fait un avortement. Tous les traumatismes déterminés par la non acceptation de sa naturalité induisent des troubles qui ont la dimension de l’avortement.

Adopter un enfant implique que le procès naturel a avorté. Réciproquement le désir de la part de l’enfant d’être adopté signale la perception en lui de ce même phénomène et qu’il veut y échapper.


[26] Un grand nombre d’activités de l’espèce peuvent être un support pour vivre le détournement. Certains apparaissent directement en tant que telles. Le soi-disant alunissage d’étatsuniens sur la lune, en 1969, a opéré en tant qu’immense détournement.


[27] L’errance résulte de l’adoption d’une dynamique de vie qui éloigne l’espèce de la réalisation de son plan de vie qui, pour Amadeo Bordiga, était le communisme. Cf. Errance de l’humanité. Conscience répressive. Communisme, in «Invariance», série II, nº 3, 1973.

On peut définir le plan de vie, au niveau de l’individualité ainsi que de l’espèce, comme l’ensemble des connaissances et des conduites qui permettent leur positionnement, leur affirmation et leur devenir dans le cosmos.


[28] La greffe s’impose bien dans son évidence comme un détournement avec sa dimension d’avortement, car le développement du greffon implique un avortement du porte-greffe. Elle se présente comme               un support pour appréhender ce que nous subîmes et qui fut réactualisé plusieurs fois par l’entremise de l’éducation. La métaphore de la greffe est utilisée par certains biologistes pour décrire le processus de gestation. Ils expriment par là ce qui les hante.


[29] Je puis indiquer également Anne Ancelin Schützenberger, Nina Canault, afin de signaler des théoriciens et des théoriciennes dont j’ai au moins lu un ouvrage. En fait le nombre de ceux-ci et celles-ci est certainement très important mais beaucoup me sont inconnu(e)s.


[30] Ce qui a fort bien été théorisé au sein du bouddhisme et de certaines écoles hindouistes.


[31] «La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c’est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu’ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu’ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d’ordre, leurs costumes, pour apparaître sur la nouvelle scène de l’histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté». K. Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Ed. Sociales, Paris, 1948, p. 173. Ce livre contient en première partie, du même auteur, Les luttes de classes en France (1848-1850).

Despotisme du passé, dépendance craintive, vie sociale en tant que représentation théâtrale, nécessité de se déguiser (ruse), rejouement et conjuration (exorcisme), remontée, dynamique de se faire accepter, incorporation d’un contenu étranger, impossibilité de se positionner, sont autant de composantes de l’ontose-spéciose qui sont signifiées sans être perçues, ni posées au sein d’un procès d’investigation cognitif concernant le devenir individuel des hommes et des femmes, et celui de l’espèce.


[32] La dépression apparaît comme le mal psychique le plus répandu à l’heure actuelle. Elle a toujours été profondément redoutée. Ainsi, sur le plan économique, ce qui est redouté par dessus tout c’est la déflation qui engendre la dépression, telle la grande dépression de 1929-1933 qui fut, pour des millions d’hommes et de femmes, un support pour vivre, sans en être conscients, le moment où s’imposa la dépression dont nous parlons ci-dessus.


[33] Le désir de retrouver la faculté de se positionner peut se lire au travers de la fascination qu’exerce la relativité que ce soit celle exposée par Galileo Galilei ou celle proposée par Albert Einstein. Le débat sur le géocentrisme et l’héliocentrisme en est une autre expression, de même que la thématique de trouver la place à, que ce soit celle de l’espèce, de notre planète, du système solaire etc.


[34] La terreur qu’engendre tout tremblement de terre dérive de l’évocation de ce moment.


[35] D’où la fascination qu’exercent le miroir cassé, dont chaque fragment donne toujours une image entière, ou les fractals.


[36] En allemand Geworfenheit (Martin Heidegger) signifie aussi déréliction. C’est en fait la mise en déréliction tandis que Hilflosigkeit indique le phénomène se réalisant. Il y a continuité entre les deux.


[37] Cette dynamique de la compensation présente une forme de développement semblable à celle de la libération-émergence que nous exposerons brièvement à la fin des ces thèses.


[38] Le mouvement révolutionnaire, particulièrement celui prolétarien, a opéré en tant que phénomène compensateur au devenir du capital. L’intégration du prolétariat, puis son évanescence, ont permis la pleine autonomisation de celui-ci.

La déforestation a provoqué la perte du mécanisme compensateur que la forêt opérait en la nature; d’où l’autonomisation des divers phénomènes météorologiques.


[39] On peut dire que dénier c’est nier de façon active une négation subie, passive. Le mot dénégation pourrait très bien être utilisé aussi puisqu’il dénote bien, littéralement, l’idée de refus d’une négation, mais il est utilisé en psychanalyse pour désigner l’acte par lequel «le refoulé est reconnu de manière négative, sans être accepté». Dictionnaire de la psychanalyse, p. 209. Les auteurs, E. Roudinesco et M. Plon, donnent comme exemple la phrase «ce n’est pas ma mère» prononcée par un sujet à propos d’un rêve. La remontée expose l’évidence du refoulé, c’est-à-dire de ce qui a été vécu. En conséquence le refoulement s’impose immédiatement et s’effectue par une dénégation qui est en fait la réaffirmation d’une négation, normalement inconsciente.


[40] Dans l’Éthique, Baruch Spinoza, qui donna une définition de la perfection à laquelle la nôtre ressemble, affirma ceci: «Par réalité et par perfection, j’entends la même chose». II, Définition VI. Cela me semble profondément juste et me permet de déduire que l’être ontosé est un être irréel, ce qu’en son discours propre, A. Janov dit également.


[41] Les concepts de la philosophie comme ceux de la religion sont tirés, à l’origine de ceux de la médecine, comme me l’a fait remarquer François Bochet. À la base de toutes les représentations se trouve la thérapie. Salut et santé sont des concepts isomorphes. En ce qui concerne le droit c’est la thérapie nécessaire pour soigner les troubles engendrés par le développement du mouvement de la valeur, puis celui du capital. Or, étant donnée l’anthropomorphose de celui-ci, l’introduction du droit, par la médiation de l’éthique (autre thérapeutique), s’impose dans toutes les activités de l’espèce, dans l’activité scientifique particulièrement, et plus spécialement en biologie. Dans le cas de la médecine, il y a un redoublement: la thérapeutique a elle-même besoin d’une thérapeutique.


[42] Le Tu es cela, tat tvam asi, des hindous résulte très probablement d’un phénomène similaire. Le asi m’évoque l’aséité.


[43] Pierre-François Moreau exposant la philosophie de Spinoza écrit: «[…] les modes, comme Dieu, produisent spontanément; ils n’ont pas besoin d’une forme pour actualiser leur puissance». Spinoza, écrivains de toujours / Seuil, p. 50. En cela Dieu n’est pas ontosé. Il exprime la naturalité de l’homme, de la femme, et se présente comme support de ce vers quoi ils veulent revenir. La dynamique de devoir produire une forme, qui s’impose dès lors comme une médiation, est celle de l’ontose. Cf. Forme, Réalité, Effectivité, Virtualité, «Invariance», série V, nº 1.

L’importance de la mode, où la forme tend à s’autonomiser, montre à quel point l’espèce rejoue.


[44] On refoule également la joie parce que le moment, souvent bref, où elle s’est imposée réaffirme en contraste la souffrance pérenne.


[45] Le même phénomène opère au sein de l’hospitalité. À noter que l’hôte désigne à la fois celui qui reçoit et celui qui est reçu. C’est parce qu’il est potentiellement dangereux, en tant qu’étranger, que l’hôte est bien reçu. Cela peut signifier aussi que l’être ontosé est un être étranger dans l’individu, qui doit bien le recevoir afin de conjurer une menace.


[46] Dans certains cas le support est reconnu sous le nom de prétexte.


[47] Tomber malade peut-être considéré comme un rejouement de la transmission de l’ontose, et tomber amoureux sa réactivation.


[48] La physiologie humaine met en évidence le fonctionnement de l’être ontosé de l’homme, de la femme, et non celui de l’être naturel. Il en est de même pour toutes les sciences qui concernent directement l’espèce. Ainsi la science vient confirmer le devenir ontosique, même si certaines découvertes le remettent en cause.


[49] Les thèses 98 et 100 sont insuffisantes en ce qui concerne l’explicitation de la spéciose, mais sont nécessaires et, en première approximation, suffisantes pour situer où celle-ci s’articule avec l’ontose.


[50] Concept bien exposé par Gerda Alexander au sein de l’eutonie, et par Frans Veldman dans l’Haptonomie, qu’il présente comme une science. (cf. Haptonomie science de l’affectivité, Éd. PUF, Paris, 1989)


[51] «J’ai décrit l’introjection comme l’extension au monde extérieur de l’intérêt, à l’origine auto-érotique, par l’introduction des objets extérieurs dans la sphère du moi». Sándor Ferenczi, Le concept d’introjection, 1912, in Psychanalyse I, Oeuvres complètes, 1908-1912, Éd. Payot, Paris 1968. Cf., dans le même volume, Transfert et introjection, 1909.

L’existence de ces phénomènes met en évidence le surgissement de médiations pour réaliser ce qui s’opérait primitivement dans l’immédiateté par suite de la participation.


[52] Cf. Simone Weil: La pesanteur et la grâce.


[53] «Nous désignerons virtuel ce qui est projeté par l’homme et qui n’est pas saisissable, à l’instar de l’image virtuelle et, en même temps, le résultat de tout un procès technique qui se traduit par une simulation. «Invariance», série V, nº 1, p. 116.


[54] Ici, on a la mise en évidence de la perception de ce qui, antérieurement, était purement de l’ordre de l’invisible. Or, percevoir ce qui est invisible en nous entre dans la dynamique de libération-émergence. À travers l’étude géologique, l’espèce dit sa spéciose et sa dynamique de vouloir s’en libérer. Ce n’est pas un hasard si la théorie des plaques s’impose en 1968, année où s’effectua un vaste mouvement de dévoilement de l’ontose.


[55] «Les objets initialement intermédiaires entre les êtres humains particulièrement entre parents et enfants, deviennent des médiations entre ceux-ci – surtout à partir du pôle parental – et, comme cela arrive constamment avec la médiation, ils dominent ceux qui sont médiés». «Invariance», série V, nº 1, p. 20.


[56] «Les dynasties des rois préhistoriques sont réparties en périodes de mille ans, au cours desquelles surgissent des cataclysmes. […] — Au cours des cataclysmes — Les objets se rebellèrent contre leurs maîtres». Alfred Métraux, Les Incas, Éd. Seuil, pp. 35-36.


[57] S. Freud a décrit ces phénomènes avec sa théorisation de la pulsion de mort en rapport avec la compulsion de répétition, et la pulsion de vie en rapport avec le phénomène de continuité qui peut, en quelque sorte, sembler porter chaque homme, chaque femme. Il insista sur le fait que la pulsion de mort avait tendance à l’emporter sur la pulsion de vie. Or, sur le tard de sa vie, il ne fit que rejouer et régresser sans parvenir à voir. Plutôt que de pulsion de mort, il aurait mieux valu qu’il parle de pulsion de régression. Le fait qu’il ait employé mort plutôt que régression indique que ce qu’il tendit à revivre ce fut un moment où il eut sensation de mourir.


[58] Ils sont relayés de nos jours par les astrophysiciens et les théoriciens de la physique quantique; d’où la production de diverses représentations syncrétiques mystico-physiques qui ont une grande importance dans la révélation de l’ontose.


[59] En termes d’astrophysique, il peut se dénommer attracteur étrange.


[60] S. Freud s’est approché par lui-même de celle-ci lorsqu’il a parlé de Unheimlichkeit, particularité existentielle où le familier nous apparaît étrange, menaçant. Carl Gustav Jung l’a exprimée en empruntant au dire des mystiques.


[61] Dans Ursprung und Gegenwart. Das Fundament des aperspektivischen Welt. Beitrag zu einer Geschicht der Bewusstwerdung, (qu’on peut traduire par: Origine et présent. Le fondement du monde ignorant la perspective. Contribution à une histoire du devenir conscient) Jean Gebser met en relation religion avec relegere signifiant: bien observer (information fournie par un ami, Andi Loepfe). Cela me semble juste puisqu’est religieux celui qui observe les prescriptions, ne l’est pas celui qui les néglige (neglegere); c’est un impie. La religion implique qu’il y ait observance de conduites religieuses fondamentales. Cela implique le respect et l’interdit, ce qui nous renvoie au numen qu’inconsciemment l’individu observe toute sa vie.

L’observance exprime la dépendance et la mise en situation de dépossession. L’expérimentation se présente à la fois comme dépassement de l’observation, rejet de l’observance et dynamique d’accès à la certitude grâce à la levée d’un doute.


[62] À noter aussi l’importance de la métaphore du véhicule, ce qui permet de parcourir la voie, dans le bouddhisme: Mahayana et Hinayana.


[63] L’objectivation peut dans ce cas se percevoir comme une projection qui permet de représenter devant soi quelque chose de matériel ou d’immatériel. La subjectivisation pourrait se concevoir comme relevant de l’identification, d’un processus de clonage virtuel.


[64] Comme Melanie Klein l’a fort bien perçu et, la première, l’a théorisé sur le plan psychologique. G. W. F. Hegel, L. Feuerbach, K. Marx, entre autres, ont opéré de même sur le plan philosophique.


[65] Le mot présence relève indéniablement du vocabulaire des mystiques. Dans la mesure où ceux-ci ont perçu un phénomène réel, qu’ils ont mystifié dans leur représentation, je le conserve avec toute la puissance qu’il recèle, c’est-à-dire qu’il n’exprime pas simplement une existence, mais une puissance de manifestation. Louis Lavelle, cité par André Lalande dans son Vocabulaire technique et critique de la philosophie, signale l’existence de deux sens au mot présent: un passif «prae-sum, ce qui est devant moi, dans l’espace et le temps» et un actif quand il «désigne, non pas sans doute un acte que je fais, mais une puissance dont je dispose actuellement et que je puis transformer en acte» Il ajoute: «C’est le progrès de la pensée philosophique qui nous a obligés de passer du sens passif au sens actif». Éd. PUF, pp. 818-819. En ce cas les philosophes n’ont fait que retrouver ce que les mystiques avaient affirmé.

La thématique de la présence implique celle de l’absence en tant que non présence mais aussi en tant que support de perception de perte, de mort etc.


[66] Elle s’opère par exemple dans la bhakti – considérée comme la dévotion à un dieu, à une déesse, qui peut consister en une imitation de ce que ceux-ci effectuèrent – vise en fait à la participation à la divinité où celui qui se dédie à elle s’abolit, pour n’être plus que substance divine.


[67] Il s’opère en fait une sommation, une systématisation, une juxtaposition, tendant à se parachever en synthèse.


[68] Le placenta va inconsciemment jouer un rôle important dans le psychisme de l’enfant et de l’adulte. Il est le support, comme on le perçoit bien chez C. G. Jung, du mandala, et d’autres expressions de l’activité de l’homme, de la femme comme Lloyd Demause l’expose dans The fetal origins of history (texte recueilli sur Internet). Je reviendrai, soit dans la suite de cette étude, soit dans d’autres, sur cette importante question. (Note de mars 2001)


[69] L’extension-dilatation des concepts de mort et de sexualité est isomorphe à celle de l’ontose et en est son expression profonde.


[70] Ici, chaque individu rejoue ce qu’a vécu l’espèce à la fois fascinée et terrifiée par les phénomènes naturels qui sont signifiés par le terme de nature. Le devenir hors de celle-ci fait de la femme le support pour revivre l’antique traumatisme vécut par l’espèce au sein de la nature.


[71] Pour exprimer le sacré, dieu, non seulement dans sa dimension pensée, mais dans son vécu intense, Roy A. Rappoport dans Ecology, Meaning and Religion, recourt au numen de R. Otto et y ajoute le nomen (mot, parole). Cette information essentielle m’a été fournie par Andi Loepfe. Je n’ai pas lu le livre de A. Rappoport mais, à travers le résumé et les extraits ainsi que les commentaires transmis par Andi, je trouve cette adjonction absolument nécessaire, comme je le signale dans une lettre du 20 août 2000 à Piero Coppo où je lui faisait par du comment je percevais ce nomen. «à mon avis ce qui est déterminant c’est que la mère parle, est douée de parole. C’est par la parole qu’elle signifie tout ce qui n’est pas dans le plan de vie du tout petit enfant et qui donc n’existe pas potentiellement pour lui, tout ce qui est artificiel, de l’ordre de la domestication. La parole renferme, là, la dimension de création ex nihilo, alors que dans le cas des données en rapport au plan de vie du petit enfant, elle est confirmation. D’où l’ambiguïté, la dualité de la parole». J’ajouterai seulement ceci, qui sera explicité dans Devenir de l’ontose: pour le petit enfant, la parole manifeste l’imagination, la rend évidente mais aussi la négation et l’interrogation qui lui sont liées. Il renferme le possible de percevoir tout cela, mais dans une dimension naturelle, dans une naturalité. Dans son état de déréliction de tout petit enfant, il est conduit à les utiliser pour vivre une discontinuité, qui est l’essence de l’irrationnel se révélant dans la mère en tant que numen et nomen. (Note de mars 2001)


[72] Elle peut-être envisagée comme relevant du phénomène de déversement, comme en relèvent l’introjection (cf. S. Ferenczi, Le concept d’introjection) et l’incorporation.