Postlude











En rédigeant Èmergence et dissolution 19 décembre 1989, nous avons anticipé sur les conclusions que nous devions produire à la fin de notre étude "Emergence de Homo Gemeinwesen", en particulier nous avons exposé un programme de mesures à prendre le plus tôt possible afin d'enrayer la destruction non seulement de la biosphère mais de son support immédiat, ce que l'on nomme en pédologie, la roche-mère. Nous avons tenu à utiliser le terme de programme pour signifier la continuité avec l'ancienne perspective communiste de A. Bordiga. Ceci nous a amené à emprunter une formulation qui peut prêter à confusion lorsque nous avons affirmé: "Interdiction de toute construction..". Une telle affirmation laisse supposer qu'il y ait un sujet dictant et faisant appliquer l'interdiction. Or, il est évident que s'il y a un vaste mouvement d'hommes et de femmes voulant effectuer une régénération de la nature un tel interdit n'a pas de sens puisque la grande majorité opère dans la positivité d'une autre dynamique et qu'en outre, à ce moment-là, la minorité défendant l'ordre actuel se contentera de maintenir ce qui est et ne pourra pas entreprendre de nouveaux travaux. En revanche si nous avons affaire à une situation où un tel mouvement existe mais est encore faible, il peut se poser le problème d'une réelle interdiction dans la mesure où il s'agira d' empêcher que des pratiques néfastes à la biosphère ne soient actualisées. Cependant un tel affrontement ne peut pas être conçu comme constituant une opposition au capital, puisque la préoccupation fondamentale n'est pas l'interdit en lui-même mais l'affirmation d'une autre dynamique qui, pour se réaliser, nécessite l'abandon des pratiques, des conduites fémino-humaines actuelles. Dés lors, bien que le fait d'empêcher ces dernières puissent se révéler en dernier ressort comme une opposition au phénomène du capital puisqu'il en constitue le support, on échappe à un affrontement immédiat qui ne pourrait que renforcer la domination de ce dernier, comme les évènements nous l'ont amplement démontré.

 

Il faut concevoir ce programme comme l'affirmation du possible d'une autre dynamique. Les modalités de réalisation apparaîtront au fur et à mesure que cette dernière se développera.

 

Avec "Emergence et dissolution", nous avons voulu prendre position par rapport aux évènements de l'Est, par rapport à la fin phénoménologique [1] d'une phase historique dont nous avons décrit - dans ses grandes lignes - la fin potentielle depuis de nombreuses années; c'est-à-dire la fin du phénomène révolution, celle de la démocratie et celle d'une mystification [2]. En outre il fallait nous situer par rapport à la prévision de  A. Bordiga au sujet de l'advenue de la révolution dans les années 75-60. Toutefois dans le texte susmentionné, nous n'avons pas envisagé de façon détaillée la question de la réunification de l"Allemagne [3]. Pour A. Bordiga, rappelons-le, cette dernière devait se produire au cours d'un procès révolutionnaire parce qu'elle devait conduire à la réunification de la partie la plus puissante du prolétariat mondial, le prolétariat allemand. La partition de ce dernier (on pourrait préciser en parlant du prolétariat continental européen) ayant constitué la grande victoire de la classe capitaliste lors de la seconde guerre mondiale.

 

Or, de nos jours, nous assistons à la réunification de l'Allemagne et nous allons vers la constitution d'un bloc européen,, avec même le possible d'une intégration plus ou moins importante de l'URSS comme le désirait W. Rathenau dans les années vingt. Cependant il n'y a aucun mouvement prolétarien de quelque envergure que ce soit sur des bases révolutionnaires ou réformistes. Les quelques manifestations autonomes qui ont eu lieu dans les pays de l'Est ont été rapidement étouffées[4]. Ainsi la prévision au sujet d'un phénomène révolutionnaire a fait faillite comme nous l'avions affirmé dés 1974, avant que nous soyons parvenus au mo­ment historique où elle devait se réaliser; mais il y a un élément qui demeure valable: la réunification de l'Allemagne ne s'impose que parce qu'il y a une situation de crise importante.

 

 

Avant d"envisager ce dernier point, il convient de rappeler que la faillite de la prévision porte donc sur la question de la possibilité de la révolution communiste; mais elle est valide en ce qui concerne le phénomène de la crise, avec la remarque essentielle suivante: cette dernière a pu être diluée dans le temps (ce qui permit également une certaine manipulation); ses différentes composantes au lieu de se manifester simultanément, ce qui aurait pu faire ressurgir de vieilles forces - celle du prolétariat également, ce qui aurait pu illusionner momentanément - et donc nous placer dans une situation de type révolutionnaire, se sont imposées successivement. Ainsi phénoménologiquement vient maintenant à s'épuiser tout le contenu de la contre-révolution.

 

Nous avons antérieurement indiqué pourquoi il ne pouvait plus y avoir de révolution, pourquoi il n'y avait plus une classe révolutionnaire: le prolétariat. Il nous faut dés lors insister sur les caractères de la situation conduisant à la réunification allemande.

 

 

L'écroulement du bloc soviétique ne correspond pas uniquement à une défaite de l'URSS, elle est aussi celle des USA, car ces deux puissances avaient intérêt à la division de l"Europe et donc à celle du prolétariat. La peur de ce dernier s'est imposée même après qu'il eut été depuis longtemps intégré. En conséquence les évènements révèlent aux divers dirigeants de l'Est comme de l'Ouest l'inanité de cette peur et, dans la mesure où celle-ci a pu, à partir d'un certain temps, être feinte et participer à une organisation spectaculaire du pouvoir, l'obsolescence de son utilité. Mais d'autres phénomènes interviennent pour signifier l'importance de la crise qui conduit à cette réunification. Ils sont à l'intérieur de la sphère capitaliste et donc ne menacent en rien la domination du capital. Il s'agit en particulier de la puissance énorme du Japon. Le meilleur moyen pour les USA, qui ne sont plus capables d'être le gendarme mondial (surtout dans le domaine économique), de limiter la puissance du Japon, c'est de faciliter la formation d'autres centres aptes à neutraliser cette dernière. En conséquence l'Allemagne réunifiée au sein de l'Europe, devient bien une menace pour les USA [5] mais aussi pour le Japon. Tandis que l'URSS, même réduite par la sécession de  quelques républiques, pourra constituer un autre centre imitateur

 

.

Ce faisant on se trouve, dans une certaine mesure, reporté à la situation des années vingt, en ce qui concerne l'Europe. Il est possible que se réalise une alliance Europe de l'Ouest (influençant grandement toute la Mitteleuropea) avec l'URSS et ce par la médiation de l'Allemagne. Les dirigeants étasuniens sentent bien ce danger et essayent donc de polariser, au maximum, vers les USA l'Europe qui s'unifie.

 

A notre avis ils ne peuvent plus faire dévier un phénomène, ce qui ne signifie pas qu'on assistera à une unification complète de l'Europe. A ce propos on peut ajouter que 1'OTAN et le pacte de Varsovie n'auront plus qu'une existence formelle. Le retrait des troupes soviétiques s'amplifiera; celui des troupes étasuniennes également, comme nous l'avons déjà indiqué. Ce qui va l'emporter maintenant c'est la guerre économique qui a toujours existé. Toutefois auparavant elle avait besoin de l'adjuvant de la guerre par antonomase, la guerre militaire.

 

Avant de nous occuper de ce qu'il peut advenir, il convient de mieux nous situer par rapport à tout le phénomène de la contre-révolution, en particulier en comparant notre approche à celle d'autres courants.

 

Tout d'abord à la différence de presque tous les courants qui se situèrent à l'extrème-gauche nous n'avons jamais pensé à l'imminence d'une troisième guerre mondiale et nous avons toujours refusé la théorisation au sujet du bellicisme de l'URSS et de son soi-disant totalitarisme bureaucratique absolu. En revanche avec A. Bordiga nous avons ironisé sur la capacité des bureaucrates à dominer quoi que ce soit. Nous avons montré que cette théorisation découlait du fait que ses propagandistes, les anti-staliniens, étaient de fervents démocrates passés, avec diverses variantes, sous la coupe étasunienne. Nous n'avons jamais pactisé avec un quelconque plan démocratique.

 

Nous voulons plus particulièrement réaffirmer notre opposition aux courants qui ont simplement théorisé l'advenue.

 

Nous avons déjà signalé à quel point les théorisations de l'Internationale Situationniste ont contribué au triomphe du phénomène publicitaire, dans la mesure où elles ont dans une fraction bien déterminée de la population favorisé un mode de pensée par slogans engendrés à 1'aide d'un procédé relevant de la combinatoire: le détournement. En outre elles ont grandement participé à la mystification d'une réalité évanescente: le prolétariat révolutionnaire.

 

Etant donné qu'elles exprimaient les exigences de l'immédiat, une insatisfaction d'être, elles furent facilement récupérées par la publicité ce qui renforça cette dernière et lui conféra une certaine dignité.

 

En revanche nous avons moins insisté sur la négativité d'un autre courant plus ou moins influencé d'ailleurs au départ par l'Internationale Situationniste: celui qui s'est présenté comme effectuant un dépassement de K. Marx, de la théorie du prolétariat, qui s"est voulu moderniste et se gargarise maintenant de postmodernisme [6] .

 

Ce courant apporte une contribution encore plus importante que celle du précédent à la représentation du capital, parce qu'il a interprété et interprète la séparation totale de l'espèce par rapport à la nature comme étant un dépassement de K. Marx et un fait absolument positif. Nous nous limiterons à 1a question de la différence entre valeur d'usage et valeur d'échange et à celle des besoins. Les adeptes de ce courant ont montré 1° que non seulement il n'y avait pas de différence entre les deux premières et que la notion de besoin - dit en schématisant - n'avait aucun sens et qu'elle renfermait une tautologie; 2° que l'instauration d'une différence ainsi que l'affirmation de besoins relevaient d'une donnée idéologique, inadéquate à rendre compte de la réalité de l'activité économique tant actuelle que passée.

 

I1 est indéniable qu'au sein de la société-communauté actuelle la différence entre valeur d'usage et valeur d'échange n'a plus de sens. Mais, comme toujours, ce qui est essentiel ce n'est pas le phénomène en lui même, c`est le comportement adopté vis-à-vis de celui-ci. Nous avons, nous aussi, exposé l'évanescence de cette différence pour mettre en évidence la réalisation de la domination réelle du capital non seulement sur la totalité sociale mais sur le procès de vie de chacun d'entre nous et, surtout, pour montrer que c'est avec le capital que se parachève la coupure d'avec la nature.

 

Le rejet de la théorie des besoins qui fonde le concept de valeur d'usage constitue un pas encore plus décisif dans l'acceptation inconditionnée de la représentation du capital. En effet, la notion de besoin renvoie à l'affirmation d'une nature humaine partie intégrante de la nature. Or en s'appuyant sur K. Marx lui même qui affirma que l'histoire est une continuelle transformation de la nature humaine, mais qui, par là, voulait signifier que l'ordre établi ne pouvait être que transitoire, parce que déterminé par un mode de production donné qui avait eu une origine et qui aurait une fin - il fut facile de démontrer que les besoins actuels étaient créés par la production elle-même et qu'il n'y avait aucune nature humaine: tout est culture et civilisation!

 

I1 nous importe peu d'analyser toutes les données de cette théorisation, ce qui compte c'est de montrer que le rejet, tel qu'il fut fait, de la théorie des besoins, correspond pour la représentation du capital à une levée de verrou car si la nature n'existe plus, tout est possible [7]. Cela correspond à un phénomène que nous avons analysé: la transformation de tout inné en acquis et, à partir de là, à la mise en place d'une immense combinatoire.

 

 

La levée de verrou signifie que les hommes et les femmes ne constituent plus, à cause de leurs déterminations historiques (donc fin de l'histoire) des limites au développement du capital. En particulier, ceux-ci mus par des besoins se rapportant au monde environnant dans une relation de jouissance qui inhibait le mouvement de ce dernier; dés lors  que les besoins deviennent artificiels, la jouissance est à nouveau possible car elle est liée à une modalité de réalisation des métamorphoses du capital.

 

 

C'est pourquoi le mouvement de libération de la femme (surtout sa fraction lesbienne), celui du mouvement des homosexuels, etc., contribuèrent au triomphe de la représentation du capital puisqu'ils théorisèrent le développement d'une jouissance et des besoins hors nature, tandis qu'ils s'appuyèrent et s`appuient encore sur le développement de la science pour réaliser leurs objectifs et justifier leurs pratiques.

 

 

Toutes les théorisations dont le contenu est la revendication d'une jouissance sans entrave, de la libération, de 1'utilisation des drogues, ainsi que du refus de toute autorité et de tout effort considéré comme une contrainte, etc., le tout s'accompagnant du rejet d'un quelconque référent et référentiel d'ordre naturel, donc d'une exaltation d'un développement autonome, séparé de l'espèce, ont permis la fondation de la représentation actuelle du capital Elles constituent des armes idéologiques que les partisans de la suprématie dominatrice d'Homo sapiens sur la biosphère pourront de p1us en plus utiliser. Ils pourront mobiliser K. Marx pour faire triompher leur projet démentiel.

 

 

Ceci nous impose à nouveau d'insister sur le fait que K.Marx, et tant d'autres à sa suite, crurent en la possibilité d'utiliser le développement des forces productives pour fonder une communauté humano-féminine, le communisme, parce qu'ils pensaient que la nature humaine constituait une barrière à un développement "irrationnel" de ces mêmes forces productives et que donc le capital rencontrerait une limite qui constituerait en même temps le lieu à partir duquel la révolution pourrait éclater[8]

 

 

D'un point de vue global - en fonction de la réalisation plénière de la contre-révolution - nous pouvons rappeler ce que nous avons indiqué sur le rôle des intellectuels: rendre la révolte des masses acceptable par 1e pouvoir en place, faire accepter par la masse le pouvoir en place; ce qui implique la mystification aussi bien des aspirations révolutionnaires des masses que des buts des gardiens de l'ordre établi. Et nous pouvons ajouter que maintenant ils n'ont d'autre perspective que celle d"interpréter le diktat de 1'advenue. Ils sont la courroie de transmission du "despotisme" réalisé en la communauté-société du capital.

 

 

I1 nous faut ajouter une précision: les intellectuels actuellement opérationnels ne sont plus les littérateurs, les philosophes, voire les artistes, mais les scientifiques: seul leur discours est maintenant en mesure de justifier la séparation d'avec la nature, la supériorité de Homo sapiens ainsi que 1a nécessité d'une production généralisée de prothèses [9].

 

 

C'est -en tenant compte de tout cela que nous tenons à affirmer notre mode d'appréhension parce que, à devenir réalisé ou se réalisant, on ne pourra pas nous dire que ce qui advient est ce que nous avons voulu, théorisé.

 

 

Revenons à la combinatoire. Elle permet de nier toute volonté d'affirmer un autre cheminement, un désir dont la réalisation pourrait remettre en cause l'ordre établi en montrant dans un premier temps qu'il n'est qu'un possible et, ensuite, que ce possible ne constitue probablement pas la meilleure voie de réalisation de ce qui est placé, saisi dans un devenir et, en remontant dans le temps, de nier que ce possible ait pu avoir été un élément de développement valable pour l'espèce. De telle sorte que ceux qui ont pu affirmer ou qui tendent à affirmer ce que l'on peut considérer, dans une appréhension minimale, comme une alternative, se voient bafoués sur tous les plans et ce, de façon percutante, à travers la publicité.

 

 

Le mouvement du capital s`emparera également de façon prégnante, intense, intime de tout le contenu de 1a religion et disons plus globalement des représentations posant une transcendance, une réalisation dans une non immédiateté, etc. Avec le mouvement de la valeur il y eut une affirmation du dieu unique, complètement transcendant à l'immanence de la valeur. Le capital non seulement se réalise dans l'immanence mais transcende, dans la mesure où il est un être anthropomorphe, divinomorphe. Certes, on a plusieurs fois indiqué que 1'argent monnaie, ou l'or, étaient les véritables dieux; toutefois ils coexistaient avec la divinité en place. Chacun renforçant l'autre. Avec le capital i1 y a colonisation de 1`au-delà et dieu peut être remplacé par une immense prothèse. On peut prévoir le moment où i1 pourra être vendu en kit.

 

 

Les gens d'Église pour parvenir â réaffirmer leur pouvoir à une échelle mondiale ont été amenés - particulièrement avec Jean Paul II - à faire le jeu du capital en sanctifiant ses déterminations, telle la recherche du profit. Mais ils oublient, ou ne savent pas, que 1e capital, encore plus que la valeur, est le grand substitueur. Lorsqu'ils s'en rendront compte, on verra surgir un mouvement revendiquant un dieu divin et non un dieu artificiel, capitalisé; c'est-à-dire une entité qui soit l'être de la prothèse et non la prothèse elle-même. A ce moment-là se posera également de façon percutante la question de savoir quelle est la fonction de dieu dans les différentes représentations où il est opé­ratoire.

 

 

Le mouvement autonomisé et désubstancialisé du capital nécessite la dépendance généralisée. Pour cela, hommes et femmes doivent être vidés de tout contenu, désubstancialisés, de telle sorte qu'ils ne peuvent acquérir une substance, une réalité, une essentialité, etc. (ce qui implique l'évanescence de toute forme de philosophie à travers la réalisation combinatorielle de tous ses fondements) que par des spécialistes, eux-mêmes particules hyperdépendantes, qui mettent en oeuvre les prothèses aux lieux d'articulation nécessaires. Et ceci ne concerne pas seulement les hommes e t les femmes vivants, mais les morts.

 

 

Ce n'est pas que le mort n'ait pas été immédiatement rentable. Cimetières et culte de la charogne prouvent qu'il le fut amplement, mais il n'était pas intégré dans la représentation du capital. En revanche dans la mesure où il devient une source de profit en étant le support d'une exploitation de membres, d'organes variés, de cellules, il permet à la représentation du monde hors nature de se parachever.

 

 

Ainsi, selon nous, ce qui va se développer c'est un despotisme généralisé. I1 ne sera pas assure par un individu, ni par un groupe déterminé (comme ce fut 1e cas auparavant avec une classe donnée) mais par l'ensemble sociéto-communautaire, représentant de Homo sapiens désormais prisonnier de son devenir hors nature. C'est d'ailleurs cet emprisonnement qui fonde le despotisme inévitable. Nous étayerons ultérieurement cette affirmation. Auparavant nous préférons continuer à exposer les bases représentationnelles d'un devenir hors de ce monde, donc hors de l'emprisonnement [10]

 

 

 

 

Avril 1990

 

 

Pour illustrer l'invariance de notre anti-immédiatisme, la validité de notre mise en évidence de la débilité de la théorie du capitalisme bureaucratique et d'un État soviétique réalisant le totalitarisme absolu, etc.. nous republions "Capitalisme et développement de la bande-racket" que nous avions placé à la suite de l'article "Transition" (Invariance, série I, n°8 1970). Le lecteur pourra se rendre compte que chez K. Marx aussi bien que chez A. Bordiga se trouvent les prémisses fondant notre affirmation au sujet de 1a mort potentielle du capital.

 

 

 

 

 

Capitalisme et développement de la bande-racket

 

 

"Elle fait renaître une nouvelle aristocratie financière, une nouvelle espèce de parasites, sous forme de faiseurs de projets, de fondateurs, et de directeurs simplement nominaux; tout un système de filouterie et de fraude au sujet de fondation, d'émission et de trafic d'actions. C'est là de la production privée sans le contrôle de la propriété privée.''

 

K.Marx - Le Capital, Ed. Sociales tome 7, p. 104

 

"L'expropriation s'étend ici du producteur direct aux petits et moyens capitalistes eux-mêmes. Le point de départ du mode de production capitaliste est justement cette expropriation. Son but est de réaliser et, en dernière instance, d'exproprier tous les individus de tous les moyens de production, lesquels, la production sociale se développant, cessent d'être des moyens et produits de la production privée et se bornent à être moyens de production entre les producteurs associés, donc peuvent être leur propriété sociale, tout comme ils sont leur produit social. Mais à l'intérieur du système capitaliste lui-même, cette expropriation se présente sous une forme contradictoire en tant qu'appropriation par quelques-uns de la propriété sociale; et le crédit donne toujours davantage à ces quelques-uns le caractère de purs aventuriers de l'industrie.''

 

K.Marx - Le Capital, Ed. Sociales, t. 7, p. 105

 

 

"Le capital se présente aujourd'hui en chacun de ses moments sous la forme d'une organisation. Derrière ce mot devenu synonyme non de fraternité au cours d'une lutte ouverte comme au temps glorieux des luttes ouvrières, mais fiction hypocrite de l'intérêt commun, derrière l'inexpressive et antimnémonique nom de l'insaisissable entreprise, parmi les affairistes, administrateurs, techniciens, ouvriers spécialisés, manoeuvres, cerveaux électroniques, robots et chiens de garde des facteurs de la production et des stimulateurs du revenu national, le capital accomplit l'immonde fonction infiniment plus ignoble que celle de l'entrepreneur qui se faisait payer, à l'aube de la société bourgeoise, intelligence, courage et véritable esprit de pionnier.

 

 

"L'organisation n'est pas seulement le capitalisme moderne sans personnage, mais le capitalisme sans capital, parce qu'il n'en a plus aucun besoin ( ... )

 

"L'organisation d'affaires a son propre plan : elle ne présente pas des maisons de commerce responsables, elle met en avant une "société pilote" avec un capital fictif et si elle anticipe quelque somme c'est seulement  pour se gagner la sympathie de certains bureaux d'Etat qui doivent examiner les offres, les propositions et les contrats.''

 

 

"On découvre ici, d'autre part, la fausseté de la doctrine stupide sur la bureaucratie d'État ou de parti, nouvelle classe dominante et explicatrice qui couillonne prolétaires et capitalistes ( ... ) Le "spécialiste" est aujourd'hui 1 `animal de proie, le bureaucrate est le véritable lécheur de bottes (...)".

 

 

"L'organisation diffère de la commune de travail (pure illusion libertaire dont on n'a aucun exemple dans des lieux déterminés) parce qu"il n'y a pas parité de prestation à une œuvre commune, mais dans chaque entreprise une hiérarchie de fonctions et d'avantages. I1 ne peut en être autrement quand l'entreprise a son bilan en terme de profit et une autonomie dans le domaine du marché. (...)

 

 

" L'État se loue à des organisations qui sont de véritables bandes d'affaires, de composition humaine changeante et insaisissable, dans tous les secteurs de 1'économie, sur un itinéraire qui dans tous les systèmes capitalistes modernes est marqué par les formes odieuses qu'a assumées l'industrie du bâtiment, dont le siège n'est pas fixe."

 

A. Bordiga in "il programma comunista", n•7, 1957

 

Donc:

 

Avec la constitution du capital en être matériel et donc en communauté sociale, on a la disparition du capitaliste en tant que personnage traditionnel, la diminution relative parfois absolue des prolétaires et 1°accroissement des nouvelles, classes moyennes, Toute communauté humaine, la plus petite soit-elle, est conditionnée par le mode d'être de la communauté matérielle. Ce mode d'être découle du fait que 1e capital ne peut se valoriser, donc exister, développer son être que si une particule de lui-même, tout en s'autonomisant, s'affronte à l'ensemble social, se pose par rapport à l'équivalent total socialisé, le capital. I1 a besoin de cette confrontation (concurrence, émulation) parce qu'il n'existe que par différenciation. A partir de là se constitue un tissu social basé sur la concurrence d'' "organisations" rivales (rackets).

 

Les divers groupuscules sont autant de bandes qui s'affrontent tout en ayant en commun la divinisation du prolétariat, leur équivalent général.

 

 



 

[1] Nous avons souvent parlé de la mort potentielle du capital. Il nous faut préciser ce que nous entendons par là (cf. également la citation de A. Bordiga et les commentaires à la suite du présent texte); mais nous mettrons aussi en évidence, quand nous serons parvenus au bout de notre étude sur "Èmergence de Homo Gemeinwesen", la fin phénoménologique du capital. Dans le texte ici mentionné on a effleuré la question.

 

 

[2]   En ce qui concerne cette dernière, on peut dire que si elle est annihilée d'un côté, elle se manifeste, se réaffirme d'un autre. En effet, la situation actuelle en URSS montre la réalité du développement du capital dans cette aire immense et qu'il n'y a donc pas de communisme. Mais la mystification demeure dans la me­sure où l'on affirme que ce qui s'écroule là-bas c'est le rêve de vouloir construire le communisme... Nous avons depuis longtemps affirmé que ce dernier ne se construit pas, et que sa réalisation ne pouvait s "envisager qu"à l'échelle mondiale.

 

En définitive la mystification risque d'être encore plus puissante et paralysante dans la mesure où elle permet de démontrer qu"il y aurait une impossibilité absolue de sortir de ce monde, de réaliser autre chose que le capitalisme et la démocratie.

 

Cependant, il ne faut pas croire que le devenir autonomisé du capital puisse se réaliser facilement et rapidement en Union Soviétique. I1 ne faut absolument pas escamoter le fait que c'est en Russie que s'est manifestée la perspective la plus révolutionnaire: celle de sauter la phase du mode de production capitaliste. I1 n'est donc pas impossible qu"apparaisse un courant refusant non seulement la mystification communiste mais également 1 "orgie capitaliste et la logomachie démocratique, incrétinisante et débilisante.

 

La fin du phénomène révolution implique également qu'on ne puisse plus parler de contre-révolution. Nous le faisons encore d ' un point de vue historique. Quand nous nous référons à celle qui suit la grande vague révolutionnaire des années vingt, nous devons tenir compte que non seulement elle s'épuise en réalisant les tâches de la révolution - dynamique que nous avons plusieurs fois mise en évidence, mais que, débouchant dans l'instauration d'une positivité: la combinatoire capitaliste, il ne peut plus être question de contre-révolution.

 

 

 

 

[3] Nous n'étudierons pas cela dans ce texte. Nous y reviendrons dans une glose marginale, après avoir traité le chapitre sur le capital dans Émergence de Homo Gemeinwesen et celui concernant les mouvements contre le capital. Nous pourrons alors mieux situer 1'mportance de la révolution conservatrice en rapport à toute 1`histoire de l'Allemagne. Sans cela il n'est pas possible de réellement comprendre ce qu'il advient aujourd'hui. Voilà pourquoi nous regrettons vivement de ne pas avoir été à même de terminer la rédaction de Émergence de Homo Gemeinwesen avant que le bloc de l'Est ne se désagrège. Nous avons été retardés parce que diverses questions ont surgi auxquelles nous ne pensions pas et parce que nous nous rendons compte de la nécessité d'être plus exhaustif, étant donné que nous sommes parvenus à un moment particulier où divers cycles ou arcs historiques s'achèvent; ce qui rend difficile la compréhension de la situation.

 

 

 

 

[4] - Le rôle de Lech Walesa et de ses partisans immédiats a été fondamental. Ils ont appelé à la cessation des grèves qui eurent lieu lors du passage du pouvoir de 1a direction communiste à la direction actuelle de type social-démocrate. Ainsi Lech Walesa et sa clique permettent de mettre en place ce qu'avait cherché à imposer la clique stalinienne.

 

Á propos des nouvelles "directions", on peut constater que ce qui s`impose à travers elles ce n'est pas un phénomène révolutionnaire mais une combinatoire. En effet elles résultent d'une combinaison entre divers éléments provenant de l'ancienne clique prosoviétique et des sociaux-démocrates aux nuances variées ou des droitiers divers (certains comme les défenseurs des petits paysans auront une durée d'existence éphémère: celle de la mise en place de l'expropriation de ces derniers qui les ont élus). I1 est intéressant de noter à quel point on a vite escamoté la question de la collaboration des nouveaux dirigeants â la police politique de 1"État précédent. De même en Roumanie l'assassinat de Ceaucescu a permis de mettre en place la combinatoire.

 

Ajoutons que la social-démocratie a joué encore son rôle essentiel dans la mise en place d'une domination plus efficace du mode de production capitaliste

 

 

[5] Comme elle le fut dans les années vingt de ce siècle, ce qui explique la croisade étasunienne contre 1'Europe (cf. A. Bordiga, "Agression à 1"Europe", Invariance n° Spécial, Octobre 1988).

 

[6]   Il est clair que nous n'avons jamais été modernistes, parce que notre préoccupation ne fut jamais immédiate. Notre appréhension du devenir de l'espèce s'effectue toujours en fonction de vastes arcs historiques.

 

Dans la mesure où beaucoup font remonter l'époque moderne au XV° siècle et que c'est à ce moment-là que le capital tend à s'imposer, parler de post-modernisme devrait impliquer de montrer comment nous nous avons accédé à une phase post-capitaliste.

 

[7] 1° Dans notre étude sur le capital nous reviendrons de façon approfondie sur cette question.

 

2• L'affirmation de Dostoïevski dans Les frères Karamazov selon laquelle si dieu n'existe pas tout est possible, doit être transformée en: si dieu existe tout est possible.

 

3• Dieu n'est plus nécessaire puisque la nature n'existe plus; ce qui implique que dieu est un opérateur de sortie de celle-ci.

 

4• Cette théorisation constitue le triomphe du phénomène urbain sur la campagne rétrograde!

 

5• I1 y a une dimension éminemment racketiste dans la théorisation de la libération, car il s'agit de se libérer d'une théorie produite de l'activité de l'espèce, à un moment donné de son développement, pour pouvoir se poser en tant qu'individu représentant d'un phénomène nouveau fondant un domaine théorique posé comme original et privé. A l'heure actuelle le culte de l'individu - donnée totalement évanescente comme nous 1"avons montré plusieurs fois - se nourrit de l'exaltation plus ou moins avouée de la mode. Cette dernière n'est autre qu"une manifestation de modalités d'être évanescentes mais toujours renouvelées de rackets, etc..

 

 

[8] Voilà pourquoi nous n'avons pas accepté l'affirmation de G. Cesarano selon laquelle la révolution doit partir du corps, car c'était raisonner dans la séparation. Nous ne parlons plus de révolution, aussi dirons-nous que la nouvelle dynamique ne peut s'actualiser que s'il y a une symbiose espèce nature.

 

On doit noter également qu'il y a une certaine contradiction entre le fait de penser que la nature humaine est un produit historique et qu'elle constitue également une réalité intangible. Ceci est lié au fait que Marx ne rompt pas avec la représentation fondant la justification de la sortie de la nature.

 

Nous reviendrons ultérieurement sur la nécessité de ne pas poser les données de la nouvelle dynamique en termes de production, ce qui n'est que le corollaire logique du rejet de la dynamique du développement des forces productives, sinon on aboutira à être prisonniers de la production. C'est une chose que les marxistes n'ont pas envisagée. "Pour que ces gens (les petits paysans) chassés de la culture ne restent pas sans travail ou qu'ils ne soient pas refoulés dans les villes, il faut les occuper dans des industries à la campagne même, et ces industries ne peuvent s'avérer avantageuses pour eux que si elles fonctionnent en grand, à l'aide de 1"énergie hydraulique et de 1"énergie à vapeur." (Engels: La Marche, in L'origine de la famille de la propriété privée et de l'État, Ed. Sociales, p. 285, note)

 

En Occident, le développement du capital a procédé selon la directive d"Engels sauf qu'il y a eu une urbanisation considérable. En revanche, en Orient, les chinois tentèrent et tentent de mettre en pratique les directives d'Engels. I1 nous faut ajouter que ce dernier ne visait absolument pas un développement capitaliste mais un "renouvellement de la Marche, non pas sous son aspect ancien, qui a fait son temps, mais sous une forme rajeunie; grâce à un renouvellement de la communauté du sol compris de telle façon que celle-ci, non seulement procure au petit paysan membre de cette communauté tous les avantages de la grande exploitation et de 1"utilisation des machines agricoles.." (idem)

 

[9] La fin de la phase littéraire de l'activité des intellectuels peut se constater également avec l'accession au pouvoir d'hommes comme V. Havel qui est l'auteur de pièces de théâtre. Or ce dernier, nous l'avons exposé, est lié à la démocratie. Nous reviendrons amplement sur cette question en soulignant en particulier à quel point la "vie" a été comparée à une pièce de théâtre; à quel point l'espèce se séparant de la nature a dû se sécuriser par une représentation; à quel point elle a dû jouer ce qu'elle faisait, sans se rendre compte qu'en définitive elle a été jouée par un devenir, celui de la valeur, puis celui du capital.

 

L'ironie de l'histoire, comme aurait dit Hegel, fait qu'après l'accession des acteurs (R. Reagan) sur la scène du théâtre de la réalité (peut-être de la cruauté selon une parodie de ce à quoi songeait A. Artaud!), ce sont les auteurs eux-mêmes qui y accèdent (V. Havel). Par télescopage de la représentation fictive avec celle opérationnelle, ils risquent d'abolir intégralement leur réalité.

 

On abordera également le fait que l'existence d'intellectuels est liée à la dépendance. Si on abolit celle-ci, ils disparaissent. Voilà pourquoi ils s'opposeront au mouvement de sortie de ce monde tel que nous le préconisons.

 

Enfin, on insistera sur leur dimension idéaliste. Ils ont intérêt à démontrer que c'est la conscience qui est déterminante parce qu'elle est la matière de leur job, leur affaire, leur domaine réservé, le fondement de leur racket

 

 

 

[10] Faute de mieux nous employons le mot despotisme. Il ne permet pas de désigner correctement le phénomène .à venir. Nous serons probablement amenés à introduire un néologisme.