Prélude

 


La publication de Emergence de HomoGemeinwesen nécessitera au moins deux autres numéros, ce qui nous amènera à la fin de 1987. Ceci sans tenir compte de la bibliographie commentée, avec de nombreuses citations, dans le cas où la personne citée se révèle avoir une grande importance pour notre étude.


Afin d’alléger et de fournir des documents plus rapidement, certains éléments de la bibliographie seront abordés dans la chronique Gloses en marge d’une réalité. Cependant, dans tous les cas, il est peut-être préférable, pour le lecteur, d’avoir le plan total de l’œuvre afin de mieux entrevoir notre cheminement et notre but. Voici donc les différents chapitres traités et à traiter: (Cf. le Plan)


Une explicitation de ce dernier chapitre, où sera récapitulé le phénomène d’émergence dans sa globalité, permettra de faire saisir le thème central de notre étude.


Etant donné que, selon nous, la station verticale détermine Homo (qu’on peut considérer comme un phylum) nous appellerons  Homo emergens,  l’ensemble des fossiles dénommés Australanthropus (africanus, boisei, robustus, etc.), ainsi que Homo habilis, afin de faire comprendre que c’est du sein de cette radiation que surgit l’Homo qui parviendra jusqu’à nous.


Nous  avons ensuite Homo maturans regroupant tous les Homo erectus (anciennement dénommés Archanthropiens) car c’est avec eux que les éléments essentiels se mettent en place: accroissement de l’encéphale, perfectionnement de l’outillage et du langage verbal, acquisition du feu, premiers habitats, manifestation d’une dimension esthétique, en même temps qu’il y aune grande radiation à l’échelle planétaire (sans cladistique) et qu’il y a affrontement des débuts de la phase glaciaire.


Nous conservons le terme Homo sapiens pour désigner Homo sapiens neanderthalensis et Homo sapiens sapiens car, dans ce cas, l’appellation est fort bonne.


Enfin, doit surgir Homo Gemeinwesen.


Nous avons déjà indiqué que nous serons amenés à créer les organes qui doivent nous faire réaliser cette nouvelle espèce. Cette affirmation est fondamentalement liée à la caractérisation du phylum Homo : l’accès à la réflexivité. Autrement dit, la phase que nous abordons est celle où nous devons diriger notre devenir, en précisant que, plutôt que produire ou même créer – mots qui impliquent  une séparation, une espèce de fabrication de prothèses – il s’agira d’induire à partir de notre corps spécifique-individuel tout ce qui est nécessaire à notre transformation.


Ceci pouvait sembler rester au niveau d’un groupement d’affirmations théoriques ayant sa cohérence mais n’ayant aucune pertinence au niveau du concret.  Certes, il était possible – et ce fut fait – d’affirmer que dans tous les cas les êtres vivants, à l’encontre de ce qu’affirment les partisans des théories évolutionnistes prépondérantes, ne sont pas passifs et, qu’en conséquence, au niveau de l’Homo, on pouvait comprendre l’intervention de la volonté. Cela demeurait encore dans le cadre d’une cohérence théorique ; mais, à l’heure actuelle, on est en train d’accéder à un terrain tangible.


Dans un article Les bases moléculaires de l’évolution, paru dans le n° spécial (98) de Pour la Science consacré à la biologie, Alain Wilson fait deux constatations :


« De telles observations font penser que l’évolution morphologique a été beaucoup plus rapide chez les mammifères que chez les grenouilles, bien que les mutations ponctuelles soient apparues au même rythme dans les deux groupes ».


« …nos résultats confirment d’une part ceux obtenus par les méthodes taxinomiques traditionnelles et, d’autre part, ils montrent bien que l’accumulation de mutations ponctuelles ne suffit pas à expliquer l’évolution morphologique accélérée des mammifères. »

Ensuite il pose deux questions :


« …quelle relation existe-t-il entre l’évolution moléculaire et l’évolution des organismes macroscopiques? Pour quelle raison les structures organiques les plus complexes des mammifères ont-elles évolué si vite? »


Voici sa réponse:

« Je prétends que cette évolution, rapide par rapport à celle des grenouilles, pourrait être due au volumineux cerveau des mammifères; un cerveau plus développé  exerce une pression évolutive interne, inexistante chez les grenouilles. Cette proposition est fondée sur l’hypothèse que l’évolution des organismes résulte de la sélection naturelle et a donc deux composantes, la mutation et la fixation». (Schématiquement on peut dire que la mutation est un phénomène vertical et la fixation un phénomène horizontal, n.d.r.)


La possibilité de fixer une mutation avantageuse se présente chaque fois que la pression sélective change de direction. Il existe deux mécanismes fondamentaux qui modifient la direction de l’évolution, c’est-à-dire deux sources de pression évolutive, l’une externe, l’autre interne. Les spécialistes de l’évolution ne se sont généralement intéressés qu’aux facteurs externes, comme les modifications de l’environnement dues essentiellement à des forces géologiques (l’érosion et la formation des montagnes); ils ont négligé la pression interne, due à la faculté d’innovation du cerveau des oiseaux et des mammifères, qui est à la base de l’évolution “culturelle” ».


Il nous faire d’abord une précision: il serait préférable de ne pas parler uniquement du cerveau car, obligatoirement, c’est tout l’encéphale qui intervient, et plus rigoureusement l’ensemble des organes des sens plus tout le système nerveux, sinon on opère une séparation et l’on risque de poser une autonomisation (en raisonnant sur le plan de l’élaboration de la représentation opérant sur le milieu et modifié par lui).


Nous enregistrons ensuite la confirmation d’une vision lamarckienne du processus d’engendrement des différentes espèces et je rappelle, à ce propos, l’importance accordée par J.B. Lamarck à l’effort, à la tension de l’être vivant. C’est aussi celle de J. Piaget qui est confortée, ainsi que la nôtre, qui refuse totalement l’introduction du hasard comme démiurge explicatif.


En outre cette conception permet de comprendre l’hypertélie de Homo sapiens à cause de la perte de rétroaction par suite de la séparation d’avec la nature fondant ce repli sur soi de l’espèce et de l’individu dont nous avons déjà parlé. Ce repli a un effet positif dans la mesure où il conduit à une recherche des "origines", afin de situer ce qui est appréhendé au sein de la représentation dominante comme le distinguo fondamental de l’espèce: sa non-animalité. Cette recherche peut ne pas apporter des faits qui permettent d’étayer une représentation tout à fait diverse. Ainsi le fait que le cerveau aurait une action sur l’évolution permet de justifier le devenir actuel, mais permet aussi d’affirmer que l’on peut avoir un autre devenir que celui-ci.


En ce qui concerne ce dernier, Homo sapiens, est, certes, toujours en relation-présence au cosmos, mais il est séparé de la nature (en première approximation, la biosphère); il s’affronte à un monde de plus en plus constitué de machines, c’est-à-dire formé par tout ce dont il a été dépossédé, ce qui réalise un monde tautologique, une structure en miroir. Dès lors la pression du cerveau sur ce milieu ne peut que le mécaniser et le déposséder encore plus. Homo sapiens tendra à exalter toujours plus la rationalité et à la réaliser, tandis qu’il détruira dans la même mesure son affectivité.


Mais le phénomène de libération-expropriation dont parlait A. Leroi-Gourhan pouvant aller jusqu’à la perte de la main et de la station verticale, peut être enrayé si l’espèce dans sa totalité se réinsère dans la nature, non pour une régression, mais pour une intensification du procès cognitif lui-même qui permettra une jonction multiple et puissante au cosmos. Seule, une expansion de l’affectivité nous fera accéder à une telle réalité.


Ainsi à l’heure actuelle pour advenir à Homo Gemeinwesen, il faut d’abord une reéquilibration fondamentale grâce à une reconquête de l’immédiateté et de la concrétude. En ce qui concerne les moments ultérieurs nous les envisagerons lors de la parution de la partie finale de cette étude sur l’émergence de Homo Gemeinwesen.


On ne prétend nullement à l’exhaustivité et le texte sus-mentionné est donc un travail semi-élaboré, comme aurait dit A. Bordiga. Cette non-exhaustivité est inévitable dans la mesure où une nouvelle représentation doit surgir en liaison avec un changement de mode de vie tel que nous le suggérons depuis, au moins, le moment de notre affirmation-constatation: ce monde qu’il faut quitter. Une nouvelle représentation en tant que phylum ample, susceptible de rayonner, va émerger. Rien ne peut donc être stable.


Ce que nous pouvons faire c’est de dévoiler dans la mesure du possible l’émergence qui commence, en se raccordant en même temps à tout le substrat antérieur, c’est-à-dire à ce qu’a produit l’espèce. En même temps, on veut enregistrer ses pulsions profondes et son désir d’en finir avec une millénaire errance.


A. Bordiga  affirmait qu’on devait se comporter comme si la révolution était déjà advenue. Il en est de même maintenant. On ne peut opérer qu’en considérant que l’impasse est finie, l’errance révolue, et que toute inhibition comme toute culpabilité n’ont pas de raison d’être. L’émergence de Homo Gemeinwesen secrète certitude.

 



Mars 1986