Thèses provisoires
Il
ne s’agit pas
d’écrire des thèses linéaires, s’enchaînant implacablement pour
finalement
dicter, imposer une conclusion nécessaire. Procéder ainsi serait
emprunter la
voie d’une mutilation-réduction : la pensée linéaire celle qui
se coupe de
toutes les autres voies pour être sûre d’être toujours ce rail fixe,
conduisant
réellement à la prédestination de l’être[1].
Je ne veux pas dire qu’il
faille produire un discours incohérent, plein de contradictions
élémentaires,
pour le simple plaisir d’apparaître multiple. Il faut produire les
différents
moments d’une réflexion avec toutes leurs harmoniques. C’est pourquoi
nous
parlerons de points de repère, de points de passage, de contre-point…
Car au
moment où la première thèse est énoncée elle suppose déjà toutes les
autres ; il faut donc que le lecteur puisse déjà sentir les
multiples
implications, vibrations qui naissent lors de son énoncé.
Chaque thèse suppose le tout
et n’a de sens qu’au sein de lui, le tout privé de cette thèse est
détruit. Il
faut donc tendre à énoncer la thèse et le tout simultanément. Voilà
pourquoi on
parlera de corollaire, d’anticipation, d’évocation,
réflexion-méditation, de
digression, afin de rendre sensiblement présent le tout qui n’est pas
chaque
exposé. Par là je pourrais faire appel à toutes mes possibilités et à
toutes
celles de ceux qui me liront. Ce faisant, j’éveille en vous, je désire
en vous
l’éveil de toutes vos potentialités pour vous mettre à l’écoute, à
vision, à
sensation généralisée ainsi qu’en situation de pensée multiple de notre
réalité, de notre devenir. Réciproquement – car il y aura un décalage
entre mon
écrit et votre lecture – par votre simple attitude, comportement
d’absorption
intellectuelle-sensorielle de ce que j’aurai produit, vous serez appel
pour moi
à mes potentialités. Un écrit doit exalter nos êtres, tendre à détruire
la
passivité.
Quand vous lirez vous
reprendrez ces points, contre-points et vous les agencerez en fonction
de vos
êtres, de vos vies, immédiats, historiques, dans leurs excroissances,
variées,
multiples. Vous pourrez changer certains points, en produire d’autres…
Alors
nous dialoguerons multiple. Je ne serais pas celui qui produit du
« théorique » mais celui qui participe avec vous
d’une passion :
le communisme.
1 –
Il y a nécessité d’une
affirmation nette, d’une prise de position non seulement par rapport au
moment
présent mais par rapport à toute l’histoire de l’humanité (déroulement
de la
vie de l’espèce sous toutes ses formes) et par rapport à la nature,
l’une et
l’autre saisies dans leur unité et dans leur séparation historique.
Il n’est pas question d’un
manifeste, d’une proclamation mais de cerner le moment où nous sommes
dans sa
particularité et par là de réaliser vraiment le dépassement de la phase
intermédiaire, celle entre moment communautaire initial et celui à
venir. Car
on ne peut réellement dépasser qu’à partir du moment où l’on est en
dehors de
la dynamique du mode de production actuel ; de même en ce qui
concerne
Marx. Rester à l’intérieur n’a d’intérêt que pour porter à bout les
contradictions, pour faire révéler le contenu ; sinon on
aboutit à une
pensée bricoleuse, utilisant les moments de dépassements de Marx pour
les
combiner à une représentation (ou plusieurs) de ce qui se déroule à
l’heure
actuelle.
Remarque :
dans l’Idéologie
Allemande Marx critiquait les jeunes hégéliens parce qu’ils
ne
s’affrontaient pas réellement aux présuppositions de Hegel, mais
essayaient de
dépasser en utilisant un élément de philosophie pour l’opposer au
reste, ce qui
revenait à un développement unilatéral de Hegel.
Evocation :
Bordiga disait qu’il fallait procéder comme si la
révolution communiste avait déjà eu lieu.
Fondement immédiat :
l’étude approfondie des positions de Marx
en liaison avec le devenir actuel montre que ce que Marx posait comme
communisme, le fameux mode de production nouveau, supérieur, a été
réalisé par
le capital ; dès lors il y a bien l’impasse d’où il faut
sortir.
Souhait : ne
pas s’abandonner au pessimisme ni s’immerger dans
qu’est-ce que je deviens ? qui est fermeture sur les autres.
On s’isole
dans son individu, dans sa communauté, dans sa théorie, sa pratique ou
dans son
activisme.
Précision : le
continu c’est l’immobilité, il y a perduration
d’un donné. Le discontinu c’est la mobilité ; il y a
apparition de quelque
chose de nouveau. Ceci doit être analysé en rapport à aliénation et
progrès.
But : produire
notre autonomisation par rapport au capital,
perdre toutes les catégories de celui-ci. Or, on ne peut faire cela
qu’en
rejetant tous les présupposés du capital ; c’est là qu’on est
amené à
percevoir la structure dans son établissement dans le temps et sa
réalisation
actuelle, son extension pour ainsi dire spatiale.
2 –
Cette tentative de faire le
point, de cerner notre devenir autre à partir du moment où nous rompons
les
amarres avec toute la représentation marxienne (et avec tout ce que
cela
implique) est possible parce que maintenant nous sommes en présence de
la
structure achevée. C’est-à-dire que ce qui commence à s’édifier avec
l’autonomisation de la valeur d’échange s’est maintenant constitué en
une
réalité totalitaire que nous pouvons parfaitement étudier dans sa
synchronie
mais qui a pour fondement aussi de prétendre à une
prédestination-préformation
depuis 2 ou 3 millénaires.
Digression :
L’anticipation effectuée par les hommes a joué
ici dans la mesure où elle a pu concevoir les éléments fonctionnels de
la
structure nécessaire à son développement au moment où ils n’existaient
pas
encore.
Les hommes ne pouvaient pas
se rendre compte à quel point ils étaient mûs par la structure en
devenir. Ils
ne pouvaient pas en percevoir la nocivité, la nocivité de ce qu’ils
créaient.
Là se trouve le problème de la fausse conscience abordée par Marx au
sujet de
la bourgeoisie.
Opposition :
Le structuralisme étudie une réalité ; le
discours est de présenter la structure telle qu’elle se trouve et d’y
enfermer
les hommes. L’anti-humanisme de cette théorie est inévitable.
Variantes :
Beaucoup ont proclamé un dépassement de Marx,
l’ont tenté. Mais souvent n’ayant pas été aptes à percevoir la
structure dans
son ensemble comme Marx parvint à le faire mais avec une terminologie
différente (il parle de concept général de capital, de formule générale
du
capital), ils ont opposé à Marx un élément de la structure que celui-ci
n’avait
pas étudié de façon exhaustive et lui ont donné une dimension telle
qu’elle
réorientait en fait le champ théorique de Marx. Ils ne sortaient pas du
domaine
marxien. On peut dire que ceci est quasiment général. D’autre part,
certains
ont pu reprendre ce que Marx avait plus ou moins évacué au cours de sa
vie, à
cause de son réformisme révolutionnaire et le mettre au pinacle. On put
avoir
ainsi un communisme libertaire, plus ou moins humaniste, personnaliste,
etc.
(Cf. en particulier le débat sur l’aliénation durant tout
l’après-guerre et
commencé, d’ailleurs, lors des années 30 à la suite de la publication
des Manuscrits de 1844).
Perspectives :
tous les possibles ont été éliminés avec cette
réalisation de la structure. Mais il n’est pas dit qu’ils ne puissent
plus être
retrouvés par l’investigation théorico-historique et grâce à nos
exigences
biologiques profondes par suite de l’inadéquation à la vie
« capitalisée ».
En ce qui concerne Marx, il
faudra y revenir, il a surtout expliqué le mouvement intermédiaire,
tout en
ayant perçu les moments extrêmes. Il faut englober Marx, sa perspective
« possible » sur la base de la domination formelle du
capital. Il n’a pas produit une explication de la domination
réelle. Son
communisme, c’est le capital parvenu à l’autonomie.
On doit tenir compte que ce
qui se réalise maintenant sur la base d’un développement économique a
été tenté
par exemple avec le mythe, la religion. Donc l’homme a une dimension
invariante
(le projet-perspective, la tendance, la poussée… a été évacué).
Remarque : il
ne s’agit plus de se subordonner ou de se
soustraire ( ???) à la conscience humaine, la force aveugle du
procès de
production social ; il s’agit de créer un tout autre procès.
Ce projet
peut être celui du capital et son autorégulation, un projet que le MIT
peut
concevoir (cf. aussi Sicco Mansholt, etc.).
Développement :
L’affirmation qu’on a production d’un système,
d’une structure doit être envisagée en rapport avec la question du
despotisme.
Auparavant indiquons que ceci est bien en liaison avec le
structuralisme et
fonde donc la tautologie généralisée, et par là, nous pouvons
réellement
l’envisager dans cette dimension. Mais il faut préciser que
l’utilisation de :
système capitaliste, structure-capitaliste, ne sont que des expressions
recouvrant une partie de la réalité, qui peuvent signifier quelque
chose de
plus important, la communauté matérielle du capital.
L’accession à la
totalité est aussi une expression qui permet de donner une
image pour la
formation de la communauté matérielle. Cette accession s’accompagne de
l’élimination de tous les possibles d’autres mouvements, d’une façon
matérielle
mais aussi théoriquement par le discours terroriste : seul ce
qui est, fut
réalisable et ne pouvait être réalisé (cf. le « tout ce qui
est réel est
rationnel… » de Hegel).
Variation anticipatrice :
On aboutit à une justification
historique, même quand il y a refoulement de l’histoire. Ou bien
l’histoire est
posée comme science. Or, on peut constater que le moment où elle se
constitue
en tant que science est celui l’accession à la totalité. Il est
intéressant de
noter que dans l’antiquité aussi on a tendance à une production
historique
scientifique, car il y a une certaine structuration en fonction de cela
(cf.
aussi le cas d’Ibn Khaldun). L’histoire-science permet de mieux nier
certains
possibles ; ensuite l’histoire est englobée dans la structure.
Les hommes reconnaissent la
structure en tant que telle. Plus d’issue ? Car au-delà de la
société
bourgeoise, apparition claire et nette du MPC en tant que despotisme.
Mais, si
tous les hommes sont à l’extérieur de lui, on peut poser l’homme
lui-même.
Nous avons maintenant la
totalité – dans l’espace et le temps – devant nous. On est allé de
communauté à
communauté, mais dans la mystification-perversion (non dans le sens
moral ; c’est une simple constatation, la perte d’une certaine
voie, avec
dégradation des êtres qui l’empruntent). On ne peut pas se mettre sur
ce
dernier terrain en essayant de contester au capital ce devenir de
l’espèce. Le
capital doit être aussi vu comme une expression de la puissance humaine
en même
temps qu’errance, démence humaine. Ce n’est pas le mal absolu.
On doit donc intégrer la
dynamique des classes, moment où la solution peut venir du particulier
(moment
où justement la structure est en train de s’édifier) parce qu’au fond
la
totalité nouvelle n’est pas produite (devenir à l’intérieur d’une
totalité en
devenir). D’où l’importance de ceux qui posent ou posèrent
simultanément le
phénomène intermédiaire et la totalité à être, même si elle ne fut pas
perçue
de manière adéquate.
Dans le même sens importance
de la démocratie et du socialisme (l’un correspondant à un phénomène
quantitatif de faible envergure, l’autre à un phénomène de masse). D’où
l’importance d’hommes comme Platon et Hegel.
Remarque :
Totalité implique totalité de l’être individuel,
donc destruction de la partialité, mais aussi de la partition.
Variantes : à
partir de là, appréhender la vie à partir de la
vie et non grâce à la médiation d’une réduction-abstraction qui
jouerait
ensuite le rôle d’opérateur reconstructeur de ce qui fut détruit. En
quoi
avons-nous une vie ? Poser la dimension du capital et la
nôtre. Il est
impossible d’abstraire le capital car il ne s’agit pas seulement d’une
parcellisation-destruction mais de la réalisation d’un possible. C’est
le seul
mode d’englober ce qui fut dans sa démence même.
Il faut donc s’autonomiser
vis-à-vis du capital pour se percevoir dans le continuum historique,
temps du
possible et des possibles humains ; mais aussi pour situer la
réalisation
du possible devenant capital. Dès lors c’est bien au-delà de l’ensemble
de la
totalité produite que nous pourrons nous placer.
Nous baignons pour ainsi dire
dans la « noosphère » du capital (monde de
représentations de
celui-ci).
C’est ici qu’on doit réaborder
(car cela doit être traité dans d’autres lieux, moments) ce que Marx
appelle le
travail universel (la science, l’art, les connaissances empiriques
traditionnelles peuvent être matérialisation de ce travail universel),
ce que
Bordiga appelle cerveau social (cf. textes sur le communisme) qui, dans
un
certain sens, est réalisation-extériorisation d’un cerveau et ce qu’on
peut
appeler une conscience sociale.
3 –
Toute l’histoire de
l’humanité témoigne de la tentative, du désir de réaliser un être
unifié de
l’espèce, de produire une conscience sociale non séparée de l’être. Se
percevoir en tant que tout où chacun puisse se retrouver et être dans
le moment
même où chacun atteint à la communauté (Gemeinwesen). Humanité non
séparée de
la nature, en quelque sorte la nature
consciente d’elle-même par l’entremise de l’espèce dont il ne faut pas
faire un
absolu.
A partir du moment où il y a
décomposition des communautés initiales, coupure avec la nature (donc
coupure
dans la communauté, la nature n’étant pas perçue comme un phénomène
extérieur),
il y a mouvement d’unification, de réunification qui peut se faire soit
avec la
volonté d’intégrer tout (mouvement révolutionnaire), soit par
exclusion,
destruction des autres (mouvement dominant qu’il est difficile de taxer
tout
simplement de réactionnaire). Il s’est manifesté ainsi lors de la
formation des
vastes empires perses, des assyriens, des grecs, des romains, des
chinois, des
mongols, de l’URSS actuelle ou des étasuniens, mais aussi sous une
forme
totalement ignoble : le Reich nazi. Chaque fois qu’un tel
empire se forme,
il y a production d’une définition de ce que doit être l’homme (c’est
donc une
élimination).
On se scandalise des nazis
n’acceptant que la soi-disant race aryenne, mais est-ce qu’on n’a pas
cela en
germe chez les grecs se considérant comme les hommes véritables, les
autres
étant les barbares qu’on pouvait mettre en esclavage.
Digression :
même au sein du mouvement qu’on peut qualifier de
révolutionnaire se manifeste l’opportunisme, le réformisme,
l’acceptation du
monde en place :
« Tout le christianisme
des premiers chrétiens a été eschatologique, tous attendaient la
deuxième
parousie du Christ l’avènement du royaume de Dieu. Un christianisme
historique,
une Eglise historique signifient que le Royaume de Dieu n’est pas venu,
signifient un échec, une adaptation de la révélation chrétienne au
royaume de
ce monde » Berdiaev, L’idée russe, p.
203.
Ceci est également valable
pour le mouvement prolétarien, pour le mouvement marxiste ;
les
anarchistes l’ont en général assez ressenti. L’étude historique, la
politique,
surtout, n’est-ce pas l’adaptation de la théorie marxiste en tant que
communisme (son affirmation) du moment où Marx vivait ?
Marx prend son point de
départ chez les communistes français, chez Feuerbach, mais ce qu’il
apporte
d’essentiel, en plus de sa saisie d’un certain nombre de déterminations
du
communisme (et c’est là que cela pose problème pour la donnée
révolutionnaire
elle-même) c’est une explication théorique ainsi qu’une pratique pour
un moment
intermédiaire. La conception matérialiste telle qu’elle est fondée,
formulée
dans la préface de 1859 fonde historiquement tout le mouvement
intermédiaire et
lui signifie un devenir : le développement des forces
productives. La
révolution en tant que changement de mode de vie ne pouvait plus être
affirmée
immédiatement. D’où que faire en attendant ? Que faire en
attendant le
royaume de Dieu pouvait se dire le chrétien, comment puis-je accélérer
sa
venue ? Prosélytisme historique selon Berdiaev.
Que de similitudes avec le
monde antique : anachorètes, ascètes, ceux qui s’en allaient,
etc., font
penser à tous ceux qui à l’heure actuelle s’en vont, font des
communautés, les
jeux du cirque et le sport actuellement ; la drogue devait
exister… On
constate encore plus, à l’aide de ces données, que nous sommes sur le
terrain
de notre adversaire, sur le terrain de la rationalité.
Il est curieux de noter
qu’Engels comparait les communistes aux chrétiens (cf. son article sur
l’Apocalypse). Or, si nous constatons que nous avons au sein du
mouvement
communiste les mêmes phénomènes que connut le christianisme, veut bien
dire que
nous tournons en rond.
On peut noter aussi le fait
que le christianisme triompha dans l’Empire romain et devint religion
d’Etat,
pourtant il n’avait pas triomphé selon ses principes
originaux ! Il fallut
qu’il se radicalise à nouveau en quelque sorte pour qu’il soit
utilisable pour
lutter contre les forces en place ; mais à ce moment-là il y
eut deux
courants : un qui pouvait être lié au christianisme primitif,
très radical
sur le plan agraire par exemple et un autre intégrationniste, faisant
plus que
sa part à César. Le mouvement marxiste communiste connait quelque chose
de
similaire. Le courant dit révolutionnaire n’est qu’à l’intérieur de ce
devenir
là et donc c’est l’impasse, on tourne en rond. Car, le marxisme
religion d’Etat
du MPC est en même temps contestation de celui-ci. Cela signifie bien
que nous
devons envisager une dynamique totalement différente.
Comment la question se pose
dans une aire asiatique ?
Fondement
immédiat et perspective :
la compréhension
du mode selon lequel les communautés primitives se sont dissoutes, peut
aider
et aidera à la compréhension de la dissolution de la
communauté-capital. Dans
celle-ci également il peut sembler qu’il y ait une adaptation
rigoureuse,
stable de l’être humain à son environnement. Etudier pour mieux
contribuer à la
dissolution de la communauté capital.
Il faut éviter ici de reposer
conscience par rapport à l’être. Ce serait raisonner en fonction d’une
coupure
qui serait posée sur le mode l’éternel recommencé.
Contre-point à
digression : le marxisme subit une évolution
comparable à celle du christianisme. Ce dernier triompha au sein du
monde en
place : il devient religion d’Etat ; donc il fut
réabsorbé par le
monde qu’il devait détruire. Ce n’est qu’avec la destruction de
l’Empire romain
qu’il retrouve une force subversive ; mais c’est pour édifier
un monde où
se manifestent encore des conflits de classe. Bien que la société
féodale
puisse être considérée, du moins pour un certain temps, comme une
résorption
des classes. C’est au Moyen-Age que se posera de multiples fois un
retour au
christianisme primitif.
Le marxisme a triomphé et il
est englobé. Au cours de la destruction de la société bourgeoise il
joue et
peut encore jouer un rôle subversif ; mais c’est finalement
pour faciliter
l’instauration d’un despotisme de la communauté capital. D’où diverses
tentatives pour revenir à un marxisme primitif.
Il faut rompre avec tout le
cycle où la représentation se pose sur le mode binaire découlant de la
coupure.
Vis-à-vis des théoriciens qui
ont déjà affirmé l’inanité d’un retour à un Marx originel – par exemple
Korsch
en 1951 – il est important de noter que leur appréhension de l’œuvre de
Marx
était incomplète et que sur leur rupture on ne pouvait rien fonder. Il
pouvait
dire une chose juste ou pouvant devenir juste et se fonder sur des
erreurs.
4 –
Vis-à-vis de ce vaste
phénomène historique (englobant passé, présent, futur ; ce
n’est donc pas
quelque chose d’extérieur à nous et c’est vrai à chaque moment du
devenir de ce
phénomène) il y a deux modes d’appréhension. Une intuitive mystique qui
embrasse d’un seul coup la totalité et tient pour négligeable le moment
présent, l’intermédiaire, la médiation comme on dira ensuite, dans un
procès de
justification, et de ce fait pose l’homme en quelque sorte hors du
temps dans
ce qu’il est Gemeinwesen et individualité (la seconde étant moins bien
perçue,
au départ et, d’autre part, cela n’apparaît pas toujours avec la clarté
indiquée). Ce sera l’élément fondamental de toutes les hérésies[2],
de toutes les théories révolutionnaires, c’est en même temps comme une
révélation de l’invariant humain, le continuum historique. Il semble
alors que
l’homme soit saisi hors du temps, hors de son déroulement. C’est
l’argument
réfutatoire le plus couramment utilisé contre de telles positions. Son
utilisation implique de ne pas se poser la question de savoir si
l’homme n’est
pas, aussi, hors du temps, comme l’espace, etc. C’est-à-dire reprendre
l’attitude de Feuerbach non plus vis-à-vis de la religion mais
vis-à-vis de la
science. C’est l’homme qui fait la science et non l’inverse. Cette
dernière est
devenue dictatoriale ; elle veut définir l’homme.
L’autre mode est analytique
pour ainsi dire, il est apte à vraiment percevoir les discontinuités et
donc
les particularités de la situation du moment. Ceux qui procèdent ainsi,
même
s’ils espèrent un homme autre, le perçoivent dans sa limitation
historique,
etc., ce qui est la base même du discours scientifique. En particulier
lorsqu’ils affirment que l’histoire est une science.
Il est certain que ces deux
modes sont des extrêmes et qu’il y a des gammes intermédiaires. Ainsi
chez Marx
on a les deux types, à deux moments de son approche de la réalité
humaine. Dans
les œuvres de jeunesse, il pose intuitivement mais déjà il est assailli
par le
problème du devenir intermédiaire (legs de Hegel, de
l’aufklärung) ;
ensuite il tendra à une vision analytique mais sans réellement
abandonner le
souvenir de la première illumination.
Un exemple du premier cas,
c’est Feuerbach d’où d’ailleurs les critiques de Marx, mais surtout
d’Engels
fondateur du matérialisme historique.
Correctif :
reprendre veut dire tenir compte et
utiliser-intégrer l’apport de Feuerbach. Il n’est pas question d’être
feuerbachien.
5 –
Le moment des communautés
primitives est celui d’une totalité organique communauté
humaine-nature.
Anticipation :
Il faut d’entrée aborder la réalité car il y a
un danger de réduction à vouloir trouver une instance
déterminante ; il
faut avoir une vision structurelle mais non structuraliste ;
il n’y a pas
de causalité efficace.
On ne peut pas partir d’une
seule donnée : la production (Marx), psychologie (Mead et
Benett),
rapports de parenté (Lévi-Strauss), etc.
Souhait :
avoir une vision-perception des hommes comme
présupposition de toute approche des formes sociales, communautaires.
Réflexion préliminaire :
nécessité de situer le sens de
« société ». Quant peut-on parler des sociétés chez
les hommes ?
Est-ce que ce mot a un sens pour les animaux ? Ne vaut-il pas
mieux parler
de communautés animales ?
Dans le cas où l’on persiste
à parler de sociétés animales, on ne peut éviter la question :
pourquoi
les animaux n’ont-ils pas constitué une société animale qui se détache
de la
nature, qui se fonde dans son être même qui, lui, la poserait et donc
la
constituerait en discontinuité.
Inanité de vouloir absolument
faire coupure homme-nature – bien qu’il y en eut une – séparation
animal-homme.
Il faut détruire tout référentiel supérieur comme inférieur. On peut
dire,
grossièrement, qu’il y a une base animale à comportement humain
-
Pour
la reproduction, avec les parades,
danses, etc.
-
Territoire
et pistes, etc.
-
Structuration
d’une communauté (mais non
hiérarchisation qui implique individu).
Points
d’approche :
5.1
– A partir du
moment où l’on a une espèce placée dans le devenir à l’homme,
Australanthropes
(et la découverte du crâne 1470 ne changerait rien à la chose) on
évolution
biologique parallèle à ce qu’on a appelé évolution
sociale ;
c’est-à-dire que les être humaines évoluent sous l’action de facteurs
internes
– biologiques – et sous l’action de facteurs qu’on pourrait dire
externes
dépendant de leurs relations mutuelles et de leur relation à la nature
(climat) ; la technique non autonomisée joue un rôle
fondamental,
médiateur en quelque sorte.
5.2
– L’étude de la
formation de l’homme doit porter sur les relations station verticale,
main,
cerveau-sens. L’élément trop souvent oublié est le sens ; or
le séparer du
cerveau c’est interpréter la coupure actuelle qui d’ailleurs date ou
commence
lors de la séparation de l’homme d’avec sa communauté, dissolution de
cette
dernière.
5.3
– Il est absurde
de poser l’extériorité d’une façon autonome car homme-nature ne font
qu’un, il
n’y a pas de coupure.
5.4
– Comment les être
se perçoivent dans ce continuum et dans leur séparation participative.
Il
serait faux de penser que l’individu, membre de la communauté, soit
inapte à se
percevoir dans une certaine unité différente de celle des
autres ; mais il
n’y a pas séparation autonomisée, car il y a perception du tout
simultanément.
N’est-ce pas d’ailleurs la propriété du cerveau de percevoir le tout de
même
que le mouvement ; la séparation-coupure sera aussi séparation
des
propriétés.
5.5
– Ces êtres ont
une activité cérébrale (ce qui donnera la représentation) mais elle
n’est pas
séparée. Ceci nous amène à reposer la question de la nature de l’animal
assimilé depuis Descartes à un automate ; il est important de
remarquer
que ceux qui s’opposent à lui restent sur son terrain, acceptent la
dichotomie.
Or, on ne peut nier qu’il y ait une ébauche de représentation chez les
animaux.
D’autre part, il est important de noter que l’on applique d’abord à
l’animal ce
qu’ensuite on applique à l’homme. Donc la réduction de l’animal à un
automate
préfigure celle de l’homme.
5.6
– L’éthologie tend
à ramener l’homme à l’animal lui-même saisi au travers de la
représentation de
l’homme actuel. Cf. par exemple la théorie de l’agressivité de Lorenz.
La
notion de territoire qui a pris une grande vogue est une justification
de la
propriété privée et de l’agressivité. Ne pourrait-on pas concevoir que
l’animal
délimite pour se reconnaître dans un univers bien déterminé ;
un
espace-temps concret lui est nécessaire pour être. Ici on pourrait
prendre le
cas des abeilles et constater qu’elles ont un autre mode d’être[3].
5.7
– Avec l’Homo
sapiens, il y a 40 000 ans au minimum, on a un être qui
biologiquement est
identique à l’homme actuel. Nous voulons surtout tenir compte ici du
cerveau.
Comment un tel être pouvait-il se satisfaire d’une réalité
immédiate ?
Dans
une certaine mesure l’évolution « intermédiaire » est
période de
connaissance du cerveau ; l’homme doit se connaître lui-même.
Remarques :
parler de
mouvement intermédiaire c’est dans une certaine mesure revenir à une
représentation hégélienne. Toutefois cette forme globale peut être
identique
mais le point essentiel est en quelque sorte celui de la nécessité
d’une telle
phase, de sa finalité, de son déterminisme. C’est là qu’on pourra
réellement poser
la discontinuité par rapport à Hegel. Pour le moment il est important
de situer
ce qui est « apparemment » dans ce mouvement
intermédiaire, le
constitue :
-
Développement
au cours d’une
extériorisation des éléments qui ont été perdus. Le capital peut
dominer le
temps, ne veut-il pas en quelque sorte dominer quelque chose de
perdu ?
-
Les
phénomènes irrationnels (intuition,
surtout ce qui se rapporte au shamanisme etc.) sont possibles quand
l’homme est
lié à la nature ; lorsque les hommes sont isolés, ils sont
étudiés en tant
que phénomène séparés ; l’homme parviendra-t-il par ce détour
à se
connaître ? De même pour l’investigation du monde naturel –
éléments
d’explication du moment intermédiaire (Cf. à se sujet Le
monde magique de De Martino).
-
Pour
produire une conscience impliquant une
connaissance de tous les liens des hommes entre eux et avec la nature,
il
semble qu’il faille qu’il y ait destruction ; la connaissance
est dès lors
déterminée par un manque ; mais par là, on accéderait à la
conscience
réflexive (Réflexivité = tautologie dans la mathématique, dans la
logique et
aussi un artifice du discours pour combler un vide de la structure).
-
Produire
une conscience sociale, totalité
où il se retrouverait comme vis-à-vis de la nature ; comme un
écosystème où
chacun serait à sa place et simultanément les idées atteindraient à
l’existence
et seraient comme des espèces subissant les mêmes lois (sélection par
ex.),
comme le pense Monod (Le hasard et la
nécessité).
Quand
on parle de mouvement intermédiaire on fait appel à l’histoire.
Celle-ci est
posée en tant que science pour expliquer le mouvement intermédiaire, le
justifier et permettre la prévision d’une autre période.
Histoire-science
pose : déterminisme, nécessité, finalité.
Ceci
est en liaison avec action, intervention et même manipulation (Cf.
Stalinisme
et 1984).
Souhait :
Il faut une
aperception de la vie passée non séparée du moment présent et futur.
Réflexion ?
Mais
alors on pose effectivement le « projet » communiste,
on le pose
volontairement, passionnellement, car question de vie ou de mort. Il ne
faut
pas le poser comme une structure dont les prémisses seraient dans le
lointain
passé ; on ne ferait qu’un décalque au devenir du capital et
du capital
réalisé.
Investigation :
ne peut-on pas
observer des causes-forces qui tendent au communisme ; données
biologiques
qui ne sont pas simple substrat mais un élément du tout.
Autre
approche :
On doit réfléchir
sur le mouvement de séparation (parfois individuation) et
d’autonomisation dans
le devenir des êtres vivants et de l’espèce humaine.
Il
y a
évolution quand il y a une certaine autonomisation (le mouvement qui
pose
extériorité-intériorité est un mouvement de séparation) de l’être
vivant par
rapport au milieu. On peut voir ce phénomène dans la lignée des
vertébrés
(acquisition des annexes embryonnaires) comme dans celle des
invertébrés où des
végétaux. Chez tous les êtres vivants il y a tendance à production d’un
milieu
intérieur. Dans la mesure où l’être vivant parvient à une certaine
autonomie
par rapport au milieu, il peut avoir comme un mouvement-devenir pour
lui. C’est
une autre façon d’expliquer l’autonomisation. Mais celle-ci n’est pas
rupture
avec le milieu bien que ce mouvement puisse aboutir à la formation
d’une
nouvelle espèce. Autrement dit en quoi l’espèce humaine effectue une rupture l’empêchant de se retrouver dans
son milieu et sa Gemeinwesen ? Il faut préciser le rapport
autonomisation
et acquisition d’une autonomie, d’une individualité dans le cas de
l’espèce
humaine.
Dans
le
cas de l’évolution des vertébrés, on peut reprendre l’œuvre de
Leroi-Gourhan : il y a séparation au sein du champ antérieur,
partie
masticatrice de la partie préhensile et une autonomisation de la
seconde (le
langage devient ensuite médiation de reconstitution de
l’unité ?). Comment
avec la technique il y a rupture, cassure faisant en sorte que
l’autonomisation
aboutit à quelque chose non seulement d’autonome mais d’antagonique.
Evidemment
on peut considérer la question autrement : le capital grâce à
la technique
devient une autre nature et les divers moyens techniques ne sont au
fond que
des organes d’adaptation à cette nature. Cela ne fait que reculer le
problème.
La
séparation de la nourriture et de la sexualité avec autonomisation des
deux est
un autre exemple probant que l’on doit traiter simultanément à la
séparation
des sens et autonomisation de la vue (Cf. à ce dernier sujet Mac Luhan La Galaxie Gutenberg et Pour
comprendre les médias).
Makarius
montre l’importance de la nourriture chez les hommes, peut-être
l’élément de
liaison, cohésion fondamentale originelle. La parenté est en quelque
sorte
saisie par l’entremise de la nourriture. Sont frères et sœurs ceux qui
mangent la même
nourriture. Celle-ci
définit même la communauté. Ceci perdure jusqu’à nos jours et explique
le
fanatisme des gens en ce qui concerne la bouffe. Celle-ci détermine
l’appartenance a ou l’exclusion de ce qui est posé come humanité
(Homère :
l’homme ce mangeur de pain !) ; cf. rapport
mariage/banquet ;
alliance/banquet et cela se répercute dans la diplomatie ; cf.
aussi
rapports sacrifice et banquet, cannibalisme rituel, etc.
Le
tabou touche d’abord les organismes de préhension de la nourriture
avant de
toucher les organes sexuels (cf. survivance chez les arabes et autres
peuples…) ;
l’inceste est d’abord nutritionnel avant d’être sexuel. Cela détruit la
base
anthropologique de Freud sans supprimer une partie de son
problème ; de
même que cela limite énormément ce que peut dire Lévi-Strauss.
Interpénétration
de langage amoureux et du langage alimentaire, surtout maintenant dans
l’argot.
De
même
relation jeûner contre quelqu’un ou pour une cause donnée et ascétisme
sexuel
dans sa relation à un monde donné qui est remis en cause.
Le
Banquet de Platon : rapport entre communion alimentaire et
amour ; la
cène et la communion chez les chrétiens et les juifs.
Donc
peur de l’inceste est peur de manger, ensemble, la même
nourriture ; la
séparation nourriture-sexe pose l’autonomisation de la sexualité, qui
ne sera
jamais absolue.
Autre
mouvement de séparation : celle de l’affectivité générale
vis-à-vis de la
sexualité, de la sexualité par rapport à la reproduction (ceci est un
avantage
pour l’individu qui peut jouir de lui-même sans être piégé).
Remarque
anticipatrice :
les multiples
séparations bases aux diverses autonomisations écartèlent l’être qui
n’arrive
plus à dominer ces différents phénomènes, d’où la nécessité de produire
des
médiations externes qui recomposent l’unité (religion, idéologie). Il y
a là la
racine profonde de toute « folie » sous ses
composantes purement
sexuelles ou sous des formes autres ; c’est ce qui engendre
l’angoisse
structurale de l’homme moderne, ce qui pose sa remise en cause
existentielle,
sa présence au monde et réciproquement lui fait poser doute de la
réalité de
celui-ci. Dans certains cas, ne peut-on pas considérer le génie comme
une
adaptation à un type bien déterminé de mouvement
d’autonomisation ; la
preuve en est que cela peut aboutit à un déraillement absolu :
l’individu
devient fou et ce d’autant plus qu’il rêvait à une unité supérieure
(cf. le cas
de Nietzsche).
On
a
avec Freud, Reich, etc., mit en évidence la répression sexuelle et
comment
en réprimant la sexualité on parvenait à rendre les être humains adéquats
au
principe de réalité, c’est-à-dire à la société en place. On n’a pas mis
en
évidence le rôle tout aussi important de la répression alimentaire dans
la
domestication. De plus cela s’accompagna souvent d’une imposition
alimentaire.
Ainsi les récompenses alimentaires (bonbons, gâteaux) mais aussi les
nourritures rituelles. De plus, importance des manières de table (je
n’ai pas
lu le livre de Lévi-Strauss sur ce problème) qui sont les rituels de la
famille
(nécessité de manger à certaines heures et selon certaines règles et
avec
certains ustensiles). Cet aspect de la question revêt à l’heure
actuelle une
importance primordiale car on se rend compte à quel point
l’alimentation est
inadéquate et qu’avec le végétarisme les caractères alimentaires de
l’homme
sont remis en cause (l’homme ne serait pas un omnivore). Cette théorie
a un
intérêt dans la mesure où elle retrouve la vieille conception
pythagoricienne,
elle-même legs de l’Orient, des peuples cueilleurs.
À ce
propos cette théorie nous est peut-être accessible (et a pu parvenir
jusqu’à
nous) parce que les peuples cueilleurs de l’Inde n’ont pas été
exterminés et,
lorsqu’ils ont été éliminés, leurs antiques conceptions se sont fondues
dans la
totalité de la représentation hindoue.
Comment
comprendre persistance de la cueillette à côté de la chasse, de la
sédentarisation (élevage, agriculture) ? Les hommes ne se
percevaient-ils
pas pleinement hommes déjà ? N’y a-t-il pas au fond incapacité
de
communiquer entre les différentes ethnies placées dans des modalités
différentes de vie (comme s’il y avait différentes humanités). C’est là
qu’on
retrouve aussi la question de la soi-disant infériorité des
« primitifs » ce qui est remis en cause (articles de
« La
Recherche », de même cf. un travail d’un étasunien Marshall
Sahlins dont
les extraits sont parus dans « Le sauvage » n°12,
1974).
6
– La coupure, la
discontinuité sera pensée à travers le mythe, la philosophie, la
science. On
peut mieux dire en disant qu’elle sera représentée. Il y a un procès de
réduction de plus en plus en grand, pour aboutir à
l’appauvrissement-séparation
achevé.
La
coupure pose le mysticisme, l’empirisme, le rationalisme, le réalisme.
Rapport
à la religion : elle postule une certaine transcendance, mais
l’homme est
désormais enfermé dans sa nature. En un certain sens les hommes peuvent
ensuite
vouloir être nature ; phénomène de réaction qu’on retrouvera
sous une
forme extraordinairement modifiée parce que médiatisée par l’homme
lui-même,
avec le mythe du bon sauvage. Cf. aussi la question du droit naturel.
Empirisme :
isolement d’une activité (sensibilité) qui est réduite, c’est-à-dire
que son
support actif est limité aux sens ; elle est un moyen de
récupérer
l’activité des êtres ; elle se pose contre la soumission à une
idée, mais
s’enferme souvent dans cette opposition (cf. lutte contre théologie,
dogmes,
despotisme).
Critique
de Kant à Hume : cette activité tend à faire dépendre l’être
de
l’extérieur, c’est-à-dire qu’il est toujours constitué de
l’extérieur ; il
n’y a pas de réelle intériorisation. Il ne peut pas y avoir d’invariant
sinon
l’aptitude à réceptionner la réalité.
Pour
dépasser l’empirisme il faut une autre communauté donc un moment où il
n’y ait
plus de dissociation, plus d’activité dominée par l’autonomisation. La
science
n’est alors qu’un cas particulier, une méthode possible, un moyen
possible ;
elle n’est jamais une fin (argument facile, mais nécessaire).
Il
en
est de même de la théorie, car elle aussi s’autonomise et devient
souvent
contraignante (phénomène de domestication).
Réalisme :
pose une isomorphie entre réalité et connaissance, cf. Piaget, Biologie et connaissance humaine.
Matérialisme,
idéalisme, spiritualisme ne sont pas des déterminations par rapport
auxquelles
on aurait à prendre position car se sont des réductions.
Marx
se
dit matérialiste ; cela dérivait de la nécessité d’expliciter
l’instance
déterminante dans l’activité sensible des hommes (rapport entre sphère
de la
vie matérielle – nécessité et sphère de la liberté). Feuerbach refuse
tout
qualificatif à l’exclusion de celui de communiste.
Matérialisme,
spiritualisme, etc., indiquent tous les possibles de la structure au
moment où
elle tendait à se constituer ; nous voulons dire par là aussi
qu’elle
aurait pu ne pas le faire.
7
– Chaque
communauté prétendait réaliser l’espèce. L’humanité finissait là où
terminait
l’ethnie. Ceci d’autant plus que les ethnies pouvaient se trouver à des
stades
différents, biologiques, sociologiques, etc. (problème d’une niche
écologique,
phénomène similaire sur le plan spirituel !!?). De plus il
faut tenir
compte que c’est en progressant, en acquérant de nouvelles techniques
que les
hommes ont pu vivre dans des régions variées, même dans celles où, au
départ,
ils avaient de faibles chances de survie.
À partir de quel moment les individus sont séparés d’eux-mêmes ;
saisir
la « réalité objective » au travers de divers
représentations qui
lui sont liées.
Surgissement
de la valeur en tant que résultat de la dislocation et en tant que
perception
d’une unité extérieure ; ceci dans la mesure où l’on conçoit
la valeur
comme une totalité, sinon la valeur comme phénomène de réduction d’une
autre
réalité qu’il n’est plus possible de percevoir, d’envisager ;
la valeur
n’en serait qu’un lointain souvenir ; elle manifesterait qu’il
peut y
avoir souvenir de quelque chose d’autre.
C’est
ici
qu’il nous faut aborder le phénomène équivalent général comme ayant été
réalisé
dans d’autres domaines : tabou, dieu par exemple. Et il faut
noter le lien
entre valeur et magie ainsi qu’avec
« religion » : structure
verticale de la société : argent et or allaient à la divinité.
D’où aussi
rapport équivalent général, dieu et conscience. Il est important de
noter les
divers systèmes de valeur : la vérité et les vérités (les
approximations,
les mensonges et les erreurs). Les vertus.
Justice
et droit : bien et mal – loi morale ; Jugement.
Liberté
– nécessité.
Raison
(cf. Kant et tout l’Auklärung avec position de Leibniz à situer) et
folie.
Bonheur
et félicité (eudémonisme avec en quelque sorte une variété,
l’hédonisme).
Nature :
joue un rôle d’opérateur de justification (en tant qu’abstraction c’est
bien un
équivalent général).
Amour ???
Tous
sont moments d’une perception cognitive des hommes entre eux. Leur
perception
dans leur multiplication (accroissement démographique est une question
importante). D’autre part tous sont soumis à la binarité. D’où le
système des
valeurs est en rapport à métaphysique (Voir Ethique
à Nicomaque d’Aristote) en tant que logique et mouvement de
la valeur, de
toutes les valeurs ; pose la dichotomie, les antinomies, les
binaires. La
dialectique et tout particulièrement celle de Hegel ne parvient pas à
échapper
à ce carcan.
Faillite
de tous les rêves fondés sur peuples, nations, de même pour la
classe ; ce
qui impose la nécessité de perdurer dans une communauté qui exclue les
autres
ou les soumet à elle spirituellement ; France et grande
nation, Russie et
messianisme de la 3° Rome ; E.U. : American way of
life (trouver la
voie du salut pour l’humanité) ; Allemagne et problème nazi
qu’on ne peut
séparer totalement du problème de l’humanisme en Allemagne ;
les chinois
etc. Il n’y a pas non plus de génération élue.
Cette
faillite est celle d’un équivalent général : les autres
auraient trouvé
leur identité en se mirant dans le modèle proposé.
De
même
en ce qui concerne ceux qui veulent fonder la vie autour d’un seul
élément : sentiment, raison, travail, etc. ; un seul
centre de
polarisation de la vie.
8
– Les luttes entre
ethnies (communautés) n’ont pas été appréciées à leur juste
importance ;
en revanche celles entre peuples donnent théorie hégélienne de
l’histoire,
celles entre classes celle de Marx. Dans quelle mesure on a là un
procès
d’unification ? Chaque moment : ethnie, peuple,
classe peut être
englobé (ainsi du problème régional actuel qui est une résurgence d’un
problème
ethnique). Rien n’a été résolu. En ce sens Qohélet a raison :
rien n’est
nouveau sous le soleil.
Il
y a
toujours un procès d’englobement de la part de l’ethnie, du peuple,
etc., voire
de destruction pour affirmer le « vrai ». Cela
implique conscience
ethnique, d’une classe.
La
saisie de l’unité, la manifestation d’une certaine conscience, est
donnée par
la formation de ce que nous nommons équivalent général, un tabou
général (cf.
ceci au travers des mythes ; voir les explications de
Makarius) ; en
même temps que le mythe reconstruit la communauté à partir de la
coupure, de la
phase de décomposition.
La
philosophie joue ensuite ce rôle pour une communauté plus réduite
( ?),
plus autonomisée qui est pleinement infestée par l’Ètat : la
polis
grecque. Avant la religion assura cette fonction dans diverses
civilisations
(modes de production). Avec la société bourgeoise la communauté est la
nation
et l’équivalent général est l’Ètat représentation (Esprit équivalent
général
chez Hegel). Toutefois il y a un mouvement dont il faut tenir compte et
qui est
à cheval sur plusieurs siècles, sur différentes civilisations, c’est
celui de
la valeur et avec argent on a équivalent général, une
communauté :
phénomène fort perceptible dans l’Italie de la Renaissance :
Galiani etc.,
et en Espagne ?
Rappelons :
équivalent général = réalisation d’une exigence de l’espèce (cf. dieu,
par ex.)
comme une modalité d’être extériorisée de l’espèce. Marx ne parvient
pas à
poser ce phénomène, contenu dans le devenir de l’espèce.
9
– Poser la communauté
homme-nature dans sa totalité, puis sa dissolution comme moments
importants de
la compréhension de notre histoire toujours conçue comme ce qui fut,
n’est pas
suffisant ; l’activité sensible des hommes n’est pas intégrée.
On ne peut
pas laisser en dehors de notre perception historique d’espèce le mode
selon
lequel les hommes se sont perçus dans leur totalité et comment ils
pouvaient se
situer dans ce que nous saisissons à postériori comme le devenir.
Pour
agir il faut affirmer ce qui est. C’est-à-dire savoir
importance
respective relative, ne serait-ce que dans la succession, concaténation
des
mouvements, des gestes, des mots, etc.
Pas
de
hiérarchie, même au sens religieux. Le culte des morts, des diverses
divinités
étaient éléments intégrants de la totalité vécue et avaient autant
d’importance
que la base matérielle.
Intermède :
modes d’approche.
Il y a un certain
nombre de points où la théorie de Marx est objectivement remise en
cause :
-
Rôle
du prolétariat, sa mission, mais par
là aussi effectivité de la lutte des classes ; durant quel
laps de temps
est-elle opérante, déterminante ? Dans quelle zone s’est-elle
réellement
développée ?
-
Problème
des crises et autonomisation
réelle du capital.
-
Le
capital recompose l’homme.
De
là,
deux façons de poser la question (en ajoutant la question même de la
valeur,
cf. lettres de Jean-Louis).
Marx
n’a pas pu comprendre la totalité du mouvement du capital parce qu’au
départ sa
saisie-définition de la valeur est réductrice. Il nous faut donc partir
d’une
saisie plus vaste.
La
valeur dans son acceptation plus large aurait été toujours immanente,
comme
quelque chose que les hommes poursuivaient sans pouvoir le réaliser, et
ce
n’est que le capital qui le fait et donc en ce sens, c’est bien la
valeur qui
est sujet. Elle devient apparente et non plus sous-jacente et
parcellarisée.
Fragment
d’une objection :
mais alors ce que
voulaient et veulent les hommes est totalement réalisé par le
capital ; il
n’y a rien en dehors, comment peut-on en sortir ?
Ou
bien :
Marx
a exposé
un phénomène de réduction réel : la valeur est du travail et
est mesurée
par le temps de travail. Mais l’autonomisation de la valeur d’échange
produit
quelque chose de nouveau, le capital, qui dérive de la séparation de
l’homme
d’avec ses moyens de production ; d’où coupure dans ce
phénomène valeur.
Il abolit ensuite cette coupure en reconstituant une unité. En quelque
sorte le
phénomène antérieur est englué à la nature même si l’homme s’est séparé
d’elle ; la rupture effective se produit avec le capital et à
partir de là
commence un phénomène nouveau où l’homme perd de plus en plus de son
importance. En effet, dans le mouvement de la valeur, l’homme était
encore
opérant, sujet, dans le capital il est objet, manipulé. Le capital dès
lors
utilise toutes les productions de l’homme, et le cycle naturel pour le
dominer.
10
– Comment les
êtres humains se déterminent-ils par rapport à leur totalité
base-substrat,
plus précisément enveloppe globale, sinon on risque de réintroduire une
dichotomie infra et superstructure. Se pose donc la faculté de juger.
Sans le
cas du mot allemand URTEILEN il y a une idée intéressante de partage
originel.
A l’origine il y a une séparation qui permet de discerner, de
distinguer,
délimiter. On aurait perception de particularités dans le général qui
les
laisserait immergées en lui.
Ce
phénomène se produira ensuite autonomisé dans les divers
secteurs-moments de la
vie de la communauté ; d’où les différents mouvements de la
valeur et des
différents équivalents généraux ; explosion de la
totalité ! Juger =
prendre position par rapport à une réalité donnée ?
Quand
il y a coupure avec communauté : valeur englobant donnée
matérielle et
subjective ? (Ceci peut être un premier temps de l’explosion
elle-même).
Comment
appréhender (prise de position par rapport à) rapport entre les hommes,
avec la
nature. Il y a un continu. Mais on ne peut à chaque instant tout
dominer, tout
transmettre, tout opérer, dès lors il y a un découpage dans la réalité.
C’est
en rapport avec juger qu’il y a pouvoir car le bien de prestige et
d’ostentation est élément du pouvoir. Mais n’est-ce pas aussi
transcendance des
hommes c’est-à-dire possibilité d’aller au-delà de l’immédiat. Pouvoir
et
hiérarchie vont être des éléments de perception des hommes entre eux.
[1]
Le rejet de la théorie du prolétariat,
l’affirmation de la dimension biologique de la révolution etc.,
conduisirent
les camarades produisant Invariance à essayer de préciser et d’exposer
une
certaine représentation positive du devenir de l’humanité, de la venue
de la
révolution, de l’accession au communisme. On avait fait une vaste
brèche dans
la représentation révolutionnaire dominante et l’on constatait
l’immensité des
sujets qui inévitablement se présentaient à nous. Afin d’ordonner un
peu nos
idées et de faire en quelque sorte le point nous nous réunîmes
Jean-Louis,
Henri, Jacques d’Avrillé et moi-même en juillet 1973 dans les Pyrénées.
Je pris
des notes de nos diverses discussions et je les rédigeais en octobre de
la même
année en mettant en avant mon propre point de vue. Ce furent les
« Thèses
provisoires ».
Dans un premier temps, je pensais
les reprendre et leur donner, avec des ajouts et des développements
conséquents, une forme plus précise. Elles ne pouvaient être, dans tous
les
cas, qu’un moment de réflexion, l’indication d’une prise de direction
nouvelle.
Divers travaux, dont la traduction des textes de Bordiga, la rédaction
de la
préface à Structure économique et sociale
de la Russie d’aujourd’hui ainsi que celle à Russie
et révolution dans la théorie marxiste intitulée La révolution russe et la théorie du
prolétariat ne me permirent pas de réaliser cet objectif. Et
puis, surtout,
ces thèses ouvraient des perspectives très vastes ; presque
chaque jour de
nouveaux domaines se révélaient. Aussi à un certain moment je réalisais
qu’il
ne serait plus possible de les publier même en les mettant à jour. Je
renonçais
donc à le faire d’autant plus que rédiger des thèses ne me convenait
pas car
cela ne correspondait plus à notre mode de concevoir une activité
théorique, de
la transmettre.
Toute l’activité qui s’est développée à partir de ces « thèses » – résumé de réflexion multiples – est très diversifiée et ne peut encore rien donner d’extériorisable étant donnée l’immensité et la difficulté des sujets étudiés. On doit non seulement aborder un domaine nouveau mais il faut une approche nouvelle, puisqu’il s’agit de remettre en question toute notre représentation. Aussi en attendant de présenter des travaux plus élaborés concernant la nouvelle voie que l’humanité doit entreprendre, je publie ces « thèses » car elles constituent réellement – tout au moins pour moi – un nouveau point de départ. (J. Camatte, Mai 1976)
[2] D’où l’importance de l’étude des mystiques, hérétiques, gnostiques et des adeptes des diverses sciences occultes.
[3]
Le temps et l’espace – au début unis –
interviennent dans l’élaboration de la représentation, dans la
conception du
monde. Les êtres humains ne peuvent pas vivre sans se représenter le
domaine
spatial où ils déploient leur vie, car il s’agit de pouvoir se
percevoir, se
situer, se retrouver, de savoir sa présence au monde, le plus réduit
soit-il.
D’où la notion de cosmos et de mir : lieu d’implantation de la
tribu et en
même temps univers. Toutefois, il y a chez l’homme, simultanément, une
interrogation cosmique, comme le dénotent les
« religions »
ouraniennes, les constructions des peuples mégalithiques, les
cosmogonies de
Ptolémée, Kepler ou celle des modernes.
Est-ce que l’on ne retrouve pas ici
le problème du territoire qui n’est plus saisi simplement de façon
matérielle
mais grâce à une intuition sensible et à une abstraction ?
Les animaux et l’Homme n’envisagent
pas le territoire en tant que simple quantité discrète d’espace, mais
en
fonction d’un tout où ils sont inclus. Du fait de notre extériorité
actuelle,
nous envisageons un type de comportement comme impliquant
nécessairement un
phénomène de délimitation d’espace, un phénomène d’appropriation
privée. En
outre cet espace n’est appropriable, au sens d’intégration dans
l’individualité, qui, ainsi, peut se percevoir dans un domaine donné,
qu’à
travers la durée. Il n’y a pas d’espace sans temps, ce d’autant plus
chez les
animaux où l’ « horloge biologique » fonctionne
parfaitement. L’espace
se détermine par le temps vécu.
Il sera intéressant de montrer que
si on a fait beaucoup de recherche pour montrer qu’avec la domination
du
capital il y a spatialisation quantitative du temps et donc destruction
de la
durée, on n’a pas mis en évidence la destruction de l’espace par
l’entremise du
temps (Marx).
Nous reviendrons sur ces points dans une étude sur la représentation. (Note de Mai 1976)