Thèses provisoires

 

 

 

 

                   Il ne s’agit pas d’écrire des thèses linéaires, s’enchaînant implacablement pour finalement dicter, imposer une conclusion nécessaire. Procéder ainsi serait emprunter la voie d’une mutilation-réduction : la pensée linéaire celle qui se coupe de toutes les autres voies pour être sûre d’être toujours ce rail fixe, conduisant réellement à la prédestination de l’être[1].

                   Je ne veux pas dire qu’il faille produire un discours incohérent, plein de contradictions élémentaires, pour le simple plaisir d’apparaître multiple. Il faut produire les différents moments d’une réflexion avec toutes leurs harmoniques. C’est pourquoi nous parlerons de points de repère, de points de passage, de contre-point… Car au moment où la première thèse est énoncée elle suppose déjà toutes les autres ; il faut donc que le lecteur puisse déjà sentir les multiples implications, vibrations qui naissent lors de son énoncé.

                   Chaque thèse suppose le tout et n’a de sens qu’au sein de lui, le tout privé de cette thèse est détruit. Il faut donc tendre à énoncer la thèse et le tout simultanément. Voilà pourquoi on parlera de corollaire, d’anticipation, d’évocation, réflexion-méditation, de digression, afin de rendre sensiblement présent le tout qui n’est pas chaque exposé. Par là je pourrais faire appel à toutes mes possibilités et à toutes celles de ceux qui me liront. Ce faisant, j’éveille en vous, je désire en vous l’éveil de toutes vos potentialités pour vous mettre à l’écoute, à vision, à sensation généralisée ainsi qu’en situation de pensée multiple de notre réalité, de notre devenir. Réciproquement – car il y aura un décalage entre mon écrit et votre lecture – par votre simple attitude, comportement d’absorption intellectuelle-sensorielle de ce que j’aurai produit, vous serez appel pour moi à mes potentialités. Un écrit doit exalter nos êtres, tendre à détruire la passivité.

                   Quand vous lirez vous reprendrez ces points, contre-points et vous les agencerez en fonction de vos êtres, de vos vies, immédiats, historiques, dans leurs excroissances, variées, multiples. Vous pourrez changer certains points, en produire d’autres… Alors nous dialoguerons multiple. Je ne serais pas celui qui produit du « théorique » mais celui qui participe avec vous d’une passion : le communisme.

 

                   1 – Il y a nécessité d’une affirmation nette, d’une prise de position non seulement par rapport au moment présent mais par rapport à toute l’histoire de l’humanité (déroulement de la vie de l’espèce sous toutes ses formes) et par rapport à la nature, l’une et l’autre saisies dans leur unité et dans leur séparation historique.

                   Il n’est pas question d’un manifeste, d’une proclamation mais de cerner le moment où nous sommes dans sa particularité et par là de réaliser vraiment le dépassement de la phase intermédiaire, celle entre moment communautaire initial et celui à venir. Car on ne peut réellement dépasser qu’à partir du moment où l’on est en dehors de la dynamique du mode de production actuel ; de même en ce qui concerne Marx. Rester à l’intérieur n’a d’intérêt que pour porter à bout les contradictions, pour faire révéler le contenu ; sinon on aboutit à une pensée bricoleuse, utilisant les moments de dépassements de Marx pour les combiner à une représentation (ou plusieurs) de ce qui se déroule à l’heure actuelle.

                   Remarque : dans l’Idéologie Allemande Marx critiquait les jeunes hégéliens parce qu’ils ne s’affrontaient pas réellement aux présuppositions de Hegel, mais essayaient de dépasser en utilisant un élément de philosophie pour l’opposer au reste, ce qui revenait à un développement unilatéral de Hegel.

                   Evocation : Bordiga disait qu’il fallait procéder comme si la révolution communiste avait déjà eu lieu.

                   Fondement immédiat : l’étude approfondie des positions de Marx en liaison avec le devenir actuel montre que ce que Marx posait comme communisme, le fameux mode de production nouveau, supérieur, a été réalisé par le capital ; dès lors il y a bien l’impasse d’où il faut sortir.

                   Souhait : ne pas s’abandonner au pessimisme ni s’immerger dans qu’est-ce que je deviens ? qui est fermeture sur les autres. On s’isole dans son individu, dans sa communauté, dans sa théorie, sa pratique ou dans son activisme.

                   Précision : le continu c’est l’immobilité, il y a perduration d’un donné. Le discontinu c’est la mobilité ; il y a apparition de quelque chose de nouveau. Ceci doit être analysé en rapport à aliénation et progrès.

                   But : produire notre autonomisation par rapport au capital, perdre toutes les catégories de celui-ci. Or, on ne peut faire cela qu’en rejetant tous les présupposés du capital ; c’est là qu’on est amené à percevoir la structure dans son établissement dans le temps et sa réalisation actuelle, son extension pour ainsi dire spatiale.

 

                   2 – Cette tentative de faire le point, de cerner notre devenir autre à partir du moment où nous rompons les amarres avec toute la représentation marxienne (et avec tout ce que cela implique) est possible parce que maintenant nous sommes en présence de la structure achevée. C’est-à-dire que ce qui commence à s’édifier avec l’autonomisation de la valeur d’échange s’est maintenant constitué en une réalité totalitaire que nous pouvons parfaitement étudier dans sa synchronie mais qui a pour fondement aussi de prétendre à une prédestination-préformation depuis 2 ou 3 millénaires.

                   Digression : L’anticipation effectuée par les hommes a joué ici dans la mesure où elle a pu concevoir les éléments fonctionnels de la structure nécessaire à son développement au moment où ils n’existaient pas encore.

                   Les hommes ne pouvaient pas se rendre compte à quel point ils étaient mûs par la structure en devenir. Ils ne pouvaient pas en percevoir la nocivité, la nocivité de ce qu’ils créaient. Là se trouve le problème de la fausse conscience abordée par Marx au sujet de la bourgeoisie.

                   Opposition : Le structuralisme étudie une réalité ; le discours est de présenter la structure telle qu’elle se trouve et d’y enfermer les hommes. L’anti-humanisme de cette théorie est inévitable.

                   Variantes : Beaucoup ont proclamé un dépassement de Marx, l’ont tenté. Mais souvent n’ayant pas été aptes à percevoir la structure dans son ensemble comme Marx parvint à le faire mais avec une terminologie différente (il parle de concept général de capital, de formule générale du capital), ils ont opposé à Marx un élément de la structure que celui-ci n’avait pas étudié de façon exhaustive et lui ont donné une dimension telle qu’elle réorientait en fait le champ théorique de Marx. Ils ne sortaient pas du domaine marxien. On peut dire que ceci est quasiment général. D’autre part, certains ont pu reprendre ce que Marx avait plus ou moins évacué au cours de sa vie, à cause de son réformisme révolutionnaire et le mettre au pinacle. On put avoir ainsi un communisme libertaire, plus ou moins humaniste, personnaliste, etc. (Cf. en particulier le débat sur l’aliénation durant tout l’après-guerre et commencé, d’ailleurs, lors des années 30 à la suite de la publication des Manuscrits de 1844).

                   Perspectives : tous les possibles ont été éliminés avec cette réalisation de la structure. Mais il n’est pas dit qu’ils ne puissent plus être retrouvés par l’investigation théorico-historique et grâce à nos exigences biologiques profondes par suite de l’inadéquation à la vie « capitalisée ».

                   En ce qui concerne Marx, il faudra y revenir, il a surtout expliqué le mouvement intermédiaire, tout en ayant perçu les moments extrêmes. Il faut englober Marx, sa perspective « possible » sur la base de la domination formelle du capital. Il n’a pas produit une explication de la domination réelle. Son communisme, c’est le capital parvenu à l’autonomie.

                   On doit tenir compte que ce qui se réalise maintenant sur la base d’un développement économique a été tenté par exemple avec le mythe, la religion. Donc l’homme a une dimension invariante (le projet-perspective, la tendance, la poussée… a été évacué).

                   Remarque : il ne s’agit plus de se subordonner ou de se soustraire ( ???) à la conscience humaine, la force aveugle du procès de production social ; il s’agit de créer un tout autre procès. Ce projet peut être celui du capital et son autorégulation, un projet que le MIT peut concevoir (cf. aussi Sicco Mansholt, etc.).

                   Développement : L’affirmation qu’on a production d’un système, d’une structure doit être envisagée en rapport avec la question du despotisme. Auparavant indiquons que ceci est bien en liaison avec le structuralisme et fonde donc la tautologie généralisée, et par là, nous pouvons réellement l’envisager dans cette dimension. Mais il faut préciser que l’utilisation de : système capitaliste, structure-capitaliste, ne sont que des expressions recouvrant une partie de la réalité, qui peuvent signifier quelque chose de plus important, la communauté matérielle du capital.

                   L’accession à la totalité  est aussi une expression qui permet de donner une image pour la formation de la communauté matérielle. Cette accession s’accompagne de l’élimination de tous les possibles d’autres mouvements, d’une façon matérielle mais aussi théoriquement par le discours terroriste : seul ce qui est, fut réalisable et ne pouvait être réalisé (cf. le « tout ce qui est réel est rationnel… » de Hegel).

                   Variation anticipatrice : On aboutit à une justification historique, même quand il y a refoulement de l’histoire. Ou bien l’histoire est posée comme science. Or, on peut constater que le moment où elle se constitue en tant que science est celui l’accession à la totalité. Il est intéressant de noter que dans l’antiquité aussi on a tendance à une production historique scientifique, car il y a une certaine structuration en fonction de cela (cf. aussi le cas d’Ibn Khaldun). L’histoire-science permet de mieux nier certains possibles ; ensuite l’histoire est englobée dans la structure.

                   Les hommes reconnaissent la structure en tant que telle. Plus d’issue ? Car au-delà de la société bourgeoise, apparition claire et nette du MPC en tant que despotisme. Mais, si tous les hommes sont à l’extérieur de lui, on peut poser l’homme lui-même.

                   Nous avons maintenant la totalité – dans l’espace et le temps – devant nous. On est allé de communauté à communauté, mais dans la mystification-perversion (non dans le sens moral ; c’est une simple constatation, la perte d’une certaine voie, avec dégradation des êtres qui l’empruntent). On ne peut pas se mettre sur ce dernier terrain en essayant de contester au capital ce devenir de l’espèce. Le capital doit être aussi vu comme une expression de la puissance humaine en même temps qu’errance, démence humaine. Ce n’est pas le mal absolu.

                   On doit donc intégrer la dynamique des classes, moment où la solution peut venir du particulier (moment où justement la structure est en train de s’édifier) parce qu’au fond la totalité nouvelle n’est pas produite (devenir à l’intérieur d’une totalité en devenir). D’où l’importance de ceux qui posent ou posèrent simultanément le phénomène intermédiaire et la totalité à être, même si elle ne fut pas perçue de manière adéquate.

                   Dans le même sens importance de la démocratie et du socialisme (l’un correspondant à un phénomène quantitatif de faible envergure, l’autre à un phénomène de masse). D’où l’importance d’hommes comme Platon et Hegel.

                   Remarque : Totalité implique totalité de l’être individuel, donc destruction de la partialité, mais aussi de la partition.

                   Variantes : à partir de là, appréhender la vie à partir de la vie et non grâce à la médiation d’une réduction-abstraction qui jouerait ensuite le rôle d’opérateur reconstructeur de ce qui fut détruit. En quoi avons-nous une vie ? Poser la dimension du capital et la nôtre. Il est impossible d’abstraire le capital car il ne s’agit pas seulement d’une parcellisation-destruction mais de la réalisation d’un possible. C’est le seul mode d’englober ce qui fut dans sa démence même.

                   Il faut donc s’autonomiser vis-à-vis du capital pour se percevoir dans le continuum historique, temps du possible et des possibles humains ; mais aussi pour situer la réalisation du possible devenant capital. Dès lors c’est bien au-delà de l’ensemble de la totalité produite que nous pourrons nous placer.

                   Nous baignons pour ainsi dire dans la « noosphère » du capital (monde de représentations de celui-ci).

                   C’est ici qu’on doit réaborder (car cela doit être traité dans d’autres lieux, moments) ce que Marx appelle le travail universel (la science, l’art, les connaissances empiriques traditionnelles peuvent être matérialisation de ce travail universel), ce que Bordiga appelle cerveau social (cf. textes sur le communisme) qui, dans un certain sens, est réalisation-extériorisation d’un cerveau et ce qu’on peut appeler une conscience sociale.

 

                   3 – Toute l’histoire de l’humanité témoigne de la tentative, du désir de réaliser un être unifié de l’espèce, de produire une conscience sociale non séparée de l’être. Se percevoir en tant que tout où chacun puisse se retrouver et être dans le moment même où chacun atteint à la communauté (Gemeinwesen). Humanité non séparée de la nature, en quelque sorte la  nature consciente d’elle-même par l’entremise de l’espèce dont il ne faut pas faire un absolu.

                   A partir du moment où il y a décomposition des communautés initiales, coupure avec la nature (donc coupure dans la communauté, la nature n’étant pas perçue comme un phénomène extérieur), il y a mouvement d’unification, de réunification qui peut se faire soit avec la volonté d’intégrer tout (mouvement révolutionnaire), soit par exclusion, destruction des autres (mouvement dominant qu’il est difficile de taxer tout simplement de réactionnaire). Il s’est manifesté ainsi lors de la formation des vastes empires perses, des assyriens, des grecs, des romains, des chinois, des mongols, de l’URSS actuelle ou des étasuniens, mais aussi sous une forme totalement ignoble : le Reich nazi. Chaque fois qu’un tel empire se forme, il y a production d’une définition de ce que doit être l’homme (c’est donc une élimination).

                   On se scandalise des nazis n’acceptant que la soi-disant race aryenne, mais est-ce qu’on n’a pas cela en germe chez les grecs se considérant comme les hommes véritables, les autres étant les barbares qu’on pouvait mettre en esclavage.

                   Digression : même au sein du mouvement qu’on peut qualifier de révolutionnaire se manifeste l’opportunisme, le réformisme, l’acceptation du monde en place :

                   « Tout le christianisme des premiers chrétiens a été eschatologique, tous attendaient la deuxième parousie du Christ l’avènement du royaume de Dieu. Un christianisme historique, une Eglise historique signifient que le Royaume de Dieu n’est pas venu, signifient un échec, une adaptation de la révélation chrétienne au royaume de ce monde » Berdiaev, L’idée russe, p. 203.

                   Ceci est également valable pour le mouvement prolétarien, pour le mouvement marxiste ; les anarchistes l’ont en général assez ressenti. L’étude historique, la politique, surtout, n’est-ce pas l’adaptation de la théorie marxiste en tant que communisme (son affirmation) du moment où Marx vivait ?

                   Marx prend son point de départ chez les communistes français, chez Feuerbach, mais ce qu’il apporte d’essentiel, en plus de sa saisie d’un certain nombre de déterminations du communisme (et c’est là que cela pose problème pour la donnée révolutionnaire elle-même) c’est une explication théorique ainsi qu’une pratique pour un moment intermédiaire. La conception matérialiste telle qu’elle est fondée, formulée dans la préface de 1859 fonde historiquement tout le mouvement intermédiaire et lui signifie un devenir : le développement des forces productives. La révolution en tant que changement de mode de vie ne pouvait plus être affirmée immédiatement. D’où que faire en attendant ? Que faire en attendant le royaume de Dieu pouvait se dire le chrétien, comment puis-je accélérer sa venue ? Prosélytisme historique selon Berdiaev.

                   Que de similitudes avec le monde antique : anachorètes, ascètes, ceux qui s’en allaient, etc., font penser à tous ceux qui à l’heure actuelle s’en vont, font des communautés, les jeux du cirque et le sport actuellement ; la drogue devait exister… On constate encore plus, à l’aide de ces données, que nous sommes sur le terrain de notre adversaire, sur le terrain de la rationalité.

                   Il est curieux de noter qu’Engels comparait les communistes aux chrétiens (cf. son article sur l’Apocalypse). Or, si nous constatons que nous avons au sein du mouvement communiste les mêmes phénomènes que connut le christianisme, veut bien dire que nous tournons en rond.

                   On peut noter aussi le fait que le christianisme triompha dans l’Empire romain et devint religion d’Etat, pourtant il n’avait pas triomphé selon ses principes originaux ! Il fallut qu’il se radicalise à nouveau en quelque sorte pour qu’il soit utilisable pour lutter contre les forces en place ; mais à ce moment-là il y eut deux courants : un qui pouvait être lié au christianisme primitif, très radical sur le plan agraire par exemple et un autre intégrationniste, faisant plus que sa part à César. Le mouvement marxiste communiste connait quelque chose de similaire. Le courant dit révolutionnaire n’est qu’à l’intérieur de ce devenir là et donc c’est l’impasse, on tourne en rond. Car, le marxisme religion d’Etat du MPC est en même temps contestation de celui-ci. Cela signifie bien que nous devons envisager une dynamique totalement différente.

                   Comment la question se pose dans une aire asiatique ?

Fondement immédiat et perspective : la compréhension du mode selon lequel les communautés primitives se sont dissoutes, peut aider et aidera à la compréhension de la dissolution de la communauté-capital. Dans celle-ci également il peut sembler qu’il y ait une adaptation rigoureuse, stable de l’être humain à son environnement. Etudier pour mieux contribuer à la dissolution de la communauté capital.

                   Il faut éviter ici de reposer conscience par rapport à l’être. Ce serait raisonner en fonction d’une coupure qui serait posée sur le mode l’éternel recommencé.

                   Contre-point à digression : le marxisme subit une évolution comparable à celle du christianisme. Ce dernier triompha au sein du monde en place : il devient religion d’Etat ; donc il fut réabsorbé par le monde qu’il devait détruire. Ce n’est qu’avec la destruction de l’Empire romain qu’il retrouve une force subversive ; mais c’est pour édifier un monde où se manifestent encore des conflits de classe. Bien que la société féodale puisse être considérée, du moins pour un certain temps, comme une résorption des classes. C’est au Moyen-Age que se posera de multiples fois un retour au christianisme primitif.

                   Le marxisme a triomphé et il est englobé. Au cours de la destruction de la société bourgeoise il joue et peut encore jouer un rôle subversif ; mais c’est finalement pour faciliter l’instauration d’un despotisme de la communauté capital. D’où diverses tentatives pour revenir à un marxisme primitif.

                   Il faut rompre avec tout le cycle où la représentation se pose sur le mode binaire découlant de la coupure.

                   Vis-à-vis des théoriciens qui ont déjà affirmé l’inanité d’un retour à un Marx originel – par exemple Korsch en 1951 – il est important de noter que leur appréhension de l’œuvre de Marx était incomplète et que sur leur rupture on ne pouvait rien fonder. Il pouvait dire une chose juste ou pouvant devenir juste et se fonder sur des erreurs.

 

                   4 – Vis-à-vis de ce vaste phénomène historique (englobant passé, présent, futur ; ce n’est donc pas quelque chose d’extérieur à nous et c’est vrai à chaque moment du devenir de ce phénomène) il y a deux modes d’appréhension. Une intuitive mystique qui embrasse d’un seul coup la totalité et tient pour négligeable le moment présent, l’intermédiaire, la médiation comme on dira ensuite, dans un procès de justification, et de ce fait pose l’homme en quelque sorte hors du temps dans ce qu’il est Gemeinwesen et individualité (la seconde étant moins bien perçue, au départ et, d’autre part, cela n’apparaît pas toujours avec la clarté indiquée). Ce sera l’élément fondamental de toutes les hérésies[2], de toutes les théories révolutionnaires, c’est en même temps comme une révélation de l’invariant humain, le continuum historique. Il semble alors que l’homme soit saisi hors du temps, hors de son déroulement. C’est l’argument réfutatoire le plus couramment utilisé contre de telles positions. Son utilisation implique de ne pas se poser la question de savoir si l’homme n’est pas, aussi, hors du temps, comme l’espace, etc. C’est-à-dire reprendre l’attitude de Feuerbach non plus vis-à-vis de la religion mais vis-à-vis de la science. C’est l’homme qui fait la science et non l’inverse. Cette dernière est devenue dictatoriale ; elle veut définir l’homme.

                   L’autre mode est analytique pour ainsi dire, il est apte à vraiment percevoir les discontinuités et donc les particularités de la situation du moment. Ceux qui procèdent ainsi, même s’ils espèrent un homme autre, le perçoivent dans sa limitation historique, etc., ce qui est la base même du discours scientifique. En particulier lorsqu’ils affirment que l’histoire est une science.

                   Il est certain que ces deux modes sont des extrêmes et qu’il y a des gammes intermédiaires. Ainsi chez Marx on a les deux types, à deux moments de son approche de la réalité humaine. Dans les œuvres de jeunesse, il pose intuitivement mais déjà il est assailli par le problème du devenir intermédiaire (legs de Hegel, de l’aufklärung) ; ensuite il tendra à une vision analytique mais sans réellement abandonner le souvenir de la première illumination.

                   Un exemple du premier cas, c’est Feuerbach d’où d’ailleurs les critiques de Marx, mais surtout d’Engels fondateur du matérialisme historique.

                   Correctif : reprendre veut dire tenir compte et utiliser-intégrer l’apport de Feuerbach. Il n’est pas question d’être feuerbachien.

 

                   5 – Le moment des communautés primitives est celui d’une totalité organique communauté humaine-nature.

                   Anticipation : Il faut d’entrée aborder la réalité car il y a un danger de réduction à vouloir trouver une instance déterminante ; il faut avoir une vision structurelle mais non structuraliste ; il n’y a pas de causalité efficace.

                   On ne peut pas partir d’une seule donnée : la production (Marx), psychologie (Mead et Benett), rapports de parenté (Lévi-Strauss), etc.

                   Souhait : avoir une vision-perception des hommes comme présupposition de toute approche des formes sociales, communautaires.

                   Réflexion préliminaire : nécessité de situer le sens de « société ». Quant peut-on parler des sociétés chez les hommes ? Est-ce que ce mot a un sens pour les animaux ? Ne vaut-il pas mieux parler de communautés animales ?

                   Dans le cas où l’on persiste à parler de sociétés animales, on ne peut éviter la question : pourquoi les animaux n’ont-ils pas constitué une société animale qui se détache de la nature, qui se fonde dans son être même qui, lui, la poserait et donc la constituerait en discontinuité.

                   Inanité de vouloir absolument faire coupure homme-nature – bien qu’il y en eut une – séparation animal-homme. Il faut détruire tout référentiel supérieur comme inférieur. On peut dire, grossièrement, qu’il y a une base animale à comportement humain

-         Pour la reproduction, avec les parades, danses, etc.

-         Territoire et pistes, etc.

-         Structuration d’une communauté (mais non hiérarchisation qui implique individu).

Points d’approche :

5.1 – A partir du moment où l’on a une espèce placée dans le devenir à l’homme, Australanthropes (et la découverte du crâne 1470 ne changerait rien à la chose) on évolution biologique parallèle à ce qu’on a appelé évolution sociale ; c’est-à-dire que les être humaines évoluent sous l’action de facteurs internes – biologiques – et sous l’action de facteurs qu’on pourrait dire externes dépendant de leurs relations mutuelles et de leur relation à la nature (climat) ; la technique non autonomisée joue un rôle fondamental, médiateur en quelque sorte.

5.2 – L’étude de la formation de l’homme doit porter sur les relations station verticale, main, cerveau-sens. L’élément trop souvent oublié est le sens ; or le séparer du cerveau c’est interpréter la coupure actuelle qui d’ailleurs date ou commence lors de la séparation de l’homme d’avec sa communauté, dissolution de cette dernière.

5.3 – Il est absurde de poser l’extériorité d’une façon autonome car homme-nature ne font qu’un, il n’y a pas de coupure.

5.4 – Comment les être se perçoivent dans ce continuum et dans leur séparation participative. Il serait faux de penser que l’individu, membre de la communauté, soit inapte à se percevoir dans une certaine unité différente de celle des autres ; mais il n’y a pas séparation autonomisée, car il y a perception du tout simultanément. N’est-ce pas d’ailleurs la propriété du cerveau de percevoir le tout de même que le mouvement ; la séparation-coupure sera aussi séparation des propriétés.

5.5 – Ces êtres ont une activité cérébrale (ce qui donnera la représentation) mais elle n’est pas séparée. Ceci nous amène à reposer la question de la nature de l’animal assimilé depuis Descartes à un automate ; il est important de remarquer que ceux qui s’opposent à lui restent sur son terrain, acceptent la dichotomie. Or, on ne peut nier qu’il y ait une ébauche de représentation chez les animaux. D’autre part, il est important de noter que l’on applique d’abord à l’animal ce qu’ensuite on applique à l’homme. Donc la réduction de l’animal à un automate préfigure celle de l’homme.

5.6 – L’éthologie tend à ramener l’homme à l’animal lui-même saisi au travers de la représentation de l’homme actuel. Cf. par exemple la théorie de l’agressivité de Lorenz.

La notion de territoire qui a pris une grande vogue est une justification de la propriété privée et de l’agressivité. Ne pourrait-on pas concevoir que l’animal délimite pour se reconnaître dans un univers bien déterminé ; un espace-temps concret lui est nécessaire pour être. Ici on pourrait prendre le cas des abeilles et constater qu’elles ont un autre mode d’être[3].

5.7 – Avec l’Homo sapiens, il y a 40 000 ans au minimum, on a un être qui biologiquement est identique à l’homme actuel. Nous voulons surtout tenir compte ici du cerveau. Comment un tel être pouvait-il se satisfaire d’une réalité immédiate ?

Dans une certaine mesure l’évolution « intermédiaire » est période de connaissance du cerveau ; l’homme doit se connaître lui-même.

Remarques : parler de mouvement intermédiaire c’est dans une certaine mesure revenir à une représentation hégélienne. Toutefois cette forme globale peut être identique mais le point essentiel est en quelque sorte celui de la nécessité d’une telle phase, de sa finalité, de son déterminisme. C’est là qu’on pourra réellement poser la discontinuité par rapport à Hegel. Pour le moment il est important de situer ce qui est « apparemment » dans ce mouvement intermédiaire, le constitue :

-         Développement au cours d’une extériorisation des éléments qui ont été perdus. Le capital peut dominer le temps, ne veut-il pas en quelque sorte dominer quelque chose de perdu ?

-         Les phénomènes irrationnels (intuition, surtout ce qui se rapporte au shamanisme etc.) sont possibles quand l’homme est lié à la nature ; lorsque les hommes sont isolés, ils sont étudiés en tant que phénomène séparés ; l’homme parviendra-t-il par ce détour à se connaître ? De même pour l’investigation du monde naturel – éléments d’explication du moment intermédiaire (Cf. à se sujet Le monde magique de De Martino).

-         Pour produire une conscience impliquant une connaissance de tous les liens des hommes entre eux et avec la nature, il semble qu’il faille qu’il y ait destruction ; la connaissance est dès lors déterminée par un manque ; mais par là, on accéderait à la conscience réflexive (Réflexivité = tautologie dans la mathématique, dans la logique et aussi un artifice du discours pour combler un vide de la structure).

-         Produire une conscience sociale, totalité où il se retrouverait comme vis-à-vis de la nature ; comme un écosystème où chacun serait à sa place et simultanément les idées atteindraient à l’existence et seraient comme des espèces subissant les mêmes lois (sélection par ex.), comme le pense Monod (Le hasard et la nécessité).

Quand on parle de mouvement intermédiaire on fait appel à l’histoire. Celle-ci est posée en tant que science pour expliquer le mouvement intermédiaire, le justifier et permettre la prévision d’une autre période.

Histoire-science pose : déterminisme, nécessité, finalité.

Ceci est en liaison avec action, intervention et même manipulation (Cf. Stalinisme et 1984).

Souhait : Il faut une aperception de la vie passée non séparée du moment présent et futur. Réflexion ?

Mais alors on pose effectivement le « projet » communiste, on le pose volontairement, passionnellement, car question de vie ou de mort. Il ne faut pas le poser comme une structure dont les prémisses seraient dans le lointain passé ; on ne ferait qu’un décalque au devenir du capital et du capital réalisé.

Investigation : ne peut-on pas observer des causes-forces qui tendent au communisme ; données biologiques qui ne sont pas simple substrat mais un élément du tout.

Autre approche : On doit réfléchir sur le mouvement de séparation (parfois individuation) et d’autonomisation dans le devenir des êtres vivants et de l’espèce humaine.

Il y a évolution quand il y a une certaine autonomisation (le mouvement qui pose extériorité-intériorité est un mouvement de séparation) de l’être vivant par rapport au milieu. On peut voir ce phénomène dans la lignée des vertébrés (acquisition des annexes embryonnaires) comme dans celle des invertébrés où des végétaux. Chez tous les êtres vivants il y a tendance à production d’un milieu intérieur. Dans la mesure où l’être vivant parvient à une certaine autonomie par rapport au milieu, il peut avoir comme un mouvement-devenir pour lui. C’est une autre façon d’expliquer l’autonomisation. Mais celle-ci n’est pas rupture avec le milieu bien que ce mouvement puisse aboutir à la formation d’une nouvelle espèce. Autrement dit en quoi l’espèce humaine effectue une rupture l’empêchant de se retrouver dans son milieu et sa Gemeinwesen ? Il faut préciser le rapport autonomisation et acquisition d’une autonomie, d’une individualité dans le cas de l’espèce humaine.

Dans le cas de l’évolution des vertébrés, on peut reprendre l’œuvre de Leroi-Gourhan : il y a séparation au sein du champ antérieur, partie masticatrice de la partie préhensile et une autonomisation de la seconde (le langage devient ensuite médiation de reconstitution de l’unité ?). Comment avec la technique il y a rupture, cassure faisant en sorte que l’autonomisation aboutit à quelque chose non seulement d’autonome mais d’antagonique.

Evidemment on peut considérer la question autrement : le capital grâce à la technique devient une autre nature et les divers moyens techniques ne sont au fond que des organes d’adaptation à cette nature. Cela ne fait que reculer le problème.

La séparation de la nourriture et de la sexualité avec autonomisation des deux est un autre exemple probant que l’on doit traiter simultanément à la séparation des sens et autonomisation de la vue (Cf. à ce dernier sujet Mac Luhan La Galaxie Gutenberg et Pour comprendre les médias).

Makarius montre l’importance de la nourriture chez les hommes, peut-être l’élément de liaison, cohésion fondamentale originelle. La parenté est en quelque sorte saisie par l’entremise de la nourriture. Sont frères et sœurs ceux qui mangent  la même nourriture. Celle-ci définit même la communauté. Ceci perdure jusqu’à nos jours et explique le fanatisme des gens en ce qui concerne la bouffe. Celle-ci détermine l’appartenance a ou l’exclusion de ce qui est posé come humanité (Homère : l’homme ce mangeur de pain !) ; cf. rapport mariage/banquet ; alliance/banquet et cela se répercute dans la diplomatie ; cf. aussi rapports sacrifice et banquet, cannibalisme rituel, etc.

Le tabou touche d’abord les organismes de préhension de la nourriture avant de toucher les organes sexuels (cf. survivance chez les arabes et autres peuples…) ; l’inceste est d’abord nutritionnel avant d’être sexuel. Cela détruit la base anthropologique de Freud sans supprimer une partie de son problème ; de même que cela limite énormément ce que peut dire Lévi-Strauss.

Interpénétration de langage amoureux et du langage alimentaire, surtout maintenant dans l’argot.

De même relation jeûner contre quelqu’un ou pour une cause donnée et ascétisme sexuel dans sa relation à un monde donné qui est remis en cause.

Le Banquet de Platon : rapport entre communion alimentaire et amour ; la cène et la communion chez les chrétiens et les juifs.

Donc peur de l’inceste est peur de manger, ensemble, la même nourriture ; la séparation nourriture-sexe pose l’autonomisation de la sexualité, qui ne sera jamais absolue.

Autre mouvement de séparation : celle de l’affectivité générale vis-à-vis de la sexualité, de la sexualité par rapport à la reproduction (ceci est un avantage pour l’individu qui peut jouir de lui-même sans être piégé).

Remarque anticipatrice : les multiples séparations bases aux diverses autonomisations écartèlent l’être qui n’arrive plus à dominer ces différents phénomènes, d’où la nécessité de produire des médiations externes qui recomposent l’unité (religion, idéologie). Il y a là la racine profonde de toute « folie » sous ses composantes purement sexuelles ou sous des formes autres ; c’est ce qui engendre l’angoisse structurale de l’homme moderne, ce qui pose sa remise en cause existentielle, sa présence au monde et réciproquement lui fait poser doute de la réalité de celui-ci. Dans certains cas, ne peut-on pas considérer le génie comme une adaptation à un type bien déterminé de mouvement d’autonomisation ; la preuve en est que cela peut aboutit à un déraillement absolu : l’individu devient fou et ce d’autant plus qu’il rêvait à une unité supérieure (cf. le cas de Nietzsche).

On a avec Freud, Reich, etc., mit en évidence la répression sexuelle et comment en réprimant la sexualité on parvenait à rendre les être humains adéquats au principe de réalité, c’est-à-dire à la société en place. On n’a pas mis en évidence le rôle tout aussi important de la répression alimentaire dans la domestication. De plus cela s’accompagna souvent d’une imposition alimentaire. Ainsi les récompenses alimentaires (bonbons, gâteaux) mais aussi les nourritures rituelles. De plus, importance des manières de table (je n’ai pas lu le livre de Lévi-Strauss sur ce problème) qui sont les rituels de la famille (nécessité de manger à certaines heures et selon certaines règles et avec certains ustensiles). Cet aspect de la question revêt à l’heure actuelle une importance primordiale car on se rend compte à quel point l’alimentation est inadéquate et qu’avec le végétarisme les caractères alimentaires de l’homme sont remis en cause (l’homme ne serait pas un omnivore). Cette théorie a un intérêt dans la mesure où elle retrouve la vieille conception pythagoricienne, elle-même legs de l’Orient, des peuples cueilleurs.

À ce propos cette théorie nous est peut-être accessible (et a pu parvenir jusqu’à nous) parce que les peuples cueilleurs de l’Inde n’ont pas été exterminés et, lorsqu’ils ont été éliminés, leurs antiques conceptions se sont fondues dans la totalité de la représentation hindoue.

Comment comprendre persistance de la cueillette à côté de la chasse, de la sédentarisation (élevage, agriculture) ? Les hommes ne se percevaient-ils pas pleinement hommes déjà ? N’y a-t-il pas au fond incapacité de communiquer entre les différentes ethnies placées dans des modalités différentes de vie (comme s’il y avait différentes humanités). C’est là qu’on retrouve aussi la question de la soi-disant infériorité des « primitifs » ce qui est remis en cause (articles de « La Recherche », de même cf. un travail d’un étasunien Marshall Sahlins dont les extraits sont parus dans « Le sauvage » n°12, 1974).

 

6 – La coupure, la discontinuité sera pensée à travers le mythe, la philosophie, la science. On peut mieux dire en disant qu’elle sera représentée. Il y a un procès de réduction de plus en plus en grand, pour aboutir à l’appauvrissement-séparation achevé.

La coupure pose le mysticisme, l’empirisme, le rationalisme, le réalisme.

Rapport à la religion : elle postule une certaine transcendance, mais l’homme est désormais enfermé dans sa nature. En un certain sens les hommes peuvent ensuite vouloir être nature ; phénomène de réaction qu’on retrouvera sous une forme extraordinairement modifiée parce que médiatisée par l’homme lui-même, avec le mythe du bon sauvage. Cf. aussi la question du droit naturel.

Empirisme : isolement d’une activité (sensibilité) qui est réduite, c’est-à-dire que son support actif est limité aux sens ; elle est un moyen de récupérer l’activité des êtres ; elle se pose contre la soumission à une idée, mais s’enferme souvent dans cette opposition (cf. lutte contre théologie, dogmes, despotisme).

Critique de Kant à Hume : cette activité tend à faire dépendre l’être de l’extérieur, c’est-à-dire qu’il est toujours constitué de l’extérieur ; il n’y a pas de réelle intériorisation. Il ne peut pas y avoir d’invariant sinon l’aptitude à réceptionner la réalité.

Pour dépasser l’empirisme il faut une autre communauté donc un moment où il n’y ait plus de dissociation, plus d’activité dominée par l’autonomisation. La science n’est alors qu’un cas particulier, une méthode possible, un moyen possible ; elle n’est jamais une fin (argument facile, mais nécessaire).

Il en est de même de la théorie, car elle aussi s’autonomise et devient souvent contraignante (phénomène de domestication).

Réalisme : pose une isomorphie entre réalité et connaissance, cf. Piaget, Biologie et connaissance humaine.

Matérialisme, idéalisme, spiritualisme ne sont pas des déterminations par rapport auxquelles on aurait à prendre position car se sont des réductions.

Marx se dit matérialiste ; cela dérivait de la nécessité d’expliciter l’instance déterminante dans l’activité sensible des hommes (rapport entre sphère de la vie matérielle – nécessité et sphère de la liberté). Feuerbach refuse tout qualificatif à l’exclusion de celui de communiste.

Matérialisme, spiritualisme, etc., indiquent tous les possibles de la structure au moment où elle tendait à se constituer ; nous voulons dire par là aussi qu’elle aurait pu ne pas le faire.

 

7 – Chaque communauté prétendait réaliser l’espèce. L’humanité finissait là où terminait l’ethnie. Ceci d’autant plus que les ethnies pouvaient se trouver à des stades différents, biologiques, sociologiques, etc. (problème d’une niche écologique, phénomène similaire sur le plan spirituel !!?). De plus il faut tenir compte que c’est en progressant, en acquérant de nouvelles techniques que les hommes ont pu vivre dans des régions variées, même dans celles où, au départ, ils avaient de faibles chances de survie.

À partir de quel moment les individus sont séparés d’eux-mêmes ; saisir la « réalité objective » au travers de divers représentations qui lui sont liées.

Surgissement de la valeur en tant que résultat de la dislocation et en tant que perception d’une unité extérieure ; ceci dans la mesure où l’on conçoit la valeur comme une totalité, sinon la valeur comme phénomène de réduction d’une autre réalité qu’il n’est plus possible de percevoir, d’envisager ; la valeur n’en serait qu’un lointain souvenir ; elle manifesterait qu’il peut y avoir souvenir de quelque chose d’autre.

C’est ici qu’il nous faut aborder le phénomène équivalent général comme ayant été réalisé dans d’autres domaines : tabou, dieu par exemple. Et il faut noter le lien entre valeur et magie ainsi qu’avec « religion » : structure verticale de la société : argent et or allaient à la divinité. D’où aussi rapport équivalent général, dieu et conscience. Il est important de noter les divers systèmes de valeur : la vérité et les vérités (les approximations, les mensonges et les erreurs). Les vertus.

Justice et droit : bien et mal – loi morale ; Jugement.

Liberté – nécessité.

Raison (cf. Kant et tout l’Auklärung avec position de Leibniz à situer) et folie.

Bonheur et félicité (eudémonisme avec en quelque sorte une variété, l’hédonisme).

Nature : joue un rôle d’opérateur de justification (en tant qu’abstraction c’est bien un équivalent général).

Amour ???

Tous sont moments d’une perception cognitive des hommes entre eux. Leur perception dans leur multiplication (accroissement démographique est une question importante). D’autre part tous sont soumis à la binarité. D’où le système des valeurs est en rapport à métaphysique (Voir Ethique à Nicomaque d’Aristote) en tant que logique et mouvement de la valeur, de toutes les valeurs ; pose la dichotomie, les antinomies, les binaires. La dialectique et tout particulièrement celle de Hegel ne parvient pas à échapper à ce carcan.

Faillite de tous les rêves fondés sur peuples, nations, de même pour la classe ; ce qui impose la nécessité de perdurer dans une communauté qui exclue les autres ou les soumet à elle spirituellement ; France et grande nation, Russie et messianisme de la 3° Rome ; E.U. : American way of life (trouver la voie du salut pour l’humanité) ; Allemagne et problème nazi qu’on ne peut séparer totalement du problème de l’humanisme en Allemagne ; les chinois etc. Il n’y a pas non plus de génération élue.

Cette faillite est celle d’un équivalent général : les autres auraient trouvé leur identité en se mirant dans le modèle proposé.

De même en ce qui concerne ceux qui veulent fonder la vie autour d’un seul élément : sentiment, raison, travail, etc. ; un seul centre de polarisation de la vie.

 

8 – Les luttes entre ethnies (communautés) n’ont pas été appréciées à leur juste importance ; en revanche celles entre peuples donnent théorie hégélienne de l’histoire, celles entre classes celle de Marx. Dans quelle mesure on a là un procès d’unification ? Chaque moment : ethnie, peuple, classe peut être englobé (ainsi du problème régional actuel qui est une résurgence d’un problème ethnique). Rien n’a été résolu. En ce sens Qohélet a raison : rien n’est nouveau sous le soleil.

Il y a toujours un procès d’englobement de la part de l’ethnie, du peuple, etc., voire de destruction pour affirmer le « vrai ». Cela implique conscience ethnique, d’une classe.

La saisie de l’unité, la manifestation d’une certaine conscience, est donnée par la formation de ce que nous nommons équivalent général, un tabou général (cf. ceci au travers des mythes ; voir les explications de Makarius) ; en même temps que le mythe reconstruit la communauté à partir de la coupure, de la phase de décomposition.

La philosophie joue ensuite ce rôle pour une communauté plus réduite ( ?), plus autonomisée qui est pleinement infestée par l’Ètat : la polis grecque. Avant la religion assura cette fonction dans diverses civilisations (modes de production). Avec la société bourgeoise la communauté est la nation et l’équivalent général est l’Ètat représentation (Esprit équivalent général chez Hegel). Toutefois il y a un mouvement dont il faut tenir compte et qui est à cheval sur plusieurs siècles, sur différentes civilisations, c’est celui de la valeur et avec argent on a équivalent général, une communauté : phénomène fort perceptible dans l’Italie de la Renaissance : Galiani etc., et en Espagne ?

Rappelons : équivalent général = réalisation d’une exigence de l’espèce (cf. dieu, par ex.) comme une modalité d’être extériorisée de l’espèce. Marx ne parvient pas à poser ce phénomène, contenu dans le devenir de l’espèce.

 

9 – Poser la communauté homme-nature dans sa totalité, puis sa dissolution comme moments importants de la compréhension de notre histoire toujours conçue comme ce qui fut, n’est pas suffisant ; l’activité sensible des hommes n’est pas intégrée. On ne peut pas laisser en dehors de notre perception historique d’espèce le mode selon lequel les hommes se sont perçus dans leur totalité et comment ils pouvaient se situer dans ce que nous saisissons à postériori comme le devenir.

Pour agir il faut affirmer ce qui est. C’est-à-dire savoir importance respective relative, ne serait-ce que dans la succession, concaténation des mouvements, des gestes, des mots, etc.

Pas de hiérarchie, même au sens religieux. Le culte des morts, des diverses divinités étaient éléments intégrants de la totalité vécue et avaient autant d’importance que la base matérielle.

Intermède : modes d’approche. Il y a un certain nombre de points où la théorie de Marx est objectivement remise en cause :

-         Rôle du prolétariat, sa mission, mais par là aussi effectivité de la lutte des classes ; durant quel laps de temps est-elle opérante, déterminante ? Dans quelle zone s’est-elle réellement développée ?

-         Problème des crises et autonomisation réelle du capital.

-         Le capital recompose l’homme.

De là, deux façons de poser la question (en ajoutant la question même de la valeur, cf. lettres de Jean-Louis).

Marx n’a pas pu comprendre la totalité du mouvement du capital parce qu’au départ sa saisie-définition de la valeur est réductrice. Il nous faut donc partir d’une saisie plus vaste.

La valeur dans son acceptation plus large aurait été toujours immanente, comme quelque chose que les hommes poursuivaient sans pouvoir le réaliser, et ce n’est que le capital qui le fait et donc en ce sens, c’est bien la valeur qui est sujet. Elle devient apparente et non plus sous-jacente et parcellarisée.

Fragment d’une objection : mais alors ce que voulaient et veulent les hommes est totalement réalisé par le capital ; il n’y a rien en dehors, comment peut-on en sortir ?

Ou bien :

Marx a exposé un phénomène de réduction réel : la valeur est du travail et est mesurée par le temps de travail. Mais l’autonomisation de la valeur d’échange produit quelque chose de nouveau, le capital, qui dérive de la séparation de l’homme d’avec ses moyens de production ; d’où coupure dans ce phénomène valeur. Il abolit ensuite cette coupure en reconstituant une unité. En quelque sorte le phénomène antérieur est englué à la nature même si l’homme s’est séparé d’elle ; la rupture effective se produit avec le capital et à partir de là commence un phénomène nouveau où l’homme perd de plus en plus de son importance. En effet, dans le mouvement de la valeur, l’homme était encore opérant, sujet, dans le capital il est objet, manipulé. Le capital dès lors utilise toutes les productions de l’homme, et le cycle naturel pour le dominer.

 

10 – Comment les êtres humains se déterminent-ils par rapport à leur totalité base-substrat, plus précisément enveloppe globale, sinon on risque de réintroduire une dichotomie infra et superstructure. Se pose donc la faculté de juger. Sans le cas du mot allemand URTEILEN il y a une idée intéressante de partage originel. A l’origine il y a une séparation qui permet de discerner, de distinguer, délimiter. On aurait perception de particularités dans le général qui les laisserait immergées en lui.

Ce phénomène se produira ensuite autonomisé dans les divers secteurs-moments de la vie de la communauté ; d’où les différents mouvements de la valeur et des différents équivalents généraux ; explosion de la totalité ! Juger = prendre position par rapport à une réalité donnée ?

Quand il y a coupure avec communauté : valeur englobant donnée matérielle et subjective ? (Ceci peut être un premier temps de l’explosion elle-même).

Comment appréhender (prise de position par rapport à) rapport entre les hommes, avec la nature. Il y a un continu. Mais on ne peut à chaque instant tout dominer, tout transmettre, tout opérer, dès lors il y a un découpage dans la réalité.

C’est en rapport avec juger qu’il y a pouvoir car le bien de prestige et d’ostentation est élément du pouvoir. Mais n’est-ce pas aussi transcendance des hommes c’est-à-dire possibilité d’aller au-delà de l’immédiat. Pouvoir et hiérarchie vont être des éléments de perception des hommes entre eux.

 

 


1973

 

 

 

 

 

 

        



[1]           Le rejet de la théorie du prolétariat, l’affirmation de la dimension biologique de la révolution etc., conduisirent les camarades produisant Invariance à essayer de préciser et d’exposer une certaine représentation positive du devenir de l’humanité, de la venue de la révolution, de l’accession au communisme. On avait fait une vaste brèche dans la représentation révolutionnaire dominante et l’on constatait l’immensité des sujets qui inévitablement se présentaient à nous. Afin d’ordonner un peu nos idées et de faire en quelque sorte le point nous nous réunîmes Jean-Louis, Henri, Jacques d’Avrillé et moi-même en juillet 1973 dans les Pyrénées. Je pris des notes de nos diverses discussions et je les rédigeais en octobre de la même année en mettant en avant mon propre point de vue. Ce furent les « Thèses provisoires ».

            Dans un premier temps, je pensais les reprendre et leur donner, avec des ajouts et des développements conséquents, une forme plus précise. Elles ne pouvaient être, dans tous les cas, qu’un moment de réflexion, l’indication d’une prise de direction nouvelle. Divers travaux, dont la traduction des textes de Bordiga, la rédaction de la préface à Structure économique et sociale de la Russie d’aujourd’hui ainsi que celle à Russie et révolution dans la théorie marxiste intitulée La révolution russe et la théorie du prolétariat ne me permirent pas de réaliser cet objectif. Et puis, surtout, ces thèses ouvraient des perspectives très vastes ; presque chaque jour de nouveaux domaines se révélaient. Aussi à un certain moment je réalisais qu’il ne serait plus possible de les publier même en les mettant à jour. Je renonçais donc à le faire d’autant plus que rédiger des thèses ne me convenait pas car cela ne correspondait plus à notre mode de concevoir une activité théorique, de la transmettre.

            Toute l’activité qui s’est développée à partir de ces « thèses » – résumé de réflexion multiples – est très diversifiée et ne peut encore rien donner d’extériorisable étant donnée l’immensité et la difficulté des sujets étudiés. On doit non seulement aborder un domaine nouveau mais il faut une approche nouvelle, puisqu’il s’agit de remettre en question toute notre représentation. Aussi en attendant de présenter des travaux plus élaborés concernant la nouvelle voie que l’humanité doit entreprendre, je publie ces « thèses » car elles constituent réellement – tout au moins pour moi – un nouveau point de départ. (J. Camatte, Mai 1976)


 

[2]           D’où l’importance de l’étude des mystiques, hérétiques, gnostiques et des adeptes des diverses sciences occultes.


 

[3]           Le temps et l’espace – au début unis – interviennent dans l’élaboration de la représentation, dans la conception du monde. Les êtres humains ne peuvent pas vivre sans se représenter le domaine spatial où ils déploient leur vie, car il s’agit de pouvoir se percevoir, se situer, se retrouver, de savoir sa présence au monde, le plus réduit soit-il. D’où la notion de cosmos et de mir : lieu d’implantation de la tribu et en même temps univers. Toutefois, il y a chez l’homme, simultanément, une interrogation cosmique, comme le dénotent les « religions » ouraniennes, les constructions des peuples mégalithiques, les cosmogonies de Ptolémée, Kepler ou celle des modernes.

            Est-ce que l’on ne retrouve pas ici le problème du territoire qui n’est plus saisi simplement de façon matérielle mais grâce à une intuition sensible et à une abstraction ?

            Les animaux et l’Homme n’envisagent pas le territoire en tant que simple quantité discrète d’espace, mais en fonction d’un tout où ils sont inclus. Du fait de notre extériorité actuelle, nous envisageons un type de comportement comme impliquant nécessairement un phénomène de délimitation d’espace, un phénomène d’appropriation privée. En outre cet espace n’est appropriable, au sens d’intégration dans l’individualité, qui, ainsi, peut se percevoir dans un domaine donné, qu’à travers la durée. Il n’y a pas d’espace sans temps, ce d’autant plus chez les animaux où l’ « horloge biologique » fonctionne parfaitement. L’espace se détermine par le temps vécu.

            Il sera intéressant de montrer que si on a fait beaucoup de recherche pour montrer qu’avec la domination du capital il y a spatialisation quantitative du temps et donc destruction de la durée, on n’a pas mis en évidence la destruction de l’espace par l’entremise du temps (Marx).

            Nous reviendrons sur ces points dans une étude sur la représentation. (Note de Mai 1976)