Rien n'est résolu















Ceci pour conclure l'étude concernant le risque d'extinction1.






Rien n'a été résolu et, globalement, objectivement, l'humanité vit dans la déréliction en ce qui concerne les dominés et dans la fuite en avant pour les dominants, qui pensent en fait conjurer ou manipuler la menace d'extinction.



Grâce à la sortie de la nature l'humanité a pensé échapper au risque d'extinction, surtout avec le développement du capital devant par là assurer enfin la sécurité, mais la mort de celui-ci2 et la persistance du risque est la preuve plénière que rien n'a été résolu. Divers phénomènes en témoignent.



Le covid 19 se manifeste périodiquement avec une virulence importante tandis que pointent d'autres maladies comme la variole du singe.



La dépendance et le déracinement augmentent la perte d'immunité naturelle et donc l'accroissement de l'assistanat.



La sécheresse qui chaque année augmente en intensité et en durée accompagnée d'une cohorte d'incendies toujours plus destructeurs. On peut dire que parallèlement on assiste à de plus en plus de fusillades comme si l'incendie concernait aussi l'espèce elle-même.



La faim affecte de plus en plus de gens à travers le monde.



Soulèvements, émeutes en rapport à un mécontentement persistant, et même s'accroissant, dans divers pays.



Maintien d'une forte disparité des revenus afin de perpétuer la division dominants dominés même à la suitr de mesures devant améliorer le sort des défavorisés.




En dépit de la fin du patriarcat en Occident3, opposition hommes-femmes, misogynie et féminicides se maintiennent. La non résolution des rapports hommes-femmes augmente avec l'artificialisation de la vie: homosexualité qu'il vaudrait mieux nommer homoérotisme, le phénomène transgenre et la dynamique de changer de sexe, jusqu'à l'homme augmenté, la femme augmentée. Il y a tendance à l'élimination de la sexualité qui commence avec la procréation médicalement assistée et s'imposera avec l'utérus artificiel.



Tout cela, rappelons-le s'origine au néolithique avec la coupure de continuité avec la nature, qui fonde la dynamique des possibles, ainsi que leur combinatoire, et qui trouve son achèvement de nos jours avec l'autonomisation de la forme capital qui impulse la recherche constante de l'innovation et l’obsolescence périodique des innovations afin que l'accumulation de celles-ci n'inhibe pas le mouvement.



Persistance de l'inimitié, surgie également au néolithique, qui apparaît de plus en plus comme un moyen, un opérateur, de vie hors nature, une médiation pour surmonter toute discontinuité. En conséquence on a maintien du risque d'extinction et même l'accroissement de son actualisation.



Plus concrètement donnons un exemple d'un phénomène en cours. La guerre entre la Russie et les USA par l'intermédiaire de l'Ukraine est le résultat d'un certain nombre de phénomènes non résolus et l'illustration que plus on s'oppose et plus il y a renforcement de ce contre quoi on s'oppose.



L'encerclement de la Russie dans sa partie européenne s'est accru du fait de l'entrée des pays de l'est européen au sein de l'OTAN, c'est-à-dire dans le giron étasunien prolongeant ce qui se passa en 1945: l'Europe devenant colonie des USA comme l'indiqua A. Bordiga qui en 1949, dans Agression à l'Europe précise ce qui s'est passé depuis 1917 (première agression à l'Europe).



"Ceci ne retire pas le droit d'analyser cette guerre (l'éventuelle prochaine guerre menée par l'Amérique n.d.r) et à l'analyser comme la plus retentissante entreprise d'agression, d'oppression et d'asservissement de toute l'histoire. Il ne s'agit pas seulement d'une guerre éventuelle et hypothétique car celle-ci est déjà en acte, une telle entreprise étant la continuation directe des interventions dans les guerres européennes de 1917 et 1942 et étant au fond le couronnement de la concentration d'une force militaire immense et destructrice en un centre suprême de domination de défense de l'actuel régime de classe, le régime capitaliste et la réalisation de l'optimum des conditions aptes à étouffer la révolution des travailleurs dans n'importe quel pays.



Un tel procès pourrait se développer même sans une guerre au sens plein du terme entre les États-Unis et la Russie et si l'allégeance de la seconde pouvait être assurée non par des moyens militaires et une vraie et propre campagne de destruction et d'occupation, grâce à la pression des forces économiques prépondérantes de la plus grande organisation économiques du monde - demain peut-être l’État unique anglo-américain dont on parle déjà - avec un compromis à travers lequel l'organisation dirigeante russe se ferait acheter à de hautes conditions, et Staline aurait déjà indiqué le montant à deux milliards de dollars.


(...)


"L'espace vital des conquérants étasuniens est une bande de territoire qui fait le tour de la terre.."



Devenue colonie étasunienne, l'Europe perdit sa culture, sa civilisation par l'entremise de l'hégémonie d'Hollywood4 permettant de réaliser une maîtrise idéologique et la dynamique de soigner pour dominer. Elle fut, comme cela a été vécu par beaucoup, "américanisée".




Grâce à la guerre en Ukraine la colonie européenne s'est agrandie. Dans la dernière partie du XX° siècle et au début du XXI° l'Europe essaya au travers de la réalisation d'une union économique puis politique de s'émanciper de la tutelle étasunienne. La nécessité de faire bloc contre la Russie et celle de résoudre le problème de ses approvisionnements en matières premières ne provenant plus de ce pays, du fait de l'embargo, ont réinstauré une grande dépendance.



En outre une autre fragilisation de l'UE s'impose du fait de l'entrée en son sein de pays à développements économiques différents entraînant la nécessité d'une médiation qui ne pourra être qu'étasunienne;


La volonté des USA d'agrandir leur colonie est en lien avec la dynamique de régner et soigner. En effet pour assurer leur domination il faut soigner la population colonisée de toutes les conceptions qui sont incompatibles avec celle de la démocratie étasunienne. Autrement dit c'est encore la dynamique de "c'est pour ton bien" qui opère et réprime. Mais ceci implique à la base une puissance économique qui est en fait puissamment érodée du fait d'une insuffisance de ressources énergétique que l'intervention en Ukraine visait à palier et donc rien n'est résolu.



Que rejoue la Russie? La non instauration effective du mode de production capitaliste. Rappelons que Marx et les populistes avaient insisté sur la nécessité non d'un développement du capitalisme en Russie mais d'un saut de celui-ci grâce à une greffe des acquits techniques de l'Occident sur l'Obtchina, ce qui ne fut pas appliqué par les bolcheviks qui, pour faciliter le développement du capital, prônèrent la destruction des communautés engendrant un grand désastre avec l'incapacité qui s'en suivit de produire assez de blé pour nourrir la population. La même politique économique fut appliquée en Ukraine provoquant le vaste soulèvement des partisans de Makhno désirant sauver les communautés. Ceux-ci durent lutter à la fois contre les blancs, les tsaristes, partisans de l'ordre ancien, et contre les rouges, les bolcheviks. Ainsi tant pour les russes que pour les ukrainiens l'échec de la révolution et surtout la non réalisation de ce que préconisèrent Marx et les populistes, est la cause des maux qu'ils subirent et subissent encore.



Donc l'échec de la révolution ne s'est pas accompagné du développement du capitalisme et de la démocratie. Aussi aux partisans de la théorie du capitalisme d’État pour caractériser la situation en Russie à la fin des années 50, Bordiga opposa, tant dans Propriété et Capital que dans Structure économique et sociale de la Russie d'aujourd'hui, l'explication par le développement de bandes, de rackets, dominant en fait l’État, des mafias comme on dit aujourd'hui, sortes de communautés despotiques, avatars des anciennes communautés et dont l'existence est garantie par le pouvoir central comme ce fut le cas historiquement avec les tsars en ce qui concerne ces dernières.



Lors de l'écroulement de l'Union soviétique, les russes ne purent pas accéder au plein capitalisme et à la démocratie comme le réclama Gorbatchev, à cause du refus des étasuniens5 tandis que la menace d'encerclement de la Russie ne fit que s'accroître et nous a conduit à la situation actuelle, c'est-à-dire au conflit Russie USA par l'intermédiaire de l'Ukraine. Ce qui est le plus grave, dangereux dans celui-ci c'est la destruction de la nature et l'augmentation du risque d'extinction. En effet pour pailler aux sanctions étasuniennes privant l'Europe du gaz russe, les européens recourent au pétrole et au gaz extraits des schistes bitumineux des USA, ce qui et une catastrophe pour la nature sans compter la pollution engendrée par leur transport trans-océanique. En outre cela suscite un accroissement d'extraction dans divers pays comme le Venezuela ou Israël, accentuant la tendance à l'épuisement des ressources énergétiques.





Sur le plan des rivalités géopolitiques on constate qu'en définitive la lutte conduite par chaque camp renforce l'autre. Ainsi la pression exercée par les USA sur la Russie a conduit les dirigeants de ce pays à imposer le rouble lors des transactions monétaires - un rouble garanti par l'or et par les matières premières - ce qui mène à une dédollarisation de l'économie mondiale, qui est d'ailleurs renforcée par d'autre causes. Ainsi on se dirige vers l'édification d'un autre ordre mondial plus compatible avec l'autonomisation de la forme capital - voulu particulièrement par la Chine - et rien ne sera résolu6.



Les hommes se battent, se tuent, mais c'est la nature qui en pâtit le plus: sa destruction aggrave le risque d'extinction qui s'accroît également à cause de l'érosion continue de la naturalité de l'espèce.



Notre monde est affecté par une immense crise énergétique qui se manifeste au travers d'un déficit énorme de l'énergie nécessaire pour accomplir le procès de production et l'on peut se poser la question: l'espèce aura-t-elle l'énergie nécessaire pour rompre avec le devenir actuel?



L'humanité appréhende la menace mais en a besoin: et l'on retrouve la dynamique étatique de gouverner et soigner.



En 1987 R. Reagan déclarait à l'ONU:



"Peut-être avons-nous besoin d'une menace universelle, extérieure. Il m'arrive de penser à quelle vitesse nos différences, à l'échelle mondiale, s'évanouiraient si nos devions faire face à une menace extraterrestre extérieure à notre planète. Et pourtant je me pose la question: une force extra-terrestre n'est-elle pas déjà parmi nous? Qu'est-ce qui pourrait être plus étranger (alien = extra-terrestre) aux aspirations universelles de nos peuples que la guerre et la menace de la guerre?"



Grâce à Hollywood, les ovnis, la guerre des étoiles, ont conjuré la menace parce ce qui est, est ce qui est représenté. Toutefois la représentation ne fait qu'entretenir une réalité et donc rien n'est résolu.



Avant de conclure précisons encore une fois le rapport entre le psychisme de l'espèce et le mouvement du capital qui est le stade ultime du phénomène de substitution des relations humaines par le mouvement économique. Il représente  l'état de l'espèce artificialisée, autonomisée  par rapport à la nature, comme lui-même s'est autonomisé par rapport à elle, et son mouvement, ayant son but en  lui-même, exprime au mieux l'enfermement de l'espèce, sa folie et même la perte d'une substance stable, étant constamment soumise à l'innovation puis à l'obsolescence. La création de métavers sur Internet permet la réalisation de cette dynamique.



La sortie de la nature n'a rien résolu et rien ne le sera tant que la dynamique de l'inimitié déterminera le comportement des hommes et des femmes. Seule la tendresse, manifestation de la naturalité de l'espèce, peut engendrer une inversion en dissolvant l'empreinte de la menace à partir de laquelle cette dynamique s'ébranle constamment.
















Camatte Jacques



23 juillet 2022






1   Cf. la trilogie: Instauration du risque d'extinction, Précisions sur le risque d'extinction, C'est ici qu'est la mort, c'est ici qu'il faut sauter.


2   Rappelons que le capital est un rapport social entre le détenteur de valeur, sous forme argent, et le prolétaire ne possédant que sa force de travail. Par suite de l'accroissement énorme du capital fixe (les machines) la part du travail, donc de l'homme, devient infime et de ce fait le rapport social tend à disparaître et par là, le capital dans sa matérialité, tandis que sa forme, qui est celle de l'accroissement, s'autonomise.


3   Pour les autres pays où l'asservissement des femmes est comme une norme, cette faillite doit apparaître patente et conforter leur propre dynamique.


4   Cf. les accords Blum-Byrnes sur le cinéma.


5  Nous avons fait état de cela dans Mort et extinction.


6   Ceci est attesté par de nombreux documents accessibles à tout lecteur, de même que toutes les données économiques que nous avons signalées. Nous insistons seulement sur leur signification en vue d'affirmer que rien n'est résolu.