CAPITAL ET GEMEINWESEN

 

 

VII. COMMUNISME ET STADES INTERMÉDIARES ENTRE CAPITALISME ET CELUI-lÀ

 

 

 

Le capital tend à nier la base sur laquelle il s'est édifié, la valeur, à nier les classes en noyant le prolétariat, le producteur de la plus-value, dans la masse de ceux qui la réalisent; il tend à s'autonomiser et, dans sa domination, à faire croire que c'est l’homme le but de la production (théorie des besoins). C'est la mystification totale où l'homme esclave productif et consommant est présenté comme le maître, mais c'est, en fait, parce que le maître réel, le capital, ne peut pas se lirer, se rendre complétement autonome vis-à-vis de la force de travail. D'où les crises. Au cours de celles-ci, le capital bute contre sa base étroite et fait ainsi rejaillir la réalité qui avait été mystifiée: le prolétariat seul est producteur de plus-value. Celui-ci peut alors retrouver sa force révolutionnaire et, conduit par le parti de classe qui a su déchiffrer depuis longtemps toutes les péripéties du procès vital du capital, passer à l'offensive: destruction du capitalisme, expropriation des expropriateurs... C'est la révolution communiste. Mais cela ne peut faire accéder du jour au lendemain au communisme. Ι1 est donc nécessaire d'indiquer les phases entre capitalisme et celui-ci.

La transition de l'un à l'autre ne peut être représentée par une formule, comme pour le capital, parce que la transformation suppose la destruction d'une formule même; le communisme étant réalisé lorsque l'espèce humaine unifiée exploite la planéte. Toute formule serait formule en devenir, c'est-à-dire une contradiction dans les termes.

 

 

Ι. Caractères généraux de la transition entre les deux formes de production.

 

 

Au cours de la phase qui suit immédiatement la victoire de la révolution (la dictature du prolétariat), le communisme ne peut pas librement se développer parce que le prolétariat doit lutter contre la réaction capitaliste. Il devra mener des guerres plus οu moins longues. Seulement, dés cette époque; le communisme peut se manifester d'autant plus que nous avons affaire à une zone géosociale le capitalisme aura été fortement développé. Ainsi, il est évident qu'aux Etats Unis le capitalisme réalise déjà un certain nombre de mesures qui devaient être auparavant effectuées par la dictature :du prolétariat à une époque où le mode de production capitaliste était moins développé. En revanche, dans les zones où ce dernier a seulement affecté une partie du pays (les Indes; par exemple) où les formes économiques capitalistes n'ont pas été généralisées, les mesures de dictature du prolétariat seront difrentes, mais tendront vers le même but. D'autre part, et ceci, dans n'importe quelle zone, il pourra se produire une plus ou moins grande accélération des processus en fonction de la situation internationale. Une victoire rapide sur la réaction capitaliste permettra d'abréger la phase transitoire par apport massif dléments: venant des pays avancés. Le communisme est un phénomène mondial et non national.

 

Le cοmmunisme est non seulement la négation du capitalisme, mais aussi celle de toutes les sociétés de classe qui le précèdent. De ce fait, le mouvement libéré des entraves de la société actuelle, mouvement impulpar le parti, se présente comme l'inversion de celui qu'a connu la communauté humaine depuis sa sortie du communisme primitif. L'expropriation des hommes et leur atomisation est remplacée par l'unification de ceux-ci et par l'appropriation de la part de l'espèce humaine unifiée des produits de son activité, espèce humaine non autonome, mais réconciliée avec la nature; la valorisation de tout par 1a destruction de la valeur: les produits reprenant leur caractère d'éléments nécessaires à l'homme social et ils sont à sa disposition. L'homme n'est plus une marchandise; fin de la phistoire humaine. De ce fait, la plus grande force productive est lirée, l'espèce. Actuellement, elle est en jachère, gaspillée οu détruite.

 

Ce mouvement s'embraye sur celui déjà en action dans cette société et qui est freiné par le capital. La politique étant à l'heure actuelle le moyen de contenir le communisme. En conquence l’accession à celui-ci se présentera lié à ces deux éléments: la destruction des entraves à son développement et son développement lui-même. Au cours de la phase de dictature du prolétariat et du socialisme inférieur, c'est surtout l'aspect destructif, d'érosion de la forme ancienne qui apparaît. Dans 1a dictature du prolétariat l'action politico-militaire = liration du communisme, sera prédminante, comme l'expliqua L. Trosky (après les autres théoriciens du marxisme) dans son fameux discours de 1922 à propos de la nouvelle politique économique [1].

 

 

II. Domination formelle du communisme.

 

A.    La dictature du prolétariat.

 

 

La mystification du capital consiste à masquer toutes les contradictions, donnant ainsi l'impression qu'elles ont été surmontées. Nous l'avons vu, il tend à nier les classes et le communisme présent dans ses flancs. La période qui s'ouvre avec la grande crise et la révolution prolétarienne se présente au contraire comme une époque où les contradictions apparaissent dans toute leur intensité. Ι1 faut en effet les pousser jusqu'au bout, les généraliser pour les supprimer.

 

Le prolétariat prend le pouvoir et détruit 1'État capitaliste mais celui-ci n'est que l'expression superstructurelle de la communauté matérielle en quoi le capital s'est constitué au cours du dernier développement historique. Cette communauté, être impersonnel, est renouvelée gràce au procès vital qu'est la valorisation de la valeur. C'est ce dernier qu'il faut détruire si l'on veut débarasser l'humanité du capital. En effet, 1a destruction de l'État, l'expropriation d'une classe ne seraient par suffisantes dés lors qu'on laisserait intact le mécanisme que nous avons étudié et qui fait qu'une somme de valeur x a la possibilité de se transformer en x + Δx.

 

La prise du pouvoir νa permettre d'enrayer la régénération de cette communauté et faciliter le développement de ce qu'il y a de communisme en la société. Mais il n'est pas possible immédiatement de la remplacer par une communauhumaine. D'où la nécessité d'un organe transitoire, l'État prolétarien exerçant sa dictature. Cet État est dirigé par le parti communiste, détenteur de la solution historique: donner forme humaine à la société.

 

Le prolétariat s'érige donc en État prolétarien. Du jour au lendemain, les fondements de la société ne sont pas modifiés, mais tout le mouvement économico-social qui normalement tend vers le communisme a maintenant une direction qui νa faciliter son développement et non l'inhiber. C'est la phase de domination formelle du communisme qui commence. Domination formelle, parce que pour que la communauhumaine domine réellement, ί1 faut un bouleversement total des fondements de la société[2]. Pour le moment, la communauté représentée par le parti remplace celle du capital qui garde encore des assises profondes.

 

En dehors des mesures imdiates liées à la lutte armée due au retour offensif des classes dépossédées pour reprendre le pouvoir οu freiner le mouvement dont il a été question, toutes les autres sont prises en fonction du communisme pleinement développé, qui est le but final. Pour l'instant, ce n'est que formellement qu'il domine étant donné qu'on a simplement détruit les entraves les plus importantes à son dévéloppement. Mais cette domination s'exprime aussi dans l'inversion suivante: la socialisation de la production et des hommes était le résultat, toujours remis en cause, du développement capitaliste, maintenant, elle νa devenir présupposition de la nouvelle forme sociale. C'est elle qui s'impose comme force dominante et qui doit modeler à son image le reste du procès social. Cela implique en même temps que le gouvernement se fasse non plus au nom de l'individu ancien, esclave de la communaumatérielle, mais en fonction de la communauhumaine saisie dans son devenir: l'espèce qui ne peut évidemment au début être réprésentée que par le parti.

 

Nous avons dit que le point essentiel était la destruction du procès de valorisation. La dictature du prolétariat s'attaque à celui-ci en prenant deux mesures absolument liées:

 

a - Tout le monde doit travailler; qui ne travaille pas ne mange pas; c'est la généralisation de 1a condition du prolétaire, ainsi que celle du travail manuel.

b - Diminution de 1a journée de travail.

 

La nouvelle société affirme par là même que n'est homme que celui qui travaille. Ainsi, le travail reprend sa place fondamentale, et l'homme redevient sujet de la production. Le capital au contraire - sous forme de capital fixe surtout - élimine l'homme et le refoule dans le domaine du superflu.

 

La dictature du prolétariat n'a pas de constitution, d'institutions, de règles pour définir l'homme comme ce fut le cas au cours de la révolution bourgeoise. Mais c'est l'acte productif, la participation à 1a production humaine, parce que pour l'homme, qui définit celui-ci dans la société qui vient de subir l'acte chirurgical essentiel, la volution communiste. Seulement l'homme ne peut être enfermé dans une finition, ni dans un acte déterminé, dans un procès de production, surtout lorsque celui-ci ne s'est pas encore débarrassé des limitation et du caractère étriqué à lui légué par le capitalisme (la société communiste commence à peine son émersion et repousse l'ancienne). Elle ne connaît que le travailleur et refoule l'oisif comme non-humain parce qu'inessentiel à sa transformation même.[3]

 

Nous avons en quelque sorte formation d'une communauté fondée sur le travail. Sous le capitalisme, c'était le capital qui médiatisait l'existence de l'homme, maintenant, c'est le travail. Arriver à ce stade, c'est porter un coup décisif à la communauté capitaliste, mais ce n'est pas encore saper ses fondements, parce que le travail lui-même est encore porteur des stigmates de 1a société classiste anrieure [4]. Pour arriver à ce résultat, il faut que le travail n'ait plus un caractère antagonique, qu'il ne renferme plus l'opposition travail nécessaire surtravail. Pour le moment, la mystification a été détruite, mais ce qui apparaît, c'est encore un procès aliéné et contradictoire. C'est à partir de la diminution de 1a journée de travail et sa généralisation, qu'il est possible que le travail perde son caractère forcé et antagonique.

 

Mais revenons à la mesure obligeant tout le monde à travailler. Elle mine de fond en comble l'ancien ordre des choses. «Lorsque le prolétariat dénonce la dissolution de l'ordre social actuel, il ne fait qunoncer le secret de sa propre existence; car il constitue lui-même la dissolution de cet ordre social... ». (Contribution à la critique de la Philosophie du Droit de Hegel). Le capitalisme avait bien saisi cet aspect révolutionnaire du prolétariat, d'où sa tentative de lui donner une réserve, si minime soit-elle, et, avec elle, la mentalité bourgeoise; essayer même de le nier comme nous l'avons vu précédemment. En revanche, ici 1a situation du prolétaire réapparaît et est généralisée à l'ensemble social. D'où la dissolution du capitalisme. C'est en même temps la destruction d'un gaspillage énorme - qui se perpétue journellement sous le capitalisme - de force de travail, puisque cela suppose 1a négation d'une foule d'activités inutiles οu nocives pour l'homme.

 

Mais cette généralisation reste encore dans la forme salariale. Elle implique qu'il y a toujours un intermédiaire entre le produit et celui qui le consomme. Mais cela n'a pas la même base. En société capitaliste, le salaire est un moyen de ne pas donner à l'individu producteur, la totalidu produit. Dans 1a phase de transition, il résulte du fait qu'on ne peut pas du jour au lendemain détruire l'économie de marché.

 

Sous le capitalisme, le travailleur considère sa propre force de travail comme une valeur d'échange; elle lui permet d'acquérir un salaire avec lequel il pourra obtenir des valeurs d'usage. Pour le capitaliste au contraire cette force est valeur d'usage, et il s'en sert pour engendrer des produits devenant de plus en plus inessentiels pour l'homme. Le capitalisme sort de 1a sphère de 1a satisfaction des besoins matériels de l'homme, le communisme y rentre. Cela implique dans ce cas que tout le travail de l'homme est utile à l'espèce, mais il n'est pas possible encore d'empêcher que cette activité se présente à l'individu comme une activipour l'échange (Erwerbstätigkeίt). Mais c'est le point de départ de la destruction de la loi de la valeur [5].

 

Dès la prise du pouvoir, la Révolution Communiste manifeste son âme sociale, c'est-à-dire que ce qui compte, ce ne sont pas les mesures politiques, mais le but de celles-ci: l'unification de l'espèce et l'abolition des anciens antagonismes. En édictant et en faisant respecter la loi « qui ne travaille pas ne mange pas », la concurrence entre les hommes tend à être détruite. Il en est de même lors de l'abolition de l'antagonisme travail manuel-travail intellectuel, ce qui suppose la généralisation du premier liée à celle de la réduction de 1a journée de travail: «Dans ce sens, le raccourcissement de la journée de travail trouve sa dernière limite dans la généralisation du travail manuel». (Livre Ι, tome 2, page 201. [6] Nous voyons par là-même se détruire la mystification du capital et le vrai acteur du procès de production, le travail, revenir au centre du phénomène. Seulement la destruction de la mystification n'abolit pas automatiquement le caractère mercantile que porte le travail depuis la naissance du capital. D'autre part, il y a une autre mystification liée au salariat lui-même qu'il faut détruire. En effet, le capitalisme le généralise. Ce n'est plus uniquement le prolétaire - celui qui produit 1a plus-value - qui est un travailleur salarié, c'est vrai aussi de ceux qui la font circuler. Or, ceux-ci n'effectuent pas un travail productif pour l'espèce humaine, mais seulement pour le capital. En généralisant le travail manuel, le travail réellement utilisé à la production, on redonne un contenu réel au salariat. Celui-ci perd sa mystification et 1a généralisation de la condition de prolétaire à l'ensemble de la société est une réalité.

 

Nous avons maintenant une société cractérisée par la communauté travail qui n'est pas encore une société humaine; dans ce cas, c'est l'espèce émancipée qui médiatise la vie de chacun de ses composants [7]. Pour qu'il n'y ait plus besoin d'intermédiaire autre que l'Être humain lui-même, il faut que le travail redevienne l'activité vivifiante et non aliénante de l'homme; il faut donc qu'il perde les derniers caractères mercantiles qui lui ont été imprimés par la société bourgeoise.

 

 

B.    Le socialisme inférieur.

 

 

« Ce à quoi nous avons affaire ici, c'est à une société communiste non pas telle qu'elle s'est développée sur des bases qui lui sont propres, mais, au contraire, telle qu'elle vient de sortir de la société capitaliste; une société, par conquent qui, sous tous les rapports économique, moral, intellectuel, porte encore les stigmates de l'ancienne société des flancs de laquelle elle est issue». ( K. Marx, Critique du Programme de Gotha). Nous n'avons encore qu'une domination formelle du Communisme.

 

Dans le socialisme inférieur, i1 y a une production sociale comme dans le cas du capitalisme, mais l'appropriation tend elle aussi à le devenir de plus en plus. Les moyens de production sont pleinement socialisés; les moyens de circulation sont contrôlés par l'État prolétarien de telle sorte que le prolétariat par l'intermédiaire du Parti tend à faire fonctionner la machine économique au profit de l'ensemble des travailleurs. Donc, le premier acte s'accomplit: la réunion de la machine collective à l'ouvrier collectif pour une production collective et qui profite à l'ensemble des hommes.

 

Le capital en tant que valeur d'échange parvenue à l'autonomie totale peut être facilement détruit. Ι1 l'est déjà (acte de la dictature du prolétariat) lorsqu'on invertit le but de 1a production. Elle n'est plus en vue du profit, mais pour satisfaire la consommation de l'homme. Seulement, tant que l'on demeure à ce stade, il est évident que la valeur peut tôt οu tard régénérer le capital. Ι1 faut donc s'attaquer aux formes inférieures de la valeur, les déraciner toutes pour enlever au capital toute chance de réapparaître.

 

Les socialistes anglais qui demeuraient sur le terrain de D. Ricardo voulaient que la loi de la valeur jouât réellement, et ce, en faveur du prolétariat. D'où leur proposition du bon de travail [8]. K. Marx démontre en quoi résidait l'utopie d'une « monnaie οu bon de travail dans le milieu actuel de production ». Car pour Gray « les produits doivent être fabriqués comme marchandises, mais non être échangés comme des marchandises ». (Contribution, page 57). Dans le socialisme, les produits doivent être fabriqués non comme des marchandises et ne peuvent pas être échangés. Le bon de travail peut donc avoir une fonction historique.

 

 

1.  Bon de travail et production.

 

 

Pour que les produits ne soient plus fabriqués comme marchandises, i1 faut détruire le procès de valorisation, donc enlever à la force de travail son caractère de marchandise et, ceci, est possible:

 

« Nous savons qu'au contraire la conservation, donc aussi la reproduction de la valeur des produits du travail passé, est en fait seulement le résultat de leur contact avec le travail vivant et que, par ailleurs, la domination des produits du travail passé sur le travail vivant dure seulement ce que dure le rapport capitaliste, le rapport social déterminé dans lequel le travail passé s'oppose, indépendant et tout puissant, au travail vivant ». (Livre III, t. 7, p. 63).

 

Pour que l'homme ne soit plus une marchandise, il ne faut plus qu'il soit contraint de se vendre, d'aliéner sa force de travail pour avoir « droit à la vie ». Pour cela il ne faut plus que: les moyens de production soient détenus par une classe, ni même par l'État, mais par la société.

 

Nous l'avons vu, dès le début de la phase de dictature du prolétariat, tous les hommes doivent travailler, l'État contrôle toutes les branches de la production. Ιl prévoit ce qu'il faut pour la consommation, il y a établissement d'un plan de consommation. En fonction de celui-ci, il y a production et en fonction de celle-ci le temps de travail social (nécessaire) est calculé. Tout homme doit en accomplir une fraction. «Le temps de travail règle d'abord le rapport exact des diverses fonctions aux divers besoins; de l'autre il mesure la part individuelle de chaque producteur dans le travail commun ». (Livre Ι, t. Ι, p. 90).

 

Les moyens de production ne se présentent plus comme des instruments pompant 1a plus-value, aspirant le travail humain pour en faire du surtravail. Ils servent à accomplir un procès de travail nécessaire à la production d'une certaine quantité de produits dont la société a besoin.

 

La transformation porte sur les deux termes: le travail et les moyens de production. Car, nous l'avons vu, le travail n'est travail salarié que parce qu'en face les moyens de production sont détenus par une classe. Les moyens de production ne sont capital que dans la mesure où existe le travail salarié, c'est-à-dire une force de travaiι dont 1a consommation productive permet d'une part de restaurer la valeur avancée avec le moyen de production, mais aussi de créer un incrément, la plus-value qui, réifiée, deviendra capital et s'opposera aux prolétaires comme puissance ennemie, dans d'autre procès de production. Détruire le salariat, c'est ôter aux moyens de production leur caractère de capital.

 

En conséquence, il nous faut noter ici la différence avec le salaire. La mesure qui tend à réunir les deux phases séparées force de travail et moyens de production par la prise en charge définitive par l'homme de la machine productive, abolit l'échange entre travail vivant et travail mort. Ne s'opposant plus comme puissances antagoniques, mais étant réunies en un procès de travail harmonieux, leur union, dans tous les cas nécessaire pour que la production s'effectue, n'a plus besoin d'un moyen terme: l'échange. Ι1 y a accomplissement d'une fonction. La base n'est plus le minimum nécessaire à l'entretien de la vie de l'individu, mais elle part de données d'ensemble: assurer à l'homme la vie la plus adéquate à sa nature. Ce temps de travail représente une contribution individuelle au travail nécessaire pour le fonctionnement de la société. Cela suppose que tout le travail est nécessaire pour l'espèce.

 

Autrement dit, avec le bon de travail, le travailleur semble encore subir la loi de l'échange, mais celui-ci n'a plus le même contenu que sous le capitalisme. Ce n'est plus la condition pour travailler le temps nécessaire, c'est une quote-part d'un travail social total. D'autre part, le bon indique en même temps dans quelle mesure (même si c'est encore sous un aspect uniquement quantitatif) l'activité de l'homme particulier est utile. On lui demande une participation au procès productif social et on n'a que celui-ci en vue de telle sorte que se manifeste - de façon encore embryonnaire - la possibilité pour tout homme de considérer son travail non plus comme une activité qui permet une valorisation, mais comme une valeur d'usage directement utile à la société. Les barrières posées par l'existence de l'individu indépendant commencent à tomber. Mais ceci est un résultat long à atteindre. Au stade où nous raisonnons, pour l'individu, au contraire, le temps de travail peut s'opposer au temps libre (aspect social opposé à celui individuel). Ι1 nous faut donc pousser plus à fond notre analyse des caractères du travail.

 

 

1° La détermination du temps de travail est sociale.

 

 

« Si on présuppose une production communautaire (Gemeinschaftliche), la détermination du temps demeure, bien entendu, essentielle. Moins il faut de temps à la société pour produire du blé, du bétail, etc., plus elle gagne de temps pour d'autres productions matérielles οu spirituelles. De même, chez un individu particulier, l'universalité de son développement, de sa jouissance et de son actividépend de l'économie de temps: Economie de temps, voilà à quoi se réduisent, en dernière analyse, toutes les économies. La société doit répartir également et judicieusement son temps afin d'obtenir une production conforme à la totalité de ses besoins. (...) Economie de temps ainsi que distribution planifiée du temps de travail entre les différentes branches de production, telle demeure donc la première loi économique sur 1a base de la production communautaire ». (Fondements, t. 1, pp. 110-11).

 

 

2° Pour accéder au Communisme, il faut:

 

 

a - Réduction de tout le travail au travail abstrait. Ce n'est qu'ainsi que 1a société peut comptabiliser les efforts nécessaires pour produire. Le capital tend d'ailleurs à réaliser une telle réduction.

 

b - Création du temps disponible: le capital le réalise encore: «La création de beaucoup de temps disponible en dehors du temps de travail pour la société en néral et pour chaque membre de celle-ci (c'est-à-dire d'espace pour le développement de toutes les forces productives de l'individu, donc aussi de la société), cette création de temps de non-travail apparaît du point de vue du capital, comme à toutes les époques anrieures, en tant que telle, comme du temps libre pour un petit nombre». (Fondements, t. 2, pp. 224-225).

 

On a ainsi les deux éléments pour que le bon de travail puisse être opérant. Une mesure de l'activité que l'homme doit développer pour produire les éléments nécessaires à sa vie. Une augmentation importante des forces productives qui diminue le temps de travail, créant ainsi le temps disponible. Car c'est grâce au développement de ce dernier que l'homme pourra se transformer et tendre à échapper à la sphère de la nécessité en la dominant.

 

 « Le temps de travail en tant que mesure de la richesse implique que la richesse, elle-même, soit fondée sur la pauvreté, que le temps disponible existe dans et par la contradiction au temps de surtravail, οu qu'on pose tout le temps d'un individu comme temps de travail, d'où dégradation de celui-ci au rang de simple travailleur, domination par le travail ». (ibid., p. 226).

 

Dans le socialisme inférieur, cette nature contradictoire est détruite en néralisant le temps disponible, donc en émancipant l'homme de l'esclavage salarié. Mais c'est, il faut le rapeller, le capital qui créé lui-même cette base. Nous avons précédemment montré que les classes moyennes ne sont que les représentants vivants de ce temps disponible et personnifient donc le surtravail de 1a classe ouvrière" Mais sa tendance (au capital, n.d.r.) est toujours de créér du temps disponible, d'un côté, de le transformer en surtravail de l'autre. S'il réussit trop bien à créer du temps disponible, il souffre de surproduction, et le travail nécessaire est interrompu parce que le capital ne peut plus valoriser aucun surtravail. Plus cette contradiction se développe et plus il se révèle que la croissance des forces productives ne peut plus être condamnée à l'appropriation du travail d'autrui, mais que la masse ouvrière doit s'approprier elle-même son surtravail. Ceci réalisé, le temps disponible cessant d'avoir une existence contradictoire, alors, d'un côté le temps de travail nécessaire aura sa mesure dans les besoins de l'individu social, d'un autre côté le développement de la force productive sociale s'accroîtra à un point tel que le temps disponible croîtra pour tous, bien que la production sera calculée en vue de la richesse de tous. Car la richesse effective est la force productive veloppée de tous les individus. La mesure de la richesse n'est plus du tout le temps de travail, mais le temps disponible. » (Ibid., pp. 225-26). [9].

 

Le travail doit perdre tout aspect antagonique pour ne plus être qu'activihumaine: Ι1 a le premier caractère tant qu'il doit être mesuré en temps de travail et, ceci doit se faire tant qu'on doit imposer aux hommes une activité. Activité sociale qu'ils jugent extérieure à eux et dont ils veulent différencier la leur propre se développant dans le temps disponible. Mais déjà sur la base du mode de production capitaliste la mesure de 1a richesse par le temps de travail apparaît comme une base mesquine pour le développement social.

 

«Dés que le travail sous sa forme immédiate a cessé d'être la grande source de la richesse, le temps de travail cesse et doit cesser d'être sa mesure, et la valeur d'échange celle de la valeur d'usage. Le surtravail de la masse a cessé d'être la condition pour le développement des puissances universelles du cerveau humain. La production fondée sur la valeur d'échange s'effondre de ce fait, et le procès de production matériel immediat parvient à se dépouiller de la forme de la nécessi(Notdürftίgkeit) et de la contradiction (Gegegensätztlichkeit). Ce n'est pas la réduction du travail nécessaire pour créer plus de surtravail, mais 1a réduction à un minimum du travail nécessaire à la société, qui correspond au libre développement des individualités, donc à l'éducation artistique, scientifique, etc., des individus, grâce au temps devenu libre et aux moyens créés.» (Ibid., p. 222).

 

Sous le capitalisme, le travail immédiat, celui des vivants entre dans la production dans une proportion de plus en plus faible, celui des morts dans la proportion inverse. Ce dernier est médiat ou social; il est dévalorisé et ne peut réacquérir valeur qu'à l'aide du premier. C'est pourquoi ce qui inresse le capital, c'est le travail vivant car lui seul est valorisation, création de plus-value. «La production de plus-value n'est donc pas autre chose que la production de valeur prolongée au delà d'un certain point. Si le procès de travail ne dure que jusqu'au point où la valeur de la force de travail payée par le capital est remplacée par un équivalent nouveau, il y a simple production de valeur; quand ί1 dépasse cette limite, il y a production de plus-value». (Livre Ι, t. 1, p. 195).

 

Le capital en développant les forces productives fait qu'une faible portion de travail vivant rappelle à la vie une grande quantide travail mort. C'est son aspect social et contradictoire: « Nous savons qu'au contraire, la conservation, donc aussi la reproduction de la valeur des produits du travail passé est en fait seulement le résultat de leur contact avec le travail vivant; et que, par ailleurs, la domination des produits du travail passé sur le travail vivant dure seulement ce que dure le rapport capitaliste: le rapport social déterminé dans lequel le travail passé s'oppose, autonome et tout puissant, au travail vivant». (ΙΙΙ, 7.63).

 

La source de la richesse n'est plus immédiate, mais médiatisée par le capital, dans le socialisme inférieur, c'est la société qui la médiatise; tout le produit des générations passées est offert à la collectivité. Le Communisme est la résurrection du travail mort. L'activité humaine non seulement immédiate mais passée est reconnue comme seule nécessaire. Ιl y d'abord destruction de la mystification, domination formelle du communisme, puis acheminement vers une affirmation de plus en plus prépondérante de l'activité humaine. Ceci est possible dans lla mesure où les moyens de production ne sont plus séparés des forces de travail; autrement dit, quand le procès de travail est unitaire. Ici encore, le capitalisme crée la base d'une telle situation.

 

« Dans les sociétés par action, la fonction est séparée de la propriété du capital; pourtant, le travail est, lui aussi, totalement séparé de la possession des moyens de production et du surtravail. Ce résultat du développement suprême de la production capitaliste est le point par passe nécessairement la reconversion du capital en propriété des producteurs, non comme propriété privée des producteurs particuliers, mais en tant que propriété des producteurs associés, propriété sociale immédiate. Par ailleurs, c'est le point parpasse la transformation de toutes les fonctions du procès de reproduction encore rattachées à la propriété du capital en simples fonctions des producteurs associés, en fonctions sociales ». (Livre III, t. 7, pp. 102-103).

 

Ι1 n'y a plus, alors, d'échange entre travail vivant et travail mort. Ι1 ne reste plus qu'un procès de travail, car celui de valori­sation a disparu: «Le capital argent disparaît en production socialisée. La société répartit la force de travail et les moyens de production entre les diverses branches d'industrie». (Livre II, t. 5, p. 14). Cela implique que les moyens de production ne peuvent plus apparaître sous la forme de capital fixe.

 

Destruction du capital fixe.

 

« La forme capitaliste de la reproduction une fois éliminée, le problème se ramène à ceci: la grandeur de la fraction du capital fixe qui disparaît et qui doit donc être reproduite en nature (il s'agit ici de la fraction servant à la production des moyens de consommation) change d'année en année. Si elle est très grande une certaine année (au-dessus de la mortalimoyenne, comme pour les hommes), elle est certainement d'autant plus petite l'année suivante. La masse des matières premières, des produits semi-finis et des matériaux auxiliaires, nécessaires pour la production annuelle des articles de consommation - toutes choses restant égales par ailleurs - ne diminue pas pour autant; la production devrait donc augmenter dans un cas et diminuer dans l'autre. On ne peut remédier que par une surproducton relative continuelle; il faut, d'une part, une certaine quantide capital fixe qui produit davantage qu'il n'est directement nécessaire; d'autre part et surtout, une production de matières premières, etc., dépassant les besoins immédiats actuels (ceci vaut surtout pour les moyens de subsistance). Une telle sorte de surproduction équivaut au contrôle de la société sur les moyens matériels de sa propre reproduction. Mais dans 1e cadre de 1a société capitaliste, elle est un élément d'anarchie ». (Le Capital, L. II, t. 5, pp. 116-17).

 

Ce contrôle est possible au moment où l'échange est supprimé, quand les moyens de production ne sont plus capital fixe. Ces derniers serviront « à former des objets usuels sans servir à former des valeurs ». (Livre Ι, t: 1, p. 203). Au niveau de la reproduction actuelle, le sujet d'échange c'est l'entreprise. Ιl faut donc détruire les entreprises: la société communiste n'ayant plus à restaurer les limites entre capitaux privés, se lirera de toute une gamme de gaspillages sociaux. Abolition de la répartititon du capital entre entreprises - postulat du communisme (tout en détruisant le capital social. Voir Il programma communista, n° 13; 1963).

 

« Supposons qu'au lieu d'être capitaliste, la société soit communiste: tout d'abord, le capital argent disparaît, et avec lui les déguisements des transactions qui s'imposent grâce à lui. La chose se réduit simplement à ceci: il faut que la société calcule d'avance la quantide travail, des moyens de production et de subsistance qu'elle peut, sans aucun dommage, employer à des entreprises comme par exemple la construction des chemins de fer, qui, pendant un temps assez long, un an ou même davantage, ne fournissent ni moyens de production ni moyens de subsistance, ni effet utile quelconque, mais enlèvent à 1a production annuelle totale du travail des moyens de production et de subsistance. Au contraire, dans la  société capitaliste, où le bon sens social ne se fait valoir qu'après coup, ί1 est possible et inévitable qu'il se produise sans cesse de grandes perturbations ». (Livre II, t. 4, pp. 292-93).

 

Temps de travail et valeur.

 

Ι1 semble qu'on ait toujours affaire à des valeurs, mais à ce moment, c'est bien, à nouveau, le temps de travail qui les définit. Mais puisque le but n'est plus son accroissement, cela veut dire que le temps de travail n'a plus besoin de se manifester sous l'enveloppe valeur pour avoir une fonction sociale; il assure d'emblée son rôle. Ce qui inresse, c'est son caractère utile. On peut dire ici qu'il ne joue que le rôle d'étalon. Ι1 mesure les produits de l'activité humaine et celle-ci dans son mouvement actuel. D'ailleurs K. Marx fait remarquer: «Le temps de travail ne peut pas être lui-­même immédiatement l'argent, cela reviendrait à exiger que chaque marchandise soit immédiatement son propre argent. » (Fondement, t. 1, p. 106). Ι1 ne peut le devenir qu'au travers de l'échange qui en faisant affronter les marchandises entre elles, le fait parvenir à la détermination de la valeur et donc de l'argent. «La marchandise n'est valeur d'échange que dans la mesure où elle s'exprime dans une autre, bref, en tant que rapport ». (Ibid, p. 147).

 

Dans le socialisme inférieur, la détermination sociale se fait avant, tandis que dans le capitalisme, elle se fait après coup (cf. citation ci-dessus) c'est pourquoi dans cette dernière société, le temps de travail a besoin de l'échange pour devenir social, d'où sa métamorphose valeur. La transformation vient du fait qu'on ne part plus de données particulières, mais sociales. La présupposition est sociale, c'est la communau qui détermine les quanta de temps qu'il faut mettre en mouvement.

 

D'emblée le caractère communautaire de la production ferait du produit un produit général et communautaire. L'échange se produisant originellement dans la production ne serait pas un échange de valeurs, mais d'activités déterminées par les besoins et les buts communautaires, il engloberait d'emblée la participation de l'individu au monde communautaire des produits. Sur la base des valeurs d'échange, le travail doit être d'abord posé par l'échange en tant que travail néral. Sur l'autre base il le serait avant l'échange, c'est-à-dire que l'échange des produits ne serait pas du tout l'intermédiaire (médium) grâce auquel la participation des individus serait medίatisée. Ι1 faut naturellement une médiation. Dans le premier cas, on part de la production autonome des individus particuliers, qui est déterminée et modifiée post-festm  par des rapports complexes: la médiation s'effectue par l'échange des marchandises, la valeur et l'argent, autant d'expressions d'un seul et même rapport. Dans le second cas, c'est la présupposition elle-même qui est médiatisée; c'est-à-dire qu'est présupposée une production communautaire, l'aptitude à 1a formation de la communau(Gemeinschaftlichkeit) en tant que base de la production. Le travail de l'individu est d'emblée posé comme travail social. (...) Dans le premier cas, le caractère social de la production n'est obtenu post festum qu'en érigeant les produits en valeur et en les échangeant. Dans le second cas le caractère social de la production est présupposé et la participation au monde des produits et à la consommation n'est pas médiatisée par l'échange de travaux ou de produits du travail indépendants les uns des autres.» (Fondements, t. 1, pp. 109-110).

 

Ainsi donc, il n'est plus question de coût de production, puisqu'il ne s'agit plus de profit; il ne s'agit plus de valeur puisqu'il n'y a plus d'échange, parce que d'entrée les produits ont un caractère social car produits pour 1a société et par l'ouvrier collectif utilisant la machine productive sociale. On n'a affaire qudes produits qu'il faut créer selon certaines quantités. On se préoccupe de l'utilité pour l'homme. Seulement il faut connaître l'effort social et individuel à fournir. Le temps de travail permet de le mesurer.

 

Nous avons donc vu qu'avec le bon de travail, le temps de travail devenait temps nécessaire à la société. Ι1 ne s'oppose plus qu'au temps disponible. Mais pour être sûr que ce temps ne recèle pas une nature double, qu'il s'oppose uniquement à quelque chose qui est au-delà de lui et que donc l'opposition ne lui soit pas constitutive comme cela se produit pour la journée de travail sous le capitalisme qui renferme 1a dualité: travail nécessaire, surtravail, il nous faut savoir comment sont consommés les produits engendrés au cours d'un laps de temps dont la mesure est inscrite sur le bon de travail.

 

 

2.   Bon de travail et consommation des produits.

 

 

La consommation est sociale, déterminée par 1a société: « À toute époque, la répartition des objets de consommation n'est que la conquence de la manière dont sont distribués les conditions de la production elle-même. Cette distribution est un caractère du mode de production lui-même. Le mode de production capitaliste, par exemple, consiste en ceci que les conditions matérielles de propriété sont attribuées aux non-travailleurs sous forme de propriété capitaliste et de propriété foncière tandis que la masse ne possède que les conditions personnelles de production: la force de travail. Si les éléments de la production sont distribués de la sorte, la répartition actuelle des objets de consommation s'ensuit d'elle-même. Que les conditions matérielles de la production soient la propriété collective des travailleurs eux-mêmes, une répartition des objets de consommation différente de celle d'aujourd'hui s'ensuivra pareillement ». (Critique au Programme de Gotha, pp. 25-26). [10]

 

Puisqu'on a produit pour une certaine consommation, on a produit ce qui était nécessaire. Le monde de 1a nécessine peut être dominé que lorsque la production peut satisfaire - avec un minimum d'effort humain - un ensemble de besoins qui ne sont pas immédiats. Le bon de travail νa donc jouer un second rôle: mesurer la portion qui revient à l'individu « dans 1a partie du produit commun réservée à 1a consommation ». (Livre Ι, t. 1, ρ. 90).

 

Tout d'abord une remarque qui se relie de manière organique à tout ce qui précede:

 

« Au sein d'un ordre social communautaire, (genossenschaftli­chen), fondé sur la propriété commune des moyens de production, les producteurs n'échangent pas leurs produits; de même, le travail incorporé dans des produits n'apparaît pas davantage ici comme valeur de ces produits, comme une qualité réelle possédée par eux, puisque désormais; au rebours de ce qui se passe dans la société capitaliste, ce n'est plus par la voie d'un détour, mais directement (c'est nous qui soulignons, n.d.r.) que les travaux de l'individu deviennent partie intégrante du travail de la communau». (Ibid, , p. 23).

 

De même qu'on avait déterminé la journée de chaque individu à partir de la journées sociale de travail, on νa déterminer à partir du produit total la fraction qui revient à chacun. Mais on ne peut pas simplement diviser la totalidu produit social par le nombre d'individus comme le voudraient les immédiatistes partisans du produit intégral du travail.

 

« La-dessus, il faut défalquer:

Premièrement: un fonds destiné au remplacement des moyens de production usagés.

Deuxièmement: une fraction supplémentaire pour accroître 1a production.

Troisièmement: un fonds de réserve ou d'assurance contre les acci­dents, les perturbations dues à des phénomènes naturels, etc. ».

 

« Ces défalcations sur le « produit intégral du travail » sont une nécessité économique, dont l'importance sera déterminée en partie, compte tenu de l'état des moyens et des forces en jeu, à l'aide du calcul des probabilités; en tout cas, elles ne peuvent être calculées en aucune manière sur la base de l'équité. »

 

« Reste l'autre partie du produit total, destinée à la consommation. »

 

« Mais avant de procéder à la répartition individuelle, il faut encore retrancher:

 

Premièrement: les frais généraux d'administration qui sont indépendants de la production.

 

Comparativement à ce qui se passe dans la société actuelle, cette fraction se trouve d'emblée réduite au maximum et elle décroît à mesure que se développe 1a société nouvelle.

 

Deuxièmement: Ce qui est destiné à satisfaire les besoins de la communauté: écoles, installations sanitaires, etc. Cette fraction gagne d'emblée en importance, comparativement à ce qui se passe dans la société actuelle, et cette importance s'accroît à mesure que se développe la société nouvelle.

 

Troisièmement: le fond nécessaire à l'entretien de ceux qui sont incapables de travailler, etc., bref, de ce qui relève et qu'on nomme aujourd'hui l'assistance publique officielle». (Ibid.,p. 22).

 

Le bond de travail sert de moyen de répartition, il est un droit à une participation à la consommation. « Le producteur reçoit donc individuellement - les défalcations une fois faites - l'équivalent exact de ce qu'il a donné à la société. Ce qu'il lui a donné, c'est son quantum individuel de travail. Par exemple, la journée sociale de travail représente 1a somme des heures de travail individuel; le temps de travail individuel de chaque producteur est la portion qu'il a fournie de la journée sociale de travail, la part qu'il y a prise. Ι1 reçoit de la société un bon constatant qu'il a fourni tant de travail (défalcation faite du travail effectué pour des fonds collectifs), et, avec ce bon, il retire des réserves sociales d'objets de consommation autant que coûte une quanti égale de son travail. Le même quantum de travail qu'il a fourni à 1a société sous une forme, il le reçoit d'elle, en retour, sous une autre forme ». (Ibid.,p. 23).

Deux choses sont à considérer ici. Une juridique: 1a question du droit égal, et une économique: 1a question de l'échange.

 

a) Le droit égal.

 

Avec plus de détermination que celle qui s'opère dans la dicta­ture du prolétariat, le bon de travail implique encore une médiation entre l'individu et la société. Le travail et non plus le capital est la présupposition. Le bon de travail est la reconnaissance de la participation à la vie sociale. Ιl dérive d'un partage mais celui-ci est secondaire, lié au caractère limité de la production. Ce n'est pas un avoir qui présuppose, mais un acte; une manifestation. De l'accomplissement de cet acte découle l'obtention d'un certain nombre de produits. Le droit égal dérive d'une participation égale.

 

Ι1 semble que le socialisme inférieur ne soit donc que la réalisation de la démocratie. En effet, telle est l'apparence. Mais c'est une réalisation qui dans tous les cas ne serait que transitoire; elle découle d'une limitation imposée par la faiblesse du développement des forces productives et de la conscience des producteurs. C'est une étape qu'il faut franchir. Sa disparition est liée au dépérissement de l'État prolétarien: Car, qui peut faire respecter ce droit égal, sinon lui? Dans le communisme pleinement développé, il n'y aura plus de droit, ni de problème de répartition, de partage. Les Sociaux-démocrates aux nuances diverses ont insisté sur un stade du mouvement et l'ont fixé comme but, alors que celui-ci est bien au-delà d'une telle société étriquée [11].

 

Mais cette mesure égalitaire tire son importance non de son contenu immédiat, mais du résultat qu'elle doit permettre d'atteindre: la destruction de la concurrence entre les hommes. Nous avons déjà fait allusion à cette question lors de l'étude de la dictature du prolétariat. Ici, elle revêt une dimension exceptionnelle parce que sont réalisées les conditions de sa réalisation. Or la disparition de cette concurrence est la base même de l'unification véritable de l'espèce, laquelle est incompatible avec la démocratie que ne peut fleurir que sur sa division, étant donné que même sous sa forme la plus éthérée, elle n'est qu'une conciliation de contraires.

 

b) L'échange.

 

K. Marx écrit après la citation reportée plus haut: « C'est manifestement ici le même principe que celui qui règle l'échange des marchandises pour autant qu'il est échange de valeurs égales. Le fond et la forme différent, parce que les conditions étant différentes, nul ne peut rien fournir d'autre que son travail et que, par ailleurs, rien ne peut entrer dans la propriété de l'individu que des objets de consommation individuelle ». (Critique du Programme de Gotha, p. 24). Ι1 est donc nécessaire d'analyser de plus près le rapport entre bon de travail et quantide produits, non pas de façon figée, c'est-à-dire en le considérant comme une donnée immuable, valable sous cette forme pour toute une phase de la vie de l'humanité, mais dans son devenir.

 

Une remarque s'impose à ce propos. À l'origine, le capitalisme se caractérise par 1a mise en mouvement des rapports sociaux qui perdent ainsi leur rigidité. Ι1 les fixe ensuite afin d'assurer la valorisation de 1a valeur (capital) et l'autonomisation de celle-ci. En domination formelle du communisme, le mouvement reprend non plus pour faciliter l'accession à l'autonomie de la valeur mais pour mener l'humanité à sa liration totale.

 

Le rapport peut se présenter de la façon suivante:

Bon de Travail   Quantum de produits

(Quantum de travail)            (Aliquote de 1a quanti sociale).

 

Ceci semble être la formule simple de la valeur, telle qu'elle s'est manifestée à l'origine du mouvement économique qui a vu le développement de la valeur d'échange. Elle était accidentelle, ici, la relation serait transitoire. Ι1 convient de préciser cette forme valeur simple apparente. Le bon de travail y joue plusieurs rôles

 

1 Mesure.

 

Mais celle-ci est déterminée d'emblée par la société et non à la suite d'un mouvement de médiation plus ou moins long après une série d'échanges. C'est ce qui limite la ressemblance avec la forme simple de la valeur. « La première forme de l'argent correspond à un faible niveau de l'échange et du troc où l'argent se manifeste bien plus dans sa détermination d'étalon qu'en tant qu'instrument d'échange effectif» (Fondements, t. 1, p. 104).

Seulement, ici encore, on voit que la présupposition du socialisme réside dans le plus haut développement de la valeur d'échange, sa socialisation.

 

2 Il est équivalent.

 

Mais son rôle en tant que tel est strictement limité en ce sens qu'il est déterminé par la société d'une part et que, d'autre part, il n'a pas d'autonomie, car l'essentiel est la forme relative: la quantide produits. Ι1 y a une équivalente qui se développe comme inéquivalence. En effet, au fur et à mesure de l'augmentation de la production, pour un même quantum de travail, l'individu pourra recevoir une quantité plus grande du produit social - caractère distinctif d'avec le salaire - jusqu'au moment où, par suite de l'abondance, le bon de travail n'a plus de raison d'être.

 

3 Ι1 permet une seule transaction.

 

« Ces bons ne sont pas de l'argent, ils ne circulent pas ». (Livre Il, t. 5, p. 14). Ainsi la relation que nous avons écrite entre le bon de travail et la quantité de produits à laquelle il donne droit n'est qu'en apparence forme simple de la valeur. Le bon permet un échange et un seul. La forme développée de 1a valeur est bien détruite. Mais K. Marx a démontré que la forme simple de la valeur contenait tout le développement ultérieur de celle-ci. Ι1 est donc évident qu'il faille la détruire aussi pour que le capital ne puisse pas réapparaître. Cela veut dire aussi que même la ressemblance avec cette forme simple doit disparaître. Or, le bon n'est pas accumulable, de ce fait aucun mouvement de valeur ne peut se faire à partir de lui. D'autre part, nous l'avons vu, le capitalisme n'a pu apparaître que dans une société ou un certain quantum de valeur devenu autonome s'était accumulé; quantum capable d'acheter, de se soumettre la force de travail afin de permettre la réalisation du procès de valorisation qui est celui du capital.

 

Le bon de travail est valable pour une certaine période. À la fin de celle-ci, s'il n'est pas consommé, il est perdu. Ainsi aucune puissance monopolisatrice ne peut apparaître dans la société. Puissance qui en s'assujettissant d'abord une certaine quantité de produits pourrait ensuite s'emparer des moyens de production et restaurer le capitalisme.

 

En conclusion, la relation indique qu'il y a équivalence (avec 1a précision sus-indiquée), mais non réversibilité et donc, en ce sens, c'est surtout une forme relative. En effet, il est impossible d'écrire:

 

Quantum de produits Quantum de travail (bon).

 

On ne peut pas l'assimiler à la forme simple de la valeur qui implique la polarité: forme relative, forme équivalente. Elle indique surtout un rapport qualitatif. La quantité dépendant uniquement de la production elle-même. L'équivalence est donc déterminée extérieurement et non pas par l'affrontement de deux éléments comme les marchandises dans la forme simple de la valeur. C'est l'État qui détermine, impose quelle est la quantité de produits à laquelle donne droit le bon. Ce n'est donc pas un échange, mais une assignation autoritaire de produits. La quantité variera au cours du temps jusqu'à se nier. La dernière apparence de valeur a disparu, le bon de travail réalise la destruction de la valeur. La société, comme le dit F. Engels dans 1'Anti-Dühring, n'accorde plus de valeur aux produits. La loi de la valeur est enterrée.

 

Socialisme et loi de la valeur [12].

 

Si l'on dit, au contraire, que la loi de 1a valeur sera opérante dans le socialisme inférieur, comme le font certains théoriciens analysant superficiellement les phénomènes, cela revient à poser la démocratie comme forme nécessaire pour toute cette même période. Or, nous l'avons fait remarquer, ce n'est qu'apparemment que le socialisme inférieur a un contenu démocratique. D'autre part, faire une telle affirmation c'est prendre la position des socialistes français qui considéraient que le capital faussait la loi de 1a valeur, empêchant son fonctionnement, détruisant par la-même Égaliet Liberté. Ι1 fallait, selon eux, l'éliminer pour que ces dernières puissent agir véritablement dans la société. « D'où l'erreur de ces socialistes, des Français en particulier, qui voulaient prouver que le socialisme était la réalisation des idées bourgeoises, qui n'avaient pas été découvertes, mais historiquement mises en circulation par la Révolution française et qui s'échinaient à démontrer que la valeur d'échange initialement (dans le temps) ou d'après son concept (dans sa forme adéquate) était un système de liberté et d'égalité pour tous, mais qui aurait été faussé par l'argent, le capital, etc. Ou encore que jusqu'ici l'histoire n'avait fait que des tentatives avortées de réaliser ces idées dans leur forme ritable et qui voulaient alors, tel P.J. Proudhon, avoir découvert une panacée qui permettrait de fournir, à la place de leur histoire falsifiée, l'authentique histoire de ces rapports ». (Version primitive, p. 224).

 

Nos théoriciens n'ont pas le même point de départ, mais en définitive, me point d'arrivée [13].

 

En effet, dire que la loi de la valeur fonctionne sous le socialisme implique la reconnaissance que le capital la fausse - sinon ce ne serait pas une caractéristique de cette période historique. La dictature du prolétariat, le parti auraient donc pour mission historique de faire respecter la loi de la valeur. Belle perspective en vérité! D'autre part, c'est revendiquer un état anrieur au capitalisme; c'est donc être réactionnaire. Le capital s'est édifié sur la base de la loi de la valeur. C'est ce que ne comprenaient pas les socialistes français: «Le système de la valeur d'échange, et plus encore le système monétaire, est en réalile système de la liberté et de l'égalité. Mais les contradictions qui surgissent dans son développement sont des contradictions immanentes, des implications de cette propriété, de cette liberté et de cette égalité elles-mêmes qui, à l'occasion, se muent en leur contraire. Et c'est à la fois un vœu pieux et un désir naïvement niais que de vouloir, par exemple, empêcher la valeur d'échange de se transformer, de marchandise et d'argent, en capital, ou de vouloir empécher le travail producteur de valeur d'échange, d'aboutir, en se développant, au travail salarié ». (Ibid., pp. 224-25). Ils ne voyaient pas les conditions nouvelles que créait le capital. Celui-ci en niant la loi de la valeur, en essayant de la surmonter, en lui donnant d'autres fondements, d'autres présuppositions formait la base même de sa suppression qui se vérifie avec l'accession de l'humanité au socialisme inférieur.

 

Nature double du bon de travail?

 

En affirmant que la loi de 1a valeur est enterrée, il semble que l'on réponde en même temps à la question: le bon de travail a-t-il une nature double? La question est d'importance, car la possibilité de produire de la plus-value résidait - sous le capitalisme - dans la nature dualistique de la journée de travail. Mais si la loi de  la valeur est détruite, et si le bon de travail mesure le temps de travail effectué par chaque individu, celui-ci ne peut en aucun cas recèler une telle dualité. Celle-ci ne réapparaît-elle pas sous une autre forme? La quantide produits perçue grâce au bon de travail mesurerait le travail nécessaire, celle défalquée, le surtravail.

 

En fait, les choses se présentent ainsi: tout le travail peut être considéré comme travail nécessaire à l'espèce, ou, dialectiquement parlant, on peut considérer que l'individu est affranchi du travail nécessaire, il n'accorde plus à la société que du surtravail. Celle-ci l'utilise et le répartit.

 

« Le surtravail pour autant qu'il est un travail excédent le niveau des besoins donnés devra toujours exister». (Livre III, t. 8, p. 198). Mais K. Marx ajoute aussitôt: « Dans le système capitaliste, comme le système esclavagiste, etc. il ne revêt qu'une forme antagoniste et se complète par l'oisiveté totale d'une partie de la société ». Or, le socialisme détruit une telle oisiveté, puisque le temps de travail a été généralisé à tous. C'est pourquoi il ne peut être, comme le voulait P. Lafargue, la réalisation du droit à la paresse.

 

L'opposition entre travail nécessaire et surtravail est remplacée - comme on l'a déjà souligné - par celle entre temps de travail et temps disponible, dernière forme antagonique léguéee d'ailleurs par le capital. Le socialisme développe la contradiction de façon totale pour pouvoir l'éliminer. Elle indique encore dans quelle mesure la société n'est pas parvenue à satisfaire de façon illimitée les besoins humains; dans quelle mesure l'homme - individu consommant - se saisit encore en tant que particule plus ou moins autonome dans le complexe social; lorsqu'il ne ressent pas son activiindividuelle comme actividirectement sociale, parce que se fondant dans l'activité générale et élément nécessaire à celle-ci. La contradiction disparaît au moment où le travail perd tout aspect coercitif.

 

« La capacide jouissance est une condition de la jouissance, le premier moyen de celle-ci. Cette capacité est développement d'une aptitude individuelle, d'une force productive individuelle. Eεonomiser le temps de travail est équivalent à accroître le temps libre, c'est-à-dire le temps pour le développement complet de l'individu qui, en tant que force productive la plus grande, réagit a son tour sur la force productive du travail. Du point de vue du procés de production immédiat, elle peut être considérée comme production de capital fixe, ce capital fixe fait homme (en effet, ce n'est que par l'accroissement du capital fixe qu'il est possible qu'une faible quantide travail vivant permette la production d'une quantité énorme de produits, de telle sorte qu'il semble que c'est le capital fixe qui produit, tel un immense homme social; c'est l'aspect de dévalorisation et donc de socialisation du capital, n.d.r.). Ιl va de soi en outre, que le temps de travail immédiat lui-même ne peut persister dans son opposition abstraite au temps libre, comme cela apparaît du point de vue de l'économie bourgeoise. Le travail ne peut devenir un jeu comme le veut Fourier à qui revient le grand mérite d'avoir exprimé que le but suprême n'est pas seulement la suppression de la distribution mais celle du mode de production lui-même dans sa forme 1a plus évoluée. Le temps libre - temps aussi bien pour le loisir que pour une activité supérieure - aura naturellement transformé son possesseur en un autre sujet; celui-ci entrera aussi en tant que tel dans le procès de production immédiat. Celui-ci est, par rapport à l'homme considéré dans son devenir, simultanément discipline, exercice appliqué, science expérimentale, par rapport à l'homme devenu - dans le cerveau duquel existe le savoir accumulé de la société - il est science matériellement créatrice et s'objectivant. Pour les deux, c'est en même temps, comme dans l'agriculture, un exercice, dans la mesure où le travail exige des dispositions manuelles et un libre mouvement. (Fondements, t. 2, pp. 229-30).

 

Le socialisme pousse la contradiction entre temps de travail et temps disponible jusqu'à sa derniere limite; mais par suite du développement social (avec éducation, instruction en rapport) et du fait que les rapports sociaux apparaîssent maintenant clairs et nets aux hommes [14], sans mystification, le temps disponible va entrer lui-aussi dans l'activité productive de l'homme, c'est sa socialisation. Ι1 n'y a plus de temps de travail, puisqu'il n'y a plus de limitation, donc de mesure à faire pour le contrôler. L'activité spontanée et consciente des hommes pourvoit à tous les travaux nécessaires, ainsi qu'à toutes les nouvelles productions.

 

« La richesse véritable de la société et la possibilité d'un élargissement ininterrompu de son procès de reproduction ne dépendent donc pas de la durée du surtravail, mais de la productivité et des conditions plus ou moins perfectionnées dans lesquelles il s'accomplit. En fait, le royaume de 1a liberté commence seulement là où l'on cesse de travailler par nécessité et opportunité imposée de l'extérieur; il se situe donc, par nature, au-delà de la sphère de production matérielle proprement dite». (Livre III, t. 8, p. 198).

 

Ι1 y a toujours un procès de travail: « De même que le sauvage doit lutter contre la nature pour pourvoir à ses besoins, se maintenir en vie et se reproduire, l'homme civilisé est forcé, lui aussi, de le faire et de le faire quels que soient la structure de la société et le mode de production. Avec son développement s'étend également le domaine de la nécessité naturelle, parce que les besoins augmentent; mais en même temps s'élargissent les forces productives pour les satisfaire ». (Livre III, t. 8, p. 198).

 

Dans le socialisme inférieur, le procès de travail permet de satisfaire un nombre toujours plus grand de besoins humains et, d'autre part, il ne domine pas l'homme, mais est dominé par lui, il n'en fait plus son esclave. «En ce domaine, la seule liberté possible est que l'homme socialisé, les producteurs associés réglent rationellement leurs échanges organiques avec la nature, qu'ils la contrôlent communautairement au lieu d'être dominés par sa puissance aveugle, et qu'ils accomplissent ces échanges en dépensant le minimum de force et dans les conditions les plus dignes de la nature humaine ». K. Marx fait tout de suite remarquer: « Mais ceci demeure toujours un royaume de la nécessité». Ι1 faut parvenir à dominer celui-ci donc abolir le temps de travail, en tant que durée délimitée dans la journée de l'homme, opposée au reste de celle-ci. À ce moment-là, l'homme n'est plus assujetti au temps, dans le sens où K. Marx disait: «Le temps est tout, l'homme n'est rien; il est tout au plus la carcasse du temps ». En perdant la nécessité de la mesure du travail, l'homme retrouve sa substance, le travail n'est plus quelque chose qui lui est extérieur, mais est sa manifestation profonde, intime. Ses activités ne sont plus séparées en des domaines plus ou moins antagoniques: sciences, art, etc. Mais s'intègrent en une seule activité, manifestation de la nature humaine dans son devenir.

 

De ce fait: «C'est au-delà que commence le développement des forces humaines comme fin en soi, le véritable royaume de la liberté qui ne peut s'épanouir qu'en se fondant sur l'autre royaume, sur l'autre base, celle de la nécessité». K. Marx conclut ce magnifique passage en indiquant la condition primordiale pour que ce mouvement émancipateur puisse se produire; mouvement que nous avons exposé en détail ci-dessus: «La condition essentielle de cet épanouissement est la réduction de 1a journée de travail» (p. 199).

 

Une fois atteint ce stade dpanouissement, la notion de temps de travail n'a plus sa raison d'être, le bon de travail est devenu inutile et l'individu, non plus sujet d'échange, comme dans le mode de production capitaliste, mais d'une assignation, disparaît lui aussi.

 

 

3° Faux frais de production et comptabilité sociale. Les formes du travail.

 

 

Nous avons dit qu'il faudrait déterminer les quanta physiques à produire en fonction de 1a population et de son augmentation et, en liaison avec cela, la détermination du temp de travail et du bon etc... Tout cela nécessite une comptabilité. Celle-ci existe de façon hypertrophiée dans la société capitaliste. Elle enregistre surtout les mouvements de valeur. Le secteur qui s'est développé précédemment: prévision, planification, programmation a encore alourdit l'appareil économique. Ι1 naît sur le terrain direct de l'antagonisme capital-communisme.. Cela a pour résultat d'accroître les faux frais de la production, tel que K. Marx les définit dans le Second Livre du Capital.

 

En domination formelle du communisme, il y aura un organisme avant tout de prévision des quantités à produire, à fabriquer, et la détermination des temps de travail qu'il faudra employer pour les engendrer.

 

«Après 1a suppression du mode capitaliste de production, mais dans le cas du maintien de la production sociale, la détermination de la valeur restera dominante, parce qu'il sera plus nécessaire que jamais de réglementer la durée du travail, de distribuer le travail social entre les différents groupes productifs, enfin d'en tenir 1a comptabili» [15]. (Livre III, t. 8, p. 228).

 

Ce travail sera accompli par une couche d'hommes qui au début peuvent être séparés du reste des travailleurs, ceux qui sont réellement productifs. Eux seront les improductifs comme ceux du système capitaliste; ce qui prouve que nous n'avons affaire encore qu'à une domination formelle du communisme. Seulement, étant donné l'inversion du but de la production, leur travail est aussi un travail nécessaire à l'espèce. Ils sont des faux-frais de la production sans lesquels celle-ci ne pourrait pas s'effectuer dans le sens voulu par la société. De plus, puisque cette dernière n'attribue plus de valeurs aux produits, il ne peut plus être question de faux-frais. Ce qui reste, ce sont les différentes formes du travail, parce que le procès total de celui-ci est encore fragmentaire, divisé. Ι1 ne constitue pas encore un tout (la division du travail n'ayant pas encore été surmontée) où l'activité de l'homme se développe à un moment sur le plan intellectuel: prévision du procès, à un autre sur un plan pratique: expérimentation et effectuation de 1'œuvre prévue.

 

Ι1 n'en demeure pas moins que «La comptabilité comme contrôle et résumé mental du procès devient d'autant plus nécessaire que le procès se passe davantage à l'échelle sociale en perdant le caractère purement individuel; elle est donc plus nécessaire dans la production capitaliste que dans 1a production éparpillée des artisans et des paysans, plus nécessaire dans la production communautaire que dans la production capitaliste. Mais les frais de la comptabilité se réduisent avec la concentration de 1a production, et à mesure qu'elle se transforme en une comptabilité sociale ». (Livre II, t. 4, p. 124).

 

C'est à ce moment-là - justement - que l'État prolétarien s'éteint. Ι1 n'y a plus de couches sociales différenciées dans 1a société. Ι1 y a une espèce unifiée accomplissant un procès de travail unifié qui est celui de sa production et de sa reproduction. Finis le droit égal et le bon de travail.

 

Toutes les formes de 1a valeur sont donc enrrées; par là le travail lui-même ne revêt plus de forme déterminée; il n'y a plus d'aliénation. Nous passons dans le socialisme supérieur, le communisme.

 

Le capitalisme avait une façon personnelle de nier 1a valeur, c'était d'en devenir la présupposition; les formes de la valeur étaient alors remplacées par celles de la plus-value. Au cours de la phase de domination formelle du communisme, la mystification s'effondre et se manifestent alors les formes du travail. Celui-ci n'ayant plus besoin d'un détour pour manifester son caractère social. Ι1 faut pour ne plus être sur le terrain où la valeur peut à nouveau se manifester que le travail n'apparaîsse plus en des formes qui sont toujours des formes antagoniques. Nous avons en effet remarqué que, dans une certaine limite, l'expression de détermination de la valeur est synonίme de détermination de quantum de temps de travail. Cela dérive du fait que nous sommes à une époque charnière où le travail doit perdre son enveloppe valeur, époque inverse de celle historiquement dépassée depuis des millénaires où le travail a acquis cette même enveloppe. Ainsi le moment où la société ne connaît que des formes de travail est-il celui où finit le mouvement de la valeur et où commence celui de la libération de l'homme; liration de l'homme parce que liration de son activité essentielle. En conquence il est nécessaire de faire un retour sur tout le mouvement historique.

 

Dans les différentes formes sociales de production, l'activité humaine subit différentes lois qui lui donnent justement une forme. A partir d'une certaine époque, on a développement de 1a propriété privée et des classes; le travail est aliéné et 1a valeur apparaît. Nous l'avons montré: auparavant les produits étaient utiles ou non et c'est tout. Le travail humain ne s'était pas encore dégagé de sa fonction purement biologique d'activipour entretenir 1a vie. De ce fait, il correspondait à 1a satisfaction de faibles besoins. À partir de ce moment, la valeur νa avoir des formes différentes; le temps de travail νa en être 1a mesure de façon plus ou moins adéquate, plus ou moins sociale; les lois qui donnent forme à la valeur donnent parallélement forme au travail, se soumettent le travail[16] Ensuite, tout le temps de travail est dédié à la production de valeurs; il y a coexistence - comme disait K. Μarx - au sein de la journée de travail, du travail nécessaire et du surtravail. Originellement, une telle duali n'a pas de raison d'être, puisque l'individu dédie toute son activité à la production de la vie de la communau et donc à la sienne; il n'arrive pas à opérer une paration, une division entre ce travail et une activité autre. Plus tard cette opposition s'approfondit, la marchandise domine l'activité qui l'a produite et confère au travail un caractère mercantile (naissance du capital). À un stade plus évolué de ce dernier, le travail mort, accumulé, devient puissance dominatrice sur le travail vivant et tout travail devient abstrait et social. Ι1 n'y a plus de coexistence entre les deux parties de la journée de travail, mais domination du surtravail sur le travail nécessaire, mais c'est en même temps un aspect civilisateur du capital que la manière dont il extorque ce surtravail, et les conditions dans lesquelles il le fait sont plus favorables au développement des forces productives, des rapports sociaux et à 1a création des éléments d'une structure nouvelle et supérieure, que ne l'étaient les systèmes antérieurs de l'esclavage, du servage, etc. » (Livre III, t. 8, p. 198).

 

Dans le socialisme inférieur, la contradiction travail nécessaire surtravail se mue en celle temps de travail temps disponible; il y a généralisation de ce dernier et libération de l'espèce. C'est seulement dans le communisme que le travail n'est plus contraint; il ne subira plus de lois, car il ne s'agira plus d'un problème de production de valeurs. Plus de forme de valeur, plus de forme du travail. L'homme domine le procès de celui-ci et donc les lois qui régissent son déroulement. Le travail devient activiqui permet des échanges avec la nature, qui adapte la matière à telle ou telle fin: « ...l'activiproductive de l'homme en néral, par laquelle il médiatise l'échange de matière avec la nature; activité dépouillée, non seulement dé toute forme sociale et de toute détermini de caractère, mais encore dans sa simple existence naturelle, indépendante de la société, située en dehors de toutes les sociétés, est. en tant que manifestation et affirmation de la vie, commune à l'homme encore social et à l'homme socialement détermide quelque manière que ce soit. » (Livre III, t. 8, p. 194).

 

Plus de valeur, et l'homme n'est plus « la carcasse du temps ». Il n'est plus oppressé par lui, mais le domine. Subjectivement il redevient la durée apparemment non mesurable. Le travail, comme l'a expliqué F. Engels dans la Dialectique de la nature, a transformé l'homme, le travail liré, émancipé, provoquera une transformation ultérieure de l'humanité lui permettant d'entrer de plein pied dans 1a société communiste.

 

*    *    *

 

L'étude de la domination formelle du communisme qui précède n'est en fait valable que pour 1a période où la révolution communiste devait se faire sur la base de la domination formelle du capital sur 1a société et, dans une certaine mesure aussi, pour la période de transition à la domination réelle. Mais depuis la généralisation de celle-ci à l'ensemble de la planète (1945) ceci est totalement dépassé. Cependant cette étude avait l'avantage de présenter comment le prolétariat devait détruire la loi de la valeur; comment on pouvait à cet effet utiliser effectivement le bon de travail; elle montrait par toute l'importance des recherches de K. Marx sur les formes de la valeur. D'autre part, étant donné que le capital est à la fois un procès qui s'accomplit dans l'espace qui, une fois parvenu à l'autonomie semble ne plus avoir de présuppositions en dehors de lui-même, et un procès qui a des présuppositions historiques, il fallait précisément mettre en évidence tout ce qu'implique spatialement et temporellement le procès de production capitaliste afin de pouvoir le détruire. Le maintien de formes simples de la valeur peut en effet servir de support à la régénération du mode de production capitaliste. De là découlaient les fonctions de la classe érigée en parti.

 

Ce que nous disons de ce chapitre s'applique également à l'étude inressante des communistes hollandais (G.I.C., groupe de communistes internationaux de Hollande): Principes fondamentaux de 1a production et de la répartition communistes  qui ont été republiés en version allemande dans le livre «Gruppe internationale Kommunίsten Hollands » (Rowolht Verlag, 1971) et dont Information et Correspondance Ouvrière (I.C.O.) a publié des extraits dans une brochure Fondements de l'économie communiste, vrier 1972. Un exposé et une critique de l'ouvrage des communistes hollandais furent fait par Hennaut (qui était ni un conseilliste ni un partisan de la gauche italienne) dans Bilan (bulletin théorique mensuel de la fraction de gauche du PCI) auxquels Mitchell (de la gauche italienne) répliqua par une rie d'articles Problèmes de la période de transition. Nous reviendrons ultérieurement sur toutes ces contributions à l'étude du passage au communisme. (note de mai 1972).

 

 

ΙΙΙ. La domination réelle du communisme.

 

La domination réelle du communisme, c'est le stade décrit par K. Marx sous le nom de socialisme supérieur ou communisme. Notre étude centrée sur le mouvement de la valeur se termine donc normalement avec l'analyse du socialisme inrieur qui voit la fin de ce mouvement et le début de celui de réappropriation de la nature humaine. Dans cette société le but de la production est l'homme lui-même. Nous indiquerons tout de même quelques caractères du communisme, ne serait-ce que pour montrer comment se présente une société qui n'est plus dominée par 1a valeur.

 

L'accession de l'humanité au communisme suppose une volution pacifique [17] qui change totalement la base des fondements de la société et de la nature humaine. Ceci est accompli au cours de la phase précédente avec le grand développement de la production pour l'homme et les modifications apportées à la nature de celui-ci par suite de la destruction du travail forcé, mercantile. De même la domination réelle du capital supposait une volution dans le mode de produire - une volution qui se répétait comme l'indiqua K. Marx - ce qui veut dire que le capital tendait continuellement à bouleverser les bases sur lesquelles il reposait.

 

Pour qu'il y ait communisme, il faut que le monde de la nécessité soit dominé, car c'est au-delà de celui-ci que commence le vrai domaine du développement humain. Alors, l'homme prend en main sa propre évolution.

 

La domination du royaume de la liberté se réalise lorsque, parallélement, les antiques antagonismes sociaux ont disparu:

 

- plus de classes, plus d'Etat, donc plus de propriété privée.

- plus d'opposition « ville-campagne », l'humanité est répartie harmonieusement à la surface du globe.

- disparition de la division du travail manuel - travail intellectuel, reflet de la lutte des classes. L'homme social utilise la machine productive pour créer un produit social.

- dissolution de l'opposition «vie privée - vie publique». L'homme social ne connaît pas de politique, puisqu'il n'y a plus d'hommes à gouverner. Ιl y a des choses à dominer. En conquence, il n'y a plus d'antagonismes entre l'homme social (un être humain) et l'espèce. L'humanité a retrouvé son uni organique; plus de dualisme «grands hommes - masses , identique à celui « esprit - matière ».

 

« Dans une phase supérieure de la société communiste quand auront disparu l'asservissante subordination des individus à la division du travail et, avec elle, l'opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel; quand le travail ne sera plus seulement le moyen de vivre, mais deviendra lui-même le premier besoin vital; quand, avec le développement multiple des individus, les forces productives se seront accrues elles aussi et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement l'horizon borné du droit bourgeois pourra être définitivement dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux: « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins! ». (Critique du programme de Gotha, p. 25).

 

L'horizon borné du droit bourgeois, c'est aussi l'horizon mocratique qui suppose 1'homme divi, affronté à une richesse qu'il faut partager. Le communisme n'a rien à voir avec 1a démocratie. C'est pourquoi il ne connaît plus d'antagonisme « entre l'homme et la nature, entre l'homme et l'homme, 1a vraie solution de la lutte entre l'existence et l'essence, entre objectivation et affirmation de soi, entre liberté et nécessité, entre individu et l'espèce. Il est l'enigme résolue de l'histoire et il se connaît comme cette solution ». (Manuscrits de 1844, p. 87).

 

Pour le caractériser de façon plus précise, nous transcrivons trois fragments de l'œuvre de K. Marx, éclairant trois de ses aspects.

 

1 - La production.

 

« Supposons que nous ayons produit en tant qu'hommes. Chacun de nous s'affirmerait dans sa production: soi-même et les autres. J'aurai 1. Dans ma production objectivé mon individualité, sa particularité et j'aurai tout autant joui, au cours de l'activité, d'une manifestation de la vie individuelle, que de savoir affirmée ma personnalité en tant que puissance objectivée, sensiblement constatable, élevée au-dessus de tout doute. 2. Dans la jouissance ou l'utilisation de mon produit je jouirai aussi bien immédiatement de la conscience d'avoir satisfait par mon travail un besoin humain que d'avoir objectivé mon être humain et, par là, d'avoir procuré à un autre être humain l'objet qui lui convenait. 3. J'aurais été pour toi l'intermédiaire entre toi et l'éspèce, j'aurais donc été connu et ressenti par toi-même comme le complèment de ton être, comme une partie nécessaire de toi-même; donc de me savoir confirdans ta pensé et dans ton amour. 4. J'aurais directement produit dans ma manifestation de vie individuelle la manifestation de ta vie et j'aurais donc rifié et réalidirectement dans mon activité individuelle mon être véritable, mon être humain, ma Gemeinwesen. »» (Commentaires sur l'ouvrage de James Mill, Éléments d'économie politique.) [18].

 

2 - La richesse et les besoins.

 

« On voit comment l'homme riche et le besoin humain riche prennent la place de 1a richesse et de la mire de l'économie politique. L'homme riche est en même temps l'homme qui a besoin d'une totalité de manifestations vitales humaines. L'homme chez qui sa propre réalisation existe comme nécessité intérieure, comme besoin. Non seulement la richesse, mais aussi la pauvreté de l'homme reçoivent également - sous le socialisme - une signification humaine et par conquent sociale. Elle est le lien passif qui fait ressentir aux hommes comme un besoin la richesse la plus grande, l'autre homme. La domination de l'essence objective en moi, l'explosion sensible de mon activité essentielle est la passion qui devient par là l'activité de mon être. » (Manuscrits de 1844, p. 97).

 

3 - Rapport entre les hommes.

 

« Si tu supposes l'homme en tant qu'homme, et son rapport au monde comme un rapport humain, tu ne peux échanger que l'amour contre l'amour, la confiance contre la confiance, etc. ». (Ibid.,p. 123).

 

Le communisme est la véritable communauhumaine où la médiation est l'homme lui-même. L'être humain est la véritable Gemeinwesen de l'homme (K. Marx). [19]

 

 

Ν Ο Τ Ε S

 

 

Ι. - La périodisation du communisme.

 

Les trois phases post-capitalistes: dictature du prolétariat, socialisme inférieur, communisme, ont été, au fond, perçues, conçues successivement par les différents théoriciens qui ont décrit une société succédant à celle divisée en classes. Seulement, sauf pour le communisme scientifique, leurs descriptions étaient entâchées d'une erreur fondamentale: la prémisse égalitaire. Car, pour les socialistes utopiques, l'égalité était le but du mouvement social. À ceci s'ajoutait l'incapacité de comprendre réellement la valeur. Dans Les manuscrits de 1844, K. Marx présente les différentes positions communistes en indiquant tout d'abord ce qui caractérise ennéral le communisme: «Le communisme, enfin, est l'expression positive de la propriété privée abolie, et en premier lieu la proprieté privée nérale ». C'est dans le comment de cette abolition que gît la dίfférenεe entre les multiples doctrines, liées à différents moments de l'évolution sociale.

 

«En saisissant ce rapport dans son universalité, le communisme:

1) n'est sous sa première forme qu'une généralisation et un achèvement de ce rapport; en tant que rapport achevé, il apparaît sous un double aspect; d'une part, la domination de la propriété réifiée (sachlίche) est si grande vis-à-vis de lui qu'il veut anéantir tout ce qui n'est pas susceptible d'être possédé par tous comme propriété privée; il veut faire de force abstraction du talent, etc. La possession physique immédiate est pour lui l'unique but de la vie et de l'existence; la détermination de l'ouvrier n'est pas supprimée, mais étendue à tous les hommes; le rapport de la propriété privée reste le rapport de 1a communau au monde des choses » (p. 85). Ιl est indiqué ici une mesure que réalisera effectivement 1a dictature du prolétariat «la catégorie de l'ouvrier n'est pas supprimée mais étendue à tous les hommes », avec cette précision que le prolétariat se nie en tant que tel en néralisant sa condition de prolétaire à toute la société. Seulement les limitations théoriques dont nous avons parfont que 1a communau qu'ils entrevoient n'est en fait qu'une communauté du capital (cf. le chapitre sur «Capital et communaumatérielle»). K. Marx ajoute d'ailleurs: «La première abolition positive de la propriété privée, le communisme grossier, n'est donc qu'une forme de manifestation phénoménale[20] de l'ignominie de 1a propriété privée qui veut se poser comme la communauté positive». (Ibid., ρ. 87).

«2) le communisme (a) encore de nature politique, démocratique ou despotique, »

 

C'est par exemple celui préconipar A. Blanqui, théoricien de la lutte politique et de 1a dictature du prolétariat.

« (b) avec suppression de l'État, mais en même temps encore inachevé et restant sous l'emprise de la propriété privée, c'est-à-dire de l'aliénation de l'homme. »

 

« Sous ces deux formes, le communisme se connaît déjà comme la réintégration ou retour de l'homme en soi, comme abolition de l'auto-extranéisation humaine; mais du fait qu'il n'a pas encore saisi l'essence positive de la propriété privée et qu'il a tout aussi peu compris la nature humaine du besoin, il est encore entravé et contaminé par la propriété privée. Ιl a certes saisi son concept, mais non encore son essence». (Ibid., p. 87).

 

Ici, c'est au fond le contenu du socialisme inférieur qui est indiqué. Seulement, on le sait, l'État n'est pas seulement supprimé. En effet, l'Etat bourgeois est détruit, mais l'État prolétarien, lui, dépérira. Ce qui est essentiel, c'est 1a manifestation de la haine de l'État et 1a nécessiproclamée de sa disparition.

 

« 3) Le communisme, suppression positive de la propriété privée (en tant qu'auto-extranéisation humaine) et par conquent appropriation réelle de l'essence humaine par l'homme et pour l'homme; donc retour total de l'homme pour soi en tant qu'homme social. c'est-à-dire humain, retour conscient et qui s'est opéré en conservant toute la richesse du développement anrieur. Ce communisme, en tant que naturalisme achevé = humanisme, en tant qu'humanisme achevé = naturalisme; il est la vraie solution de l'antagonisme entre l'homme et la nature, entre l'homme et l'homme, la vraie solution de la lutte entre existence et essence, entre objectivation et affirmation de soi, entre liberté et nécessité, entre individu et genre. Ι1 est l'enigrne résolue de l'histoire et se connaît comme cette solution». (Ibid., p. 87).

 

Dans tous les cas, K. Marx parle de communisme, parce que le but est le même pour tous: destruction de la propriété privée et formation d'une communauhumaine. Les différentes théories ont été des approximations jusqu'à la solution de 1'enigme. Elles traduisent le stade plus ou moins développé de la société. Les hommes ne pouvant imaginer que ce qu'il y a de réel dans cette dernière. Inversement les anticipations ne sont possibles que dans la mesure où i1 y a un substrat réel. C'est pourquoi K. Marx ajoute : «Le mouvement entier de l'histoire est donc, d'une part l'acte de procréation réel de ce communisme - l'acte de naissance de son existence empirique - et, d'autre part, il est pour sa conscience pensante, le mouvement compris et connu de son devenir. Par contre, cet autre communisme encore non achevé cherche pour lui une preuve historique dans des formations historiques isolées qui s'opposent à la propriété privée, il cherche une preuve dans ce qui existe en détachant des moments pris à part du mouvement. » (Ibid., pp. 87-88).

 

Tant que 1a solution n'était qu'une approximation, elle avait  besoin de se justifier. Ι1 en est de même - toutes proportions gardées - pour tous les socialismes naissant sur la base de 1a mystification du capital et auxquels nous avons déjà fait allusion: ils ont toujours besoin de se justifier. Ils reconnaissent, ainsi, par 1à, que malgré leurs grandes prétentions, ils ne peuvent être qu'une solution approchée d'une question historique qui ne peut être dénouée que par le prolétariat organisé en parti détenteur de la résolution de l'enigme: le communisme. K. Marx termine ce passage avec la remarque: «.., par là, i1 fait précisèment apparaître que la partie incomparablement la plus grande de ce mouvement contredit ses affirmations, et que s'il a jamais existé, son être passé réfute sa prétention à l'essence ». (Ibid., ρ. 88). Ιl serait facile de montrer la validité de ce mouvement pour le «communisme russe»; mais là n'est pas - pour le moment - notre préoccupation. Nous voulions simplement souligner qu'il était absolument juste de grouper les deux phases de la dictature du prolétariat et du socialisme inférieur dans celle - plus vaste et qui les englobe - de la domination formelle du communisme.

 

 

Il. - Communisme et société russe.

 

 

L'analyse du rapport entre société russe et communisme illustre remarquablement le chapitre précédent, en particulier le point de celui-ci où il est traité de la domination formelle du communisme. La société russe a été marquée par la question suivante: pourrait-il y avoir un bond par-dessus le capitalisme, pourrait-il y avoir une greffe du communisme scientifique sur le communisme primitif (mir)? K. Marx et F. Engels répondirent à cette question en fonction du développement historique de l'aire slave. On sait que dans les dernières années de leur vie, ils considérèrent que la chance historique avait été perdue: l'économie marchande était déjà trop développée (elle pointait, dans certaines zones, en un capitalisme puissant) pour que la greffe puisse réussir [21]. Mais le capitalisme lui-même, par suite de l'inertie des formes de décomposition du mίr, des contradictions du capitalisme international ainsi que de la peur éprouvée par la bourgeoisie russe devant son prolétariat, était trop développé pour qu'il y ait bond, saut, mais pas assez pour néraliser le capitalisme à toute la société russe et sur sa base, ensuite, instaurer le communisme. D'où la nécesside l'intervention du prolétariat.

 

Vinrent la guerre impérialiste, la révolution, la guerre civile. La production fut anéantie, l'infrastructure économique démantelée, 1e faible capitalisme détruit. Alors se reposa, dans des conditions différentes, la question du saut par-dessus la forme capitaliste. C'est de la façon dont elle fut abordée et résolue par les Bolchévίks dans les années qui précédèrent la contre-révolution stalinienne, que l'on voit l'adéquation entre théorie nerale du prolétariat, le marxisme, et le cas particulier concret de la révolution russe. Nous allons brièvement illustrer cela.

 

A. La Révolution d'Octobre 1917 est une révolution double, bourgeoise et prolétariene, communiste, car elle s'est effectuée contre le capital international.

 

Β. Dans quelle mesure pouvait-on parler de communisme, bien qu'on se trouvât dans une aire fondamentalement précapitaliste?

 

(a) À cause de 1a perspective internationale. En 1919, 1a IIIe Internationale est constituée. La Russie est le bastion avande la Révolution Communiste. Si la Révolution éclate en Allemagne, la question économique est vite règlée. Voir à ce sujet 1a parabole de V. Lénine sur les deux poussins dans le même oeuf.

 

(b) En Russie, il y a la dictature du prolétariat. Le pouvoir d'État contrôlé par le Parti Bolchévik prend des mesures pour faciliter le devenir socialiste. Dans les premières années, elles vont même au-delà des possibilités économico-sociales de la société russe (Voir de L Trotsky le Discours sur 1a Ν.Ε.Ρ.). Nous avons une domination formelle du Communisme.

 

(c) Au moment de 1a Ν.Ε.Ρ. - retraite du communisme devant l'offensive du capitalisme mondial - cette affirmation est toujours valable. La société russe doit engendrer un capitalisme à partir des campagnes (comme ce fut le cas pour tous les capitalisme nationaux) [22]. Il ne peut pas y avoir greffe néfique avec l'écono­mie allemande. Mais ce capitalisme est contrôlé par le prolétariat grâce à son État par l'intermédiaire du parti. De plus, l'Internationale, dont le Parti russe est l'élément fondamental, est l'expression superstructurelle de force et d'idée du communisme-phénomène mondial. En Russie, il a sa base de départ et de repli, pour porter l'assaut au capital. Régénérer l'économie russe en permettant au capitalisme de se développer, c'est apporter une force - évidem­ment très dangereuse - au prolétariat international.

 

Les bolcheviks et les communistes de l'époque tiennent une des arches du pont par doit passer la grande transformation sociale. Seule la force peut les en déloger. Ils ne pouvaient pas penser qu'au bout de luttes plus ou moins longues il n'y aurait pas la victoire finale, et donc la réalisation de quelque chose qu'ils affirmaient alors et en vertu de quoi ils se déterminaient: le communisme.

 

De 1a domination formelle à 1a mystification.

 

La force a délogé les communistes, mais elle s'est manifestée dans une situation où elle a pu être masquée. Sauf en Russie, leur liquidation s'est faite par le moyen de la lutte contre le fascisme. D'où un premier élément de mystification. D'autre part, en Russie, on affirmait que l'objectif n'avait pas changé: le communisme, mais qu'on avait seulement modifié les données de sa réalisation: le développement interne propre de la seule Russie pourrait faciliter celle-ci; le communisme ne serait plus greffé sur la société russe, celle-ci ne serait plus condamnée à laisser développer le capitalisme en le contrôlant, mais dans ses limites géographiques, le socialisme serait construit et octroyé ensuite au monde. Le véritable bouleversement était dans la direction politique, la perspective historique, et non pas dans le développement économique, caril ne pouvait pas y avoir d'inversion [23]: les forces productives imposant leur réalités. C'est alors, du fait que le capitalisme et le communisme ont une base commune, qu'il fut possible d'opérer la mystification dont nous avons parlé.

 

En dehors de ce fondement objectif, il y a une autre cause qui explique 1a solide implantation de cette mystification. C'est le fait que le prolétariat mondial a pris en charge, à un moment donné, le développement de la société russe. Pour lui, 1a généralisation du capitalisme à l'aire slave représentait un avantage considérable. De telle sorte qu'il a été facile, ensuite, à la propagande officielle, de présenter toutes les améliorations relatives (vis-à-vis de l'ordre social anrieur) comme des améliorations absolues (en comparaison avec tous les autres modes de production, y compris le capitalisme) et, leur réalisation à une échelle toujours plus vaste, comme devant favoriser le mouvement d'émancipation du prolétariat.

 

L'affirmation du communisme après la prise du pouvoir en Russie était pleinement justifiée, mais elle ne pouvait être que formelle, ce qui impliquait la non-existence immédiate du communisme en Russie, ainsi que son existence potentielle dans les pays occidentaux. La contre-révolution n'a eu quinverser les données pour opérer la mystification. Elle se condamna par là-même à devoir rendre potentiel le communisme en Russie Elle a éloigné la révolution, mais elle doit lui donner des assises plus fortes.

 

Enfin, cette affirmation ne pouvait être valable que parce que le parti, point d'arrivée de toutes les forces motrices de la société mondiale, prévoyait clairement tout le cours historique, parce qu'il tendait à être de plus en plus la communaud'une forme sociale dont il fallait faciliter la naissance. Il pouvait y avoir domination formelle tant que le parti formel était l'expression réelle du programme. C'est la meilleure preuve de la fonction fondamentale de celui-ci, ainsi que de la nécesside préciser de façon détaillée les liens dialectiques qui l'unissent à la société future.

 

 

III. Impérialisme et domination formelle du communisme.

 

 

Ι1 ne s'agit en aucun cas de traiter ici de façon exhaustive le surgissement de l'impérialisme et son expansion mondiale, mais simplement de poser la question: quel peut être le lien avec la forme supérieure, le communisme? Dans son ouvrage fondamental: L'Imrialisme, stade suprême du capitalisme,V. Lénine le caractérise ainsi:

 

«Mais le capitalisme n'est devenu l'impérialisme capitaliste qu'à un degré défini, très élevé de son développement, quand certaines des caractéristiques fondamentales du capitalisme ont commenà se transformer en leurs contraires, quand se sont formés et pleinement révélés les traits d'une époque de transition du capitalisme à un régime économique et social supérieur. » (Œuvres, t. 22, p. 286).

 

L'impérialisme n'est pas une phase transitoire, mais manifeste la proximίté de celle-ci [24]. La première interprêtatίon fut celle des sociaux-démocrates qu'accompagnait le corollaire inévitable: la perspective évolutionniste. C'est-à-dire que selon eux, cette société transitoire se muerait insensiblement en socialisme. La seconde nie, donc, ce gradualisme, mais il n'en reste pas moins que l'impérialisme existe quand se « sont révélés les traits d'une époque de transition. » À dire vrai, V. nine n'a pas tellement approfondi cette question. Ι1 intitule d'ailleurs son ouvrage: «Essai de vulgarisation». Ι1 est resté sur le plan des phénomènes apparents, sans aller saisir le mouvement réel qui les détermine. Celui-ci, nous l'avons vu, résulte des contradictions les plus profondes du capital: valorisation-dévalorisation, fixation-circulation- socialisation-privatisation. Seulement, V. nine les a ίnterprêtés de façon magistrale, de telle sorte que l'explication qu'il fournit, si elle est superficielle - au sens littéral du terme - n'en demeure pas moins fondamentale. Sa validité éclate lorsqu'on considère les conquences politiques qu'il en tire. En fait, on peut considérer son ouvrage comme restant à 1a surface des phénomènes parce que l'auteur développe une polémique immédiate, et a en vue une application politique immédiate: lutte contre le révisionnisme. L'impérialisme n'engendre pas la paix, mais la guerre, même plus: « Que cet impérialisme ouvre l'ère de la révolution sociale, c'est aussi un fait évident pour nous et dont nous devons parler clairement ». (t. 27, p. 130). Avec l'impérialisme « l'ère de 1a révolution sociale a commen». Comme il le proclamera au VIIème Congrès du Parti Communiste (b), de mars 1918, dans son Rapport sur 1a révision du Programme et le changement de dénomination du Parti (t. 27, pp. 125-139).

 

Le mérite de V. Lénine fut d'avoir compris cette grande implication politique et d'avoir détruit la mystification pacifiste, enfin d'avoir proclamé que la Révolution russe devait être dirigée avant tout contre cet impérialisme personnifié à l'époque par l'Angleterre, l'Allemagne et les Etats-Unis. En triomphant en Russie, c'était obtenir une victorie sur ce dernier, parce que la Russie en était le chaînon le plus faible, mais nécessaire. Comment se présentait 1a situation à ce moment-là?

 

« Quelles que puissent être les péripéties ulrieures de la lutte, si nombreux que puissent être les zigzags que nous aurons à parcourir (et il y en aura beaucoup, nous voyons par expérience quels détours gigantesques fait l'histoire d'une révolution, et seulement chez nous pour le moment; les évènements seront autrement rapides et complexes, leur rythme sera autrement vertigineux, leurs tournants seront autrement compliqués lorsque la révolution deviendra européenne), il faut pour ne pas nous perdre dans ces zigzags et ces détours de l'histoire, pour conserver 1a perspective générale, pour apercevoir le fil directeur qui traverse tant le développement capitaliste que 1a route vers le socialisme, route qui nous apparaît naturellement comme droite, et que nous devons nous représenter comme telle, afin d'en voir le commencement, la suite et la fin - alors qu'en réalité elle ne sera jamais droite, mais d'une complexiinvraisemblable, - il faut pour ne pas nous perdre dans les détours, pour ne pas être désorientés dans les périodes de recul, de retraite, de défaites momentanées, quand l'histoire ou l'ennemi nous rejetterait en arrière, il importe à mon avis, et ce sera la seule attitude théoriquement juste, de ne pas abandonner notre ancien programme fondamental. Car nous n'en sommes encore, en Russie qu'à 1a première étape de transition du capitalisme au socialisme. » (t. 27, p. 129).V. Lénine voit donc le début d'une phase chaotique où il y aura des détours, des défaites semeuses de désorientation et de doute mais il assure que si l'ont tient le fil historique - le fil du temps, comme nous disons - (Sut Filo del Tempo) on pourra parvenir jusqu'à la transformation totale de la société. Ιl ajoute:

 

«Les marxistes ne perdent jamais de vue que la violence accompagne inévitablement le total effondrement du capitalisme et la naissance de la société socialiste. Et cette violence s'étendra sur toute une période historique, époque de guerres sous de multiples formes: guerres impérialistes (celle de 1939-1945), guerres civiles à l'intérieur d'un pays donné (Finlande, Hongrie et, avec une ampleur sans commune mesure la Russie elle-même et l'Allemagne); guerres combinant les deux catégorie (guerre d'Espagne qui commença comme guerre civile, guerre de classe et finit comme guerre impérialiste), guerres nationales d'émancipation des nationalités écrasées par les impérialiste (celles qui se dérourent dès l'époque de la Révolution russe et qui échouèrent avant la deuxième guerre mondiale, pour reprendre à la fin de celle-ci et triompher 1945/1962 ), par des combinaisons variées de puissances impérialistes appellées à entrer dans diverses coalitions à notre époque d'immenses trusts et cartels du capitalisme d'État et militaires. Cette époque, époque de faillites formidables, de violentes solutions militaires de masse, de crises (1929!) s'est ouverte, nous le voyons nettement, mais nous n'en sommes qu'au commencement.» (Ibid., pp. 129-130).

 

Le diagnostic de V. Lénine était absolument juste: nous avons à dessein - entre parenthèses - illustré ses affirmations. La condition essentielle pour que tous ces évènements puissent constituer autant de voies directes ou de détours vers le socialisme, c'était le maintien du pouvoir prolétarien en Russie. Ι1 n'en fut rien. Mais cette constatation implique un certain nombre de considérations que nous indiquerons simplement sans explications afin de mettre en évidence le lien entre impérialisme et domination formelle du communisme.

 

1) Triomphe total de l'impérialisme, lequel est généralisation du capitalisme à l'échelle mondiale, même dans les zones qui, autrefois, étaient occupées en vue du pillage: les colonies. Le capital régnait alors davantage sous une forme «foncière» et donc non en fonction de son être, c'est-à-dire en fonction de mécanismes économiques. Le monde entier est mûr pour la Révolution Prolétarienne pure, d'autant plus que la domination capitaliste s'est approfondie dans les anciennes métropoles et l'indice de pureté du capitalisme a augmenté.

 

2) Ι1 réalise, même s'il les mystifie un certain nombre de mesures qu'aurait appliqué la dictature du prolétariat, telle la planification, déjà nécessaire du temps de F. Engels (Critique du Programme d'Erfurt), la généralisation du salariat, etc. qui manifestent avec une rare évidence, 1l proximité de la société future.

 

3) L'impérialisme a triomphé parce qu'il a réussi à empêcher la jonction des deux grande forces à lui antagonistes: le prolétariat et lle mouvement d'émancipation des peuples colonisés. 1917-1926, le prclétariat est battu avant que le second n'intervienne. Après 1a guerre de 1939-1945, l'affaiblissement de l'impérialisme permit au mouvement d'émancipation de reprendre (devenant un éxécuteur testamentaire de 1a IIIe Internationale, Congrès de Bakou et Thèses de 1920). Mais le prolétariat n'émerge pas de la défaite dont le dernier acte sanglant fut la guerre impérialiste elle-même. Le mouvement révolutionnaire a été finalement stoppé (1962) et intégré de plus en plus dans l'impérialisme. La révolution ne pourra triompher qu'en tant que révolution prolétarienne pure.

 

Lorsqu'on dresse le tableau de toutes ces luttes magnifiques qui semblent pourtant n'avoir aucun résultat positif - nous sommes toujours sous la domination du capital - l'extraordinaire analyse de K. Marx du phénomène révolutionnaire vient automatiquement à l'esprit:

 

« La revolution sociale du XIXème siècle ne peut pas tirer sa poésie du passé, mais seulement de l'avenir. Elle ne peut pas commencer avec elle-même avant d'avoir liquidé complètement toute superstition à l'égard du passé (la superstition démocratique, celle du progrès, par exemple, ndr). Les révolutions anrieures avaient besoin de réminiscences historiques pour se dissimuler à elles-mêmes leur propre contenu [25]. La révolution du XIXème siècle doit laisser les morts enterrer leurs morts pour réaliser son propre objet. Autrefois, la phrase débordait le contenu, maintenant c'est le contenu qui déborde 1a phrase. » (Le 18 Brumai-re et Louis Βοnaparte,p. 175).

 

Cette citation exprime, en un autre langage, le même contenu que celles de V. Lénine. À leur suite, nous pouvonsr fr remarquer ceci: les révolutions qui se sont finalement consolidées en tant que révolutions bourgeoises-capitalistes n'ont pu apparaître historiquement qu'en tirant leur poésie de l'avenir; aucune qui ne se soit pas réclamée du socialisme en affirmant par là-même la mort potentielle du capitalisme. Les morts ont enterré leurs morts. Leur reprocher cette mystification serait vouloir intervertir l'histoire; vouloir rayer du monde 1a puissance du communisme qui fait que TOUT ce qui se produit à l'échelle planetaire est commandé par lui (tout le mouvement social est polaripar sa proximité); se plaindre d'une telle mystification serait vouloir ressusciter les morts!!!

 

D'autre part, 1a Révolution prolétarienne a effectivement reculé, mais la contre-révolution en réalisant toutes ses tâches transitoires interdiaires (le veloppement du capitalisme en Russie, en Chine, dans les ex-colonies) fait que maintenant la révolution est à nouveau poussée sur l'avant-scène et, cette fois, elle se trouve dans une situation qui rend impossible « tout retour en arrière ».

 

« Les révolutions bourgeoises, comme celle du XVIIIème siècle se précipitent rapidement de succès en succès, leurs effets dramatiques se surpassent, les hommes et les choses semblent être pris dans des feux de diamant, l'enthousiasme extatique est l'état permanent de la société, mais elles sont de courte durée. Rapidement, elles atteignent leur point culminant et un long malaise s'empare de la société avant qu'elle ait appris à s'approprier d'une façon calme et posée les résultats de sa période orageuse. Les révolutions prolétariennes, par contre, comme celles du XIXème siècle, se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau (les reculs et les détours dont parlait V. nine en 1918), raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les mires de leurs premières tentatives, paraissent n'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre (le renouveau capitaliste de ces dernières années, lié à 1a consolidation du capitalisme en Russie, œuvre du prolétariat, NDR) et se redresser à nouveau formidable en face d'elles, reculent constamment à nouveau devant l'immensité infinie de leurs propres buts, jusqu ce que se soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière, et que les circonstances elles-mêmes crient: Hic Rhodus, hic salta! » (Ibid.,p. 176).

4) Paradoxalement, ce recul est le triomphe du révisionnisme, du réformisme de E. Bernstein., puis de K. Kautsky, O. Bauer et consorts. La crise de 1914 prit l'impérialisme au dépourvu - bien qu'elle en fut le produit direct -; le prolétariat a une perspective: la révolution sociale dont parlait V. Lénine. Quelle pouvait être la solution pour le capitalisme? Evidemment la destruction de la force prolétarienne d'où le rôle de la social-démocratie, puis du fascisme - c'est son aspect violent, militaire -. Mais comment organiser la société alors que celle-ci est manifestement mûre pour passer à un « régime économique et social supérieur», que la forme sociale future essaie puissament dmerger? La solution est donnée par les disciples directs ou tardifs de E. Bernstein: O. Bauer, K. Kautsky, Rudolf  Hilferding, par exemple. Ce dernier déclarait en 1927 [26]: « Ce qu'il y a de décisif c'est que nous nous trouvons actuellement dans la période du capitalisme où l'ère de la libre-concurrence au cours de laquelle le capitalisme était purement dominé par la violence des lois aveugles du marché, est essentiellement dépassée; nous parvenons à une organisation capitaliste de l'économie; nous passons donc d'une économie de libre jeu des forces à l'économie organisée. (...) Ce qui est caractéristique c'est, deuxièmement, que l'industrie capitaliste, dans laquelle une méthode scientifique employée avec une nouvelle énergie devient opérante, s'efforce d'emblée d'utiliser de façon organisée les nouvelles possibilités. (...) Ι1 est très inressant maintenant de voir que dans le développement de la science de l'entreprise moderne, on cherche des méthodes afin de remplacer la libre concurrence de l'intérêt privé par des méthodes scientifiques, utilisant un plan ». « Organisation capitaliste de l'économie », c'est juste, c'est même celle de la société entière, ce qui signifie fascisme que R. Hilferding décrit exactement, malgré lui. « Capitalisme organisé, cela signifie donc remplacement principiel du principe capitaliste de la libre concurrence par le principe socialiste de la production planifiée. Cette économie dirigée consciemment, selon un plan, suppose au plus haut point la possibilité de l'intervention consciente de la société, c'est-à-dire rien d'autre que l'intervention de la seule organisation consciente et dotée d'une force contraignante autorisée, l'intervention de l'État. (...) Ce qu'il y a de nouveau et de plus important, c'est la réglementation par l'État dans le domaine qui touche le plus immédiatement le sort du prolétariat, c'est-à-dire le domaine du marché du travail. Nous avons, grâce à la révolution, l'assurance contre le chômage. Ceci signifie une réglementation bien déterminée de l'offre et de la demande sur le marché du travail. Nous avons, aujourd'hui, grâce à nos conventions collectives, nos tribunaux d'arbitrage, une réglementation politique du salaire et une réglementation politique du temps de travail. Le sort personnel de l'ouvrier est maintenant déterminé par la politique que mène l'État. Si on réussit, avec en gros plus de deux millions de chômeurs, à maintenir le salaire réel des travailleurs, nous pourrons alors par là-même, réaliser cette garantie du salaire réel, avant tout parce que l'influence politique de la classe ouvrière est devenue suffisamment grande pour, au moins, empêcher avec ces méthodes de conventions collectives et de tribunaux d'arbitrage, devons faire entrer dans la tête de chaque ouvrier que le salaire hebdomadaire est un salaire politique[27]) parce que le montant qu'atteindra le salaire à la fin de la semaine dépend de la force de la représentation parlementaire de la classe ouvrière, de la force de son organisation et des rapports de force sociaux à l'extérieur du parlement. On doit notamment dire aux femmes des ouvriers: quand vous allez voter, prononcez-vous également au sujet du pain et de 1a viande et au sujet du niveau des salaires. C'est naturellement quelque chose de nouveau dans l'économie capitaliste, c'est un élément d'une grande importance économique sociale et politique. »

 

Enfin, il définit d'une façon rigoureuse 1a voie réformiste = 1a voie fasciste = le triomphe de 1a démocratie sociale. « Cela ne signifie rien d'autre que: il est posé à notre génération le problème de transformer, avec l'aide de l'État et de la réglementation sociale consciente, cette économie organisée et dirigée par les capitalistes en une économie dirigée par l'État démocratique. Ι1 s'ensuit que le problème posé à notre génération ne peut être rien d'autre que le socialisme. Si nous, 1a social-démocratie, nous avons autrefois lutté pour les droits politiques, pour instaurer et élargir 1a politique sociale, c'est par le développement économique lui-même que le problème du socialisme est posé.»[28]

 

Voie fasciste, avons-nous dit! N'oublions pas que le socialisme national triompha en Russie précédant le triomphe du national-socialisme en Allemagne. Le premier indique le repli de la révolution dans les frontières nationales, le second, l'impossibilité de sauver la nation si on ne la colore pas de socialisme. Le premier est porteur d'une illusion originelle: les formes antagoniques du capital sont des formes d'association, le second, d'une illusion finale: 1a socialisation de la production, résultat du développement capitaliste, pourrait secréter d'une façon immédiate le socialisme. C'est pourquoi les théoriciens du fascisme = démocratie sociale, forme politique dé 1a communauté matérielle capitaliste, se trouvent parmi les sociaux-démocrates.

 

Dans les années 1925 à 1930, 1a société connut un moment particulier. Les mesures économiques et politiques (contrôle draconien de l'économie) furent utilisées par le capitalisme pour contenir la révolution communiste. Ce sont les sociaux-démocrates dont il a été question ci-dessus qui effectuèrent ce tour de force. Le capitalisme par lui-même ne pouvait pas parvenir à 1a conscience de son être propre et à celle des mesures à prendre pour garantir sa survie. Ιl a volé les armes de la révolution prolétarienne, uniquement parce que lui-même, au stade le plus élevé de son développement, secrète une société transitoire dans laquelle il suffit d'abattre le pouvoir organisé du capital par une action militaire mûrement préparée et dirigée par le parti de classe, pour qu'automatiquement la domination formelle du communisme s'exerce. Comme le déclara K. Marx, 1la révolution prolétarienne « paraît n'abattre» son «adversaire (en Russie de 1917) que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre (Allemagne des années 1925 à 1933, pour se néraliser à tout le monde capitaliste avec le triomphe du fascisme lors de 1a seconde guerre mondiale) et se dresser à nouveau formidable en face d'elles. »

 

5) Que représente, à l'heure actuelle, l'impérialisme, sinon cette communauté matérielle agissante dont nous avons parlé? C'est elle qui fait pressentir la phase future de domination formelle du communisme. Ι1 faut donc analyser plus en détail comment le mouvement réel de la valeur qui se constitue en cette communauté engendre le mouvement apparent. En effet, l'analyse de V. Lénine reste toujours valable, mais pour, premièrement, surmonter le handicap de cinquante ans de défaite; deuxièmement, intervenir correctement par la suite avec des mesures appropriées dans le mouvement économique, une nouvelle analyse est primordiale. Sans elle, la prévision de la crise est impossible. D'autre part, dans quelle mesure cet être impersonnel n'arrive pas à se contrôler, ce qui pose 1a nécesside 1a recherche des contradictions les plus profondes qui feront éclater cette espèce d'auto-régulation qui éloigne la crise. En l'absence d'une compréhension de ce phénomène, la crise est imprévisible. Or, un parti incapable de prévoir, n'est pas un parti révolutionnaire.

 

 

 



[1] Cf.Ι1 programma comunista, 1966, 6 - 10 et Ι2.

 

 

[2] « Entre la société capitaliste et la société communiste, se place la période de transformation révolutionnaire de celle-là en celle-ci. À quoi correspond une période de transition politique où l'État ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat ». (Κ. Marx, Critique du programma de Gotha,Ed. Sociales, Paris, 1962, p.24).

 

[3] Du fait de 1a réalisation, à l'heure actuelle, de la communauté travail - autre expression de 1a domination réelle effective du capital - l'oisiveté prend un autre contenu, bien qu'elle ne soit qu'une détermination négative et non positive du communisme, elle mérite d'être à nouveau examinée. (note de mai 1972).

 

[4] On  voit toute la différence qu'il y a entre cette communauté qui réalise une certaine égalisation, parce qu'il n'est pas d'autre moyen pour accéder à une phase plus développée, et la communauté du communisme grossier dont il a été question dans le chapitre précédent.

[5] « Si l'on ramène toutefois le salaire à sa base générale, c'est-à-dire à la fraction du produit de son propre travail qui entre dans la consommation individuelle de l'ouvrier; si on lire cette part de l'entrave capitaliste et qu'on l'élargisse jusqu'à atteindre le volume de consommation que, d'une part, la productivité sociale existante permet (c'est-à-dire la force productive sociale de son propre travail en tant que travail réellement social) et que, d'autre part, requiert le plein épanouissement de l'individu; si, en outre, on réduit le surtravail et le surproduit à la mesure qu'exige, dans des conditions de production données de la société, la constitution d'un fond d'assurances et de réserve et aussi l'élargissement constant de la reproduction à la mesure des besoins sociaux; enfin, si l'on inclut dans la première rubrique (travail nécessaire) et la seconde (surtravail), la quantité de travail que ceux qui sont aptes à travailler sont tenus d'accomplir pour les membres de 1a société, qui ne sont pas encore ου ne sont plus en état de travailler; en résumé si l'on dépouille le salaire, aussi bien que la plus-value, le travail nécessaire aussi bien que le surtravail, de leur caractère spécifiquement capitaliste, toutes ces formes disparaîssent et il ne reste que leurs bases qui sont communes à tous les modes de production sociales. (Livre III, t. 8, ρ. 251).

Précisions que Erwerbstätigkeit indique une activité en vue de se valoriser.

 

[6] À noter que dans le texte allemand, il est simplement dit: «néralisation du travail». (note de mai 1972).

 

[7] Ce n'est pas un acte particulier de l'être qui peut jouer ce rôle, mais la totalité de celui-ci.

 

[8] Afin d'enlever tout relan magogique à la chose, il serait préférable de parler de carte de ravitaillement. Voir à ce sujet la Réunion de Naples de 1951 (cf. Invariance, série I, n° 4, pp. 30-57).

 

[9] Ce qui veut dire que la sphère de 1a nécessité a été dominée, les hommes sont obligés de se retrouver dans leur temps de travail disponible. Par suite de la domination réelle du capital qui s'est anthropomorphosé, les hommes doivent οu parcourir le cycle a rebours et reconquérir une activité qui leur a été dérobée, οu bien ils doivent en créer une autre et se créer en tant qu'hommes devenus. La révolution apparaît comme le début d'une immense création humaine. (note de mai 1972).

 

[10] Dans le Capital, K. Marx a décrit le socialisme inférieur et a traité la même question de 1a façon suivante:

« Représentons-nous, enfin, pour faire diversion, une union d'hommes libres qui travaillent avec des moyens de production communs, et dépensent consciemment leurs nombreuses forces individuelles comme une force de travail sociale. Toutes les déterminations du travail de Robinson se répètent ici socialement et non individuellement. Tous les produits de Robinson étaient son produit personnel et exclusif, et, conquemment, objets d'usage immédiats pour lui. Le produit total des travailleurs unis est un produit social. Une partie sert de nouveau comme moyen de production. Elle reste sociale. Mais une autre partie, en tant que moyen de subsistance, νa être consommée par les membres de l'union et doit donc être répartie entre eux. Le mode de répartition variera suivant l'organisme producteur de la société et le veloppemnt historique des producteurs. » (Le Capital, L. Ι, t. 1, ρ. 90)

 

[11] «Se représenter la société socialiste comme l'Empire de l'Égalité est une conception française trop étroite et qui s'appuie sur 1a vieille devise LiberÉgaliFraternité, conception qui, en ses temps et lieu, a eu sa raison d'être, parce qu'elle répondait à une phase d'évolution, mais qui comme toutes les conceptions trop étroites des écoles socialistes qui ont précédé, devrait à présent être dépassée, puisqu'elle ne crée que de la confusion dans les esprits et qu'elle a été remplacée par des conceptions plus précises et répondant mieux aux réalités  (F. Engels à Bebel, 18-28.04.1875).

 

[12] «Dans la société post-bourgeoise, donc, il ne s'agira pas de "mesurer la valeur selon le temps de travail ", comme le croient les nigauds, mais il s'agira d'en finir avec la mesure des valeurs (Wertmass) ». (A. Bordiga, «Ι1 programma communista », n° 20, 1957).

 

[13] «Ce qui distingue ces socialistes des apologistes de la bourgeoisie, c'est d'une part le sentiment des contradictions du système, d'autre part leur utopisme qui les empêche de comprendre la différence, la forme réelle et la forme idéale de la société bourgeoise et les pousse à se lancer dans cette entreprise vaine, de vouloir réaliser de nouveau eux-mêmes l'expression idéale, l'image transfigurée de 1l société bourgeoise, qui n'est que le reflet que la réalité donne d'elle-même ». (Version primitive, p. 225).

 

[14] «Les rapports sociaux des hommes dans leurs travaux et avec les objets utiles qui en proviennent restent ici simples et transparents dans la production aussi bien que dans la distribution. »(Livre Ι, τ. 1, ρ. 90).

 

[15]  Il semblerait, d'après ce passage, que K. Marx considère que la loi de la valeur puisse continuer à jouer - ou jouer plus réellement - dans 1a société post-capitaliste. En fait, il emploie le terme de détermination de 1a valeur pour détermination du temps de travail. Le reste de 1a citation est d'aileurs conforme à cette interprétation. On peut faire remarquer, qu'effectivement, tant qu’on doit évaluer des quanta de temps de travail, on fait en quelque sorte une détermination de valeur. Mais, premièrement, elle se fait avant la production, et non plus post festum; de ce fait, comme nous l'avons indiqué, le temps de travail n'a plus besoin de son enveloppe valeur pour se manifester socialement; deuxièmement, le texte français est beaucoup plus affirmatif que l'original. En effet, 1a traduction des Editions Sociales dit « ...1a détermination de la valeur restera dominante, parce que... ». Le texte allemand: « Bleibt... die Wertbestimmung vorherrschend in dem Sinn, dass... wird ». C'est-à-dire, la détermination de 1a valeur restera prédominante en ce sens que. Ι1 y a tout de même une légère nuance. K. Marx explicite à l'aide de sa locution, le traducteur indique, avec 1a sienne, une conséquence.

 

[16] «La valeur d'échange et 1a division du travail, plus ou moins développée en fonction même des échanges, présupposent que le temps de travail de chaque individu soit consacré uniquement aux fonctions particulières nécessaires, au lieu qu'un seul et même individu (société) effectue les différents travaux et emploie son temps de travail sous diverses formes. » (Fondements, t. 2, ρ. 18).

 

[17] Nous voulons dire par la qu'il y a une transformation totale qui s'opère comme au cours d'une révolution, mais elle ne nécessitera aucune violence, parce que les fondements de celle-ci auront été extirpés dans la phase précédente. Elle nécessitera un grand nombre d'années.

 

[18] Ce magnifique passage a été commenté au cours d'une réunion nérale du parti communiste internationaliste, qui avait pour thème la description de la société communiste. Voir le compte rendu in il programma comunista 21.1958. Ι1 a été republié dans A Bordiga: Testi sul comunismo Ed. Vecchia Τa1ρa - Crimi. 1972, ainsi que dans Bordiga et 1a passion du communisme. Ed. Spartacus.

 

[19] En revanche dans 1a société capitaliste: domination de la matière inerte sur les hommes. (Manuscrits de 1844, p. 52).

(Ce que nous avons indiqué au sujet de la domination formelle du communisme est en partie valable ici. Tout d'abord 1a périodisation perd de sa validité de nos jours; d'autre part 1a vitesse de réalisation du communisme sera plus rapide que l'on ne pensait auparavant. Enfin, il s'agira ultérieurement de préciser que le communisme n'est pas un mode de production et n'est pas une société. Note de 1972).

 

[20] Erscheinung indique effectivement l'idée de manifestation d'un phènomène; ce qui en tant que tel le fait apparaître. (Note de Mai 1972).

 

[21] Cf. Ιl programma comunista » des années 1954 à 1957: Russie et révolution dans 1a théorie  marxiste - Dialogue avec les morts - Structure économique et sociale de la Russie d'aujourdhui » œuvres de A.Bordiga).

 

[22] Ι1 nous faudra revenir, ultérieurement, de façon détaillée sur cette question agraire russe. En effet, on a passablement falsifié la position de K. Marx en ce qui concerne 1'Obchtchina et, d'autre part, on a sous-évalué l'importance qu'elle avait encore en 1917 - (note de mai 1972).

 

[23] Ceci fut fondamentalement 1l position de A. Bordiga- (note de mai 1972).

 

[24] « Ι1 faut considérer les entreprises capitalistes par actions et, au même titre, les usines coopératives comme les formes de transition du mode de production capitaliste au mode collectiviste, avec cette différence que dans les premières, la contradiction est résolue négativement, et dans les secondes positivement » (L. ΙΙΙ. 7, p. 106). « Ce caractère social du capital est seulement diatiet réalisé entièrement grâce au pleinveloppement du système de crédit et du système bancaire (...) Par là, ils suppriment le caractère privé du capital et contiennent en puissance, mais en puissance seulement, la suppression du capital lui-même (...) le système de crédit sera un puissant levier lors du passage du mode de production capitaliste au système de production fondé sur l'association du travail. » (p. 266). Le système de crédit  «constitue 1a forme de transition vers un nouveau mode de production. » (p 107).

 

[25] C'est le mouvement économique et social qui commande. Le mouvement politique essayait auparavant de le forcer. Maintenant, c'est lui qui reçoit forme du premier d'où la réduction de son importance. La révolution communiste, c'est la révolution politique à âme sociale.

 

[26] Le capitalisme organisé, Discours au congrès du SPD, Kiel, 1927.

 

[27] Potere Operaio inventera la formule avec un contenu légèrement différent mais avec la même exaltation de la politique. (note de 1972).

 

[28] Hilfeτding décrit aussi ce que deviendra sous forme mystifiée le prolétariat classe dominante. « Cela signifie (la politique économique de la classe ouvrière, ndr) : soumettre toujours plus la société capitaliste à l'influence croissante de la classe ouvrière, faire toujours plus triompher le principe politique de la classe ouvrière, c'est-à-dire utiliser l'État comme moyen pour la direction et la domination de l'économie dans l'intérêt général. » (note de 1972)