CAPITAL ET GEMEINWESEN

 

 

VIII. CONCLUSIONS

 

 

Α. QUESTION DE MÉTHODE.

 

1) Abstraction et réali

 

Au terme de cette étude sur l'œuvre économique de K. Marx - étude forment parcellaire, ne serait-ce que pour la raison suivante: tous ses travaux ne sont pas parus - il est bon de faire quelque remarques sur la méthode.

 

L'analyse du Capital a conduit certains à dire que K. Marx allait de l'abstraction au concret, du phénomène abstrait déduit de la réalité, on irait, par intégrations successives au réel concret de la société mouvante. D'autre part Lénίne disait qu'il fallait étudier G.W.F. Hegel pour comprendre le Capital, en particulier pour comprendre la transformation de l'argent en capital. Or, il semble à la lumre des autres travaux (les Grundrisse par exemple) qu'il n'en soit pas rigoureusement ainsi[1]. Nous n'allons pas traiter à fond cette question, mais indiquer simplement quelque points de repère. Dans 1e cas contraire, i1 faudrait reprendre en détail toute l'Introduction, ce qui aboutirait à donner une extension démesurée à notre travail.

 

En ce qui concerne l'abstraction, nous avons souvent fait remarquer que K. Marx avait raisonné sur un modèle de la société où il y a trois classes:

Propriétaires fonciers, capitalistes, prolétaires.

 

Or, on sait, que ce modèle ne se réalise jamais dans la réalité, parce qu'il y a, en plus, les classes impures [2]. D'autre part, il a insisté sur la différence entre apparence et réalité, la première se réfléchissant immédiatement dans l'entendement, la seconde, doit être découverte par 1a science. (Voir Livre Ι, tome 2, page 213)[3].

 

Ι1 y a en outre une donnée historique qui sous-tend l'ouvrage, c'est ce que nous avons appelé «les trois moments».

- 1) Naissance du capitalisme

- 2) La société capitaliste pleinement développée,

- 3) La description du communisme[4] .

 

Ils ne sont pas exposés d'une façon linéaire, mais en fonction de certaines questions bien déterminées et sans aucune transition, sans avertissement, on passe d'un moment à l'autre.

 

La méthode historique se présente de façon plus manifeste lorsque K. Marx explique par exemple, d'abord la plus-value, puis ses formes dérivées. Ici, l'abstraction conflue avec l'analyse historique. C'est au sujet de la valeur et de la plus-value qu’il reproche à D. Ricardo et à A. Smith de vouloir donner la science avant la science, expliquer les formes secondes avant d'avoir éclairci celle originelle.

 

Cependant, ce n'est pas encore suffisant pour caractériser la méthode. En effet, initialement, il ne part pas d'une abstraction mais du phénomène tel qu'il apparaît; dévoile la contradiction qu'il recèle. C'est alors qu'il passe du phénomène à la réalité (substrat) expliquant en même temps la mystification qui a pu s'opérer.[5]. C'est ce que nous avons fait remarquer à propos du VIème  chapitre, lors de l'étude de l'origine du capital.

 

Il met donc à nu la réalité et indique le lien entre mouvement apparent et mouvement réel. Mais le phénomène apparent s'autonnise et semble ne plus avoir de lien avec ce qui était indiqué auparavant comme sa réalité (mystification), d'où il est nécessaire d'étudier ce mouvement en tant que tel sinon on ne comprendrait rien à toutes les manifestations modernes du capital. Seulement l'autonomisation n'a pas supprimé le phénomène réel qu'il faut étudier dans son évolution, c'est-à-dire l'approfondissement de son caractère de valeur se valorisant, de valeur en procès.

 

De ce fait, K. Marx analyse le capital comme un tout, pour ensuite envisager des aspects particuliers de la vie de cet être impersonnel. Si nous considérons l'œuvre, non seulement en ce qui concerne l'explication de la nature et de l'évolution du capital, mais en fonction de l'enscmble des formes de production, nous constatons que la méthode est la même. Ainsi, pour la valeur, sa genèse, ses différentes fοrmes etc... le phénomène n'est pas simplement abstrait mais donné en liaison avec les autres phénomènes: dissolution de la communauté; apparition de la propriété privée, de l'individu, etc...

 

 

2) Dialectique du capital et mouvement économique.

 

 

Dans la Version primitive, il fait remarquer: «On voit, à ce point, de façon déterminée, combien la forme dialectique de l'exposé n'est juste que lorsqu'elle connaît ses limites.» (ρ. 253). L'exposé du mouvement de la valeur suppose 1a connaissance du communisme primitif et du communisme scientifique.

 

(a) Il a insisté longuement sur le fait que les premiers échanges se sont effectués entre communautés. L'individu suppose un long développement historique qui a pour corollaire la destruction de ces dernières. Or, c'est à cause d'une fausse présupposition individuelle que les économistes classiques et les premiers socialistes débouchèrent dans une impasse. Ils partaient d'un élément qui a été produit et voulaient que le procès social y retournât. C'est pourquoi le maximum qu'ils pouvaient imaginer pour le futur humain, c'était la société égalitaire que K. Marx a si violemment critiquée dans les Manuscrits de 1844 et dans la Version primitive. La présupposition réelle, c'est la communauté et la solution, le communisme. Seule la théorie du prolétariat est fondée sur cette présupposition historique et sociale, d'où son originalité.[6]

 

(b) D'autre part, c'est de la vision matérielle et précise de la société future qu’il tire sa compréhension des tendances profondes de la société capitaliste: «L'anatomie de l'homme est la clef de l'anatomie du singe. Dans les espèces animales inférieures, on ne peut comprendre les signes annonciateurs d'une forme supérieure que lorsque la forme supérieure est elle-même déjà connue. » (Introduction,p. 109).

 

Connaître les limites, cela veut dire que l'on a déterminé les bases et le résultat final du mouvement. Sinon 1a dialectique est un mouvement privé de matière, ce qui implique que les données matérielles réelles ne sont pas saisies dans leur mouvement. Ici, on part de 1a communauté étroite et limitée, dominée par la nature pour accéder à la communauté humaine universelle dominant la nature. Le sujet en est l'homme réel, l'espèce produisant et consommant.

 

 

3) Rapports sociaux et dialectique

 

 

Dans les Grundrisse, K. Marx indique qu'avec le capital, les rapports sociaux ont perdu leur rigidité et sont devenus procès. C'est un des aspects fondamentaux de l'explication du capital. La limite de D. Ricardo c'est de ne pas avoir «saisi dans son mouvement vivant» « le rapport entre le travail matérialisé et le travail vivant». (Grundrisse p. 451).

 

« Le capital est capital circulant du fait qu'il est sujet dominant le mouvement en se conservant et en se multipliant en lui, sujet de ces métamorphoses qui se déroulent sous forme circulaire, spirale en cercle s'élargissant ». (Grundrisse, ρ. 514).

 

On peut remarquer que la société a connu deux moments privilégiés où les rapports sociaux ont été aussi en mouvement. Lors de la destruction du communisme primitif et la formation de 1a société de classe, d'où la dialectique de premiers philosophes grecs. Ils voyaient bien le mouvement dans son devenir. Ils le sentaient bien en liaison avec le monde social, mais ils ne le comprenaient pas. Aussi l'interprêtaient-ils en utilisant les données du passé (les antiques conceptions naturelles) alors qu'ils tentaient d'expliquer le devenir. C'est pourquoi cherchaient-ils la conciliation οu la réconciliation dans les forces naturelles, dans la nature. Le deuxième moment a lieu lors de la destruction du féodalisme qui avait pour ainsi dire restauré la communauté ancienne (le mouvement de la valeur était enrayé) mais avec des rapports de dépendance personnels. Cette période a été théorisée par G.W.F. Hegel: «La grandeur de la Phénoménologie de Hegel et de son résultat final - la dialectique de la négativité comme principe moteur et créateur - consiste donc, d'une part, en ceci, que Hegel saisit la production de l'homme par lui-même comme un processus, l'objectivation comme désobjectviation, comme aliénation et suppression de cette alίenation; en ceci donc qu'il saisit l'essence du travail et concoit l'homme objectif, véritable parce que réel, comme le résultat de son propre travail ». (Manusrits de 1844, p 132)

 

Dans cette conception, on voit bien que ce qui fonde l'homme, ce n'est plus une médiation naturelle, matérielle, la terre, οu personnelle, mais le travail. Cela implique que l'homme ait été coupé de sa communauté. «C'est pourquoi la Phénoménologie est la critique cachée, encore obscure pour elle-même et mystifiante; mais dans la mesure où elle retient l'aliénation de l'homme - bien que l'homme n'y apparaisse que sous 1a forme de l'esprit -, on trouve cachés en elle tous les éléments de la critique, et ceux-ci sont déjà souvent préparés et élaborés d'une manière qui dépasse de beaucoup le point de vue hégélien. » (Ibid.,p. 131).

 

G.W.F. Hegel individualise bien le mouvement, mais n'en perçoit pas le contenu; il n'en saisit que l'apparence. Sa philosophie est une description sous forme abstraite, du passage de la société féodale à celle bourgeoise. «La logique, c'est l'argent de l'esprit, la valeur pensée, spéculative de l'homme et de 1a nature... » (Manuscrits de 1844, p. 130).

 

Pour G.W.F. Hegel, le devenir est manifeste, mais il n'en voit l'être que dans le travail abstrait aliéné; il n'en découvre pas l'être réel. Les rapports sociaux ont été mis en mouvement et tendent à se consolider en une nouvelle structure, laquelle? Quel en sera l'être? La base du développement capitaliste est trop faible; le prolétariat de même. C'est pourquoi il cherche la fin de l'aliénation dans 1a pensée: «C'est pourquoi tout le mouvement se termine par le savoir absolu » (Ibid.,p. 130).[7]. Mais la destruction de cette aliénation se révele être, en définitive, une conciliation. En effet, au niveau le plus élevé du développement de l'Idée, l'État, il y a accomodatίon, comme disait K. Marx entre le mouvement que perçoit G.W.F. Hegel et la société ancienne. Avec lui, on a la théorie fondamentale de l'opportunisme qui n'arrive à résoudre aucun problème mais qui, pour ce faire, recourt à des expédients, à des ruses de la raison. Ainsi l'être de la dialectique, c'est l'homme abstrait; la médiation entre les hommes abstraits c'est 1'État, avec les institutions.

 

L'être réel n'était pas encore trouvé. I1 fallait le heurt entre capital et prolétaires pour qu'apparaisse le sens de ce mouvement et que la dialectique ait une réalité. Pour K. Marx, le mouvement tend vers le communisme; le capitalisme n'est lui-même qu'une phase de transition entre la destruction de 1a communau féodale et la formation de celle humaine.

 

Les luttes de classe du début du XIXème siècle lui montrent le sujet de la transformation de la société de classe en société sans classe: le prolétariat (1843). L'être réel, l'énigme résolue est trouvée: le communisme. Ι1 n'y a donc plus de conciliation d'interprétation, d'accommodation. Le prolétariat est 1a fin de 1a phίlesophίe.

 

Avec G.W.F. Hegel, la dialectique était une phrase sans contenu: «Μa méthode de développement n'est pas celle de Hegel idéaliste.» «La dialectique hégélienne est la forme fondamentale de toute dialectique, mais seulement, après qu'elle a été dépouillée de sa forme mystique, et c'est préciment cela qui différencie ma méthode.»  K. Marx à Kugelmann, 06.03. 1868), elle l'acquiert avec le marxisme. Mais, à ce moment-là, les présuppositions ont elles-mêmes été bouleversées. Cela explique d'autre part, qu la fin de sa première ébauche du Capital (les Manuscrits de 1844), K. Marx ait abordé une critique détaillée du système de G.W.F. Hegel.

 

Ainsi apparaît le lien entre la théorie qui aurait été en dehors de la réalité et la pratique. L'une venant féconder l'autre. En fait, par suite de sa contestation même, le prolétariat était amené à poser la question sociale à un titre humain. C'est ce que souligne K. Marx dès le début de son activité (Critique de 1a Philosophie du Droit de Hegel) qui indique comment le prolétariat manifeste un être universel et dévoile une ample vision du devenir social. (Cf. la polémique de K. Marx avec A. Ruge au sujet de la révolte des ouvriers de Silésie).

 

Le mouvement, dans les époques antérieures, semblait extérieur à l'homme, l'oppressait, l'écrasait avec l'inexorabilité d'une fatalité extérieure. De là la dialectique des premiers philosophes grecs qui, tout en ayant une présupposition matérialiste, étaient idéalistes, parce que sa base n'était pas sociale. Avec le capital l'homme est au ur du mouvement puisque, nous l'avons vu, ce n'est qu'au moment où le mouvement de la valeur, forme sans contenu et celui de l'expropriation des hommes, substance sans forme, fusion­nent que nous avons autonomisation de la valeur (donc le capital).[8]

 

Celle-ci s'assujettit un rapport social qui entre dans son procès. G.W.F. Hegel n'avait pas vu l'aspect social de ce contenu matériel (l'aumentation de la richesse, comme on disait à l'aube du capitalisme); il a décrit le mouvement sans son contenu, d'où sa dialectique du travail aliéné - qui n'est que le travail intellectuel aliéné -. En revanche, avec le marxisme, la dialectique n'est plus vide, sa présupposition n'est pas un fait matériel, mais social. Elle n'est plus une forme qui peut avoir n'importe quel contenu. Mais c'est celui-ci, l'être, qui la lui donne. Cet être, c'est le prolétariat dont l'émancipation est celle de l'humanité.

 

 

Β. Importance du VIéme Chapitre

 

 

Le VIème Chapitre aborde soit des thèmes non traités dans d'autres ouvrages, soit conclut une recherche commencée en eux; il est parfois le développement autre d'une découverte exposée en détail dans un écrit différent. Ι1 a une uni à lui tout seul bien qu'il présuppose des éclaircissements en particulier sur les origines de la valeur. Ι1 est une synthèse mais, comme cela se produit souvent chez K. Marx, elle déborde le cadre qu'elle englobe et pose des éléments οu même des conclusions que de nombreaux développements devront éclaircir par la suite. Une telle synthèse donne parfois les résultats de la science avant la science. C'est peut-être pour cela qu'il n'a pas été publié. Ιl anticipait trop. La méthode qui y est utilisée présente en revanche un extraordinaire avantage: elle présente le fil historique en saillance sur l'histoire. Les évènements essentiels prennent leur relief et l'inessentiel est mis en "fond", tout le restant est forme lumineuse. Après un tel raccourci, K. Marx reprend son analyse, inlassable, en vraie taupe théorique.

 

La rigueur d'expression qui saisit le mouvement dans son devenir montre que la méthode d'exposition des Grundrisse et de la Critique de 1'Économie Politique - en particulier, de la Version primitive - avec ses antithèses marbrées, ses aperçus "philosophiques " n'étaίt pas une quelle hégélienne, mais un mode propre de transmettre la réalité sous ses aspects multiples. C'est dans le VIème Chapitre et dans les Grundrisse qu'apparaît le plus nettement le lien intime entre les deux aspects de la méthode: recherche et exposition. Le premier de ces deux ouvrages est la clef de toute l'œuvre économique de K. Marx.

 

 

C. Programme révolutionnaire et antidémocratisme. Importance du Livre I du Capital.

 

 

K. Marx avait terminé ses recherches fondamentales dans les années 60 (Grundrίsse), pourtant une faible partie de son œuvre fut publiée de son vivant: le Premier Livre du Capital. Seules des difficultés d'exposition l'ont empêché d'en faire paraître la totalité. Il s'était rendu compte de la totale non-réceptividu monde de son époque à ses puissantes découvertes. La Contribution rencontra un échec. Ιl chercha d'être plus didactique. Et pourtant, à l'heure actuelle, le VIèmeChapitre, dans toute sa fougue dialectique nous apparaît plus limpide que le Premier Livre du Capital. Au lieu de présenter le capital comme un tout, il l'a alors dissocié en procès de production et en procès de circulation. Ιl a eu beau affirmer que les deux forment le procès total réel du capital, cette dissociation a provoqué des erreurs, en particulier la sous-estimation du deuxième procès, οu les recherches qui se fourvoyèrent dans des impasses [9] la croyance en une contradiction latente entre plus-value et profit chez K. Marx, en particulier la théorie des prix de production serait un expédient pour la résoudre. Dans les Grundrisse il analyse d'entrée les deux éléments ce qui détruit toute spéculation sur son accommodation.

 

Notre intention n'est pas d'épuiser la question, mais plutôt de la poser dans ses véritables termes. Ι1 ne s'agit pas de savoir pourquoi K. Marx n'a publié que le Livre Premier, mais de comprendre comment celui-ci suffisait à la lutte prolétarienne de l'époque. Il est, comme on l'a affirmé dans l'Introduction, le programme révolutionnaire de la classe. Son auteur y expose la genèse de cette dernière, sa lutte contre le capital; i1 y indique les armes des deux adversaires: l'économie, machine de guerre contre le prolétariat, tandis que celui-ci a son organisation (parti politique), l'assaut du prolétariat au capital, la destruction de celui-ci et la description de la société communiste.

 

«Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de production qui a grandi, prospéré avec lui et sous ses auspices. La socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. L'heure de la propriété capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés.» (Livre Ι, t. 3, p. 205).

 

Le Capital parut en 1867, l'Association Internationale des Travailleurs date de 1864. Le Manifeste du Parti Communiste a indiqué les grandes lignes générales de l'évolution de la société et de celle de la société bourgeoise en particulier, ainsi que la solution du conflit bourgeois-prolétaires, mais les données théoriques et pratiques nécessaires à la lutte contre l'ennemi de classe et à la transformation sociale n'y sont pas suffisantes. Avec Le Capital, le prolétariat a un programme.

 

Dans les Deuxième et Troisième Livre, on a l'explication de la démocratie [10]. Là, il ne s'agit plus de savoir qui a produit la plus-value, mais comment elle est répartie, qui a domination sur la répartition? Ils expliquent l'autonomisation du capital et le triomphe de la mystification démocratique, lies à la défaite de la révolution de 1848. À ce moment-là, sur la base des rapports capitalistes déjà amplement développés, le socialisme aurait pu prendre son essor. Celui-ci fut à nouveau battu en 1871. Mais les révolutionnaires n'auraient jamais penque la contre-révolution puisse triompher si longtemps... l'étude des formes phènomènales du capital ne semblait pas urgente, nécessaire... Ι1 n'en fut malheureusement rien. D'autre part, les sociaux-démocrates et les divers éléments se réclamant du marxisme au lieu de puiser dans l'oeuvre de K. Marx l'explication de l'épanouissement du capital et des phénomènes secondaires apparus en liaison avec cela, furent victimes du phénomène apparent qu'ils interprêtèrent. On eut le révisionnisme. E. Bernstein est le premier théoricien du capital arrivé au stade où i1 semble résoudre ses contradictions, parce qu'il les surmonte momentanément en s'organisant en un être dont la tendance serait l'auto-régulation, ainsi que des classes moyennes, dont le développement serait infirmation absolue du marxisme!!! De même un peu plus tard, pour expliquer la phase de haute concentration du capital avec le développement des monopoles, on a parlé d'impérialisme. On est resté à la surface, alors que K. Marx donnait déjà une explication en profondeur du phénomène [11].

 

V. Lénine lui-même n'est pas allé - οu n'a pas pu aller (il fut occupé à d'autres tâches) - jusqu la racine de celui-ci. Il eut le grand mérite d'affirmer qu'il était seulement la manifestation d'un stade (l'ultime) du capitalisme et non quelque chose de qualitativement différent.

 

La communau matérielle s'est développée et tend à préserver son existence, à figer les rapports sociaux qui se réifient de plus en plus [12], de telle sorte que les contradictions semblent être surmontées, parce qu'enfermées dans une sphère opaque. Mais le Parti, détenteur de la résolution de l'énigme voit sous l'apparence figée des choses, le mouvement réel. La lutte des classes freinée reprendra avec fougue dès que la crise aura brisé la sphère dans laquelle le prolétariat est prisonnier. Alors il redeviendra le sujet du mouvement historique, que la mystification démocratique a pu enrayer, mais dont elle ne pourra jamais abolir l'impact:

 

le Communisme.

 

 



[1] K.Marx a parlé de la méthode de recherche et de celle d'exposition dans 1a Préface du Premier Livre du Capital. La méthode de recherche est une analyse impitoyable, qui ne laisse dans l'ombre aucun aspect du phénomène, mais c'est une analyse qui ne fige pas. La méthode d'exposition est 1a dialectique. Seulement, ceci nécessite des précisions, parce qu'il pourrait sembler qu'il puisse y avoir scission entre les deux.

(Ajoutons que nous récusons les termes de matérialisme historique et de matérialisme dialectique parce qu'ils sont inaptes à définir la théorie de K.Marx et donc le communisme en tant que théorie. Ces termes pâtissent d'une délimitation immédiate d'avec le matérialisme mécaniste de la bourgeoisie, lors de son surgissement historique. Comme d'autres l'ont fait avant nous, nous affirmons que le matérialisme historique est en finitive une théorie engelsienne (née après 1870). Nous pouvons ajouter qu'elle correspond à la transformation de la théorie en idéologie. Cest l'idéologie du prolétariat en période de domination formelle du capital; du prolétariat qui conteste le pouvoir à ce dernier afin de diriger le développement des forces productives qui créera les conditions de la société communiste. C'est une justification - représentation d'un moment particulier de la vie du prolétariat. - note de 1972).

 

 

[2]  Cf. A. Bordiga, Etude sur la Question agraire in Ι1 programma comunista du n° 23/1953 au n° 15/1954, 1a Réunion d'Asti de 1954 (Compte-rendu dans le même journal); les Eléments de l'Éconorrιie marxiste publiés en volume par les Ed. il programma comunista, Milan 1972. Cf. K. Marx lui-même: «Ricardo commet toutes ces erreurs parce qu'il veut, au moyen d'abstractions forcées maintenir l'identité de la plus-value et du taux de profit. Le vulgaire en a conclu que les vérités théoriques sont des abstractions en contradiction avec la réalité. Ιl aurait fallu conclure au contraire que Ricaτdo n'est arrivé à l'abstraction fausse que parce qu'il n'a pas poussé assez loin l'abstraction vraie ». (Livre IV, tome 3, p. 200).

 

[3] «On sait d'ailleurs dans toutes les sciences, à l'économie politique près, qu'il faut distinguer entre les apparences des choses et leur réali». (Livre Ι, tome 2, page 208).

 

[4] Cf. à ce sujet le texte de A. Bordiga (in Invariance, n°7 pp. 119-130, pour la traduction française): «La science économique marxiste en tant que programme révolutionnaire. et le volume Amadeo Boτdiga :Testi sul communismo, pp. 188, Ed. Crimi - La Vecchia Τa1ρa. Firenze- Napoli, 1972. (publié en français dans le livre Bordiga et la passion du communisme)

 

[5] «Nous voici enfin arrivés aux formes phénoménales, qui servent de point de départ à l'économiste vulgaire: rente provenant de la terre, profit (intérêt) provenant du capital, salaire provenant du travail. Mais au point nous en sommes, l'affaire apparaît maintenant sous un tout autre jour. Le mouvement apparent s'explique» (... ) Le mouvement d'ensemble vu sous cette forme apparente. Enfin, étant donné que ces trois éléments (salaire du travail, rente foncière, profit - intérêt -) sont les sources des revenus des trois classes, à savoir celle des propriétaires fonciers, celle des capitalistes et celle des ouvriers salariés - comme conclusion, la lutte de classe dans laquelle le mouvement se décompose et qui est le dénouement de toute cette merde ». (K Marx  à F. Engels, 30.4.1868).

 

[6] «Plus on remonte dans le cours de l'histoire, plus l'individu - et par suite l'individu producteur, lui aussi - apparaît dans un état de dépendance, membre d'un ensemble plus grand». (Introduction à 1a Critique de l'Économie Politique).

 

[7] «C'est pourquoi Hegel est tombé dans l'illusion de concevoir le réel comme le résultat de 1a pensée qui se concentre en elle-même, s'approfondit en elle-même, se meut en elle-même, alors que la méthode qui consiste à s'élever de l'abstrait au concret n'est pour la pensée que la manière de s'approprier le concret, de le reproduire sous la forme d'un concret pensé ». (Introduction à la Critique de l'Économie Politique,p.165)

 

[8] «Au fur et à mesure que la forme du profit en voile le fond même le capital devient de plus en plus quelque chose de matériel, de concret, mais où le rapport social se trouve inclus, quelque chose de réel et d'irréel à la fois, doué d'une vie et d'une autonomie fictives. C'est sous cette forme de capital et de profit que le capital apparaît comme une entidélimitée, c'est la forme de sa réalité on plutôt, sa véritable forme d'existence. » (L. IV. 8. 164).

(Cette traduction de J. Molitor forme totalement la pensée de K.Marx, en conquence nous indiquons ici une traduction plus file et d'autre part, à cause de l'importance du sujet traité, nous reportons quelques phrases en plus. «Et dans cette forme totalement extranéisée du profit et dans la même mesure où la forme du profit dissimule son noyau interne, le capital acquiert de plus en plus une forme réifiée (sachliche), d'un rapport il devient toujours plus une chose, mais une chose qui a le rapport social dans le corps, qui l'a avalé, une chose se rapportant à elle-même avec une vie fictive et une autonomie, un être (Wesen) sensible suprasensible; et dans cette forme de capital et de profit il apparaît à la surface en tant que présupposition achevée. C'est la forme de son effectiviοu, mieux, sa forme d'existence effective. Et c'est la forme sous laquelle il vit dans la conscience de ses agents (supports), les capitalistes, qu'elle se déroule dans leurs représentations.

 

Cette forme (métamorphosée) ossifiée du profit (et par là du capital en tant que son créateur, car le capital est raison, le profit 1a conquence; capital cause, profit effet; capital substance profit accident; le capital est seulement en tant que capital créant du profit, en tant que valeur qui crée un profit, une valeur supplémentaire)... » (cf. Werke, t. 26, 3, ρ. 474).

 

En raisonnant à partir de 1a traduction de J. Molitor nous sommes donc restés en-dessous de la perspective de K. Μarx. Celui-ci montre en fait que le capital réalise le projet hégélien (la substance devient sujet) et même le dépasse; il est réalisation et dépassement de la philosophie de G.W.F. Hegel. La citation de la page 228 le prouve bien. La forme immédiate sous laquelle le capital apparaît A-A' est donc la forme absolue à laquelle il parvient, de même que le savoir absolu est déjà dans l'immédiat du ceci et de sa visée (début de 1a Phénoménologie de l'Esprit). Il y a donc substitution du savoir par la forme. Cependant cette forme n'est plus la simple forme du début, elle est réifiée (sachliche indique le résultat, tandis que Versachlichung exprime le mouvement de 1a réification) puisque la forme c'est le capital qui au départ était la substance sujet et ceci est concomitant à un autre renversement: le capital n'était pas une chose mais un rapport social; or il est devenu une chose ce qui implique que le capital a en fait englobé son rapport au travail salarié, de même qu'il englobe le fétichisme de la marchandise puisque, comme elle, il est sensible suprasensibile.

 

K. Marx montre ensuite à quel point le capital réalise et fait éclater la philosophie puisqu'il peut se poser en tant qu'immanence et substance, en tant que forme et transcendance, etc. Ce qui fait souvenir des différentes philosophies, entre autres celles des philosophes de la Renaissance, de Baruch Spinoza et, évidemment de G.W.F. Hegel. Le capital est devenu la représentation absolue: tout ce que peuvent faire les hommes se mire en lui; il peut être le spectacle du monde en tant qu'il fléchit, renvoie à tous les êtres leurs divers agissements intégrés dans son procès de vie. Il ne peut plus y avoir une activité donnée avec sa représentation qui, sur le terrain de la société du capital, puisse lui être antagonique, le menacer... Le mouvement de négation doit se faire hors de cette dernière, le refus doit être celui du capital et celui du travail. - note de 1972).

 

[9] C'est le cas de Rosa Luxembourg.

 

[10] En tenant compte qu'il sagit à ce niveau d'une démocratie fondée par le capital, dont les vieilles déterminations purement politiques on été dépassées. - (note de mai 1972).

 

[11] Par exemple en ce qui concerne le capital porteur d'inrêt (capital financier), forme absolue du capital: «Nous y avons d'une part la forme absolue du capital: A-A', la valeur se valorisant. D'autre part, il n'y a plus le moyen terme qui existe encore dans le capital commercial: Μ, dans A-Μ-A'. Ce n'est plus que le rapport de A avec lui-même et mesuré à lui-même. C'est le capital expréssément retiré et séparé du procès comme présupposition d'un procès dont il est le résultat, dans lequel et par lequel il est capital ». (Livre IV, t. 8, pp. 168-169).

 

[12] « ... la personnification des choses, et la réification des rapports de production, c'est cette religion de la vie quotidienne. » (Livre III, t. 8, ρ. 208