CAPITAL
ET GEMEINWESEN
VIII. CONCLUSIONS
Α.
QUESTION DE MÉTHODE.
1)
Abstraction
et réalité
Au
terme
de cette étude sur l'œuvre économique de K. Marx - étude forcément parcellaire, ne serait-ce que pour la raison suivante: tous ses travaux ne sont pas parus -
il est bon de faire quelque remarques sur la méthode.
L'analyse du Capital a conduit certains à dire que K. Marx
allait de l'abstraction au concret, du phénomène abstrait déduit
de la réalité, on irait, par intégrations successives au réel concret de la
société mouvante. D'autre part Lénίne disait
qu'il fallait étudier G.W.F. Hegel
pour comprendre le Capital, en particulier pour comprendre la transformation de l'argent en
capital. Or, il semble à la lumière des autres travaux (les Grundrisse par exemple) qu'il n'en
soit pas rigoureusement ainsi[1].
Nous n'allons pas traiter à fond cette question, mais indiquer simplement quelque points de repère. Dans 1e cas contraire, i1
faudrait reprendre en détail toute
l'Introduction, ce qui aboutirait à donner une
extension démesurée à notre travail.
En
ce qui
concerne l'abstraction, nous avons souvent fait remarquer que
K. Marx avait raisonné sur
un modèle de la
société
où il y a
trois classes:
Propriétaires
fonciers, capitalistes, prolétaires.
Or, on sait, que
ce modèle ne se réalise jamais dans la réalité, parce qu'il y a, en plus,
les classes impures [2].
D'autre part, il
a insisté sur la
différence entre apparence et
réalité, la première
se réfléchissant immédiatement dans l'entendement, la seconde, doit être découverte par 1a science. (Voir Livre Ι,
tome 2, page
213)[3].
Ι1
y
a en outre une donnée
historique qui sous-tend
l'ouvrage, c'est ce que nous avons appelé «les trois moments».
-
1) Naissance du capitalisme
-
2) La société capitaliste pleinement développée,
-
3) La
description du communisme[4]
.
Ils ne sont pas exposés
d'une
façon linéaire, mais en fonction de
certaines questions bien déterminées
et sans aucune
transition, sans
avertissement, on passe d'un moment à
l'autre.
La
méthode
historique se présente de façon
plus
manifeste
lorsque K. Marx explique
par exemple, d'abord la plus-value, puis ses
formes dérivées. Ici,
l'abstraction conflue avec l'analyse historique. C'est au sujet
de la valeur et de la plus-value
qu’il reproche à D. Ricardo et
à A. Smith de
vouloir
donner la science avant la science, expliquer les formes
secondes
avant d'avoir
éclairci celle
originelle.
Cependant, ce n'est pas
encore
suffisant pour caractériser la méthode. En effet,
initialement, il ne part pas
d'une
abstraction mais du
phénomène tel
qu'il apparaît; dévoile la contradiction
qu'il recèle.
C'est alors
qu'il passe du phénomène à la réalité
(substrat) expliquant en
même
temps la
mystification qui a
pu s'opérer.[5].
C'est ce que nous
avons fait remarquer à
propos
du VIème
chapitre,
lors
de l'étude de l'origine du
capital.
Il
met
donc à nu la réalité
et indique le
lien entre mouvement apparent
et mouvement réel. Mais
le phénomène apparent s'autonoιnise et
semble ne plus avoir de
lien avec
ce qui était indiqué auparavant
comme sa
réalité (mystification), d'où
il est
nécessaire d'étudier
ce mouvement en tant
que tel sinon on ne comprendrait rien à toutes
les manifestations modernes
du capital.
Seulement l'autonomisation n'a
pas supprimé le phénomène réel qu'il faut étudier dans son
évolution, c'est-à-dire
l'approfondissement de son
caractère de valeur se valorisant,
de valeur en procès.
De
ce fait, K. Marx analyse le capital comme
un tout,
pour ensuite envisager des
aspects particuliers de la vie de cet être impersonnel. Si
nous considérons l'œuvre, non seulement en
ce qui concerne
l'explication de la nature et de l'évolution du
capital,
mais en
fonction de l'enscmble des
formes de production, nous
constatons
que la méthode est la même.
Ainsi, pour la valeur,
sa genèse,
ses différentes
fοrmes etc... le phénomène n'est
pas simplement abstrait mais donné en liaison avec les autres phénomènes: dissolution de la
communauté; apparition de la propriété privée, de
l'individu, etc...
2)
Dialectique
du capital
et mouvement économique.
Dans la Version primitive, il
fait remarquer: «On voit, à ce point, de façon déterminée, combien la forme dialectique de
l'exposé n'est juste que lorsqu'elle connaît ses limites.» (ρ.
253). L'exposé du mouvement de la valeur suppose 1a
connaissance du communisme primitif et du communisme scientifique.
(a)
Il
a
insisté
longuement
sur
le
fait que les premiers échanges se sont effectués entre communautés. L'individu
suppose un long développement historique qui a pour corollaire la destruction de ces dernières. Or, c'est à cause d'une fausse présupposition individuelle que les économistes classiques et les premiers socialistes débouchèrent dans une impasse. Ils partaient d'un élément qui a été produit et voulaient que le procès social y retournât. C'est pourquoi le maximum
qu'ils pouvaient imaginer pour le futur humain, c'était la
société égalitaire que K. Marx
a
si violemment critiquée dans les Manuscrits
de 1844 et dans la Version primitive. La présupposition réelle, c'est la communauté et la
solution, le communisme. Seule la théorie du prolétariat est fondée sur cette présupposition historique
et sociale, d'où son originalité.[6]
(b)
D'autre part, c'est de la vision matérielle et précise de la société future qu’il
tire sa
compréhension des tendances profondes de la société capitaliste:
«L'anatomie de
l'homme est la clef de
l'anatomie du
singe. Dans les espèces animales inférieures, on ne peut comprendre les signes annonciateurs d'une forme supérieure que lorsque la forme supérieure est elle-même déjà connue. »
(Introduction,p. 109).
Connaître
les limites,
cela veut dire que l'on a déterminé les bases et le résultat final du mouvement. Sinon 1a dialectique est un mouvement privé de matière, ce qui
implique que les données matérielles réelles ne sont pas saisies dans leur mouvement. Ici, on part de 1a
communauté étroite et limitée, dominée par la nature pour
accéder à la communauté humaine universelle dominant la nature. Le
sujet
en est l'homme réel,
l'espèce produisant et consommant.
3)
Rapports sociaux et dialectique
Dans les Grundrisse, K. Marx
indique
qu'avec le
capital, les
rapports
sociaux ont
perdu
leur rigidité et sont
devenus procès. C'est un des aspects fondamentaux de l'explication du capital. La
limite de
D. Ricardo c'est de ne pas
avoir «saisi dans
son mouvement vivant»
« le rapport entre le travail matérialisé et le travail vivant».
(Grundrisse p. 451).
«
Le
capital est capital circulant du fait qu'il est sujet dominant le mouvement en se conservant et
en se multipliant en
lui, sujet
de ces métamorphoses
qui se déroulent
sous forme
circulaire, spirale en cercle s'élargissant ».
(Grundrisse, ρ.
514).
On
peut remarquer que la société a
connu deux
moments
privilégiés où les
rapports sociaux
ont été aussi en
mouvement. Lors
de la destruction
du communisme primitif
et la formation
de 1a société de
classe, d'où la dialectique de
premiers philosophes grecs. Ils voyaient
bien le mouvement
dans
son devenir. Ils le
sentaient bien en liaison avec le monde social, mais ils ne le comprenaient pas. Aussi l'interprêtaient-ils
en
utilisant les données
du passé (les antiques conceptions naturelles) alors qu'ils
tentaient d'expliquer
le devenir. C'est pourquoi cherchaient-ils la
conciliation οu la réconciliation dans les forces naturelles,
dans la
nature.
Le
deuxième
moment
a lieu lors de
la destruction
du féodalisme
qui avait
pour
ainsi dire restauré la communauté ancienne (le mouvement de la valeur était enrayé) mais avec des
rapports de
dépendance
personnels.
Cette période
a été
théorisée par
G.W.F. Hegel: «La grandeur de la Phénoménologie
de
Hegel et
de son résultat final - la
dialectique de
la négativité
comme principe moteur
et créateur - consiste donc, d'une part, en ceci, que Hegel
saisit la production de l'homme par lui-même comme un
processus, l'objectivation
comme désobjectviation, comme aliénation et suppression
de
cette alίenation; en ceci donc
qu'il saisit l'essence du travail et concoit
l'homme objectif, véritable parce que réel, comme le résultat
de son propre travail ». (Manusrits de 1844, p 132)
Dans cette conception, on voit bien que ce qui fonde
l'homme, ce n'est plus
une médiation
naturelle, matérielle, la terre, οu personnelle,
mais le
travail. Cela implique que l'homme ait été coupé de sa communauté. «C'est
pourquoi la Phénoménologie est la critique cachée, encore
obscure pour
elle-même
et mystifiante; mais
dans la mesure
où elle retient l'aliénation
de l'homme - bien que l'homme n'y
apparaisse que sous 1a forme de l'esprit -,
on trouve cachés en elle tous les éléments de la critique, et ceux-ci
sont déjà souvent préparés et élaborés d'une
manière
qui dépasse de
beaucoup le point de
vue hégélien.
» (Ibid.,p. 131).
G.W.F.
Hegel individualise
bien le mouvement, mais
n'en perçoit
pas le
contenu; il n'en saisit que l'apparence. Sa
philosophie est une description sous forme
abstraite, du passage de la société féodale à celle bourgeoise. «La logique, c'est
l'argent
de
l'esprit, la valeur pensée, spéculative de l'homme et de 1a nature...
» (Manuscrits de 1844, p. 130).
Pour G.W.F.
Hegel, le
devenir
est manifeste,
mais
il n'en voit
l'être que
dans le
travail abstrait aliéné; il n'en découvre pas l'être réel.
Les rapports sociaux ont été mis en
mouvement et tendent à se consolider en
une nouvelle
structure, laquelle?
Quel en
sera l'être? La
base du
développement capitaliste est trop faible; le prolétariat de même.
C'est pourquoi il cherche la fin de l'aliénation
dans 1a pensée:
«C'est pourquoi tout le mouvement se termine par le savoir absolu » (Ibid.,p. 130).[7].
Mais la destruction
de cette aliénation se révele être, en définitive, une
conciliation. En effet, au niveau le plus élevé
du développement de
l'Idée, l'État,
il y
a accomodatίon, comme disait
K.
Marx entre
le
mouvement que perçoit G.W.F. Hegel et la société ancienne. Avec lui,
on a la théorie fondamentale
de
l'opportunisme qui n'arrive à résoudre aucun problème mais
qui, pour
ce faire, recourt
à des
expédients, à des
ruses de la raison.
Ainsi l'être
de la dialectique,
c'est l'homme
abstrait; la médiation entre les hommes abstraits c'est 1'État,
avec les institutions.
L'être réel n'était pas encore
trouvé. I1
fallait
le heurt entre capital et
prolétaires pour qu'apparaisse
le
sens de
ce mouvement
et que la dialectique ait une réalité. Pour K. Marx, le mouvement tend vers le communisme; le
capitalisme n'est lui-même qu'une phase de
transition entre la destruction de 1a communauté féodale et la formation de celle humaine.
Les
luttes de classe du début du XIXème
siècle lui montrent le sujet de la transformation de la société de classe en société sans classe: le
prolétariat (1843). L'être réel,
l'énigme résolue est trouvée: le communisme. Ι1
n'y a donc plus de conciliation d'interprétation,
d'accommodation. Le prolétariat est 1a fin
de 1a phίlesophίe.
Avec
G.W.F.
Hegel, la
dialectique était une phrase sans contenu: «Μa
méthode de développement n'est pas celle de Hegel
idéaliste.»
«La
dialectique hégélienne est la forme fondamentale de toute dialectique, mais seulement, après
qu'elle a été dépouillée de sa forme mystique, et c'est précisément cela qui différencie ma méthode.»
K. Marx à Kugelmann, 06.03. 1868), elle l'acquiert avec le marxisme. Mais, à ce moment-là, les présuppositions ont elles-mêmes été bouleversées. Cela explique d'autre part, qu'à la fin de sa première ébauche du Capital (les Manuscrits de
1844), K. Marx
ait abordé une critique détaillée du système de G.W.F.
Hegel.
Ainsi
apparaît le lien entre la théorie qui aurait été en dehors de la réalité et la pratique. L'une venant
féconder l'autre. En fait, par suite de
sa contestation même, le prolétariat était amené à poser la question sociale à un titre humain. C'est ce que souligne K. Marx
dès
le début de son activité (Critique de
1a Philosophie du Droit de Hegel) qui indique comment le prolétariat
manifeste un être universel et dévoile une ample vision du devenir social. (Cf. la polémique de
K. Marx avec A. Ruge au sujet de la révolte des ouvriers de
Silésie).
Le mouvement, dans les époques antérieures, semblait extérieur à l'homme, l'oppressait, l'écrasait avec l'inexorabilité d'une fatalité extérieure. De là la dialectique des premiers philosophes grecs qui, tout en ayant une présupposition matérialiste, étaient idéalistes, parce que sa base n'était pas sociale. Avec le capital l'homme est au cœur du mouvement puisque, nous l'avons vu, ce n'est qu'au moment où le mouvement de la valeur, forme sans contenu et celui de l'expropriation des hommes, substance sans forme, fusionnent que nous avons autonomisation de la valeur (donc le capital).[8]
Celle-ci
s'assujettit un rapport social qui entre dans son procès. G.W.F. Hegel
n'avait
pas
vu l'aspect social de ce contenu matériel (l'augmentation de la richesse, comme on disait à l'aube
du capitalisme); il a décrit le mouvement sans son contenu, d'où sa dialectique du travail aliéné -
qui n'est
que le travail intellectuel aliéné -.
En revanche, avec le marxisme, la dialectique n'est plus vide, sa présupposition n'est pas un fait matériel, mais
social. Elle n'est plus une forme qui peut avoir n'importe
quel contenu. Mais c'est
celui-ci, l'être, qui la lui donne. Cet être, c'est le prolétariat dont l'émancipation est celle de l'humanité.
Β.
Importance du VIéme Chapitre
Le VIème
Chapitre
aborde soit des thèmes non traités dans d'autres ouvrages, soit conclut une recherche commencée en eux;
il est
parfois le développement autre d'une découverte exposée en détail dans un écrit différent. Ι1
a une
unité
à
lui
tout
seul
bien qu'il présuppose des éclaircissements en particulier sur les origines de la valeur. Ι1
est une
synthèse
mais, comme
cela
se produit
souvent
chez
K.
Marx, elle déborde le cadre qu'elle englobe et pose
des éléments οu
même des conclusions que de nombreaux développements devront
éclaircir par la suite. Une telle synthèse donne parfois les résultats de la science avant la science. C'est peut-être pour cela qu'il n'a pas
été publié. Ιl
anticipait trop. La méthode qui y est
utilisée présente en revanche un
extraordinaire avantage: elle présente le fil
historique en saillance sur l'histoire. Les évènements
essentiels prennent leur relief et l'inessentiel est mis en "fond", tout le restant est forme lumineuse. Après un tel raccourci, K. Marx
reprend son analyse, inlassable, en vraie taupe théorique.
La rigueur d'expression qui saisit le mouvement dans son devenir montre que la méthode d'exposition des Grundrisse et de la Critique
de 1'Économie Politique -
en
particulier, de la Version
primitive - avec ses antithèses marbrées, ses aperçus "philosophiques " n'étaίt
pas
une séquelle hégélienne, mais un mode propre de transmettre la réalité sous ses aspects multiples. C'est dans le VIème Chapitre et dans les Grundrisse qu'apparaît le plus nettement le
lien intime entre les deux aspects de la méthode: recherche et exposition. Le premier de ces deux ouvrages est la clef de toute l'œuvre
économique de K. Marx.
C.
Programme révolutionnaire
et antidémocratisme. Importance du Livre I du Capital.
K.
Marx avait terminé ses recherches fondamentales dans les années 60 (Grundrίsse),
pourtant une faible partie de son œuvre fut publiée de son vivant: le Premier Livre
du Capital. Seules des
difficultés d'exposition l'ont empêché d'en faire paraître la totalité. Il s'était
rendu compte de la totale non-réceptivité du
monde de son époque à ses puissantes
découvertes. La Contribution rencontra un échec. Ιl chercha d'être plus didactique.
Et pourtant, à l'heure actuelle, le VIèmeChapitre, dans toute sa fougue
dialectique nous apparaît plus limpide que le
Premier Livre du Capital. Au lieu de présenter le capital comme un
tout, il l'a alors dissocié en procès de
production et en procès de circulation. Ιl a eu
beau affirmer que les deux forment le procès total réel du capital, cette dissociation a provoqué des erreurs, en particulier la sous-estimation du deuxième procès, οu
les recherches qui se fourvoyèrent dans des impasses [9] la croyance en une contradiction
latente entre plus-value et profit chez K. Marx,
en
particulier la théorie des prix de production serait un expédient pour la résoudre. Dans les Grundrisse il analyse d'entrée les deux éléments ce qui détruit toute spéculation sur son accommodation.
Notre intention n'est pas d'épuiser la question, mais plutôt de la poser dans ses véritables termes. Ι1
ne s'agit pas de savoir pourquoi K. Marx
n'a
publié que le Livre
Premier,
mais de comprendre comment celui-ci suffisait à la lutte prolétarienne de
l'époque. Il est, comme on l'a affirmé dans l'Introduction, le programme révolutionnaire de la classe. Son
auteur y expose la genèse de
cette dernière, sa lutte contre le
capital; i1 y
indique les armes des deux adversaires: l'économie, machine de guerre contre le prolétariat, tandis que celui-ci a son organisation (parti politique),
l'assaut du
prolétariat au capital, la destruction de celui-ci et la description de la société communiste.
«Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de production qui a grandi, prospéré avec lui et sous ses auspices. La socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. L'heure de la propriété capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés.» (Livre Ι,
t.
3, p. 205).
Le Capital
parut en 1867, l'Association Internationale des Travailleurs date de
1864. Le Manifeste du Parti Communiste a indiqué les grandes lignes générales de l'évolution de la société
et de celle de la
société bourgeoise en particulier, ainsi que la solution du conflit bourgeois-prolétaires, mais les données théoriques et pratiques nécessaires à la lutte contre l'ennemi de classe et à la transformation sociale
n'y sont pas suffisantes. Avec Le
Capital, le
prolétariat a un programme.
Dans
les Deuxième et Troisième Livre, on a l'explication de la démocratie [10].
Là, il ne s'agit plus de savoir qui a produit la plus-value, mais comment elle est répartie, qui a domination sur la répartition? Ils expliquent l'autonomisation du capital et le triomphe de la mystification démocratique, lies à la défaite de la révolution de 1848. À
ce moment-là, sur la base des
rapports capitalistes déjà amplement développés, le
socialisme aurait pu prendre son essor. Celui-ci fut à nouveau battu en 1871.
Mais les
révolutionnaires n'auraient
jamais pensé que la
contre-révolution puisse triompher si longtemps...
l'étude des
formes phènomènales du capital ne semblait pas urgente, nécessaire... Ι1
n'en fut
malheureusement rien. D'autre part, les sociaux-démocrates et les divers éléments se réclamant du marxisme au lieu de
puiser dans l'oeuvre de K. Marx
l'explication
de
l'épanouissement du capital et des phénomènes secondaires apparus en liaison avec cela, furent victimes du phénomène apparent qu'ils interprêtèrent. On eut le
révisionnisme. E. Bernstein est
le premier théoricien
du capital arrivé au stade où i1 semble résoudre ses
contradictions, parce qu'il les surmonte momentanément en
s'organisant en un être dont la tendance serait l'auto-régulation,
ainsi que des classes moyennes, dont le développement serait infirmation absolue du marxisme!!! De même un peu plus tard, pour expliquer la phase de haute concentration du capital avec le développement des monopoles, on a parlé d'impérialisme. On est
resté à la surface, alors que
K. Marx donnait déjà une explication en profondeur du phénomène
[11].
V.
Lénine lui-même n'est pas
allé -
οu
n'a pas pu aller (il fut occupé à d'autres tâches) -
jusqu'à la racine de
celui-ci. Il eut le grand mérite d'affirmer qu'il était seulement la manifestation d'un stade
(l'ultime) du
capitalisme et non quelque chose de
qualitativement différent.
La communauté matérielle s'est développée et tend à préserver son existence, à figer les rapports sociaux qui
se
réifient de
plus en plus [12],
de telle sorte que les
contradictions semblent être surmontées, parce qu'enfermées dans une sphère opaque. Mais le Parti, détenteur de la résolution de l'énigme voit sous
l'apparence figée des choses, le mouvement réel. La lutte des classes freinée reprendra avec fougue dès que la crise aura brisé la sphère dans laquelle le
prolétariat est prisonnier. Alors il redeviendra le sujet du mouvement historique, que la mystification démocratique a pu enrayer, mais dont elle ne pourra jamais abolir l'impact:
le Communisme.
[1] K.Marx a
parlé de la méthode de recherche et de celle d'exposition dans 1a Préface du Premier
Livre du
Capital. La méthode de recherche est une analyse impitoyable, qui ne laisse dans l'ombre
aucun aspect du phénomène, mais c'est une analyse qui ne fige pas. La méthode d'exposition est 1a
dialectique. Seulement, ceci nécessite des précisions, parce
qu'il pourrait sembler qu'il puisse y avoir scission entre les deux.
(Ajoutons que nous récusons les termes de matérialisme historique
et de
matérialisme
dialectique parce qu'ils sont inaptes à
définir la théorie de K.Marx
et
donc le communisme en tant que théorie. Ces
termes pâtissent d'une délimitation immédiate d'avec le matérialisme mécaniste de la
bourgeoisie, lors de son surgissement historique. Comme d'autres l'ont fait avant nous, nous affirmons que le matérialisme historique est en définitive une théorie engelsienne (née après 1870). Nous pouvons ajouter qu'elle correspond à la
transformation de la théorie en idéologie. Cest
l'idéologie
du prolétariat en période de domination formelle du capital; du
prolétariat qui conteste le pouvoir à ce dernier afin
de diriger le développement des forces
productives qui créera les
conditions de la société communiste. C'est une justification -
représentation d'un moment particulier de la vie du prolétariat. -
note de
1972).
[2]
Cf.
A. Bordiga, Etude sur
la
Question agraire in Ι1
programma comunista du
n° 23/1953 au n°
15/1954, 1a Réunion d'Asti de
1954 (Compte-rendu dans le même journal); les Eléments de l'Éconorrιie marxiste publiés
en volume par les Ed.
il programma
comunista,
Milan
1972. Cf.
K. Marx lui-même: «Ricardo commet toutes
ces erreurs parce qu'il veut, au moyen
d'abstractions forcées maintenir l'identité de la plus-value et du taux de profit. Le vulgaire en a
conclu que les vérités théoriques sont des abstractions en contradiction avec la réalité. Ιl
aurait fallu conclure
au contraire que
Ricaτdo
n'est
arrivé à l'abstraction fausse que parce qu'il n'a pas poussé assez loin l'abstraction
vraie ».
(Livre IV, tome 3, p.
200).
[3]
«On
sait d'ailleurs dans toutes les sciences, à
l'économie politique
près, qu'il
faut distinguer entre les apparences des choses et leur
réalité ». (Livre Ι,
tome 2, page
208).
[4]
Cf.
à
ce sujet le texte de A. Bordiga (in
Invariance, n°7 pp.
119-130, pour la traduction française):
«La science économique marxiste en tant que
programme
révolutionnaire. et le volume
Amadeo
Boτdiga :Testi
sul communismo, pp. 188, Ed.
Crimi - La Vecchia Τa1ρa. Firenze-
Napoli, 1972.
(publié en français dans le livre Bordiga et la passion du
communisme)
[5]
«Nous
voici enfin
arrivés aux formes phénoménales,
qui servent de point
de départ à l'économiste vulgaire: rente
provenant de la terre, profit (intérêt)
provenant du
capital,
salaire
provenant du travail.
Mais au
point où nous en
sommes,
l'affaire apparaît
maintenant sous un tout
autre jour.
Le mouvement apparent
s'explique» (... ) Le mouvement
d'ensemble vu sous cette forme apparente. Enfin,
étant donné
que ces
trois éléments (salaire
du travail, rente
foncière, profit
- intérêt
-) sont les sources des revenus des trois classes,
à savoir celle des propriétaires
fonciers, celle
des capitalistes et celle des ouvriers
salariés -
comme
conclusion, la lutte de classe dans laquelle le mouvement
se décompose
et qui est
le dénouement
de toute
cette merde
». (K Marx à
F. Engels, 30.4.1868).
[6]
«Plus on remonte dans le cours de l'histoire, plus
l'individu - et par suite l'individu producteur, lui aussi -
apparaît dans un état de dépendance, membre d'un ensemble plus grand».
(Introduction à 1a Critique de l'Économie Politique).
[7]
«C'est
pourquoi
Hegel est tombé dans l'illusion de
concevoir le
réel comme le résultat de 1a pensée
qui se concentre en elle-même,
s'approfondit en elle-même,
se meut
en elle-même, alors que la méthode qui consiste à
s'élever de l'abstrait au
concret n'est pour la pensée
que la manière
de s'approprier le concret, de le reproduire sous la forme d'un concret pensé ».
(Introduction à la Critique de l'Économie Politique,p.165)
[8]
«Au
fur
et
à mesure que la forme
du profit en voile le fond même le capital devient de plus en plus quelque chose de matériel, de concret, mais où le rapport
social se trouve inclus, quelque chose de réel et d'irréel à la fois, doué d'une vie et d'une autonomie fictives. C'est sous cette forme de capital et de profit que le capital apparaît comme une entité délimitée,
c'est la forme de sa réalité on plutôt, sa véritable forme d'existence. »
(L. IV. 8.
164).
(Cette
traduction de J. Molitor déforme
totalement la pensée de K.Marx,
en
conséquence nous indiquons ici
une traduction plus fidèle
et d'autre
part, à cause
de l'importance du
sujet
traité, nous
reportons quelques phrases en
plus.
«Et dans cette forme
totalement extranéisée du profit et
dans la
même mesure où la forme du
profit dissimule son noyau interne, le capital acquiert de plus en
plus
une forme réifiée (sachliche), d'un
rapport il devient
toujours
plus
une chose, mais une chose
qui a
le rapport social dans le corps, qui l'a avalé,
une chose se rapportant
à elle-même avec une vie fictive et
une autonomie, un être
(Wesen) sensible suprasensible; et dans
cette forme
de capital et
de profit
il apparaît à la surface en
tant que présupposition achevée.
C'est la forme
de son
effectivité οu,
mieux, sa forme
d'existence effective. Et c'est la
forme sous laquelle il vit dans la conscience de ses agents (supports),
les capitalistes, qu'elle
se déroule
dans
leurs représentations.
Cette
forme (métamorphosée) ossifiée du
profit
(et par là du capital
en tant que son créateur,
car le
capital est raison, le
profit 1a conséquence;
capital cause,
profit effet;
capital substance
profit accident; le capital est seulement
en tant que capital
créant
du profit, en tant
que valeur
qui crée
un profit,
une valeur supplémentaire)... » (cf.
Werke, t.
26, 3, ρ.
474).
En
raisonnant à partir de 1a traduction de J.
Molitor nous
sommes
donc restés en-dessous de la perspective de K. Μarx.
Celui-ci montre en
fait
que le
capital réalise le projet
hégélien (la substance
devient sujet) et même
le dépasse;
il est
réalisation et dépassement de la philosophie de
G.W.F. Hegel. La citation de la page 228 le prouve
bien.
La forme
immédiate sous
laquelle le capital apparaît A-A' est
donc la
forme
absolue
à laquelle il parvient, de
même que le savoir absolu est déjà dans l'immédiat
du ceci et de sa visée (début de 1a Phénoménologie de l'Esprit). Il
y a donc
substitution du
savoir
par la forme. Cependant
cette forme
n'est plus la
simple forme du début,
elle est
réifiée (sachliche indique le résultat,
tandis
que Versachlichung exprime le
mouvement
de 1a réification) puisque la
forme
c'est le capital
qui au
départ
était la
substance
sujet
et ceci
est concomitant à un autre
renversement: le capital n'était pas une chose mais
un rapport social; or il est
devenu
une chose ce qui implique que le
capital a en fait englobé
son rapport au travail salarié, de même
qu'il englobe le fétichisme de la marchandise
puisque, comme
elle, il est sensible
suprasensibile.
K.
Marx montre
ensuite
à quel
point
le capital
réalise et fait
éclater la philosophie puisqu'il
peut
se poser en
tant
qu'immanence
et substance, en tant que forme et transcendance, etc. Ce
qui fait souvenir des
différentes philosophies, entre
autres celles
des philosophes de la Renaissance, de Baruch Spinoza et,
évidemment de G.W.F. Hegel. Le
capital est devenu la représentation absolue: tout
ce que peuvent
faire
les hommes
se mire
en lui; il peut
être le spectacle du
monde en
tant qu'il
réfléchit, renvoie à tous les êtres leurs divers agissements intégrés dans
son
procès de vie. Il
ne peut plus y avoir une activité
donnée avec sa représentation qui, sur le terrain de la société
du
capital, puisse lui être
antagonique, le menacer... Le
mouvement de négation doit
se faire
hors de cette dernière,
le refus
doit
être celui du capital
et celui du travail. - note
de 1972).
[9] C'est
le cas de Rosa Luxembourg.
[10] En
tenant
compte
qu'il
sagit
à
ce niveau
d'une
démocratie
fondée par le capital, dont les vieilles déterminations
purement politiques on été dépassées. -
(note de mai 1972).
[11]
Par exemple en ce qui concerne le capital porteur d'intérêt (capital
financier), forme absolue du capital: «Nous y avons d'une part la forme absolue du
capital: A-A', la valeur se valorisant.
D'autre
part, il
n'y a plus le moyen terme
qui existe encore dans le capital commercial: Μ,
dans A-Μ-A'.
Ce n'est plus que le rapport
de A avec
lui-même et mesuré
à lui-même. C'est le capital
expréssément
retiré
et séparé
du procès
comme
présupposition
d'un procès
dont il
est le résultat,
dans lequel et
par lequel
il est
capital ». (Livre IV, t.
8, pp. 168-169).
[12] «
... la
personnification
des choses,
et la réification des
rapports de production, c'est cette religion de la vie quotidienne. »
(Livre III, t.
8, ρ.
208