Réorganisation de la théorie

 

 

 

 

 

Il y a eu quatre périodes importantes dans l’activité théorique de S. Freud. La première en rapport avec l’élaboration de la théorie de la séduction de 1880 à 1896[1]. La deuxième correspond à celle de la théorie du fantasme et des pulsions de 1897 à 1905. La troisième que nous allons maintenant aborder, est celle de la réorganisation de la théorie qui s’effectue de 1915 à 1923; elle est précédée  d’une phase préparatoire de 1905 à 1915 - cette dernière année étant celle d’une crise - et d’une phase de précision qui dura jusque vers 1926. A partir de cette date débute une autre période au cours de laquelle la mort de sa mère en 1930 lui provoque une intense remontée  qui le conduisit à tenter une autre réorganisation et à une certaine synthèse qui apparaît nettement dans Moïse et le monothéisme, 1939.

 

En 1905, avons-nous dit, S. Freud accède au statut d’adulte de cette société. Il a dépassé ses difficultés liées aux problèmes de son enfance; il a réalisé un équilibre, un compromis. De cette date à 1914, il perfectionne la mise au point  de la théorie du fantasme et des pulsions, en lui donnant une assise anthropologique avec Totem et tabou de 1913. Cela apparaît comme une justification de grande amplitude réalisée en conquérant d’autres territoires que celui purement psychique de la théorie, c’est une sécurisation par rapport à quelque chose qui le hante et qui s’imposera à nouveau ultérieurement. Il s’agit bien entendu du rapport à sa mère. Là nous voyons que la plupart des articles de cette période ont surtout un intérêt pour expliquer l’homme S. Freud, particulièrement Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Totem et tabou déjà mentionné et Le Moïse de Michel-Ange, 1914 . En Anticipant, je voudrais faire remarquer qu’à la fin de sa vie, il va retrouver les mêmes thèmes avec L’avenir d’une illusion de 1927, Le malaise dans la culture de 1930 et Moïse et le monothéisme de 1939. A propos de ce dernier ouvrage il est remarquable qu’il paraisse juste avant la seconde guerre mondiale, de même que Le Moïse de Michel-Ange avant la première. Nous y reviendrons.

 

Les dates données sont celles de la parution des articles, ce qui implique que leur élaboration est antérieure. Ceci est fort important parce que cela permet de comprendre que ceux qui parurent en 1914 ne reflètent pas les impressions que la guerre a pu engendrer; en revanche ceux parus en 1915 traduisent l’impact qu’eut sur S. Freud le déclenchement de celle-ci. L’étude de ces divers articles nous permet de comprendre qu’au cours de 1914,  il subit un traumatisme - dont témoigne sa correspondance et les données biographiques - qui réactiva inconsciemment celui originel qu’il pensait avoir conjuré, particulièrement avec  Totem et tabou, en le plaçant pour ainsi dire in illo tempore[2].

 

La réactivation du traumatisme provoque donc une intense régression qui remet S. Freud en présence de celui originel. Pour le refouler, une élaboration théorique encore plus sophistiquée s’avère nécessaire parce que, chaque fois qu’il y a remontée liée à une activation de l’empreinte, le phénomène devient de plus en plus puissant. L’élaboration théorique marque encore un recul par rapport à la théorie de la séduction: recul et sophistication vont de pair. Comme nous l’avons suggéré à propos de K. Marx le phénomène se retrouve au niveau social: plus l’espèce régresse, retourne à l’état enfantin plus il faut un développement puissant de l’appareil économico-technique, ainsi qu’un perfectionnement des structures sociales afin de pouvoir prendre en charge hommes et femmes régressés, qui deviennent des assistés. Que ce soit le fascisme, le nazisme, le new deal, le wellfar state, il y a, dans tous les cas, assistanat. Donc régression au niveau de l’espèce et progression au niveau des phénomènes économico-sociaux vont de pair. C’est pouquoi j’ai montré que ce qui se passe à partir des années vingt c’est la réalisation de la domination réelle  (en termes de K. Marx) du capital sur la société, qu’il n’y a pas de décadence, de régression, et les forces productives ne cessent pas d’augmenter. C’est normal  puisqu’il faut  pouvoir prendre en charge une humanité infantilisée[3].

 

Les effets du traumatisme de 1914 (la guerre et le départ de ses fils pour celle-ci) apparaissent donc dans les oeuvres à partir de 1915. Tout particulièrement avec les textes regroupés sous le titre de Métapsychologie. A ce sujet P. Gay écrit: “... l’histoire tortueuse du livre qu’il projetait d’écrire suggère qu’il travaillait à quelque chose de considérable - ou que quelque chose de considérable le travaillait”[4].

 

C’est le 13.02.1896 qu’il fait état pour la première fois de la métapsychologie[5]. “D’ailleurs il faut que tu me dises sérieusement si je puis donner à ma psychologie, qui aboutit à l’arrière-plan du conscient, le nom de métapsychologie”[6].

 

Cette dernière vise le même but que l’Esquisse d’une psychologie scientifique de 1895 qui ne fut pas achevée, ni publiée. Dans les deux cas le but ne put être atteint: dévoiler ce qui tend à émerger, mais ne parvient pas à se manifester, ce qui cause l’obsession. En même temps produire une structure sécurisante  apte à calmer, à prémunir contre les remontées. En effet sur 12 essais 5 furent publiés, les sept autres détruits[7]. Ils sont très importants en ce qui concerne le cheminement de S. Freud, mais aussi parce qu’ils préparent ceux des années vingt. Je ne puis passer sous silence ce qu’ils témoignent du devenir de cet homme parce que c’est absolument nécessaire pour comprendre la réorganisation de la théorie. Ils signalent une réémergence puissante des problèmes de l’enfance, un repli sur soi effectué alors et répété, un certain refus du monde extérieur source d’agressions, de dangers. “... le système nerveux est un appareil auquel est impartie la fonction d’écarter les excitations à chaque fois qu’elles l’atteignent, de les ramener à un niveau aussi bas que possible; il voudrait même, si cela était faisable, se maintenir rigoureusement dans un état de non-excitation”[8].  C’est un thème déjà abordé dans l’Esquisse. La distanciation, la séparation  conduisent à autonomiser le système nerveux, c’est lui le fautif. S. Freud  vit par le système nerveux, il ne le vit pas:  “...et attribuons au système nerveux la tâche de maîtriser les excitations[9]. Ceci exprime le repli, la nécessité de s’isoler du monde extérieur afin de ne pas souffrir. ”La pulsion, au contraire,  n’agit jamais comme une force d’impact momentanée mais toujours comme une force constante. Et comme elle n’attaque pas de l’extérieur mais de l’intérieur du corps, il n’y a pas de fuite qui puisse servir contre elle”. Ceci exprime bien l’enfermement et l’angoisse: aucune  fuite n’est possible.  La dynamique de rejeter un traumatisme interne le condamne à trouver uniquement en lui la cause de ce qui le tourmente, il va rendre inné ce qui est acquis, dynamique de justification. A partir de là il donne plus d’ampleur à la notion de besoin. “Il existe un meilleur terme que celui d’excitation pulsionnelle: celui de “besoin”; ce qui supprime ce besoin, c’est la”satisfaction”[10].

 

On peut résumer de façon explicite l’exposé de S. Freud en écrivant: l’ennemi est à l’intérieur[11]. C’est lui qu’il faudra châtier: dynamique de l’autopunition.

 

C’est dans l’essai L’inconscient que se trouve affirmé ce à quoi tend la métapsychologie. “Je propose de parler de présentation métapsychologique lorsque nous réussissons à décrire un processus psychique sous les rapports dynamique, topique et économique[12].

 

Nous reviendrons sur cette approche, mais pour le moment je me contenterai d’indiquer qu’elle signale une volonté d’organisation, de structuration, de sécurisation comme cela s’exprime également dans l’Esquisse. Mais cette volonté de fixer ce qui est mouvant, voire insaisissable, relève de la psychose, rendre permanent, établir des repères fixes afin de sortir d’un désarroi. Il est remarquable que la Métapsychologie comme l’Esquisse subirent un sort similaire. En effet nous l‘avons dit seule une partie de la première fut publiée. “L’Ics est au contraire vivant, capable d’évoluer et il entretrient une grand nombre d’autres relations avec le Pcs parmi lesquelles aussi la coopération. En une formule condensée, on doit dire que l’Ics se prolonge dans ce qu’on nomme ses rejetons, il est accessible à l’action des évènements de la vie, il exerce une action permanente sur le Pcs et il est même de son côté soumis aux influences venant de la part du Pcs”[13].  On doit noter ici que les organes de l’appareil psychique, particulièrement l’inconscient, s’autonomisent et deviennent des entités.

 

On a la sensation que là il décrit non seulement le phénomène inconscient lié au refoulement, donc ce qui est déterminé par la psychose et le phénomène inconscient, procès naturel support  du procès conscient avec lequel il est en continuité. S. Freud tend à séparer les deux et à sortir de la confusion où il fut plongé.

 

Le repli, l’autorépression le conduisent à généraliser la présence de la censure. “En examinant le problème  du refoulement, nous avons été contraints  (qui exerce cette contrainte sur lui? n.d.r) de situer, entre les systèmes (à noter un glissement, il ne s’agit plus d’organes mais d’un 0groupement d’organes en quoi consiste justement un système, n.d.r) Ics et Pcs, la censure qui décide du devenir-conscient”. Mais  - et nous l’avons abordé à propos de la citation de K. Marx - qui opère la censure? Quelle est la loi qu’il s’agit de faire respecter? Ici, évidemment, on ne peut pas oublier la judéité de S. Freud. Nous verrons que pour fuir la Torah, il se réfugie dans la science qui, en définitive, va opérer comme la première. “Mais nous ferons bien de ne point percevoir dans cette complication une difficulté, en admettant au contraire qu’à tout passage d’un système dans le système immédiatement supérieur, donc à tout progrès vers un niveau plus élevé d’organisation psychique, correspond une nouvelle censure”[14].

 

Le repli sur soi, le retrait du monde, s’expriment pleinement dans un autre essai Complément métapsychologique à la théorie du rêve.  Notons d’abord cette réflexion initiale. “ On peut ajouter qu’en allant  se coucher il dévêt, de façon tout à fait analogue, son psychisme, renonçant à la plupart de ses acquisitions psychiques, de sorte que, de deux côtés, il se rapproche à l’extrême de la situation qui fut le point de départ de son développement”. L”homme dont parle S. Freud se retrouve nu. Or, l’homme nu est aussi un mythe. En outre, l’enfant qui naît  est-il métaphoriquement nu, et doit-il tout acquérir? Il poursuit: “Le sommeil d’un point de vue somatique, est une reviviscence du séjour dans le corps maternel dont il réalise certaines conditions...”[15]. Ceci est surtout important en ce qui concerne le cheminement de S. Freud mais est opérationnel dans la psychose: le rêve lui permet de retrouver le traumatisme originel, qu’il nie constamment à l’état de veille. En même temps, le rêve permet le retrait absolu du monde, retrait qui permet à l’être de s’occuper de lui-même. ”Nous pourrions donc dépeindre ainsi la situation qui conduit à la formation du rêve: le désir de dormir cherche à faire rentrer tous les investissements renvoyés à partir du moi, et à établir un narcissisme absolu”[16]. Par là il y a un fondement à une dynamique allant vers la folie. Or, ce qui l‘intéresse dans cet essai c’est d’étudier “certains états et phénomènes que l’on peut considérer comme prototypes normaux  d’affections pathologiques”[17]

 

Le repli est présent également dans la théorisation du narcissisme - Pour introduire le narcissisme date de 1915 également - qui vient compléter celle  de l’auto-érotisme. Dans les deux cas, l’enfant non accepté, qui n’est pas en continuité avec sa mère, se replie sur lui-même afin de survivre. Ainsi ces deux notions sont nécessaires pour rendre cohérente la théorie au sujet d’une sexualité infantile, mais c’est aussi quelque chose qu’il a vécu et qui dans une remontée émotionnelle se manifeste à lui.

 

En réalité ce qui s’impose à lui de façon inconsciente, c’est l’interdit de continuité avec la mère, l’interdit qui l’interdit et induisit un état hypnoïde renforcé par divers évènements ultérieurs, comme la circoncision. La théorisation du narcissisme vise à expliquer le reflux de l’être originel, de la pousse, tendant à se développer et à se déployer. Or, comme l’a fait noter P.L Assoun, c’est: “Au même moment - coïncidence qui ne saurait être fortuite - Freud rencontre la question de l’interdit. Virtuellement présent dés l’origine comme la question de la limite du désir”[18].

 

Toutefois il semble que ce qui est devenu conscient en premier lieu, ce fut le repli. En effet c’est dans une note  de 1910 dans Trois essais sur la théorie de la sexualité  qu’il mentionne le narcissisme. Il y abordait la question de l’origine de l’homosexualité, considérant que les homosexuels “s’identifient à la femme et deviennent leur propre objet sexuel, c’est-à-dire que partant du narcissisme, ils recherchent des adolescents qui leur ressemblent et qu’ils veulent aimer comme leur mère les a aimés”[19]. Evidemment S. Freud parle de lui-même. On sait à quel point il fut hanté par l’homosexualité.

 

Dans Le Président Schreber. Remarques psychanalytiques sur un cas de paranoïa, il affirme: “Le sujet commence par se prendre lui-même, son propre corps, comme objet d’amour”[20]. C’est finalement dans Pour introduire le narcissisme  qu’il traite longuement le thème qu’il reprit dans le chapitre La théorie de la libido et le narcissisme de l’Introduction à la psychanalyse 1916- 1917.

 

Reportons tout d’abord une définition importante. Nous avons appelé “libido” les dépenses d’énergie que le moi affecte aux objets de ses tendances sexuelles, et “intérêt”, toutes les autres dépenses d’énergie ayant leur source dans les instincts de conservation”[21]. Il mentionne ensuite un article de K Abraham où celui-ci indique que “le principal caractère de la démence précoce (...) consiste en ce que la fixation de la libido aux objets fait défaut dans cette affection. (...) Mais que devient la libido des déments du moment qu’elle  se détourne des objets? A cette question, Abraham n’hésita pas à répondre que la libido se retourne vers le moi et que c’est ce retour réfléchi, ce rebondissement de la libido vers le moi qui constitue la source de la manie des grandeurs de la démence précoce”. A partir de là s’est imposée “l’idée que la libido que nous trouvons fixée aux objets, la libido qui est l’expression d’une tendance à obtenir une satisfaction par le moyen de ces objets, peut aussi se détourner de ceux-ci et les remplacer par le moi22] .

 

Mais pourquoi ce détournement de la libido, détournement qui peut apparaître comme une séduction, Verführung, une autoséduction de la part du moi, au lieu que ce soit celle opérée par un objet? La question n’est pas posée. Nous aurons à dire au sujet de cette absence. Auparavant j’aimerais signaler que nous trouvons exposé ici en termes psychologiques la même dynamique que celle mise en évidence par L. Feuerbach et K. Marx à propos du rapport à l’objet. L’individu réel, sain est celui qui a un objet à l’extérieur de lui. Mais chez eux aussi le pourquoi de la perte de relation à l’objet n’est pas perçu.

 

Ce qui se produit  c’est qu’il y a rupture de la continuité du fait du non accueil, de la non acceptation plénière du nouvel être en sa propre réalité (la propriété en tant que particularité selon M. Stirner). Comme ceci est répété souvent, cela induit l’enfant au repli sur soi. Le flux de vie allant de ce dernier à la mère  reflue sur lui en quelque sorte et il s’enfle, d’où la démesure de l’enfant  qui traduit une réalité: il faut qu’il ait une puissance énorme pour affronter  une telle situation, survivre. Il faut qu’il compense l’absence de sa mère qui n’est pas en continuité avec lui, il faut que virtuellement il soit sa mère afin de rétablir cette continuité. D’ailleurs que fait-on quand on est amené à imaginer ce qu’est l’autre, ce qu’il ressent, du fait qu’il ne se dit pas, ne s’ouvre pas, qu’il y a séparation? Si l’enfant apparaît comme n’ayant pas  une représentation correcte de son rapport au monde, qui est toujours celui de l’adulte, cela est dû  au processus de l’ontose qui se met alors en place.

 

Dans le passage qui suit S. Freud interprète sans la comprendre la négation de la continuité;  sa théorisation est une justification de la séparation. “On s’était dit que du moment que la libido est ainsi capable de se fixer au propre corps et à la propre personne du sujet au lieu de s’attacher à un objet, il ne peut certainement pas s’agir là d’un évènement exceptionnel et insignifiant; qu’il est plutôt probable que le narcissisme constitue l’état général et primitif d’où l’amour des objets n’est sorti qu’ultérieurement, sans amener par son apparition la disparition du narcissisme. Et d’après ce qu’on savait du développement de la libido objective, on s’est rappelé que beaucoup de tendances sexuelles reçoivent au début une satisfaction que nous appelons auto-érotique, c’est-à-dire une satisfaction ayant pour source le corps même du sujet , et que c’est l’aptitude de l’auto-érotisme qui explique le retard que met la sexualité à s’adapter au principe de réalité inculqué par l’éducation. C’est ainsi que l’auto-érotisme fut l’activité sexuelle de la phase narcissique de la libido”[23]. On peut constater que cela lui permet de compléter sa théorie sur la sexualité et de la rendre plus cohérente; cette théorie qui lui permet d’escamoter le réel.

 

Cette mise en évidence du narcissisme le conduit à préciser sa conception du rêve. A ce propos il est  remarquable de noter que consécutivement à   l’introduction d’un nouveau concept, il remanie cette dernière. “Nous plaçant cette fois au point de vue de la libido, nous déduisons que le sommeil est un état dans lequel toutes les énergies, libidineuses aussi bien qu’égoïstes, attachées aux objets, se retirent de ceux-ci et rentrent dans le moi. (...) Le tableau du bienheureux isolement au cours de la vie intra-utérine, tableau que le dormeur  évoque devant nos yeux chaque nuit, se trouve ainsi complété au point de vue psychique. Chez le dormeur se trouve reproduit l’état de répartition primitif de la libido: il présente notamment le narcissisme absolu, état dans lequel la libido et l’intérêt du moi vivent unis et inséparables dans le moi se suffisant à lui-même”[24].

 

Cette citation révèle beaucoup de choses. En premier lieu S. Freud pense que la période de vie intrautérine est une période bienheureuse. Elle l’est à ses yeux, parce que dans l’utérus il y aurait isolement, protection. Mais c’est une illusion l’embryon, puis le foetus, ne sont pas isolés; ils sont en continuité avec la mère et subissent l’influence de son environnement. Dans quelle mesure affirmer cela n’est pas, pour lui, sauver un lieu, un temps où il puisse se consoler? C’est en même temps un aveu. S’il pense qu’il fut isolé durant la vie intrautérine cela signifie qu’il ne s’est pas perçu en continuité avec sa mère. Cela ne l’empèche pas de rêver à la symbiose qui doit normalement opérer lors de la gestation. Il la rêve à l’état éveillé, et il la rêve en rêvant. Toutefois cette symbiose il ne la perçoit pas entre l’enfant et la mère, mais au sein du moi, une autosymbiose, qui apparaît comme un indifférencié, une espèce de ça. Enfin le reflux vers le moi de toutes les énergies  libidineuses, aussi bien qu’égoïstes, évoque l’instauration de l’état hypnoïde à la suite d’un traumatisme.

 

Poursuivons. Il interprète la non continuité. “On dirait qu’au-delà d’une certaine mesure l’accumulation de la libido ne peut être supportée. Il est permis de supposer que si la libido vient s’attacher  à des objets c’est parce que le moi  y voit un moyen d’éviter les effets morbides que produirait une libido accumulée chez lui à l’excès. S’il entrait dans nos intentions de nous occuper plus en détail de la démence précoce, je vous montrerais que le processus à la suite duquel la libido, une fois détachée des objets, trouve la route barrée  lorsqu’elle veut y retourner, - que ce processus, dis-je, se rapproche de celui du refoulement et doit être considéré comme son pendant”[25]. Autrement dit la relation aux autres, aux objets est nécessaire pour décharger une tension. C’est d’ailleurs à une telle décharge que se réduit la plupart du temps l’acte sexuel qui, de ce fait, apparaît comme une manifestation de violence, ce qui est un détournement de sa réalité. Mais c’est ce que S. Freud a interprété. Enfin parler d’une libido qui va vers les objets implique qu’il n’y a pas de continuité et que c’est cet aller vers l’objet qui tend à la rétablir et met en évidence, simultanément, un phénomène de projection. Or celle-ci peut-être au départ d’une virtualisation.

 

 Le thème du narcissisme  prend de plus en plus d’importance. Ainsi on le retrouve dans un autre essai faisant partie de la Métapsychologie:  Deuil et mélancolie qui fut publié en 1917.

 

Ce texte, comme les autres, nous renseigne beaucoup sur lui et, surtout,  nous signale vers où tend sa théorisation. “Nous voyons chez lui ( le mélancolique, n.d.r) comment une partie du moi s’oppose à l’autre, porte sur elle une appréciation critique, la prend pour ainsi dire comme objet. Nous soupçonnons que l’instance critique, qui ici est séparée du moi par clivage, pourrait dans d’autres circonstances également, démontrer son autonomie (...) Ce à quoi nous faisons ici connaissance, c’est cette instance  qu’on appelle habituellement conscience morale; nous la compterons avec la censure[26] de la conscience et l’épreuve de réalité  au nombre des grandes institutions du moi...”[27] Il y a une réification, la structuration est nécessaire pour sécuriser et distancier. L’instance critique nous fait encore penser à la Torah et nous percevons ici la genèse du surmoi, le représentant de la loi. En même temps se dévoile pleinement le mécanisme pour pouvoir éviter d’accéder à son immense souffrance, S. Freud se clive, ce qui donne naissance à de nouveaux organes, à de nouvelles instances qui vont faire partie de l’appareil psychique. Ils servent alors de support à une théorisation qui est un masquage du réel. On peut dire que chaque fois qu’il a une très grande remontée, il produit une catégorie.

 

Mais il se dévoile pleinement: “Le complexe mélancolique se comporte comme une blessure ouverte attirant de toutes parts vers lui les énergies d’investissement (...) et vidant le moi jusqu’à l’appauvrir complétement; ce complexe peut facilement se montrer résistant au désir de dormir du moi”[28]. Cette blessure c’est sa déchirure originelle, celle qu’il ne peut pas voir mais qui l’obsède jusqu’à l’épuisement qu’il connut fréquemment. Ce texte nous fait vigoureusement saisir l’urgence qu’il a à produire une théorisation encore plus rassurante.

 

De même dans ce passage. “Là où la prédisposition à la névrose obesssionnelle est présente, le conflit ambivalentiel confère de ce fait au deuil une forme pathologique et le force à s’exprimer sous la forme d’autoreproches selon lesquels on est soi-même responsable de la perte de l’objet d’amour, autrement dit qu’on l’a voulue (...) Les causes déclenchantes de la mélancolie débordent en général le cas bien clair de la perte due à la mort et englobent toutes les situations où l’on subit un préjudice, une humiliation, une déception, situations qui peuvent introduire dans la relation une opposition d’amour et de haine ou renforcer une ambivalence déjà présente”[29].

 

Ici s’exprime la culpabilité qui habite S.Freud. Or celle-ci est un des fondements de la psychose.  Pour l’enfant non accepté dans sa réalité, la seule explication possible est de se poser coupable; autopunition, autodépréciation en découlent. Nous reviendrons sur cette donnée particulièrement présente chez lui, pour signaler que, par là, il est proche de la vision de ce qu’il a vécu et qui l’obsède. D’où, indiquons-le encore une fois, s’impose à lui la nécessité d’une théorisation recouvrante encore plus importante.

 

C’est dans le dernier essai Vue d’ensemble des névroses de transfert qui a été retrouvé en 1983 que sont exposées les formes de son mal: l’hystérie d’angoisse, l’hystérie de conversion, et la névrose obsessionnelle[30], ainsi que le traumatisme qui le hante bien qu’il l’ait rejeté en abandonnant la théorie de la séduction. Il ne le place plus au sein du développement de l’individu, dans l’ontogenèse, mais à l’aube du développement de l’espèce, dans la spéciogenèse, comme l’a bien exposé Ilse Grubrich-Simitis qui découvrit ce texte.  “L’expérience traumatique du réel, telle que Freud la conçoit dans sa jeunesse, lorsqu’il se représente l’étiologie de l’hystérie, apparaît dans la théorie pleinement développée de la psychanalyse comme rejetée dans la préhistoire de l’espèce, déplacée de la dimension ontogénétique à la dimension phylogénétique”[31]. J’ajouterai qu’il a deux modes de fuir et de retrouver le traumatisme: le rêve et la reconstitution des premiers moments du développement de l’espèce. Ceci dit il est important de noter que cet essai avait été transmis à S. Férenczi. Or, celui-ci fut durant un certain temps, à l’instar de W. Fliess, un support d’identification, celui qui était capable de produire une “fantaisie phylogénétique”, celui qui était capable d’aller jusqu’au bout d’une théorisation de type lamarckienne, en germe chez lui, mais qu’il n’osait pas développer dans toutes ses conséquences[32]. En effet que dit S. Férenczi?  Il affirme la toute puissance du psychisme. “Ces produits de l’imagination peuvent  produire des fonctions d’organe tout aussi efficientes et performantes que l’organisme”. Il va plus loin et affirme: ” A partir d’un matériau encore inconnu (dans l’extrême détresse), lorsque les propres forces de l’organisme sont épuisées: de nouveaux organes sont formés”[33] .

 

Il expose au fond ce que S. Freud est en train de faire: créer des organes psychiques afin de pouvoir maîtriser ce qui le tourmente. Toutefois ce dernier ne peut pas s’abandonner à “fantasier” parce qu’il a peur d’être débordé et qu’ainsi ne se réimpose ce qui le hante, le traumatisme qu’il a subi. Ce n’est que lorsqu’il aura produit un organe de contrôle, d’inhibition, le sur-moi, qu’il pourra alors s’adonner pleinement, sans plus de restrictions, à la fantaisie. Dés lors il n’aura plus besoin de S. Ferenczi en tant que support d’identification.

 

S. Freud connut quelque chose de similaire avec O. Rank.  Il se reconnut dans l’approche opérée par ce dernier, sans aller jusqu’au bout de la théorisation tout particulièrement en ce qui concerne Le traumatisme de la naissance. Il écrivit en 1909 un texte - Le roman familial du névrosé - qui fut inclus en tant que chapitre dans  un autre livre de ce dernier: Le mythe de la naissance du héros. Ce thème de la création d’une généalogie fictive est très important. En effet il participe à la même dynamique qui opère lors de la théorisation du karma et de la réincarnation[34].

 

Revenons au texte de S. Freud dont l’essentiel est exposé dans une lettre de ce dernier à S. Ferenczi. “En revanche, cette succession semble répéter phylogenétiquement un développement historique. Les névroses sont des phases d’évolution révolues de l’humanité[35].

 

A l’apparition des privations de l’époque glaciaire, les hommes devinrent anxieux; ils avaient toutes les raisons de transformer  leur libido en angoisse.

 

Une fois qu’ils eurent appris que la reproduction était à présent l’ennemie de la conservation et qu’elle dut être limitée, ils devinrent hystériques - sans être encore doués de la parole.

 

Lorsqu’ils eurent développé leur langage et leur intelligence - surtout les hommes - à la dure école des âges glaciaires, la horde originaire se forma, avec les deux interdits du père primitif, tandis que  la vie amoureuse devait demeurer égoïste et agressive. C’est contre ce retour que se défend la névrose obsessionnelle. Les névroses  suivantes appartiennent à l’ère nouvelle et ont été acquises par les fils.

 

Ceux-ci furent d’abord contraints de renoncer absolument à l’objet sexuel, peut-être furent-ils dépouillés de toute libido par la castration: démence précoce.

 

Chassés par le père, ils apprirent alors à s’organiser sur une base homosexuelle. C’est là-contre que se défend la paranoïa. En fin de compte, ils dominèrent le père pour s’identifier à lui; ils triomphèrent de lui et portèrent son deuil: manie-mélancolie”[36].

 

On constate qu’il justifie l’ensemble des névroses dites de transfert, c’est-à-dire transmissibles, par la spéciogenèse. C’est une justification parce qu’il n’y a aucune remise en question de ce qui est advenu et  advient. Cette construction n’est possible, en particulier, que s’il y a transmission des caractères acquis. D’où ce qu’on a appelé le néo-lamarckisme de S. Freud. Mais ce texte pose d’autres problèmes. Les névroses commencent durant la période préhistorique, avant la civilisation, avant ce que S. Freud appelle la culture. Comment se situe celle-ci par rapport à la névrose. Il y a, contenu en germe, l’idée qu’au fond, à l’origine, l’homme est dans la démence et qu’il en sort grâce à la culture, qui se manifeste comme son antidote. Donc le progrès ne serait pas seulement le fait de passer de la brute au civilisé, mais du dément au raisonnable (celui qui est doué de raison). En outre, dans la perspective de S. Ferenczi particulièrement, hommes et femmes ne sont pas passifs, ils veulent et peuvent créer de nouveaux organes[37]. Ce dernier révèle S. Freud à lui-même avec sa dimension spéculative, celle-là même qu’il s’interdit de manifester de peur de parvenir jusqu’au traumatisme initial. Toutefois les diverses remontées qu’il va subir vont tendre  à le mettre en  sa présence et par là même avec la réalité de son individualité, ce qu’on peut désigner comme son être réel, non domestiqué doué de cette vaste capacité de penser. Il va le mobiliser pour l’escamoter à l’aide d’un compromis effectué grâce au sur-moi.

 

Dans une lettre à S. Férenczi, il  dit le contenu de sa Métapsychologie:”Je vous révèlerai seulement  qu’en suivant des chemins depuis longtemps frayés, j’ai enfin découvert la solution de l’énigme du temps et de l’espace; ainsi que le mécanisme depuis longtemps cherché du déclenchement de l’angoisse”[38]. Ceci nous signale ses préoccupations  profondes. En ce qui concerne l’angoisse son origine est expliquée grâce à la fantaisie spéciogénétique qui inclut la dimension du temps. Notons aussi cette remarque dans l’essai sur L’inconscient. “Les processus du système Ics sont intemporels, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas ordonnés dans le temps, ne sont pas modifiés par l’écoulement du temps, n’ont absolument aucune relation avec le temps. La relation au temps elle aussi est liée au travail du système Cs[39]. Le thème de l’espace est abordé avec les topiques .Mais cela ne répond pas pleinement à son questionnement.

 

Dans le texte Considérations actuelles sur la guerre et la mort datant également de 1915, le traumatisme causé par la guerre apparaît  de façon encore plus nette ainsi que l’effort de théorisation pour conjurer l’horreur, effort qui aboutira à la réorganisation de la théorie dont nous nous occupons.

 

Le traumatisme entraîne une immense désillusion contre laquelle il a toujours lutté. En effet une de ses préoccupations essentielles c’est de détruire les illusions. Il semblerait que chez lui le refoulement, phénomène inconscient, s’accompagne d’une opération consciente d’élimination des illusions. L’homme sans illusion serait l’homme civilisé, chez qui la raison est enfin opérationnelle. “Même la science a perdu son impassible impartialité; ses serviteurs profondément ulcérés tentent de lui ravir des armes, pour apporter leur contribution au combat contre l’ennemi”[40].

 

La puissance du traumatisme conduit en général à faire de l’agent de ce dernier une entité  “La guerre, elle, ne se laisse pas éliminer”[41], ailleurs “elle intervient”.

 

Renforcement de la thèse sur la malignité originelle de l’homme, sur une innéité perverse “les mauvais penchants inhérents à l’homme, sont exterminés et remplacés, sous l’influence de l’éducation et de l’environnement civilisé, par des penchants au bien. En ce cas il est permis, certes, de s’étonner que chez l’homme ainsi éduqué le mal réapparaisse dans toute sa virulence”[42]. On a là l’expression d’un renforcement de la théorie du fantasme et à nouveau la théorisation selon laquelle la civilisation est une vaste entreprise pour conjurer le mal en l’homme, grâce à une  éducation sévère. Le rôle néfaste de la société dont il est pourtant conscient est escamoté.

 

“Nous admettons que toutes celles (les motions pulsionnelles, n.d.r) qui sont condamnées par la société comme mauvaises - prenons par exemple les motions égoïste et cruelle - font partie des motions primitives”[43]. Autrement dit la société, les parents ne sont pas responsables! le progrès est social, pour les hommes et les femmes ce n’est qu’une apparence.

 

Anticipation sur la théorie économique actuelle:” On apprend à voir dans le fait d’être aimé un avantage qui permet de renoncer à tous les autres”[44]. Autrement dit, on apprend à choisir donc à calculer. Le calcul économique est un rejouement. Il  sanctionne   la perte d’immédiateté. L’accès au réel ne peut s’opèrer que par une opération. L’utilisation de l’ordinateur en est une manifestation plénière. Ceci n’implique pas qu’il ne faille pas choisir au sens d’affirmer une préférence, ni qu’il ne faille pas calculer. Ce  que je veux souligner c’est que l’être psychosé opère une computation constante; il doit toujours calculer en étant envahi par une angoisse sourde. Est-ce qu’il n’y aurait pas quelque chose de plus utile?  Est-ce que je ne pourrai pas trouver la même chose à un moindre prix? D’ou il ressort que l’utilité est une abstraction et que ce qui est essentiel ce n’est pas l’objet, mais une axiologie en laquelle celui-ci est placé. Les objets,  le phénomène de la valeur (ici avec la déterminité de l’utilité) sont les supports de processus psychiques. Le calcul vise à lever l’incertitude pour parvenir à une stabilité, à un équilibre, tel qu’il est représenté par le fléau  d’une balance, placé à égale distance des deux plateaux, ce qui symbolise en même temps l’accès à la voie du milieu[45]. Là encore nous constatons l’importance du mouvement de la valeur en tant que mouvement isomorphe à la psychose. Ces remarques visent à mettre en évidence comment celle-ci se greffe sur divers procès naturels.

 

S. Freud expose une généralisation de ce qu’avait vu K. Marx. “Au cours de la vie d’un individu s’opère une constante transposition de la contrainte externe en contrainte interne. (...) On peut finalement admettre que toute contrainte interne qui se fait sentir  dans le développement de l’homme, n’était à l’origine, c’est-à-dire au cours de l’histoire de l’humanité, qu’une contrainte externe”[46].

 

 Nous retrouvons ici l’importance de l’hérédité. C’est une question qui hante S. Freud. On a vu que c’est contre la thèse héréditaire qu’il fonde sa théorie initiale. Il est contre le fatum, le destin qui s’exprimerait au travers du phénomène héréditaire. Mais il ne peut pas lui échapper lorsqu’il veut expliquer l’existence des névroses, leur persistance, leur pérennisation à travers les diverses générations. Il a bien affirmé que c’est la société qui contraint les hommes et les femmes à vivre dans des conditions asphyxiantes pour leur affectivité, limitée pour lui à ce qu’il nomme la sexualité. Mais nous l’avons vu: il a tendance à l’escamoter lors des remontées qui l’affectent et qui transparaissent dans ce qu’il écrit.

 

Dans les divers textes que nous avons analysés, on constate que S. Freud prône un renoncement aux pulsions primitives. Ceci est en parfaite adéquation avec son renoncement à la théorie de la séduction (du traumatisme initial).

 

A ce propos on peut noter qu’illusion[47], renonciation-renoncement parsèment  le parcours de vie de S. Freud.

 

“En général, nous avons tendance à accorder une trop grande valeur à la partie innée (de l’aptitude à la civilisation), de plus nous courons le risque de surestimer l’ensemble de l’aptitude à la civilisation dans son rapport à la vie pulsionnelle restée primitive, c’est-à-dire que nous sommes entraînés à juger les hommes “meilleurs” qu’ils ne sont en réalité”[48].

 

Il sort d’une illusion pour en entériner une autre: “... notre affliction et notre douloureuse désillusion provoquées par le comportement non civilisé de nos concitoyens du monde durant cette guerre étaient injustifiées. Elles reposaient sur une illusion à laquelle nous nous étions laissés prendre. En réalité ils ne sont pas tombés aussi bas que nous le redoutions, parce qu’ils ne s’étaient absolument pas élevés aussi haut que nous l’avions pensé d’eux”[49]. Il les excuse parce que la civilisation exerce une trop forte pression sur eux, parce qu’ils les considère trop faibles pour affronter l’épreuve de la vie (car c’est ainsi qu’il la conçoit), trop lestés par l’héritage archaïque. Mais ce constat ne lui permet tout de même pas d’arriver à comprendre le comportement des hommes.

 

“Pourquoi les individus-peuples, se méprisent-ils, se haïssent-ils, s’abhorrent-ils les uns les autres, même en temps de paix, et pourquoi chaque nation traite-t-elle ainsi les autres?, cela certes est une énigme. Je ne sais pas répondre à cette question[50].

 

Ainsi il se retrouve devant l’énigme qu’il eut à affronter étant enfant: pourquoi n’est-il pas accepté, dans sa réalité, par sa mère? Le comportement des hommes et des femmes lui est une énigme revivifiée et amplifiée par le phénomène de la guerre. Pour la résoudre il met au point des opérateurs; ainsi pour Eros: “grâce aux apports érotiques” il y a transformation “des tendances égoïstes” “en tendances altruistes et sociales”[51].

 

Autre opérateur d’élucidation: “l’ambivalence affective”[52]. “Ce qu’il y a de plus facile à observer et à saisir par la pensée, c’est le fait qu’aimer avec force et haïr avec force se trouvent si souvent réunis chez la même personne. La psychanalyse ajoute à cela qu’il n’est pas rare que les deux motions affectives opposées prennent la même personne pour objet”[53]

`

S. Freud accepte l’ambivalence affective comme une donnée naturelle. Or celle-ci est une donnée psychotique. La donnée immédiate est celle de la continuité qui s’exprime par l’amour. L’enfant non accepté se voit refuser la continuité. Il ne peut pas se passer de sa mère, donnée profondément naturelle enracinée dans le plan de vie, mais du fait qu’il reçoit une négation en retour de son élan d’amour, il est amené à haïr pour pouvoir subsister, maintenir son être originel, sinon c’est une aliénation totale, une perte de soi, la mort. Ainsi la mère est le support fondamental de l’oxymoron qui pourrait s’exprimer ainsi: je la hais parce que je l’adore. Donc ambivalence et oxymoron sont intimement liés. A ce dernier se rattache également l’ambiguïté qui est un euphémisme de l’ambivalence[54], qui apparaît comme une union de deux valeurs qu’il est impossible de dissocier, une union où le choix aurait été piégé, montrant par là l’évanescence de son opérationnalité. En conséquence elle est en rapport avec la dynamique des valeurs qui forment le contenu de ce que j’ai nommé la conscience répressive. Or répression et refoulement sont intimement liés.

 

Tous ces phénomènes ont également à voir avec le phénomène de la double contrainte mis en évidence par G. Bateson et dont voici un exemple: “Sois autonome”. Dans la mesure où il y a injonction, attribution, la personne à qui ceci est signifié ne se sent pas perçue autonome et c’est ce qu’on lui demande d’être. C’est comme si la personne qui parle souhaitait la non autonomie de celle à qui elle s’adresse afin de pouvoir lui signifier un discours sur l’autonomie. Il y a une dissociation, une contradiction qui est à la base, selon G. Bateson de la schizophrénie. On comprend que pour sortir de la double contrainte, de l’ambivalence ou de l’ambiguïté, l’individu recoure à une identification plus ou moins rigide qui le sécurise mais l’aliène totalement[55].

 

Précisons plus en profondeur. Dans le vécu de l’enfant, la double contrainte qu’il subit peut s’exprimer ainsi: tu dois être moi pour être toi; tu dois être toi à travers mes désirs ou, sous forme édulcorée, tu dois être par moi. Comment dés lors ne pas subir un procès de schizophrénisation[56] qui prend plus ou moins d’ampleur chez tout individu. Pour échapper à ce procès dilacérant, l’enfant recourt au mimétisme. Il mime le comportement du parent (la mère en premier lieu), ce qui de façon mystifiée tend à rétablir une symbiose jamais pleinement réalisée. Dés lors c’est la perte de lui-même qui le guette, puisque s’opère, en ce cas, une réduction à l’identité avec un autre, l’extraénisation, Entfremdung, totale.

 

En présence  des  puissantes remontées, S. Freud se  rigidifie sur ses positions en rapport à la désillusion[57. Il nous expose aussi le procès d’intégration dans une culture  qui ne s’est pas réalisé parfaitement du fait de sa judéité, comme nous le verrons mieux ultérieurement.

 

“Résumons-nous donc: tout autant que l’homme des temps originaires, notre inconscient est inaccessible à la représentation de notre propre mort [58], est plein de désirs meurtriers sanguinaires à l’égard de l’étranger, est divisé (ambivalent) à l’égard de la personne aimée. Mais comme l’attitude,  conventionnelle et liée à la civilisation, que nous avons à l’égard de la mort nous a éloignés de cet état originaire!

 

Il est facile de dire de quelle façon la guerre intervient dans ce désaccord. Elle nous dépouille des couches récentes déposées par la civilisation et fait réapparaître  en nous l’homme des origines”. On est tenté de dire qu’elle opère comme une vaste psychanalyse. Par là même, sur la base de ce que S. Freud vient d’exprimer, elle devrait permettre d’atteindre l’inconscient. D’après son exposé il semble que la notion de mort n’apparaisse qu’à un moment donné, et soit liée à la civilisation. “Elle (il s’agit toujours de la guerre, n.d.r) nous contraint de nouveau à être des héros qui ne peuvent croire à leur propre mort; elle nous désigne les étrangers comme des ennemis dont on doit provoquer ou souhaiter la mort; elle nous conseille de ne pas nous arrêter à la mort des personnes aimées”[59]. La guerre apparaît comme un opérateur mettant en évidence le comportement ambivalent (refus et désir-acceptation) des hommes vis-à-vis de la mort.

 

On a encore un exposé justifiant  le rejet de la théorie de la séduction tout en maintenant son fondement le traumatisme reporté in illo tempore. La guerre serait un rejouement de ce dernier.   Les parents ne sont pas responsables des perturbation psychiques de l’enfant qui se répercutent dans la vie de l’adulte, de même pour la civilisation, la société; mais il y a quelque chose de plus fort : anticipation du ça, du ce qui résiste à toute interprétation. Or cette dernière est une composante essentielle de la psychanalyse. Il convient d’y revenir et d’y insister. L’analyse dissout la totalité psychique. Ensuite intervient l’interprétation des différents éléments résultant de la dissolution. “Nous avons aussi expliqué la tendance sexuelle à l’être humain en la fractionnant en ses composantes, et, lorsque nous interprétons un rêve, nous procédons de façon à négliger le rêve comme totalité et c’est de ses éléments isolés que nous faisons partir les associations.

 

“Cette comparaison justifiée de l’activité médicale psychanalytique avec un travail chimique pourrait suggérer une direction nouvelle à notre thérapie (...) On nous a dit à l’analyse  du psychisme malade doit succéder sa synthèse! Et bientôt on s’est montré inquiet de ce que le malade puisse recevoir trop d’analyse et pas assez de synthèse et soucieux de mettre le poids principal de l’action psychothérapique sur cette synthèse, sur une sorte de restauration de ce qui avait  été pour ainsi dire détruit par la vivisection.

 

“(...) La comparaison avec l’analyse chimique trouve sa limite en ceci que dans la vie psychique nous avons affaire à des tendances soumises à une compulsion à l’unification et à la combinaison. Parvenons-nous à décomposer un symptôme, à libérer une motion pulsionnelle d’un ensemble de relations, celle-ci ne reste pas isolée mais entre aussitôt dans un nouvel ensemble.

 

“(...) Ainsi chez le sujet en traitement analytique, la psychosynthèse s’accomplit sans notre intervention, automatiquement et inévitablement”[60].

 

Il semble qu’il ait observé sur lui-même ce processus de synthèse spontanée lors de son autoanalyse. C’est pourquoi il  est amené périodiquement à la reprendre ou, tout simplement, à poursuivre son investigation théorique: rechercher la perturbation initiale afin d’enclencher une nouvelle synthèse. Ceci justifie également toute notre approche au sujet de ses divers efforts de théorisation.

 

Ceci précisé, il nous est possible de revenir au thème de l’angoisse de mort que S. Freud est en train d’interpréter. Ce qui me semble essentiel au sujet de celle-ci c’est qu’il ne la place pas dés l’origine C’est une acquisition. Or l’idée de mort dont le contenu consiste en: perte irrémédiable, cessation de tout, est ce que met l’enfant sur ce qu’il a vécu sans pouvoir le comprendre: un moment où il a risqué de disparaître, de se perdre; ce qui n’est pas un fantasme mais un  fait objectif. Il n’y a qu’à penser aux tentatives  ou aux souhaits d’avortement qu’il a pu subir. En conséquence la vie va apparaître comme une conjuration contre ce risque. On s’organise contre cela pour éviter sa réalisation. Donc l’idée de mort empruntée aux adultes recouvre un phénomène qui se situe non au terme de la vie mais à son début, de telle sorte que la mort effective apparaît comme un rejouement. Pour l’enfant la mort est un mot qui lui permet de désigner son angoisse[61].

 

Le final du texte indique et réexpose le repli, le défaitisme, le désarroi, une immense régression.

 

“Supporter la vie reste bien le premier devoir  de tous les vivants. L’illusion perd toute valeur quand elle nous en empêche”. La vie est un devoir et l’illusion est nécessaire pour l’accomplir! C’est une vison schopenhaurienne: la vie est un devoir-être sous-tendu par une volonté inflexible et inconsciente, représentation métaphysique de la mère. Ce n’est pas un hasard si S. Freud a voulu remplacer la métaphysique par sa métapsychologie.  Or, dans son oeuvre, il fait souvent allusion à E. Kant et à ses formes a priori de la sensibilité, l’espace et de temps qui, selon moi, sont des éléments fondamentaux dans l’édification d’une structure apte à piéger l’angoisse, pour s’en protéger. A l’instar des philosophes - pour nous limiter au niveau de notre approche - n’a-t-il pas théorisé pour se protéger, se sécuriser? En conséquence:

 

“ Rappelons-nous le vieil adage: Si vis pacem, para bellum. Si tu veux maintenir la paix, arme-toi pour la guerre.

 

Il serait d’actualité  de le modifier: Si vis vitam, para mortem. Si tu veux supporter la vie, organise-toi pour la mort”[62]. 

 

Dans ce cas, la vie est un fardeau à supporter, un peu comme une maladie chronique. Or, nous le montrerons, chez S. Freud, cette dernière a pour nom la culpabilité, c’est son fardeau. Dés lors la mort ne serait-elle pas plus désirable qu’une vie qui ne serait qu’une organisation de la mort? L’organisation ne serait-elle pas la mesure préventive de K. Marx, ou ce qui permet de supporter la vie en attendant la mort?[63] Je cite à nouveau: “La mort n’est-elle pas plus désirable qu’une vie qui ne serait qu’une mesure préventive contre la mort?” On retourne dans le monde dont le jeune K. Marx sortait. Or ce qui est remarquable c’est que le concept d’organisation est, je dirai, prépondérant au cours du XX° siècle, particulièrement dans les milieux révolutionnaires.

 

S. Freud s’est arrêté devant le refoulement le plus puissant, celui de la souffrance de la non acceptation de la part de sa mère. C’est, je le répète, dans le non-voir qu’implique la non conscientisation du refoulement que s’effectue l’escamotage du réel dont parle J.M. Masson, que s’enracine l’immense mystification dont il fut victime. Son oeuvre est parcourue de refoulements et de remontées comme ceux de K. Marx que nous avons précédemment analysés. Allons plus loin. S. Freud est médecin. Est-il sous sa propre tutelle? Vit-il une vaste Spaltung, séparation? Que doit-il refouler pour être médecin et surtout pour être psychiatre, psychanalyste? J’essaierai de répondre, ailleurs, à ces questions. Pour le moment ceci: toute sa vie il a été son propre médecin de l’âme; le médecin permanent dont parla K. Marx.

 

Un article de 1919, L’inquiétante étrangeté, manifeste que le phénomène de la remontée émotionnelle se reproduit et ce de façon encore plus puissante, car il s’agit de ce qui est  familier, intime. Nous l’aborderons également ailleurs. Nous signalerons seulement ce qui est nécessaire pour la compréhension de la réorganisation de la théorie - théorisation de la réorganisation qu’il opère en lui, afin de pouvoir endiguer les diverses remontées.

 

“Deuxièmement, si là est réellement la nature secrète (geheim) de l’étrangement inquiétant, nous comprenons que l’usage linguistique fasse passer le heimlich  en son contraire, le Unheimlich, puisque ce Unheimlich n’est en réalité rien de nouveau ou d’étranger, mais quelque chose qui est pour la vie psychique familier de tout temps, et qui ne lui est devenu étranger  que par le processus du refoulement. La mise en relation avec le refoulement  éclaire aussi maintenant pour nous la définition de Schelling selon lequel l‘étrangement inquiétant serait quelque chose qui aurait dû rester dans l’ombre et qui en est sorti”[64.

 

“L’étrangement inquiétant  est donc aussi dans ce cas le chez-soi (das Heimische), l’antiquement familier d’autrefois. mais le préfixe un par lequel commence ce mot est la marque du refoulement”[65].

 

Il y a une ambiguïté qui n’a peut-être pas été perçue: pour éviter l’unheimlich il faut transférer le heimlich passé, dans le quotidien. Dés lors on se rassure, le cadre familier est restauré, mais par là même sont ramenées les antiques émotions paralysantes, obsédantes.

 

Le refoulement implique la remontée.

 

Au moment où il accepte pleinement la dynamique de la répression parentale, il affirme à nouveau l’existence du traumatisme in illo tempore, et justifie le refoulement En effet dans un texte de 1919, Un enfant est battu,  qui expose  le parachèvement de la théorie du fantasme,  et entérine totalement le discours parental, il écrit: “Ce qui constitue le noyau de l’inconscient animique, c’est l’héritage archaïque de l’être humain, et ce qui succombe au procès de refoulement, c’est ce qui doit toujours être laissé de côté lors de la progression vers des phases de développement ultérieurs, comme étant inutilisable, comme étant incompatible avec le nouveau et nuisible à celui-ci”[66].

 

Une fois encore le refoulement apparaît comme le procès fondamental pour accéder à la civilisation, on pourrait dire à l’état normal, c’est-à-dire sain pour la société.

 

Pour bien comprendre les essais de S. Freud publiés à partir de 1919, date à partir de laquelle il va connaître divers traumatismes en rapport à des personnes chères et qu’il va somatiser, comme cela se révèlera nettement en 1923 avec son cancer, il convient de faire une incidente théorique. A chaque rejouement non compris, c’est-à-dire qui ne conduit pas à l’accès à une perception consciente de ce qui se rejoue et donc de ce qui fut, il y a sédimentation d’un quantum  émotionnel supplémentaire. D’où la difficulté de plus en plus grande de limiter les remontées car la masse du refoulé devient énorme et par, un phénomène d’isostasie, il tend à remonter. A un moment donné - cas limite, catastrophe - aucun élément de la réalité, en dehors de l’individu, n’est nécessaire  pour activer l’empreinte et  provoquer une remontée du refoulé. Le procès devient totalement endogène et autonome. Ce sont les représentations  de l’individu lui-même qui mettent en branle le flot des émotions. Il sort du monde immédiat où il vit, ici et maintenant, mais  reste englué auprès de soi (le bei sich  de W. Hegel), c’est le maximum de repli et de protection (autisme). Il peut mieux dominer son procès de vie puisque la scène des rejouements se réduit à lui-même,  devenant le support de la diversité de ces derniers[67]. Dés lors c’est la folie. L’évocation de W. Hegel nous conduit à une remarque importante: dans le dépassement, Aufhebung, se loge le refoulement.

 

Un autre phénomène exprime la puissance des remontées et l’essai de les enrayer, de les fixer: la somatisation. Celle-ci indique en fait le résultat, comme le cancer de S. Freud, par exemple. Mais le procès par lequel celle-ci est réalisée je le nommerai somatose qui est le pendant de la psychose. Ce disant, apparaît  alors l’inadéquation de ce mot pour désigner le comportement d’adaptation, de survie des hommes et des femmes à la domestication. Psychose ne fait référence qu’à la dimension psychique. Nous avons utilisé ce mot pour signifier qu’au départ c’est au niveau de la psyché que l’ébranlement se réalise induisant l’état hypnoïde. Toutefois, en réalité, il y a simultanément somatose. Dés lors pour indiquer que l’affection concerne l’être dans son entier, je préférerai parler d’ontose[68]. Et en français ce mot évoque la honte qui est comme le voile devant la culpabilité, fondement de ce que nous avons précédemment appelé psychose, remplacée dorénavant par ontose. Pour être complet il faut signaler que le traumatisme initial et ses rejouements induisirent  non seulement l’état hypnoïde, dont nous avons parlé et qui concerne la dimension psychique, mais un état hystéroïde affectant la dimension somatique. Il se caractérise par la manifestation spontanée de troubles somatiques tels qu’ils se sont imposés lors du traumatisme.

 

 Revenons à S. Freud. Avec Au delà du principe de plaisir 1920, il n’inhibe plus sa tendance à spéculer[69]. Il avait fait de même pour la rédaction de Totem et tabou, mais dans ce cas cela concernait une époque réculée de la vie de l’humanité. En revanche il s’est masqué pour Le Moïse de Michel-Ange qu’il publia de façon anonyme. Dans Au delà du principe de plaisir confluent tous les apports des textes que nous avons examinés et se manifestent des remontées pour ainsi dire personnifiées par Eros: la puissance du phénomène vie, et thanatos la mort ou, plus exactement, l’angoisse de la mort qu’il connut tout petit enfant. A ce propos disons que S. Freud parle souvent d’angoisse de mort. En réalité, il faut  y insister, au niveau de l’enfant il n’y pas d’angoisse de mort, mais la mort est le nom donné à  cette angoisse qui nous[70] prive de la jouissance du phénomène vie. La non continuité avec la mère met un abîme entre nous et ce dernier; et cet abîme est à la fois représentation et support de l’angoisse. On trouve également l’interprétation d’un comportement contradictoire: la recherche d’un déplaisir, grâce au concept de compulsion de répétition.

 

Pour comprendre sa démarche il faut rappeler qu’il s’est replié sur lui-même, comme pour se mettre à l’abri non pas tellement contre ce qui vient de l’extérieur, mais contre ce qui provient de son intérieur: les remontées. Or celles-ci sont mises en mouvement par des faits extérieurs: dans la réalité il y a des éléments qui activent les empreintes internes et provoquent ces dernières. En conséquence il retrouve les névroses traumatiques.

 

“A la suite de graves commotions mécaniques, de catastrophes de chemins de fer et d’autres accidents mettant la vie en danger, on voit survenir un état qui a été décrit depuis longtemps et a gardé le nom de “névrose traumatique”. La guerre effroyable qui vient de se terminer a provoqué un grand nombre d’affections de ce type (...) Le tableau clinique de la névrose traumatique se rapproche de celui de l’hystérie par sa richesse en symptômes moteurs similaires; mais en règle générale, il le dépasse  par ses signes très prononcés de souffrance subjective, évoquant par là l’hypocondrie ou la mélancolie, et par les marques  d’un affaiblissement et d’une perturbation bien plus généralisée des fonctions psychiques”[71].

 

S. Freud se sent profondément vulnérable. Il doit se protéger. Pour cela il opère de deux façons: le repli sur soi, l’intériorisation qui le conduit à prévilégier l’innéité et donc à tendre à transformer ce qui est acquis en inné, ou une dynamique contraire qui postule une certaine acceptation du milieu, où il y a tendance à développer l’acquisition, à se créer des organes. Mais ces deux modes d’opérer ne sont pas séparés; ils tendent parfois à opérer simultanément. En outre le premier mode d’être semble être déterminé par ce qu’il appelle le principe de plaisir qui serait immédiat, le second par le principe de réalité, impliquant l’existence de multiples médiations.

 

Quel est le contenu du plaisir? la stabilité et il affirme ce qu’il avait déjà écrit dans l’Esquisse et dans la Métapsychologie: ”... l’appareil psychique a une tendance à maintenir aussi bas que possible la quantité d’excitation présente en lui ou du moins à la maintenir constante[72]. Et il ajoute: “Le principe de plaisir se déduit du principe de constance; en réalité le principe de constance  a été inféré à partir des faits qui nous ont forcé à admettre le principe de plaisir”[73]. Le principe de constance, auquel se réfère S. Freud depuis le début de ses recherches, et qu’il transcrit dans son texte avant les citations reportées ci-dessus, a été formulé par G..Th. Fechner[74]: “Pour autant que les stimulations conscientes sont toujours en rapport avec du plaisir ou du déplaisir, on peut aussi considérer le plaisir et le déplaisir comme étant en relation psychophysique avec les conditions de stabilité et d’instabilité. Ceci permet de fonder cette hypothèse que je me propose de développer ailleurs: tout mouvement psychophysique qui passe le seuil de la conscience est affecté de plaisir dans la mesure, où, au-delà d’une certaine limite, il se rapproche de la stabilité complète, et affecté de déplaisir dans la mesure où il s’en éloigne au-delà d’une certaine limite; entre ces deux limites que l’on peut caractériser comme seuils qualitatifs du plaisir et du déplaisir, il subsiste une certaine zone d’indifférence esthétique...”. La stabilité de G. Th.Fechner présente de fortes ressemblances avec la permanence de Bouddha[75]. Par delà ces deux notions ce qui est probablement visé c’est l’invariance, celle du phénomène vie dans le cosmos et qui s’exprime au niveau de chaque homme, de chaque femme par la perception d’une présence continue au sein du continuum qui n’exclue ni la stabilité-permanence, ni l’instabilité-impermanence - le changement.

 

Pour comprendre ce qui se loge au-delà du principe de plaisir, il faut tenir compte de ce que S. Freud appelle pulsions. Ce sont des phénomènes qui permettent de comprendre la dynamique psychique et, ce qui est important tout de suite de noter, c’est le phénomène de pulvérisation: l’instinct phénomène unitaire est remplacé par une série de pulsions regroupées en un dualisme: les pulsions sexuelles d’une part et les pulsions de moi ou d’autoconservation de l’autre. L’introduction du narcissisme vint compliquer cette théorisation. J’ai déjà indiqué le rapport entre ce dernier et la constatation que fit S.Freud du repli sur lui, en lui. Le cheminement de ce dernier c’est de tendre à se dévoiler, sans jamais s’atteindre. Nous y reviendrons. 

 

Or cette dualité modifiée par le narcissisme n’est plus suffisante pour expliquer ce qui se produit lors des névroses traumatiques. “L’étude du rêve peut être tenue pour la voie la plus sûre dans l’exploration des processus psychiques des profondeurs[76]. Or la vie onirique des névroses traumatiques se caractérise en ceci qu’elle ramène sans cesse le malade à la situation de son accident, situation dont il se réveille avec un nouvel effroi. C’est là un fait dont on ne s’étonne pas assez. On voit, dans l’insistance de l’expérience traumatique à faire retour même dans le sommeil du malade, une preuve de la force de l’impression qu’elle a produite. Le malade serait, pour ainsi dire, fixé psychiquement au traumatisme”[77].

 

Après cette constatation, il pose le problème.

 

“Si nous ne voulons pas que les rêves de la névrose d’accident viennent bouleverser notre thèse de la tendance du rêve à accomplir le désir, il nous reste peut-être la ressource de dire que dans cette affection la fonction du rêve, comme bien d’autres choses, est ébranlée et détournée de ses fins, à moins d’invoquer les énigmatiques tendances masochistes du moi”[78].

 

Ce qui se révèle c’est qu’il y a un état où le principe de plaisir n’est pas opérant. C’est l’état hypnoïde provoqué par le traumatisme et S. Freud note bien que le malade est fixé à lui. Cet état est latent et se manifeste parfois dans les rêves, ce qui explique la récurrence de certains de ceux-ci. Il ne le perçoit pas mais découvre le phénomène qui en découle: la compulsion de répétition. Dit simplement, on peut affirmer que le traumatisme a provoqué un blocage d’un procès et que le patien

 

t essaie constamment, au travers d’un revécu, qui demeure inconscient, d’achever celui-ci, ce qui lui impose de repasser par la phase douloureuse à laquelle il semble fixé. Voilà pourquoi S.Freud écrit “que la compulsion de répétition doit être attribuée au refoulé inconscient”[79] . Et il précise, à la page suivante: “Mais le fait nouveau et remarquable  qu’il nous faut maintenant décrire tient en ceci: la compulsion de répétition ramène aussi des expériences  du passé qui ne comportent aucune possibilité de plaisir et qui même en leur temps n’ont pu apporter de satisfaction, pas même aux motions pulsionnelles ultérieurement trouvées”. 

 

Après avoir individualisé la compulsion de répétition chez les névrosés traumatiques, il la décèle dans le jeu des enfants - phénomène sur lequel nous reviendrons - puis il l’aborde chez des non névrosés. “Ce que la psychanalyse révèle dans les phénomènes de transfert chez les névrosés peut être retrouvé dans la vie de certains personnes non névrosées. Celles-ci donnent l’impression d’un destin qui les poursuit, d’une orientation démoniaque de leur existence, et la psychanalyse a d’emblée tenu qu’un tel destin était pour la plus grande part préparé par le sujet lui-même et déterminé  par des influences de la petite enfance[80]. La compulsion qui se manifeste là n’est pas différente de la compulsion de répétition des névrosés, même si les personnes en question n’ont jamais présenté les signes d’un conflit névrotique aboutissant à la formation de symptômes”[81].

 

Ici, nous le préciserons ailleurs, S.Freud parle de lui-même, de son destin. Ce n’est pas un hasard s’il s’est découvert le complexe d’Oedipe. Le traumatisme le poursuit, voilà pourquoi il parle “des influences de la petite enfance”, qu’il rappelle son affirmation de 1893 (faite avec J. Breuer): “les hystériques souffrent en grande partie de réminiscences”. Sa dynamique est de voir chez les autres pour ne pas voir en lui-même et par là parvenir à maîtriser en le nommant ce qui l’affecte profondément.. Ainsi se manifeste ce qu’il a appelé Bemächtigungstrieb, pulsion de maîtrise ou d’emprise. Celle-ci se greffe en fait sur la dynamique de l’intervention présente chez tous les êtres vivants et particulièrement opérante chez Homo sapiens. Cela lui permet de s’oublier, d’où le maintien de sa pratique psychanalytique jusque dans le tard de sa vie.

 

La compulsion de répétition remet donc en cause le principe de plaisir ainsi que la dichotomie des pulsions qui lui était liée. En conséquence S. Freud fonde une nouvelle dualité: les pulsions de vie et les pulsions de mort et précise ce qu’il entend par pulsion: “ une pulsion serait une poussée inhérente à l’organisme vivant vers le rétablissement d’un état antérieur que cet être vivant a dû abandonner sous l’influence perturbatrice de forces extérieures; elle serait une sorte d’élasticité organique, ou, si l’on veut, l’expression de l’inertie de la vie organique”[82]. Et il en tire la conséquence: “si chercher à rétablir un état antérieur constitue un caractère si général  des pulsions, nous n’avons pas à nous étonner de voir dans la vie psychique tant de processus s’effectuer indépendamment du principe de plaisir”[83]. L’on retrouve ensuite, de façon amplifiée, le thème de la vie en tant qu’organisation en vue de la mort. “Si le but de la vie était un état qui n’a pas encore été  atteint auparavant, il y aurait  là une contradiction avec la nature conservatrice des pulsions. Ce but doit bien plutôt être un état ancien, un état initial que le vivant a jadis abandonné et auquel il tend à revenir par tous les détours du développement. S’il nous est permis d’admettre  comme un fait d’expérience ne souffrant pas d’exception que tout être vivant meurt, fait retour à l’anorganique, pour des raisons internes, alors nous ne pouvons que dire: le but de toute vie est la mort[84] et, en remontant en arrière, le non vivant était là avant le vivant[85].

 

Nous avons là une autre formulation du principe de constance, fondement de la réflexion feudienne, comme il le précise lui-même ultérieurement dans son texte. “On sait que nous avons reconnu dans la tendance à la réduction, à la constance, à la suppression de la tension d’excitation interne la tendance dominante de la vie psychique et peut-être de la vie nerveuse en général (principe de Nirvana, selon une expression de Barbara Low) comme l’exprime le principe de plaisir; nous trouvons là l’un de nos plus puissants motifs de croire en l’existence de pulsions de mort”[86]. Cette référence au bouddhisme signale certes l’influence de A. Schopenhauer, mais aussi quelque chose de profond en lui: la tendance au repli, à une peur de faire, au désir de rester en soi, de ne pas évoluer, à un certain autisme. En effet la pulsion de mort peut être celle de sa propre mort ou celle de donner la mort. Or S. Freud parle du désir de tuer le père. La pulsion de mort  est justification de ce désir, d’où l’affirmation simultanée - ambivalente - de Eros (le plaisir) et  de Thanatos. Dés lors pour ne pas tuer, rejouement du meurtre originel, il doit mourir. Cela veut dire que la pulsion de mort est puissamment lestée du sentiment de culpabilité. Pour abolir celle-ci il n’y a que la mort.

 

Faisons une pause pour loger une remarque. Il est clair que tout ce qu’il expose dans ces pages  est, comme nous le montrerons et l’analyserons ailleurs, le produit d’une remontée. D’ailleurs, page 84, il écrit: “Mais reprenons-nous: il ne peut en être ainsi”. Veut-il dire par là que ce qu’il a écrit est le produit d’une illusion, particulièrement en ce qui concerne l’état ancien, abandonné qui pourrait être un paradis perdu?

 

Or, brièvement qu’est-ce qui a pu induire cette remontée? “L’absence d’un pare-excitations qui protège la couche corticale réceptrice contre les excitations en provenance de l’intérieur entraîne la conséquence que les transferts d’excitation interne acquièrent  une importance économique prépondérante et occasionnent souvent des perturbations économiques comparables aux névroses traumatiques”[87].

 

C’est de constater, à la suite des traumatismes subis qui sapent son édifice théorique, son édifice de sécurisation, l’absence de protection efficace qui le ramène au stade de petit enfant sans défense, à la merci des autres. C’est, au-delà de cette saisie immédiate, la désillusion de se rendre compe qu’il n’a pas été protégé. Ici s’achève notre pause.

 

Dans les pages qui suivent  - après qu’il se soit ressaisi - il va généraliser le phénomène, ce qui est un moyen de le diluer et donc de diminuer la souffrance qui l’assaille. C’est un moyen également de l’éliminer. Et là nous retrouvons l’importance du langage verbal. Dire permet d’éliminer ce qui nous affecte: les déchets de la vie affective. S. Freud a été impressionné par les expériences sur les protozoaires qui, cultivés sur des milieux renouvelés, peuvent vivre presque indéfiniment. L’obstacle à la longévité dériverait de l’accumulation des déchets. Dire permettrait de confirmer le flux de vie, la continuité.

 

Dans cette généralisation se glissent des affirmations qui ne me semblent pas valables. Ainsi, il écrit: “... que nous avons dans les faits de l’hérédité et les faits de l’embryologie les preuves les plus éclatantes de la compulsion de répétition. Nous voyons que le germe d’un animal vivant est obligé de répéter dans son développement - ne fût-ce qu’en un rapide raccourci - la structure de toutes les formes dont l’animal descend au lieu de prendre la voie la plus rapide vers sa confirmation définitive” [88]. Cela ne se fait qu’une fois pour un être vivant donné, donc il ne s’agit pas de répétition mais d’une récapitulation, plus précisément d’évocation. Dans le cas d’Homo sapiens par exemple, il s’agit en partant du zygote d’utiliser en quelque sorte toutes les acquisitions du phylum pour parvenir à manifester les caractères fondamentaux de l’espèce qui permettent à chaque membre de celle-ci d’accomplir son procès de vie. A la même page, s’affirme une certaine confusion en ce qui concerne le phénomène de régénération. “De même, en remontant dans la série animale, on retrouve un large pouvoir de reproduction qui remplace un organe perdu par la néoformation d’un organe strictement identique”. Un animal n’a pas la compulsion à perdre un organe. Toutefois si cela advient il peut - tout au moins s’il appartient à certains groupes donnés - le régénérer.

 

Dans les deux cas envisagés - surtout dans le premier - nous constatons qu’il y a affirmation d’un phénomène de mémoire. Dans le zygote il y a en mémoire toutes les phases du procès de vie parcouru par le phylum. On peut avancer l’hypothèse qu’elle se trouve dans les introns, segments des molécules d’ADN qui ne s’expriment pas, à la différence des exons qui s’expriment et dont l’expression est l’organisme lui-même[89]. Ce qui se trouve dans les introns reste inconscient, tandis que ce qui est inclus dans les exons en se manifestant parvient à être conscient. Abordé tel que, dans une dynamique superficielle, ceci pourrait valider l’affirmation de S. Freud, sur laquelle il conviendra de revenir, que mémoire et conscience s’excluent.    

 

En mettant en évidence la généralité du phénomène de compulsion de répétition, cela lui permet de rejouer,  de revivre, dans la représentation, le traumatisme afin d’en déjouer le maléfice[90]. Ce n’est pas un hasard s’il le place  de plus en plus loin dans le temps. Depuis S. Freud, les hommes et les femmes ont eu besoin de l’éloigner encore plus dans le passé. La théorie du Big-bang le situe quinze milliards d’années avant nous. Dés lors, on pourrait se demander comment l’univers actuel vit le traumatisme  initial, explosif et comment l’état antérieur à celui-ci tend  à se réaffirmer? De quelle révolution conservatrice s’agirait-il? En fait, la  théorie du Big-bang n’a d’opérationnalité que par rapport aux peurs et terreurs des hommes et des femmes  actuels et ne représente  pas la réalité du devenir de l’univers.  C’est une sécurisation au coeur de l’incertitude de l’espèce. En effet au cours de ces quinze milliards d’années  qui nous séparent du Big-bang, prévaudrait un principe anthropique qui, dans son assonance et dans l’écoute qu’on peut lui accorder, résonne comme principe entropique, expression du désarroi de celle-ci.

 

L’exprimé, dans la théorisation de S. Freud c’est ce qui est affirmé dans L’Ecclésiaste: “Il n’y a rien de nouveau sous le soleil”[91]. Tout est compulsion de répétition, tout est rejouement. Une seule action fut nouvelle  et effectivement réelle: la création pour Quohélet; quoi pour S. Freud?

 

Je devrai revenir sur le contenu de l’avant-dernière citation de l’oeuvre de ce dernier. Mais dés maintenant, je puis dire qu’en quelques phrases il présente ce qu’on peut nommer la révolution progressiste, c’est-à-dire un procès au cours duquel l’espèce revient à un stade antérieur qu’elle avait abandonné, mais en intégrant toute une dynamique progressiste qui lui a fait acquérir des éléments tels que cet état antérieur, une fois retrouvé, est, pour ainsi dire, transmué en un état de positivité totale où l’espèce se réconcilie avec elle-même et avec le reste de la nature et peut dés lors déployer toutes ses possibilités. C’est, définie de façon rapide, la position de K. Marx. Il expose de même la révolution conservatrice, procès au cours duquel l’espèce revient à un stade antérieur jugé comme celui où elle peut réellement affirmer sa réalité. Il faut conserver un moment fondateur, c’est-à-dire correspondant aux fondements de l’espèce. Tout progrès est une illusion voire même une perdition. Il opère un éloignement vis-à-vis de la réalité  de l’espèce qui s’exprimait lors de ce moment antérieur. C’est ce qu’ont affirmé en substance tous les théoriciens de la révolution conservatrice, dans tous les pays où elle s’est affirmée. Elle apparaît comme une complémentarité de l’autre révolution.

 

S. Freud prend partie pour la révolution conservatrice[92] et il nous présente le devenir historique de l’espèce en fonction de cette dernière. Son exposition est une interprétation, une explication. A. Bordiga en 1956 avança la thèse suivante: Une explication historique est toujours une justification[93]. Que voulait justifier S. Freud?  A quoi voulait-il revenir? En ce qui concerne la seconde question, on peut dire que dans l’immédiat il désirait  retrouver l’unité supérieure, synthèse et donnée immédiate dont nous avons parlé précédemment, qui avait été éliminée en 1918. Au-delà il recherchait une autre unité, une immédiateté: lui-même. Mais pour cela il devait en quelque sorte enjamber un traumatisme et traverser l’angoisse. Et ça, il ne le put.

 

Dit autrement qu’est ce qui le poussa à rejouer? Question qu’il se pose en utilisant la sexualité comme support; c’est toujours ainsi qu’il l’envisage. “Mais quel est donc l’évènement important dans le développement de la substance vivante que répète la reproduction sexuelle ou son précurseur, la copulation de deux individus chez les protistes”[94].

 

Il veut voir quelque chose de difficilement perceptible et d’indicible. Chaque fois il se trouve placé devant ce qui l’obsède, quelque chose d’indéterminé, ce qui le travaille[95], un ça, qu’il ne peut pas voir mais qu’il essaie de décrire, de délimiter. C’est à un ça qu’il fut réduit lorsqu’il subit le traumatisme, qu’il ne peut pas revivre, et qui induisit l’état hypnoïde qui, à mesure qu’il vieillit, devient plus manifeste. Dans son article il esquisse le dire de cet état lorsqu’il affirme ce que nous avons déjà cité: “La compulsion de répétition doit être attribué au refoulé inconscient”[96].

 

En outre il accuse son dualisme. “ Notre conception était dés le début dualiste et elle l’est encore aujourd’hui de façon plus tranchée, dés l’instant où les termes opposés ne sont plus pour nous pulsions  du moi - pulsions sexuelles, mais pulsions de vie - pulsions de mort”[97]. Mais ce n’est pas tout..  On sent qu’il s’achemine vers un dualisme en ce qui concerne les topiques. Or, chez lui, un des fondements du dualisme est l’existence des deux sexes, supports du père et de la mère.  Il aimerait  comprendre l’origine de la sexualité. Reportons à nouveau la citation concernant cette origine. “ Mais quel est donc l’évènement important  dans le développement de la substance vivante que répète la reproduction sexuelle ou son précurseur, la copulation de deux individus chez les protistes”[98]? Et il se désole à la fin de l’article que: “La science  nous en apprend d’ailleurs si peu sur l’apparition de la sexualité que l’on peut comparer ce problème à la nuit obscure où n’a  pas pénétré le rayon de lumière d’une hypothèse”. En conséquence il se rabat sur le mythe de l’androgyne exposé par Platon dans Le Banquet. Il le fait uniquement parce que cette explication mythique “fait dériver une pulsion du besoin de rétablir un état antérieur”[99]. Ce qui nous amène à nous questionner à nouveau: que veut-il justifier en expliquant? quel est l’état antérieur qu’il veut rétablir? Dés lors le dualisme de S. Freud résulte peut-être de son incapacité à retrouver l’unité, ce qui explique les remontées puissantes qu’opèrent en lui la théorisation de C. G. Jung. “La théorie de la libido de Jung est au contraire moniste; en appelant libido ce qui est pour lui l’unique force de pulsion, il ne pouvait que créer la confusion, sans que cela doive  nous influencer davantage”[100]. Cette phrase, comme celle qui la précède, fut ajoutée en 1921. Elle signale une volonté de délimitation, comme cela apparaît nettement dans celle de la page précédente et qui, elle, n’a pas été ajoutée ultérieurement: “ Mais alors il faudrait donner raison (...) aux novateurs comme Jung qui, hâtivement (ce mot signale sa remontée, n.d.r), ont utilisé le terme de libido dans le sens de “force de pulsion” en général.” Mais, en même temps, elle exprime qu’il a été influencé. Il reconnaît que l’unicité le préoccupe. Nous verrons que ce qui le gène en C. G; Jung c’est quelque chose qu’il a en lui.

 

D’autres données opèrent probablement dans le fait qu’il cite le mythe de l’androgyne. C’est peut-être une autre façon de parler de la bisexualité, théorisation qui tend à conjurer la séparation des sexes, de même que c’est l’expression de son désir d’échapper à la mère, comme chez Platon. S’il y a androgynie, il n’y a ni père, et, surtout, ni mère.

 

 A la fin de l’article il est assailli par le doute. Il cesse de spéculer. “Je crois que le moment est venu d’interrompre cette spéculation”[101]. Il se dit non convaincu du résultat de cette dernière. C’est comme s’il réalisait la vanité de l’effort entrepris pour se structurer, se sécuriser, la vanité de la spéculation. Puis il se défie de lui-même. Il est donc réabsorbé par le doute et à la fin de l’article il exprime son désespoir. “Le principe de plaisir semble être en fait au service des pulsions de mort”[102]. Il se console en citant un poète, Rückert: “Boiter, dit l’écriture n’est pas un péché”[103]. Ce qui est, encore une fois fort révélateur de la culpabilité qui le hante.

 

Ainsi en dépit de l’immense construction théorique, refoulante et recouvrante, la voix du petit enfant sous terreur se fait entendre. Elle lui devient de plus en plus insupportable, comme le sera le cancer qui se déclenchera en 1923, support de plusieurs rejouements.

 

Cette construction n’élimine pas non plus la grande confusion qu’engendra en lui le traumatisme et qu’on sent se manifester dans cet article. Or,  la confusion est une composante essentielle de l’ontose.

 

Inlassablement S. Freud poursuit son effort théorique pour sortir de la confusion, de l’état hypnoïde, étant donné que la levée des illusions, l’écroulement des représentations favorisent la manifestation de cet état. En conséquence l’importance de l’hypnose  va s’affirmer de plus en plus. L’essai Psychologie des foules et analyse du moi de 1921 constitue un exposé sur la puissance de cette dernière. On peut dire que ce qu’il ressent chez lui, il le voit en action dans la formation des foules[104]. C’est cela qui m’intéresse  et dont je m’occuperai et non du problème des masses - terme que je préfère à celui de foules - problème qui préoccupa beaucoup de théoriciens depuis la fin du siècle dernier[105]. Le point de départ de l’étude de S. Freud est l’analyse du livre de G. Lebon Psychologie des foules. Or que relève-t-il dans ce livre: l’importance de l’inconscient[106] et celle de l’hypnose. Ainsi après la citation suivante qu’il fait du livre de ce dernier:

 

“Donc, évanouissement de la personnalité consciente, prédominance de la personnalité inconsciente, orientation par voie de suggestion et de contagion des sentiments et des idées dans un même sens, tendance à transformer immédiatement en actes les idées suggérées, tels sont les principaux caractères de l’individu en foule. Il n’est plus lui-même, mais un automate que sa volonté est devenue impuissante à guider.”

 

Il affirme: “ J’ai fait cette citation aussi longue pour confirmer que Le Bon définit l’état de l’individu dans la foule comme étant véritablement hypnotique...”[107].

 

J’envisagerai l’hypnose, de la façon la plus approfondie qu’il me sera possible, dans Advenir. En prévision de cela je tiens à faire noter que S. Freud a été frappé par la caractérisation de G. Lebon en ce qui concerne l’hypnose: l’automatisme avec perte d’efficience de la volonté personnelle. Or, c’est fondamental, comme l’est l’autre caractère, mis en évidence dans une autre citation: la paralysie. “Le prestige est une sorte de domination qu’exerce sur nous un individu, une oeuvre, une idée. Cette domination paralyse toutes nos facultés critiques et remplit notre âme d’étonnement et de respect. Elle pour

 

rait provoquer un sentiment du même ordre que celui de la fascination de l’hypnose”[108].

 

Une autre raison, non manifestée, préside au fait que S. Freud mette en relief la question de l’inconscient et de l’hypnose chez G. Lebon ( et chez d’autres auteurs d’ailleurs), c’est le fait que le livre de ce dernier date de 1895, moment où il abandonna la pratique de l’hypnose au profit de la libre association. A ce sujet voici ce qu’il écrit dans le chapitre au titre fort significatif: Suggestion et libido: “On est ainsi préparé à déclarer que la suggestion (plus exactement l’aptitude à être suggestionné) est justement un phénomène originaire qu’on ne peut  réduire davantage, un fait fondamental de la vie psychique de l’homme. C’est ce que pensait aussi Bernheim, des étonnants tours d’adresse de qui j’ai été témoin en 1889. Mais je n’ais pas perdu le souvenir d’une sourde hostilité qu’alors j’éprouvais déjà contre cette tyrannie de la suggestion. Lorsqu’un malade, qui ne se montrait pas docile, était apostrophé: que faites-vous donc? Vous vous contre-suggestionnez! je me disais que c’était là injustice patente et acte de violence. L’homme avait à coup sûr droit aux contre-suggestions. Ma résistance s’est alors orientée ultérieurement vers la révolte contre le fait que la suggestion, qui expliquerait tout, devrait elle-même être dispensée d’explication (...)

 

“Si maintenant, après m’être tenu à distance pendant quelque trente ans, j’aborde à nouveau l’énigme  de la suggestion, je trouve que rien n’y a changé”[109]

 

Cette citation confirme l’explication que j’ai donnée précédemment au sujet de l’abandon de l’hypnose par S.Freud lors de la cure psychanalytique. On constate parfaitement qu’il s’identifiait au malade et que c’est lui, petit garçon, qui refusait de subir à nouveau une hypnotisation, rejouement de celle qu’il avait subie lors du non accueil par sa mère. La réaction des malades lui fut un support pour pouvoir revivre quelque chose d’insupportable qu’il put rejeter en tant qu’adulte mais qu’il dut subir tout petit enfant. En conséquence il dut rejouer.[110] Cette fois c’est le livre de Le Bon, en particulier, qui lui sert de support. Il se justifie et, en même temps, manifeste son regret d’avoir abandonné l’hypnose en tant que facteur étiologique. Ceci apparaît bien dans le fait qu’il mentionne l’hystérie en liaison avec l’hypnose. “Un symptôme hystérique se fonde sur un fantasme et non sur la répétition d’une expérience réellement vécue, une conscience obsessionnelle  de culpabilité sur l’existence d’un mauvais dessein qui n’est jamais arrivé à éxécution. Et même, comme dans le rêve et dans l’hypnose, dans l’activité psychique des foules, l’épreuve de réalité disparaît face à l’intensité des motions  de désir investies effectivement”[111].  Or, G. Lebon fait appel en plus de la suggestion à la contagion des sentiments et des idées pour expliquer la formation des foules. Ce dernier phénomène fut également évoqué à la fin du siècle dernier pour expliquer l’hystérie. Mais il dit plus. En effet  si nous remplaçons suggestion par séduction dans la dernière phrase de l’avant-dernière citation, nous avons: j’aborde à nouveau l’énigme de la séduction.  On sent bien qu’il parle de lui. Il s’agit toujours du traumatisme qui a induit l’état hypnoïde, traumatisme qu’il ne peut voir et qu’il transmue en fantasme comme, et ce n’est pas un hasard, cela est exprimé dans la dernière citation. En conséquence la séduction demeure une énigme en dépit de tout l’effort théorique qu’il a produit et qui lui a permis de mettre au point: complexe d’Oedipe, théorie des pulsions, compulsion de répétition, etc. S. Freud-Oedipe est devant une immense remontée qui prend le nom d’énigme;  Le traumatisme qui lui a induit l’état hypnoïde le hante à nouveau de façon manifeste. Cette fois encore il va l’évacuer en le reportant in illo tempore. Pour cela il reprend les thèmes traités dans Totem et tabou. Ce n’est pas le lieu d’affronter ceux-ci qui concernent plus le cheminement personnel de S. Freud. Mon objet étant ici la théorie qu’il a mise au point, j’insiste sur les données de son vécu dans la mesure où cela me permet de comprendre la genèse de ses concepts. Dans S. Freud et la mystification, je reviendrai alors sur toutes les questions laissées en suspens dans le présent texte. En conséquence je terminerai l’étude de Psychologie des foules et analyse du moi par quelques citations complémentaires mettant en évidence l’importance qu’il accorde à l’hypnose. Toujours dans le chapitre Suggestion et libido il y a un passage qui concerne l’identification qui est en connexion évidente avec l’état hypnoïde. Toutefois, comme je le montrerai plus précisément ailleurs, S. Freud ne distingue pas ce phénomène du mimétisme. Dit succinctement: l’identification concerne l’être, le mimétisme le comportement. En revanche il insiste bien sur le phénomène de régression qu’on retrouve dans les phénomènes en relation avec l’état hypnoïde parce que le traumatisme qui l’a engendré provoque un blocage, point de départ de la régression.

 

Enfin citons ceci: “Ce que nous enseignent ces trois sources, nous pouvons le résumer comme suit: premièrement l’identification est la forme la plus originaire du lien affectif à un objet; deuxièmement, par voie régressive, elle devient le substitut d’un lien objectal libidinal, en quelque sorte par introjection de l’objet dans le moi; et troisièmement, elle peut naître chaque fois qu’est perçue à nouveau une certaine communauté avec une personne qui n’est pas objet des pulsions sexuelles. Plus cette communauté est significative, plus cette identification partielle doit pouvoir réussir et correspondre ainsi au début d’un nouveau lien”[112].

 

 Dans le chapitre Etat amoureux et hypnose, il décrit bien la relation de dépendance de l’enfant vis-à-vis de papa et maman, relation hypnotique déterminée par la répression parentale et non pas consubstantielle à l’amour.

 

“Il n’y a manifestement pas loin de l’état amoureux à l’hypnose. Les concordances entre les deux sont évidentes. Même soumission humble, même docilité, même absence de critique envers l’hypnotiseur comme envers l’objet aimé, même résorption de l’initiative personnelle; aucun doute, l’hypnotiseur a pris la place de l’idéal du moi. Simplement dans l’hypnose les rapports sont encore plus nets et plus intenses, si bien qu’il conviendrait plutôt d’expliquer l’état amoureux par l’hypnose que l’inverse. L’hypnotiseur est l’objet unique, à côté de lui nul autre objet ne compte. Que le moi vive dans un rêve ce que l’hypnotiseur exige et affirme, rappelle que nous avons négligé de mentionner que, parmi les fonctions de l’idéal du moi, il y avait aussi l’exercice de l’épreuve de réalité”[113].

 

Toujours à propos du même thème une dernière citation qui montre que la confusion se réimpose sous un voile théorique. “Mais d’un autre côté on peut dire aussi que la relation hypnotique est - si cette expression est permise - une formation en foule à deux. L’hypnose n’est pas un objet de comparaison avec la formation en foule parce qu’elle est bien plutôt identique à elle[114]. Si l’un et l’autre du binôme se comportent comme au sein d’une foule, c’est que chacun des composants du couple est le support  d’une foule de transferts et de rejouements. Plus celui-ci  est uni, réussi, fermé sur lui-même, plus effectivement l’état hypnoïde peut se manifester chez les deux partenaires. Mais quel rapport avec la vie naturelle?

 

S. Freud a vécu dans la séparation et l’entérine. Or, la séparation détermine  l’état hypnoïde  lequel, une fois établi, inhibe la perception de la continuité, et donc empêche de vivre l’immédiateté. C’est pourquoi l’idée que tout homme, toute femme est simultanément individualité et Gemeinwesen lui est totalement étrangère. Pour expliquer la vie en commun il doit faire appel à une médiation: la pulsion grégaire. Or la pulsion est elle-même une médiation entre le soma et la psyché[115]. Au sein des relations humaines, là où il y a médiation, surgit le possible de la domination. “Risquons-nous donc à corriger l’affirmation de Trotter: l’homme est un animal de troupeau, en disant qu’il serait plutôt un animal de horde, être individuel d’une horde menée par un chef”[116].  Il est évident que le psychisme d’un tel être auquel se réfère S. Freud n’a que quelques points communs avec celui originel, non infesté par l’ontose, de l’homme, de la femme.

 

“Il n’est malheureusement pas facile de suivre l’ontogenèse de la pulsion grégaire. L’angoisse du petit enfant, quand il est laissé seul, que Trotter revendique déjà comme manifestation de la pulsion, suggère  cependant une autre interprétation. Elle concerne la mère, plus tard d’autres intimes, et elle est l’expression d’une nostalgie inassouvie dont l’enfant ne sait encore rien faire d’autre que la transformer en angoisse”[117]. Ainsi c’est la manifestation ontosique qui est présentée comme fondement des relations interhumaines. C’est la négation de l’être féminin, humain, qui est présenté en tant que positivité. En outre, on constate que réapparaît le thème de l’angoisse, thème qui sera encore plus manifeste dans les oeuvres ultérieures.

 

Ce qui est poignant, c’est de se rendre compte que S. Freud sent où est sa menace interne, ce qui l’angoisse obsessionnellement: la relation à sa mère, celle où se loge le traumatisme initial dont le souvenir le hante et qu’il veut conjurer[118]. Il va encore théoriser pour conjurer et ce sera Le Moi et le Ca, 1923. C’est un texte charnière fondamental  dans l’oeuvre de S. Freud qui donne sa réalité à la psychanalyse. Je veux dire par là que c’est en général aux concepts de ça, de moi et de sur-moi, qui y sont exposés, que l’on se réfère quand il est question de psychanalyse.

 

Le premier chapitre s’intitule Conscience et inconscient. “La division du psychique en conscient et inconscient est la présupposition fondamentale de la psychanalyse: elle seule lui donne la possibilité de comprendre les processus pathologiques aussi fréquents qu’importants de la vie de l’âme, et de les faire entrer dans le cadre de la science. Encore une fois[119] et en d’autres termes: la psychanalyse, ne peut situer l’essence du psychique dans la conscience, mais doit considérer la conscience comme une qualité du psychique qui peut s’ajouter à d’autres qualités ou rester absente”[120]. Ce préambule est une profession de foi et un programme: faire entrer dans le cadre de la science. C’est aussi une entreprise de sécurisation. Voyons de plus prés. Le problème n’est pas qu’on ait pensé que l’essence du psychique résidât dans la conscience, mais que l’acte conscient, la conscience fut la forme supérieure de l’expression du psychique; que c’est cela qui caractériserait  l’espèce humaine et la distinguerait des autres êtres vivants. De là à penser que vivre, pour l’homme, la femme, était vivre conscient, il n’y avait qu’un pas. De là aussi le délire sur la conscience, particulièrement, après la révolution française, comme nous l’avons noté à propos de l’oeuvre de K. Marx. Mais tout délire appelle en compensation un contre-délire et le mouvement romantique insista sur le côté obscur de l’âme humaine - la clarté étant attribuée à la conscience - sur ce qui est inconscient, entendu comme non conscient, et à exalter même la folie. Dés lors, et le phénomène s’enracine loin dans l’histoire de l’espèce, l’inconscient allait être attribué à la folie. Pour le commun des mortels, dans sa pratique immédiate, être inconscient c’est être fou. Que veut-on dire quand nous nous exclamons: tu es fou? interrogation qui est à la fois

 

la conjuration d’une profonde peur. C’est pour cela aussi qu’il est souvent parlé d’inconscient pour ne pas s’occuper de la folie. D’autre part divers théoriciens insistèrent sur la parenté entre génie et folie et sur le fait que ce serait dans un état non conscient, sous-entendu, non répressif de quelque chose, que tout homme, toute femme, peut exprimer son propre génie[121]. Or que dit S. Freud? Il parle des processus pathologiques aussi fréquents qu’importants de la vie de l’âme. Donc chez chacun d’entre nous, normaux, il y a du pathologique et ceci est révélé grâce à des processus inconscents[122]. Ce serait même le pathologique, l’inconscient qui exprimerait le mieux notre originalité mais que nous ne pouvons pas manifester. Mais par là il a entériné une confusion; il ne l’a pas éliminée. La meilleure preuve c’est la floraison des mouvements qui accordent ou accordèrent la prééminence à l’inconscient, à la folie après ce que d’aucuns ont appelé la révolution freudienne. Certes il n’est pas responsable du mouvement surréaliste,  par exemple, mais l’ambiguïté, la non levée d’un doute avec l’interrogation: l’inconscient est-il folie? [123] que contient son oeuvre, a favorisé ce délire. Enfin, il y a une dimension non perçue: la tentation de la folie, comme tentative de briser un interdit, d’aller au-delà, le conscient apparaissant alors comme étant le conformisme! Dit autrement il est interdit d’être fou, parce que la folie est la révélation la plus puissante de l’aberration d’avoir quitté le reste de la nature. C’est une remise en cause qui est insupportable. Cependant, là encore avec le mouvement du capital, il y a dépassement de l’interdit en l’intégrant dans la combinatoire.

 

Ceci n’épuise pas, tant s’en faut, la question de la folie. Pourquoi l’espèce humaine est-elle tentée par elle, tout particulièrement dans l’aire occidentale?  C’est certainement en rapport ave sa dynamique de sortie du reste de la nature. La folie est un autre interdit, complémentaire à celui vis-à-vis de la continuité. Il est interdit de devenir fou, de se résorber en soi-même, de réaliser ce que j’ai défini le solipsisme de l’espèce. Or, comme tout interdit, il engendre le désir de l’enfreindre, de le violer. Cela s’exprime par la tendance irrépressible à vouloir accomplir à elle seule tout le procès de vie et donc à exclure de ce dernier toutes les autres espèces, en  les remplaçant par des machines, ses propres appendices, et en plongeant dans la virtualité.  A partir de là, elle va plus loin: vivre en escamotant le procès de vie. Dés lors, on en vient à se demander si, originellement, elle ne s’est pas sentie exclue. Dans ce cas le mythe de la mise hors paradis témoignerait bien des racines de sa folie et,  tout membre de l’espèce recèle, vis-à-vis d’elle, une fascination; fascination qui, au niveau spécifique, est logée en des procès inconscients bien déterminés, mais se manifeste dans la réalisation de procès aberrants. La tentative de produire des êtres transgéniques en est un exemple récent[124].

 

En Orient, surtout en Inde, l‘inconscient a plutôt la figure de l’illusion, de la maya; ce qui explique la fascination pour le nirvana, le lieu où il n’y a plus d’illusion. L’acte conscient suprême est de s’abolir, de s’intégrer en ce dernier. A ce propos, il convient de noter  à quel point la réflexion sur l’inconscient, souvent nommé subconscient, est très ancienne et d’une grande profondeur en Inde. Cet inconscient ou subconscient a été perçu comme étant ce qui, dans l’homme, dans la femme, empêche l’accession à l’état de délivré[125]. Or, ceci est en connexion avec le devenir de l’aire hindoue. Là, la puissance de l’unité supérieure (communauté abstraïsée), en rapport,  en dernière instance, à la puissance de la communauté originelle, a bloqué un devenir tel qu’il s’est opéré en Occident. En conséquence, en ce monde-là, il n’y avait pas de place pour advenir, la seule issue était de sortir de celui-ci, et de parvenir au nirvana. Et en ce point nous retrouvons la question de l’inconscient, parce que de multiples résistances inconscientes opèrent pour que l’illusion, la maya, ne soit pas dévoilée[126].

 

Revenons à S. Freud. J’ai explicité, mais n’ai pas montré en quoi il y a sécurisation. Pour le faire je dois retourner à Au-delà du principe de plaisir.  C’est dans le chapitre 4 qu’il essaie d’expliquer ce qu’est la conscience. Or il débute par cette remarque essentielle. “Ce qui suit est spéculation, une spéculation qui remonte souvent bien loin et que chacun, selon ses dispositions personnelles, prendra ou non en considération. C’est aussi une tentative pour exploiter de façon conséquente une idée, avec la curiosité de voir où cela mènera”[127]. Or, nous l’avons vu, il recourt à la spéculation quand il s’assume et qu’il lui faut affronter une difficulté importante. En conséquence il est important de noter l’incertitude ainsi que la dimension de déculpabilisation que contient la seconde phrase. Ceci dit, comment définit-il la conscience?   ... on accordera du moins à notre proposition:  la conscience apparaît à la place de la trace mnésique[128] le mérite d’être une affirmation relativement précise.

 

Le système Cs se spécifierait donc en ceci qu’en lui à la différence de ce qui se passe dans tous les autres système psychiques, le processus d’excitation ne laisse pas derrière lui une modification durable des éléments du système mais se dissipe pour ainsi dire dans le phénomène de devenir conscient”[129]. Le système conscient apparaît donc comme un système d’élimination. Dés lors on comprend bien la thérapie freudienne: rendre conscientes des émotions inconscientes afin d’éliminer leur charge négative et c’est là que le rôle du langage verbal est fondamental. Dit autrement, la dynamique de S. Freud est de devenir conscient pour se libérer de toutes les excitations internes qui le menacent de l’intérieur. Or, nous l‘avons signalé toute la partie spéculative de Au-delà du principe de plaisir qui va de la page 65 à la page 108 consiste en un exposé des mécanismes de protection psychique avec la mise en évidence des défauts de protection en ce qui concerne les excitations internes. La conclusion de cet exposé, qui nous reconduit d’ailleurs au préambule du Moi et du Ca, est qu’il y a du pathologique dans l’homme, la femme, déterminé, conditionné par sa constitution naturelle. Grâce à l’intégration de l’étude de celui-ci dans le système de la science, opérant dés lors comme un système psychique supplémentaire, il est possible de résorber ce pathologique, de le dissiper vers l’extérieur. La science est perçue comme une entreprise de sécurisation-libération: un garde-fou.

 

 Cette citation recèle encore autre chose. Il convient de rapprocher la caractérisation du système conscient: “le processus d’excitation qui se dissipe pour ainsi dire dans le phénomène de devenir conscient de: ce qui supprime ce besoin, c’est la satisfaction[130]. Autrement dit dans ce cas aussi le processus d’excitation se dissipe dans la satisfaction. Donc ce qui est conscient relève de la satisfaction, ce qui est inconscient de l’insatisfaction. Par là S. Freud nous révèle que l’ennemi intérieur dont nous avons parlé est l’être insatisfait qui ne peut jamais devenir conscient, en d’autres termes l’être refoulé, et, plus en  profondeur, que ses besoins fondamentaux n’ont pas été satisfaits lui causant une immense souffrance qu’il a dû refouler. Ce qui en dernière instance peut se traduire ainsi: l’ennemi c’est le refoulement. Mais ce serait rester dans la dynamique de l’escamotage, celui de la répression parentale qui cause l’insatisfaction due à la rupture de la continuité.

 

Voyons comment  il aborde l’inconscient?

 

“Notre concept de l’inconscient nous vient donc de la théorie du refoulement. Le refoulé est pour nous le prototype de l’inconscient. Mais nous voyons qu’il y a deux sortes d’inconscient: celui qui est latent[131], tout en étant capable de devenir conscient, et le refoulé qui est en soi, et pour tout dire, incapable de devenir conscient. Notre compréhension de la dynamique psychique ne peut rester sans influence sur la nomenclature et la description. Le latent, qui n’est inconscient que d’un point de vue descriptif[132], et non au point de vue dynamique, nous l’appellerons préconscient; quant au nom d’inconscient, nous le réserverons au refoulé qui est inconscient dans le sens dynamique”[133];

 

Tout cela manque de rigueur parce que n’est pas déterminée l’origine: le refoulement. Il est laissé dans une indétermination qui fait qu’on ne sait pas si c’est un phénomène inné, naturel, ou acquis, culturel. Ce concept signale la limite de la dimension révolutionnaire de S. Freud. Il se rend bien compte qu’en mettant en évidence le refoulement il fait acte d’insubordination puisqu’il est amené à parler d’un phénomène de répression. Mais il ne peut pas aller jusqu’au bout, voir où cette répression opère à l’origine pour chaque homme, chaque femme. Il s’est refusé à voir la répression parentale. En l’admettant, voici comment on  peut concevoir les phénomènes. Les processus inconscients, dans la dynamique naturelle, innée,  se caractérisent par leur latence et par le fait qu’ils peuvent devenir - et ce de façon réversible - conscients. Il y a effectivement une dynamique, une fluidité. Le concept de préconscient ne peut désigner que le moment où ce qui est inconscient est sur le point de devenir conscient. Il traduit une idée d’affleurement, d’émergence. L’autonomisation du préconscient correspond à une volonté inconsciente de prévilégier le conscient. Toutefois en même temps cela traduit une perception limitée de ce qui est conscient. On est conscient d’une totalité, d’une réalité, ce qui peut s’exprimer aussi en disant qu’on est présent à elle. Toutefois la motivation fait qu’on focalise notre attention sur des éléments déterminés de cette totalité  qui apparaissent en saillie,  par rapport au reste. C’est le phénomène de forme et de fond analysé par les partisans de la psychologie de la forme. Autrement dit ce qui nous intéresse, nous préoccupe est pour ainsi dire supporté par le reste de la totalité dont il fait partie. Ce qu’on appelle le champ de conscience est pour ainsi dire infini, du fait que nous sommes présents à la totalité, mais pour intervenir pratiquement, ou par la pensée, nous prévilégions certaines données. Cela n’est pas sans diverses conséquences que je passerai sous silence, devant traiter tout cela dans Advenir. Je ne veux ici qu’apporter le minimum de précision pour pouvoir à la fois situer l’apport de S. Freud et son rapport à tout ce qui a été produit ultérieurement par divers théoriciens. En revanche le terme de subconscient non employé par S. Freud désigne ce qui forme le  substrat du processus conscient.

 

En ce qui concerne le refoulé c’est un acquis. Je garderai donc ce terme pour désigner tout ce qui tendait à devenir conscient et qui ne pouvait pas être accepté parce que support  d’une trop grande souffrance et qui a subi une dynamique de refoulement, ainsi que ce qui a été réprimé, soit directement à cause de la répression parentale opérant dans son immédiateté, soit indirectement à cause d’une intériorisation de la répression, ce qui implique alors que les parents ou leurs substituts n’ont pas besoin d’être présents. De ce fait il y a des degrés de puissance dans le refoulement, et  le refoulé est plus ou moins éloigné de l’état conscient. Ce qui le caractérise ensuite c’est comme le dit S. Freud l’impossibilité à devenir spontanément, naturellement, conscient, à cause de divers phénomènes de résistance. Ceux-ci se définissent comme étant des phénomènes empêchant ce qui est refoulé de devenir conscient. L’essentiel donc c’est que c’est un phénomène acquis à un moment donné de l’évolution de l’espèce et non quelque chose d’inné. Il a donc un caractère transitoire et disparaîtra inévitablement.

 

La confusion chez S. Freud réside dans le fait qu’il assimile le refoulé à l’inconscient puis qu’il affirme que l’inconscient  ne se limite pas à ce dernier. D’où: ”Nous sommes amenés à reconnaître que l’Ics  ne coïncide pas avec le refoulé; il reste exact que tout refoulé est ics, mais tout Ics n’est pas pour autant refoulé. Une partie du moi également, et dieu sait quelle importante partie du moi, peut être ics, est certainement  ics. Et cet  Ics n’est pas latent au sens du Pcs[134], sans quoi il ne saurait être activé sans devenir cs et on ne saurait  rencontrer d’aussi grandes difficultés pour le rendre conscient. Nous trouvant devant la nécessité de poser l’existence d’un troisième inconscient, un Ics non refoulé, nous devons admettre que le caractère d’être inconscient perd pour nous de son importance”. Il y a une certaine inconséquence à faire une telle affirmation après avoir tant insisté sur l’importance de ce qu’il appelle l’inconscient. La suite du texte indique une impasse. “Il devient une qualité (ce n’est donc plus une topique, n.d.r) aux multiples significations, ne permettant pas, comme nous l’aurions fait volontiers, d’en tirer des conséquences étendues et exclusives. Nous devons pourtant nous garder de le négliger, car, en fin de compte, la propriété: conscient ou non, est notre unique fanal dans les tenèbres de la psychologie des profondeurs”[135]. Un fanal qui est un fondement cela me semble assez confus.  Pour se repérer dans la confusion il ne lui reste,  en désespoir de cause, qu’à se rattacher à cette distinction. Nous pouvons ajouter que la volonté de faire de l’inconscient une topique, fut utopique. L’inconscient, c’est un nulle part, un insaisissable. Ce fut de même une uchronie puisqu’il fut impossible de le placer en un point quelconque du temps.

 

Comme je l’ai déjà indiqué je reprendrai ceci de façon plus détaillée et je signalerai la présence de phénomènes inconscients  dans le domaine biologique comme fondements de processus conscients: acte volontaire ou perception consciente par exemple. Dans ce cas il y a continuité entre ce qui est inconscient et ce qui est conscient;  il n’y a pas réversibilité, sauf s’il y a refoulement. Mais alors il ne s’agira pas de quelque chose d’inconscient, mais de quelque chose de refoulé. Il y a eu blocage d’un procès qui tendra constamment à tenter de s’achever; d’où le rejouement. J’ai déjà signalé le phénomène de la mémoire qui est complexe parce que la mémorisation peut être volontaire et consciente, involontaire et inconsciente; il en est de même de l’anamnèse. Dans ce dernier cas lorsque le procès est conscient il apparaît que des données conservées (traces mnésiques de S. Freud) dont on n’est pas immédiatement conscient, deviennent conscientes grâce à un procès de conscientisation. Dit autrement, ces données, ces traces, sont potentiellement des souvenirs. Ils ne deviennent tels que grâce à ce procès.  Et la continuité prévaut entre tous ces procès.  Ici on pourrait se représenter l’ensemble de ces derniers comme ce qui permet de passer du potentiel à l’acte, le premier étant le latent ou inconscient, le second le manifesté ou conscient. On pourrait de même montrer que l’inconnu a la dimension de l’inconscient, le connu celle du conscient. Et, dans cette perspective, le procès de connaissance serait la médiation permettant de révéler une puissance plus vaste de l’être conscient ou, si l’on veut, l’étendue de la présence au monde. Avant de clore cette parenthèse, il est important d’indiquer que l’accès à l’inconscient  biologique se fait grâce à l’existence de processus pathologiques. Quand ils n’existent pas les savants les créent. De telle sorte qu’ils rejouent en définitive le traumatisme qu’ils ont subi. La nécessité de parvenir à sa connaissance les conduit de plus en plus  à expérimenter sur l’homme et, significativement, sur les embryons. Expérimenter pour comprendre est rejouer pour voir.

 

Il est difficile de savoir si S. Freud pensait à tout cela quand il parlait de multiples significations. En revanche il semble certain qu’il n’ait pas eu en vue l’inconscient biologique tel que nous le présentons ici, plus exactement l’ensemble des phénomènes dont nous ne sommes pas conscients  (qui nous furent inconnus[136]) mais qui sont à la base et en continuité avec ceux dont nous sommes conscients. Ce qui est certain aussi c’est que la confusion de S. Freud au sujet de l’inconscient dérive du fait qu’il n’a pas perçu toute l’ampleur du refoulement; le corollaire est: il n’a pas reconnu la puissance de la répression parentale.

 

A la fin du chapitre il définit le Moi. “Mais, à mesure qu’on avance dans le travail psychanalytique, on découvre que ces distinctions (Ics, Cs,Pcs) elles aussi sont insuffisantes, insuffisantes du point de vue pratique. Parmi les situations qui mettent ceci en évidence, nous relevons comme décisive celle-ci: nous nous sommes formés la représentation d’une organisation des processus de l’âme dans une personne et nous l’appelons le moi de cette personne. C’est à ce moi que se rattache la conscience”[137]

 

“Nous devons substituer à cette opposition (conscient-inconscient, n.d.r) une autre, issue des rapports structuraux de la vie psychique: l‘opposition entre le moi cohérent et le refoulé qui est séparé de lui par clivage”[138]. 

 

C’est pour expliquer  la partie inconsciente  ( “au sens propre du terme”[139]) qu’il introduit la notion de Ca emprunté à G. Groddeck. “Je veux parler de G. Groddeck qui ne cesse d’insister sur le fait que ce que nous appelons notre moi se comporte dans la vie de façon essentiellement passive et que, selon son expression, nous sommes “vécus” par des forces inconnues et impossibles à maîtriser. Nous avons tous éprouvé de telles impressions, même si elles ne nous ont pas dominé au point d’exclure toutes les autres, et nous n’hésitons pas à assigner aux vues de Groddeck leur place dans le corps de la science. Je propose d’en tenir compte en appelant l’entité qui part du système Pc et qui est tout d’abord pcs le moi, et en nommant, à la façon de Groddeck, l’autre partie du psychisme dans laquelle le moi se continue et qui se comporte comme ics, le ça”[140]. Et il précise: “Mais le refoulé lui aussi se fond avec le ça, il n’est qu’une partie de celui-ci”[141]. Il y a continuité entre le moi et le ça, mais discontinuité entre le moi et le refoulé qui fait pourtant partie du ça. Que peut être la troisième forme d’inconscient  dont a parlé S.Freud et qui elle aussi doit faire partie du ça. Il nous le signale quand, dans la citation où il introduit le ça, il affirme: nous sommes “vécus” par des forces inconnues , et impossibles à maîtriser.  Il décrit l’état hypnoïde où nous sommes effectivement inconscients. On n’est pas en présence d’un refoulé, mais d’un état déterminé par un choc hypnotique. Là tout est indéterminé, flou, indiscernable, là on opère sous une suggestion que nous ne connaissons pas. Dans le ça il retrouve quelque chose qu’il avait provisoirement admis avec J. Breuer, puis avait rejeté, mais il ne peut pas le reconnaître en tant que tel.

 

Il donne ensuite des précisions. “Il est facile de voir que le moi est la partie du ça qui a été modifiée sous l’influence directe du monde extérieur par l’intermédiaire  du Pc-Cs, qu’il est en quelque sorte une continuation de la différenciation superficielle. (...) La perception joue pour le moi le rôle qui, dans le ça, échoit à la pulsion. Le moi représente raison et bon sens, par opposition au ça qui a pour contenu les passions”[142].

 

Le sur-moi ou idéal du moi est mis en relation avec le devenir du complexe d’Oedipe. “On peut donc admettre comme résultat le plus général de la phase sexuelle dominée par le complexe d’Oedipe, une sédimentation dans le moi qui consiste dans la production de ces deux identifications accordées de quelque façon l’une à l’autre. Cette modification du moi garde sa position particulière, elle s’oppose au reste du contenu du moi comme idéal du moi ou sur-moi”[143].

 

Il précise ensuite que l’idéal du moi dérive du refoulement du complexe d’Oedipe. “Le sur-moi conservera le caractère du père; plus le complexe d’Oedipe a été fort et plus son refoulement s’est produit rapidement (sous l’influence de l’autorité, de l’instruction religieuse, de l’enseignement, des lectures), plus sévère sera plus tard la domination du sur-moi sur le moi comme conscience morale, voire comme sentiment de culpabilité inconscient”[144]. Ceci c’est ce qu’il a appelé le facteur historique déterminant la naissance du sur-moi Il y a en outre un facteur biologique: “le long état de détresse et de dépendance infantiles de l’être humain...”[145].En ce qui concerne le contenu il nous parle d’être supérieur: “... et voici cet être supérieur, l’idéal du moi ou sur-moi, la représentance de notre relation aux parents”[146].

 

“ Au cours du développement ultérieur, maîtres et autorités ont continué le rôle du père; leurs ordres et les interdictions sont restés puissants dans le moi idéal et, sous forme de conscience morale, exercent désormais la censure morale. La tension entre les exigences de la conscience morale et les réalisations du moi est ressentie comme sentiment de culpabilité. Les sentiments sociaux reposent sur des identifications à d’autres sur la base d’un même idéal du moi”[147].

 

Enfin il y a continuité entre Sur-moi et ça qui apparaît comme le réceptacle  de ce qu’on pourrait appeler un inconscient collectif. “ De la sorte, le ça héréditaire héberge les restes des existences d’innombrables moi, et, lorsque le moi puise son sur-moi dans le ça, peut-être ne fait-il que remettre au jour des figures plus anciennes et les ressusciter”[148].

 

On a l’impression qu’il veut séparer ce qui est de lui de ce qui n’est pas lui. Ce processus était déjà en acte dans Deuil et mélancolie où il nous parle abondamment  de lui à travers les thèmes de détresse (Hilflosigkeit) de production d’autoreproches, d’autodépréciation avec perte de respect de soi, de culpabilité. Il écrit, entre autre, ceci: “Là où la prédisposition à la névrose obsessionnelle est présente, le conflit ambivalentiel confère de ce fait au deuil une forme pathologique et le force à s’exprimer sous la forme d’auto-reproches selon lesquels on est soi-même responsable de la perte de l’objet d’amour, autrement dit qu’on l’a voulue”[149].

 

Ce détour permet également de montrer à quel point le sentiment de culpabilité est un des fondements du psychisme de S.Freud. Dans Le Moi et le Ca il se rend compte de l’existence d’une culpabilité inconsciente. “Mais une nouvelle expérience, celle qui nous oblige, en dépit de tout notre esprit critique, à parler d’un sentiment de culpabilité inconscient, nous déroute beaucoup plus”[150]. Un moyen de décharger le moi de la culpabilité, ou de lui en diminuer la charge c’est l’instauration des figures de l’idéal du moi et du sur-moi. Je dis bien deux figures et non une parce qu’en fait l’idéal du moi est bien ce que les parents et les instances sociales désirent que le moi soit, et le sur-moi est le représentant critique qui fait en sorte que cet idéal soit atteint. Le lien intime entre idéal du moi  et sur-moi, c’est la censure. Celle-ci ne peut exister effectivement que s’il y a un idéal à faire respecter. Dans ce contexte je puis dire: l’idéalisme ne peut s’imposer que s’il y a répression[151]. Et justement chez S. Freud la censure opère à divers niveaux.

 

Le surmoi qui tend à culpabiliser le moi, diminue l’impact de la culpabilité en la rendant consciente, en la fondant en quelque sorte, parce qu’il lui fournit une raison d’être; ce qui soulage le moi et le sécurise[152]

 

Ce qui n’est pas lui apparaît donc être l’idéal du moi et le sur-moi. Le titre de son essai Le Moi et le Ca prévilégie les deux parties qu’il pense lui être constitutives et qu’il revendique[153]. En revanche ce même titre laisse sous silence les deux autres instances qu’il refuse inconsciemment. Enfin une autre remarque se révèle nécessaire. Il pose qu’il y a un clivage entre le refoulé et le moi ce qui exprime bien également son désir  de séparation d’avec cette forme d’inconscient, qu’il a mis en évidence. En réalité, il n’y a pas de discontinuité et c’est ce qui en fait le caractère maléfique. Le refoulé se mélange avec, en adoptant momentanément la terminologie freudienne, le contenu du moi. Ce qui provoque la confusion dont il souffre d’ailleurs et contre laquelle il lutte. Or, la confusion c’est une des caractéristiques essentielles de l’ontose. Pour S. Freud un moyen de lutte est de s’organiser en se créant des organes, sur le plan théorique des catégories, qui lui permettent d’endiguer le phénomène. Ce qu’il vient d’exposer dans Le Moi et le Ca semble déjà l’insatisfaire puisque à la page 256 il parle de partition du moi. Le chapitre suivant et dernier Les relations de dépendance du moi est un exposé poignant sur son angoisse qui est son obsession. Nous l’analyserons ailleurs.

 

De la même année que Le moi et le Ca date Une névrose diabolique au XVII° siècle (écrit fin 1922). Il n’est pas sans signification qu’à deux moments de crise importante: vers quarante ans avec le rejet de la théorie de la séduction et vers soixante ans avec la réorganisation de la théorie, il fasse rencontre avec le diable et la question de la possession. Or cette dernière est intimement liée à l’état hypnoïde. “Les possessions sont les équivalents de nos névroses, pour l’explication desquelles nous avons à notre tour recours à des puissances psychiques. Les démons sont à nos yeux des désirs mauvais, rejetés, des descendants de motions pulsionnelles mises à l’écart, refoulées. Ce que nous refusons, c’est simplement la projection dans le monde extérieur à laquelle le Moyen Age soumettait ses entités psychiques; nous postulons qu’elles sont le produit de la vie intérieure des malades, où elles ont leur demeure”[154].

 

J’insiste sur la récurrence de la manifestation de l’état hypnoïde pour signaler la régression que connaît S. Freud, régression qui lui impose en compensation une construction théorique importante, comme celle qui au niveau spécifique impose un développement économico-technique énorme: la production de multiples prothèses et tranquillisants, tout ce qui réalise la vie en tant que mesure préventive contre la mort.  L’état hypnoïde latent se manifeste d’abord au travers de toutes sortes de troubles étudiés par la psychiatrie mais, ultérieurement, par suite de l’incapacité du sujet à se rendre compte de ce qui se produit, son inaptitude factuelle à devenir conscient de ce qui fut, cet état apparaît manifeste et donne le comportement automate de la plupart des vieillards qui sont obsédés par leur passé. Ils le sont tellement qu’ils perdent la mémoire à court terme, comme si, inconsciemment, ils se coupaient du présent pour accorder toute leur attention aux évènements du passé, afin d’en comprendre le sens, d’en devenir conscients. La maladie d’Alzheimer est significative également de ce phénomène. La régression est tellement nette qu’ elle donne son contenu à un préjugé populaire: quand on vieillit on retombe en enfance. Ce n’est pas un phénomène biologique, naturel, mais un phénomène ontosique qui signale à quel point le traumatisme induit par la répression parentale bouleverse toute la vie de chacun d’entre nous.

 

Je trouve très révélateur que S. Freud lui-même appréhendait de retomber en enfance. “En mai 1916, il atteint la soixantaine et, remerciant Max Etington de ses bons voeux, il se dépeint comme sur le point de “retomber en enfance” - en son Greisenalter”[155].

 

 

 

 

 



[1]. Ces dates sont approximatives et ne servent que de points de repère.  En ce qui concerne ce moment, je laisse de côté la phase antérieure qui peut se concevoir comme étant celle où il cherche sa voie. Nous aborderons cela dans Freud et la mystification.

[2]. C’est très intentionnellement que j’emploie cette expression très prisée et très utilisée par M. Eliade. Avec son oeuvre d’après la seconde guerre mondiale, celui-ci opère un vaste rejouement.

    “Par ces fantaisies, l’individu se replonge dans la vie primitive, lorsque sa propre vie est devenue trop rudimentaire. Il  est, à mon avis,   possible que tout ce qui nous est raconté au cours de l’analyse à titre de fantaisies, à savoir le détournement d’enfants, l’excitation sexuelle à la vue des rapports sexuels des parents, la menace de castration ou plutôt, la castration, -   il est possible que toutes ces inventions  aient été jadis, aux phases primitives de la famille humaine, des réalités, et qu’en donnant libre cours à son imagination, l’enfant comble seulement, à l’aide de la vérité préhistorique, les lacunes de la vérité individuelle. J’ai souvent eu l’impression que la psychologie des névroses est susceptible de nous renseigner plus et mieux que toutes les autres sources sur les phases primitives du développement humain”. Introduction à la psychanalyse, p. 350. Donc l’enfant, grâce aux données du passé, dit la vérité tout en étant dans le faux. C’est une forme de double liaison, d’oxymoron. Ceci pourrait occasionner une analyse logique. Autrement dit, S. Freud affirme ce qu’il nie: la théorie de la séduction. Ce faisant, il se sauve.

[3]. J’envisage ici l’aire occidentale. Je préciserai ce qu’il en est alors, et maintenant, en ce qui concerne les autres aires. A l’heure actuelle, toujours dans cette aire, la régression va jusqu’à la période périnatale.

[4]. O.c. p. 416. Dans Freud et la mystification   je reviendrai sur ce sujet. Ici je ne fais que signaler, grâce à cette citation, ce qu’il y a à étudier dans le comportement de S. Freud pour comprendre l’oeuvre qu’il réalise.

[5]. Lettre à W. Fliess, cf. La naissance de la pscyhanalyse,  p. 139.

[6]. Idem, p. 218.

[7]. En fait, seulement six puisque le dernier,Vue d’ensemble des névroses de transfert , a été retrouvé en 1983, joint à une lettre à S. Férenczi.         

[8]. Pulsions et destins des pulsions, in Métapsychologie, Ed. Gallimard, Folio-essais, pp. 15-16.

[9]. Idem, p. 16.

[10]. O.c, p. 14, pour les deux dernières citations. Ici aussi le thème traité a déjà été abordé dans l’Esquisse.

[11]. L’ennemi est à l’intérieur est une hantise qu’on voit se manifester à l’échelle sociale et ce de façon toujours plus puissante depuis le début de ce siècle. A l’heure actuelle le support de cette hantise est placée sur les sectes. Les différents corps sociaux: école, institution médicale, etc, se sentent menacées par la pénétration insidieuse des sectes. Le corps social en son entier exprime cette hantise en trouvant divers supports: racisme, comportement non en adéquation avec celui dominant, etc.. cela aboutit à diaboliser tout ce qui est perçu autre. Le corps social se sent possédé par des démons dont il doit à tout prix se défaire. Pourquoi un individu se sent-il menacé de l’intérieur, pourquoi en est-il de même pour une nation, pour l’humanité toute entière? Une telle question n’est pas envisagée.

[12]. Idem, p. 89.

[13]. Idem, p. 100.

[14]. Idem, p. 103, ainsi que la citation qui précède. Tout ceci fait partie d’un même paragraphe.

[15]. Idem, p. 124 pour les deux parties de la citation.

[16]. Idem, p. 129.

[17]. Idem, p. 123. Dans une lettre à S.Férenczi du 23.04.1915, il écrit ceci à propos de cet essai: “Un quatrième exposé s’est révélé nécessaire, qui compare le rêve avec la démence précoce...”, citée par Ilse Grubrich-Simitis: Métapsychologie et métabiologie, in  S. Freud Vue d’ensemble des névroses de transfert, p. 103.

[18]. Les grandes découvertes de la psychanalyse, in Histoire de la psychanalyse,  t. 1, p. 185.

[19]. Trois essais sur la théorie de la sexualité, pp. 167-168. P.L. Assoun dans l’ouvrage précédemment cité, affirme dans une note: “ Il faut noter que le terme “narcissisme” a été introduit dés novembre 1909 (comme l’attestent les Minutes de la société de psychanalyse de Vienne)”. p. 182.

[20]. Cité à l’article Narcissisme  du Vocabulaire de la psychanalyse,  p. 261.

[21]. Introduction  à la psychanalyse, Ed. PBP, 1972, p. 391.

[22]. Idem, p. 392. Dans le Vocabulaire de la  psychanalyse, on trouve ce passage de l’article de K. Abraham, Les différences psychosexuelles entre l’hystérie et la  démence précoce: “ La caractéristique psychosexuelle de la démence précoce est le retour du patient à l’autoérotisme (...). Le malade mental transfère sur lui seul, comme son seul objet  sexuel, la totalité de la libido que la personne normale oriente sur tous les objets animés ou inanimés de son entourage”.

    S.Freud signale dans son texte que l’idée exposée résultait d’un échange entre lui et K. Abraham. Ce n’est pas étonnant parce que, là encore, il parle de lui particulièrement dans cette phrase qui fait immédiatement suite à la citation. “La manie des grandeurs peut d’ailleurs être comparée à l’exagération de la valeur sexuelle de l’objet qu’on observe dans la vie amoureuse.”

   On peut lire l’article de Karl Abraham dans Rêve  et mythe,  œuvres complètes- 1, PBP, cf. particulièrement les pages 43 et 44.

[23]. Idem, pp. 392-393.

[24]. Idem, pp. 393-394.

[25]. Idem, p. 398.

[26]. Je reviendrai sur cette question de la censure, en particulier en rapport avec les oeuvres du jeune K. Marx, ainsi qu’avec l’affirmation historique de ce phénomène.

[27]. Idem, p. 153.

[28]. Idem, p. 162.

[29]. Idem, pp. 158-159.

[30]. Cf. Vue d’ensemble des névroses de transfert,  Ed. Gallimard, p. 19.

[31]. Métapsychologie et métabiologie  in Vue d’ensemble des névroses de transfert, p.141.

[32]. S. Freud écrit à S.Férenczi le 31.07.1915: “A présent vous êtes vraiment le seul qui travaille encore à mes côtés”. Idem, p. 100.

[33]. S. Ferenczi,  Journal clinique, Ed. Payot, p. 209, cité par  Patrik Lacoste in Destins de la transmission , commentaire au texte de S. Freud Vue d’ensemble  des névroses de transfert , p. 195.

    Suzanne Rutherford et Suzan Lindquist ont mis en évidence que sous l’action d’un stress, il peut y avoir production de nombreuses mutations héréditaires. Il y aurait alors “mise en défaut du rôle de protection d’une protéine (Heat-shock protein) l’Hsp90 particulièrement vis-à-vis d’autres protéines liées à la division et au développement cellulaire”. ( Le Monde, 11.12. 1998.

     S. Ferenczi, S. Rutherford, S. Lindquist opèrent au sein de la dynamique ontosique. Pour survivre, c’est-à-dire résister au stress, les êtres vivants doivent s’adapter en mutant. Ils ne peuvent pas concevoir que ceux-ci sont actifs au sein de tout leur devenir qui est conçu par les scientifiques en tant qu’évolution. Au niveau des mammifères, particulièrement, l’activité de leur encéphale est opérante pour acquérir de nouveaux organes.

    Pour l’homme, la femme,  ontosé(e) rien ne peut advenir s’il n’y a pas eu, auparavant, catastrophe.

[34]. Nous verrons que le roman familial de S.Freud est le mythe d’Oedipe. Toutefois nous constaterons que cela ne sera pas suffisant pour le rassurer et le positionner dans le phénomène vie. Il dut recourir à Moïse et à un Urmensch, un patriarche au pouvoir absolu.

[35]. Je tiens à noter qu’on est en présence ici d’une grande imprécision. S. Freud utilise fameuse loi de récapitulation attribuée à E. Haeckel qui dit que l’ontogenèse récapitule la phylogenèse. Mais de quel être s’agit-il? Non pas d’un être individuel, mais d’un  être spécifique, tandis que le phylum (on dit aussi embranchement) est un ensemble de classes. Ainsi le phylum des vertébrés comprend les classes suivantes: poissons, batraciens, reptiles, oiseaux, mammifères. En conséquence au cours de son développement embryonnaire l’espèce Homo sapiens récapitule les phases représentées par les classes susmentionnées. Toutefois, dire ceci pâtit d’une imprécision immédiate, étant donné que la phase oiseau est absente. Ceci est dû au fait que la lignée des oiseaux et celle des mammifères prennent origine, dans une divergence entre elles, dans la classe des reptiles. En conséquence pour être correct il faudrait parler d’une ontogenèse en ce qui concerne l’être individuel, d’une spéciogenèse  relative à l’espèce et d’une phylogenèse relative au phylum. L’affirmation de S. Freud devrait donc se libeller ainsi: “... cette succession semble répéter spéciogenétiquement...”.

    Une dernière précision concerne la loi de E. Haeckel elle-même. Il n’y a pas de récapitulation en ce sens que l’être humain n’est pas au cours de son ontogenèse successivement poisson, batracien, etc...mais  il présente des formations qui évoquent le stade poisson, batracien, etc. Ces formations témoignent que ses ancêtres possédèrent des caractères les faisant participer aux diverses classes de vertébrés apparues successivement au cours de l’histoire de la terre.  On devrait parler d’un phénomène d’évocation. C’est comme une extériorisation d’une mémoire exprimant la phylogenèse au sein de l’ontogenèse.

[36]. Lettre du 12.07.1912, citée par I. Grubrich-Simitis, o.c, pp. 104-105.

[37]. Je reviendrai sur la question de la transmission  de la psychose d’une génération à l’autre. Dans notre perspective celle-ci étant liée à la répression parentale, la transmission ne pose pas de problème. Toutefois cela n’élimine pas la donnée d’une hérédité d’un acquis. En outre, il est bien évident que les êtres vivants ne sont pas passifs au cours de l’évolution.

    A ce propos ce passage d’une lettre de S. Freud à K. Abraham du 11.11.1915, cité par P. Gay, o.c, p. 423, est fort intéressant et recoupe ce que nous avons affirmé ailleurs sur l’importance de l’encéphale, donc de la pensée, dans le processus évolutif.” De faire venir Lamarck sur notre terrain et de montrer que son “besoin” qui crée et transforme les organes n’est rien d’autre  que  la  puissance  exercée par la représentation inconsciente sur le corps propre et dont nous voyons les vestiges dans l’hystérie, bref  la ”toute-puissance des pensées”.  Il sera intéressant de montrer également dans quelle mesure K. Marx ainsi qu’A. Bordiga partageaient cette vision.

[38]. Lettre de décembre 1914, in Métapsychologie et métabiologie,  o.c. p. 101.

[39]. Métapsychologie, p. 96. Dans L’interprétation des rêves,  il écrit: “Dans l’inconscient rien ne finit, rien ne passe, rien n’est oublié”. p. 491.

[40]. Considérations actuelles sur la guerre et la mort, in Essais  de  psychanalyse, Ed, PBP, p. 9.

[41]. Idem, p. 39.

[42]. Idem, p. 16.

[43]. Idem, p. 16.

[44]. Idem, p. 18.

[45]. Peut-être que la fascination qu’exerce la symétrie, bilatérale surtout, s’enracine elle aussi dans ce phénomène;

[46]. Idem, p. 18.

[47]. Dans Advenir je montrerai que l’illusion est liée à l’état hypnoïde présent en chacun de nous. Ceci nous explique aussi la position ambiguë de S. Freud vis-à-vis de l’hypnose. A noter que l’hypocrisie consiste à donner l’illusion. Or  S. Freud reconnaît que c’est un moyen pour l’individu de supporter les contraintes de la société.    “ Il y a ainsi incomparablement plus d’hypocrites de la civilisation que d’hommes authentiquement civilisés, et même on peut se demander si une certaine part de cette hypocrisie n’est pas indispensable au maintien de la civilisation, parce que, chez les hommes vivant aujourd’hui, ce qui est déjà organisé en fait d’aptitude à la civilisation, ne suffirait peut-être pas à obtenir ce résultat”. Considérations actuelles sur  la guerre et la mort, in Essais de psychanalyse, Ed PBP, p. 21.

      J’anticipe en citant un texte de 1925. “C’est ainsi que la civilisation entretient un état  d’hypocrisie qui s’accompagne forcément d’un sentiment d’incertitude et du besoin de protéger son indéniable instabilité par l’interdiction de toute critique et de toute discussion”. Résistances à la psychanalyse,  in Résultats, idées,problèmes  II, Ed. PUF, 1985, p. 131. L’hypocrisie est connectée à l’incertitude; elle sert aussi à la masquer.

[48]. Idem, p. 19.

[49]. Idem, p. 25. On peut sentir pointer ici, la notion de l’idéal de moi.

[50]. Idem, p. 25.

[51]. Idem, p. 18.

[52]. Le terme d’ambivalence a été créé par E. Bleuler en 1910. “Le terme apparaît pour la première fois dans La dynamique du transfert, 1912, pour rendre compte du phénomène de transfert négatif: “ ... on le découvre à côté du transfert  tendre souvent en même temps et ayant pour objet une seule et même personne (...) c’est l’ambivalence des visées affectives qui nous permet le mieux de comprendre l’aptitude  des névrosés à mettre leur transfert au service de la résistance”. Vocabulaire de la psychanalyse , Ed. PUF, p.20. En outre lorsque S. Freud dit que la haine a précédé l’amour, il expose sa relation à sa mère. Il sait qu’il hait sa mère mais ne se rend pas compte à quel point il lui est attaché: mystification.

[53]. O.c. p.17.

[54]. J’envisagerai également cela en rapport à la question de la contradiction, surtout dans la dynamique de la dialectique.

[55]. J’aborderai cela de façon détaillée dans Advenir. Je tiendrai compte également d’un autre phénomène: la dissociation cognitive. Je me suis inspiré de ce qu’a écrit Renée Bouveresse. “... ce lien paradoxal tel qu’une injonction implicite enjoignant à l’adolescent, par exemple, d’être autonome, est nié par le fait même que le message soit prononcé.

      On voit pourquoi les familles sont le lieu par excellence de tels messages paradoxaux: elles affichent une façade de tendresse et nient la présence  en elles de la moindre violence, masquant, de ce fait, l’inéluctable opposition des intérêts des parents et des enfants, et rendant invisibles les conflits qui leur sont sous-jacents”. L’antipsychanalyse in L’inconscient, sous la direction de J. Mousseau et P.F. Moreau, Ed, CEPL, 1976, p. 93. R. Bouveresse fait état, sans la nommer, de l’hypocrisie. Celle-ci n’est souvent qu’une forme de mimétisme.

[56]. La schizophrénie, terme créé par E. Bleuler (1857-1939) est la “forme paradigmatique de la folie du XX° siècle”. Dictionnaire de la psychanalyse, p. 945.  Les auteurs font la remarque suivante ”... la démence précoce (autre nom de la schizophrénie, n.d.r) était donc une nouvelle maladie de l’âme, qui frappait d’impuissance et d’hébétude les jeunes gens de la société bourgeoise révoltés contre leur époque ou leur milieu mais incapables de traduire leurs aspirations autrement que par un véritable naufrage de la raison.” p. 943. A noter que E. Bleuler est aussi le créateur des termes autisme et ambivalence.

  Notons en outre que la transmission et la réception des messages se réalise au travers de procès inconscients.

[57]. On doit noter que tout traumatisme réactive en lui la désillusion.

[58]. Ce qui est absolument logique puisque ce que le mot mort désigne ne concerne pas en fait le moment final de notre procès de vie apparent, individualisé.

[59]. Idem, p. 39 (citation commençant à “Résumons-nous..).

[60]. Les voies nouvelles de la  thérapeutique psychanalytique, cité dans Vocabulaire de la psychanalyse, o.c, p. 352. S. Freud aborde ici la question de l’intervention lors de l’analyse. Dans une dynamique de libération-émergence c’est la personne qui opère un revécu qui effectue elle-même tout le procès de conscientisation.

    La comparaison avec l’analyse chimique ressort bien de cette affirmation. “Il faut donc s’emparer des symptômes, les dissoudre”. Elle est extraite du chapitre  La thérapeutique analytique  du livre Introduction à la psychanalyse, p. 431. On y trouve un exposé succinct de ce qu’est une psychanalyse selon S. Freud. Sur ce même thème on peut consulter La question de la l’analyse profane.

[61]. Je reviendrai sur cette question de l’angoisse de la mort et sur la non explicitation de divers thèmes dans l’ouvrage de S. Freud. Ainsi il écrit “... dans l’inconscient, chacun de nous est persuadé de son immortalité”. p. 26. Est-ce une illusion ou l’indication de quelque chose de plus profond, comme celle de la continuité avec la totalité?

[62]. Idem, p. 39. Il est intéressant de noter dans la traduction du latin, la substitution de supporter par maintenir, et de arme-toi par organise-toi.

[63]. “Mais il se peut que cette croyance à la nécessité interne de la mort ne soit encore qu’une des illusions que nous nous sommes forgés  “pour supporter le fardeau de l’existence”. Au-delà du principe de plaisir, in Essais de psychanalyse, Ed. PBP, p. 90. La partie finale de la phrase est une citation de La fiancée de Messine de Schiller.

[64]. L’inquiétante étrangeté  in L’inquiétante étrangeté et  autres essais, Ed. Folio Essais, p. 246.

[65]. Idem, p. 252. Le mot dont parle S. Freud pourrait êtreUnheimische mais il semble que ce soit encore Unheimliche. Ce qui est essentiel c’est la présence dans les deux mots de Heim  qui a le sens de domicile, de foyer, de chez-soi.       

[66]. Un enfant est battu  in Oeuvres complètes, Ed. PUF, t, XV, p. 146.

[67]. Ceci nous fait penser au personnage de Léto, dans le cycle de Dunes  de Frank Herbert, qui porte en lui une foule d’êtres.

[68]. Dans Advenir  je montrerai comment l’ontose se greffe sur une affection de l’homme, de la femme en tant qu’individualité et Gemeinwesen, puisque l’être est une réduction. Toutes les théories de l’être sont en fait des théories de l’ontose. Il ne s’agit pas de rejeter l’ontose pour accéder à l’être, mais il faut retrouver ou accéder à la totalité dont ce dernier est la réduction.

[69]. “Eh bien, nous aussi, faisons une première fois retour en arrière et demandons-nous si toutes ces spéculations ont un fondement quelconque”. Au delà du principe de plaisir,  in Essais de psychanalyse, PBP, p. 86.

    La peur de spéculer qu’il dut surmonter semble avoir été une peur induite, une peur contre lui-même, ce qui l’insécurisait. Dans une lettre du 07.06.1915 à James Putnam il déclare: “... ma façon de me limiter à ce qui est à la portée de main, le concret, qui, en fait est souvent mesquin (...), je redoute la grande incertitude. Plus timoré que courageux, je sacrifie allégrement bien des choses au sentiment d’être sur un terrain solide”. Cf. Métapsychologie et métabiologie, o.c, p. 111. En définitive la spéculation allait lui permettre d’atteindre un certaine certitude, sinon dans l’immédiateté, du moins dans le domaine théorique.

[70]. Je passe volontairement de l’enfant au nous pour signifier l’universalité du phénomène.

[71]. Idem, p. 49. Toutes ces catastrophes sont des supports pour rejouer le traumatisme. Ceci prend une ampleur considérable de nos jours avec la catastrophe écologique, celle nucléaire, celle génétique...

[72]. Au delà du principe de plaisir, in Essais de psychanalyse, p. 45.

[73]. Idem, p. 45.

[74]. “J’ai toujours été sensible aux idées de G.Th. Fechnier et j’ai d’ailleurs pris appui en des points importants sur ce penseur”. Sigmund Freud présenté par lui-même, folio / essais, p. 100.

   Dans le Dictionnaire de psychanalyse de E. Roudinesco et M. Plon, nous trouvons des indications fort intéressantes au sujet de G.Th. Fechner (1801-1887) - voir article à ce nom. “Personnage faustien, il expérimenta sur lui-même ses propres découvertes en traversant une sorte de crise mystique à laquelle Henri F. Ellenberger donna le nom de névrose créatrice”. En 1834, il est professeur de physique à Leipzig. “Pendant les trois années  suivantes, il sombra dans un état mélancolique qui le contraignit à renoncer à son enseignement et à vivre presque sans s’alimenter dans une pièce aux murs peints en noir. A la suite de cet épisode il connut une brève période d’exaltation. Il se croyait l’élu de dieu et se persuada qu’il avait inventé un principe universel aussi fondamental pour l’univers que celui d’Isaac Newton. En 1848, il lui donna le nom de principe de plaisir. Après sa guérison, il abandonna la physique pour la philosophie. Il affirmait que la “terre était un être vivant, que la conscience était diffuse dans l’univers et que l’âme était immortelle. C’est pour donner un fondement expérimental à ses travaux sur la relation de l’âme à la matière qu’il publia en 1860 ses Eléments de psychophysique “. En 1873 il théorisa le principe de conservation (ou de stablité) de l’énergie. L’affinité de S. Freud pour G.Th.Fechner ne provient pas uniquement des travaux de ce dernier.

 [75]. Cette évocation de Bouddha n’est pas fortuite. S. Freud dans cette même oeuvre nous parle de principe de Nirvana.

[76]. Chaque fois qu’il est devant une difficulté, il retourne à l’étude des rêves.

[77]. Idem, p. 50. Ceci met bien en évidence l’état hypnoïde engendré par le traumatisme.

[78]. Idem, p. 51.

[79]. Idem, p. 59.

[80]. Ici s’annonce la notion de ça. Le destin apparaissant comme un ça extériorisé.

[81]. Idem, pp.61-62. Un peu plus loin il parle de l’”éternel retour du même”.

[82]. Idem, p. 80.

[83]. Idem, p. 112.

[84]. Cf. le slogan des franquistes: Vive la mort!

[85]. Idem, p. 82. Ainsi la vie apparaîtrait comme un traumatisme pour la matière; en conséquence la matière vivante  tend à redevenir matière inerte, abiotique. Cette conception n’est possible que s’il y a un dualisme inerte-animé. Or tout est vie dans l’univers. En conséquence également, l’auto-conservation permet d’assurer à l’individu sa propre voie vers la mort. “...  ce sont des pulsions (celles d’auto-conservation, n.d.r) partielles destinées  à assurer à l’organisme sa propre voie vers la mort et à éloigner parmi les possibilités de retour à l’inorganique celles qui ne sont pas immanentes”. Idem, p. 83. Curieuse façon d’assurer une immanence, et quel escamotage de la fonction de la mort au sein du procès de vie.

     Dans Le moi et le Ca, nous trouvons une formulation plus explicite. “Les deux pulsions se comportent là, au sens le plus strict, de façon conservatrice, puisqu’elles tendent à la conservation d’un état qui a été perturbé par l’apparition de la vie”. Cf. Essais de psychanalyse, p. 254.     

[86]. Idem, p. 104. Anticipons et citons un texte de 1924 qui explicite ce qui vient d’être rapporté. “ Le principe de Nirvana exprime la tendance de pulsion de mort”. Le problème économique du masochisme, cité dans Vocabulaire de la psychanalyse,  o.c, p. 332. Toutefois les auteurs de cet ouvrage ont raison de faire noter que “Dans cette mesure le “principe de Nirvâna” désigne autre chose qu’une loi de constance ou d’homéostase: la tendance radicale à ramener l’excitation au niveau zéro, telle que Freud l’avait jadis énoncée sous le terme de “principe d’inertie”.

          D’autre part le terme de Nirvâna suggère une liaison profonde entre le plaisir et l’anéantissement, liaison qui est restée pour Freud problématique ( voir: Principe de plaisir)”. Idem, p, 332. A mon avis ce principe est la reconnaissance théorique de l’état hypnoïde

           Notons que s’impose chez ce dernier une certaine confusion et que nous serons amenés à revenir sur tout cela, particulièrement dans Advenir.

[87]. Idem, p. 77. Alors qu’il y a un pare-excitations protégeant contre les excitations provenant de l’extérieur. Dans cette perspective, on peut dire qu’hommes et femmes rejouent avec, comme support, l’automobile qui possède un pare-chocs avant et un arrière. Toutefois dans leur voiture, souvent remplis d’un sentiment de puissance, ils sont encore à la merci de chocs internes. En faisant cela, ils se souviennent inconsciemment que les excitations internes, les remontées, dérivent initialement d’un choc externe, plus précisèment, d’un choc qui les pose interne par rapport à un externe.

[88]. Idem, p. 81.

[89]. Dans un roman de science-fiction on pourrait envisager que des savants parviennent à ce que les introns puissent s’exprimer. Dés lors il serait possible de faire ressurgir toutes sortes d’espèces depuis très longtemps disparues!

[90]. Dans Advenir , je montrerai que tout rejouement a, dans une mesure plus ou moins importante, la dimension d’un déjouement. Il manifeste, de façon inconsciente, une volonté de conjurer ce qui s’est passé et de faire autrement.

[91]. Je reviendrai sur l’importance de ce rapprochement.

    “L‘univers se répète sans fin et piaffe sur place. L’éternité joue imperturbablement dans l’infini les mêmes représentations.” A. Blanqui,L’éternité par les astres, 1871.

    “Cette vie, telle que tu la vis actuellement, telle que tu l‘as vécue, il faudra que tu la revives encore une fois, et une quantité innombrable de fois...L’éternel sablier de  l’existence sera retourné toujours à nouveau - et toi avec lui, poussière des poussières”. F. Nietzche, Le Gai Savoir, 1881.

     “Mais si ce sont les mêmes éléments de chaque monde qui servent, après sa destruction, à en reconstituer d’autres, il est aisé de comprendre que les mêmes combinaisons, c’est-à-dire les mêmes mondes habités par les mêmes êtres, ont dû se répéter bien des fois... Ombres des temps passés qui sembliez évanouies pour toujours dans la brume des âges et que la baguette magique de la science évoque à son gré, n’espérez pas le repos, vous êtes immortelles”. G. Le Bon, L’homme et les sociétés, 1881.

      Ces citations ont été faites par A. Rey dans l’avant-propos à son livre Le retour éternel et la philosophie de la physique,  Ed. Flammarion, 1927, p. 7. Donc à la fin  du XIX° siècle, le thème de l’éternel retour - ce que S. Freud englobe dans la compulsion de répétition - tend à nouveau à s’imposer. Il est important de noter l’apport de G. Le Bon qui participa au mouvement d’affirmation de l’inconscient.

    L’éternel retour a beaucoup d’affinité avec l’idée d’une pluralité de mondes peuplés de diverses humanités. “ En tous sens, je le sais, sur ces mondes lointains / Pèlerins, comme nous des pâles solitudes, / Dans la douceur des nuits tendant vers nous les mains, / Des humanités soeurs rêvent par multitudes”. Jules Laforgue. Il est étrange que ces humanités soient signifiées par le rêve.

[92]. “Cette conception de la pulsion est bien étrange: nous sommes habitués à voir dans la pulsion le facteur qui pousse vers le changement et le développement  et voici que nous devons y reconnaître précisément le contraire, l’expression de la nature conservatrice  du vivant”. idem, p. 80.

[93] . Plaidoyer pour Staline, publié dans il programma comunista, n°14, 1956; traduction dans Invariance, série I, n°5, p. 69. De son côté L. Wittgenstein a écrit. “ Toute explication est une hypothèse”. Remarques sur le Rameau d’Or de Frazer, Ed. l’Age d’Homme, 1982, p. 15. Nous verrons ce qu’elle contient. Pour le moment, signalons l’incertitude.

[94]. Idem, p. 89.

[95]. Le concept de travail occupe une grande place dans l’oeuvre de S. Freud. Le mot travail, Arbeit en allemand, se retrouve dans divers verbes: aufarbeiten  semble exprimer l’idée de travailler à la suite d’une imposition, d’une contrainte; durcharbeiten  exprimerait l’idée  de devoir travailler à travers une réalité pour en atteindre une autre; ausarbeiten  contiendrait l’idée d’un travail qui opère une séparation; verarbeiten  voudrait traduire l’idée qu’il est impossible de devenir sans un travail; bearbeiten affirmerait l’idée  que l’existence est travail. Tous ces verbes lui servent à dire comment inconsciemment il est travaillé.

[96]. Il y a là un pléonasme qui est révélateur. Le refoulement est un phénomène inconscient qui rend inconscient ce qui, conscient, serait insupportable.

[97]. Idem, p. 101.

[98]. Je ne pense pas exprimer là une compulsion à citer. Je désire mettre en évidence en profondeur ce qui préoccupe S. Freud.

[99]. Idem, p. 106, en ce qui concerne aussi la citation précédente. Notons que dans ce cas, la pulsion tendrait à rétablir une intégrité, comme dans le cas où un animal  régénère un organe perdu. Mais il y a une différence importante: l’animal parvient à ses fins, l’homme, la femme, non. Et le rejouement, la compulsion de répétition, traduit l’effort toujours renouvelé et toujours inopérant. Un travail de sysiphe. Pour exprimer cela S. Freud aurait peut-être utilisé le verbe bearbeiten, exister par la médiation du travail, persister grâce à lui.

[100]. Idem, p. 101. C’est exactement la suite de la citation signalée à la note 76. Le dualisme apparaît comme l’expression de la pulsion de vie, de l’auto-conservation, le monisme comme celle de la pulsion de mort, celle du retour à l’état antérieur.

[101]. Idem, p. 108.

[102]. Idem, p. 113. A partir de cela peut s’opérer un glissement important. Le véritable plaisir est dans la mort. D’où le slogan franquiste: vive la mort.

[103]. Idem, p. 114.

[104]. Dans une lettre à R. Rolland du 04.03.1923, il affirme: “ Non pas que je considère cet écrit comme particulièrement réussi, mais il indique le chemin qui mène de l’analyse de l’individu à la compréhension de la société”. Cité par P. Gay, o.c, p. 463.

[105]. Ceci sera abordé ailleurs avec une prise en compte des théoriciens de gauche comme de ceux de droite.

[106]. Dans une note il se délimite de G. Lebon. “Nous ne nions certes pas que le noyau de l’héritage archaïque” de l’âme humaine, soit inconscient, mais nous distinguons en dehors de lui le “refoulé inconscient” qui est issu d’une partie de cet héritage. Le concept de refoulé manque chez Le Bon”. Psychologie des foules et analyse du moi, in Essais de psychanalyse, o.c, p. 130. La note ne semble pas avoir été rajoutée donc au moins dés 1921 S. Freud a acquis le concept de ça.

        On doit noter qu’à la fin du siècle dernier le concept d’inconscient tend à prendre des déterminations nouvelles, grâce à la réflexion d’un grand nombre de théoriciens. S. Freud n’est pas isolé bien que son approche soit entièrement originale et fondatrice. Dans son livre La droite révolutionnaire 1885-1914,  Ed. Gallimard, folio / histoire, Zeev Sternhell, montre l’importance de ce qu’il nomme La découverte de l’inconscient au sein des courants de droite. Cf. particulièrement pp. 179-197.

[107]. Idem, p. 131. On peut trouver le texte de G. Lebon dans l’édition Quadrige / PUF, p. 141.

[108]. Idem, p. 137, en ce qui concerne S. Freud, p. 76, pour G. Lebon.  Le texte cité de G. Lebon est extrêmement riche. Outre le concept de paralysie il y a, d’abord, celui d’étonnement trés important par exemple pour la tragédie grecque. Or, celle-ci selon Aristote visait une catharsis, concept qui fut repris pas S. Freud et J. Breuer qui l’accompagnèrent de celui d’abréaction. Ensuite, il y a celui de respect qui est engendré par le sacré généraeur également de  la terreur. Nous sommes ici en présence de phénomènes essentiels se mettant en place avec l’instauration de l’état hypnoïde.

          G. Lebon met également en évidence le phénomène de régression. “ Par le seul fait qu’il fait partie d’une foule, l’homme descend donc plusieurs degrés de l’échelle de civilisation”. P. 14. Or ce phénomène est lui aussi lié à l’état hypnoïde.

[109]. Idem, pp. 148-149.

[110]. Cela n’élimine pas les raisons techniques, thérapeutiques qui ont également présidé, et ce de façon consciente, à l’abandon de l’hypnose. Dans Introduction à la psychanalyse, dans le chapitre La thérapeutique analytique, il signale les inconvénients de l’hypnose: aspect magique, pas utilisable pour tous; on ne sait pas pourquoi ça marche; possibilité de récidive de la maladie, ou remplacement par une autre; possibilité d’engendrer une dépendance si l’hypnose est répétée; méconnaissance des causes de la maladie. L’hypnose escamote la mise en place du transfert; or c’est sur la manifestation de celui-ci que repose la pratique psychanalytique. Toutefois la suggestion n’est pas absente dans la mise en place du transfert. Or celle-ci apparaît comme l’euphémisme de l’hypnose. Le rapport de S. Freud à cette dernière n’est donc pas clair, mais il manifeste sa pulsion d’emprise ou de maîtrise, Bemächtigungstrieb, puisque “c’est nous qui guidons sa suggestion (du malade, n.d.r) dans la mesure où, d’une façon générale, il est accessible à son action”. p. 429.

[111]. Idem, pp. 136-137.

[112]. Idem, pp. 170-171.

[113]. Idem, p. 179. “Férenczi a découvert avec justesse qu’en donnant l’ordre de dormir, souvent utilisé pour induire l’hypnose, l’hypnotiseur se met à la place des parents”. Idem, P. 195. Comment peut-il écrire cela et escamoter le réel? Comment peut-il escamoter qu’il est demeuré sous l’emprise de sa mère? A ce propos ce n’est pas un hasard s’il a théorisé l’existence d’une pulsion d’emprise, Bemächtigungstrieb. “Freud  entend par là une pulsion non sexuelle, qui ne s’unit que secondairement à la sexualité  et dont le but est de dominer l’objet par la force”. Vocabulaire  de la psychanalyse, p. 364. Les auteurs, J. Laplanche et J.B. Pontalis font remarquer: “...qu’à côté du terme Bemächtigung, on trouve fréquemment celui assez voisin dans sa signification, de Bewältigung.  Ce dernier mot, que nous proposons de traduire par “maîtrise”, est plus généralement employé par Freud pour désigner le fait de se rendre maître  de l’excitation, qu’elle soit d’origine pulsionnelle ou bien externe, de la lier”. Idem, p.p. 365-366. Il conviendra d’insister sur ces deux termes car on doit noter que le premier est formé à partir de Macht, la puissance, le pouvoir, la force mais aussi l’autorité, tandis que le second est constitué à partir du verbe walten  qui signifie gouverner. On voit bien la parenté entre les deux puisque pour gouverner il faut avoir le pouvoir. Le contenu de cette parenté est une causalité. Il y a donc lieu de voir. De même en ce qui concerne le fait que sur walten  se construit un autre  verbe gewaltigen  qui signifie se rendre maître, et vergewaltigen  signifiant faire violence, violer. Autrement dit il serait intéressant de saisir le procés psychique inconscient qui pousse S. Freud à employer certains termes et à en laisser d’autres dans l’ombre, bien qu’ils soient impliqués dans ce procès. Dit clairement qu’elle est la violence qu’il ne veut pas voir, qu’il laisse dans l’ombre. Je répète à dessein ce mot pour signifier qu’il s’impose souvent comme la métaphore de l’inconscient.

    Il y a enfin, une autre interrogation qui s’impose: pourquoi a-t-il utilisé le verbe Bewältigen  plutôt que Gewaltigen qui a le même sens? Peut-être à cause de la particule inséparable be qui donne une idée d’existence, de permanence. Il veut persister dans sa maîtrise.

[114]. Idem, p. 180.

[115]. Ceci dit trés succinctement. Je reviendrai sur ce sujet dans Advenir, en affrontant aussi l’idée de représentant qu’utilise S. Freud pour caractériser la pulsion.

[116]. Idem, p. 188.
[117]. Idem, p. 185.

[118]. “On peut, je crois, tenter de concevoir la névrose traumatique commune comme la conséquence d’une effraction étendue du pare-excitations. On remettrait par là en honneur la vieille et naïve théorie du choc, apparemment en contradiction avec une théorie plus récente et aux prétentions psychologiques plus grandes, qui attribue l’importance étiologique, non à l’action de la violence mécanique, mais à l’effroi et au sentiment d’une menace vitale”. Au-delà du principe de plaisir, o.c, pp. 73-74. Là il parle de lui et se masque. La théorie naïve fait référence à son traumatisme originel qui n’est pas comparable au traumatisme dû à un accident de voiture par exemple. Mais il y a bien choc, choc psychique. En outre ce qu’il escamote c’est que la puissance d’expression de la névrose traumatique dérive du fait que le choc donc il parle est le support d’un choc plus fondamental, celui originel qui dérive du non accueil par la mère.

[119]. Il fait allusion à tous les textes où il a déjà affronté la question, comme L’interprétation des rêves (chapitre 7) ou Au-delà du principe de plaisir, mais certainement aussi à une oeuvre non publiée l’Esquisse.

[120 Le Moi et le Ca, in Essais de psychanalyse , o.c, p. 223.

[121]. D’où la justification maintes fois réitérée de la consommation de drogues qui permettraient d’accéder à l’être réel.

[122]. C’est pourquoi de ce point de vue toutes les oeuvres de S. Freud sont déterminantes. Je donnerai deux exemples: Psychopathologie de la vie quotidienne, Le mot d’espritt et sa relation  à l’inconscient. A partir de là le lecteur peut envisager toutes les autres considérées comme mineures.

[123]. Dans la mesure où inconscient et pathologique sont mis en contiguité et parfois en équivalenc[124]. Je ne fais évidemment que poser sommairement les données du problème. Il sera important, par  exemple,  de déterminer quelle est l’importance du thème de l’hubris et quel est son contenu réel.

[125]. Actuellement les sages hindous considèrent que c’est tout ce qui empêche une bonne transmission de la sagesse traditionnelle, ce qui fait obstacle à l’enseignement. C’est pour cela que certains ont utilisé la pratique freudienne de la libre association pour vaincre les résistances à l’effectuation de ce dernier. C’est ainsi  que  Swami Prajnampad a mis au point le lying.

[126]. Je reviendrai sur ce sujet dans la suite de l’étude de l’évolution de l’aire hindoue dans Emergence de Homo Gemeinwesen.

[127]. Idem, p. 65.

[128]. Cela amène à se poser la question de savoir si un phénomène conscient peut constituer un souvenir. Nous avons déjà signalé à quel point la mémoire pose problème à S. Freud. Son approche de ce phénomène n’est-elle pas déterminée par le fait qu’il se sent assailli par de nombreux souvenirs douloureux qui l’empêchent d’être conscient?

[129]. Idem, p. 67. Deux remarques à propos du contenu de cette citation. Tout d’abord S. Freud raisonne en acceptant la séparation, en la sanctionnant, la fondant. Il parle de système conscient parmi d’autres systèmes. Pour K. Marx, nous l’avons vu, la conscience est l’être conscient. Je rappelle la position de K. Marx pour signaler à partir de quoi je puis fonder ma propre investigation.       

[130]. Ceci a déjà été cité, cf. note 10. Ainsi la théorie freudienne est sous-tendue par une théorie du besoin. Il en est de même pour K. Marx. Dans la dynamique de la révolution conservatrice il faut retrouver un état antérieur qui permette de satisfaire les besoins humains, dans celle de la révolution progressiste il faut créer un état nouveau qui les satisfasse.

[131] Il me semble qu’il y a là une imprécision, à moins qu’il ne s’agisse d’un défaut de traduction, ou d’une erreur typographique. En effet s’il y a un inconscient latent cela implique qu’il en existe un autre manifeste. Etant donné que le second inconscient est le refoulé, cela impliquerait qu’il soit l’inconscient manifeste. Or quelque chose qui se manifeste devient visible, immédiatement perceptible. Ce qui n’est pas le cas.

[132]. Il semble donc que le latent soit l’équivalent d’inconscient. Cependant surgit une autre difficulté: Que veut dire: du point de vue descriptif? L’inconscient ne serait perçu qu’au travers d’une description et non au travers d’un procès réel qu’il désignerait! Ou bien descriptif serait équivalent à superficiel.

[133]. O.c, p. 225.

[134]. Quelque chose n’est latent que parce qu’elle recèle le possible de devenir manifeste. En conséquence on devrait penser que le Pcs serait le manifesté d’un inconscient. Or S. Freud appelle le latent préconscient. En  outre les phénomènes inconscients peuvent être considérés comme existant à l’étant latent, c’est-à-dire, encore une fois, non manifestés, non visibles. Mais lorsqu’ils se manifestent c’est qu’ils sont devenus conscients. Il semblerait que chaque fois qu’un procés inconscient se manifeste c’est qu’il y a eu un trouble psychique.

[135]. Idem, pp. 228-229.

[136]. Je peux ajouter qu’on ignorait. Or, il est intéressant de noter le rapprochement souvent opéré entre ignorance et inconscience. Ensuite se pose une autre difficulté quelle est la validité de la connaissance de ces phénomènes autrefois inconnus. C’est là que peut se loger la thématique d’une fausse conscience, c’est-à-dire d’une fausse représentation. Ce qui revient à dire que l’être devient conscient à travers des représentations. Mais là encore, on pourra dire qu’il peut y avoir des représentations inconscientes, cachées, comme il y a des variables cachées (expression d’un cosmos inconscient). On comprend que S. Freud se soit contenté d’un fanal qui se révèlera parfois peu éclairant.

  Pour revenir à la fausse conscience, j’ajouterai que les représentations biologiques de phénomènes qui nous sont inconscients sont déterminés à leur tour par des représentations inconscientes, de telle sorte qu’il est difficile souvent de leur accorder une validité quelconque. Ainsi j’ai toujours pensé que l’affirmation selon laquelle les neurones ne peuvent pas se multiplier était erronée. A l’heure actuelle ceci est remis en cause, sans que les représentations inconscientes qui la fondèrent aient été mises à jour. Elles sembleraient en relation avec l’idée de dégradation de l’homme, de la femme, au cours de la vie, qui est en connexion avec la représentation de la vieillesse considérée comme une déchéance. Je donnerai un autre exemple: à mon avis la théorisation d’un cerveau gauche et d’un cerveau droit n’a pas un fondement naturel réel, mais est l’interprétation d’un phénomène ontosique.

[137]. Idem, p. 227.

[138]. Idem, p. 228.

[139]. Idem, p. 230. Cela ne clarifie pas beaucoup. Le refoulé n’est-il pas inconscient? Or ce n’est pas de lui qu’il s’agit ici.

[140]. Idem, pp. 235-236. Dans une note il parle de “ce qui dans notre être, est impersonnel et, pour ainsi dire, soumis à la nécessité de la nature”. p. 236.

[141]. Idem, p. 236.

[142]. Idem, p. 237.

[143]. Idem, p. 246.

[144]. Idem, p. 247.

[145]. Idem, p. 247. Cette notion de détresse qui apparaît déjà dans Deuil et mélancolie, va devenir plus présente dans les oeuvres ultérieures. En allemand le terme est Hilflosigkeit, difficilement traduisible. Il indique la faculté de la perte de l’aide. Voilà pourquoi certains traduisent pas désaide. L’importance que prend ce terme signale la régression de plus en plus puissante de S. Freud. Toutefois il l’emploie également avant. “Je vous confie volontiers une idée qui m’est venue juste au tournant de l’année: l’ultime fondement des religions, c’est la détresse infantile de l’homme”. Lettre à S. Ferenczi du 01.01.1910, Sigmund Freud, Sandor Ferenczi, Correspondance, t. I, 1908-1914.

[146]. Idem, p. 248.

[147]. Idem, pp. 249-250. “Le sur-moi est l’héritier du complexe d’Oedipe et le représentant des  exigences éthiques de l’homme”. Selbstdarstellung, p. 99. Ceci explique l’angoisse devant le sur-moi, “Avec l’entrée dans des relations sociales, l’angoisse devant le sur-moi, la conscience morale, devient une nécessité, la suppression de ce facteur devient la source de graves conflits et de dangers, etc. (Inhibition, symptôme et angoisse, Quadrige / PUF, p. 60) et la justification de l’angoisse, la sienne, celle de tous les hommes, de toutes les femmes. Elle devient constitutive de leurs êtres.

[148]. Idem, pp. 251-252.

[149]. Deuil et mélancolie in Métapsychologie, pp. 158-159. Le fait qu’il parle de lui-même se révèlera plus tard, par exemple dans son article de 1936 Un trouble de mémoire sur l’Acropole, que nous aborderons ultérieurement.

[150]. Idem, p.239.

[151]. Le devenir historique a montré qu’il en fut de même pour le matérialisme.

[152]. Le rôle du surmoi apparaît bien dans ce passage de La question de  l’analyse profane. “Le sentiment de culpabilité inconscient représente la résistance du surmoi”. La différenciation du ça en moi et surmoi apparaît comme un vaste mécanisme de défense.

[153]. Je trouve une certaine analogie entre cette oeuvre de S. Freud et le chapitre La formule trinitaire  du livre III du Capital.  En effet K. Marx aborde l’importance des trois éléments fondant la société économique: le capital, le travail salarié et la propriété foncière. Tout d’abord l’analogie peut se faire entre la proprité foncière et le ça, le travail salairé et le moi, le capital et le surmoi. Cependant au cours de son analyse, et c’est là que l’analogie est la plus importante, d’une formule trinitaire on passe de plus en plus à une formule binaire, l’essentiel étant le duel capital-travail salarié. Cette analogie a ses limites puisqu’on peut dire qu’ultérieurement la formule deviendra unitaire: le capital parvenant à la domination totale et s’autonomisant. En outre S. Freud part d’une formule binaire pour aller à une formule trinitaire. L’intérêt de l’analogie est de susciter une réflexion.

[154]. Une névrose diabolique au XVII° siècle  in L’inquiétante étrangeté et autres essais,  p. 270.

[155]. Peter Gay, Freud, une vie, o.c, p. 425. L’auteur précise en note qu’il s’agit d’une lettre du 08.05. 1916.