GLOSES EN MARGE D' UNE RÉALITÉ

III

La fin d'Homo sapiens impose de se préoccuper fondamentalement du procès de connaissance, ce qui pourra laisser penser que nous donnons la priorité aux superstructures, que nous adoptons une position et une démarche idéalistes... Ce serait absurde. En revanche, on pourrait  mettre en évidence le danger de l'immédiatisme. En effet se préoccuper du procès de connaissance, c'est accepter la donnée immédiate actuelle qui est la mise au premier plan de celui-ci, à cause de la fin du cycle de vie de Homo sapiens : le procès qui lui servait de moment médiateur de réinsertion dans la monde s'autonomise et se dissout. Pour ne pas être pâture de l'immédiat, il faut donc intégrer ce moment dans tout le devenir de l'espèce et en même temps poser celui d'une autre. On traitera de tous ces phénomènes dans d'autres travaux; nous voulons simplement indiquer, rappeler, pour le moment, que ce phénomène d'autonomisation du procès de connaissance est en relation avec celui de l'autonomisation, de l'anthropomorphose et de l'échappement du capital, phénomènes qui ne peuvent à leur tour se comprendre qu'au sein de la dynamique de la représentation et de la domestication. En outre, il est important de rappeler que le but du mouvement révolutionnaire fut, tout au moins pendant sa période florissante, de créer une autre représentation exprimée dans le concept de Weltanschauung (conception du monde) parce que la classe prolétarienne saisie dans son mouvement révolutionnaire ne pouvait pas avoir la même représentation que celle de la classe dominante. Toutefois, la réalisation d'une telle représentation fit faillite, ne serait-ce que parce que les révolutionnaires, comme leurs adversaires bourgeois, acceptèrent la science en tant que représentation commune ou neutre. Rares furent ses remises en cause, même si sa relation-dépendance à la classe bourgeoise ou au capital fut envisagée. En revanche, on a eu plutôt tendance à la formation d'une représentation-idéologie fondée sur certains domaines scientifiques, ainsi du darwi­nisme social développé par Kautsky.

 

La question n'est plus d'opposer une conception du monde à une autre, de faire fonctionner le procès de connaissance d'une autre façon, etc.. En effet, il ne peut plus y avoir un tel procès, séparé ou plus ou moins lié à la vie immédiate; il ne s'agit plus de trouver un expédient pour se réinsérer dans la nature et se sécuriser. Un autre procès de vie est nécessaire.

 

L'étude de l'autonomisation du procès de connaissance permet de comprendre la séparation entre l'existence et la connaissance, celle entre les divers domaines de celle-ci aboutissant aux multiples disciplines et sciences et comment chaque domaine séparé, fondé en science particulière, tend à envahir tout le champ du savoir comme pour le fonder de son point de vue; ce qui en même temps montre à quel point le procès de purification (cf. ci-dessus, note 10, p. 44) a séparé des éléments qui normalement devraient être unis. Ainsi ce que l'on désigne comme l'impérialisme des mathématiques traduit en fait que dans tout domaine du connaître et du faire il y a de la mathématique. Ce qui est absurde c'est de l'avoir séparé pour constituer un domaine à part (peut-être que ce ne fut qu'à cette condition qu'il put y avoir un développement des connaissances). Ainsi, si on prend un cas particulier, une production particulière comme le langage verbal, on constate qu'il fait intervenir physique, biologie, mathématique, logique, etc.. Le seul fait de parler devrait permettre simultanément d'atteindre à la connaissance de ce qui relève actuellement de domaines séparés.

 

La perspective n'est pas de réunir ce qui a été séparé. I1 faut retrouver un mode de participation à la nature, au cosmos. C'est ce qu'on essaiera d'exposer en précisant la genèse de Homo Gemeinwesen. Pour l'heure nous voulons exposer un procès de dissolution qui nous interpelle sur notre devenir.

 

 

 

*     *     *

 

 

 

"La peste de 1502 en Provence, qui fournit à Nostradamus l'occasion d'exercer pour la première fois ses facultés de guéris­seur, coïncida aussi dans l'ordre politique avec les bouleversements les plus profonds, chutes ou morts de rois, disparition et destruction de provinces, séismes, phénomènes magnétiques de toute sorte, exodes de juifs, qui précèdent ou suivent dans l'ordre politique ou cosmique, des cataclysmes ou des ravages dont ceux qui les provoquent sont trop stupides, et ne sont pas assez pervers pour désirer réellement les effets.

 

Quels que soient les errements des historiens ou de la médecine sur la peste, je crois qu'on peut se mettre d'accord sur l'idée d'une maladie qui serait une sorte d'entité psychique et ne serait pas rapportée à un virus. Si l'on voulait analyser de près tous les faits de contagion pesteuse que l'histoire ou les Mémoires nous présentent, on aurait du mal à isoler un seul fait véritablement avéré de contagion par contact..." (Antonin Artaud, Le théâtre et son double, Ed. Idées-Gallimard, pp. 24-25).

 

"De ce fait deux remarques importantes doivent être tirées, la première est que les syndromes de la peste sont complets sans gangrène des poumons et du cerveau, le pesteux a son compte sans pourriture d'un membre quelconque. Sans la sous-estimer, l'organisme ne revendique pas la présence d'une gangrène localisée et physique pour se déterminer à mourir.

 

La seconde remarque est que les deux seuls organes réelle ment atteints et lésés par la peste : le cerveau et les poumons, se trouvent tous deux sous la dépendance directe de la conscience et de la volonté." (Idem, p. 28)

 

"De ces bizarreries, de ces mystères, de ces contradictions et de ces traits, il faut composer la physionomie spirituelle d'un mal qui creuse l'organisme et la vie jusqu'au déchirement, comme une douleur qui, à mesure qu'elle croit en intensité et qu'elle s'enfonce, multiplie ses avenues et ses richesses dans tous les cercles de la sensibilité.

 

Mais de cette liberté spirituelle, avec laquelle la peste se développe, sans rats, sans microbes et sans contacts, on peut tirer le jeu absolu et sombre d'un spectacle que je m'en vais essayer d'analyser." (Idem, p. 31)

 

"Dans les maisons ouvertes, la lie de la population im­munisée, semble-t-il par sa frénésie cupide, entre et fait main basse sur des richesses dont elle sent bien qu'il est inutile de profiter. Et c'est alors que le théatre s'installe. Le théâtre, c'est-à-dire la gratuité immédiate qui pousse à des actes inutiles et sans profit pour l'actualité." (Idem, pp. 32-33)

 

"L'état du pestiféré qui meurt sans destruction de ma­tière, avec en lui tous les stigmates d'un mal absolu et presque abstrait, est identique à l'état de l'acteur que ses sentiments sondent intégralement et bouleversent sans profit pour la réalité." (Idem, pp. 33-34)

 

"Saint-Augustin dans la Cité de Dieu accuse cette similitude d'action entre la peste qui tue sans détruire d'organes et le théâtre qui, sans tuer, provoque dans l'esprit non seulement d'un individu mais d'un peuple, les plus mystérieuses altérations." (Idem, pp. 35-36)

 

Ensuite A. Artaud précise sa comparaison entre théâtre et peste. Indiquons, en particulier, ceci :

 

"Comme la peste, le théâtre est donc un formidable appel de formes qui ramènent l'esprit par exemple à la source de ses conflits." (Idem, p. 42)

 

"Comme la peste il est le temps du mal, le triomphe des forces noires, qu'une force encore plus profonde alimente jusqu'à l'extinction." (Idem, p. 42)

 

"Le théâtre comme la peste est une crise qui se dénoue par la mort ou la guérison." (Idem, p. 44)

 

A. Artaud conclue son article "Le théâtre et la peste" de la façon suivante :


"Et la question qui se pose maintenant est de savoir si dans ce monde qui glisse, qui se suicide sans s'en apercevoir, il se trouvera un noyau d'hommes capables d'imposer cette notion supérieure du théâtre, qui nous rendra à tous l'équivalent naturel et magique des dogmes auxquels nous ne croyons plus." (Idem, p. 45)

 

Nous pouvons résumer l'ensemble de ces citations en di­sant que selon A. Arhaud la représentation est déterminante chez les hommes et les femmes; qu'elle est créatrice et qu'il y a une forme de représentation qu'on peut manipuler afin de pouvoir exercer un effet salutaire sur eux : le théâtre.

 

Dans d'autres essais de son recueil, il exprime bien la pérennité du théâtre : "Je ne suis pas de ceux qui croient que la civilisation doit changer pour que le théâtre change..." (Idem, p. 120), et que la société est arrivée à un stade de pourrissement:

 

"Notre théâtre ne va jamais jusqu'à se demander si ce système social et moral ne serait par hasard pas inique.

 

Or je dis que l'état social actuel est inique et bon à détruire.

 

Si c'est le fait du théâtre de s'en préoccuper, c'est encore plus celui de la mitraille." (Idem, p. 60)

 

Ayant ainsi précisée la pensée d'A. Artaud nous pouvons d'autant mieux poser la question de savoir s'il ne faut pas remettre en cause, en réalité, toutes les formes de représentation, en raison des effets nocifs qu'elles provoquent au sein de l'espèce et, en outre -étant donné qu'Homo sapiens a produit des repré­sentations en tant que phénomènes compensateurs au sein de son procès de vie- dès lors que l'on pose la nécessité de l'abandon d'une errance à laquelle a abouti ce procès, ne faut-il pas abandonner ces représentations, ou mieux, ne disparaîtront-elles pas d'elles-mêmes?

 

Je n'ai pas l'intention d'affronter ces questions qui nous amèneraient à analyser entre autres, les positions de Platon ou de Rousseau au sujet des arts et tout particulièrement à propos de la littérature; je veux simplement signaler la problématique qui s'impose si l'on réfléchit en profondeur sur l'importance et le rôle de la représentation, en ajoutant que justement Platon et Rousseau sont restés à la superficie du phénomène. C'est pour le montrer et montrer en même temps la pertinence des remarques de A. Artaud que je voudrais indiquer quelques faits d'ordre psychologique et biologique qui mettent en évidence à quel point la représentation est déterminante pour l'espèce.

 

Avec G. Groddeck on constate que la représentation est fondamentale et surtout qu'elle n'est pas un simple produit du cerveau, mais qu'elle est engendrée par tout le corps par un mécanisme non dévoilé dont l'opérateur est le Ça.

 

"Je pense que l'homme est vécu par quelque chose d'inconnu. I1 existe en lui un "Ça", une sorte de phénomène qui préside à tout ce qu'il fait et à tout ce qui lui arrive." (Le livre du Ça, Ed. Gallimard, p. 20)

 

"… l'être humain est vécu par le Ça."

 

"... Nous ne connaissons de ce Ça que ce qui s'en trouve dans notre conscient." (Idem)

 

Il en découle que la maladie non seulement est en rapport avec la représentation (toute maladie est psychosomatique) mais est une représentation engendrée par l'organisme dans son entier. Ce qui conditionne une attitude tout à fait différente vis-à-vis d'elle.

 

"Pour qui, comme moi, voit dans la maladie une manifestation de vie de l'organisme, elle n'est plus une ennemie. I1 ne lui vient plus à l'esprit de vouloir combattre la maladie, il n'essaie pas de la guérir, je vais plus loin, il ne la traite même pas...

 

     "Dès l'instant où j'ai constaté que la maladie est une création du malade, elle devient pour moi la même chose que sa démarche, sa manière de parler, le jeu de physionomie de son visage, ses gestes de mains, le dessin dont il est l'auteur, la maison qu'il a construite, l'affaire qu'il a conclue ou le cours de ses pensées: un symbole significatif des puissances qui le régissent et que je chercherai à influencer si je considère que c'est nécessaire....

 

"Je tâcherai de découvrir pourquoi et dans quel but son Ça a recours au moyen de mal parler, mal écrire, mal construire, en un mot à la maladie et ce qu'il entend exprimer par là..." (Idem, pp. 292-293)

 

"La maladie ne vient pas de l'extérieur, l'être humain l'a produite lui-même; il n'utilise le monde extérieur que comme un instrument pour se rendre malade, choisit dans son inépuisable arsenal d'accessoires tantôt le spirochète de la syphilis, demain une écorce d'orange, après demain une balle de fusil et dans une semai­ne un refroidissement pour se procurer à lui-même une douleur. Il le fait toujours avec l'intention d'en éprouver une jouissance, car en sa qualité d'être humain, il est dans sa nature de se sentir coupable et vouloir écarter ce sentiment de culpabilité par l'autopunition; parce qu'il veut éviter Dieu sait quelle incommodité." (Idem, p. 295)

 

Pour comprendre la théorisation de Groddeck, il faut tenir compte qu'il n'accepte que comme un pis aller la conception indivi­dualiste de la vie, selon laquelle le monde vivant serait formé d' un ensemble d'individus.

 

"Pour commencer je vais vous faire une communication affligeante: à mon avis il n'y a pas de Ça tel que je l'ai supposé; je l'ai fabriqué de toutes pièces. Mais parce que je m'occupe essentiellement et exclusivement de l'humanité, des êtres humains, je suis obligé d'agir comme s'il existait, détachés du Dieu-nature, des individus appelés hommes. Je dois faire comme si cet individu était isolé du reste du monde par une espace vide, afin qu'il prenne vis-à-vis des choses qui sont en dehors des limites qu'il s'est lui-même fixées une position indépendante. Je sais que c'est faux; je ne m'en tiendrai pas moins fermement à l'hypothèse que chaque être humain est un Ça individuel, avec des limites définies, un commencement et une fin." (Idem, p. 279)

 

L'affirmation d'un continuum, d'une communauté, confère à la représentation selon Groddeck une vaste ampleur, mais elle demeure dans l'indéterminé et, à la limite, dans la mystique [1].

 

Dans les travaux de A. Janov (dont l'œuvre, comme celle de A. Lowen, ne peut se comprendre sans l'étude de celle de W. Reich, et que nous citons à titre d'exemple), il y a une tendance à expliciter comment la représentation peut affecter l'organisme.

 

H.B. Miller rapporte dans Science Digest (juillet 1970): "Je soupçonne que le cancer est en réalité un trouble généralisé, la tumeur elle-même étant une manifestation locale du processus tout entier". Il explique de quelle façon la tension affecte l'hypophyse et l'hypothalamus, qui produisent alors des sécrétions qui affectent finalement les cellules du corps. Il attribue l'éventualité du développement d'une tumeur à des troubles métaboliques (d'origine émotionnelle) qui stimulent de façon excessive les tissus et les cellules jusqu'à la désorganisation des structures. I1 envisage l'inversion de la croissance la tumeur grâce à des traitements émotionnels. J'ai souvent pensé que le cancer était "la folie" de la cellule"; des cellules qui ont échappé à tout contrôle à cause de la pression primale. Cette pression doit finalement nous affecter sur le plan cellulaire." (L'amour et l'enfant, Ed. Champs Flammarion, p. 110)

 

Il serait intéressant de trouver comment l'émotion peut parvenir à perturber à ce point le mécanisme biologique. Ceci réside, au moins en partie, dans une dérégulation du mécanisme immunitaire.

 

Une expérience décrite dans un article de l'International Herald Tribune du 10.01.85: "Les réflexes conditionnés montrent que le cerveau contrôle les défenses immunitaires", permet de comprendre comment la représentation peut agir. Elle consiste à faire sentir à des souris une certaine odeur (celle du camphre) et de leur injecter immédiatement après une substance (Poly I.A = polyinosinic-polycytidilic acid) qui a comme propriété de provoquer l'apparition de cellules tueuses (lymphocytes T qui détruisent les cellules) et de les activer. Au bout de 10 séances, les souris étaient exposées uniquement à l'odeur du camphre. Dans tous les cas, elles présentaient un accroissement de l'activité des cellules tueuses.

 

L'auteur de l'article reportait ensuite d'autres travaux mettant en évidence le rôle du cerveau et celui de la dominance (ainsi il a été remarqué que les gauchers souffraient plus souvent que les droitiers de troubles du système immunitaire). L'article se terminait par l'affirmation que le cerveau contrôlait l'ensemble de la vie de l'être humain et par une remarque sur l'importance de la représentation: un docteur peut induire la mort d'un patient en convaincant ce dernier qu'il est en train de mourir, ou qu'il peut guérir à l'aide de placebos [2]

 

En rester là est insuffisant car ce n'est pas prendre en considération la totalité de la représentation. Tout d'abord nous avons une représentation du système immunitaire qui est déterminé par l'ensemble des schèmes cognitifs prévalant dans la communauté actuelle et qui sont le produit d'un long passé. En effet, cette représentation est fondée sur la mise en évidence qu'il y aurait un Soi formé de l'ensemble des cellules composant l'être vivant. Ces dernières posséderaient des marqueurs dits marqueurs du Soi leur permettant de se reconnaître et d'être identifiées. Tout élément non porteur d'un tel marqueur serait un non-Soi. Cela concerne aussi bien les éléments venant de l'extérieur, les allogènes: antigène et allergènes (la différence entre les deux dérivant des diverses réactions qu'engendre leur pénétration dans l'organisme) que des éléments internes: cellules mal formées ou dégénérescentes par exemple.

 

Une première remarque s'impose: cette représentation dérive du fait que nous avons accepté depuis longtemps la dichotomie intérieur-extérieur et que nous considérons fondamentalement que les rapports entre êtres vivants sont des rapports de conflits. La représentation immunitaire dépend de celle de l'extranéité de l'espèce par rapport â la nature.

 

Acceptons cette représentation et voyons comment des perturbations en son sein vont déterminer des réactions chez les hommes et les femmes.

 

Des enfants élevés dans une communauté où soit l'individu n'existe pas (là où il y a communauté, il n'y a pas d'individu), soit il n'est pas encore autonomisé, le système immunitaire ne va pas être activé, exalté de la même façon que celui des enfants élevés dans des sociétés où l'individu est devenu prépondérant. Dans ce dernier cas, il y a une exaltation du Soi telle qu'il y a sécrétion pour ainsi dire d'une intolérance qui fait que la moindre variation par rapport â la norme (définie par les marqueurs du Soi) peut entraîner une hyperactivité du système immunitaire qui opérera contre ce qui vient de l'extérieur, pouvant conduire à divers types d'allergie, mais également contre les éléments internes, pouvant aboutir aux maladies auto-immunes. Dans ce cas, des cellules immunitaires s'attaquent à d'autres cellules de l'organisme et les détruisent provoquant des déficits fonctionnels importants: le diabète juvénile serait dû à une destruction des cellules béta de Langerhans du pancréas.

 

Il est clair que ceci n'agit pas de façon automatique et qu'il y a divers systèmes médiateurs. Toutefois il est remarquable de constater â quel point, dans nos sociétés occidentales hyperindividualisées, on a des maladies auto-immunes, en même temps que règne le délire de l'ego [3].

 

Le phénomène peut opérer en sens inverse c'est-à-dire qu'au lieu d'une exaltation on a une dépression du système immunitaire. Dans ce cas l'élément déterminant provient du conflit entre la représentation instillée en l'individu et la réalité ou entre représentations.

 

Au sein de la représentation politique il y a exaltation de l'individu tandis que la réalité montre à quel point il est écrasé par la communauté du capital (ou dissout en elle). Cette contradiction paralyse en quelque sorte le système immunitaire. Il nous faut ajouter, toutefois, qu'on peut avoir l'effet contraire: un raidissement de l'individu qui s'autonomise toujours plus en édifiant des barrières, en augmentant son intolérance.

 

Le conflit entre représentations peut s'opérer entre celle en place et celle déterminée par un comportement non accepté ou simplement toléré par cette dernière. Le SIDA est l'exemple parfait d'une maladie découlant d'un tel conflit. Le syndrome du déficience d'immunité acquise a d'abord été trouvé chez les homosexuels qui sont des gens en bute avec la représentation dominante et une pratique qui les tolère. Ensuite on a découvert cette maladie dans des pays qui ont été totalement bouleversés par de vastes conflits au cours de ces dernières années, comme le Zaïre. Les vieilles communautés se sont effondrées avec leurs représentations; hommes et femmes se sont entassés dans des bidonvilles, en une promiscuité difficilement supportable. Comment le système immunitaire n'aurait-il pas sombré dans ce cas?

 

On doit toutefois signaler qu'il est fort curieux de constater avec quel acharnement les savants étasuniens veulent démontrer que l'agent causal (un ou plusieurs virus) serait originaire de l'Afrique et non des USA, afin de ne pas ternir l'image du pays. Là encore la représentation est déterminante: elle doit sécuriser.

 

Il est certain que les maladies "modernes" seront de moins en moins les maladies cardio-vasculaires qui sont les conséquence d'un mode de nourriture aberrant et d'un tempo de vie trop frénétique, mais les maladies de la représentation comme le Sida. Aussi cela ne nous étonne pas qu'il progresse de façon irrésistible.

 

La crise de la représentation opère à deux niveaux: individuel comme nous l'avons mentionné plus haut, communautaire dans la mesure où ce qui fondait la communauté, le capital, est mort.

 

    Il n'en reste pas moins dira-t-on qu'il y aurait un agent causal organique au Sida (le virus lab par exemple) qui détruirait les lymphocytes T tueurs ou les lymphocytes T auxiliaires ayant pour rôle d'activer les lymphocytes B aptes à produire les anticorps etc., et qu'ainsi l'élément déterminant serait de nature biologique. Reste alors à expliquer l'origine de ce virus. Cette dernière ne peut être envisagée qu'en relation avec une dérégulation du procès de vie total qui engendre une dissolution de l'être vivant -comme on l'a déjà exposé- et ceci est la conséquence du mode de vie hors nature de l'espèce. En outre, il faut comprendre pourquoi est-ce le système immunitaire qui est le plus touché.

 

Certains ont avancé que le Sida pourrait être la conséquence d'une pratique médicale: la recherche sur le cancer. Des savants australiens auraient fait remarquer que les premiers cas de cette maladie auraient été signalés près de centres de primatologie où l'on expérimente le cancer sur des singes. Le virus Lab ou son concurrent serait un rétrovirus qui aurait échappé au contrôle humain [4]

 

Quoi qu'il en soit cela ne remet pas en cause l'importance de la représentation. En effet les travaux récents sur l'immunité ont montré la multiplicité de relations qui existent entre le système nerveux et le système ou réseau immunitaire, comme l'expose G. Gachelin dans "Emotions et immunité" (La Recherche,177) qui écrit :

 

"Le lien entre émotion et immunité est sans doute là, dans cette capacité d'intégration des cellules lymphoïdes, de signaux émis par le système nerveux et d'autres organes, en réponse à des informations -émotionnelles ou non- extérieures. Reprenant ici une opinion de C.B. Pert, il semble que si les neuropeptides sont les messagers d'un réseau psychosomatique, leurs effets s'appuient sur le réseau immunitaire." (p. 666)

 

De l'ensemble des articles de ce n° consacré à Les défenses du corps humain, il émerge en définitive que le réseau immunitaire ne sert pas uniquement à la défense de l'organisme, mais serait un système d'intégration, de positionnement de celui-ci dans le continuum vital, qui fonctionnerait d'ailleurs en symbiose avec les milliards de microorganismes (principalement des bactéries) présents dans le corps de tout homme et de toute femme.

 

Si le système nerveux, surtout par l'intermédiaire du cerveau, intervient dans le procès de l'évolution (cf. Prélude), son action est probablement relayée par le système immunitaire, car c'est le système qui permet de produire une réponse à l'environnement, réponse qui n'est pas seulement de l'ordre du rapport de l'être vivant au milieu, mais du rapport de ce dernier au premier et même une réponse interne, c'est-à-dire opérant dans les limites de l'être vivant. C'est grâce à lui que se réalise l'intégration de ce dernier dans le milieu; il signifie une adaptation puisqu'une adaptation est une modalité d'intégration dans la totalité.

 

On peut le concevoir comme étant le support du Ça de G. Groddeck, parce que toutes les cellules ont en fait des aptitudes immunitaires. Elles ont toutes la possibilité de se situer dans le tout de l'organisme en même temps qu'elles sont l'expression de celui-ci [5].

 

   Le système immunitaire opère en tant que système de défense quand l'équilibre est détruit par un accident tel qu'une blessure, une agression psychique, etc..

 

L'importance de la représentation se décèle également dans le fait qu'elle constitue un piège où hommes et femmes s'empêtrent. Ce dernier joue de façon à ce qu'ils se conduisent de manière à entrer en contradiction avec la dynamique de la vie.

 

La représentation du système immunitaire dépend de celle des relations entre êtres vivants qui seraient régies par la concurrence, l'antagonisme. Or les recherches scientifiques tendent à montrer qu'un grand nombre de relations relèvent plutôt de la symbiose, c'est-à-dire d'une entraide. On a déjà signalé la théorie endosymbiotique de la formation de la cellule; on voit poindre une théorie similaire en ce qui concerne la formation du noyau. En effet on a mis en évidence que beaucoup de transposons (gènes baladeurs,c'est-à-dire gènes n'ayant pas une position fixe sur les chromosomes) pourraient être des virus. De même on a observé des virus incorporés au génome d'une bactérie, etc..[6]

 

En conséquence il y a heurt entre le procès réel et le procès de représentation. En outre, le mode de vie actuel favorise la dissolution du premier, accéléré par le heurt sus - indiqué. Ainsi dans le cas du Sida on peut penser que le rétrovirus est un transposon autonomisé et qu'il résulte non d'une agression, mais d'un dérèglement du fonctionnement dans lequel opèrent système nerveux et système immunitaire et qui acquiert une importance considérable à cause de la pratique des greffes.

 

On doit noter en premier lieu que le phénomène du rejet, chaque fois que le greffon ne provient pas d'un être ayant même génotype (cas où il provient du porte-greffe lui-même ou de son jumeau) montre bien le rôle intégrateur du système immunitaire. Toutefois on ne s'est pas demandé pourquoi il n'en est pas de même chez les végétaux...

 

En second lieu, on doit signaler que les savants tendent à donner une base naturelle au phénomène, à lui trouver une justification naturelle, pour pouvoir ensuite l'autonomiser. Pour cela ils ont fait appel à la relation essentielle entre le fœtus et la mère.

 

Á ce propos, il convient de noter à quel point la représentation est ici déterminante. Prenons le cas de la relation au cours de la parturition. Si le fœtus  est considéré comme passif, c'est le "travail" de la femme qui est fondamental; s'il est considéré comme actif et la femme seulement comme un réceptacle, c'est son activité qui le sera, les contractions de l'utérus n'étant qu'un adjuvant; si enfin on considère que le fœtus et la mère sont actifs, la parturition résulte d'une coopération synergique entre les deux au cours de laquelle le phénomène de contact est prépondérant .

 

En ce qui concerne les relations fœtus-mère durant tout le cours de la gestation, il y a eu un certain nombre de savants pour considérer le premier comme un parasite de la seconde. De nos jours -et nous revenons au cœur de notre sujet- on tend à considérer la gestation comme relevant d'un phénomène de greffe qui ne serait pas accompagné de rejet. La mère tolèrerait le fœtus  et ceci s'effectuerait grâce au placenta (cf. La défense du foetus contre sa mère de G. Chaouat, La Recherche177).

 

Le concept de tolérance acquiert ici une dimension opératrice déterminante, comme il l'a dans d'autres domaines. Il indique l'addition au sens assembliste du terme entre l'ensemble mère et l'ensemble fœtus et le ET de cette intersection est incarné par le placenta, ce qui montre à quel point le savoir actuel est dominé par une vaste manipulation tautologique inavouée et difficilement avouable [7].

 

Il est clair que de telles représentations ne furent possibles qu'à partir du moment où l'on a perdu la compréhension que si l'embryon puis le fœtus ont besoin de la femme pour advenir à la pleine réalisation de l'enfant, la femme, à son tour, a besoin de l'embryon puis du fœtus pour advenir à sa pleine réalisation tant sur le plan biologique que psychologique (je me limite à dessein à la relation mère-enfant; mais je n'occulte en rien l'importance du père et des relations réciproques entre lui et les deux autres).

 

S'il existe donc à l'état naturel un cas de greffe réussie, on peut justifier toutes les greffes comme étant des cas analogues, mais où l'homme intervient pour provoquer une inmuno-dépression qui permet la tolérance d'un greffon.

 

Ceci posé, le procès d'autonomisation peut s'enclencher. I1 conduit déjà à des manifestations spectaculaires dont une qui, si elle parvient prochainement à sa pleine réalisation, ridiculisera par son effectivité le débat sur la maternité: la greffe d'un embryon chez un homme. La paternité aurait dès lors sa concrétude immédiate comme dans le cas de la maternité. La gestation sera une tolérance, expression parfaite de la domestication, en même temps son effectuation sera le résultat d'une combinatoire reproductive-reproductrice qui, dans tous les cas, peut aller très loin, puisqu'une jument a pu accoucher d'un zèbre. Qui nous dit que demain les hommes et les femmes devenus misanthropes, au sens plein, ne pourront pas engendrer leurs animaux favoris.

 

Si on tient compte en outre de la pratique de la location d'utérus et de l'utilisation d'embryons congelés, on comprend qu'alors le phénomène de tolérance devra opérer sur une vaste échelle puisqu'il n'y aura plus aucun lien naturel fondant les relations entre les êtres. Ce sera encore plus nécessaire lorsque la génération in vitro aura été mise au point et diffusée.[8]

 

Notons simultanément la contradiction entre l'exaltation de l'unicité de l'individu qui implique de lui reconnaître des limites strictes et un système immunitaire puissant et la nécessité de déprimer ce dernier afin de rendre les individus interchangeables, c'est-à-dire qu'ils peuvent échanger et changer les pièces-organes dont ils sont composés. Il faut qu'ils se tolèrent. Dès lors pourra pleinement se développer le théâtre de la démocratie (comme pourrait le dire A. Artaud!) désormais évanouie, les individus, son support, ayant eux-mêmes disparu. Le théâtre est représentation de l'advenu. De nos jours, il est d'autant plus nécessaire qu'il faut apprendre à vivre au sens strictement littéral du terme. Toute innéité est transformée en acquis, soit par élimination (qui peut impliquer un refoulement) soit par une mise en évidence, avec extériorisation, qui permet d'autonomiser et de manipuler; toute immédiateté est supprimée, il faut donc apprendre, acquérir. C'est ici que réside une autre manifestation hypertélique du devenir de Homo sapiens: il y a hyperdéveloppement de l'acquis, de la réflexivité. L'espèce n'est plus à même de comprendre l'immédiat; il faut toujours qu'elle se le représente; elle tend de plus en plus à vivre à posteriori, dans le théâtre qui va être enseigné de façon systématique.

 

Ici nous avons la convergence avec la publicité qui est mise en spectacle de l'activité de l'espèce et dont le développement implique que tous les hommes et toutes les femmes deviennent ses acteurs. Alors, la tautologie sera pleinement réalisée.

 

La greffe devient la pratique paradigmatique par excellence de la communauté actuelle, car elle autorise la combinatoire la plus complète. Elle permet de surmonter en outre une contradiction entre le fait d'affirmer l'importance de l'immunité en tant qu'aptitude à discerner le Soi du non-Soi et la pratique de la vaccination en masse. Il devrait y avoir, au contraire, une hyperindividualisation des traitements médicaux afin de mieux préserver le Soi. Si on tend à aborder la pratique médicale à partir d'une mise en place de greffes, on exalte à la fois le Soi et on le manipule afin qu'il y ait tolérance et jeu possible de relations entre les membres de la communauté.

 

Notre époque se caractérise par le triomphe de la combinatoire, la perte des stéréotypes anciens et, de ce fait, le développement d'un mobilisme. Nous l'avons déjà envisagé. Ajoutons seulement qu'en ce qui concerne les rapports entre les hommes les femmes on en arrive à l'heure actuelle à un stade de plus ou moins grande indifférenciation sur le plan biologique lui-même. En conséquence la représentation acquiert toujours plus d'importance pour permettre aux membres de la communauté d'accomplir leur cycle de vie. Celle-ci a été produite à partir du début de ce siècle à l'aide de l'apport de différentes théories psychologiques, tout particulièrement par 1a psychanalyse qui a permis un déracinement, une dépossession de l'espèce. L'inconscient qu'on peut considérer comme un complexe de défense et de maintien de l'être contre ce qui tend à le nier, à le domestiquer, a été dévoilé et mis sur le marché. Nous l'avons vu ailleurs, le procès du capital s'est emparé de cette dimension notamment au travers de la publicité. Hommes et femmes ne sont plus protégés par cet écran. Les maladies atteignent directement le système immunitaire.

 

Au sujet de l'inconscient il s'agit aussi bien de celui individuel que de celui collectif selon Jung, compendium d'archétypes qui guideraient hommes et femmes dans leur pratique vitale. Ce dernier a non seulement été banalisé, consommé, mais rendu absolument inopérant par suite de l'interchangeabilité. Reste une solution:  opérer une combinatoire au niveau des archétypes et donc produire une autre représentation du cheminement de l'espèce.

 

Divers psychanalystes démontrèrent que pour pouvoir vivre en société, hommes et femmes devaient ériger des barrières, et l'on pourrait ajouter qu'ils devaient élaborer des systèmes de compatibilité leur permettant de reconnaître ce qui leur était proche de ce qui leur était hostile: des espèces de marqueurs. Pendant quelques années on a considéré que l'érection de barrières était l'apanage de sujets sains puisque effectivement cela leur permettait de s'intégrer dans l'ensemble social. En revanche, A. Janov - avec juste raison - démontre que cela traduit la maladie mentale. L'être sain est sans défense.

 

L'individu doit se défendre contre une agression perpétuelle engendrée par le milieu où il vit. Plus il érige une carapace, plus il parvient à subsister et plus il devient malade et irréel. Son irréalité est par rapport à un procès naturel (les besoins réels dont parle A. Janov), tout ce qui est encore en continuité avec la dimension biologique. Or dans la mesure où ce procès est manipulé, que peut-il advenir? Opérer une tolérance entre les deux procès. En outre, il est même concevable que les barrières puissent être manipulées comme des prothèses dans une combinatoire où l'être humain pourra tour à tour être sain et malade ou les deux à la fois (théâtralisation de la vie).

 

Il est clair que ce qui permet à Homo sapiens de survivre c'est l'imagination, faculté qui engendre une réalité représentative et concède à l'espèce la capacité de s'intégrer. Grâce à elle cette dernière produit des symboles -quantités discrètes qu'elle peut manipuler pour construire la représentation. Cette faculté opère dans tous les domaines et ce d'autant plus que la coupure avec la nature est puissante. Elle est à la base de l'art, de la philosophie, des mathématiques, de la maladie. Pendant une longue période de l'histoire de Homo sapiens, cette faculté a bien opéré en tant qu'intermédiaire. La méfiance qu'elle suscitait chez les hommes et les femmes contribuait à la limiter dans ce rôle, mais depuis quelques années elle s'est autonomisée et devient despote des deux extrêmes : Homo sapiens d'une part, la nature d'autre part.

 

C'est au moment où l'on parvient à faire sauter les barrières dont se hérissent les hommes et les femmes, qu'elles sont peut-être le plus nécessaires du fait de la promiscuité qui devient de plus en plus oppressante à[9] cause de l'accroissement énorme de la population et surtout en raison de sa concentration en des agglomérations immenses et fort denses. Mais peut-être est-ce une nécessité au niveau de la communauté en place afin qu'il y ait tolérance entre tous.

 

Si l'on pose l'existence d'une communauté humano-féminine en liaison immédiate avec la nature, toute la problématique immunitaire actuelle disparaît. Alors le toucher étant réactivé, en tant que fonction déterminante au sein du procès de vie de l'espèce, un nouveau lien peau-système nerveux (particulièrement le cerveau) se produira.

 

La peau a elle aussi un rôle dans le phénomène immunitaire. Actuellement elle opère dans la mécanique du rejet (il est question, ici, de l'organisme en son entier), elle opèrera ultérieurement dans le sens de l'intégration non seulement au niveau des membres de la communauté immédiate, mais à celui de la totalité englobant celle-ci et la nature. La jonction à cette dernière, au cosmos pourra s'effectuer. Ceci implique que la représentation qui a servi de référentiel, celle du réseau immunitaire c'est-à-dire celle qui est fondée sur les concepts d'attaque et de défense (donc d'adversaire, d'ennemi, etc..) dérivant de l' arsenal militaire aura totalement été abandonnée.

 

Il nous faut vivre en adéquation avec les autres espèces. Le réseau immunitaire envisagé non plus à l'échelle individuelle mais à l'échelle de l'espèce apparaît (comme on l'a déjà noté) comme un moyen de positionnement dans le continuum vital qui résulte autant d'une lutte-limitation du développement de certaines espèces, que d'une entraide avec d'autres.


En revanche au sein de la communauté actuelle où l'individu se dissout, en même temps qu'il y a absorption de l'Etat, disparition des classes, le système intégrateur est la publicité.

 

*     *     *

 

 

 

Comme on l'a vu dans Gloses en marge d'une réalité II, la publicité intègre un grand nombre de pratiques. Dans un premier temps l'intégration a porté sur un ensemble de conduites en rapport avec le mouvement de la valeur (qui sera étudié dans 1e chapitre 9 de Émergence de Homo Gemeinwesen). En conséquence, nous n'indiquerons aujourd'hui que les éléments nécessaires à la compréhension de notre approche du phénomène publicitaire.

 

Tout d'abord il convient de citer la question du rapport ainsi que du passage de l'immédiateté à la médiateté, et la nécessité d'une représentation pour que le mouvement de la valeur se développe.

 

Lorsqu'il y a un simple don qui fait passer un objet d'un membre à un autre d'une communauté, il y a immédiateté; il y a plus exactement réalisation-actualisition d'une participation et 1'essentiel, c'est la relation affective: le maintien de la participation.

 

Dès qu'il y a échange, l'immédiateté n'est plus suffisante; la réalité de la chose doit être complétée par un autre élément afin de mettre le tout en mouvement.

 

Il semblerait que ce soit dans le cas de l'échange entre communautés très différentes qu'il put y avoir une simple exposition des produits. Certains membres d'un peuple commerçant disposaient les biens sur une plage, par exemple, et se retiraient. Ultérieurement les membres du peuple autochtone venaient prendre ce qui leur convenait et mettaient à la place certains de leurs produits.

 

Pour que la valeur surgisse, puisse se réaliser ( une fois qu'elle s'est incarnée dans un produit donné), il faut que les produits soient montrés, exposés [10], ce qui impliquera:

 

1. L'organisation de lieux de rencontre où acheteurs et vendeurs (à l'origine la séparation entre les deux pouvait ne pas jouer: un même personnage pouvant tour à tour être acheteur et vendeur) pouvaient entrer en contact avec les divers produits.

 

2. L'établissement de signes pour repérer les points particuliers où se faisaient les échanges et signifier ce qu'était l'objet de l'échange, d'où la pratique de mettre une enseigne au-dessus de l'entrée d'un magasin par exemple (à ce propos il est important de noter la parenté entre enseigne et enseigner [11]).

 

Par suite de l'élargissement du champ de production de la valeur, donc des produits qui l'incarnent, il fallut rendre ceux-ci de plus en plus concurrentiels (c'est-à-dire aptes à triompher au cours d'une lutte qui est la concurrence) c'est pourquoi fallut-il rendre plus attractifs tant les produits que les organismes qui les engendraient (ceci se manifeste en grand à l'heure actuelle avec la question des marques). Ainsi au sein du procès de circulation du capital s'individualisa une sorte de procès de valorisation (ce qui implique que c'est parfaitement explicable en termes marxiens), qui se présente sous l'aspect de marchandage avec baratin, charlatanisme, etc..

 

Le phénomène de la valeur s'enclenche sur celui du pouvoir qui, au départ, est puissance d'exister, de signifier une présence, pour devenir ensuite puissance d'exercer une action sur les hommes et les femmes. Les deux phénomènes s'imbriquent et on va avoir, en tenant compte simultanément du devenir considéré dans sa totalité, le pouvoir que confèrent les choses grâce à leur acquisition (donc problème de la propriété privée) et le pouvoir sur les choses, sur les hommes et les femmes. Dès lors la simple existence ne suffit plus, il doit s'ajouter l'opinion sur cette existence, le prestige qu'elle engendre, la renommée, ce qui a pour complémentaire la propagande pour l'accroître, l'ostentation et le prosélytisme (le racolage); dans tous les cas la manipulation de l'idéologie (segment de la représentation totale visant à avoir un impact, à assurer une justification).

 

Cette interaction entre divers pouvoirs explique la consommation ostentatoire -phénomène opérant encore- qui réactualise dans une certaine mesure la pratique du potlach, sans oublier toutefois que dans le cas de ce dernier se manifeste également une dynamique de négation de l'autonomisation de la valeur.

 

Ainsi ce qui s'ajoute à la réalité immédiate du produit n'est pas seulement ce que G. Lagneau appelle un "faire-valoir" (La sociologie de la publicité, QSJ n° 1478) mais également un pouvoir d'attraction apte à se transformer en incrément de pouvoir, de puissance pour celui qui s'approprie ce produit.

 

Les deux types de pouvoir, politique et économique, ne vont pas -en dehors de certaines périodes- avoir un devenir séparé. Il y eut des phénomènes d'union dont les plus importants se produisirent lorsque la monnaie fut frappée à l'effigie d'un potentat, indiquant par là que le pouvoir politique reconnaissait, garantissait le pouvoir économique et tentait de l'annexer, puis lors de la naissance du capitalisme industriel avec le salariat qui implique l'union du mouvement de la valeur et celui de l'expropriation des hommes et des femmes. Alors: "La valeur d'échange s'est assujetti le mouvement social. Les hommes entrent dans des rapports de production dont le but n'est plus la valeur d'usage, mais la valeur d' échange." (J. Camatte, Capital et Gemeinwesen, Ed. Spartacus, p. 160).

 

Dès lors va s'initier la réalisation de la domination formelle du capital sur la société, qui est grosse de la domination réelle car ce n'est qu'en produisant l'État qui lui est adapté que le capital peut dominer hommes et femmes et l'ensemble de leurs relations.

 

Toutefois même dans ce cas une certaine extranéité s'impose entre le pouvoir économique et le pouvoir politique et donc le phénomène social continue à persister. Ceci s'abolit avec l'apparition du marketing, espèce de phénomène de rétrocontrôle apte à opérer dans la sphère économique, comme dans celle politique et qui permet à la publicité d'atteindre sa forme achevée tandis qu'elle est à son tour l'expression la plus parfaite de la représentation, englobant les représentations politique, économique, artistique, scientifique, etc.. Dans le marketing s'exprime parfaitement le phénomène de l'autonomisation à partir de la phase intermédiaire, le marché, puisqu'on peut considérer qu'avec lui, ce dernier -surtout dans sa dimension représentative- devient l'élément central des divers faits économiques actuels.

 

Rappelons en outre qu'à la base de tout nous avons la réification et l'anthropomorphose du capital avec l'évanescence actuelle de la première et la réalisation d'une combinatoire où sont mis en mouvement sur le même plan pouvoir sur les choses et pouvoir sur les hommes, pouvoir des hommes et pouvoir des choses.

 

Lors de la domination formelle du capital sur la société, le pouvoir politique tend à être englobé dans des phénomènes économiques, ou si l'on veut 1'accès à ce pouvoir se fait par la médiation du phénomène économique. Mais cela n'abolit pas les classes et la structure hiérarchique sociale d'où, en même temps qu'il y a prolétarisation, massification et homogénéisation, une réaction se produit consistant en une tentative de différenciation: les individus veulent sauver leur pouvoir. On doit noter que curieusement, il y a naissance, à peu près simultanément, à la fin du XVIII° siècle de la mode et de l'esthétisme, ce qui ne fut possible que parce qu'il y avait encore des rôles assez distincts au sein de la société.

 

Lors du passage de la domination formelle à la domination réelle entre 1914 et 1945, tout particulièrement aux USA, tout va être bouleversé; ce qui ne veut pas dire que les antiques pratiques vont être éliminées. Elles vont être intégrées dans un autre système. Le livre de Stuart Ewen, Consciences sous influences: publicité et  genèse de la société de consommation, Ed. Aubier Montaigne, le montre fort bien.

 

Au sortir de la guerre de 1914-18, les problèmes suivants se posent aux USA: liquider le mouvement révolutionnaire en rapport avec la révolution de 1917; intégrer le flot d'immigrants -intégration d'autant plus nécessaire que ce sont les ouvriers fraîchement arrivés qui sont souvent les plus à la pointe de la lutte contre le capital; faire pénétrer la consommation des produits engendrés par le capital dans tous les foyers parce que la production est devenue une production de masse et ne peut pas être résorbée par une seule classe (ce qui est un présupposé à la dissolution des classes). Pour les résoudre il faut produire un déracinement total (la séparation est un procès essentiel dans le concept de capital) des hommes et des femmes afin qu'ils abandonnent leurs antiques rapports sociaux, leurs modes de faire, tout particulièrement au sein des foyers; en même temps ce déracinement permet de détruire les bases révolutionnaires des divers groupes s'opposant au capital.

 

L'objectif sera atteint non pas par une démarche purement réactionnaire, en tant que s'opposant au mouvement révolutionnaire, grâce à une féroce répression comme ce fut le cas au début des année 20, mais en intégrant certaines revendications de ce mouvement.

 

Les idéologues du capital présentèrent la production de masse -la seule apte à permettre la consommation pour tous- comme étant la réalisation de la société d'abondance et presque celle du communisme où prendrait effectivité la formule A chacun selon ses besoins, à chacun selon ses capacités. Ils présentèrent aux femmes ce même phénomène comme étant celui apte à les libérer des antiques sujétions et, dans cette démarche, ils rencontrèrent l'aide de certaines féministes.

 

Quel fut le médium pour accéder aux cerveaux des hommes et des femmes: la publicité. Les publicitaires sont les vrais missionnaires du capital.

 

"L'ambition qu'elle [la publicité, n.d.r] s'était fixée consistait à abolir les coutumes ancestrales, (à) faire tomber les barrières des habitudes individuelles." (affirmation reportée par Stuart Ewen dans 1e livre cité, p. 33)

 

Durant tout le XIX° siècle le salariat avait été remis en cause de façon parfois violente. La riposte des capitalistes et de l'État fut toujours très virulente, mais elle ne suffisait pas à produire la stabilité, comme cela se vérifia encore dans les années 20 de ce siècle. D'autres méthodes étaient nécessaires.

 

"C'est après 1910 qu'on voit apparaître les programmes dits de "bien-être", lancés par les industries pour stabiliser les masses laborieuses.... leur véritable objectif est d'activer le zèle des travailleurs; ils incluent des cours de langue et de civisme destinés aux immigrés, où l'on ne manque pas de mettre l'accent sur la discipline dans l'industrie." (p. 30)

 

En liaison avec l'expansion de la notion de contrôle, on se mit à explorer activement les moyens de faire participer les gens au système industriel en dehors du travail à l'usine. Les sociologues de la belle époque, tout comme les critiques sociaux progressistes commencèrent à répandre l'idée que le contrôle social des travailleurs devait déborder le cadre professionnel et s'exerce jusque dans les communautés locales et les structures où vivent les populations laborieuses". (p. 30)

 

On a là une belle description du passage à la domination réelle du capital sur la société:

 

"C'est dans ce contexte que la publicité moderne prit ses véritables dimensions et qu'on vit émerger un marché de consommation de masse. Jusqu'alors, la classe ouvrière avait préservé en grande partie sa culture spécifique" (pp. 32-33)

 

On voit donc apparaître avec netteté la notion de contrôle qui doit affecter la totalité de la vie en premier lieu des prolétaires, en second lieu de tous les hommes et de toutes les femmes. Sa forme la moins contraignante et la plus efficace, la régulation, est assurée par la publicité.

 

Elle va opérer de la façon suivante: déraciner hommes et femmes de leurs anciens rapports sociaux et adapter ces déracinés à l'univers implacable dans lequel ils sont: la société capitaliste.

 

"Alors que les annonces ne cessaient de brosser un tableau où chacun ne pouvait plus faire confiance à personne (même pas à soi-même) dans son entourage immédiat, les grandes sociétés étaient présentées comme une alternative aux communautés qu'on désignait comme rongées par le soupçon: les gens s'y protégeaient les uns des autres... Le monde familier au "consommateur" était en fait présenté sous le signe d'une peur justifiée." (p. 103)

 

À l'époque des années vingt, les annonceurs cherchaient souvent à se donner une réputation de philanthropes. Ils présentaient la vie privée comme une série de catastrophes imprévisibles; en même temps des campagnes "d'images" cherchaient à montrer l'entreprise comme lieu où s'étaient réfugiées la stabilité et la confiance: c'est ce qu'on appelait la publicité de "bonne volonté."" (p. 106)

 

Pour réaliser leurs objectifs les publicitaires firent appel à la psychologie:

 

"Seule une théorie générale des instincts pouvait atteindre un public de masse, avec un seul type de messages. Comme ils avaient pour tâche de bâtir une publicité de masse pour écouler une production de masse, les publicitaires accueillirent avec plaisir les travaux des psychologues qui mettaient en forme ces conceptions générales." (p. 47)

 

"Pour justifier la thèse selon laquelle l'homme développe dès l'enfance son sens de l'identité, Allport [psychologue social n.d.r] soutenait que "notre conscience réflexive reflète surtout celle que les autres ont de nous... L'idée que j'ai de moi-même est faite de celle que je me figure que mon voisin a de moi." Cette conception des individus comme objets permanents d'un examen social critique et minutieux, on la retrouve en filigrane dans un nombre d'argumentaires des annonces de l'époque." (p. 47)

 

     Cette psychologie est celle de l'homme de la concurrence, de la méfiance, du doute de soi, etc.. Elle récupère le vieil examen de conscience jésuitique, l'antique introspection, etc..

 

"Les annonces tiraient systématiquement parti des angoisses qu'éveille "instinctivement" la vie sociale" (p. 51) Stuart Ewen cite (même page) une telle annonce:

 

"Vous serez étonnée de voir combien de fois en une seule journée on regarde vos ongles. Derrière chaque coup d'œil il y a un jugement sur vous... En effet, il y a des gens qui ont pris l'habitude de juger leurs nouvelles connaissances surtout à ce détail là."

 

L'autocritique, la critique réciproque, le mouchardage qui sévirent et, surtout, qui furent prônés lors de la révolution culturelle en Chine (et bien avant en URSS) avaient aussi pour but de déraciner de vieux comportements. Ils ne furent probablement pas aussi efficaces que la publicité étasunienne.

 

Dans les deux cas, le résultat visé était de mettre hors circuit, d'exclure celui ou celle qui ne se plie pas aux impératifs de la nouvelle société.

 

Cette autocritique généralisée s'accompagne d'un envahissement  de la psychologie  avec épanouissement  d'une psychologie directive:

 

"La publicité mettait en scène des femmes qui s'observaient en permanence, et toujours avec un regard critique." (p. 173),

 

"Si nous comprenons les mécanismes et les mobiles propres au fonctionnement de l'esprit de groupe, il devient possible de contrôler et d'embrigader les masses selon notre volonté et sans qu'elles en prennent conscience..." (E. Bernays, neveu de S.Freud cité par S. Ewen, p. 91)

 

Les psychologues seraient alors les véritables directeurs de conscience occultes. C'est ce que tendent à devenir (tout au moins vouloir le devenir) les publicitaires actuels.

 

La cible la plus visée fut la femme:

 

"Les publicitaires étaient sensibles aux statistiques que, en 1929, 80 pour cent des achats familiaux étaient l'affaire des femmes, et sentaient que c'était par l'intermédiaire des femmes que la nouvelle culture de masse se diffuserait le mieux." (p. 164)

 

La publicité opéra en faisant une glorification profonde de la femme, en exaltant, par exemple, sa puissance sexuelle :

 

"Elle usait sans vergogne du nu voilé et montrait des figures féminines dans des poses auto-érotiques de manière à encourager les femmes à prendre conscience d'elles-mêmes et à leur rappeler la primauté de leur sexualité." (p. 175)

 

En même temps que s'effectuait cette exaltation des femmes afin de mieux les séparer, les autonomiser du corpus social, une opération de culpabilisation était mise au point en ce qui concerne toutes celles qui conservaient leurs antiques comportements les rendant inaptes à leur intégration dans la société du capital. Dans ce cas, la publicité a utilisé la même stratégie et la même tactique que vis-à-vis des immigrés.

 

"La "publicité anti-dote", et autres procédés empiriques, furent mis au point pour chasser de vieux préjugés qui n'avaient plus leur place dans le style de vie de la société moderne et industrielle. Souvent, ces annonces étaient conçues de façon à rendre le lecteur honteux de ses origines et, par conséquent, des réflexes et des conduites qui trahissaient son appartenance étrangère." (p. 55)

 

"L'école Sherwin Cody, où l'on apprenait l'anglais, avertissait qu'il était légitime de se voir tenu à l'écart en raison d' un langage imparfaitement maîtrisé…" (p.55)

 

En ce qui concerne les femmes, il s'agissait d'un phénomène d'une plus grande portée encore car il s'agissait réellement du sort de la production des marchandises du capital:

 

"Parlant du pain cuit à la maison, le journaliste G.A. Nichols disait que c'était 1e plus grand obstacle au progrès qu'ait rencontré la boulangerie industrielle, et il conseillait que les campagnes publicitaires proposent des "antidotes" pour venir à bout de la panification à domicile." (p. 159)

 

Le grand slogan sera celui de la libération, par la réduction du temps de travail. Mais en fait cette libération s'accompagnera d'une dépendance plus puissante vis-à-vis de la nouvelle société. Ainsi Stuart Ewen fait remarquer: 

 

"Alors que les épouses de la génération précédente se fiaient à leur expérience personnelle pour la plupart de leurs travaux ménagers, des annonces comme celle-ci réduisaient ce mode de connaissance à l'état de superstition." (p. 160)

 

L'opération de déracinement-libération se fît en deux temps: d'abord il s'est agi de faire honte [12] (d'où l'utilisation de l'autocritique et de l'espionnage mutuel) afin de provoquer un abandon de la conduite ancienne, puis on présenta ce dernier comme une libération (qui crée une dépendance). Stuart Ewen cite ce slogan: "Notre rôtisseuse a libéré 465 000 foyers... pour toujours du soin de surveiller et de retourner les rôtis." (p. 159)

 

L'objectif, répétons-le, était de provoquer le passage de la vieille économie domestique à une économie où la technique, voire la science, aurait une importance essentielle :

 

Christine Frederik, l'idéologue de cette économie à la fois domestique et scientifique, écrivait:

 

"J'affirme que la vraie réussite d'une marque se mesure au fait que la propriétaire, ou l'utilisatrice de l'objet en question, a été capable de passer d'elle-même d'une technique artisanale à un processus mécanique."

 

"Qui se chargera d'apprendre aux femmes à sortir de l'âge artisanal pour devenir des opératrices, sinon les fabricants?" demandait-elle (p. 161).

 

Ceci fait écho à cette affirmation : "que la consommation de masse a fait de la "ménagère moderne" [...] beaucoup moins une ouvrière spécialisée qu'une entrepreneur en mode de vie." (p. 165)

 

Ainsi on a deux glorifications de la femme: une sur le plan de la sexualité ce qui permet de l'utiliser en tant qu'objet de séduction, et une autre sur le plan de la nouvelle activité consommatrice où elle est exaltée en opposition à l'homme. Cette double opération permettra de mieux la séparer (en la privant de sa base) et de l'autonomiser en détruisant les reliquats de la structure sociale patriarcale.

 

Dès cette époque se manifeste également la volonté d'intégration de la créativité :

 

"Vers la fin des années vingt, la littérature économique marque une tendance de plus en plus nette à présenter les conduites de consommation sous les dehors d'une activité créatrice." (p. 165)

 

La culpabilisation dont il a été question plus haut n'infirme pas ce que nous avons dit dans Gloses en marge d'une réalité II au sujet de l'action fondamentalement déculpabilisatrice et briseuse d'interdits de la publicité. Il s'agit en fait de deux moments se complétant.

 

Il y a culpabilisation de la femme afin de lui faire abandonner la vieille structure, les vieilles conduites. Elle a un effet de distanciation, séparation. La déculpabilisation en revanche opère avec une plus vaste ampleur car elle s'affronte à un comportement qui a ses racines dans un lointain passé et surtout elle permet l'acquisition ininterrompue de nouvelles conduites, permettant et justifiant la consommation effrénée.

 

C'est surtout dans cette dernière entreprise que les féministes collaborèrent avec les publicitaires, car il s'agissait de détruire les anciens rôles et les anciennes images de la femme; voilà pourquoi la publicité intègre dès lors une dimension révolutionnaire. Particulièrement révélatrice est cette annonce datant de 1920:

 

"Dans le coin supérieur droit est dessiné un nu féminin, les bras ouverts et tendus vers le soleil, mais la figure principale et centrale montre une femme allongée au bord de sa baignoire, robe de chambre ouverte, offrant sa nudité à la nourrissante caresse de la lampe solaire Alpine et à son "message d'un intérêt vital", comme on va le voir:

 

Si vous aviez une vie libre... si vous pouviez aujourd'hui vous débarrasser des contraintes du conformisme social, ne satisferiez-vous pas d'abord ce désir inné d'ultraviolet? Ne déjoueriez-vous pas les pièges de la civilisation pour passer des jours de vigueur et de santé dans la bienfaisante lumière du soleil?

 

Les non-conformistes n'ont généralement pas les moyens de se conduire ainsi. Mais les rayons ultraviolets qui forment la partie vitale du rayonnement solaire peuvent être apportés directement chez vous grâce à la Lampe solaire Alpine, si justement réputée." (pp. 191-192)

 

Il est amusant de constater à quel point la publicité a repris le comportement illuministe, soit de la science, soit de la religion chrétienne, pour triompher des vieilles représentations, quitte à les utiliser à ses fins, une fois qu'elle en a triomphé. Ainsi après avoir ridiculisé les confitures faites par les grands-mères lorsqu'elles empêchaient la diffusion des confitures faites industriellement, la publicité restaure la figure de la grand-mère et s'en sert comme référent de qualité qu'elle exhibe dans des slogans où il est question de confitures faites comme les réalisaient grand-mère, etc.. (à noter en même temps la transformation d'une pratique en représentation, ce qui permet la meilleure autonomisation).

 

Un autre élément de la publicité que Stuart Ewen met en évidence c'est l'utilisation d'une opposition entre les générations pour faire triompher les produits nouveaux, etc., dans un chapitre dont le titre est très évocateur La jeunesse comme idéal industriel.

 

"La publicité adressait directement aux enfants certains de ces messages, préférant ces "pages blanches" à l'univers de leurs parents dont les préjugés étaient souvent plus tenaces." (p. 145)

 

Elle jouait sur une opposition des enfants aux parents.

 

En 1922, la société Pepsodent interpellait les parents par une annonce qui disait: "Souffriront-ils du tartre comme vous en avez souffert? " (p. 146)

 

Déjà se profilait une "filiarchie" ou gouvernement par les jeunes!

 

Enfin la publicité, en ces années vingt, se proposa de réaliser le grand rêve de presque tous ceux qui étaient venus aux USA: réaliser l'utopie, en revendiquant un changement social, un monde meilleur ce qui effectivement, au niveau le plus bas, définit le  désir d'utopie.

 

Les publicitaires se présentèrent également comme les vrais révolutionnaires:

 

"En prenant pour cible les "révolutionnaires" qui menaçaient le capitalisme de l'intérieur, White retourna complètement la notion qu'on s'en faisait alors. I1 soutenait que les "vrais révolutionnaires" étaient les publicitaires qui redonnaient une valeur actuelle à la tradition insurrectionnelle de l'Amérique." (pp. 54). En soutenant le New-Deal, les publicitaires pensèrent mettre en pratique cette prétention.

 

Ainsi la publicité devait remplacer les discours pompeux des "Pères fondateurs": "White comptait la publicité au nombre des institutions culturelles sacrées et confiait à ses officiants la garde du patrimoine national." (p. 54)

 

Ainsi les phénomènes essentiels se sont déjà produits dans ces années vingt; toutefois il semble qu'un certain compromis se soit en définitive instauré entre les exigences de la société capitaliste et l'antique tradition.

 

"L'idéologie publicitaire opposait les hommes aux femmes sur le point de savoir qui devait assurer les revenus, mais elle les rapprochait à travers une conception marchande de la sexualité. C'est en cela que le salariat se combinait avec une économie domestique à base de troc." (p. 177)

 

Dans les années 60 ce compromis allait sauter. Les rapports vraiment capitalistes déterminèrent alors la conduite de tous les acteurs de la société. Entre-temps la guerre avait enrayé le phénomène publicitaire.

 

Nous avons déjà en d'autres articles insisté sur la fonction domesticatrice de la seconde guerre mondiale. On peut ajouter ici qu'elle fut une publicité intégrale effective puisqu'elle mobilisa l'ensemble de la population, tandis que ceux qui furent réfractaires à sa persuasion furent éliminés.

 

La seconde guerre mondiale opère une brisure dans un développement qui ne reprend vraiment puissamment que dans les année 60, On a signalé ce phénomène dans d'autres domaines, de telle sorte que l'on peut dire que la société permissive, dont parla H. Marcuse à la fin des années 60, a ses présuppositions dans la décennie 20 de ce siècle.

 

On doit noter qu'il y a un élément de continuité: l'exaltation de la femme. En effet les impératifs de 1a guerre conduisirent à glorifier sa fonction génitrice et à contribuer à son émancipation en provoquant l'entrée de beaucoup de femmes dans le circuit de la production.

 

Tous ces phénomènes contribuèrent en même temps à diminuer l'importance de l'homme et ce n'est pas étonnant si, à l'heure actuelle -en fonction également d'autres facteurs au sujet desquels nous reviendrons- de plus en plus de foyers étasuniens sont privés de pères [13].

 

La fin de la seconde guerre mondiale marque l'initiation de la phase de domination réelle du capital sur la société et ce à l'échelle mondiale à cause, en particulier, de 1a réalisation de la domestication du prolétariat et par suite de la généralisation des formes, originellement développées aux USA, dans tout l'Occident; ce qui fait que l'élément déterminant est bien le capital. Deux phénomènes successifs vinrent renforcer sa domination: les révolutions anti-coloniales dont la phase essentielle s'effectua entre 1945 et 1962, le développement de ce,que faute de mieux on peut nommer urbanisation en Occident ainsi que dans les pays africains ou en Asie et Amérique latine.

 

En ce qui concerne ce dernier phénomène il convient de le considérer séparément en fonction de deux groupes de pays: ceux qui ont déjà un long passé capitaliste et ceux qui soit n'en ont pas ou en possèdent un réduit.

 

Envisageons le premier groupe. Il est bien difficile de parler d'urbanisation puisqu'il n'y a pas de ville. Celle-ci impliquait l'existence d'un territoire bien défini. De nos jours on devrait parler de réseaux urbains soit le long des côtes, en rapport avec le tourisme (exemple le pourtour méditerranéen, d'abord de façon assez lâche depuis le sud de l'Espagne jusqu'à la frontière hispano-française, puis de façon plus dense jusqu'à Marseille, pour devenir très dense de cette ville jusqu'au sud de Naples), le long des anciennes voies routières, comme c'est le cas pour la nationale 7 en France ou le long des autoroutes qui, au départ, relient des centres essentiels et deviennent des axes de cristallisation d'unités urbaines. Le phénomène concerne toute l'Europe, par exemple avec le réseau de la Ruhr, mais on pourrait multiplier les exemples car il en est de même pour les USA ou le Japon, etc..

 

Il est important de noter que dans ces pays à vieille tradition capitaliste, ce sont surtout les agglomérations moyennes et petites qui se sont accrues entre 1950 et actuellement (pour les autres pays ce sont les grosses). Ainsi, et en considérant le phénomène à l'échelle mondiale, "...alors qu'il a fallu plus de trente siècles pour que la plus grande ville du monde passe de 100.000 habitants à un million, le passage de 1 à 10 millions s'est fait en un siècle." (Les grandes villes du monde in Problèmes économiques, n° 1726, 1981). Des différents tableaux reportés dans cette revue nous pouvons extraire ces indications: en 1950, il y avait deux villes de plus de 10 millions d'habitants, en 1975 i1 y en avait 7 tandis qu'en 1974 34 villes comptaient plus de 5 millions d'habitants; enfin il est prévu qu'en l'an 2000 25 villes atteindraient les 10 millions tandis que Mexico à elle seule en compterait 32. En outre en 1950 la ville arrivant en trente cinquième position dans le classement en fonction du nombre d'habitants, Hong-Kong, en avait 1,7 millions, en 1975 c'était Naples qui en comptait 3,9 en l'an 2,000 ce sera Lagos avec 7,6 millions. A cette date certains pensent que la moitié de la population mondiale sera urbaine[14].

 

En ce qui concerne les pays à vieille structure capitaliste, l'accroissement du réseau urbain a surtout des conséquences sur la nature, hommes et femmes sont domestiqués depuis longtemps; en revanche en ce qui concerne tout particulièrement les pays africains comme le Zaïre et la Nigeria, elles opèrent surtout sur le plan humain. On a un déracinement brutal (réalisé en quelques années, alors qu'il fallut des siècles en Occident) favorisé par les luttes intestines et les guerres entre États. Nous avons un télescopage de divers phénomènes. On ne doit pas oublier qu'en Occident il y eut une foule de mouvements d'opposition au surgissement du capital qui permirent d'amortir le choc. [15].

 

Dès lors il n'est plus possible comme nous l'avons maintes fois affirmé d'avoir un devenir qui n'emprunte pas la voie du capital.

 

L'Obchtchina a été éradiquée par l'urbanisation en URSS. Il en est de même actuellement pour les diverses communautés africaines. Il n'y a plus de phénomènes communautaires de type immédiat pour protéger hommes et femmes qui deviennent très fragiles, sans parler que leur entassement en un lieu donné, quel qu'il soi, introduit un déséquilibre biologique favorisant le parasitisme (même phénomène qu'avec les monocultures de végétaux).

 

Homo sapiens sapiens est parvenu à l'échelle mondiale à un moment d'irréversibilité: plus rien ne peut empêcher le développement du capital (ce qui n'implique pas qu'il puisse le faire de façon cohérente et comparable ou ce qui se produisit en Occident, i1 peut y avoir des impasses). L'espèce perd totalement ses racines. C'est la raison pour laquelle nous assistons à une grande accélération du procès global de dissolution tant au niveau de l'espèce qu'à celui du monde vivant en sa totalité.

 

L'espèce humaine est condamnée à lutter contre le surgissement d'une foule de formes de vie qui tendent à l'éliminer parce qu'il est l'élément qui inhibe le procès total. Ceci n'est pas absolument nouveau car on peut penser que l'augmentation des maladies est allée de pair avec les déséquilibres écologiques provoqués par l'intervention d'Homo sapiens: déboisement et élimination de certaines espèces animales et végétales au néolithique, à la fin de l'empire romain, au Moyen Age, à la fin du XVIII° siècle, etc., sont plus ou moins contemporains de diverses épidémies.[16]

 

Comment faire coexister hommes et femmes dans ces vastes agglomérats?

 

Dans les pays accédant au capitalisme, les convulsions qui les agitent actuellement se poursuivront et c'est par un compromis entre le reliquat de leurs traditions et le mouvement du capital que se conclura dans un premier temps la régulation des populations. En revanche dans les autres pays c'est grâce au phénomène publicitaire que cette dernière s'effectuera.

 

Rappelons qu'en Occident, grâce au marketing, la publicité a accédé à une maîtrise cybernétique de tout impact sur les hommes et les femmes. Il est dès lors intéressant de montrer à quel point elle opère une isomorphie avec le réseau immunitaire. Mais auparavant, il nous faut envisager un présupposé à cette nouvelle fonction de la publicité.

 

On a vu que durant les années vingt, cette dernière s'est attaqué à la femme en tant que porteuse de la tradition; elle a donc visé la fonction de continuité, ce qui permit l'instauration des comportements nécessaires au procès de vie du capital. elle se préoccupa également des enfants afin de s'en faire des alliés contre les parents porteurs de vieilles traditions. Ainsi elle contribua à la dislocation de la vieille structure familiale.

 

Cette remise en question a été actualisée après la seconde guerre mondiale, et particulièrement ces dernières années, de telle sorte qu'il est possible de se rendre compte maintenant de l'impact de la publicité sur l'enfant, ce dont s'occupe J.N. Kapferer dans son livre L'enfant et la publicité - Les chemins de la persuasion, Ed. Dunod.

 

Il expose d'abord les deux conceptions qui s'affrontent au sujet de cet impact de la publicité sur l'enfant ainsi que leur rapport avec la théorie de Piaget:  "Comme on le constate le modèle de l'enfant manipulable reposait sur une des deux facettes de la théorie piagétienne: celle des limites à la compréhension induites par l'absence de structures cognitives suffisantes chez l'enfant. Le modèle de l'enfant critique repose sur l'autre facette: la capacité d'avancer l'âge de cette compréhension par l'expérience et la pratique." (p. 12)

 

Ce qui nous intéresse d'entrée c'est que dans le cas du deuxième modèle qu'on pourrait caractériser de publiphile, on constate qu'elle est grosse d'un grave danger: le raccourcissement de la phase juvénile.

 

Notre appréhension est confirmée par ce qu'exprime le même auteur au sujet de la promotion d'une "pédagogie de la consommation" .

 

"Cette action devrait s'organiser selon deux axes: d'une part développer la capacité critique de l'enfant face aux messages des medias et de la publicité, d'autre part développer les compétences d'acheteur chez l'enfant. Quand nous parlons de développer la capacité critique de l'enfant, il ne s'agit pas de créer en lui une haine de la publicité. Nous ne souscrivons pas à l'idée suivant laquelle la publicité serait une mauvaise chose dont la fréquentation ne serait que porteuse de mal. Le premier objectif vise à permettre à l'enfant de prendre une certaine distance par rapport aux messages. A cette fin on lui apprendra à mieux décoder les images qu'il ne le fait spontanément, à repérer les techniques de mises en valeurs visuelles ou sonores. On lui apprendra aussi à remonter à l'intention publicitaire. (...) On peut aussi apprendre à l'enfant à repérer les stéréotypes, en n'oubliant pas cependant que les stéréotypes des uns sont les idéaux des autres".

 

"Le second objectif consiste à apprendre à acheter de façon rationnelle (…), on apprendra à l'enfant par exemple: à retarder son désir, à différer sa résolution…" (p. 180)

 

On doit donc intensifier l'accession à la réflexivité, non pas par un procès en continu, c'est-à-dire par acquisitions de capacités toujours plus puissantes d'abstraire à partir de l'immédiateté, mais par une distanciation qui est un processus de mise en discontinuité, avec prise en considération que son environnement immédiat est peut-être fallacieux, ce qui engendre une insécurisation qui oblige à la production de défenses, de mécanismes de sécurisation grâce à des représentations qui instillent des compromis (domestication). En outre, il doit accéder à la figure-rôle-personnage, essentiel en ce monde, de consommateur.

 

"Nous mésestimons le rôle essentiel d'une formation précoce de l'enfant dans une activité de téléspectateur et de petit consommateur. C'est par cette formation que 1'enfant prend ses distances vis-à-vis de la publicité et devient un prescripteur plus raisonnable. Cette formation peut-être prise en charge par l'école mais elle est avant tout entre nos mains. Appartenir à une société d'incitations, qu'on le veuille ou non, c'est une obligation pédagogique vis-à-vis de l'enfant si l'on désire le rendre moins sensible à ces incitations." (p. 182)

 

Remarquons, car ceci s'avérera important pour la suite de notre étude, que pour rendre moins sensible il faut diminuer certaines réactions et que ceci fait immédiatement penser à un phénomène immunitaire. En outre, il s'agit bien d'intériorisation: on parle d'incitations. Ceci est en rapport avec le phénomène d'introversion de l'espèce.

 

Nous constatons qu'il y a continuité de la stratégie de la publicité depuis plus de soixante ans. Le livre de Stuart Ewen analysé plus haut nous a montré qu'il a fallu apprendre aux femmes à consommer afin de déraciner les vieilles coutumes, les antiques comportements; maintenant ce sont les enfants qui sont visés et l'on peut noter que dans les deux cas, l'homme adulte est un personnage subalterne. Il est un produit induit. La publicité est le dieu inversé d'Israël, elle fait l'homme à partir de la femme.

 

Á partir de ces quelques considérations on comprend qu'en définitive peu importe que l'on soit publiphile ou publiphobe, sensible à la publicité. Ce qu'il faut c'est que tout le monde y soit exposé, car elle doit constamment faire écran entre hommes et femmes à différentes périodes de leurs vies et la réalité quelle qu'elle soit. Alors, inévitablement, de façon négative ou positive s'opère une intégration.

 

Pour mettre en évidence le rôle intégrateur de la publicite il nous faut analyser:

 

1. Comment les divers comportements entre mère et enfant et entre hommes et femmes sont interprétables en termes d'immunité.

 

2. Comment le processus persuasif peut être homologué à celui immunologique.

 

3. Comment les différents comportements peuvent être segmentés, séparés, autonomisés puis réordonnés et mis en mouvement par la publicité qui opéré également par une régulation (comme le fait le système immunitaire).

 

Les relations mère-enfant, comme celles entre fœtus et mère analysées plus haut, sont essentielles parce qu'elles sont paradigmatiques: elles servent de modèles à toutes les autres.

 

Prenons le cas de l'attachement: la mère doit accepter l'enfant et l'enfant doit accepter la mère; le dernier mouvement se pose surtout à un certain âge, parce qu'au début cela n'a pas de sens. Il doit y avoir aussi - j'expose la donnée sociale - possibilité de détachement, d'une autonomisation de l'enfant, afin qu'il puisse accéder au statut d'adulte; donc il faut qu'il y ait levée de l'obstacle: mère abusive, enfant abusif, sinon l'un ou l'autre des protagonistes ne peut accomplir son cycle de vie (ceci peut se retrouver en ce qui concerne les relations homme femme: problème de l'asphyxie de l'un des partenaires).

 

Nous retrouvons la paradigme de la greffe: il doit y avoir tolérance.

 

En ce qui concerne les relations amoureuses, on peut ajouter ceci: le fait d'être sensibilisé à quelqu'un peut être interprété non seulement comme une levée d'inhibition, mais comme une baisse d'activité des mécanismes d'immunité, de l'affirmation du soi. Il y a naissance d'une dépendance. Par glissement, on peut arriver à produire une théorie selon laquelle l'autre est une drogue !!

 

Voyons maintenant le rapport publicité/immunité.

 

"De nombreuses recherches ont montré qu'il existait un parallèle entre la persuasion et les épidémies. Pour résister à un virus, la meilleure prévention consiste à injecter une partie du virus: c'est ce qu'on appelle en médecine comme en persuasion, l'inoculation." (J.N. Kapfererk, L'enfant et la publicité, p. 156)

 

En fait - et l'on peut le démontrer sur la base même de l'œuvre de cet auteur - le parallèle va plus loin.

 

Le modèle expérimental du processus psychologique de la persuasion tel qu'il est exposé dans Les chemins de la persuasion (p. 63) comporte des processus que l'on peut retrouver dans le phénomène immunologique. En effet, tout d'abord on a un processus d'exposition qui est également nécessaire sur le plan biologique, ensuite vient le processus de décodage qui du point de vue immunitaire implique la reconnaissance du non-soi par rapport au soi, enfin on a le processus d'acceptation qui se réalise biologiquement s'il y a présence du soi; dans l'autre cas, il y a rejet.

 

C'est ici qu'intervient la dimension manipulatrice tant en ce qui concerne la persuasion que l'immunité. Il faut en général provoquer une dépression du système immunitaire afin d'accroître l'acceptation ou la tolérance; il faut diminuer les réactions de rejet afin que la greffe prenne, de même qu'il faut provoquer un effondrement des barrières, dues en particulier à des données cognitives préexistantes au sein du sujet sur qui tente d'opérer la persuasion, afin que le message soit accepté.

 

I1 faut en général briser l'indifférence. Pour cela il faut augmenter la puissance du stimulus qui doit provoquer attention puis acceptation. On comprend de ce fait que cela puisse parvenir jusqu'à l'agressivité et pourquoi le terrorisme est un système de propagande dans les périodes où l'indifférence sociale est profonde, au moment où le seuil de tolérance est augmenté et où le corpus social accepte l'établi.

 

De même en ce qui concerne la séduction: il faut provoquer une rupture du continuum de vie de l'être à séduire afin d'introduire un élément d'insécurisation qui fait diminuer les possibilités d'indifférence, donc augmenter la réceptivité.

 

En dernier lieu, "le modèle expérimental du processus psychologique de la persuasion" comporte le processus de persistance temporelle qui entraîne un changement d'attitude qui, en tant que phénomène acquis, peut se perdre. Il en est de même dans le cas de l'immunité.

 

Il est bien évident que nous n'avons pas à faire ici à des processus naturels, c'est-à-dire opérant dans la nature, mais à des processus manipulés. En effet en ce qui concerne l'immunité on constate que ce qui est exalté à l'heure actuelle ce n'est pas tellement le processus naturel de "défense" qui, en définitive serait secondaire, mais celui d'acceptation quand justement on diminue les réactions immunitaire. Or, c'est la même démarche qu'entreprend la  publicité: il faut faire accepter même ce qui est inacceptable. Voilà pourquoi est-elle supérieure à toutes les autres formes d'intervention sur l'activité des hommes et des femmes.[17]

 

Ainsi puisque les phénomènes publicitaires peuvent être interprétés en termes d'immunité et puisque les relations interindividuelles sont interprétables en ces mêmes termes (cf. la question de la tolérance exposée plus haut), on comprend que la publicité puisse jouer un rôle de régulation à l'instar du système immunitaire. Plus exactement il nous faut dire que la communauté actuelle a engendré un système intégrateur-régulateur qui est comparable sous bien des aspects au système immunitaire opérant dans organisme des vertébrés supérieurs.

 

Ceci ne fut rendu possible que parce que les comportement humains ont pu être segmentés et leurs segments autonomisés et qu'une combinatoire a pu dès lors s'installer.

 

C'est J.N. Kapferer qui nous donne encore un bel exemple:

 

"La famille ne se limite pas vraiment au couple parental, mais inclut désormais à part entière la télévision: il ne s'agit pas de couple mais de trouple". (L'enfant et la publicité, p. 50; à ce point Kapferer fait référence au livre Le Trouple de G. Rapaillé, Ed.Menges, que nous n'avons pas lu). A l'appui de cette affirmation il donne comme exemple le fait que la télévision remplace les grands-parents et que la publicité se substitue aux contes et aux comptines. La télévision apparaît souvent comme une nurse, pouvons-nous ajouter.

 

La nouvelle convivialité sera une combinatoire entre hommes, femmes, enfants, animaux, végétaux (tous domestiques et de moins en moins nombreux), diverses prothèses comme la télévisions, des robots pouvant remplacer les poupées d'antan -pour les enfants comme pour les adultes, etc..

 

Au sein de cette communauté saoule de messages, pratiquant le voir sans regarder, l'entendre sans écouter, où l'indifférence est immense, la publicité est toujours plus nécessaire pour stimuler, inciter, donner vie à divers projets, attitudes, induire des comportements, en inhiber d'autres, en fonction non seulement des impératifs de diverses marques, entreprises, mais aussi en fonction de ceux de la communauté (plus de séparation entre politique et économie qui, en tant que telles, deviennent de plus en plus évanescentes). Elle devra devenir de plus en plus agressive, ce qui à son tour rendra les hommes et les femmes encore plus dépendants; deux caractéristiques d'un totalitarisme "souple = soft", tolérant; sans oublier que l'autre possible se vérifiera également c'est-à-dire la perte d'énergie de la part des hommes et des femmes ce qui consentira un pouvoir également souple, une répression douce.

 

Pour que vivent communautés, puis sociétés humaines, il faut que les hommes et les femmes aient un impact les uns sur les autres au cours des relations permettant d'accomplir les "fonctions" aptes à réaliser le procès de vie d'ensemble. Il faut donc qu'il puisse y avoir intervention des uns sur les autres; de même il y eut nécessité de transmettre un ensemble de connaissances aux jeunes générations. Tout ceci existe de nos jours en tant que racines du phénomène publicitaire. En outre on peut noter (comme l'a fait J.N. Kapferer) que l'instruction-enseignement est une forme de persuasion où les mécanismes critiques des enfants sont mis entre parenthèses afin qu'ils acceptent ce qui leur est enseigné. Ceci explique qu'il y ait un certain antagonisme entre la transmission par l'enseignement scolaire et celle opérée par les médias comme la télévision où la publicité intervient de façon déterminante.

 

Ces constatations nous renforcent dans notre volonté de ne plus accepter le mode actuel de transmission des connaissances.

 

De façon plus globale nous pouvons dire que la publicité a une fonction éminemment intégratrice sans laquelle la fragmentation dont parle Vance Packard dans Une société d'étrangers aboutirait à une dissolution totale de la communauté actuelle.[18]

 

Il ne faut pas, toutefois, considérer la publicité comme étant l'unique opératrice, un deus-ex-machina. Elle n'a une puissance effective que parce qu'elle va dans le sens du développement d'abord du capital (réalisation de la domination réelle sur la société) puis de celui de la réalisation d'une communauté en laquelle le phénomène capital se dissout. En outre nous avons vu qu'elle a pu profiter de l'aide d'opposants au capital.[19]

 

En ce qui concerne les femmes, il est important de noter que la publicité a opéré au sein d'un vaste phénomène dont le résultat est leur destruction et l'engendrement d'une misogynie plus grande et plus diffuse. Ceci s'est réalisé avec l'élimination de leur fonction de continuité, la rupture du lien enfant-femme, l'autonomisation de leur fonction sexuelle avec sa réification en tant qu'objet sexuel, les réduisant à des référents d'attraction de séduction pour toute consommation, l'autonomisation de leur fonction productrice et consommatrice (comme pour les hommes).

 

Cette interaction entre la publicité et une tendance profonde (un trend) déterminé par le devenir de la communauté actuelle est bien mis en évidence par cette remarque de J.N. Kapferer (L'enfant et la publicité, p. 147)

 

"La persuasion la plus efficace est celle qui ne s'affiche pas comme telle. Aujourd'hui, nous l'avons montré au chapitre 2, les enfants regardent les émissions pour adultes, les feuilletons pour adultes, les films pour adultes. Or ceux-ci proposent des modèles d'imitation en matière de consommation d'alcool et tabac, bien plus puissants que les acteurs inconnus de la publicité. Dans une série comme Dallas ou Dynastie ou dans n'importe quel film policier ou d'action, les acteurs principaux sacrifient à tous les rituels; liés à l'alcool et au tabac.

 

"Fumer, boire, s'habiller, le type de voiture sont considérés comme des actes "reflets": ils communiquent aux autres qui on est, quelle est notre singularité. Au sortir de l'enfance, l'adolescent veut montrer qu'il n'en fait plus partie. Il construit son identité en s'identifiant à des modèles adultes, et faute d'en accaparer l'être, il ne prélève que leur paraître: leurs comportements (gestes, marques ou produits possédés, vête­ments...). La publicité n'est pas le lieu où l'adolescent puise ses modèles adultes: les héros sont ailleurs, avant ou après l'écran publicitaire."

 

Ceci appelle deux remarques. Tout d'abord, pour être complet J.N Kapferer aurait dû signaler la volonté qu'ont les publicitaires de créer des modèles, ce qui n'enlève rien à 1a pertinence de ses affirmations; ensuite, puisque la publicité est persuasion, on peut dire que dans tous les cas la meilleure publicité est celle qui opère par l'exposition du système lui-même, par sa représentation; et là nous pouvons retrouver A. Artaud et son exaltation du théâtre [20]. Il y aurait comme résorption du phénomène et retour au stade primitif où la seule exposition du produit était déterminante pour provoquer son acquisition. On peut y voir également un phénomène d'imitation chez les hommes et les femme (cf. Les lois de l'imitation de G. Tarde).

 

On assiste aussi au triomphe de la transparence vertu prônée par la publicité. Tout ce qui concerne un produit doit être exposé; les consommateurs doivent tout connaître. Or, cette revendication de la transparence retentit dans tous les domaines et aboutit finalement à un voyeurisme obscène qui est une forme cari­caturale de l'abolition de la séparation entre vie publique et vie privée, la vie quotidienne tant exaltée ces dernières années.

 

Si une évanescence de la publicité peut advenir, c'est parce qu'elle aura été non seulement adsorbée (phénomène de coalescence entre particules et une surface) mais absorbée (phénomène de pénétration à l'intérieur, ce qui implique le franchissement de la surface), autre façon de dire qu'elle aura été intériorisée.

 

Parvenu à ce stade c'est tout le procès de connaissance de Homo sapiens qui risque la dissolution totale. En effet cette intériorisation sera la conséquence de 1a disparition de toute différence entre référant et référé sur laquelle se fonde 1e procès de connaissance [21]. Il y aura une impasse qui se manifeste déjà, comme nous le montrerons ultérieurement, en même temps que nous aborderons la question de la publicité selon une détermination paléoanthropologique.

 

Indiquons brièvement pour le moment que toute la représentation de Homo sapiens est déterminée par la nécessité d'expliciter la séparation, de l'exalter ou de la conjurer afin de pouvoir se situer dans le cosmos. Ainsi les concepts d'attraction et d'affinité, opérationnels en ce qui concerne les masses stellaires ou les molécules comme au niveau des hommes et des femmes sont déterminants au sein des différentes théories explicatives en physique ou en chimie. La publicité en intégrant la psychologie, la biologie, l'art etc... se présente comme l'opérateur le plus efficace du positionnement de l'espèce séparée de la nature.[22]

 

Enfin il est nécessaire de situer la biologie à laquelle nous faisons maintes fois référence. Ce n'est pas nous qui avons opéré la transcroissance du domaine de cette science mais les divers théoriciens de ce monde. Ceci dérive du fait qu'étant donné qu'elle s'occupe de la vie caractérisée par les phénomènes de genèse, de reproduction, de croissance, etc., elle peut devenir par la médiation de l'explication de ces derniers, un opérateur de connaissance dans tout domaine où s'affirment également de tels phénomènes. Voilà pour­quoi, en particulier, les mathématiciens après les physiciens sont fascinés par la biologie parce qu'ils se trouvent confrontés à des problèmes de genèse de structure, de croissance, etc..

 

Le phénomène n'est pas nouveau et l'on peut dire qu'il y eut une biologie avant que celle-ci ne naisse effectivement au début du XIX° siècle [23]. Il suffit de lire la Métaphysique d'Aristote pour se rendre compte qu'elle inclut une biologie théologique, et l'on peut se demander si l'intérêt qu'éprouvait ce philosophe pour ce que nous nommons actuellement biologie ne venait pas du fait qu'il cherchait chez les êtres vivants des processus aptes à lui four­nir des schèmes d'explication à sa métaphysique. Le phénomène s'est répété ultérieurement et il y eut diverses "biologies".

 

Lorsque nous parlons de dimension biologique du devenir humain, nous voulons seulement indiquer qu'on ne doit pas escamoter un certain nombre de phénomènes qui concernent la vie et qui sont étudiés par la biologie, ce qui n'implique en aucune façon que nous acceptions cette science en tant que représentation effective du devenir de la vie et donc de celui de Homo sapiens.

 

Notre démarche est en réalité de montrer l'immense tautologie incluse dans le procès de connaissance ainsi que la dissolution de celui-ci, comme l'analyse du phénomène publicitaire a tenté de le perceptibiliser [24].

 

 

 


 CAMATTE   Jacques

 

 

Juillet 1986

 

 

 

 

 

 

 



 

[1]     R.Lewinter dans sa préface à L'art, la maladie et le symbole fait ressortir l'analogie entre l'œuvre de G. Groddeck et celle de Baruch Spinoza : le Ça et la substance dieu, et celle de J.W Gœthe : théorisation du dieu nature. On pourrait ajouter dans ce dernier cas que l'importance accordée à la femme par G. Groddeck (alors que S. Freud privilégie l'homme) correspond à l'éternel féminin de Goethe.

 

  Au delà de ces remarques, ce qui nous semble important de noter c'est que l'œuvre de G. Groddeck marque la fin d'une thématique problématique particulière à l'aire allemande. Il en est de même d'ailleurs en ce qui concerne celle des nazis, dans la mesure justement où elle est un syncrétisme de diverses œuvres comme celle de G. Groddeck.

 

 R. Lewinter indique (p. 17) que G. Groddeck a écrit un livre intitulé Der Mensch als Symbol (L' Homme en tant que symbole) que nous n'avons pas lu. Divers penseurs au début de ce siècle se sont beaucoup préoccupés du symbole (cf. E. Cassirer par exemple). Cela nous semble naturel car tout comme l'homme s'est domestiqué en domestiquant plantes et animaux, il s'est symbolisé en symbolisant la réalité, son environnement. Le symbole est alors le résultat d'une abstraïsation voulant signifier la totalité, ce qui est en cohérence avec la dynamique de séparation, par une représentation qui se veut adéquate.

 

 

[2]       La remarque suivante de H. Laborit  (in Le Monde du 16.12. 80)

 

   "Le psychotique attrape difficilement la grippe, le cancer, maladies psychosomatiques... i1 vit dans son imaginaire et il vit dans un imaginaire gratifiant", met bien en évidence la relation étroite entre cerveau (et donc représentation) et système immunitaire (et donc la maladie).

 

[3]      On peut considérer l'autisme comme une conséquence de cette exaltation de l'ego.

 

[4]       Certains ont affirmé que le sida viendrait en fait de Haïti et font le rapprochement avec le fait que durant les années 60 et 70 cette île a exporté du sang et des cadavres à destination des universités et des hôpitaux des USA (cf. Umanità nuova, 02.06.85).

 

[5]     Ceci n'est -dans tous les cas- qu'une approximation parce que l'organisme n'est pas obligatoirement composé de cellules. Il existe des formations organiques non décomposables en cellules. Dans le cas de certains êtres vivants c'est leur totalité qu'on peut difficilement réduire à un ensemble de cellules (les champignons par exemple).

 

[6]       Á l'heure actuelle on ne connaît pas le cycle de vie des virus; voilà pourquoi toutes sortes d'hypothèses sont possibles. Ajoutons que certains savants pensent même que des gênes peuvent migrer de certains groupements d'animaux à d'autres. C'est ainsi que les gènes codant le développement de l'œil camérulaire auraient pu passer des céphalopodes aux vertébrés. Cette migration permettrait d'expliquer la similitude de constitution de l'œil dans ces deux grands groupes, classes. Jusqu'à présent on parlait de convergence. Ainsi de façon bricoleuse la continuité est réintroduite dans le monde animal.

 

   Notons qu'il y a déjà quelque temps, certains penseurs marginaux avaient émis l'idée que les virus étaient des gènes autonomisés.

 

[7]     Á l'époque actuelle, il se fait une exaltation de la tolé­rance, de l'incertitude, de l'indéterminé. Ceci se manifeste également en mathématique et en logique avec les ensembles flous ou la logique floue; ce qui traduit la tentative toujours renouvelée de réduire le langage naturel, parlé, à un calcul. Il y a prise en compte de l'indéterminé pour opérer un contrôle plus rigoureux en même temps qu'il est stipulé qu'il est impossible à un quelconque membre de la communauté en place de parvenir à une connaissance ayant une certitude.

 

   On a également glorification du jeu au sens mécanique du terme (quand on dit qu'une pièce a du jeu, par exemple), autre façon de revendiquer une non rigidité, une tolérance. Ceci se conçoit fort bien dans la mesure où tout membre de la communauté apparaît en tant que matérialisation d'un nœud au sein de plusieurs réseaux. D'où l'on peut dire qu'hommes et femmes ne jouent plus mais sont joués par un mécanisme qui les domine.

 

   Enfin dernier avatar de cette tolérance c'est la flexibilité, concept qui implique que tout membre de la communauté doit être disponible pour accepter toute modification de son statut au sein de cette dernière, afin que le jeu communautaire, de l'unité supérieure puisse s'effectuer sans heurt.

 

[8]      Ce qu'il y a de fascinant dans tout cela - même si c'est horrible - c'est de constater qu'il n'y a plus de frontière, ni de hiatus entre la technique opérante, la science et la science-fiction. Ici encore on voit se mettre en place une combinatoire du réel, de l'irréel, du fantasmé, du fonctionnel, du pulsionnel, du rationnel, de l'irrationnel, etc., qui exprime que tout contrôle sur 1'activité de l'espèce est perdu. Plus exactement chaque dynamique propre à un secteur de production donné s'est autonomisé et doit produire ne serait-ce que pour justifier son existence et celle de la science. Ainsi on peut produire in vitro des embryons humains pour faire des manipulations génétiques, immunologiques, etc. Cela semble aberrant mais on peut toujours justifier la pratique en exhibant quelques maladies rares qui nécessitent des recherches de pointe. Mieux, dans le cas l'on fait porter un embryon d'une espèce par la femelle d'une autre, on peut hausser la justification au niveau de la défense et de la préservation de la nature: il serait possible par ce moyen de lutter contre la disparition d'espèces menacées d'extinction (cf. le cas du grand panda mentionné dans l'article déjà cité de La Recherche n° 177).


     De nos jours, à tous les niveaux, tout paraît possible!


    Où peut se loger la dynamique d'une régulation? C'est là que nous retrouvons la nécessité de l'étude du système immunitaire.

 

 

[9]    La tolérance est étudiée également par les éthologues. En effet la théorisation sur la ritualisation, les comportements d'évitement, etc., permettent de mettre en évidence comment les membres d'une espèce, dans un groupement donné, se tolèrent mutuellement.

 

    Au niveau strictement humain, l'éthologie apparaît comme la science de l'interprétation de la domestication, de l'intériorisation de toutes les répressions. En outre, plus le comportement est acquis, plus une étude scientifique rigoureuse est possible puisqu'il est alors loisible d'expérimenter, c'est-à-dire de manipuler.

 

[10]      On doit noter qu'en italien mostra veut dire foire et que le verbe mostrare signifie montrer, indiquer.

 

 Le support de l'annonce de la marchandise, de son exposition change au cours des siècles. Ce furent d'abord des matériaux durs comme pour celles vendues au marché ou dans des magasins; des matériaux fragiles comme le papier en ce qui concerne l'affiche -qui a besoin encore d'un autre support- et le journal. A l'heure actuelle son support peut-être le vêtement. En outre il peut être mobile: voiture ou car etc.. Enfin avec la radio, le cinéma et la télévision on a une réorganisation de tout.

 

 Au sujet de l'annonce, il est important de faire remarquer que ce mot eut une très grande utilité dans le domaine politique (publication des décisions des représentants du pouvoir) ou dans le domaine théologique l'évangile est la parole qui annonce une venue! La publicité actuelle se veut aussi annonce de la venue de quelque chose de meilleur! Tout le monde pense que c'est faux mais opère comme si cela pouvait être vrai (logique floue?).

 

 

[11]   Autrement dit, dans la communauté actuelle, tout enseignement a une dimension publicitaire. D'où la concurrence que ressentent les enseignants dans l'existence de la télévision grosse diffuseuse de publicités. Leur monopole est aboli.

 

 

[12]      Ici encore la publicité n'innove pas. Les révolutionnaires s'étaient eux aussi proposés d'utiliser la honte pour provoquer, chez leurs contemporains, l'abandon et le rejet de la société qu'ils voulaient détruire. Ainsi le jeune K. Marx écrivit qu'il ne suffisait pas de mettre en évidence les chaînes qui entravent hommes et femmes mais qu'il fallait de plus faire en sorte qu'ils aient honte de ces chaînes afin qu'ils se rebellent.

 

 Au sujet de la dépendance des femmes provoquée par la société "de consommation", ajoutons ces deux citations :

 

 "Privée de subsister par ses propres moyens, la femme vantée par la publicité demandait aux marchandises de servir de lien social permettant de communiquer avec une famille qui avait perdu sa structure productive et relationnelle interne" (p. 177)

 

 "Elle [Anna E. Richardson de l'association américaine des arts ménagers, n.d.r] écrivait en 1929, que les procédés industriels mettaient "la maîtresse de maison dans l'incapacité de maîtriser la totalité de l'information nécessaire pour faire ses achats en connaissance de cause."" (p. 162)

 

 Nous citons abondamment le livre de Stuart Euwen afin de montrer à quel point le phénomène publicitaire est plus ancien que ce qu'on peut penser en Europe Occidentale et à quel point les diverses questions avaient déjà été affrontées dans les années vingt.

 
 

[13]       Cf. International Herald Tribune du 28.01.56: America becomes a nation of fatherless families (L'Amérique devient une nation de familles sans pères) de David S. Broden. Ce journaliste cite un livre où il est affirmé : "une portion croissante des jeunes d'Amérique - une large majorité chez les noirs et plus d'un tiers chez les blancs- passe une substantielle partie de leurs dix-huit premières années dans une "famille qui n' a pas d'homme à sa tête.""

 

  Il insiste sur le fait que le phénomène ne concerne pas seulement les noirs et que "la désorganisation de la famille est devenue un caractère général de la population américaine...''

 

  En ce qui concerne l'enfance, la théorisation d'une phase particulière la caractérisant s'effectue au début de ce siècle avec, en particulier, les travaux de M. Montessori. Le Dr. Spoke, dans les années d'après la seconde guerre mondiale, ne fera que reprendre l'essentiel de l'oeuvre  de celle-ci, en lui ajoutant une dimension non autoritaire.

 

 

[14]     Nous utilisons en fait diverses informations provenant de: National Geographic, août 1984: The World's urban explosion, La Recherche, n° 103, 1980, Problèmes économiques, n° 1 982, juillet 1986: Population mondiale : vers les six milliards. Dans tous ces articles, il ressort nettement qu'un grand bouleversement s'est produit dans les années 1960-1980.

 

  La surpopulation est envisagée dans ces articles uniquement en rapport â Homo sapiens et jamais en rapport à la totalité du monde vivant. Voilà pourquoi (et, ici, on peut généraliser à tous ceux qui s'occupent de la démographie) n'y a-t-il pas de remise en cause de la ville et de l'architecture. Or c'est pourtant à travers elles que la folie de l'espèce voulant dominer la nature s'exprime peut-être de la façon la plus percutante.

 

[15]             Nous avons abordé l'étude de ces mouvements avec celle du mouvement prolétarien. Nous serons amenés à revenir sur cette question en partant d'un point de vue plus vaste: les remises en causes du devenir d'errance. Cela nous permettra de mieux situer l'importance des divers messianismes révolutionnaires en Afrique ou en Amérique latine ainsi que celle du mouvement islamique actuel. En même temps nous essayerons de déterminer dans quelle mesure - à l'heure actuelle - certains mouvements se placent consciemment ou non au-delà du procès révolution.

 

 

[16]        La compréhension de ce phénomène ne pourrait s'effectuer sans la prise en compte de la destruction de la biosphère en Afrique. En effet la disparition de diverses espèces de mammifères oblige les divers commensaux, symbiotes ou parasites de ceux-ci, de se rabattre sur Homo sapiens afin de continuer leur cycle de vie. En conséquence la théorie selon laquelle un des virus du sida serait un hôte du singe vert devrait obliger les savants à se pencher sur ces divers rapports écologiques et surtout cela devrait amener tout le monde à réfléchir sur la nécessité d'enrayer l'extension explosive d'Homo sapiens.

 

 

[17]       C'est la raison pour laquelle la vision de G. Orwell exposée dans 1984 ne s'est pas réalisée et ne se réalisera pas. On tend non pas vers un État de plus en plus puissant au-dessus du corpus social, mais vers sa dissolution et la multiplication des rackets luttant pour affirmer leur pouvoir (phénomène très bien perçu par les auteurs récents de science-fiction).

 

      À ce propos l'I.S. a eu une position assez ambiguë. D'un côté elle perçut l'importance de la publicité en rapport d'ailleurs avec l'urbanisme (qu'elle exalte alors qu'il faut le supprimer).

 

     "On peut estimer que l'urbanisme est capable de fonder les publicités anciennes en une seule publicité de l'urbanisme." (Internationale Situationniste, n°6, p. 9)

 

    D'un autre côté elle a soutenu une position orwellienne totalement erronée.

 

   "On peut déjà constater que là où le capitalisme bureaucratique planificateur a déjà construit son décor, le conditionnement est si perfectionné, la marge de choix des individus réduite à si peu, qu'une pratique aussi essentielle pour lui que la publicité, qui a correspondu à un stade anarchique de la concurrence, tend à disparaître sous la plupart de ses formes et supports." (Idem, p. 9)

 

    Un phénomène global de dissolution est compatible non avec un État fort mais avec une multiplication de sectes, de rackets qui ont énormément besoin de publicité.

 

[18]         Dans ce livre Vance Pacard décrit le déracinement, la destruction de la communauté naturelle et celle des rapports de parenté, en un mot la fragmentation généralisée et conclut son livre en indiquant ce que devrait être "une communauté humaine naturelle".

 

   "Nous avons vu que dans de nombreuses régions, la communauté humaine naturelle est en danger. Dans presque toute 1'Amérique, elle est menacée par la turbulence de l'environnement, l'accroissement de l'anonymat, l'affaiblissement des liens de parenté, le déracinement qui frappe de plus en plus d'individus.

 

  Le progrès technologique n'est pas une panacée si nous devons lui sacrifier la communauté humaine naturelle. Cet avertissement vaut pour de nombreuses sociétés, à l'étranger comme en Amérique

 

  Mais nous avons vu également que des millions d'individus s'acharnent à combattre cette destruction. Nous apprenons graduellement ce que nous devons faire pour retrouver quelque chose qui ressemble à la communauté humaine naturelle. Par exemple nous réalisons que:

 

- la communauté humaine naturelle est une communauté assez petite pour être à l'échelle humaine;

 

- elle procure les moyens naturels de rencontre aux individus qui le souhaitent;

 

- elle offre un cadre naturel dans lequel les individus peuvent faire valoir leurs talents, partager les expériences, trouver l'assurance d'un soutien affectif et développer des amitiés durables;

 

- sa stabilité et sa diversité procurent un sentiment d'équilibre et de cohérence aux participants, le sentiment que la situation actuelle fait partie d'un processus historique;

 

- elle procure aux individus le sentiment qu'ils exercent un contrôle sur les événements à venir qui peuvent affecter leur vie;

 

- et elle offre à l'individu un groupe spécial et un endroit spécial qu'il peut faire sien, un environnement qu'il  cherche à améliorer et dont il est fier de faire partie ." (O.c, Ed. Calmann-Lévy, p. 305)

 

  Il est toutefois curieux que ni la question de la séparation d'avec la nature ni celle de l'individu - qui est incompatible avec une communauté naturelle - ne sont posées; ce qui nous fait penser que Vance Packard ne fait que nier les aspects délétères de notre monde - ce qui le rend éminemment sympathique, comme tous ceux au nom de qui il parle - mais ne pose pas les éléments d'un devenir réellement autre.

 

  Toutefois il est important que ceci ait été écrit en 1972 au moment où le mouvement communautaire se développait dans le monde On peut penser que les diverses réalisations positives et négatives permettront d'aller au-delà des affirmations théoriques de Vance Packard.

 

  "L'homme a besoin de faire partie d'une communauté; il a besoin de continuité. Le fait d'appartenir à une communauté n'est pas incompatible - comme certains l'affirment - avec la liberté individuelle. " (p. 263)

 

  Ou de celles de John Gardner directeur de Cause Commune, cité par V. Packard à la page 204 de son livre:

 

  "Dans un sens, la société moderne emprisonne l'individu dans un carcan trop rigide mais dans un autre, elle l'enserre dans des liens trop lâches -cette dernière attitude est aussi douloureuse pour l'individu que la première. L'individu sent peser sur lui la conformité qu'exige une société hautement organisée mais il se sent également anonyme et sans attaches. Ces deux sentiments proviennent de la même cause: la disparition de la communauté humaine  naturelle et son remplacement par des contrôles arbitraires qui ne font qu'irriter l'individu sans lui donner un sentiment de sécurité.

 

  Nous devons employer toute la créativité dont nous somme capables pour trouver un moyen de redécouvrir la communauté humaine naturelle. Nous devons mettre au point -et au besoin inventer des modèles sociaux qui nous permettent d'éprouver un sentiment de continuité pour que nous puissions sentir que nous avons notre place dans le courant de l'histoire."

 

  David Riesmann a lui aussi en 1948 abordé le déracinement dans son livre La foule solitaire, Ed. Arthaud. Deux affirmations nous semblent importantes.

 

  "Ce sont donc, aujourd'hui, les hommes et les relations humaines qui constituent le problème central" (p. 181)

 

  "Pour plusieurs raisons, les communications de masse ont créé une attitude tolérante dans tous les domaines, y compris la politique" (p. 262)

 

  D. Riesmann avait donc compris 1'émergence de la tolérance mais il la concevait seulement selon une positivité exprime alors qu'elle au mieux la domestication des hommes et des femmes.

 

 

[19]            Les révolutionnaires ont toujours, malgré eux, favorisé le développement du phénomène capital et donc la domestication. On ne peut pas, toutefois, se contenter de les caractériser par le résultat obtenu; ce serait les réduire outrageusement. C'est pourquoi, on ne peut pas accepter l'injonction de K. Marx de ne pas tenir compte des projets, des désirs des hommes, de leur conscience immédiate. Il faut au contraire les prendre également en considération afin de savoir ce que l'espèce pouvait engendrer.

 

 

[20]             Le théâtre est une technique de réacquisition de ce dont on a été séparé. Dans ce cas la représentation est une actualisation. Il a une fonction médiate. Il en est de même lorsqu'il permet de familiariser tout membre de la communauté avec la combinatoire qui le fonde.

 

     Le théâtre a également une fonction immédiate de représentation de ce qu'est la communauté. I1 n'y a plus réflexion sur un devenir parce qu'il y a coalescence entre le vécu (Erlebnis) et la représentation. Cette dernière étant devenue la vie: maximum de séparation d'avec la nature avec l'instauration d'un tout s'autosuffisant en dehors de cette dernière. C'est une preuve parmi tant d'autres que l'art effectue une vaste opération d'adaptation à la dynamique de séparation, ainsi que d'insertion dans un tout séparé de la nature. Nous reviendrons ultérieurement de façon plus détaillée sur cette question. Insistons seulement sur la différence entre l'acquisition à partir d'un ensemble déterminé constituant un comportement et la réacquisition de ce qui faisait partie de ce dernier qui était spontané, inné.

 

 

[21]         Ce qui ne supprime pas le phénomène de représentation mais permet son autonomisation, laquelle est un autre fondement du phénomène hypertélique de la formation de l'acquis et de la réflexivité qui dès lors a pour substrat la réflexion de n'importe quel composant de la combinatoire sur n'importe quel autre.

 

 

[22]         Ici se place une vaste contradiction qu'il nous faudra expliciter longuement. En se séparant de la nature Homo sapiens a eu tendance à réduire toujours plus l'importance du toucher (Cf. Emergence de Homo Gemeinwesen, Invariance, série IV, n°1). Le phénomène de compensation a fait en sorte qu'il a développé énormément un comportement magique contre lequel s'est édifié la science pour qui toute explication de phénomènes à distance relèverait de ce dernier et qui privilégie l'explication locale (de voisinage, cf. la topologie) sauf pour certains phénomènes astronomiques, ce qui a d'ailleurs embarrassé pendant longtemps... L'on peut se demander si la hardiesse de I. Newton ne lui est pas venue de sa préoccupation astrologique, métaphysique, magique.

 

     La contradiction peut, en première approximation, s'énoncer ainsi: limitation du toucher - exaltation de celui-ci dans la mesure où il y a suspicion vis-à-vis de ce qui se manifeste à distance, qui ne peut pas être touché et donc avoir une réalité tangible. Elle exprime bien la perte de toute participation à la nature et au cosmos et le déchirement qu'elle opère au sein de l'espèce.

 

 

[23]            La négation d'une séparation entre matière inerte et matière animée à laquelle aboutit le développement de la biologie actuelle ne conduit pas simultanément à la réacquisition d'une continuité; mais est au contraire le fondement d'une indifférenciation, et d'une séparation plus subtile, permettant une combinatoire d'objets à quoi se réduirait tout l'univers. Autrement dit il y a disparition d'une séparation entre deux domaines, considérés en tant que totalités, mais elle a été multipliée au niveau de tous les éléments qui les constituent de façon discontinue ou non. Ainsi C. Paul Bruter dans Topologie et perception (Ed. Maloine, tome 1) affirme:

 

   "Définition: Un objet est un objet " (p. 16)

 

   "Observation première (OPO): La nature est composée d'objets" (p. 17)

 

   "Observation première 9 (OP9): Les objets n'ont pas fait leur apparition dans l'univers au même moment." (p. 22)

 

   "Théorème 1.2. Héraclite : " La guerre est le père de toutes choses et le roi de toutes choses." " (p. 24)

 

 "Proposition 1.3: La capture entre objets de même nature débouche sur la socialisation et la complexification" (p. 26)

 

 "Théorème 1.6 : Un objet étant donné, il peut agir sur d'autres objets par capture, annihilation ou répulsion." (p. 29)

 

  Ces quelques citations permettent de comprendre qu'il est possible dès lors de produire une représentation de toute la réalité où semblent s'interpénétrer philosophie, mathématique, biologie, etc., alors qu'en définitive cela se résout en un exposé mathématique, en une formalisation mathématique du plus grand nombre de faits possibles. En outre il y a sous-jacent la thèse que toute pensée peut être ramenée à une forme de calcul, comme l'affirme D. Hofstadter dans son livre Gödel, Escher, Bach les brins d'une guirlande éternelle, Interédition.

 

  Une importante possibilité de produire des objets, de les concevoir, de les représenter (cf. l'importance du thème de l'objet dans l'art actuel) c'est de transformer tout ce qui est inné en acquise car ce dernier peut-être séparé, autonomisé, manipulé.

 

 "C'est-à-dire nous inclure dans l'ensemble du mouvement évolutif qui se situe désormais dans le socioculturel, et pour cela larguer les ultimes entraves qui nous tiennent encore prisonniers de l'animalité. Débarrassés de nos derniers instincts ancestraux, accéder pleinement à la condition humaine" (J. Ruffié, Le sexe et la mort,  Ed. du Seuil, p. 270)

 

  Ce biologiste était encore plus précis dans un article de Le Monde du 21.06.86 dans lequel il affirmait clairement la nécessité de tout transformer en acquis, et pour cela de détruire la dépendance vis-à-vis de l'ADN!!

 

  A noter que J. Ruffié s'appuie sur l'affirmation de Jérome Lejeune :

 

  "La découverte extraordinaire de l'espèce humaine est d'avoir tout à coup réalisé que l'individu est premier par rapport à l'espèce", ce qui est en fait un axiome valable seulement au sein de la représentation d'un Homo sapiens séparé de la nature, et l'on peut ajouter que c'est l'axiome fondamental de la catastrophe; car poser l'individu (une abstraction réductionnelle) premier par rapport à l'espèce ne peut conduire qu'à un tel résultat.

 

 

[24]       Il est clair que nous n'avons pas abordé toutes les questions que pose l'existence de la publicité considérée en tant que phénomène ayant de lointaines présuppositions. Ainsi il aurait été important de montrer le rapport qu'entretiennent chroniques, annales, histoire ainsi que la recherche de la gloire, de la renommée de l'immortalité avec la publicité.

 

  En outre, mais cette fois en considérant un phénomène plus récent, il aurait été intéressant d'analyser les liens qu'il peut y avoir entre le vide créé par la dissolution du capital dans sa communauté et la frénésie publicitaire visant à le combler et à le conjurer.

 

  Autre donnée concernant le domaine biologique: avec la publicité, les systèmes nutritionnel et reproducteur d'affirmation de soi sont perpétuellement excités et ce de façon à ce que l'un renforce l'autre. Cela peut, à la longue, aboutir à une atonie physiologique, à une évanescence des fonctions vitales.

 

  Á titre de final provisoire et en guise de divertissement nous pouvons signaler le rapport de J. Lacan à la publicité. En effet comme l'inconscient, les données publicitaires (publi s'y terrent ou publi s'y tairent) sont cachées et se taisent. Il faut quelqu'un qui les dévoile et les révèle grâce au langage qui les publicise.

 

  Pour J. Lacan, en définitive, le langage nous  parle, tout est caché en lui. Sa dimension magique réside en sa capacité de révélation (par l'intermédiaire d'un opérateur, d'un maître!!); il a une double fonction: il masque et révèle!! Toutefois dès que les éléments ont été dévoilés, ils peuvent être extraits de leur domaine et ordonnés dans une combinatoire qui permettra de produire un discours. C'est ce qu'opère la publicité.

 

 Les publicitaires ont la prétention de nous faire découvrir ce qui nous semble souvent évident afin de le réordonner autrement pour nous orienter vers une consommation donnée.

 

    Ainsi tout ce qui est publicisé était caché (d'une façon au d'une autre); c'était de l'indistinct, du non sens. En conséquence la publicité opère comme la psychanalyse: Wo Es war, soll Ich werden, qu'on peut traduire par: où était le ça je dois devenir ( ou je dois advenir).