GLOSES EN MARGE D'UNE RÉALITÉ

II

   Nous allons de plus en plus vers une résurrection intégrale de la magie tant dans le sens banal, ancien du terme, que dans celui donné par K. Marx pour qui elle opère quand "Le mouvement, qui a servi d'intermédiaire s'évanouit dans son propre résultat et ne laisse aucune trace." (Le Capital, Ed. Sociales, Livre I, tome 1, p. 103). Il nous en donne un exemple qui a une grande importance pour la question de la publicité : "Les marchandises trouvent sans paraître y avoir contribué en rien, leur propre valeur représentée et fixée dans le corps d'une marchandise qui existe â côté et en dehors d'elles. Ces simples choses, argent et or, telles qu'elles sortent des entrailles de la terre, figurent aussitôt comme incarnation immédiate de tout travail humain. De là, la magie de l'argent." (idem)

 

 

  La publicité est l'argent à la puissance indéfinie...

 

  Tout le devenir du capital à la représentation autonomisée est présupposition au monde de la publicité. Une étape essentielle a été l'instauration généralisée du crédit :

 

 

 "Le crédit c'est le jugement économique porté sur la moralité d'un homme. Dans le crédit, au lieu du métal et du papier c'est l'homme lui-même qui devient l'intermédiaire de l'échange."

 

 

"Dans le système du crédit, ce n'est pas l'argent qui s'abolit, c'est l'homme lui-même qui se convertit en argent; autrement dit l'argent s'incorpore à l'homme." (K. Marx, Manuscrits de 1844)

 

 

Or, que dit J. Séguéla, grand maître de la publicité, dans son livre Hollywood lave plus blanc (Ed. Flammarion): "la marque devient la personne, la personne devient star!". Cela veut dire que les êtres réels sont les entreprises, les marques. Mais que sont les entreprises sinon des quanta de capital ?


 

"La star est notre miroir communautaire. Le grand réflecteur et le kibboutz de nos fantasmes. Chacun s'y individualise mais tous s'y retrouvent. C'est le communisme de nos rêves... Le fil d'Ariane de la communication, c'était la star. Un être unique et multiple en qui chacun s'identifie et qui s'identifie â tous." (O.C., pp. 17-18)

 

 

   On retrouve la même idée dans Fils de pub (Ed. Flammarion, p. 254):

 

 

 "La star influe mais aussi propage. C'est l'image unique en laquelle chacun s'incarne, mais aussi multiple car elle s'identifie à tous. Le patron de demain sera ce grand miroir communautaire où tous s'individualisent et en même temps se retrouvent."

 

 

On a là, exprimé de façon différente, tout le mouvement décrit et explicité par K. Marx dans le chapitre I du Capital, avec un élément apparemment nouveau: la communication. Le mouvement doit se produire afin qu'il y ait circulation; il concerne les marchandises, et les hommes sont possesseurs de celles-ci. Maintenant hommes et femme sont incorporés dans la marque et, de ce fait, la circulation doit être aussi et de façon déterminante communication. Dés lors la problématique du signe, du langage devient déterminante comme on le sait à cause de tous nos sémiologues!

 

 

 Mais avant d'aborder ce thème de la communication, il est bon de rappeler qu'avant la floraison de publicitaires théoriciens et non seulement praticiens il y eut des personnes qui entrevirent le phénomène; de même que K. Marx avait compris le devenir total à la représentation.

 

 

 Dans Gloses en marge d'une réalité I[1] j'ai déjà abordé ce fait. Il est bon à ce propos de citer à
nouveau Leroi-Gourhan parce qu'il signale un danger escamoté par les divers publicitaires:

 

 

"Le langage qui avait quitté l'homme dans les œuvres de sa main par l'art et l'écriture marque son ultime séparation en confiant à la cire, à la pellicule, à la bande magnétique les fonctions intimes de la phonation et de la vision." (Le geste et la parole. Technique et langage, Ed. Albin Michel, p. 300)

 

 

Or le danger réside dans le fait que la séparation permet une accaparation de la part de certains individus qui, de ce fait vont détenir un pouvoir sur les autres parce que "l'audio-visuel correspond à une acquisition indiscutable puisqu'il permet une information précise et qu'il agit sur la masse informée par des voies qui immobilisent tous les moyens d'interprétation." (Idem, p. 295)

 

 

 Le réalisme intégral est despotique en ce sens qu'il empêche la manifestation d'un quelconque possible: on ne peut concevoir, imaginer que ce qui nous est présenté. Mais l'abstrait se révèle tout autant despotique dans la mesure où il est la représentation dominante et il capte la totalité des messages.

 

 Il convient de citer ensuite l'Internationale Situationniste, déjà mentionnée dans notre précédent article. Ce courant, qui dans une grande mesure se rattache à K. Marx, a une grande importance pour la compréhension du phénomène publicitaire actuel. I1 y a d'ailleurs chez J. Séguéla, par exemple, des phrases de style authentiquement situationniste:

 

 

"C'est que la France, lasse de la libre pensée de 68, avait soif d'une pensée libre. Et non faim de produits sans marque." (Hollywood lave plus blanc, p. 152)

 

 

    Autrement dit les français ont fait leur révolution en idée et, comme ils demeuraient dans la représentation du capital, l'effort d'imagination permit de forcer un verrou pour le capital; maintenant ils vivent bien dans l'imaginaire de ce dernier.

 

 

 "Etre une simple personne de nos jours est en fait n'être personne." (Idem, p. 59)

 

 

  Plus généralement, on peut dire que son ouvrage est un traité du savoir vivre à l'usage des jeunes marques. On y a le même détournement de la morale.

 

 

  "Nul mortel n'est autorisé à descendre de son piédestal. La fidélité à soi-même, c'est de trouver son exacte correspondance. La ténacité, c'est de savoir ne pas en changer malgré les tentations." (O.C., p. 167-168)

 

 

 Les adeptes de l'I.S., comme ceux de la publicité, renouèrent et renouent avec une tradition bien française incluant le moralisme à la La Rochefoucauld, comme le libertinage, mélange d'opposition morale et de fronde politique, le tout englobé dans la dynamique de rendre public le phénomène, dans le but de faire scandale, en jouant sur la renommée et l'opinion publique, éléments ancestraux du phénomène publicitaire. Tout cela est en liaison avec cette vanité française qui est ce sentiment affiché découlant de la perception exacerbée de son ego qui aboutit à lui accorder une importance hors mesure; ce qui implique la volonté de faire reconnaître par les autres cette exceptionnalité, sinon l'individu se sentirait bafoué.

 

 

 Il est certain que d'autres éléments interviennent dans le développement du phénomène. Toutefois les données sus indiquées sont déterminantes en ce qui concerne la France, surtout si on y ajoute la politique, qui implique elle aussi la nécessité d'une propagande, d'un prosélytisme.

 

 

Dès lors, on comprend pourquoi, après 1968,la publicité puisse s'y épanouir, bien que tardivement par rapport à d'autres pays. Ce dernier fait est lié au retard du développement du procès du capital. Maintenant que la communauté matérielle de celui-ci s'est également instaurée en France, il ne semble plus que la publicité soit strictement liée à un phénomène économique. Sa dimension politique s'impose en quelque sorte et vient à la rencontre des vieilles habitudes des autochtones.

 

 

 La publicité est en filiation directe avec la réclame initialement technique racoleuse de bateleurs (producteurs de boniments) opérant sur les badauds, mais elle a absorbé la propagande et le prosélytisme. C'est là que l'I.S. a terriblement anticipé. La dynamique de celle-ci fut de fait une publicité pour un mouvement révolutionnaire; elle fit du marketing. Les gens de ce mouvement furent d'autant plus contraints à cette pratique qu' ils s'adressaient à une classe non réceptive, passive qu'ils voulaient mettre en branle. Ils fallaient qu'ils l'agressent pour la détourner de ses orientations du moment et la projeter dans un devenir révolutionnaire. Ils devaient opérer un peu comme le préconisait Mussolini, jeter de la chaux vive sur les visages des hommes et des femmes afin de redonner vie à des cadavres.

 

 

 Avec le triomphe de la publicité on a la réalisation de la dernière phase du procès d'anthropomorphose du capital: elle permit l'incorporation-absorption de données humaines qui étaient demeurées en dehors de sa sphère.

 

 

 La marque - capital particulier sous sa forme représentative - devient humaine; mais son caractère humain est celui qui prévalait au moment où s'accomplissait le procès d'anthropomorphose. En s'autonomisant, la marque se dépouille de cet humain là. Dès lors ce seront les hommes et les femmes qui devront se transformer pour se retrouver dans les marques. Ce nouveau phénomène, qu'on pourrait appeler réomorphose ou réification animée, détermine toute la vie de la communauté actuelle et fournit la base explicative au psychisme particulier qui caractérise Homo sapiens à l'heure actuelle.

 

 

 La pratique publicitaire n'est possible que chez ceux qui sont possédés d'un délire de la volonté qui n'est plus mise au service d'une classe postulée potentiellement révolutionnaire, comme chez les membres de l'I.S., mais au service d'un phénomène qui s'évanouit: le capital, non pas dans sa forme strictement économique, mais en tant que projet de l'espèce: exaltation de l'intervention. Celle-ci implique de faire jouer tous les possibles, d'abolir toute idée de culpabilité, de faire ressurgir le goût du risque, une fois que la certitude au monde a été réalisée, c'est-à-dire que le procès de séparation de la nature a été définitivement réalisé et que l'espèce s'est instaurée dans cette séparation. Or ce projet, réalisé, ne peut plus avoir de pertinence pour elle qui sent plus ou moins consciemment que cela l'a conduite à l'errance généralisée: l'impasse où elle se trouve. En conséquence pour faire revivre le projet, il faut réanimer le cadavre.[2]

 

 

 Voyons maintenant comment les publicitaires et leurs adeptes conçoivent la société actuelle:

 

 

"La société de consommation est morte, vive la société de communication!" (J. Séguéla: Fils de pub, p. 33)

 

 

"Aujourd'hui, tout est communication, donc, nécessairement, persuasion."(Thierry Breton in Challenge n°13, 1985)

 

 

"Dès l'instant où l'on domine l'industrie du message, les choses peuvent aller loin." (Idem.)

 

A ces deux constations, T. Breton adjoint une formule-slogan: "Nous sommes tous contraints d'être des vendeurs." (Idem.)

 

 

Si maintenant on ajoute cette remarque importante de E. Dichter, citée par Vance Packard dans son ouvrage qui date de 1958, La persuasion clandestine, Ed.Calman-Lévy: "L'une des tâches principales de la publicité dans le conflit entre le plaisir et la culpabilité n'est pas tant de faire vendre les produits que de donner la permission d'avoir du plaisir sans le sentiment de culpabilité." (p. 59), on a la caractérisation de la société désirée par les publicitaires et les linéaments de l'action qu'ils proposent pour l'atteindre.

 

 

Tout d'abord une remarque s'impose pour situer combien cette nouvelle société est en continuité avec celle du capital. C'est ce dernier qui a brisé tous les tabous et a tendu à déculpabiliser [3] les hommes et les femmes, minant ainsi le support de la religion. Le danger c'est que cette déculpabilisation s'accompagne souvent de la perte de tout sentiment de responsabilité. On est dans un jeu et on applique les règles en trichant plus ou moins sans se préoccuper des conséquences.

 

 

 La nouvelle pensée-slogan de notre époque est donc: la société de consommation est finie nous devons réaliser celle de la communication. Cette pensée explose partout et essaie de tout détourner pour s'affirmer nouveauté [4]. Mais peut-on avoir consommation sans communication, et cette dernière sans la première?

 

 

 Cependant cette pensée affronte une donnée réelle: tout est axé, à l'heure actuelle, sur la nécessité d'influencer autrui afin, en définitive, de lui faire consommer quoi que ce soit de matériel ou d'immatériel.


 "On n'achète plus un produit pour sa valeur d'usage, mais pour sa valeur imaginaire ajoutée " (J. SéguélaFils de pub, p. 36).


 Mais étant donné le phénomène d'autonomisation, le but concret, tangible -ce qui est déterminant, le fait de communiquer afin de faire passer un message qui sera une commande de consommer  va s'estomper.

 

 

 Jean-Marie Dru l'a très bien compris qui écrit dans Le saut créatif (Ed. J.-C. Lattès, p. 233): "La publicité n'est plus jugée par rapport au produit mais par rapport à elle-même. Le discours évolue du produit vers la marque. Ce qui explique le glissement de l'explicite vers l'implicite et du rationnel vers l'imaginaire".

 

 Réaliser une consommation passe donc au second plan; avoir un efficace sur autrui devient essentiel: la persuasion, comme ce fut noté dès le surgissement du boom publicitaire aux USA.

 

 

 Mais derrière la communication et la persuasion, il y a quelque chose de très ancien qui depuis longtemps hante les hommes: le pouvoir. C'est ce que les sophistes avaient très bien perçu et exprimé il y a plus de 2.500 ans, au moment où se développa la polis grecque. Pour eux, la rhétorique était un art visant à la persuasion afin d'exercer un pouvoir sur autrui, qui ne pouvait atteindre son but que s'il était apte à manipuler l'imaginaire de leurs auditeurs. La publicité est la sophistique actualisée.

 

 Il n'est pas possible, dans le cadre de cette glose, d'envisager tout le phénomène. Nous voulons seulement, pour le moment, mettre en évidence la continuité entre publicité et phénomène de la représentation du capital. Dans ce but, nous reprenons l'analyse du livre de J. Séguéla Hollywood lave plus blanc, pour revenir sur cette question du pouvoir, à la fin, qui sera une ébauche introductive à une étude ultérieure sur la représentation dans la communauté telle qu'elle est à l'heure actuelle.

 

 

 Tout d'abord J. Séguéla affirme la primauté de l'être sur l'avoir ce qui est le fondement de la vieille critique à la société bourgeoise:

 

 "Le "Je pense donc je suis", slogan fétiche des siècles écoulés, s'écrit désormais "Je suis, donc je pense".

 

 "Ainsi s'estompe un siècle d'hégémonie de l'avoir, avec son culte, l'argent, son signe extérieur, la réussite, et son satisfecit, le statut social. Entre en scène l'être, avec sa religion du plaisir. Dés lors sa recherche devient la réalisation de soi, l'insertion sociale." (pp. 47-48)

 

 Ceci fait étrangement penser à R. Vaneighem qui écrit dans Le livre des plaisirs [5]:


 

 "Tout est permis car rien n'est vrai des vérités marchandes." (Ed. Encre, p. 163). Toutefois, il reste en deçà de J. Séguéla qui ajoute :

 

 

 "C'est le changement de vie qui les motivait, pas le changement de régime. La promesse de l'être avait vaincu la certitude de l'avoir. Nul n'y prend vraiment garde. Mais cette secousse psychique des racines de notre peuple est un vrai tremblement de race. Jamais une nation n'a connu un tel consensus spontané de remise en question des valeurs. Et l'effet de choc va plus loin que le couronnement d'un nouveau président. Notre nouvelle société n'a pas le choix, rêver ou crever. Jamais la nation n'a aussi unanimement appelé l'imaginaire. D'ailleurs, où mieux trouver que dans sa tête l'épanouissement de soi?" (p. 48)

 

 

  Il fait allusion aux évènement qui aboutirent à l'élection de F. Miterrand à la présidence de la république en mai 1981. Il leur attribue une importance sans commune mesure avec ce qu'ils furent (cf. Gloses marginales en marge d'une réalité I ). Mais peu importe ce diagnostic, ce qui est essentiel, c'est ce qu'il en tire qui sera opérant pour la fondation de sa théorie sur la publicité.

 

"La marque de demain ne sera plus un besoin d'avoir mais une nécessité d'être, le mariage d'un produit et de son magnétisme. C'est à la communication, fille de la publicité et petite-fille de la réclame, d'apporter cette valeur de rêve sans laquelle nos pâtes, nos huiles et nos lessives ne seraient que ce qu'elles sont."

 

 

Il est remarquable de constater à quel point il exprime la perte d'immédiateté: pourquoi faut-il consommer du rêve en plus de la consommation matérielle des aliments? Parce que la consommation n'est plus intimement liée à la convivialité immédiate? I1 dévoile en outre le repli sur soi de l'espèce et des individus chez qui l'imagination servait auparavant à atteindre d'autres réalités que la leur, et qui se réduit maintenant à donner une importance à ce qui naguère l'avait immédiatement.

 

 

J. Séguéla poursuit : "Notre âge devenant celui de l'être, notre réflexe logique fut de nous interroger sur l'être des produits." (p. 54)

 

Il parle de produits mais il va vite montrer qu'en définitive c'est la marque qui est essentielle. Il va s'occuper de celle-ci après avoir fait une analyse de la personne. I1 la définit à partir de trois critères: physique, caractère, style. Le premier peut être considéré comme un référent par rapport auquel il peut y avoir autonomisation, bien qu'il ne le dise pas clairement. Le deuxième est en relation avec la communication et la manipulation. I1 semblerait que chaque être voulant séduire, communiquer, etc., doive se transformer en une écriture que les autres doivent déchiffrer (ne pas oublier la toute puissance du voir, comme l'a si bien noté M. Mac Luhan). Ce qui recoupe la formule-slogan de T. Breton au sujet de la nécessité de se transformer en vendeurs. Très exactement, le caractère est ce qui pourra séduire.

 

 

 "Reste le style. Cette façon de paraître des produits, c'est la technique même de la publicité. Le slogan est aux grandes firmes ce que la devise est aux grandes familles… Le paraître est le miroir de l'être. Encore faut-il avoir un être." (p. 58). Le style est ce qui doit séduire au second degré.

 

 

 Ensuite il passe à l'analyse de la star ("moment mythique") dont il a été question plus haut: "Elle est la rencontre fatale du commerce et de l'art, de la déesse et de la marchandise. L'homme du XX° siècle va enfin trouver réunies, se faisant la courte échelle, ces valeurs ennemies qui ont toujours déchiré sa vie." (p. 63)

 

 

 "La star est plus qu'un acteur incarnant des personnages, elle s'incarne en eux. Et eux, en retour, s'incarnent en elle. Elle est la réincarnation ubiquiste et universelle. Par quel pouvoir? Celui de sa triple nature, car la star a trois armes absolues. En priorité la star convainc." (p. 64)

 

 

 "La star fait acheter. C'est sa raison d'être. Mieux, sa passion d'être." (p. 64)

 

 

 "La deuxième nature de la star est de durer." (p. 65)

 

 D'où:  "... c'est être maître du temps. Vieux rêve de tous les hommes." (p. 65)

 

 "Troisième nature: séduire. Car séduction rime avec communication. Eve l'a appris à l'homme dès le paradis terrestre, mais il s' acharne à l'oublier." (p. 66)

 

 

Ce qui est important, c'est le procès de formation des stars. Chaque fois qu'il y a une particularité saillante qui est comme un élément repère, signifiant d'une donnée de la personne (ne pas oublier que toute personne est une écriture recèlant une originalité que les autres doivent déchiffrer) et qui est en quelque sorte paradigmatique (cette particularité est à la fois un repère et une visée, c'est-à-dire qu'elle est ce que les hommes et les femmes recherchent), elle est utilisée et exaltée. A tel point que telle star sera en définitive telle particularité. En généralisant on peut penser que l'ensemble des stars constitue la totalité incarnée de l'imaginaire humano-féminin.

 

 

Pour que ceci se réalise, il faut qu'il y ait non seulement un procès d'identification mais un procès de projection; les hommes et les femmes doivent projeter leurs qualités dans les marques qui deviennent les stars. A ce propos il est important de noter la remarque de J.-M Dru"l'identification est un phénomène passif alors que la projection est un acte dynamique et positif." (O.C., p. 198)

 

 

C'est ici un point nodal où 1a publicité n'utilise plus une psychologie primaire, en faisant appel aux données du refoulement sexuel (il y a longtemps qu'elle a digéré la psychanalyse), mais tente d'investir tout le champ psychique. Or ce dont souffrent les hommes et les femmes depuis des millénaires, c'est de ne plus pouvoir se projeter dans l'univers, c'est d'être passifs et de ne pouvoir représenter que des phénomènes, même si cela apparaît comme activité dans la mesure où cela opère dans l'édification de leur représentation. La projection du psychisme dans le devenir de la réalité était rejetée parce que relevant de la dimension magique (une sorte d'animisme généralisé). Or, voilà que la publicité leur permet, au travers des marques, de participer à un certain monde et par là de s'immerger dans un continuum. C'est un piège, sournois, comme il se doit.

 

 

Cet exposé sur la constitution des stars est également celui sur l'autoexploitation et sur la réduction de chaque être humain ou féminin à une simple détermination afin de pouvoir accéder à l'existence.

 

La publicité ne mobilise pas seulement la psychologie mais d'autres secteurs de la représentation, ainsi de la philosophie comme on l'a déjà vu à propos du cogito de Descartes que J. Séguéla prend souvent à partie dans son oeuvre: "Les hommes se sont toujours fourvoyés sur l'homme. Des générations de cartésiens nous ont enfoncé dans la tête qu'exister, c'est penser. Stop! Etre, c'est communiquer." (Fils de pub, p. 43)

 

 

"Après bien des siècles de terrorisme intellectuel, le cartésianisme vacille enfin. Cette obsession de la raison, Fuhrer de tant de générations de rigueur, perd chaque jour de son emprise." (p. 176)

 

 

"Nous avons toujours ramené le monde à un système binaire, le bien, le mal, le grand, le petit, la droite, la gauche. C'est notre plus grand péché contre le progrès. La mort du manichéisme inaugure une ère à forces ternaires : le courage, l'imagination, et la communication. I1 n'y aura bientôt ni pensée ni pouvoir qui ne soient en ces trois dimensions." (p. 177)

 

 

Cet anticartésianisme, cet antibinarisme est une donnée actuelle des représentations aussi bien chez les penseurs liés à la recherche officielle que chez les ésotériques, irrationnalistes, etc., comme on peut s'en rendre compte à la lecture d'une revue comme III° Millénaire remake de Planètes des années 60 (n'y aurait-il pas à ce propos une certaine compulsion à refaire ce qui fut réalisé en ces années, comme il y eut celle à réeffectuer ce qui avait été réalisé dans les années 20 ?).

 

J. Séguéla ajoute ailleurs : "Notre monde vient de quitter le panurgisme pour découvrir l'égo." (pp. 153-154). Va-t-il nous infliger une resucée de la transcendance de l'ego sartrienne et ressusciter l'existentialisme?

 

 

Dans cette résurgence existentielle interviennent deux phénomènes. Tout d'abord le repli des hommes et des femmes sur eux-mêmes à la suite des divers échecs des révolutions de ce siècle et particulièrement à la suite de celui du mouvement de Mai-Juin 68 -en précisant bien qu'ici je veux seulement parler de la tentative de constituer immédiatement des communautés aptes à vivre dans une dynamique autre que celle imposée par le capital. Ensuite, intervient le phénomène qui fait que rien n'est sacré, intangible, que tout peut se vendre, et qui conduit à la constatation qu'en définitive il ne reste qu'un bastion: l'ego. S'il venait à faillir, tout s'écroulerait, d'où la nécessité compensatoire de son hyperexaltation et ce d'autant plus qu'il est nié, bafoué par les divers mécanismes de la communauté actuelle et, en particulier, par les gens qui prônent le plus son exaltation: les publicitaires. Plus exactement ces derniers nient la réalité concrète des divers êtres humains et féminins et leur fondent un ego valorisable.

 

 

On n'aura pas un nouvel existentialisme [6] mais la publicité pourra d'autant mieux fonctionner qu'elle aura intégré 1a visée de cette philosophie devenue surannée puisque c'est elle qui en fait donne l'être, le contenu, alors qu'elle-même n'est qu'une forme.

 

 

Cette approche n'est pas particulière à J. Séguéla. En effet, J.-M. Dru que nous avons déjà cité, indique dans ses principes de technique publicitaire qu'il faut surprendre, donc arracher l'être humain ou féminin à son continuum, simplifier parce que cela a plus d'impact, opérer non seulement par une identification mais aussi par une projection (comme on l'a déjà indiqué); et il ajoute que l'identification ne doit pas se faire à un personnage mais à une situation, ce qui contribue encore une fois à donner l'illusion au consommateur qu'il est actif. En fait il y a simulation (et ceci rejoint les remarques faites par des gens comme J. Baudrillard ou M. Perniola); et il ajoute:

 

 

"Ainsi le suspense, sorte d'intrusion dans l'esprit du spectateur, est, au même titre que la provocation l ('intégration de dada, des surréalistes, des situationnistes, n.d.r] ou la fascination, un facteur d'implication. L'intelligence, l'émotion et l'humour sont des valeurs d'échange; la provocation, la fascination ou le suspense sont des valeurs de jeu." (O.C., p. 254)

 

 

 La publicité intègre donc également le jeu. J. Séguéla aboutit au même résultat tout en jouant un jeu lacanien:

 

 

"Qu'importe si la règle du jeu devient règle du " je "? " 

 Cela lui permet de faire intervenir un autre élément qu'on a déjà rencontré: le rêve. 

"L'enjeu reste le même, faire rêver." (p. 154)

 

 L'intégration du jeu va jusqu'à celle du jeu démocratique sans lequel tout le reste s'effondrerait. En effet, il faut qu'il y ait une égalisation par généralisation d'un acquis à l'ensemble de la population et stimulation d'une concurrence pour faire croire à l'originalité, à l'exceptionnalité de chacun.

 

"La mutation sera autre. Le phénomène loin de s'éteindre, va s'étendre. Hier, la star était l'exception. Aujourd'hui, chacun peut devenir star. Ce n'est après tout qu'aller au bout de soi-même et, dès lors qu'on se dépasse, dépasser les autres." (p. 154)

 

J. Séguéla insiste sur une autre dynamique fondatrice (fondamentale) en société démocratique: celle du choix.

 

"La publicité ne fait pas consommer, elle fait choisir. Son talent est de donner la préférence mais pas le besoin d'achat." (Fils de pub, p. 218)

 

 

 Les publicitaires vont orienter le hasard!!
 

 La démocratie est la grande illusion: il ya possibilité de choisi[7] . Elle se manifeste dans tous les domaines, particulièrement dans ceux du savoir, d'où l'apologie du hasard. Sans lui, pas de choix possible. En même temps, s'il y a hasard, il y a possibilité pour qu'on puisse accéder à autre chose que ce qu'on est.

 

 

Toutefois, de nos jours où la démocratie est totalement réalisée et dépassée, le choix est inclus dans la structure même, il en est de même du hasard. Ce dernier n'opère plus de l'extérieur permettant à l'individu (plus exactement, ce qu'il en reste) de prendre telle ou telle place dans le corpus de la communauté, d'effectuer telle ou telle fonction, avoir tel ou tel rôle, etc.. La publicité réintroduit alors un élément aléatoire tout en essayant de le diriger.

 

 

En même temps les publicitaires veulent contribuer à restaurer l'esprit d'entreprise dont le déclin signifiait pour Schumpeter la fin du capitalisme, car sans elle pas de création de produits et pas de supports pour la publicité.

 

 

La publicité devient de plus en plus un logos total au sens de discours, de science, de technique qui vise à avoir une action sur les hommes et les femmes et, lorsqu'elle se réfléchit sur elle-même, elle expose parfaitement un discours sur le pouvoir. Elle est de ce fait exaltation de la persuasion, d'où la nécessité de magnifier l'imagination; ce qui implique de prôner identification et projection qui permettent la suggestion la plus efficace réalisant alors une sujétion par extériorisation et intériorisation.

 

 

Elle est aussi exaltation de la séduction qui est la forme parachevée de la persuasion, une persuasion sans retour irréversible. C'est pourquoi elle prend une forme incantatoire, et par là nous retrouvons la magie dans le sens courant du terme.

La publicité est l'expression parfaite de l'issue de l'espèce de la nature et particulièrement de sa coupure d'avec l'animalité [8]. Or, curieusement, en dépit des resucées démocratiques, la communauté de Homo sapiens actuel ressemble beaucoup à celle de certains insectes. Chez ces derniers l'essentialité du procès reproductif est assuré par quelques membres (un mâle et une femelle ou une femelle et quelques mâles), les autres ne font qu'entretenir le procès [9]. Chez Homo sapiens, à l'heure actuelle, il y a des élus, des stars qui effectuent le procès de vie que les autres copient s'ils veulent exister. Imiter leur permet de participer.

 

 

Si elle tend à être un logos total, la publicité n'en exprime pas moins une pensée bricoleuse, opportuniste, immédiatiste qui opère en mettant ensemble des éléments disparates, afin que cela fonctionne, afin d'exercer un pouvoir. Au fond, elle a besoin, pour exister, de la pensée banale, banalisée, afin de s'en distinguer, en même temps qu'elle exalte l'originalité et la réflexivité. C'est dans cette apparente contradiction que se loge la trappe du pouvoir où les consommateurs doivent tomber.

 

Même s'il semble limiter la portée de l'action des publicitaires, J.Séguéla indique bien à quel point la publicité est dispensatrice de pouvoir.

 

 

"N'en déplaise à l'ego de la profession, nous sommes plus accoucheurs que concepteurs. Nous donnons la vie aux idées des autres, nous ne donnons pas les idées aux autres. Notre métier est de faire venir au monde des bébés stars que les annonceurs portent en eux." (Hollywood lave plus blanc, p. 208)

 

 

Dans tous les cas, le nombre des annonceurs est ridiculement petit par rapport à la masse des consommateurs. Donc les nouveaux Socrate vont faire accoucher, et donc faire accéder à la naissance ce qui va guider, conduire les hommes et les femmes. Or qui guide a le pouvoir.

 

 

Pour guider il faut séduire et pour séduire il faut distraire au sens le plus littéral du terme: il faut faire dévier l'autre  de sa trajectoire afin qu'il vous rencontre et vous suive.

 

 

"Le monde s'est donné la force, la vitesse, et l'intelligence, mais il a oublié la distraction. Sans repos du guerrier il n'y a plus de guerre. Sans appétit du consommateur,  plus de consommation." (O.C., p. 222)


 

Distraire c'est faire oublier. Pour réaliser un tel but rien de tel que l'art qui se réalise et s'abolit dans la publicité grâce à laquelle il effectue sa fonction de compensation et sa fonction cathartique dont parlait Aristote. Ce n'est pas pour rien que J. Séguéla reprend la phrase de Shakespeare: "The world is a stage...".

 

Le monde tend à devenir un théâtre double ou, si l'on veut un théâtre où son double vient s'agglutiner à lui; il y a coalescence entre les deux.

 

 

En effet chacun devenant le vendeur de son ego devra copier les maîtres illusionnistes, ceux qui peuvent faire croire à la réalité de l'enflure de l'ego. Ils joueront la pièce qu'on leur joue. C'est une parodie d'aliénation... tout à fait théâtrale. En fait il y a un phénomène de substitution chaque fois que le thème de la pièce change au gré de la publicité. L'individu est chaque fois substitué. I1 y a longtemps qu'il a perdu tout contenu propre; cela n'a plus de sens qu'il devienne autre!

 

 

Mais il y a mieux, et c'est là que se manifeste le plus nettement le redoublement. Prenons le cas du joueur de football, de tennis, etc., qui porte un slogan publicitaire ou tout simplement le nom d'une marque (les gens aiment être marqués -un peu comme les bêtes d'un troupeau- et faire de la publicité, comme le montre la mode des tee-shirts portant le nom d'universités, de villes, etc..), il fait à la fois de la publicité pour l'activité qu'il effectue, du fait qu'il y excelle et la met en vedette, et il publicite, en la faisant sortir plus ou moins de l'inconnu une marque donnée et lui fait accéder à la célébrité. Le joueur se double donc de l'être publicitaire, opérant à deux niveaux il deviendra peu à peu le symbole de la marque qu'il expose, un de ses paraîtres!

 

 

Le phénomène opère également dans le monde artistique au travers de la "sponsorisation".

 

 

On a un phénomène de sympathie: si untel est génial dans sa spécialité et s'il vante telle marque, tel produit, alors ce produit est exceptionnel. Magie ! qui est opérée également par les divers slogans affichés, en lesquels tous les éléments d'un procès disparaissent.

 

 

Pour distraire les gens, il faut jouer sur leurs représentations, donc sur leur imaginaire. De là l'exaltation de l'imagination -déjà signalée à maintes reprises- qui doit prendre le pouvoir. Cette exaltation conduit J.Séguéla à faire celle de la débilité, résultat de la dépossession-extériorisation et de l'épuisement des capacités vitales de l'espèce.

 

 

Il nous parle des poupées qui, aux USA, sont considérées comme des enfants; mieux que des enfants, car elles sont préférées parce qu'elles n'offrent pas d'inconvénients: elles ne pleurent, ni pissent, ni ne chient...-Il y a simulation du maternage et du paternage. Puis il note: "Seul le chèque de cent vint cinq dollars est vrai. Tout le reste est fiction, mais d'une fiction toujours porteuse de rêve. Le médicament le plus administré est le T.L.C, Tender, Loving, Care..."


" Dès lors la grande illusion célèbre sa messe..."


"Certes personne n'est dupe."



" "Le jeu est de jouer le jeu" avouera la fausse mère. Que celui qui n'a jamais fantasmé lui jette la première pierre." (Hollywood lave plus blanc, pp. 49-50)

 

 

En réalité on peut dire que ces femmes sont prises au jeu et mises hors jeu d'une dynamique humano-féminine. La question n'est pas de jeter un quelconque anathème contre qui que ce soit; la cible n'en vaut pas la peine. I1 faut noter tout simplement la dégénérescence... I1 n'y a plus que des simulations et des simulacres. Tout a été extériorisé et tout peut se jouer dans une combinatoire indéfinie et débile.

 

 

 Ce qu'il y a de plus ignoble et de plus catastrophique c'est le repli sur l'ego. I1 y a séparation totale: père, mère, enfants, chacun s'enferme dans son univers nombrilique et pour avoir accès l'un à l'autre, communiquer, il leur faut des simulations, des simulacres. Il y a réduction du ludique à sa dimension enfantine: les enfants jouaient à la poupée, les adultes jouent à l'enfant! En même temps cette conduite témoigne d'une fuite devant une réalité frustrante et devant sa propre dégénérescence. Les "produits" qu'ils pourraient engendrer eux-mêmes ne sont pas gratifiants, parce qu'ils ne sont pas signifiants d'une puissance... alors mieux vaut avoir des simulacres d'enfants.

 

 

Ceci est le prélude à l'instauration d'une nouvelle communauté, celle des simulacres; hommes et femmes auront disparu. La pratique de l'art consistera, alors, à exalter ce qui a été perdu.

 

 

Pour une communauté d'êtres humains et féminins allant toujours plus en dégénérant, la publicité se manifeste comme le grand thérapeute, soit directement, par sa manifestation propre, soit par des pratiques qu'elle induit. Dans un article de la revue Parents expliquant comment, aux USA, des parents avaient créé une ligue pour s'entraider afin de pouvoir dire non à leurs enfants - renonçant à la pratique antiautoritaire antérieure - il était indiqué la remarque d'un psychologue concernant la pratique de cette ligue. Il signalait le danger d'accroissement de violence que cette dernière impliquait et notait à quel point le vrai problème n'était pas abordé: la destruction des liens affectifs eux-mêmes. Pour illustrer son propos, il ajoutait: connaissez-vous un pays où l'on puisse lire, placardé sur la vitre arrière des voitures, le slogan suivant: "avez- vous pensé à embrasser votre enfant ce matin ?"

 

 

La nécessité de jouer sur l'imaginaire a donc la nécessité de faire appel à l'art. Il en est de même pour manipuler la forme.

 

"Pourquoi ne pas le reconnaître? Nous sommes entrés dans l'ère de la forme. Seuls ceux qui la maîtrisent peuvent espérer se faire entendre. Notre siècle de facilité et d'efforts hachés ne trouve plus la sagacité d'aller au fond. Ultime recours, la forme nous force à l'exploration des choses. Sans elle, nous ne quitterions pas leur surface." (Hollywood lave plus blanc, p. 132)

 

 

Là encore nous avons une filiation avec le devenir du capital puisque le triomphe de ce dernier s'opère en même temps que l'autonomisation de la forme. Voilà pourquoi elle envahit tout et, ce faisant, elle mine l'existence même de l'art puisque celui-ci ne peut exister que par destruction de formes préexistantes. La forme autonomisée s'oppose à cette dynamique sur le plan de la totalité parce qu'elle est fixation, et sur le plan de la particularité parce qu'il y a une évanescence absolue des formes [10]. Il n'y a plus rien à tuer, d'où la mort de l'art, absorbé, dès lors, par le procès productif total.

 

 

Cette mort est contemporaine d'une débauche de productions artistiques qui aboutissent à la formation d'un environnement (Umwelt) constitué par l'ensemble des affiches placées sur diverses sortes de supports. A partir de ce moment ce n'est plus le changement des saisons qui va intervenir sur le procès psychique du citadin, mais c'est la succession des phases de campagnes publicitaires qui est incroyablement plus rapide que celle des saisons d'où le stress qu'elle engendre.

 

 

Le mouvement qui a abouti à l'autonomisation de la forme a produit également celle de l'idée.

 

 

"Ce livre est consacré à l'idée " (J.-M. Dru, O.C., p. 21)


 

"…ils séduisent les idées. Leurs ancêtres, eux, se laissaient séduire par elles." (J. Séguéla, Fils de pub, p. 117)

 

 

 On n'a plus le monde de l'idéologie, celui où les hommes et les femmes étaient dominés par les idées, car c'est un monde où ce sont les idées qui règnent en tant qu'êtres autonomisés, qu'hypostases faisant pendant aux simulacres. Hommes et femmes ne sont plus que des référents, à part les maîtres illusionnistes, dont parle A. Leroi-Gourhan, qui parviennent -dans une certaine limite- à manipuler les idées et les êtres.

 

 

La domination de l'imaginaire dérive du fait que le développement productif ne peut plus se faire sur le mode extensif, comme avec le capital, mais sur le mode intensif. En conséquence, pour produire il faut avoir maîtrise de cet imaginaire et pour atteindre ce but il faut une connaissance de la psychophysiologie de celui-ci que J. Séguéla résume en trois mots: rire, rêve, risque[11] 


 

On est placé dans la situation suivante: il y a de plus en plus difficulté de produire quelque chose de nouveau, en rapport à un nouveau besoin difficilement suscitable, alors il faut faire ressortir des particularités afin d'originaliser, afin de créer simultanément une situation où il puisse y avoir un choix. C'est ici en particulier que doit se produire la réflexion dont parle J. Séguéla à propos de la forme. L'acte de pseudo-création vise à apporter une différence qui -et l'on se place ici tant au point de vue du pro­duit qu'à celui du consommateur- fonde un sentiment d'existence et le justifie.

 

 

Ensuite il faut vendre. Si l'on tient compte de la proposition de T. Breton -tout le monde doit se transformer en vendeur, cela implique que toute personne doit considérer les autres comme des acheteurs et, pour que ceux-ci acceptent de consommer le produit, il faut que chacun parvienne à la connaissance de ses semblables pour déterminer leurs motivations; à partir de là, les séduire, etc..

 

 

Dès lors, étant donnée la manifestation d'une autre tendance actuelle sur laquelle nous devrons revenir, celle de la gratuité [12], ce que chacun recherche ce n'est plus quelque chose relevant de l'économie classique, tel le profit, mais le pouvoir qui est étudié de façon explicite par les publicitaires.

 

 

Tout d'abord une remarque de J. Séguéla :

 

 

"Ces hommes ne commandent plus [les dirigeants politiques, n.d.r], ils animent. Le seul qui ait un réel pouvoir actuellement, c'est Reagan. Car avec la multitude de câbles, de satellites qu'il tient à sa disposition, il arrose le monde entier et agit malgré lui sur les consciences." (in Psychologies, n°1, mai 1983)

 

 

Les vieilles formes politiques du pouvoir sont en voie de disparition, comment alors se manifeste celui-ci?

 

 

C'est ici qu'il nous semble que J. Séguéla n'est pas allé assez loin dans son exaltation de la publicité. Au lieu d'écrire: "exister, c'est communiquer", il aurait dû affirmer : exister, c'est être publicité. Car à quoi sert la communication sinon à faire connaître aux autres mon existence afin d'avoir un impact, un efficace, etc..

 

 

"Qu'importe les sacrilèges, le seul culte qui compte est celui de la personnalité. On peut aimer ou détester,  qu'importe! l'efficacité est là." (J. Séguéla Fils de pub, p. 254)

 

 

"Je ne crois pas aux hommes de l'ombre. S'ils restent cachés, c'est qu'ils ne savent pas se mettre en lumière. Vous savez, dans la vie, il y a les élus, ceux qui donnent envie, et les autres. Mieux vaut faire envie que pitié." (Propos de B. Tapie, in Fils de pub, p. 255)


 

 

On ne s'intéresse aux autres et donc on est à leur écoute (communication) que dans la mesure où cela sert à capter des informations qui seront utiles pour édifier une image de marque et se rendre meilleur vendeur de soi-même.


 

La publicité intègre le marchandage -antique forme publicitaire où initialement le producteur exposait la réalité de son produit, la réclame, la mode, la propagande (utilisation du charisme), le prosélytisme, la consommation ostentatoire (toutes activités visant le pouvoir sur les autres), le jeu, le divertissement, la fête [13], et, pour ce faire, utilise les acquits des sciences physiques qui permettent la réalisation des machines nécessaires à l'édification du substrat publicitaire (les médias) comme les sciences humaines: sociologie et psychologie. Elle opère en surface, c'est-à-dire à partir d'un advenu fondamental, non mis en question: la communauté du capital, même si ce dernier s'évanouit dans sa réalisation, ce qui nécessité en compensation la magie de le pérenniser.


Elle est l'entremetteuse universelle dont parlait Shakespeare à propos de l'or, avec cette différence qui se manifeste ainsi: avec l'or on avait accès à la consommation de la femme, maintenant celle-ci est consommée publicitairement et devient superflue dans sa réalité.

 

 

On comprend pourquoi J. Séguéla déclare:

 

 

"Refuser le pouvoir de médiatisation, c'est refuser tout pouvoir de conviction." (Fils de pub,  p. 242)

 

 

  Il faut se soumettre aux medias afin d'avoir un impact, c'est-à-dire afin d'être publicité. Or, plus on est publicité, plus on a du pouvoir, car qui a de la publicité a du pouvoir. Avoir de la publicité cela veut dire en faire pour soi-même, être le support de diverses publicités. Toute femme, tout homme est convié à devenir un histrion qui récite de diverses façons - en utilisant divers medias - des boniments sur sa réalité. Même si ce qu'il (ou elle) débite a un caractère de véracité et peut avoir un intérêt sur le plan informationnel, il n'en demeure pas moins qu'il y a un exercice de culte de l'ego qui est la négation de toute communauté humanoféminine réelle.

 

 

  Etre publicité relève de la reconnaissance tautologique: l'individu projette dans son entourage des éléments dont l'ensemble forme une image valorisante de lui-même et il essaie qu'ils soient acceptés par les composants de cet entourage qui, en les adoptant, manifestent l'importance de ce qu'il est. N'a été reconnu que ce qu'il a donné. Je donne pour que tu reconnaisses. Dans le donné et le reconnu il y a la même chose: les autres ne sont que des miroirs parlant ou mimétiques. La communication c'est la publicisation.

 

 

Pour mieux comprendre l'importance de la publicité, il faut à nouveau revenir sur le devenir de notre monde. Au cours de ces dernières années le capital s'est pleinement échappé de ses déterminations humaines, parachevant son anthropomorphose, accédant par là à sa mort potentielle. Ce faisant, on avait simultanément autonomisation passive du résidu de l'espèce aux dépens de laquelle s'est effectué l'anthropomorphose; ce qui peut être un facteur supplémentaire de sa dissolution.  Elle n'a plus son référentiel ancien et s'affronte au vide. Ceci ne peut être surmonté, compensé que par un développement énorme de la phase imaginaire du procès de vie, ce qui est une autre détermination du développement de l'imagination, mais asservie au système.

 

 

Le phénomène publicitaire est l'expression la plus parfaite de l'autonomisation de l'imaginaire qui devient une figure de la production totale. En effet, la publicité non seulement ne fait pas consommer -elle fait choisir, mais elle est consommée en tant que produit, à tel point qu'il faudra probablement une publicité de la publicité afin de faire choisir parmi les divers produits publicitaires. De telle sorte qu'on pourra aboutir à une série de systèmes publicitaires décidant les uns des autres.[14].    

 

 

 A partir de là on comprendra l'importance qu'a eu en France -pour la réalisation de ce devenir- le mouvement de Mai-Juin 1968 et particulièrement l'œuvre de l'I.S. qui opéra un travail de déculpabilisation qui devait se révéler fondamental pour la consommation, et facilita le dévoilement de la nouvelle phase du capital en théorisant, de façon trop immédiate, la société du spectacle. Aux USA, on a eu un phénomène similaire: le mouvement contestataire en mettant en cause la rationalité a favorisé le développement de la représentation actuelle dominée par l'imaginaire et par l' intégration de l'irrationnel.

 

 

 J. Séguéla reconnaît le phénomène:


 

"Le don des révolutions manquées est de réussir les évolutions de conscience. Et, ainsi, de continuer leur voyage. La jeune pub, issue des barricades, ne peut s'empêcher de poursuivre sa lutte en envoyant des pavés dans la mare." (Hollywood lave plus blanc, p. 47)

 

 

C'est pour cela qu'il (de même que les autres publicitaires) doit escamoter ou englober Mai 68, ne serait-ce que parce que la logique du monde en place veut qu'il faut toujours lutter contre ce qui est proche afin de se différencier.

 

 

 Ainsi après avoir exposé pourquoi la publicité doit produire un nouveau langage:

 

 

"Mais culture oblige, à l'élémentarisme brutal d'hier nous devons substituer une secondarité élémentaire. On pourrait l'intituler "décalage". Le terme n'est pas parfait. Il peut signifier déstabilisation et laisse entendre qu'il s'ajuste aux marginaux. Loin de là, il est l'expression des décalés, antirecentrés qui, loin d'être nos nouveaux hippies, sont peut-être la majorité de demain. Décaler signifie toucher le spectateur par ricochet, en lui signifiant bien que c'est un jeu mais en le pressant de jouer avec notre produit." (Fils de pub, p. 226)

 

 

 J. Séguéla ajoute:


 "A la dérision débile des soixante-huitards succède la déstructuration." (p. 227)

 

Si nous insistons sur l'importance de l'absorption récupération de l'œuvre de l'I.S. par la publicité, ce n'est pas pour nier son importance, mais c'est pour mettre en évidence le danger de s'affronter à une phase particulière d'un procès, sans tenir compte de sa totalité. Si on prend le cas de celui du capital, on sait, avec K. Marx, qu'il a plusieurs figures: mercantile où domine le commerce, industrielle où c'est la production, financière où prévaut la représentation; puis lui-même accède à sa figure représentative propre, et enfin on a sa dissolution qui fonde ce qui a été appelé société de consommation, post-industrielle, de communication, de création, etc.. On doit donc, lors de l'analyse d'une figure particulière, manifestée à un moment historique donné, tenir compte de toutes les autres et de leur procès d'engendrement, ce qui permet de prévoir le devenir ultérieur et de déterminer si oui ou non le phénomène s'est épuisé. C'est pourquoi, à l'heure actuelle, exalter la création c'est vouloir revitaliser un système condamné et, ceci est vrai, même si on considère qu'elle est une exigence de l'espèce, parce qu'alors on entérine la fragmentation du procès de vie du sein duquel un élément particulier est extrait et exalté.


  Ceci est également vrai pour la communication de plus en plus liée à l'informatisation de la société. S'il y avait participation, il n'y aurait pas besoin d'une médiation, ni besoin d' informer.

 

 Enfin notre étude sommaire du phénomène publicitaire ne vise nullement à déceler les ennemis qu'il faudrait combattre [15]. Ceci irait totalement à l'encontre de tout notre cheminement et à celui de toute glose où l'on se propose de faire le point sur le devenir d'un monde qui va et doit disparaître. Elle vise uniquement la mise en évidence de la voie que sont amenés à prendre hommes et femmes libérés du capital, mais incapables de mettre en question toute la dynamique qui a conduit à la situation actuelle parce qu'ils sont infestés par la représentation fondée sur la démocratie, la combinatoire, etc., et surtout sur la séparation de l'espèce d'avec les autres êtres vivants. Toutefois comme cette dernière affronte le traumatisme causé par la mort du capital, il se pose une question de pouvoir au sens d'aptitude à exister. Elle est résolue, comme nous l'avons vu, par une renaissance de la magie.

 

Nous constatons que tout un ensemble d'hommes et de femmes empruntent une voie qui, quoi qu'en disent les publicitaires, est une voie dangereuse qui ne peut déboucher que sur la destruction de l'espèce, si ce n'est de la vie, car vouloir maintenir le mode de vie de la communauté actuelle ne peut aboutir -entre autres- qu'à des catastrophes écologiques.

 

Il convient de bien éliminer toute considération morale: la publicité n'est pas dangereuse parce qu'elle serait mensongère car, comme l'ont montré tous les publicitaires, une telle publicité ne pourrait mener qu'à la faillite de celui qui l'a produite, ne serait-ce qu'à cause des phénomènes de concurrence (cf. la possibilité qu'ont, aux USA,  les agences publicitaires de dénoncer, critiquer la publicité des autres), mais parce qu'elle entérine totalement la séparation, la dépendance, tant elle se pose en thérapeute dont le lieu d'opération est l'imaginaire, tant elle escamote profondément la réalité de ce qui l'a engendrée et celle qu'elle affronte.

 

Notre démarche apparaît, alors, de façon claire. Il y a également pour nous une question d'existence. On ne peut la résoudre qu'en initiant une autre dynamique de vie qui rompe avec toute l'errance d'Homo sapiens et permette ainsi l'émergence de Homo Gemeinwesen dont le pouvoir sera la jouissance d'être dans le cosmos.

 

 

 

 

CAMATTE Jacques


Janvier 1986

 

 

 

 

 

 




[1]   Gloses en marge d'une réalité est une chronique dont la première partie est parue uniquement en version italienne dans la revue Emergenza. Elle paraîtra prochainement dans un Supplément d'Invariance. Le lecteur comprendra mieux, alors, ce que nous visons. Il se rendra compte que les thèmes abordés ne le sont pas de façon exhaustive. Les gloses permettent soit de compléter les études antérieures, soit de préparer le terrain pour en affronter de nouvelles. C'est ainsi qu'en ce qui concerne la publicité, nous initions l'étude afin de signaler ce qui nous semble immédiatement essentiel.

 

 En ce qui concerne l'information qui est intimement liée à la publicité, il convient de noter ceci. Elle marque le triomphe total de l'autonomisation et de la séparation. Le moyen terme -ce qui est transmis et qui doit unir- devient prépondérant. On ne se préoccupe plus de qui fournit l'information, ni de qui la reçoit. Elle devient une grandeur discrète et l'on devient d'autant plus puissant que l'on est stockeur de plus d'informations. De ce fait le temps devient encore plus despotique puisque celle-ci est débitée dans le temps. Cette simple constatation amène T. Breton (dans un interview in Challenge n° 13) aux remarques suivantes:

 

 

"C'est sans doute pourquoi la notion de temps sera au centre de l'enjeu que constitue le passage de l'environnement culturel d'hier à celui de demain. Hier encore, la seconde était considérée comme la plus petite unité de temps, tout comme l'atome au niveau de la matière." (p. 32)

 

 

"Et de réaliser que la puissance, ce n'est plus simplement l'espace, la possession d'un territoire -comme ce fut le cas depuis toujours, mais aussi, à partir de maintenant, la maîtrise du temps.

 

"Il faut prendre conscience de ce que les pays technologiquement les plus avancés disposent d'un "gisement de temps", comme d'autres ont des gisements de pétrole." (p. 32)

 

En effet, ils peuvent produire de plus en plus d'informations dans une unité de temps de plus en plus petite. Ils accumulent donc du pouvoir.

 

La maîtrise du temps se pose en fait depuis longtemps. Elle concernait le domaine de la production immédiate comme le montre tout le développement de la valeur et du capital. Maintenant elle concerne le procès de l'imaginaire qui a transcru sur l'antique procès de la représentation !!

 

 

[2]   "Aussi horriblement, une fois encore, la jeune et généreuse bouche du prolétariat puissante et vivante s'est appliquée contre la bouche putréfiée et fétide du capitalisme et lui a redonné, dans une étroite union inhumaine, un autre souffle de vie." (A. Bordiga, Le cadavre chemine encore)

 

 

A. Bordiga considérait que le capitalisme avait fini son cycle vers 1914. Plus précisément -et en cela il se retrouvait avec d'autres théoriciens, il considérait qu'à cette date, pour l'Occident, il avait terminé sa phase progressive, celle où il avait permis un accroissement des forces productives rendant possible l'instauration du communisme à l'échelle mondiale.

 

 

Il nous sera nécessaire de revenir sur cette affirmation et 1'analyse qui la sous-tend, ainsi que sur la thèse du rajeunissement du capitalisme, pour mieux préciser ce que nous entendons par mort potentielle du capital.


 

[3]  Le thème de la culpabilité de l'espèce sera abordé dans la deuxième partie d'Emergence de Homo Gemeinwesen, à paraître dans le n° 2, série IV, d'Invariance.


 

[4]  "La société de communication est en train de se substituer à la société de consommation et c'est une excellente chose pour  rétablir l'équilibre des pouvoirs".

 

Mille neuf cent quatre vingt neuf verra sans doute, deux cents ans plus tard, une autre Révolution française se réaliser. Avec la nouvelle constitution, la VI° République sonnera sans doue le glas des monarchies républicaines et le peuple français, enfin majeur, pourra reconquérir le pouvoir que les technocrates centralisateurs et les politiciens de tout bord leur ont confisqué.

 

Le Quatrième pouvoir, le vrai, le seul qui sera le fondement de l'ère post-industrielle, sera celui de la communication qui, quelle que soit sa forme, est arrivée à un degré tel que pour conserver un secret il faudra être la seule personne au monde à le posséder [triomphe de l'Unique et de sa séparation, n.d.r].

 

Communiquer c'est créer, et créer c'est prendre le pouvoir. Le pouvoir d'imaginer, d'inventer, d'expérimenter et avant tout, d'exister.

 

La création sous toutes ses formes est sans doute, à travers les possibilités pour chacun, de tracer son destin, une sorte de contre-pouvoir, peut-être même... un cinquième pouvoir". (Gérard Touati dans la revue Créez! n°53, 1985)

 

La création, l'imagination, l'esprit d'entreprise qu'il faut .restaurer ainsi que le goût du risque, l'exaltation du travail, sont les thèmes communs à diverses revues: Challenge, Créez!, Défis, Media, Exécutif, Stratégies ou même Zoom, pour citer celles que nous connaissons.
 

Au sein des théorisations les plus modernistes, actualistes, il y a en définitive une réhabilitation foncière du capital. Toutefois, en règle générale, les divers théoriciens se proposent d'aller et d'opérer au-delà de la gauche et de la droite ("en avant", selon le slogan de G. Touati).

 

Un autre trait les accommune, c'est leur receptivité au développement scientifique dans ce qu'il a de plus spectaculaire.

 

On trouve chez eux de façon plus ou moins accusée le désir de l'apparition d'un homme futur, préoccupation que partagent les rédacteur de L'Homme Futur  revue qui remplace Science n°1 laquelle contenait dans son n°4 un article qui donne bien le ton: L'évolution vers 1'homme post-historique de Serge Krukoff.



 

[5] "Le plaisir, comme le désir, sont dans l'air du temps. La Nouvelle Droite s'est faite elle aussi théoricienne du plaisir."   (L'écho du temps, Invariance, série III, n°7, p.37, note 33).

 

 

[6] Cf. à ce sujet Á propos de la question Sartre : de la validité de l'être, Invariance, série III, n°8.

 

 

[7] Nous montrerons ultérieurement qu'il est impossible de se passer d'une pensée binaire, linéaire, réductionniste, si on n'élimine pas théorie et pratique de la démocratie, même si, à heure actuelle, celle-ci est intégrée dans la réalité de la communauté en place.

 

 

Il est amusant de lire dans un même ouvrage une condamnation du binarisme et une exaltation du progrès, comme s'il n'y avait pas un lien profond entre les deux.


 

[8]  Ceci s'exprime de façon spectaculaire dans la campagne publicitaire faite par l'agence de J. Séguéla pour l' "Agence française pour la maîtrise de l'énergie". Dans les n° du 18 et du 25 janvier 1986 de Le Monde on a eu droit à un discours sur la nécessité de ne pas régresser. L'image de la régression était un gorille. Cette publicité est d'autant plus ignoble que l'on sait que les gorilles sont en train d'être exterminés et que Dian Fossey a été assassinée parce qu'elle s'opposait à cette extermination.


 

 

[9]  Il y a d'autres exemples de cette "animalisation" de la société humaine, au sens où elle reproduit un type de structure existant au sein d'une communauté animale. Donnons un exemple.

 

 

Normalement, chez Homo sapiens, la reproduction est assurée par tous les membres de l'espèce, ce qui la distingue ainsi de façon nette des termites par exemple chez qui prévaut une pratique bien diverse puisqu'il y a seulement un couple reproducteur pour l'ensemble de la communauté constituée essentiellement de membres stériles. Mais il y a une convergence entre les diverses espèces, par l'intermédiaire de la représentation. En effet, l'institution de la royauté fait en sorte que la reproduction essentielle est celle du couple royal, qui fonde et justifie en quelque sorte toutes les autres.

 

 

Le phénomène se retrouve de façon atténuée au sein des diverses républiques et il est banalisé au travers du culte des stars.

 

 

[10]  Le problème de la forme a été étudié au travers du devenir du capital et de l'art. Outre les divers articles consacrés au premier on pourra se référer à Beaubourg: le cancer du futur (Invariance, série III, n° 4-5). I1 sera repris dans Emergence de Homo Gemeinwesen lors de l'étude de l'instauration de l'interdit et de celle des formes de production dont parle K. Marx dans les Grundrisse.


 

[11] Analyser cette trilogie serait trop long et n'est pas essentiel dans le cadre de cette glose. Toutefois, il convient de noter à quel point le risque, l'aventure, est exalté par une minorité au sein d'une communauté d'hommes et de femmes vivant dans la sécurité absolue, repliés presque foetalement sur eux-mêmes.

 

  Il n'y a peut-être pas d'époque comme la nôtre où certains hommes et certaines femmes ont entrepris des exploits aussi extraordinaires. Ils sont consommés par la masse incapable de risquer quoi que ce soit mais ayant besoin de cette compensation imaginaire pour avoir sensation d'exister.

 

 L'exaltation de ces hauts faits par les publicitaires et les nouveaux entrepreneurs vise à revaloriser l'effort et par voie de conséquence le travail.

 

 

[12] La gratuité n'a pas de sens (concept vide) si elle n'est pas pensée strictement en opposition à ce qui est payant; si donc on ne limite pas son champ d'action au domaine économique. Est-ce qu'on peut dire qu'on commet un acte gratuit? Il y a toujours une détermination qui opère et l'on peut démontrer que le concept n'est pas, alors, opérationnel.

 

Ainsi c'est un opérateur de représentation qu'il faut éliminer purement et simplement.


 

[13] Il n'est pas possible d'étudier la fête sans tenir compte du jeu et réciproquement. En outre, une phénoménologie des deux pratiques nécessite de partir de l'instauration de l'interdit, comme nous tentons de le faire dans la deuxième partie de Emergence de Homo Gemeinwesen; cela permettra également de mieux faire comprendre notre thèse sur le rapport publicité-déculpabilisation et sur celui entre fête et phénomène de compensation permettant d'accepter l'autonomisation.

 

En ce qui concerne le marchandage il convient de signaler qu'à travers celui-ci se manifestent une oralité essentielle et un contact entre êtres humains et féminins que ceux-ci récupèrent maintenant au travers de la publicité.

 

 

[14] Ceci évoque étrangement les problèmes de décidabilité évoqués par K. Gödel!

 

 

[15]  Il n'est pas question de ce fait d'essayer de montrer qu'ils incarneraient le mal. En réalité, eux aussi pensent œuvrer pour le bien de l'espèce. Ainsi un homme comme Tapie, qui a soif du pouvoir, déclare dans Challenge n° 13:

 

 "…tu domineras ton sujet, mais tu ne domineras pas les hommes..."

 

 

 "Si tu veux vaincre au détriment des autres, tu seras malheureux. Or c'est le bonheur qui compte. Ne marche pas sur les têtes, sinon tu seras dans un cimetière!" (p. 32)

 

  Certes, il ne faut pas s'illusionner sur l'importance des professions de foi, mais ne pas en tenir compte, c'est réduire les autres. Dit en termes marxiens: il ne faut pas se laisser piéger par la conscience que les hommes et les femmes ont de ce qu'ils font; il faut analyser leur procès de vie. Toutefois, cette conscience est également un produit essentiel et parfois déterminant; l'escamoter revient à ne pas prendre au sérieux les acteurs du procès de vie historique.

 

  Il faut au contraire, prendre en considération ces affirmations conscientielles, afin de pouvoir vérifier les cohérences.