DE  LA  VIE

 

 

Tout est vie dans l’univers, le cosmos. Il ne s’agit pas de la vie abstraite (un concept), mais de la vie immédiate qui se manifeste sous diverses formes, en des cycles et rythmes extrêmement variés dans tout le cosmos et nous ne sommes qu’une des pulsions de cette immense vie[1].

 

Pourquoi a-t-on quitté cette union avec la vie, son adhérence à elle? Pourquoi s’est-on séparé du reste de la nature? C’est la même question en deux ampleurs différentes. Nous avons fait une approche de réponse au début de Émergence de Homo Gemeinwesen et nous voulons tenter de l’amplifier dans le dernier chapitre de cette œuvre. Celui-ci tardera encore à paraître. En attendant urge la nécessité de signifier au moins où réside, maintenant, la séparation et comment elle se renouvelle constamment. C’est ici que se loge fondamentalement la question de l’individualité et de la répression qu'elle subit.

 

On a affirmé que tout homme, toute femme - au moins potentiellement à cause de la domestication agissante - est à la fois individualité et Gemeinwesen (communauté); celle-ci étant l’ensemble des êtres vivants. On a longuement mis en évidence la dimension communautaire, ne serait-ce que pour rejeter l’individualisme, et nous avons peu insisté sur celle da l'individualité. Ceci du fait que nous manquions encore de la base sûre pour exprimer celle-ci, l'affirmer sans retomber dans un individualisme, comme celui de Stirner[2].

 

L’individualité c`est la manifestation unitaire, particulière de la communauté. Mais c’est plus profondément celle du flux de vie qu`elle laisse passer en elle et devient ainsi une expression particulière. L`individu veut bloquer ce flux, le maintenir en lui afin de se gonfler pour se distinguer, parce qu`il opère par comparaison. Il  veut être une excroissance afin d’étre reconnu. Cependant le flux de vie ne peut pas être bloqué. Ιl fait donc sauter les barrières. L'individu constate alors que la permanence à laquelle il voulait accéder s`écroule et que se révèle l’impermanence. Dés lors tout est souffrance pour lui qui, pour être, doit tout fixer[3].

 

Chaque individualité étant parcourue par le flux de vie porte en elle la totalité de celle-ci, mais ce qui s`épanouit en elle est un des possibles qui va constituer sa particularité, son originalité. Et ce qu’elle va constater chez les autres, ce n'est pas une identité mais l’expression d'autres possibles, comme de multiples métamorphoses du même flux de vie. Ιl n’y a pas de reconnaissance mais prise en compte de l’extrème diversité et, par là, absorption dans les deux sens: absorber toutes ces manifestations, s’absorber en elles.

 

L'individualité voit toutes les autres comme diverses expressions du tout qui est en elle. Ιl n'y a pas de séparation. Elle est elle-même, comme elle est leur modalité de vie. Ιl y a révélation de tous les possibles en constatant la présence de toutes les autres individualités, de même qu'en constatant toutes les formes de vie sur terre οu dans le cosmos.

 

Se trouver, c'est trouver les autres comme autant de manifestations du même flux de vie. L’autre n’est qu’une métamorphose de moi-même puisque j’ai en moi la totalité; de même je suis sa métamorphose. Il n’a pas a me reconnaître, je suis lui. Il est moi et nous sommes divers. Donc, nul ne peut me gêner dés lors que nous avons accédé à l’individualité. Chez les individus les psychoses[4] - accumulats, fixations - inhibent le devenir du flux, il faut donc des techniques pour parvenir à se percevoir.

 

L'espèce particulièrement en Occident a renvoyé au lendemain le procès de se libérer parce qu’elle voulait produire un agent qui opérerait en quelque sorte de l’extérieur, ne la remettant pas en cause. Elle a fui l'opération interne. Maintenant il n’est plus possible de différer. Dit autrement nous avons constaté qu'aucun phénomène au sein de la société-communauté du capital ne pouvait servir a sa destruction (pas de contradiction insurmontable). Donc il fallait sortir de celle-ci. Mais au cours de cette sortie nous avons constaté l’insuffisance de notre dynamique. Nous avons pensé qu’en ayant clairement en vue le but à atteindre et en changeant de milieu nous pourrions nous transformer pour nous rendre aptes à y parvenir. En réalité la simple dynamique ne peut pas totalement nous transformer. Pour cela il faut éliminer l’oppression nichée en nous et retrouver notre naturalité.

 

Nous avons mis en évidence la mort du capital, l’enfoncement de l’espèce dans la virtualité. Autrement dit l’immense mécanisme d’oppression s'évanouit et il n’y a pas libération de l’espèce parce que la répression a l’intérieur de chacun d'entre nous est toujours opérante, vivace. Il faut encore une fois l’indiquer: le refus de ce monde, le désir d’une communauté humano-féminine immergée en la nature, même l'intuition profonde de cette dernière ne suffisent pas, parce qu’on est parasité, inhibé par l’oppression répression effectuée par les parents à chaque génération.

 

L'importance et l’immensité de cette répression a toujours été escamotée ou non reconnue en tant que telle et ce en dépit des diverses et multiples révoltes qui se sont succédées au cours des millénaires. Au début de ce siècle, il semblait qu’enfin on allait admettre à quel point les parents maltraitaient leurs enfants en les domestiquant, en les intégrant a l’ordre social. C'est alors que la théorie de S Freud vint enrayer cette tendance et justifier la répression comme fondatrice de la civilisation et cette dernière comme étant ce qui permettait à l’homme d'être homme.

 

À la fin du siècle dernier et au début de celui-ci, divers auteurs mirent en évidence les sévices subis par les enfants, particulièrement les sévices sexuels. S. Freud au départ accepta cela et considéra que l’intolérabilité de ces faits conduit l’enfant à refouler et par là à pouvoir continuer à aimer ses parents, à espérer qu'il pourra l’être d'eux. C’est une nécessité absolue, car un petit enfant non aimé ne peut pas vivre. C’est dans tout ce processus que se forme l'inconscient qui va déterminer la vie ultérieure de l’enfant devenant homme ou femme. Tout ceci forme, de façon schématique, ce qu'on appelle la théorie de la séduction de Freud. Son exposition ne rencontra qu’indifférence ou hostilité.

 

Il ne nous importe pas ici d'exposer pourquoi et comment S Freud abandonna cette théorie qui était fondamentalement subversive. Il la remplaça par celle qui est connue sous le nom de psychanalyse[5]. En fonction de cette dernière, l'enfant a des fantasmes; l'enfant est un pervers polymorphe. Pour donner une base organique à sa théorie, Freud postule une sexualité infantile. L’inconscient opère également mais cette fois la dynamique de celui-ci est en rapport avec le refoulement des fantasmes. Le complémentaire de cette nouvelle approche est l’affirmation qu’il y a deux principes fondamentaux: celui de réalité et celui de plaisir avec le corollaire que le second doit être assujetti au premier.

 

Avec une telle théorie, les parents n’étaient plus remis en cause et la société justifiée. Il fut possible de dévoyer tout le vas te mouvement de contestation de la société lié à l’insurrection de la jeunesse, qui commence dés la fin du siècle dernier. Un tel dévoiement, un tel détournement ne put se faire que parce que cette théorie contenait un élément libérateur: l’importance de la sexualité et la mise en évidence de sa répression. Ainsi répétons-le il y eut détournement de la remise en cause fondamentale et les mouvements de rébellion se polarisèrent sur la question de l’émancipation sexuelle et ceci pour une période limitée de la vie: l’adolescence.

 

La théorie freudienne est la représentation la plus efficace pour justifier la répression qui s’exerce depuis des milliers d’années et qui atteint un paroxysme dans la société-communauté actuelle. Elle le fit en s’appuyant sur un dévoilement partiel de l'horreur. Elle réactualisa l’idée du danger de la jouissance et que dans tous les cas celle-ci ne peut jamais être pleinement réalisée. Il y a une barrière qui est un avatar de l’interdit: le principe de réalité. Au sein du déploiement de la dissolution actuelle, le discours publicitaire donne l'illusion d’un possible accès à la jouissance. Il opère par-dessus la frustration, d’οù la recherche d’une issue dans les mondes virtuels οù la publicité s’abolit[6].

 

C'est grâce au second ébranlement de ce siècle (le mouvement de Mai-Juin 1968) lié à une immense révolte de la jeunesse que la supercherie en quoi consiste la théorie de Freud fut mise en évidence et que sa nocivité intrinsèque fut dévoilée par A. Miller qui expose dans ses oeuvre comment tous les parents oppriment leurs enfants en proclamant qu'ils le font pour leur bien[7]. C’est cette répression qui fonde l'inconscient dont parle Freud ainsi que la psychose qui est un moyen de survie. Cela signifie qu’un tel inconscient et la psychose  sont des acquits de l’espèce, qu’ils ne sont pas naturels, innés[8]. De quelle façon sont-ils apparus et pourquoi?

 

Répondre à cela nous ramène à ce que nous avons traité dans l’étude Émergence de Homo Gemeinwesen et sur lequel nous devrons revenir encore souvent: la séparation d’Homo sapiens d'avec le reste de la nature. Voici comment de façon très sommaire nous pouvons envisager cela. Il n’y a pas une seule cause fondatrice à ce devenir. En outre les causes ne sont pas toutes externes à l'espèce, comme par exemple la pression de mauvaises conditions ambiantales liées aux glaciations obligeant les êtres humains a s’isoler du milieu où ils vivaient. Voilà pourquoi avons-nous insisté sur le fait qu’à partir du moment où il y a hominisation avec l’acquisition de la station verticale qui permet de réaliser une meilleure préhension et donc une intervention sur le milieu beaucoup plus efficace, s’impose un devenir de séparation qui va s’accroître au cours de l’anthropogenèse et atteindre son paroxysme avec la libération des lobes préfrontaux: les centres de l'imagination. Cette dernière permet à l’espèce de percevoir toutes sortes de possibles dont la réalisation va lui permettre d’effectuer une intervention plus efficace. Ce faisant elle va sortir de l’immédiat, du reste de la nature. Alors elle pénètre dans le domaine de l’incertitude, de l’inquiétude au sujet de sa présence au monde, au sujet de sa réalité et de celle du monde. C’est là que commence à s’affirmer le phénomène de la psychose[9]. Il faut combler le hiatus entre le moment où l'on imagine (le présent) et celui où cela va être réalisé (le futur). Il y a insécurisation, car il y a un manque, un vide. Le mythe sera un moyen de combler.

 

L’espèce tend a perdre le contact avec l'immédiat et a être emportée par ses capacités créatrices. Elle ira Jusqu'au bout en inventant des dieux et en se posant elle-même démiurge.

 

L’interaction entre les deux sériés de causes (internes et externes) peut dés lors s’apercevoir clairement. Grâce à son imagination l'espèce peut chaque fois trouver une réponse aux difficultés engendrées par les phénomènes naturels. Dans certains cas il peut même y avoir une autonomisation de l’espèce qui anticipe en quelque sorte sur ce que peut lui imposer le reste de la nature. Et ce qui peut lui être imposé c’est une réaction de cette dernière à son intervention le plus souvent destructrice. Ce qui semble le plus fasciner dans l'imagination c'est l'accession à toutes sortes de possibles non réalisés dans la nature. C'est là où le devenir de sortie de cette dernière entraînant la perte de continuité avec l’immédiat devient un support au déploiement de l’imagination qui permet a la fois de vivre en pensée cette sortie et de la réaliser concrètement grâce au déploiement de la technique qui elle aussi n’est plus en continuité immédiate avec le procès de vie de l’espèce; elle n'est plus un exsudat du corps. En conséquence on peut se demander si les femmes en rapport avec la création concrète (enfantement) n’ont pas senti le danger de l’imagination qui les aurait ultérieurement piégées.

 

Toutefois nous n’avons là encore qu’un phénomène potentiel. Pour que la psychose s'implante réellement il faut qu’il y ait non seulement une séparation d'avec le reste de la nature mais une fracture importante dans les communautés humaines.

 

Ce qui est essentiel de noter ici c'est que c'est grâce à l’imagination, particulièrement par l’entremise de la pensée symbolique, qui en est un dérivé, que la psychose va pouvoir s’installer parce que pour surmonter les différents traumatisme liés à son devenir de séparation, l’espèce à travers chaque individualité, a besoin de celle-ci pour supporter l'horreur qu’elle vit. La psychose va devenir constitutive de l’espèce se domestiquant elle-même à travers les diverses domestications, à travers la domination qu'elle cherche à réaliser sur le reste de la nature. Autrement dit la réponse interne de chaque individualité au mal engendré par son propre devenir est la psychose qui se réalise avec le surgissement de l'inconscient. L`origine de toutes les maladies affligeant l'espèce se trouve dans cette activité de l’inconscient, somatisant les troubles psychiques et rendant visible, tangible la psychose. Ce qui, à cause du désir intense de maintenir la continuité avec le phénomène vie, crée la possibilité de s’en séparer[10].

 

Il me semble qu'à l’origine la psychose affecte la petite communauté basale telle qu’elle émerge au moment où la séparation d’avec la nature se réalise. Pour qu'elle affecte pleinement l’individualité il faut un processus de fragmentation de celle-ci, moment où la répression parentale va prendre de l’ampleur.

 

Nous pouvons maintenant essayer de nous représenter la fragmentation au sein de la communauté qui va donner substance à la psychose et comment tout le procès de connaissance est mis à son service.

 

Il nous faut donc compendre comment celle-ci opère. Nous ne pouvons le faire avec une certaine amplitude qu’en tenant compte des divers traumatismes de l’espèce que nous comptons exposer dans la dernière partie de notre étude Emergence de Homo Gemeinwesen et ce dans les diverses aires géosociales.

 

Nous devons en tant qu'individualité et en tant qu'espèce revivre tous les trauma que nous avons subis directement à cause de nos parents et ceux de l'espèce transmis par la mémoire génétique. C`est la seule possibilité pour nous en débarasser et retrouver la vie. Le but profond de Émergence de Homo Gemeinwesen est donc le revivre des traumatismes (dans quelle mesure l’oeuvre historique n`était pas cela: conjurer un mal, s`en libérer et par là se fonder?).

 

Donc on fera appel à cette étude tant à sa partie déjà publiée qu’à celle à l'état d'ébauche et qui ne saurait tarder enfin à paraître.

 

Rappelons tout d'abord les résultats du procès de fragmentation de la communauté tel que nous l’avons exposé dans Émergence de Homo Gemeinwesen. C’est l’engendrement de la totalité qui deviendra l’unité supérieure, l’État de la première puis de la seconde forme (on peut ajouter qu’au niveau de l’individualité elle peut apparaître en tant que mère), la diversité manifestée par les membres de la communauté se fragmentant, l’unité à partir de laquelle se fondera l'individu, forme réduite de l'individualité. Dit autrement le résultat est que l’individu est coupé de la Gemeinwesen, mais il l’est également vis-à-vis de l’individualité, non totalement épanouie, éclose au sein des commumunautés primordiales, mais dont le possible de réalisation s'enfle au cours du devenir, ce qui rend la séparation vis-à-vis d’elle de plus en plus intolérable.

 

Signalons en outre que Homo sapiens se séparant de la nature a une activité pour réaliser son procès de vie (comme chez les autres espèces), et une activité pour se sécuriser; les deux s’interpénètrent tout en s’autonomisant; séparation de l’activité par rapport au flux de vie, à la jouissance d'être. Il n'y a plus continuité; l'activité se surajoute, devient une médiation, puis ce sera le travail. L’activité n'est plus générée immédiatement par le procès de vie naturel.

 

À ce propos il nous faut évoquer le phénomène d'aliénation qui est pour ainsi dire inclus à l’état potentiel dans celui de séparation d`avec le reste de la nature. Nous avons, antérieurement, mis en évidence ses composantes: extériorisation, extranéisation, réification, mais nous avons omis un phénomène encore plus essentiel que nous nommerons objectalisation en ce qui concerne le processus et objectalité lorsqu’il s`agit du résultat.

 

Les objets, initialement intermédiaires entre les êtres humains particulièrement entre parents et enfants, deviennent des médiations entre ceux-ci - surtout à partir du pôle parental - et, comme cela arrive constamment avec la médiation, ils dominent ceux qui sont médiés. Ceci entraine une orientation perverse du regard. Le parent aù lieu de regarder l’enfant, regarde l'objet: jouet, vétement, nourriture. Le parent pense aimer son enfant parce qu’il lui donne tous les objets que celui-ci réclame et qui sont censés lui permettre de vivre. Il lui donne tout sauf le regard d'amour. Pour le parent ce qui compte c`est qu’il soit en régle avec la dynamique de l’objectalisation qu'il a lui-même subie étant enfant. Ceci est évidemment exalté avec le développement de la consommation lors de la domination plénière du capital sur la société. La propension à consommer ne pourrait pas être exaltée - prenant dans la psyché la place de diverses pulsions - si cette dynamique n'était pas opérante. Autrement dit la publicité ne peut pas créer ex nihilo le désir irrépressible de consommer. Elle ne peut opérer qu`à partir d’une dynamique en place qui est celle de la psychose.

 

La séparation d'avec l’individualité dont nous avons parlé implique la formation d’un être déterminé de l'extérieur, fondé par des déterminations externes Tel est bien l'individu surtout sous sa forme d’apparition avec le surgissement de la polis et de la démocratie en Grèce. Ce sont donc des lois qui le déterminent. La séparation d`avec le reste de la nature conduit à une séparation plus ample au sein de l’individualité et c'est celle entre le corps et l’esprit, le corps et le cerveau, celle, se réalisant gràce à la représentation, entre le vécu immédiat et la pensée, la réflexivité. De telle sorte qu’en Occident on a, au cours des siècles, rejet de plus en plus fort du corps qui est dénigré, considéré comme support du péché, de la malédiction et exaltation de la conscience repressive. Actuellement il y a évanescence du corps et tout devient conscience[11]. L’individu est un être sans corps, bourré de prothèses et gonflé de conscience repressive. De là découle l'importance excéptionnelle, et sur laquelle nous avons maintes fois insisté, du procès de connaissance pour Homo sapiens. Nous pouvons le définir comme étant l`ensemsemble des conduites, des comportements, des attitudes cognitives qui permettent à l’espèce de se situer dans le monde, de se sécuriser, de se justifier (toute justification est une sécurisation).

 

La répression du corps se réalise au travers de celle du toucher, du geste, de la parole, de la spontanéité. Tout devient conscience qui a été apportée de l’extérieur par le mouvement de la valeur, puis par celui du capital. L’homme, la femme acceptent la domination venant dé l'extérieur pour masquer leurs contraintes intérieures. La conscience répressive a besoin d'une foule de représentations pour être intériorisée. C'est ici qu'intervient pleinement le procès de connaissance.

 

Pour se séparer du reste de la nature, il faut qu’apparaisent des fonctions distanciatrices qui se greffent sur les organes en place du corps naturel. Cela implique que celui-ci soit nié afin que les nouvelles fonctions puissent opérer. Au cours du devenir hors nature s`opére un vaste détournement des fonctions organiques. Ainsi la pensée va tendre toujours plus à objectiver, à donner substrat aux représentatiuons qu’elle engendre pour sécuriser l'espèce. Elle prend très tôt la dimension d’une simulation. Elle sert à simuler la réalité qui n’est pas en continuité avec celle de la nature. Elle doit donner corps à une artificialité. Le point d'achèvement de cette fonction de simulation est l'accession à la virtualité.

 

On a donc eu oubli du corps, de l’intériorité naturelle, refus de la femme et perte de l’homme. Tout s’effectue dans les représentations,dans l’extériorité, dans les formes, dans la forme, avec le cerveau metteur en scène des représentations interindividuelles. À partir de là s’effectue la plongée dans la virtualité.

 

Après avoir envisagé fort succinctement les principales conséquences de la sortie de la nature qui interviennent pour structurer la psychose en chaque homme, en chaque femme, il convient d'essayer de percevoir comment se sont édifiés les rôles de mère, de père et d’enfants.

 

En ce qui concerne celui de mère, il est évident que les femmes ne sont pas brusquement devenues maléfiques vis-à-vis de leurs enfants[12]. Il s`est opéré une dynamique complexe qui les a placées dans un devenir hors nature et les a conduites à développer une autre conduite vis-à-vis de leur progéniture et ceci s’est instauré à la suite de divers trauma que nous avons évoqués plus haut.

 

Précisons justement que, de nos jours également, la mère n`opére pas avec l'intention de réduire l’enfant, même lorsqu`elle lui transmet la psychose, la sienne propre et celle de l’espèce. Elle lui donne son amour, filtré par la psychose, que l’enfant accepte, et elle fait de ce dernier le support de ses transferts, afin de voir pour se libérer. Mais comme le processus de libération peut rarement opérer, c’est le meilleur moyen pour enserrer l’enfant dans la psychose, d'autant plus qu’elle l’inicte à devenir ce qu'elle est, en lui suggérant de copier son comportement.

 

Ce qui constitue la femme en tant que mère c’est la séparation d’avec la nature[13]; la nature où hommes et femmes engendrent sans que ne se pose un problème de savoir qui a l’essentialité dans la transmission de la vie. La véritable mère est la nature. La séparation constitue la femme en tant que mère qui s’accapare de la capacité d’engendrer et se pose, en tant que déesse, en mère universelle. Les mythes font apparaître un être femme engendrant seule ou bien elle est indissolublement liée à un mâle qui dans tous les cas est subalterne. La femme prenant dimension de nature est toujours perçue ensuite en tant que nostalgie de cette dernière. Et même ultérieurement les hommes lui reprocheront d’être nature, quand ils auront accentué la séparation et refuseront la mère.

 

La mère biologique est donc chargée d’une immensité qu’elle ne peut pas assumer, base de l’idéalisation de la femme, de la mère, que tout enfant (puis homme ou femme) réactive: être la totalité et non seulement la mère biologique. À travers elle, par son entremise on peut rechercher la totalité, la communaute, l'union avec tous les êtres vivants, le cosmos.

 

Ce faisant l'homme s’est perdu; sa fonction est absorbée par la femme; il est réduit. En outre étant nié il peut difficilement permettre à l’enfant de se distinguer de sa mère et accéder à la diversité., Il est fixé à la symbiose mère-enfant. Ce dernier s'en dégage avec de terribles difficultés. De là l'origine de l’absence du père dont souffrent particulièrement les femmes[14].

 

Afin de préciser cela il convient de partir de ce qu'il advient actuellement entre hommes et femmes. Dans ce but je ferai appel au témoignage d'un psychiatre, W. Lederer, que nous avons déjà mentionné ainsi que son livre: La peur des femmes, Ed. Payot. Voici ce qu'il écrit à la fin de celui-ci. « Cet ouvrage a débuté sous forme d'observations cliniques: mes patients masculins faisant de leur mieux pour m’expliquer et me faire comprendre pourquoi ils avaient peur de leur mère, de leur femme ou de leur fiancée; mes patientes sont venues corroborer leur discours en exprimant leur mépris pour la fragilité des hommes et le peu de confiance que leur inspirait leur soi-disant force. » (p. 27l)

 

Donc les hommes ont peur de leur mère[15] et les femmes souffrent de l’absence du père. En effet à cause de la mère, le garçon ne peut pas accéder réellement à la virilité, ne peut pas devenir homme, un père. On peut dire que là s’articulent les schémas comportementaux de l'homme et de la femme au niveau de l'espèce pour entretenir indéfiniment la psychose.

 

Voyons tout d'abord ce qui. concerne la femme. Elle souffre à cause de l’absence du père; elle a une sensation de vide, de manque. Une solution s'ouvre à elle, la maternité.

 

Donc la femme se replie sur elle-même, s’autosuffit et il y a réactivation du phénomène originel indiqué plus haut, réactualisation d’un comportement conjurant un antique traumatisme.

 

Nous pouvons expliciter le jeu de miroirs qui s’opére en la femme. Quand elle pense à l’enfant non réprimé en elle, elle se reconnait et en jouit. Mais c‘est insuffisant, sauf si une dynamique de libération s’enclenche. Quand il y a un enfant en elle, c'est lui qui la reconnait et lui apporte l’amour et c'est de ce procès qu’elle va constamment exclure l'homme. Elle se nourrit de l’amour de l’enfant, le suce et quand celui-ci est vidé, elle en fait un autre et ainsi de suite;

 

Dans ce cas il ne s’agit plus d’une symbiose comme celle qui devrait s’effectuer avec l'extérogestation. Mais de l’affirmation du pouvoir et de l’amour autonomisés, car la mère affirme qu'elle aime son enfant, alors que c’est elle le propre objet de son amour. Ce pouvoir elle veut le maintenir le plus longtemps possible. Elle ne peut donc pas favoriser le mouvement de distinction de l’enfant par rapport à elle, en le présentant à l’accueil du père, afin qu’ il accède au multiple, à la diversité des hommes et des femmes en devenant une individualité. La fonction du père, si père il y avait, serait donc d'attirer l'enfant hors de la symbiose avec sa mère et ceci en douceur, sans violence[16].

 

En interprétant le discours que lui ont tenu divers parents, W. Lederer affirme. « En  minimisant le père, donc l’homme, elle semble dire à son fils: "Toi non plus tu ne seras jamais un homme. Tu resteras toujours un petit enfant" ».

 

En fait le père n’est pas minimisé. Il est absent puisque l’homme est en fait un petit garçon. Ceci nous éclaire sur la remarque de W. Lederer. « Mais si la mère peut minimiser le père, c’est parce que celui-ci la laisse faire ». (p. 70) Et pour cause! Il est totalement démuni, sans capacité, pour affronter une telle situation.

 

Le désir d'enfant est tellement important chez les femmes que lorsqu’elles entrent en concurrence pour la "conquête" d’un homme l’enjeu n'est pas la relation sexuelle, mais l’accés à un enfant qu’elles pourront materner et contrôler.

 

La solution sus-indiquée s’avére souvent insuffisante. En conséquence la femme vit dans une attente constante. On attend toujours un absent. Le mythe de Pénélope est révélateur à cet égard[17].

En ce qui concerne l’homme, indiquons d’abord brièvement comment les choses se passèrent historiquement, en rappelant qu'au début, selon les représentations mythiques, l’homme est passif, tout au plus il contemple la femme. Les comportements se sont inversés ensuite pour aboutir, de nos jours, à la passivité des deux sexes.

 

Ultérieurement, l’homme, le père voulut retrouver sa place, ses fonctions, son essentialité. D’οù la révolte contre les femmes, contre les mères. Le mythe de  Tiamat et Marduk est très expressif à ce sujet.

 

L’insurrection des hommes contre les femmes se comprend bien. La lutte fut dure et l’histoire des amazones qui refusent de perdre leur pévilège, leur pouvoir, le témoigne bien. Ensuite l’homme ayant triomphé, veut s’emparer de la procréation; il veut déposséder la femme de sa puissance, comme c’est fort bien exprimé dans les tragédies grecques.

 

Alors les femmes se sont révoltées à leur tour parce que les hommes ont voulu se poser en véritables mères (voir par exemple la pratique de l’adoption, celle d'avoir des disciples et autres pratiques, dont celle non encore réalisée, qui permettrait à l’homme de pouvoir enfanter), comme si eux pouvaient être la nature. Pour cela ils veulent la dominer pour en arriver de nos jours à vouloir l’éliminer. Ils l’ont fait avec Dieu le père qui crée à partir de rien ce qui, dans une certaine mesure, est le symétrique de ce qui se serait produit au début: la femme créait toute seule. Par là les hommes ne pouvaient pas non plus se poser hommes, trouver leur originalité. Ils n’étaient qu'un décalque; ce à quoi les femmes ont abouti en s’émancipant. On peut voir également cela comme un jeu de miroirs opérant à l’échelle historique. Le père devient tout - du moins c’est ce qu'il pense avoir réalisé - la mère est refoulée au second plan.

 

Cela n’abolit pas sa peur de la mère. «La profonde inquiétude de l’homme devant la menstruation, la grossesse et l'accouchement (dont témoignent tant de tabous et d'interdits) a tout lieu d’exister; il est incapable de comprendre cette face inconnue de la femme et cet étrange phénomène qui lui permet de transformer le sang qu’elle perd mensuellement en un bébé, donc de transformer le sang en nourriture, en lait selon toute apparence, de se suffire à elle-même et d'être "inapprochable" pendant tout ce processus.» (p. 36). D’οù, pouvons-nous ajouter, la sensation d'être exclu, inutile.

 

Il nous semble que Lederer nous fournit ici tous les éléments qui justifient la peur que l’homme a de la femme, de la femme en tant que mère. Ils ont une grand importance et nous en avons déjà tenu compte. Mais leur simple énoncé engendre un questionnement. Cette peur est-elle originelle, structurelle? Et, abordé du point de vue de ce qui l’engendre, la menstruation, est-elle originelle ou un phénomène acquis? Ne serait-elle pas survenue à cause d'un mode de vie en rupture avec les exigences biologiques de l’espèce (peut-être la sédentarisation) ou à cause d'un traumatisme psychologique? Mais la connaissance du déroulement des phénomènes de la vie sexuelle de la femme, telle qu'elle s'impose actuellement, devrait conduire à l’évanescence de la peur, tout au moins à sa non réactivation. Or, il n’en est rien. Celle-ci s’origine ailleurs. Elle prend racine dans celle de la répression. La mère est la première qui intervient pour interdire, toute activité insinctuelle de l'enfant. Elle le détourne de la manifestation réelle de la vie et d'en être lui-même une manifestation plénière. Tout le long de son existence l’homme vivra avec cette peur. Chez beaucoup d’hommes elle apparait sous la forme de peur d’étre détourné, d'être manipulé. En effet l’adaptation à la société consiste en un détournement qui implique des manipulations

 

Cette peur existe aussi chez les femmes, mais elle peut être masquée par une préoccupation génératrice d'angoisse: l'absence du père. Ce masquage est d’autant plus facile qu’elles gardent une dimension naturelle. En revanche le devenir de l'homme, nous le verrons, tend à l'éloigner du reste de la nature, d’où la prégnance du détournement[18].

 

Il est une sorte de femme auprès de qui l’homme semble perdre sa peur: la putain. Or, ici intervient un opérateur: l'argent. Celui-ci permet à la femme d’affirmer une certaine neutralité en même temps que sa psychose, tandis que l'homme conjure le maléfice grâce à ce même argent. La putain joue un très grand rôle dans diverses histoires. Ainsi celle d’Enkidou l’homme sauvage qui vit en symbiose avec les animaux et les protège contre les maléfices des civilisés. Gilgamesh roi du pays décide d'envoyer une prostituée pour désensauvager Enkidu. Elle seule peut le faire parce que de par sa fonction elle établit un pont entre la société et la nature. C'est ce qui se réalisa. Il y a beaucoup d'histoires où une putain s’en va tenter un ascète afin de l’éprouver. Le résultat est similaire: c’est elle qui devient sainte. Ce qui signifie que pour se protéger de la mère, il faut la sanctifier, la diviniser: la Vierge Marie. Il y a aussi l’histoire d'Hélène, prostituée dans un bordel de Tyr, que Simon prit pour compagne en la proclamant la salvatrice du genre humain. Il y a celle de Marie-Madeleine...

 

Dans le rapport à la putain c’est l'argent qui joue le rôle de la mère. C’est lui qui permet d’accéder à une jouissance. En possédant l'argent, l’homme se libère momentanément du lien à la mère. Cela lui permet de nourrir son sentiment de supériorité par rapport aux femmes, être au-dessus de la souffrance qui lui est infligée du fait du non amour de la mère.

 

En tenant compte de la dynamique de l’objectalisation, on peut penser que l'argent puisse être le substitut de la mère. Thésaurisé, il est le trésor enfin trouvé, qui doit être jalousement conservé et protégé : la mère ou plutôt l’amour de la mère rendu bien tangible mais qui ne peut pas être activé.

 

Quelle est la solution pour l’homme qui a peur de la femme? C' est d’échapper à l'emprise de la mère (le mythe d’Ulysse). Et ceci s'affirme très tôt historiquement, comme ontologiquement. À ce sujet W. Lederer écrit ceci: "dans les cultures qui nous ont précédées, qu'elles aient été patriarcales ou matriarcales, le garçon, à un certain âge, passait formellement et rituellement, des mains de la mère à l’autorité pédagogique des hommes: il apprenait à devenir un homme selon les modes et les traditions locales. Il était dans l’ordre des choses de ces sociétés que le garçon quitte sa mère et qu’elle cesse d’exercer son autorité sur lui." (p. 70) Ailleurs il ajoute: "On est une femme, on apprend à être un homme." (p. 70)[19] Cela indique bien le caractère artificiel de ce dernier, le fait qu'il s'édifie dans l'apparence et qu’il y a rupture de continuité. À un être qui a été bloqué dans son développement, qui demeure donc au stade de petit garçon, on adjoint une représentation d'homme qui va varier au cours des phases historiques: Ce n’est pas pour rien que l’Ètat définit l’homme. Les hommes - au travers de phénomènes complexes que nous avons traités ailleurs - se sécurisent en produisant des structures, des organisations, dont l’État. À ce propos, notons que l'importance de l'initiation diminue d'autant plus que celle de ce dernier augmente.

 

En effet les hommes ne pouvant pas trouver de solution au sein  des relations avec la femme, dans une dynamique placée dans l’intériorité, s’abandonnèrent au mouvement externe, à celui des choses, à la production, à la création, à essayer d'accéder à ce dont ils avaient été exclus et tendirent à s’autonomiser. Par là ils ont opéré dans la dynamique de la séparation d'avec la nature, en l’approfondissant. De là la mise en place de structures artificielles.

 

Dans Émergence de Homo Gemeinwesen on a exposé que les hommes visant à une rédemption, à une libération[20] s’abstinrent de toute  relation sexuelle avec les femmes et tendirent à fonder des communautés asexuées d’où elles étaient bannies (communautés monastiques). Ils fuyaient la mère pour se réfugier auprès de la bonne mère. Ce monde sans femme est une horreur et sa réalisation eut des conséquences que nous avons évoquées et sur lesquelles nous reviendrons.

 

Ainsi nous pouvons constater qu'au bout du phénomène historique envisagé, la femme s’est perdue. Elle s’est perdue d’abord dans la maternité, puis à travers la perte de cette dernière, comme cela s’opère  actuellement. L’homme ne  s’est pas trouvé et il n’a jamais été un père. Il a essayé de se fonder grâce au mouvement externe: production et création. Mais dans ce dernier cas il n’a pas pu le faire sans la femme comme le montre le mythe des muses, de la femme inspiratrice, de "l'éternel féminin qui nous tire en avant" dont parle Goethe dans son Faust. « C’est la femme qui "mobilise" et "stimule" l’homme. Il faut chercher dans cette action des femmes, la raison principale des sentiments ambigus qu'elle lui inspire. Pendant les milliers d’années qu’a duré le dur combat de l’homme pour se libérer et trouver son individualité propre, la femme a été le catalyseur et le médiateur placé entre lui et l’apparente absurdité de la nature qui l’engendra, nature dont il veut se dégager à tout prix et qui, pourtant, reste la source majeure de sa subsistance quotidienne. » (p.l38) La nature dont il s'agit ici est en fait une figure de la mère, de la mère dont il veut se dégager. Pour cela, il cherche appui auprès de la femme en qui il a tendance à retrouver sa mère. Ainsi il ne sort pas du labyrinthe. La légende de Thésée et d’Ariane nous en dit long sur ce sujet, en particulier le fait qu’aprés être sorti du labyrinhte Thésée abandonne Ariane. L’image du labyrinthe hante le cerveau des hommes - comme delui des femmes d’ailleurs - du moins en Occident, depuis fort longtemps; c’est l'image de la psychose. En ce qui concerne l’homme elle signale qu’en fait il ne s’est pas encore trouvé.

 

Dans Le virtuel, vertu et vertige on trouve d’abondantes indications sur la métaphore du labyrinthe (pp. 79. sqq) et cette précision qui éclaire bien le phénomène de la psychose. "Dans l’original grec, c'est le mot palintropos qui est utilisé. Le palintropos, le labyrinthe, est composé de palin-, de nouveau, et de tropos, "ce qui tourne" ce qui se transforme. Le labyrinthe est un lieu rempli de détours et de retours, on se perd d'autant plus qu’on se retrouve sur des chemins déjà parcourus, de quoi perdre tout espoir puisqu’on semble "tourner en rond" (p.92).

 

Se dégager de la nature a été la préoccupation constante du peuple juif, le premier à rompre avec elle; c’est aussi celui où la haine de la mère est des plus virulentes.

 

Au cours du devenir historique il y a engendrement de la mère qui est un rôle qui a un contenu, et du père qui est un rôle sans contenu réel. C’est comme si une virtualité était opérante. Elle est, elle agit, mais elle est insaisissable.

 

La représentation théatrale est l’extériorisation des scènes de la vie relationnelle des hommes et des femmes: nous passons notre temps à nous mettre en scène. Leur vie dés lors est emprisonnée entre le miroir de la repésentation de leur réalité et celui de celle-ci. Tous leurs sentiments, leurs affects y sont piégés comme la lumière dans un trou noir. Et ce jeu de miroirs, ce trou noir, se retrouvent dans chaque individu, indiquant l'immensité de la psychose, générant les sentiments d’impuissance, d'accablement et de fatalité[21].

 

Pour la femme l'absence du père implique aussi qu'elle ne puisse rencontrer que des enfants sous forme d’hommes et non des hommes. De son côté pour l’homme la femme est un manque logé en son corps comme le signale le mythe d’Ève. Elle provient d'une côte prélevée à Adam. Elle est son manque. Il y a donc là aussi un jeu de miroirs qui se renvoient manque et absence, qui est aussi un manque.

 

Enfin pour mieux saisir comment se fondent les rôles dont nous avons parlé, il est bon d'indiquer comment opère le procès de connaissance à partir des deux poles, masculin et féminin.

 

Les idées de cycle naturel, de nécessité, de fatalité, voire de déterminisme, semblent relever de la représentation féminine. Elle est en accord avec la mouvance d'acceptation, d’accueil de la femme.

 

La revendication de la volonté, de l’intervention, l’affirmation du hasard, de l'arbitraire, comme de la loi externe, de la providence paraissent relever de la représentation masculine. Elle est en accord avec le désir d’autonomie de l’homme.

 

Il est évident que ces deux représentations peuvent s’interpénétrer et qu’elles subissent des modifications au cours de l'histoire, comme nous le montrerons dans le chapitre: Valeur et procès de connaissance de Émergence de Homo Gemeinwesen.

 

L’homme vit surtout dans l’apparence et la femme dans la substance, dans la matière disent les misogynes pour la discréditer. Or il y a une aspiration spirituelle importante chez la femme. «Du fait que la femme se situe hors du-temps, qu'elle porte au tréfonds d’elle-même le germe de toute vie à venir, qu'elle contient caché au plus obscur de son être tout ce qui a été, elle est donc, pour toutes ces raisons, particulièrement apte à devenir ce qui est caché, à prédire ce qui arrivera ». (p. 135)

 

Ceci nous ramène au rapport au sacré qui est intimement lié à la femme. Nous constatons que les hommes incapables de se situer, de percevoir leur réalité propre, vont  s’approprier ce que faisaient les femmes et pour accomplir les fonctions de prêtre, par exemple, ils vont s’habiller en femme. Cela survit encore de nos jours où tous les hommes d'église portent la robe!


Et maintenant considérons les enfants. Être enfant c'est être affublé du rôle que les parents veulent qu'il joue, et dans ce rôle s’engouffrent tous leurs fantasmes. C’est là que la représentation fragmentaire de la vie s'incarne le plus. On parle de nourrisson, de bébé, d’enfant, d’adolescent. À chaque segment sont attribuées des déterminations qui ont pour contenu la négation de toute capacité d’autonomie. L’enfant est un incapable, un assisté; il a besoin constamment d’être surveillé; d’où la nécessité  d’intervenir afin d’apporter ce qui va lui permettre de surmonter son incapacité supposée.

 

Tout cela est connu, ce n’est pas la peine d°insister. Ce que nous voulons souligner, c'est qu’en ayant le comportement de celui qui assiste, l’adulte exerce une violence sur l’enfant puisqu°il l’empêche de réaliser spontanément son procès de vie. Il ne peut jamais faire en entier une action. Le procès du parfait, c’est-à-dire le procés par lequel une action voit toutes ses phase se réaliser jusqu'à son achèvement qui la rend, par là, parfaite (il n’y a aucune notion morale ou esthétique là-dedans) est enrayé. L'adulte accomplissant à sa place certaines des phases qui sont jugées irréalisables par lui, exerce une puissante violence qui engendre une inhibition. On peut dire que le phénomène est général et opérant à l’échelle sociale. La division du travail, la fragmentation des tâches, etc., font que l’individu n'est jamais en face d’une totalité. Il est en fait utilisé par le procès de production pour réaliser un fraction de celui-ci. Comment ne pourrait-il pas se percevoir lui-même fragmenté? À l’échelle de la société entière cela fonde le possible de la hiérarchie.

 

Un autre aspect terrifiant de la situation des enfants c’est que par le chantage à l’amour, ils sont exploités par leurs parents. Si tu fais cela, tu auras un calin, un bonbon, ou tout autre substitut. Ou bien si tu es gentil (ce qui implique la négation qu'il le soit foncièrement!), tu auras... Il y a également l'utilisation de la dynamique du "je donne pour que tu donnes" et du "je fais pour que tu fasses" que dénonçait Marx. L’enfant est d’autant plus exploité que la plupart du temps, au lieu d'amour, il reçoit des objets (toujours l'objectalisation). On peut comprendre qu’une telle éducation[22] ait pu permettre l’installation de l’exploitation de l’homme par l’homme!

 

On doit considérer l'enfant: comme un être à l’égal d’un adulte. Il possède tout à l'état potentiel. C'est son cheminement de vie, avec les autres enfants et avec les personnes plus agées que lui, qui fait apparaître toutes ses capacités qui lui permettent de devenir homme ou femme.

 

Il nous faut rejeter tous les rôles: mère, père, enfant. Nous sommes des êtres humains, féminins (nous en avons au moins la puissance) qui devont vivre dans la joie et la jouissance. Or les rôles sont intimement liés à la famille. Se libérer implique donc l’abandon de celle-ci.

 

Je dis bien que ce sont les rôles qu'il faut abolir. Sinon on retombe encore dans la psychose. Il arrive fréquemment que les enfants en arrivent à penser qu’ils n'auraient pas voulu avoir de père, ni de mère parce que cela cause trop de souffrance. Ce désir, on le trouve exprimé dans la littérature surtout en ce qui concerne les mères. Euripide, par exemple, rêvait d’un processus d’engendrement sans femme. De nos jours ce rêve dément tend à se réaliser: produire des enfants in vitro. Là, le foetus sera à l’abri de la mère, du père. Il pourra naître artificiellement sans dépendre de parents et vivre ensuite dans la virtualité.

 

C’est le cas le plus extrême. Les hommes homosexuels en voulant enfanter désirent se libérer de la mère tandis que les femmes rêvant d'une parthénogenèse, veulent donner consistance à l'absence de père en le supprimant.

 

On justifie la famille comme étant la structure qui permet aux enfants de se développer, le lieu où ils peuvent recevoir l'affection, etc. Mais les enfants n’appartiennent ni à la mère ni au père, ils n’appartiennent pas non plus à la communauté. Ils sont tout simplement, comme doivent l’être l’homme et la femme adultes. La nécessité impérieuse pour toute individualité de vivre la totalité, la diversité et l’unicité conduit à rejeter toute limite, toute barrière, tout interdit, tout ce qui empêche le flux de vie de librement s'écouler. L’épanouissement de l'être humain, féminin, en tant qu’individualité et Gemeinwesen implique la disparition de toute structuration, de toute organisation des rapports humano-féminins.

 

Après avoir succinctement abordé la phylogénie de la psychose, voyons son ontogénèse en situant comment elle s’installe en chaque individualité. Précisons d’abord en quoi elle consiste.

 

La psychose est l’ensemble des mécanismes qui permettent à l’individualité, cherchant à survivre, de s’adapter aux conditions de domestication que lui imposent ses parents, à leur propre psychose qui les rend inaptes à l’accueillir tant ils sont préoccupés, hantés par elle, par leurs manques affectifs. C’est la perturbation fondamentale de la conscientisation c’est-à-dire le processus par lequel les émotions, les sentiments parviennent à la conscience, c’est-à-dire qu'il y a enraiement de la continuité, il y a déviation, détournement du phénomène naturel et formation d'agrégats: les émotions, les souffrances non pleinement vécues et non parvenues à la conscience.

 

L’installation de la psychose dans l'individualité commence avant la naissance, avant la conception parce que nous ne vivons pas en communauté; le futur enfant est limité dés le départ parce qu’il provient d’individus. En outre les deux parents veulent un enfant pour eux, ce qui entraïne d’immenses projections permettant la transmission de la psychose, surtout durant les phases du sommeil paradoxal. Le plus souvent le futur enfant est vécu comme devant guérir de l'antique mal de ne pas être aimé. Lors de la conception tout est transmis et tout est accru si l’enfant n’est pas désiré.

 

Durant toute la gestation l'embryon puis le foetus auquel on a nié pendant longtemps toute capacité, pour le considérer seulement comme un simple tout organique, absorbe les émotions de la mère et dans une moindre mesure celles du père. Ceci s’effectuant également surtout durant la phase de sommeil paradoxal.

 

Lors de la parturition toutes les somatisations opèrent chez la mère, particulièrement au niveau de l'utérus qui est tendu, rigide[23]. On peut affirmer. sans crainte de se tromper que les douleurs liées à l’accouchement sont en grande partie dues à la psychose qui carapace l’individualité. C’est cela qui ne permet pas que la symbiose mère-enfant s'effectue harmonieusement. En effet ce qu’οn nomme le travail dans la parturition relève en fait d’une relation symbiotique où le désir de l’enfant d'accéder au monde hors la mère et le désir de cette dernère d’accueillir le nouvel être se conjuguent. La non effectuation parfaite de cette relation qui se ramène à une rupture de continuité conditionne un traumatisme dont chacun a été marqué. La modalité de celui-ci signe en quelque sorte la dimension psychotique de chacun. Il est évident que le traumatisme est amplifié si l’accouchement a été effectué sous péridurale ou s’il y a eu césarienne.

 

Dans la plupart des cas les conditions dans lesquelles s’effectue l'accouchement ne permettent pas un accueil vibrant de la mère. En outre très souvent la mère ne fait qu’enregistrer l’arrivée au monde d'un nouvel être. Nous n’insisterons pas sur les problèmes de la naissance, le lecteur pouvant se reporter au livre de Leboyer Pour une naissance sans violence. Rappelons simplement l’importance du traumatisme dû au fait que l’enfant est séparé de sa mère alors que durant les premiers mois il doit être presque constamment en contact avec elle.

Une fois né l'enfant est souvent vécu comme un être encombrant, comme un obstacle à la réalisation des désirs de la mère[24] et du père. Comment un être humain, féminin, peut-il trouver sa place quand il se sent une gène et est géné? Le non accueil de la mère lié à ce dernier phénomène fonde les sentiments d’ètre peu important, insignifiant et celui de honte (honte de ne pas être aimé). En outre l'enfant éprouve très tôt un sentiment d’impuissance par ce que ses appels sont très souvent sans effet: sa mère ne satisfait pas son désir. Il est probable qu’au début il cherche à communiquer par télépathie mais que le non succès de diverses tentatives fait qu’il recourt aux cris qui eux sont opérationnels. Cela nous semble très vraissemblable que l’enfant ait l’aptitude télépathique puisque le langage est lié à l’acquisition de la station verticale. L’ennui c'est que le devenir de l'espèce depuis des milliers d’années consiste en la perte de l’inné. Aussi très rares sont les mères qui soient encore receptives aux messages télépathiques de leur nourrisson[25]

 

Les préjugés sociaux, les contraintes sociales, dans la mesure où elles sont acceptées par la mère, font que celle-ci n’est pas totalement receptrice aux désirs de son enfant. Voilà pourquoi la mère est pour ainsi dire d'entrée vécue comme un personnage ambivalent: menaçant ou maléfique et bénéfique.

 

Pour décrire comment s’installe la psychose il me semble intéressant de recourir à l’ouvrage de J. Bril Lilith ou la mère obscure, Ed. Payot. En effet l’auteur, qui accepte  les thèses psychanalytiques, décrit fort bien les traumatismes de l’enfant, mais étant donné qu’il ne remet absolument pas en cause la nocivité de l'action des parents, l’origine de ces maux demeure obscure. Voici d’amples extraits que nous commenterons.

 

« On n’insistera jamais trop sur ce fait que le petit d'homme vient au monde dans un état d’inachèvement qui ne trouve son équivalent,dans aucune espèce supérieure. (Il naît prématuré, d'où la nécessité d’une extérogestation[26]; n.d.r).  Il’s’ensuit que, parmi les mammifères, c’est le nourrisson humain dont l’état de dépendance est le plus accentué (on ne peut parler de dépendance que parce qu’on ne reconnaît pas la nécessité de l’extérogestation, prolongation de l’utérogestation, donc qu'on entérine la perte de continuité; or c’est celle-ci qui crée la dépendance parce qu'elle fonde la séparation; étant séparé, l’enfant devient dépendant de la mère, n.d.r); avec le corollaire nécessaire de conditions de détresse spécifiques (en réalité déterminées par un comportement non inné mais acquis de l’espèce qui rompt la fonction de continuité génératrice de confiance et négatrice d’angoisse, de détresse, n.d.r). Ses premières impressions, ses premières expériences, il les reçoit dans les conditions d’une impuissance absolue (puisque la relation symbiotique a été rompue, relation qui doit se poursuivre au cours de l’extéro-gestation, n.d.r) et aucune des mesures les plus attentives de son entourage pour satisfaire ses besoins et le protéger des frustrations de toute nature, ne sauraient le garantir d'une impression d'abandon (puisqu’il est séparé de l’être essentiel avec qui son procès de vie doit s’effectuer, sa mère, n.d.r). »

 

Poursuivons (toujours à la même page 27). L’auteur expose le côté bénéfique de la mère. "En revanche le nourrisson connaît des instants de profonde gratification; ce sont ceux bien entendu qui correspondent à la satisfaction de ses besoins et particulièrement à l’apaisement de sa faim. Or cette satisfaction lui est donnée selon les conditions quasi-fusionnelles de l’allaitement avec son cortège de sensations orales et coenesthésiques. La relation contractée avec la mère se constituera en prototype exemplaire de la relation future à l’autre. Et C’est le pôle bénéfique de la relation infantile. Il n’en reste pas moins que ces instants bienheureux n’interviennent que comme une réassurance momentanée au cours d'un vécu dans lequel prévalent les impressions d’abandon, de solitude et de danger potentiel (constatation de la dimension ambivalente de la mère sans situer son origine, n.d.r)."

 

L’auteur aborde ensuite "l’ontogenèse de l’angoisse infantile":

 

"Ces facteurs se retrouvent dans les différents stades que distinguent les auteurs dans l’ontogenèse de l’angoisse. Leur caractère phylogénétique ne semble pas faire de doute (pour tous ceux qui ne remettent pas en cause l'action répressive, domesticatrice de la mère puis du père, action qui consiste répétons-le à briser la continuité mère-enfant, n.d.r) quand bien même aucune théorie cohérente ne s’impose encore (et pour cause puisqu'il ne s’agit pas d’une donnée phylogénétique, innée, mais d'un acquis au cours du développement de l’espèce, n.d.r)."

 

"En second lieu interviennent les nombreuses sensations diffuses de déplaisir propres au premier âge. Il’s’agit là de déplaisir in se (à nouveau affirmation d’une innéité dont on ne peut pas comprendre la raison, n.d.r), analogue à cette époque à l’angoisse en ce qu’il est dépourvu d’objet, déplaisir à l'état pur, indifférencié ..." (p.28).

 

"L’origine de la peur de la chute, dont les développements symboliques sont considérables et se retrouvent dans les mythologies de tous les peuples, se rapporte à la même période (...) À cette peur de la chute correspond le "réflexe de Moro’" qui « est donc interprétable en terme d’adaptation anticipative à une situation anxiogène. La peur de la chute correspondrait alors à la connaissance innée d'un danger spécifique. » (p.28) Cette dernière affirmation nous parait juste mais l’analyse du reflexe de Moro nous révèle autre chose. Ce reflexe consiste en ceci: « les deux bras du nourrisson se tendent brusquement à la verticale comτne pour étreindre quelque chose et retombent. Il intervient en réponse à un stimulus (bruit, secousse inopinée, etc.) dont la prolongation constituerait un danger.. » (p. 28) L’enfant normalement doit être en contact avec sa mère. Lorsque survient le stimulus dont parle l’auteur l'enfant tend à s’accrocher à cette dernière afin de ne pas tomber (souvenir phylogénétique de la vie arboricole que connurent nos ancêtres). Comτne il ne peut pas l’aggriper puisqu’il en est séparé, il ne saisit rien et relâche. Or le relâchement entraîne normalement la chute. En conséquence le nourrisson perçoit virtuellement la chute et est angoissé par le fait de ne pas être en contact, et par le porte-à-faux de son ressenti: la chute n'est que virtuelle[27].

 

Le fait que la mère ne porte pas[28] constamment le nouveau-né, ne soit pas en contact permament avec lui, engendre l’angoisse sous toutes ses formes et elle est cause de ce qu’οn nomme la mort prématurée du nourrisson.

 

Ultérieurement l'auteur parle de «pulsion de mort, dirigée contre le sujet lui-même et cause d’une angoisse insupportable à laquelle il s’efforce d'échapper dans la régression» (p. 34). Mais cette pulsion de mort n’est pas quelque chose d’inné (un instinct selon Freud) mais est induite par le comportement de la mère. En réalité nous pensons qu’il est préférable de parler de sensation de mort engendrée par le non accueil et par l’indifférence de la mère, par la perception de la part de l’enfant de la dimension psychotique de cette dernière avec laquelle il ne peut pas se sentir en continuité.

 

À nouveau une bonne expression de l’ambivalence de la mère. « C'est évidemment le corps de la mère qui sera la scène (à noter la référence au théatre à la représentation et donc au discours de la séparation, n.d.r) prévilégiée de ce conflit, de sorte que la gratification apportée par la mère protectrice et nourricière coexiste avec la persécution fantasmatique (puisque les maléfices maternels ne sont pas reconnus par l’auteur, n.d.r) qui en provient également. La mère - initialement métonomisée en sein (la question n’est pas abordée, et pour cause, si cette métonymie n’est pas induite par la séparation qui oblige l’enfant à se représenter sa mère par une portion d’elle, n.d.r) - sera vécue par le nourrisson comme un objet profondément ambivalent susceptible d'être tout à tour ou simultanément gratifiant ou persécuteur." (P.35) Tout le livre de J.Bril est une illustration de ce caractère ambivalent de la mère à travers l'exposé du mythe de Lilith et de tous ses multiples avatars qui montrent à quel point est profonde la peur des mères. C'est ce qu’illustre également Lederer dans son ouvrage La peur des femmes qu'il eut été préférable d'intituler La peur des mères. Nous y reviendrons. Indiquons seulement ceci: ce qui dans la femme fait peur à l’homme, c'est sa dimension de mère; cette mère plus ou moins idéalisée qu’il recherche en elle et qu'il n'a pas eue. En revanche l’homme est profondément, irrésistiblement attiré par la femme.

 

Pour revenir à la citation précédente indiquons que la référence à l’objet nous semble hors de propos. Elle dérive du procès d'objectalisation présent dans la pensée de l’auteur.

 

Reprenons son exposé. « Dés lors, le caractère insupportable de l'ambivalence attaché à la mère conduit l’enfant à user d’un subterfuge: il dérivera son agressivité vers des créations purement imaginaires qui lui permettront de récupérer un objet uniquement gratifiant. » (p.35)

 

Nous retrouvons ici le procès de l’objectalisation qui implique que l’enfant a été fourvoyé par l’adulte dans une errance: la recherche de substituts, anticipations des prothèses. «L'invention d'objets sur lesquels investir l'angoisse est une des tâches essentielles du psychisme qui progresse dans cet art dés l'âge le plus tendre. Les processus mobilisés pour atteindre ce but - en particulier projection et transfert - sont à la base de toute élaboration mythique. » (p. 30) Ici encore l’auteur escamote le fait que ce sont les parents qui par leur abscence, leur évanescence, leur indifférence, induisent l’enfant à entrer dans la dynamique de l'objectalisation qui sera toujours plus forte au fur et à mesure qu’ il sera effectivement apte à manipuler des objets tangibles. Il convient d'ajouter qu'on a là également le point de départ d'un procès d'idéalisation de la mère, mais aussi de sa recherche. Chez l'homme cela le conduira à tenter de la retrouver en chaque femme rencontrée; de là les multiples impasses de l'errance.

 

Enfin, notons que l’auteur parle de « tâches essentielles du psychisme » ce qui montre bien que la psychose s'élabore par un travail au sens originel du mot, de torture.

 

Cette agressivité non innée mais acquise va engendrer un sentiment de culpabilité qui a d'autres fondements sur lesquels il nous faudra revenir. À ce propos nous rejetons évidemment la thèse de l'enfant criminel né[29], mais nous sommes d’accord pour dire que, potentiellement, chacun de nous le devient.

 

Il semble donc que ce soit dans le caractère ambivalent de la mère que s'enracine une grand part de la psychose. « Les attitudes bipolaires que toutes les cultures manifestent ainsi en termes symboliques ne sont que les images socialisées des attitudes fondamentales de l’homme vis-à-vis de la femme (en fait, nous l'avons vu, c’est dans la femme en tant que mère que ceci s'enracine, n.d.r): celle-ci sera mère et prostituée, vierge et soldate, nourricière et dévoratrice, séductrice et castratrice. » (o.c. p.4l)

 

Pour conjurer la peur des mères, largement documentée dans le livre de J. Bril comme dans celui de Lederer, hommes et femmes ont eu tendance à imaginer une mère qui ne soit pas affectée de l'ambivalence. Ceci se réalise parfaitement dans le christianisme avec le mythe de Marie, la bonne mère. C'est grâce à ce personnage que le christianisme a pu l'emporter sur toutes les autres religions et représentations. D'une part Marie manifeste la résurgence de la puissance de la femme, comme elle était affirmée dans les sociétés non encore pénétrées par le phénomène de la valeur, où le patriarcat commençait seulement à s'imposer. D'autre part elle est univoque dans le bien; elle apporte l’amour, la consolation; elle pardonne; elle intercède auprès de Dieu en faveur des humains pécheurs repentants. Elle est comnιe un équivalent général du bien et des émotions. Ainsi, elle seule peut pleurer le défunt, ce qui élimine les pleureuses. En effet selon la doctrine chrétienne, on ne peut pas pleurer un mort puisque celui-ci est en fait délivré en quittant cette vallée de larmes. Alors celui οu celle qui est dans la peine se réfugie auprès de la vierge Marie et il ou elle accède ainsi à l’expression de la douleur.

 

En même temps Marie permet aux mères de se déculpabiliser. Elles peuvent placer leur enfant sous sa protection et la vierge peut les protéger contre elles-mêmes. En outre en l’invoquant pour leur enfant, elles le font aussi pour celui qui est en elles.

 

La puissance des créateurs du personnage de Marie réside dans le fait d'avoir produit un être sans ambiguité. En outre Marie est vierge. Elle n’est donc pas lestée par la sexualité comme l’est toute mère terrestre. Ce n’est pas un fait nouveau. « La déesse mère vierge et son enfant divin précèdent la vierge de la chrétienté de plusieurs siècles. » (Lederer: La peur des femmes, p. 114)[30] Or la sexualité c'est ce qui détourne la mère de l’enfant, qui la rend non totalement disponible à lui. Ici aussi l'homme ne craint pas la sexualité de la femme, mais il appréhende celle de la mère.

 

Il y a encore un élément extrêmement important chez la Vierge Marie, c'est qu'elle a un enfant qui est un sauveur. « Dans le monde chrétien, de façon plus subtile, la conception virginale de Μarie engendrera le Sauveur, double façon - virginité féconde et mise au monde d'un dieu - de proclamer la toute-puisance féminine. » (Lilith... p.42) On peut être d'accord avec cette interprétation mais elle est insuffisante. Marie indique que l'enfant est le sauveur. Or pour toute femme il en est ainsi. C’est lui qui doit la guérir de sa psychose. À ce propos de nos jours diverses théorisations l’affirment en recourant parfois à l’intervention d’un dieu ou d’un ange qui enverrait ou apporterait l’enfant sauveur. Donc en priant la Vierge, la mère se voit confirmée dans son désir et dans la justesse de son comportement.

 

Toujours en rapport avec l’ambivalence de la mère nous avons la notion de sacré. En effet un des référents les plus essentiels de cette notion c'est bien la mère, la terre-mère d'abord, la mère tout court ensuite. Le sacré attire et fait peur et il est lié à la notion d'interdit ainsi qu'à celle de sa violation. On peut penser que la mère donne substance au sacré avant qu'il ne soit lié au sang menstruel [31].

 

Parvenu à ce stade de notre exposition nous voudrions affirmer notre thèse centrale: tout ce qui relève de ce qu’οn appelle l'éducation est un constant blocage du développement spontané de l’enfant. Plus exactement il est bloqué, brisé ou bien il est détourné. De ce tait l’enfant subit une violence constante. Avant d’illustrer ce dire, indiquons le fondement du comportement des adultes. C’est l’idée que le bébé (sans parler du foetus) est un être vide en quelque sorte, qù’il faut le construire, c'est un simple tout organique. On lui refuse une plénitude d'être qui implique une conscience, une connaissance - celle de son propre plan de vie. Selon les adultes il faut tout lui apporter.

 

Nous avons maintes fois signalé le phénomène du refoulement qui opère très tôt chez le bébé. Il nous faut préciser en quoi il consiste parce qu’il est directement en relation avec ce qui précède. C’est un phénomène de regression qui fait passer un conscient immédiat au stade d’inconscient. La fixation de ce qui est refoulé s‘opère dans le psychisme donnant l'inconscient psychique, et à travers une somatisation qui fonde l'inconscient corporel ou somatique (le ça de Groddeκ en quelque sorte). Le refoulement impose une surcharge psychique qui entrave le procès psychique normal; d’οù s'effectue une sorte de déversement des émotions, des sentiments refoulés sur le corps, dans les os, dans les muscles principalement[32] puis dans toutes les autres parties du corps provoquant sa rigidification de plus en plus intense au cours du temps. La personne a dés lors l’impression d’être habitée, possédée par un autre être. Dans les anciennes représentations cela prend la forme de démons, si nombreux comme nous l’indiquent J. Bril et Lederer auxquels nous nous sommes abondamment référés.

 

Pour se réaliser le refoulement nécessite une violence terrible parce qu’il implique une inversion du phénomène naturel, le passage de l’inconscient au conscient. Cela veut dire qu'il y a enraiement d’un procès - ce qui caractérise la violence[33] - et mise en place d'un autre qui nécessité une énorme dépense d’énergie, un travail.

 

En conséquence, l’inconscient - fondement de la psychose - apparaït comme un conscient passé, refoulé qui veut à nouveau réafleurer et s’actualiser en tant que conscient. On comprend dés lors la tendance irrepressible qui habite tout homme, toute femme, à se retrouver dans des situations où ce conscient refoulé devenu inconscient pourrait enfin être perçu en tant que conscient. Étant donnée la puissance du refoulement qui a engendré l’inconscient, il est normal qu’il faille des situations de crise afin de provoquer un déchirement dans la personne pour permettre l'émergence du conscient refoulé, vécu jusqu'alors comme un inconscient. Si cette personne se trouve dans une dynamique de libération dont nous parlerons ultérieurerment, ce conscient du passé peut être intégré dans le conscient présent, de l’ici et maintenant. Une prise de conscience peut s'effectuer, une émotion peut se revivre.

 

Le refoulement  opère le plus souvent en tant que blocage du phénomène de conscientisation, c’est-à-dire le passage de l’inconscient au conscient. Ainsi le bébé qui a une émotion parce que sa mère ne répond pas à son désir ne peut pas la vivre pleinement, ne peut pas en, avoir pleinement cosncience ne serait-ce que parce qu’il ne parle pas. Il n’est pas encore passé de conscience intime à la conscience immédiate qui est une floraison de la première. Le bébé, puis le petit enfant est mis dans une situation où il ne parvient pas à pleinement exprimer sa souffrance.

 

Ce phénomène se répète souvent. Ainsi quand un enfant se fait mal, l’adulte a tendance à nier sa souffrance ou l’intensité de celle-ci. Ce qui peut ultérieurement engendrer chez l’enfant un doute sur ses aptitudes à sentir. Ou bien il le console par un calin ou tente de le détourner en lui proposant un jeu par exemple. La consolation est la pire des choses. Elle contient une violence terrible parce qu’elle brise un procès. L’enfant en pleurant exprime sa souffrance; il peut la vivre, en prendre pleinement conscience en la disant. Enfin la consolation induit chez l’enfant la tendance à se lamenter afin d’obtenir un calin. Or la lamentation est la conduite la plus dégradante au sens où elle provoque chez l'homme, chez la femme, une regression: la mise en état de dépendance où il y a mise en culture de la souffrance et donc sa conservation [34].

 

Le milieu où se développe l’enfant n'étant pas un milieu naturel et étant donné le phénomène d'objectalisation, celui-ci se heurte constamment à des interdits. En outre du fait de la perte totale de la part des adultes de la connaissance de ce qu’ils furent en tant que bébés et de leur non écoute de l'enfant, ceux-ci n'ont pas de perception de ce que désire l’enfant n’ayant pas encore acquis le langage verbal. En conséquence ils lui imposent un mode de vie dicté par la domestication, par les préjugés multiples. Le bébé est emprisonné, fagoté, il lui est difficile d’avoir un contact immédiat avec la réalité.

 

Lorsque le jeune enfant commence à acquérir la station verticale et donc la marche bipède, son désir d’autonomie va se manifester. C'est alors aussi que la répression parentale, toujours justifiée au nom de son bien, s'amplifie. On lui impose une violence en interrompant chaque fois son procès de vie, puisqu'on ne le laisse pas librement s’épanouir. Les contraintes qu’οn lui impose, engendrées par les peurs des adultes (qu’il tombe, qu'il se coupe, qu'il casse quelque chose, etc..) instille en lui une grand violence qu'il peut plus ou moins défouler. Là encore la répression intervient car l’adulte ne peut pas tolérer ces manifestations de violence qui le remettent en cause. En effet sans s’en rendre compte l’adulte placé devant la réaction de l'enfant est renvoyé à sa propre histoire où, lui aussi, au même stade de développement, dû subir une répression dont il souffrit amplement. C’est cette souffrance qui affleure alors; d’où,.pour la conjurer, un déchaïnement de violence. L’enfant y est piégé.

 

Nous pouvons désormais essayer de synthétiser comment s’articule la psychose sur l'être [35] émergeant. Celui-ci est une plénitude, c’est-à-dire qu'il renferme conscience intime [36], celle de son plan de vie et de sa particpation à la totalité, ce qui implique connaissance et amour. Nous désignons par ce dernier terme la pulsion de continuité de vie qui porte tout être humain à rechercher puissamment l’autre, pour la maintenir.

 

Ce nouvel être déjà lesté par les troubles opérés lors de l'utéro-gestation, bouleversé par la parturition qui ne s'effectue pas selon un processus symbiotique, n'est pas reconnu en tant que tel lors de son accession au monde. C'est une autre empreinte puissante qu’il reçoit, après celles subies lors de la conception et de l’utérogestation. D'autres se mettront en place en fonction des traumatismes qu'il va subir, traumatismes en connexion avec le phénoτnène de séparation. C’est à ce moment-là que surgit la sensation de mort, de mort de tout ce qui l’entoure. Ainsi l'épanouissement de la conscience intime est enrayé sans être aboli complétement. Le tout jeune enfant souffre, mais cette souffrance, somme de toutes les émotions négatives, ne peut pas avoir un réel débouché parce qu'elle ne rencontre pas un accueil. Selon nous la souffrance est un signe qui indique qu’il y a une anomalie dans la réalisation d’un procès, ce qui permet la mise en place d’une réaction appropriée pour enrayer le disfonctionnement en acte. Dés lors l'opérationnbalité de la répression peut s'effectuer: le refoulement qui engendre l’inconscient.

 

L’énergie initiale constitutive de l’être apparaissant va se fragmenter et c'est en cela que réside la racine de la psychose, une réponse à la fragmentation qui nous permette de survivre. Elle s'affirme en tant que compromis entre l'être émergeant, la pousse nouvelle de vie, et le procès de vie proposé par les parents, entre le devenir à l’épanouissement de la conscience intime allant vers une conscience immédiate, une conscience s’extériorisant, et la conscience repressive venant de l’extérieur, des parents, de tous les adultes. C’est une accommodation entre le flux puissant d’amour de l’enfant non domestiqué et l'amour réduit qu'il reçoit de ses parents.

 

L’énergie est déviée et déplacée. Elle n’est plus au service de la réalisation de l’être intérieur, de la pousse, mais à celui de l’accommodation, du compromis. Elle se déverse dans la projection, recherche d'une réalité fantasmée, dans le transfert qui est recherche de points de repère stables grâce auxquels il soit possible de se comporter; d’οù l’essai de retrouver le père, la mère plus ou moins idéalisés dans diverses personnes rencontrées.

 

La sensation de plénitude originelle due à l’intégralité et à l'authenticité de l’étre émergeant s’évanouit et demeure souvenir inéffaçable. L’enfant est déchiré. Il faut donc qu'il se structure pour survivre afin d’avoir un comportement adéquat pour être accepté par les autres-. C'est en cela qu'il y a psychose.

 

Grâce à l’inconscient l’individu conserve la trace de toutes les émotions négatives qu’il a subies et qu'il n’a pas pu clairement exprimer; elles n'ont pas pu parvenir à la conscience. En tant que résultat du heurt entre conscience répressive venant des parents et conscience intime de l’ëtre émergeant, il conserve le souvenir de celle-ci et de l'être qui la supporte. C’est pourquoi peut-il être utilisé par elle pour mettre en branle le processus constant de libération de tout ce qui inhibe la floraison de la conscience, l’affirmation de l'être et le rétablissement de la continuité. D’où  la contrainte à la répétition de situations devant révéler à l’individu ce qu’il a subi avec les diverses émotions qui y sont liées, afin d’en prendre conscience dans l’ici et maintenant et s’en libérer.

 

Cette compulsion à réactualiser des situations primordiales où il y eut une intense souffrance, signalant un disfonctionnement profond, doit être également mis en rapport avec la nécessité de rétablir l'équilibre psychique et réimposer une continuité en l’être. Si ceci advient la souffrance disparait. Il en résulte que la persistance dé cette dernière est celle d'un signal et non l’indication d’un élément constitutif de l'individu. Si la prise de conscience ne s'effectue pas, il se sent piégé dans une situation dont il lui semble ne jamais pouvoir en sortir.

 

Ensuite le déroulement de la vie psychique consiste en la mise en place de schémas comportementaux qui ont été déterminés par les empreintes et par leur opérationnalité. Un schéma détermine le mode de se comporter de l’individu en rapport avec les diverses personnes avec qui il vit ou qu'il rencontre.

 

Donnons un exemple. Un enfant a été séparé de sa mère, ou de son père, ou des deux, va avoir tendance, devenu adulte, à se mettre dans une situation où il sera à nouveau abandonné. Ainsi il recherchera un conjoint dont le schéma comportemental soit tel qu'il induise une séparation. Et ceci se répétera chaque fois de façon plus intense jusqu’à ce que l'individu puisse réellement revivre les émotions négatives (peur, terreur, sentiment d’impuissance, honte, perte de confiance en soi), et réalise que c’est un phénomène du passé déterminé par l'action de ses parents et donc accède à une conscience de celui-ci, ici et maintenant.

 

Ceci est une petite indication sur le phénomène. Nous voulons simplement le signaler pour mieux situer la psychose. Nous y reviendrons en l’intégrant dans le devenir de l’espèce. Pour le moment une seule remarque. Marx disait à propos des révolutions du dix-neuvième siècle que leur apparent échec consistait dans le renforcement de la contre-révolution, dans celui de l'ennemi à abattre. Ceci fera apparaître ce dernier net et précis et donc en quelque sorte accessible à la destruction. Ce qu’il affirmait c’est la nécessité de voir de façon nette ce qu’il y a à réaliser afin de pouvoir le faire. Ce faisant, en fonction de sa représentation, il décrivait bien un procès en acte au sein de l’espèce.

 

De même dans le processus de libération, la contrainte à se retrouver dans des situations douloureuses vise à ce que finalement la racine de la psychose puisse être vue, ce qui permet un revécu et une prise de conscience qui amènent distanciation et libération. En conséquence la métaphore de la révolution en tant que taupe qui, en creusant souterrainement, sape les fondements de la société, évoque parfaitement la conscience intime de tout individu tendant à l’individualité qui sape les assises de l'étre psychosé induit par la répression.

 

Le processus de libération est un cheminement libérateur que nous ne pouvons qu'évoquer, parce qu’il s’agit fondamentalement d’un vécu. C’est une autre façon de désigner le contenu de la nouvelle dynamique de vie que nous prônons depuis des années afin de sortir de la société-communauté du capital. Nous préférons parler de cheminement parce que c’est plus concret, plus immédiat et que cela évoque tout de suite la rupture avec la sédentarisation, une des principales plaies affectant l’espèce, et c’est un hommage aux aborigènes d’Australie dont nous avons parlé. Cela n’a rien à voir avec une méthode, avec une thérapie parce que c’est la personne, désirant se libérer, qui opère, brisant par là la dépendance et en visant à la remise en continuité avec le phénomène vie dont elle est la manifestation, avec la conscience de celui-ci qui surgit en elle. Mais l’homme, la femme ne sont pas des entités individuelles, chacun est simultanément individualité et Gemeinwesen, aussi c'est grâce à l’écoute par une autre personne qui enregistre sans juger ce que dit le pratiquant, ou la pratiquante au sujet de ses souffrances, de ses projections, fantasmes, etc., que ce ou cette dernière peut parvenir à voir les schémas de conduite psychotique, les transferts, et à accéder à la perception des émotions refoulées, agrégats qui inhibent toute floraison de la conscience. Ce faisant s'impose inévitablement les deux dimensions: individualité et Gemeinwesen, ainsi que le refus de tout ce qui est de ce monde.

 

Parvenir à bien repérer les schémas comportementaux implique au préalable d'accepter comme donnée - à laquelle on ne doit pas se résigner - ce qui est advenu. L’acceptation en ce sens est un essai de détermiuner toutes les caractéristiques d’un évènement donné, d’une émotion, etc. Ce faisant l'individu va pouvoir opérer sur quelque chose qu’il a cerné, qu’il peut alors affronter au cours de son cheminement libérateur. En revanche le refus de l’advenu conduit souvent à le méconnaître, puisque la dynamique mise alors en place, en rejetant ce qui est, empêche de considérer tous les aspects de ce qui est refusé.

 

Dit autrement: avec l’acceptation s’impose la possibilité de percevoir comment l'évènement qui peut être très douloureux, a un retentissement en nous. Il faut le voir dans son interaction avec tout le psychisme, l’appréhender comment il l’affecte. En outre à partir de là, le hasard n'existant pas, on peut parvenir à trouver sa raison d'être. Cerner la nécessite de cette dernière réclame une investigation dans la psychologie de nos antécédents. En ce qui concerne le comportement, c'est très apparent; ainsi une mère peut induire chez sa fille la haine qu'elle éprouve pour les hommes, ou lui susciter une souffrance qui est la sienne.

 

Le cheminement libérateur a en commun avec la praxis révolutionnaire.cette nécessité de reconnaître pleinement ce qui est advenu. C’est le seul moyen de ne pas s’illusionner. Marx et Bordiga insistèrent longuement sur les lecons de la défaite, sur celles de la contre-révolution, avec le corollaire essentiel: la révolution n'est possible que si la contre-révolution est allée jusqu'au bout. Cela réclame une investigation historique de grande amplitude. Bordiga disait que c’est au sein de la contre-révolution qu'on peut voir qui a réellement la dimension révolutionnaire. En phase de révolution, c’est cette dernière qui la fournit à tout un chacun. La défaite de la révolution est l’enraiement du processus de remise en continuité de l’espèce avec son dévenir antérieur, son retour à la communauté. Être révolutionnaire en période contre-révolutionnaire c’était maintenir au sein de celle-ci le possible de ce procès. Être dans le devenir de libération c’est maintenir, en dépit de la psychose qui nous étreint, le désir de la remise en continuité avec notre être originel. Cheminement libérateur et praxis révolutionnaire sont en quelque sorte des mouvements isomorphes, dans la mesure où l’essentiel n’est pas la libération, mais la réalisation soit de l’individualité, soit de l’espèce perçue alors comme le moment de la Gemeinwesen. Mais ils se séparent dans la mesure où la deuxième nécessitait  l’utilisation de la violence pour s'actualiser et où ce à quoi on pensait retourner n’a jamais existé pleinement.

 

En conséquence nous pensons que le cheminement libérateur est opérationnel tant sur le plan de l’individualité que sur le plan de l'espèce. Le but de la remise en continuité avec le phénomène vie est donc la réalisation de tous les possibles que récèle l’individualité-Gemeinwesen. Mais ce but n'est pas extérieur, placé dans un moment du temps qui peut-être lointain, la pleine réalisation étant affaire de générations, il est au coeur du cheminement. On doit se comporter comme si la réalisation était déjà advenue. Sinon on réintroduirait la dépendance, celle par rapport au but et tout serait enrayé.

 

L'acceptation simple, sans la recherche des raisons fondant le phénomène accepté, maintient l'individu dans la dépendance et se transforme en résignation. Ceci est particulièrement apparent dans la servitude volontaire. Afin d’accéder à l’amour des parents l’enfant accepte n'importe quelle reprimande, humiliation. Il garde toujours l’espoir que le sacrifice de son autonomie, de son développement, lui permettra d`atteindre le but. C’est là que s'ancre la dynamique de cette servitude, le comportement de résignation en face de ce qui advient parce qu'il y a une espérance qui devient inconsciente au fur et à mesure que l’individu grandit.

 

La non acceptation au sens de ne pas pleinement reconnaitre ce qui est advenu dans son immédiat et dans le procès de son engendrement, conduit à l’immédiatisme. En effet ne pas inventorier toute la puissance d’affirmation de l`évènement auquel on est affronté mène, qu`οn le veuille ou non, à ne tenir compte que de ce qui est le plus apparent, le plus immédiat parce qu’il n’y a que cela qui soit dés lors perceptible, accessible pour une théorisation.

 

Accepter un évènement dans la praxis révolutionnaire signifiait l'intégrer au sein du procès révolution; le faire dans le cheminement libérateur conduit à l'intégrer en tant que moment dans le devenir à la réalisation effectuation de l’être non domestiqué, tant sur le plan individuel que sur celui de l’espèce.

 

Le cheminement libérateur nécessite une vie communautaire. Il faut une interaction avec un grand nombre de personnes pour pouvoir révéler la multiplicité des schémas comportementaux; en outre l'amour, l'accueil rendent intolérable le fait qu’οn n`ait pas connu cela dans la petite enfance, d'où la remontée des émotions négatives. Il faut en même temps une attention constante à tous nos dires, nos gestes, nos actions. En effet tout a été dévié, déformé, détourné, réprimé de telle sorte que c`est la totalité de notre corps, de sa manifestation qui exprime la psychose, à condition qu'on soit à son écoute, et céci ne peut pas se réaliser sans celle attentive, attentionnée, de ceux avec qui ont vit, sans leur amour qui nous accueille.

 

L'amour, c’est évident, opère puissamment sur chacun d’entre nous. Mais tout seul - d`autant plus qu`il est teinté de psychose - il ne peut pas être déterminant. Voilà pourquoi, au début de toute rencontre amoureuse, sa puissance est telle que les deux partenaires se perçoivent l’un l'autre au delà de leur psychose. Ils vivent le "parfait amour" Mais dans la mesure où ils n'entreprennent pas un cheminement libérateur, les schémas comportementaux se réactivent et au bout d'un temps plus ou moins long, ils parviennent à l’incompréhension mutuelle, à la non communication, aux différentes variantes de survie de la vie en couple et, souvent, à la séparation. Le transfert sur une "cause", comme aurait pu le dire Stirner, permet à certains de vivre avec le non amour de l'être humain complémentaire.

 

L’individu qui décide de cheminer ainsi doit avoir une exigence; le but à atteindre qui est d’accéder à la réalisation, à l’effectuation de son individualité-Gemeinwesen, ce qui ne peut se produire qu'à la suite de nombreuses années et peut-être jamais de façon totale. Dans ce cas on peut considérer que le procès de libération se poursuivra à la génération suivante car, ne l’oublions pas, au travers de l’individualité c'est l’espèce qui se libère. Il faut une mobilisation de toute l'énergie pour atteindre le but, en conséquence il ne faut pas se laisser divertir. Tout divertissement est un détournement. Cette exigence réclame une intransigeance décidée: pas de compromis avec ce qui est incompatible avec le but. Il n’y a rien à sauver de ce monde (en particulier la famille). Cela implique une vision anti-gradualiste qui inhibe les prises de position radicales: une grande discontinuité avec le devenir psychosé est nécessaire. En même temps s’impose une immense ouverture aux autres, aux divers êtres vivants, à tout ce qui advient. Car en étant éduqué on a été confiné dans la famille, dans le milieu social, dans la patrie, dans la condition d’espèce séparée, dans une portion du cosmos. L’ouverture entraîne des risques de déviation, de réalisation inconsciente de compromis. Une grande vigilance, qui peut être activée par l’intervention de ceux avec qui on vit, doit opérer. L’ouverture s’effectue vis-à-vis de l’étre non psychosé qui demeure en chacun de nous et non à sa psychose. La capacité de dissocier les deux réclame effectivement beaucoup de vigilance [37].

 

Je parle d°un cheminement pour bien signifier que c’est la prise de conscience d’un processus, qui normalement opère inconsciemment, et que de ce fait l’individu sort d’un immobilisme où le confine la psychose. Il tend à se remettre dans le processus évolutif afin de tendre à devenir un homme réalisé ou une femme réalisée.

 

Le processus de libération nécessite pour atteindre son but que les diverses empreintes reçues à la naissance, et même avant, soient inactivées, car elles ne peuvent pas être éliminées. Cela implique que la personne se libérant n’opére plus de transferts ou, tout au moins, s’en rende compte immédiatement afin de les rendre inopérants. De même elle doit percevoir immédiatement les divers schémas comportementaux qu’elle peut mettre en branle et, surtout, ceux des autres personnes avec qui elle vit, qui pourraient effectivement activer une de ses empreintes. encore une fois, le processus libérateur ne peut avoir d’efficacité que si l'on va à la racine même du phénomène psychotique.

 

Pour mieux rendre perceptible la puissance de la psychose, il nous faut mettre en évidence à quel point les traumatisme subis dans la petite enfance fondent les grands thèmes de réflexion de l’espèce, donnent substance au procès de connaissance [38]

 

Commençons par le mythe qui apparait comme la représentation initiale du trouble de l'espèce se séparant du reste de la nature. «Le mythe est une suite de paroles qui ont un sens, c’est un discours, une intention, un message. L'étymologie va plus loin encore puisqu'il est suggéré que le mot mythe pourrait dériver d’une onomatopée faite à bouche fermée, mu, qui nous reporte aux plus lointaines origines individuelles d'une expression préverbale, au temps où le petit de l'homme recherche dans les bras de sa mère une première communication orale et sonore. » (J. Bril, o.c, p.13)

 

Ceci indique bien que c’est à partir de la pensée enfantine que s’engendrent les représentations fondamentales visant à sécuri ser l 'homme, la femme. Ce n’est pas à l’âge mûr que ceux-ci les créent (ils leur donnent forme seulement), mais c'est le cerveau enfantin qui les enfantent. Nous n'avons jamais encore atteint la maturité. Précisons: toute la production théorique, toutes les représentations consistent en une interprétation, une justification ou une rebelllion, de, à, contre, l’accommodation que durent faire les enfants pour pouvoir continuer à vivre dans un monde les opprimant par l’intermédiaire de la répression éxercée sur eux par les parents.

 

« Le "mythe met en scène des personnages humains ou analogues à des êtres humains"; il se passe "dans le temps, alors même que le phénomène dont il est la traduction serait permanent ou périodique"; il raconte "un fait antérieur à l’histoire"; il met en scène une fornie personnelle une entité abstraite, un phénomène physique ou un être collectif; enfin il s’adresse à υ. public préalablement convaincu de la sincérité de son contenu."(idem, p.l4)

 

Ce qui me semble important c'est l'affirmation de l’individualité à travers le mythe en même temps que la dimension communautaire. C'est une représentation où s'articulent puissamment la phylogenèse[39] et l'ontogenése; d’οù effectivement son extraordinaire prégnance.

 

"Ces trois propriétés, anhistoricité, inobjectivité, universalité sur lesquelles converge l’accord des savants de toutes tendances suggèrent de chercher l’essence du mythe dans une propriété spécielle de l’homme." (idem, p. l7)

 

La psychose elle aussi possède ces trois propriétés. Nous ne pensons pas toutefois qu’il faille la considérer comme un simple doublet du mythe. La ‘propriété spécielle’ dont parle l’auteur entre dans ce qui fonde le procès de connaissance de l’espèce, mais sa fonction a été détournée par le procès d’engendrement de la psychose.

 

‘L'efficacité du mythe, comme celle des langages verbaux, mimiques ou gestuels, tiendrait à ce que mythes et langages pourraient étre, en dernière analyse, les fruits des propriétés neuro-physiologiques qui fondent l'espèce. Le mythe participerait ainsi des modalités d'éιrιergence à la culture d'un donné biologique.’ (idem, p. l8)

 

L'enracinement biologique est évident puisque le procès de connaissance n’est possible qu’en fonction non seulement de l’organisation cérébrale, mais de toute celle de l’homme, de la femme. Le mythe est bien la représentation initiale de la coupure d’avec le reste de la nature. Comme celle-ci est réactualisée à chaque génération, le mythe est également réactualisé en chacun de nous avant d'être supplanté, jamais totalement même dans la production consciente, par la raison, le logos. En effet dans notre inconscient il conserve sa prépondérance étant plus apte à exprimer l’aspect protéiforme de la psychose, sa multisémie, son envahissement de toute la psyché. C’est aussi une des raisons pour laquelle les mythes conservent chez l’adulte leur pouvoir fascinant: l'inconscient s'y mire dans un miroir. C’est à dessein que nous recourons à cette formule pléonasmatique: le pléonasme se retrouve fréquemment dans la psychose.

 

L’absence de continuité, autre forme d’expression de la séparation, fonde toutes les recherches sur le continu et le discontinu, que ce soit en mathématique ou en philosophie. Affirmer cela n’implique nullement de rejeter l’explication du surgissement de la philosophie, par exemple, avec l’émergence de la polis en Grèce (naissance de l’État en sa deuxième forme). Ajoutons que ces recherches prennent de l'ampleur à chaque période où la séparation d’avec la nature accède à un stade supérieur, comme au dix-septiènιe siècle par exemple, moment où sur le plan théorique, émerge la représentation du capital[40].

 

Il en est de même pour l'investigation au sujet des limites qui forment le contenu d'un thème très proche de celui de la continuité.

 

La perception de cette dernière n’étant plus immédiate, surgit la nécessité de repères, de limites. C’est la dynamique qui les fait accepter. En revanche celle qui les fait rejeter a son point d’émergence dans le comportement inhibiteur des parents qui veulent toujours limiter l’activité de l'enfant, qui tendent à lui faire vivre la séparation, à le forcer à entrer dans la procès d’individuation qui le posera individu, c’est-à-dire un être séparé.

 

Nous avons montré ailleurs que: ne pas exagérer, éviter l'hubris, sont des injonctions en rapport avec le rejet de l’État sous sa première forme et avec le développement du mouvement de la valeur. Elles sont également le produit de l’intériorisation de la répression. Si on se vit dans la voie du milieu, la voie moyenne, alors on est en sécurité.

 

Le mythe peut être également en rapport avec le sentiment de culpabilité dont il a été question plus haut. « Mais si c'est bien la requête d'amour et de sécurité du petit d’homme qui, en dé finitive, crée les démons, il n’en reste pas moins que la création s’enracine dans une attitude hostile vis-à-vis de l’objet aimé. La culpabilité n’est autre que le sentiment douloureux ou dé séspéré qui s'attache à cette attitude. » (Lilith ou la mère obscure)

 

Les mythes de l’enfant qui porte malheur pourraient avoir ce sentiment en tant qu’un de ses contenus étant donné l’a polysémie des mythes. Il y en a de nombreux exemples, ceux de Paris et d’Œdipe étant les plus connus. En l’occurence, ce type de mythe est antagonique à celui proclamant l’enfant comme être libérateur de la mère. Tous deux manifestent une fois encore le caractère ambigu de celle-ci.

 

Etant donnée l'importance de la culpabilité, sur laquelle nous reviendrons, nous sommes amenés à ajouter ceci. Afin de ne pas être pris en défaut, d’ëtre en adéquation avec le désir psychotique des parents et par là éviter la répression, l'enfant veut être parfait. Mais cette volonté de perfection peut plus ou moins sautonoτniser et cela vient confluer avec celle d’abolir la dépendance parce qu'en réalisant la perfection, il est possible de ne plus avoir besoin des autres. Vouloir être parfait, c'est vouloir être inaccessible, inaccessible aux atteintes douloureuses. D’où le débouché dans la solitude, peut-être dans l’autisme. Dans ce cas, il est possible d’envisager que l’enfant se sentant en dehors de la réalité des adultes qu’il juge défectueuse, insupportable, n’accepte aucune dépendance vis-à-vis de ses parents et leur refuse la parole. Il vit dans sa perfection et sa souffrance.

 

Ce phénomène autistique peut se concevoir selon une autre modalité qui est complémentaire. L'enfant renvoie à sa mère, en les affichant pour ainsi dire sur lui, les différents actes psychotiques quelle commet, afin qu’elle puisse voir le ιnal qu’elle effectue. Cela va progressivement lui constituer un être périphérique auquel il va plus ou moins s'identifier; ce qui instaure sa psychose. En effectuant des transferts, l'enfant devenant adulte essaie de se libérer de cette enveloppe. Dans le cas de l’autisme, il n’y a pas de transfert possible du fait du refus de participer à ce monde .

 

Il y a plusieurs fondements, plusieurs éléments substanciels au concept d'infini. Nous voulons évoquer le contenu lié à l'incertitude au monde dû au fait que l’enfant n'a pas été accueilli tel quel comme une donnée immédiate qui comble de joie, une donnée en dehors de tout doute. Ainsi qu’est-ce qu’il peut y avoir entre 1et 2? Peuvent-ils exister tels que, sans nécessité de les justifier, sans chercher un processuss quelconque qui fonde le 2 à partir du l. De même, du fait de l’incapacité à accepter l’existence du têtard et de la grenouille, il faut se rassurer et trouver tout le procès de passage de l’un à l’autre en se posant la question à quel moment le têtard n'est plus têtard et est devenu grenouille? Quel est le plus petit élément qui permet de discriminer? Dans ces deux types d'interrogation surgit la notion d’infini qui est un procès qui permet à la fois de joindre 1 à 2, têtard à grenouille et de constamment les éloigner, puisque dans le premier cas, par exemple, je puis toujours imaginer un nombre entre 1 et 2, un nombre qui me rapproche et m’éloigne de 2. Là s’exprime analogiquement, symboliquement l’angoisse de l’enfant devant atteindre la certitude d’être, d’être accueilli, pleinement reconnu. Il doit toujours faire quelque chose et c'est ce quelque chose qui le rapproche et l'éloigne de l'être aimé: la mère.

 

La pensée rayonnante participative permet de poser 1et 2 sans introduire de discontinuité. Ils sont pensés dans leur réalité immédiate, pour ainsi dire dans leur immédiateté, en même temps que la totalité des nombres qui les fondent. Cette totalité qui est nécessaire justement pour passer de 1 à 2. Dans ce cas, l’infini est un opérateur de rétablissement d’une continuité, un substitut, une prothèse théorique.

 

Εn écrivant ceci nous ne prétendons en aucune façon expliquer la génèse des nombres ou celle de l’infini. Nous indiquons seulement sur quelle base psychologique, ceci a été imaginé, quel manque cela venait combler, quelle incertitude cela venait lever.

 

La notion d’absolu est en liaison très précise avec le désir d'indépendance de l'enfant, d’échapper au contrôle, à des déterminations ainsi qu'au refus d'en fonder, mais aussi à la comparaison, au jugement qui fige et donc à l’inhibition. En effet dans absolu, comme le signale son étymologie, il y a l’idée de délivrer du péché, des mises en cause, des dettes, d’échapper à la cause, à la faute (ceci se retrouve bien dans l’idée d'absolution), ainsi que celle de rendre parfait, d’achever. La recherche de l’absolu apparaît comme un essai de se mettre hors de toute dynamique déterminée afin de se placer en continuité, sans médiations, avec la totalité où tout est résorbé. C’est l’accès à une immense certitude. L’individu essaie d'échapper à la psychose qui le limite et le fige, et donc à ce monde, mais en se fondant en définitive sur celui-ci et sur celle-là parce qu’il n'a pas individualisé la cause de ses dépendances. Il opère par-dessus sa psychose.

 

L’absolu est ce que recherchent tous les mystiques qui veulent que la coupure intérieur-extérieur ne soit plus opérante. Mais tous sont englués dans la dynamique de faire par-dessus la psychose. Ils l’escamotent. C'est une des raisons pour laquelle aucun vécu mystique n’est transmissible.

 

Le concept de mesure est fort complexe. Dans le chapitre Valeur et procès de connaissance, nous mettrons en évidence comment il acquiert existence avec le mouvement de la valeur. Ici nous voulons indiquer son fondement psychologique. Toute mesure est une levée d’incertitude. Or cette dernière surgit avec la séparation d’avec la nature, comme nous l’avons plusieurs fois exposé, séparation réactualisée au niveau de l’individualité par celle d’avec la mère.

 

L’insécurité, qui est toujours liée à l’incertitude, commande également la notion de mesure. on désire que l’enfant ait un comportement sur mesure, qu'il reste dans la mesure, sinon il perturbe. La mesure,c’est ce qui est acceptable de la part des parents, qu'ils peuvent intégrer sans troubles. D’où la nécessité de toujours ramener l’enfant à la juste mesure.

 

La mesure est liée à la sagesse. C'est l’art de doser, de trouver la voie moyenne, celle du juste milieu. C°est l’art de procéder avec mesure. Or, c'est révélateur, Hermès était le dieu du vol et de la sagesse mais aussi des échanges, du commerce. Or, le concept de mesure, la préoccupation à son sujet surgissent avec le phénomène de la valeur dont le commerce est une forme de manifestation; et celui-ci est inséparable du vol.

 

Répétons-le, nous ne réduisons pas le phénomène à son substrat dans la prime enfance. Nous signalons son ancrage et nous notons que le phénomène développé de façon plus ou moins autonome, en dehors des individus, ne peut avoir un impact sur eux que parce qu’il entre en résonnance avec la base, avec le substrat infantile. Ceci nous explique également pourquoi, lors du surgissement de divers possibles au cours d’un devenir donné, il n’y en a qu'un qui puisse se réaliser, celui qui entre en continuité avec le développement psychique des hommes et des femmes, avec la configuration psychologique telle qu’elle résulte de leur adaptation à la répression qu’ils ont subie dans leur enfance et qui fonde leur psychose.

 

Vivre c’est être en continuité. Sa brisure est le lieu de surgissement de touίes sortes de sentiments, de modes d’approche pour la rétablir: amour, amitié, affection, inclinaison, etc. Or dans l’affirmation du phénomène continu, il y a conscience, connaissance et la première est inséparable du corps qu'elle "habite" de façon intime. La brisure de la continuité entraîne celle entre psyché et sοτna et donc la division (Spaltung) fondamentale. On a un processus de désincarnation de la psyché. L'autonomisation de ce procès contribue à instaurer le duel spiritualisme-matérialisme.

 

L’absence de continuité lors de la naissance, le non accueil intégral de l’enfant à ce moment-là, puis la non acceptation de sa manifestation instinctive, spontanée, produisent un énorme trouble en lui; lui qui est tout amour, pulsion vers sa mère, ne comprend pas qu'on le nie. Dés lors il se sent isolé, étranger et monte en lui la question: comment ai-je pu advenir en ce monde? Εn rnéτne temps s’impose la sensation d’y avoir été jeté. C’est là un thème qu'on trouve non seulement chez les existentialistes, mais chez les gnostiques pour qui ce monde était mauvais. Ceci, couplé avec le caractère , inaccessible de la mère ou du père, va être un support à la conception d'un dieu caché, d'un dieu bon, inacessiblc directement. Pour l'atteindre il faut une gnose, une connaissance. En outre ce monde, produit d'un dieu mauvais, n’est pas le vrai.

 

Le petit enfant est encore proche de son être non réprimé. Il ne veut pas l'oublier. Ίl veut en maintenir le souvenir parce qu’ il sent que là est son essentialité. D’où le thème très important chez les gnostiques du danger de l’oubli de l’être originel. Tant que l’individu conserve le souvenir de la lumière originelle, il peut être sauvé. De là l’idée de salut, lié à celui de sauveur.

 

La gnose implique une quête, une recherche passionnée de la vraie connaissance: Cette quête pourra être celle du Graal, récipient contenant le sang du Christ, qui symbolise, d'après certains, la femme. Mais il y a ambiguité car il y a toujours dans la recherche de la femme, celle de la mère.

 

Dans tous les cas, la brisure dans la continuité oblige l’enfant à trouver une solution pour vivre, parce qu'il n’y a plus d’immédiat. D'où la mise en branle de représentations qui vont s’édifier à partir de signes qui permettent à l’enfant puis à l’enfant-adulte de se repérer, de trouver une voie. Or la thématique des signes a eu un ample développement au cours des millénaires. Nous ne faisons que la signaler. Rappelons simplement que le Christ disait je ne suis pas venu pour apporter des signes. Oui les hommes et les femmes sont égarés comme des enfants qui cherchent des signes pour fonder une certitude. De même combien d’adultes ont besoin de régles, de lois pour pouvoir s'affirmer[41]. Ce sont des signes fixes qui sécurisent: les accepter engendre une sécurité. L’individu en s’y soumettant se perçoit  en bonne voie. C’est une autre source de la servitude volontaire.

 

En outre l’angoisse d'exister, l’angoisse devant l’existence (thème cher aux existentialistes) est liée à une culpabilité non clairement reconnue. L’angoisse est une peur qui ne semble pas avoir d’objet. On a peur de quelque chose, mais non une angoisse de quelque chose. Ceci est conditionné parce que ce dont on a peur enfant ne peut pas être défini, et l’est difficilement même une fois devenu adulte. Il s’agit de l’appréhension devant le fait de vivre du fait qu’οn n’est pas tout simplement accueilli. Et l’angoisse peut affectivement se redoubler puisqu’il semble que par le regard, tout particulièrement, on fasse parvenir les choses à l'existence.

 

La culpabilité dont il s'agit ici est celle d’exister. Et évidemment l'enfant ne peut avoir de cela qu'une perception qui est rendue confuse du fait même qu’il ne peut pas l’accepter car ce serait se nier. Or ceci vient du fait que les parents, encore une fois, ne lui accordent pas tout l’aπιour qu’il devrait recevoir, ne s’occupent pas réellement de lui, etc.. Comme il ne peut pas les remettre en cause, il est conduit à penser que c'est en lui qu’il y a quelque chose de rédhibitoire. Donc il va se sentir coupable de quelque chose. Et l’on doit bien noter que ce sentiment lui est suggéré par ses parents qui fréquemment le vivent comme un étre qui encombre, qui gène le déroulement souhaité de leur vie. Cette perception de la culpabilité est une des racines de la catégorie de la causalité laquelle implique le temps. D'ailleurs, quand on dit c’est la faut à on veut signifier que c'est à cause de! Il est certain qu’il faudra un long proces d'abstraction (qui opère fondamentalement au sein de la psychose) pour passer de la culpabilité à la causalité. Nous voulons simplement signaler où s'enracine la seconde. Précisons que le bébé ressent concrètement l’inadéquation de ce qu’il vit, mais ne peut pas le formuler puisqu’il a pas encore accès au langage verbal. C’est donc a postériori que progressivement il sera possible de désigner, plus ou moins bien, ce qui l’a profondément perturbé dans son développement. Il enregistre le sur gissement d’un phénomène inconnu, qui n’est pas inclus dans son plan de vie, dans sa connaissance et sa conscience intime. Tout son effort portera sur la tentative de l’intégrer en lui donnant une forme [42].

 

Une autre source d'angoisse est liée à l’insécurisation où est plongé l'enfant (fille ou garçon) à cause du rapport au père. En effet, ce dernier a très souvent un comportement concurrentiel vis-à-vis de lui  (ou elle) pour l’accès- à la mère, parce qu’il n'est pas mature mais est demeuré infantile, comme cela a été vu précédemment[43].

 

Diverses variétés d’angoisse expliquent d’autres représentations. Ainsi l’angoisse de ne pas savoir ce qui se passe parce qu'on ne parle pas aux jeunes enfants, parce qu’οn leur cache des faits, des actions (en particulier l'acte d’amour entre les parents) les conduit à imaginer des causes invisibles, des êtres invisibles, etc... L'enτant est toujours mis devant le fait accompli, surtout quand il est tout petit. Jamais on ne lui expose ce qui va être fait. Jamais il ne participe à l’intentionnalité de l’acte à produire. Cela favorise la manifestation d’une pensée magique (quand l'amour est absent, la magie s'impose)[44]; puisqu'il y a magie quand le développement d’un procès s'abolit dans son résultat et qu’on n’expose que ce dernier. C’est là et c’est tout; il n’y a rien à ajouter. Évidemment ceci est en connection avec le principe d'autorité : l’affirmation sans explication et surtout sans prise en compte de l'affectivité de celui à qui l'affirmation est assénée. Ce mode de surgissement de la pensée magique nous suggère que la non utilisation plénière de la parole est engendreuse de troubles profonds chez l’individu.

 

Pour conclure sur ce thème du rapport entre traumatisme infantiles et procès de connaissance, revenons encore une fois sur le moment initial. La séparation d’avec la nature, avons-nous dit, fonde la mère. Elle devient substrat, matière (qui vient de mater), la substance, ce vis-à-vis de quoi on dépend et sans quoi toute pensée est impossible. Là git le déchirement originel qui instaure le couple matière-esprit. L’enfant immergé dans la souffrance et immobilisé, n’étant pas encore à même de marcher, recourt pour se sauver à la pensée, à la recherche d'un possible non lesté par la mère-matière, ce qui fonde l’esprit [45]

 

Il est certain que ce n'est pas là que se crée la représentation duelle et toutes celles induites par elle, soit pour la rejeter, soit pour l’exalter. C'est un devenir externe qui actualise en l’amplifiant (miroir grossissant) le phénomène interne. De telle sorte qu’il peut y avoir résonance entre ce dernier et ce qui est advenu dans l’être enfant, qu'une coalescence entre les deux peut se produire. Toutefois, étant donnés la prégnance de l’apparence et la non acceptation de ce qui s'est réellement passé: la répression par la mère, hommes et femmes sont induits à penser que tout vient de l’extérieur, au cours de leur phase adulte, et donc à chercher toute solution dans ce dernier domaine. Même les mystiques, opérant en fonction d'une non séparation, ne percevant pas que la coupure est liée à une déchirure originelle interne, sont la proie d’un travail se Sisyphe: combler grâce à l'esprit le fossé entre intérieur et extérieur.

 

Le résultat de milliers d'années de devenir de séparation de la nature est la fragmentation de l’homme, de la femme dans leur dimension corporelle et spirituelle. C'est la perte de la vie immédiate, celle qui se déroule dans la quotidienneté. D’où la nécessité de se reimτnerger dans la nature, de rétablir la continuité faisant ressurgir la spontanéité.

 

Pour réaquérir l’immédiat, la compréhension du mode selon le quel s'opèrent les diverses ruptures de continuité, posant les dysfonctionnement dans le mode de vie, s’avère importante.

 

Le disfonctionneτnent fondamental, nous l’avons vu, consiste en la brisure de la continuité avec le phénomène vie, ce qui empêche le nouvel être de s’épanouir. Ensuite c'est la séparation corps-esprit, corps-cerveau, ce qui se traduit par la coupure entre la vie immédiate, affectitive, corporelle en quelque sorte - ce qui n'élimine pas la conscience, mais elle est immédiate - et une vie reflexive, pensée. Ceci est fondé également par la brisure de continuité entre le geste et la parole, le mouvement de déplacement et la parole; celle-ci s'autonomisant du substrat qui l’a engendrée, induit une violence qui s'inscrit en nous et nous inhibe.

 

Nous avons vu que l’établissement de la psychose correspond à une brisure de la continuité due à la mise en place de discontinuités qui sont autant de déchirures, à un disfonctionnement dans tout le procès de vie. Nous avons évoqué la brisure qui se produit lors du passage de l’inconscient au conscient. Ajoutons que tout acte que nous accomplissons implique une foule de phénomènes inconscients dont l’ensemble forme l’inconscient biologique. C'est une jouissance profonde de percevoir l’émergence de la conscience au moment où l'on réalise un geste par exemple. Ce qui est le plus surprenant c’est le rapport entre la marche déterminée par la station verticale et l’accès à la conscience au travers de la parole. À l’origine hommes et femmes devaient chanter, comme nous le suggèrent fortement les moeurs des aborigènes d’Australie dont parlent Chatwin et Merlo Morgan. Et ceci nous plait infiniment parce que le chant évoque l'enchantement. Plus généralement il y a eu brisure entre le geste et la parole, le mouvement de déplacement et la parole, ce qui inféode en nous une violence qui nous possède et nous inhibe. Elle inhibe parce qu'elle occupe la place d’un autodèveloppement qui serait un épanouissement.

 

De, même il y a un inconscient psychique et là encore c'est une jouissance profonde qui s'exhale en nous quand il y a passage de celui-ci à la conscience. Mais ici c’est la conscience, phénomène interne et non celle venant de l'extérieur, la conscience répressive qu'on infuse en nous et que nous devons intérioriser. Sa manifestation en nous apporte souffrance.

 

La jouissance au moment de la floraison de la conscience se manifeste également quand un souvenir parvient dans le domaine de celle-ci. À ce propos il me semble que parfois on incorpore totalement la mémoire dans l'inconscient. Cette confusion est due au fait que l’inconscient, produit du refoulement, vient perturber la mémoire qui est en quelque sorte réorientée en fonction des impératifs de ce dernier. Le passage en mémoire d'un évènement donné, implique qu’il échappe à la conscience immédiate et devient inconscient; mais celui-ci pourra revenir dans le champ de celle-là dans certaines situations. En revanche l'inconscient psychotique s’impose toujours à nous et trouble, voile notre mémoire, comme notre conscience immédiate.

 

La discontinuité opère également lors du passage de la conscience à l’imagination.

 

L’exaltation de l’imagination provient du fait que l’être conscient réprimé doit en quelque sorte faire le saut par-dessus l'inconscient découlant du refoulement et par-dessus la conscience répressive afin de représenter une réalité qui soit conforme à sa pulsion, à sa tendance, et sur laquelle il puisse en quelque sorte s appuyer.

 

L’imagination ne devrait pas opérer pour trouver une issue, un possible à réaliser afin de ne pas être pâture d'un présent vécu comme inacceptable parce que générateur de souffrances, mais opérer comme fonction de jouissance de tous les possibles inclus en la totalité de l’univers.

 

Le disfonctionnement opère puissamment dans la relation entre hommes, femmes. Au lieu de consister en une participation et donc en une perception simultanée de son propre cheminement et de celui des autres, elle s'effectue par la médiation de la comparaison. Or ceci, particulièrement au niveau de l'enfant, engendre un sentiment d'insécurité et d'inauthenticité, puisque ce n’est jamais lui-même qui est perçu mais une relation, qui le place dans une dépendance. Ceci s’accroît tant à l'échelle historique qu'à l'échelle individuelle quand on passe de la comparaison à la concurrence, à la compétition, passage déterminé par l'accession du capital à la domination sur la société.

 

Nous avons parlé de la séparation corps-cerveau qui est à notre avis une des causes de la non utilisation des possibilités de ce dernier. Toutes les autres sont liées au blocage des émotions qui n'ont pas été pleinement vécues, qui ne sont jamais parvenues à la conscience au moment où elles surgirent. C’est une vaste question. Nous dirons seulement que la quasi totalité de nos capacités cérébrales sont utilisées pour gérer ces émotions, à essayer de compenser toutes les ruptures de continuité opérées dans le procès de vie. Cela, peut s'exprimer ainsi: nous sommes inhibés par le passé et par la nécessité de survivre. Le cerveau accaparé par la conscience répressive dont le contenu est l'idéologie en place ou système de croyances, tout le fatras du passé, et par l'inconscient découlant du refoulement, ne peut pas fonctionner spontanément. L' individu est soumis à un travail de Sisyphe: il réactive constamment un passé pour le dépasser. Le processus opérant dans l’inconscience, le dépassement ne peut pas s'effectuer pleinement d'où l'inhibition d'un devenir autre, d'un plein épanouissement.

 

Les ruptures entre inconscient, conscience, imagination fondent les séquences du temps: passé, présent, futur. Étant donnée l'accumulation des émotions, il y a inflation de l'inconscient et donc du passé qui tend toujours à pénétrer le présent. Ce dernier à son tour est télescopé par un futur envahissant: tous les fantasmes de l’imagination. La perception de notre vie n'a plus sa fluidité. elle est saccadée. L’individu vit très peu dans le présent qu'il regrette souvent quand il est passé. Retrouver une fluidité implique être apte à vivre pleinement ici et maintenant, à être réellement présent à ce qui advient. Cela ne veut pas dire qu'il faille uniquement vivre dans le présent, ce qui impliquerait le risque de sombrer dans l'immédiatisme. Il faut être présent à la durée qui englobe les scansions du temps. De ce temps qui a été séparé de l'espace. En conséquence il faut être présent à la totalité où tous deux sont indissociables. La présence implique qu'on fasse corps avec l'apparence; qu'il y ait élimination de la séparation entre celle-ci et une réalité interne, conduisant à une plénitude de l’individualité non séparée de la durée.

 

La notion de temps a bien un fondement psychologique lié à un traumatisme lors de la petite enfance. Bergson dit quelque part que "Le temps est ce qui empêche que tout soit donné d’un coup." On n'a jamais reçu l’accueil total, l’amour intégral, mais on nous l'a octroyé par bribes, en miettes, et ce en fonction de la disponibilité des parents qui varie au cours du temps. Celui-ci permet de justifier une impuissance. Il n’est donc pas possible de s'affronter à la durée, mais à ce dernier qui n'est que par la fragmentation de celle-ci. La perception du temps révèle une souffrance interne qui ne parvient pas à s’affirmer parce qu’elle est de l’ordre de l’indicible, de l'ordre de ce qui a été perturbe sans être pleinement reconnu et sans qu'il y ait une raison à cela, si ce n'est la psychose parentale, incompréhensible à l'enfant. Elle relève de l’irrationnel, de l'irréel tout en étant réelle.

 

Comme on est dépendant des parents à cause du désir jamais satisfait d'être réellement accueilli, de même on est dépendant du temps au cours duquel quelque chose de positif pourrait enfin ad venir. Il n'est pas possible qu'on nous donne tout immédiatement; c'est pourquoi le temps est une invention des hommes incapables d’aimer.

 

Du fait qu-on est dépendant, on est fort sensible à l’environnement et particulièrement aux phénomènes météorologiques. Ce n’est pas un hasard si dans certaines langues le mot temps désigne à la fois le déroulement de la durée et le phénomène climatique. Cette dépendance exprime la perte de substance et celle de la confiance en soi de l’individu.

 

Pour revenir au cerveau disons qu-il ne peut pas fonctionner comme un tout parce qu'il est réduit à être l’organe d'un individu et non d'une invidualité-Gemeinwesen, alors qu’il est un organe communautaire.

 

Une discontinuité que nous voulons brièvement signaler bien qu'elle ait une importance considérable, c’est celle entre le système cognitif inconscient opérant au niveau cellulaire principalement: le système immunitaire, et le système cognitif support de l'accès à la conscience: le système nerveux. La représentation scientifique du premier pâtit de la vision concurrentielle: la défense de l’organisme contre des agents extérieurs. Les scientifiques projettent la menace qu'ils vivent inconsciemment en eux dans les processus vitaux et ils oublient que la fonction essentielle à laquelle tendent tous les organismes, c'est celle de la connaissance.

 

Enfin il y a une discontinuité entre l’être naturel, ayant conscience et inconscient, et l’être acquis par suite de la répression doté de l'inconscient découlant du refoulement et de la conscience répressive. Comme cette dernière est celle de la société-communauté, tout homme, toute femme, se sent plus ou moins en marge du monde en place (sentiment d’extranéité). La psychose lui permet d’être en continuité avec les autres. Et c'est ce qui fait peur à beaucoup: essayer d’enrayer le processus psychotique C’est inévitablement se séparer de tous. La remise en continuité avec l'être profond parce qu’enfoui sous la sédimentation de diverses émotions, refoulements, etc. opérés au cours du temps, implique une discontinuité avec nos semblables psychotiques.

 

La relation entre êtres humains, féminins, se caractérise par la perte d’immédiateté: personne ne trouve immédiatement sa place dans le corpus communautaire où il vit. D’où l’opérationnalité des complexes de supériorité et d'infériorité qui sont en relation dialectique avec le phénomène de la hiérarchie. Ceci se perçoit fort bien dans la pratique de l’initiation qui est la fondation d’un devenir hors nature.

 

Le phénomène d'objectalisation dont nous avons parlé opère également ici, parce que la liaison entre deux personnes qui s’aiment tend à devenir prépondérante, à s'autonomiser. La psychose fait que progressivement elles ne se perçoivent plus immédiatement en tant qu'êtres et, ce qui est alors visé, c'est la liaison en tant que telle, qu'il leur faut à tout prix préserver. La liaison devient l’objet non tangible sur lequel convergent leurs regards; elles ne se voient plus. La psychose de chacune des deux personnes fait qu'aucune des deux ne peut contacter l'autre, vivre avec elle, sinon sur le mode de la possession. La liaison devient le symbole de cette dernière. Sans psychose on pourrait vivre l'autre sans qu'il y ait liaison; ce qui implique que chaque individualité s’affirme comme une pousse s'épanouissant sans entraves, c’est-à-dire libre dans son sens originel.

 

L'impossibilité de vivre sans médiation conduit l'homme à retrouver des liaisons dans les procès naturels. Il ne peut pas accepter l'existence simultanée des différents composants du cosmos. Il faut qu'il concrétise en quelque sorte leur coexistence à l'aide de liaisons, entre molécules, entre atomes, entre électrons et nucléons, entre particules ainsi qu’entre corps célestes. Dans ce cas il faut éliminer le scandale que constitue l'attraction universelle, d’où la recherche passionnée de gravitons. L'incapacité de l’homme à vivre dans une plénitude le conduit à se représenter un univers imparfait. C'est la même démarche qui lui fait théoriser que la vie elle aussi est imparfaite; ce qui justifie sa passion à intervenir même quand cela n'est pas nécessaire.

 

Le plus grave dans la réalisation de ces disfonctionnements, de ces dévoiements, détournements de fonctions, c'est la réalisation au niveau du cerveau de la pensée simulatrice. La pensée qui depuis longtemps n’est plus rayonnante, mais linéaire, n'opère plus en continuité avec le devenir de la vie, avec celui communautaire et même avec celui de l'individu, mais opère de façon autonomisée pour créer une réalité qui soit rassurante, compensatrice. L'individu vit avec une foule d'hypostases en sa tête, de simulacres [46] et ce depuis des milliers d’années. C'est le point de dé part au devenir à la virtualité, lequel s’opère quand l’homme est dépossédé de son cerveau, de son imagination.

 

La pensée n'a pas à s’objectiver pour donner un fondement, une assurance. Ce processus conflue avec celui d’objectalisation dont nous avons parlé précédemment. Il suscite un phénomène inverse, celui de tout spiritualiser et à ne voir de solution que dans la spiritualité. Le danger de l'objectalisation et de la spiritualisation (surtout à travers l'occultisme) c'est d'aboutir à la virtualité. Vivre dans le virtuel, c'est escamoter totalement l'immédiat.

 

Ceci dit, une précision s'impose: la simulation n’opère pas que dans la pensée. L'enfant est conduit à simuler afin d'être adéquat au désir des parents. Enfin affirmons - le sans le démontrer - nous le ferons lors d’une étude ultérieure - il n'y a pas de différence entre simulation et imitation. La première implique une dissimulation, la seconde un oubli de soi. Mais, ici, il convient de relever qu'il s’agit de l’imitation en tant que phénomène perturbé par la psychose, parce que naturellement l'imitation est une forme d'empathie qui permet de vivre la modalité de vie de l'autre.

 

Un autre aspect de la pensée déterminé lui aussi par la séparation, et qui demandera une ample étude, C’est la pensée symbolique. Nous voulons en esquisser une approche. Pour cela commençons par considérer l'étymologie du mot symbole. Dans Le dictionnaire des symboles, Ed. Laffont, j"ai trouvé ceci, qui a en soi-même une haute portée symbolique. "À l’origine, le symbole est un objet coupé en deux fragments de céramique, de bois ou de métal. Deux personnes en gardent chacune une partie, deux hôtes, le créancier et le débiteur, deux pèlerins, deux êtres qui vont se séparer longtemps. En rapprochant les deux parties, ils reconnaîtront plus tard leur lien d'hospitalité, leurs dettes, leur amitié." p. XIII. Plus loin: "Le symbole sépare et met ensemble, il comporte les deux idées de séparation et de réunion; il évoque une communauté qui a été divisée et qui peut se reformer. Tout symbole comporte une part de signe brisé; le sens du symbole se découvre dans ce qui est à la fois brisure et lien de ses termes séparés."

 

Grâce à la pensée symbolique qui est en relation avec celle mythique, l’espèce fonde son hubris et le point d’arrivée est le monde virtuel où hommes et femmes peuvent vivre hors limites. Cette pensée lui a permis également de surmonter les pires situations et à accepter la séparation.

 

Pour Janov la pensée symbolique apparaît comme étant celle de l’être irréel déterminé par les troubles subis par l’enfant. Elle fait comme un pont entre celui-ci et l’être réel. En effet la répression exalte cette forme de pensée: le symbole permet de lier ce qui est permis d’exprimer, d'affirmer, à ce qui est caché, réprimé, défendu. Plus généralement il sera bon d’étudier le fait que l’inné n’a pas besoin de symbole pour s’exprimer étant donné qu'il relève de la sphère de l’immédiateté, tandis que l’acquis en a besoin. L’acquis relève du discretum, du séparable comme le symbole. Et ceci nous conduit à la conclusion suivante que nous expliciterons ultérieurement: l’homme s'est symbolisé, comme il s’est domestiqué.

 

Au cours du devenir de l’espèce humaine s’opère un dérapage dans la mise en continuité de l'acquis avec l’inné. En conséquence il a été nécessaire d'articuler, de coordonner les divers acquis entre eux et ceux-ci avec l’inné, d’où la nécessité de lois, de normes, de règles et, nous pourrons le montrer, de méthodes.

 

La pensée symbolique s’exprime abondamment à travers les tropes (figures du discours). Or, la psychose opère fondamentalement à travers ces dernières; voilà pourquoi avons nous tellement besoin des notions de référent, de référé et de référentiel, parce qu’il faut nous repérer dans cette "forêt de symboles" qu’est notre vie psychosée. Ceci dit, évidemment, à l’aide d’une métaphore! Dans quelle mesure tous ces éléments cognitifs opèrent naturellement, nous le verrons ultérieurement.

 

Cette pensée renforce le procès d’objectalisation. Ainsi J. Salomé préconise de recourir à ce qu-il appelle le langage symbolique en cas de séparation d’avec l'enfant, par exemple il conseille â la mère de donner son oreiller, avant de partir le soir pour aller assister à un spectacle! Le recours au symbole est un masquage de refus, l’aveu de l'incapacité à affronter la réalité. Dans tous les cas cela entérine la séparation. Toutefois on peut envisager de recourir au symbole en tant qu’opérateur analogique pour effectuer le passage du connu à l’inconnu. Mais il est tort possible que ceci ne soit opérationnel que dans la mesure où nous pensons encore dans la séparation.

 

La pensée symbolique apparaît comme la pensée de la délégation. Elle délègue à l’objet les capacités, les vertus de la personne afin qu elles opèrent sur une autre. Ce n’est pas un hasard si elle triomphe avec la démocratie où tout est délégation et finalement dépossession avec la réalisation plénière de l’individu [47].

 

Le déroulement de la vie quotidienne est une succession de dysfonctionnements: les repas, le sommeil imposés. En ce qui concerne les premiers, nous avons déjà abordé la question, pour le second cela fut à peine effleuré. Rien ne prouve que nous devions obligatoirement nous assujettir à la succession veille le jour, sommeil la nuit. Pour l’espèce apte à vivre en sécurité, à l'abri des dangers représentés par les carnivores et les reptiles, il est possible d’accéder au sommeil quand cela est nécessaire, donc à n importe quel moment de la journée. Or celui-ci avec ce qui lui est inclus, le rêve, est un moment de recharge de l'individualité qui se connecte spontanément au cosmos, avec les énergies qui le parcourent. En même temps elle se relie à tout le phylum dont elle est l’expression actualisée. Alors peut s’opérer l'intégration de ce qui a été vécu. C’est le moment où l’inconscient biologique dans ses dimensions somatique et psychique opère. On peut penser qu’une fois libéré de l'inconscient découlant du refoulement, et de la conscience répressive, la conscience naturelle pourra opérer même dans le sommeil. Durant toute la phase où il se déroule, la communication entre individualités peut se réaliser à l’état inconscient, donnant un support renouvelé, une substance réactivée à la dimension Gemeinwesen de l’individualité.

 

Le rêve est une fonction de continuité détournée de son libre fonctionnement par la répression exercée à travers les parents. Elle ne peut s'effectuer à cause de l’encombrement par l’inconscient psychotique, et le détournement consiste en la recherche de réunir ce qui a été fragmenté.

 

Le sommeil m’apparaît comme le moment où nous sommes un réceptacle, une accueillance, ce qui nous permet de perfectionner notre développement. Or, l'hormone de croissance est produite durant cette période. Étant sur le mode de l’accueil, il nous est possible également de transmettre, particulièrement durant la phase de sommeil paradoxal où les rêves s’effectuent.

 

Là où les disfonctionnements recèlent de très graves dangers ce sont ceux concernant la procréation avec son moment essentiel la sexualité. La place de celle-ci dans le phénomène vie est une question difficile que nous avons déjà abordée. Rappelons qu'au sein de celui-ci la sexualité apparaît très tard, plus de trois milliards d'années après son début. Au niveau de l’espèce il y a une séparation possible entre sexualité en vue de la procréation et sexualité en vue de la jouissance, de la connaissance, d’une union avec le cosmos. L’union sexuelle apparaît comme une symbiose entre l’homme et la femme, leur permettant de se connecter au cosmos. C’est ce que suggère l'enseignement du Tao et qu on retrouve dans le tantrisme. Mais cet enseignement signale aussi que pour que la sexualité puisse être vécue dans toutes ses dimensions, il faut que l’homme récupère une capacité importante: celle de contrôler son éjaculation, ce qui le rend apte à satisfaire le désir de la femme. Celle-ci n’apparaît insatiable qu'à cause de la déficience de l’homme. En outre lors de l’éjaculation, ce dernier perd de l’énergie; l'orgasme étant vécu comme une petite mort. D'où une base fondamentale pour le mythe de la femme castratrice. On peut dire qu’on a là la composante femme de ce mythe, l’autre est la composante mère: le petit garçon est bloqué dans son désir d'autonomie; il ne peut pas se développer; ultérieurement cela pourra transparaître en impuissance sexuelle, en sensation de castration. Ajoutons que dans la perception d'une petite mort interviennent d’autres données psychiques.

 

C'est à dessein que nous parlons de procréation plutôt que de reproduction. Ce dernier mot connote une idée d’identité qui est très compatible avec la psychose. En tant qu'individus psychosés nous voulons nous retrouver dans nos descendants, nous désirons qu’ils soient comme nous. Se reproduire c’est faire en sort que l’être advenant à la vie soit identique aux parents et ceci opère aussi bien lors de l’utérogestation qu’au cours de l'extérogestation et durant toute l’enfance. Or, la procréation est diversification puisqu'elle permet le déploiement de tous les possibles du phénomène vie. Ici encore notre incapacité à vivre une plénitude et dans la plénitude nous conduit à élaborer des représentations aberrantes. Celles-ci tendent à se concrétiser avec la réalisation du clonage: faire en sorte qu`à partir d`une cellule quelconque de l'organisme on puisse obtenir une copie conforme de celui-ci. Les clones produits pourraient servir comme sources de pièces détachées pour réparer l’organisme originel. Il peut y avoir également un clonage virtuel. "Il est donc possible techniquement, dés aujourd'hui, d’animer un "clone" virtuel d’une personne donnée, simplement en filmant son visage." (Ph. Quéau: Le virtuel, Vertus et Vertiges, Là. Champ Vallon, p. 69).

 

On peut se demander si le but caché, en réalisant des clones, n’est pas de diviser la souffrance qui habite hommes et femmes, car tout prend maintenant une dimension thérapeutique. L'espèce est malade et recourt à une infinité de thérapies afin de se guérir. Le remède est très souvent pire que le mal. Enfin, pour en terminer avec cette remarque sur la reproduction, l’emprisonnement dans le même est le reflet de celui dans la sédentarité.

 

Nous avons signalé un détournement important: la procréation en tant que thérapie: engendrer des enfants pour se guérir de la psychose. Cependant nous avons alors uniquement considéré le comportement de la femme. Or, il en est de même, dans une moins grande mesure pour l’homme. Il y a mise en jeu de la même dynamique: produire des enfants, parce que l’obtention de ceux-ci est signe de sa puissance, à partir du moment où le patriarcat devient dominant. C’est peut-être à ce moment-là que le contrôle de l’éjaculation fut perdu. Etant donné que la femme perdit également sa capacité à fermer le col de l’utérus, on comprend l'accroissement constant de la population humaine depuis des milliers d’années . Pour tenter d’enrayer un tel phénomène, hommes psychosés et femmes psychosées recourent à des méthodes contraceptives, pouvant inclure l’avortement, qui sont toutes éminemment destructrices.

 

En revanche en recherchant une jouissance plus ample et plus continue grâce au contrôle de l’éjaculation, il serait possible d’aboutir à une régulation de la population humaine et, au bout de quelques années, à une réduction de celle-ci. Or, C’est l'envahissement de la planète par la multitude humaine qui est cause de graves catastrophes pour la nature. Ainsi emprunter le cheminement libérateur, c’est simultanément régénérer la nature.

 

Pour surmonter tous les disfonctionnement et s’adapter au mode de vie déterminé par la société communauté, l’individu organise sa psychose et, en son sein, il tente de surmonter la séparation. Le désir de continuité est alors détourné et l’individu tend à réaliser cette donnée entre un corps réprimé et une conscience répressive. L'être résultant refoule le souvenir de celui originel. Si le procès va jusqu’à instaurer un oubli total, s’impose alors un devenir autre pleinement réalisé, l'aliénation [48] ou la somatisa ion complète génératrice de toutes sortes de maladies.

 

Le détournement dont il s’agit s’opère à travers des médiations car il est difficile d'abandonner la vie naturelle. En conséquence ce qui est réalisé n'est pas un être, mais un devoir-être. L’individu doit effectuer des actes (tu ne tueras point), doit entrer en rapport d’amour avec ses semblables (tu aimeras ton prochain comme toi-même), etc. La vie apparaît comme un devoir à accomplir. C’est pourquoi le procès de connaissance est nécessaire pour réaliser la tâche de la vie. Ainsi après avoir rapidement indiqué le rapport de ce procès aux traumatismes subis dans l’enfance, voyons succinctement son rôle au cours de la vie adulte

 

Pour sortir de l’impasse, du labyrinthe, du piège, autant de métaphores désignant la situation terrible où l'individu est plongé, c'est-à-dire sa psychose, il y a deux voies: celle de l’intériorité et celle de l’extériorité. En toutes deux le procès de connaissance joue un rôle important. La première est la voie de la spiritualité, particulièrement sous sa forme mystique. Dans ce cas - dit brièvement - la psychose est souvent extériorisée à travers des pratiques rituelles, ce qui permet de s’en distancier. Tout en la maintenant ainsi à distance, le mystique opère sa libération qui n’est jamais totalement advenue parce que la psychose, mise de côté, existe toujours et nécessité constamment une mise à distance. Le mystique, le spiritualiste opèrent par-dessus la psychose. Il y a un escamotage qui permet l’édification spirituelle ou mystique mais il n’y a pas de libération. Dans leur volonté de se libérer, donc d'échapper à tout dépendance, certains mystiques s’efforcent d’aller au-delà de la connaissance. Celle-ci non en tant que procès, mais en tant que résultat, vient encombrer, entraver le processus de libération. En outre connaître, c’est connaître quelque chose; il y a donc une possibilité de dépendre de cette dernière. Il est clair qu’il y à là réintroduction d’une coupure intériorité-extériorité.

 

Dans tous les cas, ce qu’il y a de terriblement limitatif dans les approches spiritualistes et mystiques, c’est qu'elles conservent les acquis du procès de connaissance qui a surgi sur la base de la séparation d'avec la nature. Ainsi il y a utilisation des concepts d’absolu, de vérité, de valeur, etc... concepts de l'errance.

 

La deuxième voie, celle de l'extériorité est totalement liée à l'intervention, au faire, à la production. Elle est principalement celle des hommes depuis le néolithique, C’est-à-dire depuis la phase de sédentarisation qui fonde le phénomène de fonciarisation. Ensuite cette voie est en connexion intime avec le mouvement de la valeur, puis celui du capital. Au cours du devenir, depuis cette époque, des critères fondamentaux permettant de déterminer la puissance de l’intervention de l'homme, se sont succédés. On a d’abord ceux de fécondité et fertilité repris de la représentation opérante quand la femme dominait, puis l’utilité avec le surgissement du mouvement de la valeur, rentabilité et productivité avec celui du capital et, enfin, créativité avec la mort potentielle du capital.

 

Ces deux voies ont en commun l’escamotage de la vie immédiate.

 

Dans les deux cas, l’individu vit grâce à des médiations, même quand il tend à les abolir. À l'heure actuelle un autre danger surgit: le devenir du capital a abouti à créer un immédiat mais dans la dépossession, dans la libération de tous les liens avec la nature, dans la négation totale de la dimension naturelle. Cette immédiateté s’impose à travers une combinatoire de tous les possibles et ce sans aucune médiation. En conséquence revendiquer une immédiateté présente le risque de se laisser absorber par ce qui s’impose lors de la mort potentielle du capital. Pour éviter cela il convient de rompre avec la société-communauté en phase de dissolution, et avec tout ce qui l’a engendrée.

 

Certaines représentations peuvent être considérées comme relevant de l’une et l’autre voie, l'alchimie par exemple que, à l’égal de l'astrologie, nous considérons comme étant en grande partie une psychologie projective. C’est-à-dire que dans les deux cas, il y a projection de la psyché sur un support qui permet l’analyse. Dans le cas de l’alchimie, le phénomène de la psychose se révèle nettement. L’alchimiste extériorise son être enfant sous forme d’un embryon au sein de la terre. Il faut le faire grandir afin qu’il advienne à sa pleine réalisation, à l’individualité (phénomène sur lequel insista Jung). Pour cela il faut des purifications successives. Celles-ci peuvent s'interpréter analogiquement comme des libérations de phénomènes psychotiques (ceci évidemment dans l'intentionnalité de celui qui opère, mais non dans la réalité). Telle est la grande œuvre. En effet ce n'est pas la production de l'or qui est essentielle, mais celle de l'individualité par affranchissement vis-à-vis de toutes les dépendances. La production effective d’or n’a d’intérêt que parce qu’elle est la preuve que l’œuvre intérieure s’est accomplie [49].

 

L'idée de base est de se substituer à la nature, à la mère, afin de réaliser ce qu’elle ne veut pas, ne peut pas accomplir, ou accélérer une réalisation qui s’effectue trop lentement.

 

Ici s'exprime toute l’impatience de l’enfant voulant devenir adulte afin d’échapper à sa situation de dépendance, aux souffrances qui lui sont infligées par suite de la négation de son être naturel. Le désir d’intervenir qui opère au niveau de l’individu comme à celui de l’espèce, manifeste bien l'ampleur de cette impatience [50]. Celle-ci découle aussi du fait que les parents différent très souvent la satisfaction du désir du petit enfant. Et là nous avons une interférence avec le problème du temps. Les parents voudraient qu’il sache attendre (ne sois pas impatient!). Or il n’a pas la notion du temps. Ce n’est que par le vécu où lui-même sera amené à différer un acte, une réponse, qu’il pourra passer de la durée au temps. Savoir différer c’est être capable d'intégrer la séparation. Pour l’enfant le fait de différer la réponse à son désir induit en lui un vide. Cette sensation de vacuité à d’ autres origines que je ne puis aborder ici.

 

La capacité à différer un acte est une acquisition qui a nécessité une longue préparation paléontologique, comme nous l'avons indiquée dans Émergence de Homo Gemeinwesen.

 

Ces quelques remarques sur l’alchimie nous permettent de mettre en évidence qu’il y a une multitudes de supports pour les transferts et les projections. L’homme psychosé, la femme psychosée fixent sur ces supports le ressenti des diverses personnes qui les obsèdent (principalement le père et la mère) afin de toujours reconstituer les scènes fondamentales de la vie qui les ont bouleversés. Cela les sécurise parce qu'ils retrouvent les personnages déterminants dont ils dépendent, mais cela peut aussi leur permettre de voir enfin ce qui s’est produit, d’en ressentir la charge émotionnelle, pour s-en libérer.

 

On peut faire apparaître un immédiat qui ne soit pas celui du capital, en empruntant des conduites qui rompent avec celles actuellement agissantes.

 

Tout doit partir de l’individualité et non du complexe de relations réifiées exprimées dans les formes elles-mêmes réifiées du langage qui nous opprime. Ce qui doit se manifester, c’est le désir, la tendance [51] à s'affirmer parce que chacun d’entre nous est une manifestation de la vie. On ne doit pas se nier en se posant en rapport aux autres; on ne doit pas se masquer. Ainsi toute individualité dira: "je désire que tu m'aides" et non pas : "peux-tu m’aider? " Cette interrogation met un doute sur l’autre qui, en réalité, peut très bien faire, mais en a-t-il le désir? Il y a une sorte de contrainte dans l’interrogation qui n’existe pas dans l’affirmation. De même, mieux vaut: "je désire obtenir de toi telle ou telle chose", que: "puis-je obtenir de toi... ". Avec cette formulation de la demande, je me mets sous la dépendance de l’autre et je doute de ma capacité. À partir de ces deux exemples nous pouvons faire remarquer que la répression, la domestication s’expriment fort bien dans le langage du fait de la régression de l’affirmation ce qui traduit la dépendance. Ce sont l’interrogation qui indique l’assujettissement, et la négation qui signale l’inhibition, qui envahissent le champ de l'affirmation, de même que le passé et le futur colonisent le présent. Donnons un exemple en ce qui concerne la négation. Si on dit à un enfant: "je ne désire pas que ". au lieu de: "cela me gène que tu" on passe de l’inhibition de l’autre à l’affirmation d’un ressenti. Dans le second cas l’enfant conserve toute sa puissance pour affronter la situation à condition, toutefois, que l'adulte n’opère pas dans une dynamique de culpabilisation.

 

Dans une langue n'exprimant plus la répression, l’affirmation, en tant que présentification au monde d’une individualité qui est un possible parmi tous les possibles également présents et acceptés, serait beaucoup plus importante, tandis que la négation et l'interrogation seraient accessoires. La première introduit un doute lorsqu-elle porte sur nous, le refus d'une menace lorsqu’elle porte sur autrui. Ceci fait ressortir que de ce fait l'affirmation doit être spontanée et ne doit pas être une manifestation qui implique une médiation quand, par exemple, elle vise à nier l'autre. La négation exprime également l’impossibilité où se trouve l'espèce de fonder une positivité à partir d’une réalité qui n'est plus considérée comme satisfaisante. Ainsi des géométries non-euclidiennes. Elles se posent par une négation parce que l'espèce ne parvient pas à une représentation satisfaisante de ce qu'elle nomme l’espace, dont elle avait, auparavant, une certitude.

 

En ce qui concerne l’interrogation, ajoutons qu’interroger c'est remettre en question; c'est mettre à la question. Cela opère en général ainsi: celui qui interroge cache sa visée et veut que l’autre, par ses réponses, se dévoile. Ceci est réel tant sur le plan policier que sur celui de la philosophie comme le prouvent les dialogues socratiques dans les œuvres de Platon. Le questionnement vise à mettre en défaut ou à révéler une insuffisance.

 

Dans d’autres cas l’interrogation est liée â la tentative de lever un doute. L’individu interrogeant est suspendu à la réponse. Ceci est surtout vrai au niveau de l’enfant. À ce propos on peut penser que l’interrogation naît en lui avec la perte de certitude, laquelle se manifeste pour lui comme une adhérence au phénomène vie. En effet la non réalisation de la symbiose lors de l'extérogestation, le conduit à chercher une stabilité et à se demander où et comment la trouver. Son désarroi l'induit à amplifier le désir de cette dernière. Or, dans la réalité, rien n'est stable, tout est mouvant. D’où les multiples interrogations qui surgissent de la confrontation entre le désir et le réel. Toutefois il faut bien noter ici que ce désir est déjà logé dans le surgissement de la psychose.

 

L'interrogation évoque la police, la justice et leurs interrogatoires. En revanche au sein même d’un monde malade l’affirmation peut évoquer un message de délivrance comme cela apparaît dans les manifestes, les déclarations ou la proclamation de la bonne parole avec les évangiles. Mais on peut penser que, délestée de la psychose, l'interrogation puisse être le point d’élancement d’une immense ouverture.

 

Ce qui fait la puissance maléfique de l'interrogation c’est qu’elle est effectuée en même temps qu’est opérée une rétention d'information. Celle-ci est très fréquente dans le discours parental, ce qui provoque une dépendance des enfants, leur crée une incertitude, leur suggère un aspect magique qui est dévoilé quand enfin l’information est révélée. C’est une forme de despotisme cruel, d’autant plus que le plus souvent il n'est pas conscient.

 

Cette rétention opère même en dehors de toute interrogation. Elle est très pernicieuse parce que celui ou celle qui l’effectue, peut, au moment où elle, où il livre, l’information réclamée par l’interlocuteur ou l’interlocutrice, très bien dire que c'est l'autre qui ne l’a pas enregistrée parce qu'il n’était pas à l'écoute, mais qu’il ou elle veut bien la fournir à nouveau. Or, quand l’information ne se trouve pas dans son contexte, dans le jaillissement immédiat de la pensée qui la porte, elle perd toute sa puissance et celui ou celle qui la reçoit ne peut plus l’utiliser avec efficacité:  il y a frustration, incapacitation, mise en dépendance. Ici encore la brisure d’un flux est responsable de perturbations importantes. Ajoutons que pour nous il n’est pas question de communication qui est une réduction de la relation interindividuelle [52].

 

L’affirmation au service de la personne qui a le pouvoir, peut masquer en fait une interrogation ou une injonction. Elle est émise dans un contexte bien précis, de façon neutre, sans aucun rapport à une affectivité donnée. Elle véhicule un non dit, lieu où se loge la répression prête à se déployer. Ainsi, souvent, quand un parent déclare: la vaisselle est sale, cette affirmation constatatrice cache l’injonction: il faut que tu la laves. Ce n’est qu’un exemple, mineur! !

 

Tout ce qui précède ne peut évidemment constituer qu’une approche sur laquelle nous reviendrons.

 

Le refus de l’objectalisation est un moment important dans la dynamique de récupération de l’immédiat, parce que c’est supprimer les médiations réifiées. Cela implique de retrouver la confiance en soi et dans les autres, de ne plus avoir besoin de substituts, etc.

 

Enfin insistons sur la nécessité d’avoir cette grande ouverture dont nous avons parlé à propos du cheminement libérateur. Cela signifie que l’accès à l’immédiat n’est pas un acquis à la fin d'un devenir donné, mais qu-il s’obtient au sein d'un processus qui opère comme une métamorphose. Au cours de celui-ci, on est amené à rejeter divers sentiments liés à la psychose: la honte, la culpabilité té, la pudeur, etc., comme A. Janov l’a bien montré. Cela signifie élimination de la conscience répressive, donc des idéologies [53].

 

Nous avons à maintes reprises insisté sur le fait que le devenir de l’espèce avec sa psychose prenait racine dans la séparation d’avec la nature. Nous devons maintenant apporter des précisions sur ce phénomène. Avec le surgissement du rôle de la mère, la nature, posée elle aussi en tant que mère, a été envisagée de façon ambivalente: la marâtre, destructrice aveugle, ou bien la nourricière. Lorsque c’est le premier aspect qui l'emporte, prévaut alors la dynamique de vouloir la dominer puis, de nos jours, de l’éliminer. Du point de vue de l’espèce cela implique qu'elle doit s’en affranchir parce que l’homme est un être libre, sans dépendance. Il en résulte qu il doit dépasser l’instinct, le dominer, l’éliminer. Tout ceci est affirmé dans diverses œuvres philosophiques et dans le discours du commun des mortels: l’homme n’est ce qui n’est pas animal, n’est pas nature; il est même anti-nature.

 

La projection du personnage, du rôle de la mère sur la nature recèle une autre face: l’idéalisation. Nous la trouvons dans la théorie sur les harmonies de la nature, sur l’existence d’un équilibre constant qui préserve de toute catastrophe, sur la négation d’un heurt entre espèces. La nature c'est la bonne mère par excellence, celle prés de qui on se réfugie pour se faire consoler.

 

Nous avons donc la circularité: la séparation d'avec la nature pose la mère, celle-ci fonde le rapport à celle-là. Il faut éliminer la mère en tant que rôle particulier de la femme pour accéder à une union réelle à la nature en nous et hors de nous. Ce disant, il n’est pas question d’entériner une séparation entre extérieur et intérieur. Nous partons de ce qui est pour accéder à la non séparation. Nous avons montré dans Émergence de Homo Gemeinwesen qu’il y avait bien des phénomènes de condensation avec particularisation qui fondent les êtres vivants, et qu'il y a un métabolisme important qui s’opère entre l’intérieur et l’extérieur. Il y a un flux, mais pas de séparation. Celle-ci n’existe qu’à l’état de possible qui se réalise avec l’espèce humaine.

 

L’homme, la femme se séparant de la nature deviennent des intérieurs opposés à un extérieur. Tout leur problème fut pendant longtemps de ne pas parachever la séparation de peur de ne plus pouvoir vivre. Cela les conduisit à faire des compromis et à vivre dans une zone intermédiaire entre eux et la nature, dans l’extériorité. De même, ils ont souvent pensé qu'ils vivaient dans un temps intermédiaire entre le moment initial où ils vivaient en communauté et en harmonie avec tous les êtres vivants et celui final, à venir, où ils pourraient retrouver ce comportement et ce paradis. Maintenant, il ne peut plus y avoir d'extériorité puisqu'il n’y a plus de nature et que le devenir du capital a engendré un immédiat où ils peuvent être immergés, particulièrement avec la virtualité.

 

Pour sortir de la situation actuelle il est nécessaire de rejeter le rôle de la mère et, en même temps, effectuer une régénération de la nature, en ne perdant pas de vue qu'en se débarrassant de ce rôle, on opère déjà dans la dynamique de cette régénération, puisque cela permet de s'unir à la dimension nature en nous qui, dés lors, peut s'épanouir. Toutefois ne pas régénérer le reste de celle-ci risquerait de rendre inefficace ce qui précède. D'autant plus que ce n’est qu’à travers leur réconciliation avec tous les êtres vivants qu’hommes et femmes peuvent réaliser quelle est leur fonction dans la totalité de la biosphère. En outre cette dynamique doit se développer en absence de tout sentiment de culpabilité. L’errance de l’espèce humaine est aussi celle de la nature en sa totalité [54] .

 

C’est cette errance qui a induit la répression parentale. Et là, il faut y insister, il ne s’agit pas de culpabiliser les parents, de les insulter, ni de se révolter contre eux, mais de voir l’implacabilité de la dynamique répressive, génératrice de la psychose, dont ils ont été eux-mêmes victimes, afin de s'en libérer. Les parents ne sont pas responsables d’un phénomène qui les dépasse; ils sont le support de la répression. C’est ce qu’on peut leur reprocher de ne pas percevoir. La seule possibilité pour qu’ ils y parviennent est de se libérer soi-même; mais elle n’a guère de chances de s'effectuer. Le cheminement libérateur est en dehors de toute la dynamique de la lutte entre les générations qui n'a fait qu’enfermer l’humanité dans sa psychose, et entretenir cette dernière. Le phénomène de libération est de l’ordre de l'affirmation et non de la négation ou de l'interrogation.

 

Insistons bien qu'il s`agit d’éliminer des rôles liés à la possession. En effet, éliminer la mère aboutirait à établir un monde sans femmes, comme les hommes l'ont rêvé pendant longtemps et y sont partiellement parvenus [55]. Nous avons écrit: "des rôles" parce que celui de père doit également disparaître, ne serait-ce que parce qu-il est le complémentaire de celui de la mère.

 

Les hommes comme les femmes sont de plus en plus exclus de la dynamique du capital puisqu'il y a évanescence du travail salarié et que le prolétariat est remplacé par l’information, autant d'éléments témoignant de sa mort potentielle. Ils ne peuvent plus se confier à un mouvement externe, réduit à une forme qui elle-même s'épuise dans la virtualité. S’ils veulent poursuivre leur procès de vie, ils seront obligés de retrouver celui en eux, dans leur intériorité. Dit autrement l’intériorisation du mouvement du capital qui s’est réalisée lors de la phase finale du développement de celui-ci, n’a pas apporté de solution, comme le fut celle du lancement dans le faire, dans la production, à l’aube de son développement. C’est donc à partir d’eux-mêmes, particulièrement à partir de leur corps, en réconciliation avec les êtres vivants, qu’ils doivent entreprendre une autre dynamique de vie: un cheminement libérateur.

 

Homo sapiens dépossédé de son procès de connaissance, de l'imagination, risquant d’être piégé dans la virtualité, ne peut plus se sécuriser, se situer. La psychose, présente en chacun de nous et au cœur de l’espèce, ne peut plus être alimentée. De là le possible de se libérer, au sens de se dépouiller de ce mal qui nous ronge, et de parvenir à la réalisation en chacun d’entre nous de l'individualité-Gemeinwesen.

 

Une sorte de contrainte opère sur les hommes et les femmes afin qu’ils se libèrent[56]. Une des composantes de celle-ci découle de la séparation de plus en plus grande entre parents et enfants. Elle réactive 1e phénomène fondamental, initial ce la brisure de la continuité de la vie. Séparation et brisure engendrent une distanciation qui oblige à voir [57].

 

On n’a pas à rechercher quelque chose de perdu; donc on n'a pas à opérer un retour à un stade qui aurait prévalu à un moment donné du passé. Le phénomène révolutionnaire est bien fini. Ce qu’on doit réaliser n’a jamais été vécu. Nous sommes placés au cœur d’un devenir qu’on doit assumer jusqu’au bout, qu’on est en train d'atteindre. Rien ne s'est fait en vain.

 

En dépit de son apparente agitation effrénée, l’espèce est immobilisée à un stade de son devenir, stade qui devient de plus en plus larvaire, en son sens figuré et péjoratif. Il lui faut retrouver ses possibles afin de s’évader d’une immense hypnose qui la fixait sur un but aberrant et un étrange dévoiement. L’homme et la femme pourront alors, enfin, se trouver [58] .

 

 

 

Jacques Camatte

février 1977

 

 

 

 

 



[1] Cet article a un caractère d’anticipation; anticipation par rapport à une étude plus approfondie. Les thèmes qui le constituent sont abordés et non traités de façon exhaustive. Certains le seront dans le cadre de l’étude Émergence de Homo Gemeinwesen, d'autres nécessiteront une investigation particulière. Nous faisons donc une approche.

Les thèmes que nous allons traiter en nous plaçant surtout à partir du pôle de l’individualité, le furent antérieurement à partir de l’espèce. Dans les deux cas, la dimension de la Gemeinwesen est présente. Indiquons: la mystification, le but est déjà au coeur du mouvement (ceci en liaison avec Bordiga), le refus d’être la proie du passé (ceci en rapport avec Marx), l'errance de l’humanité, le rejet de la domestication et de la conscience répressive, de l’attente, ce monde qu’il faut quitter, c’est ici qu’est la peur c’est ici qu’il faut sauter, la séparation nécessaire et l’immense refus. En outre tous les articles concernant le mouvement de Mai-Juin 1968 contiennent une approche de ce que nous abordons ici de façon plus incisive.

 

[2] Toutefois l’exaltation de l'Unique effectuée par Stirner doit se percevoir comme une sorte de saisissement de ce qu’est l’individualité. Nous y reviendrons, en particulier en ce qui concerne l’égoïsme dont il est beaucoup question dans son livre L'Unique et sa propriété. Égoïsme vient de ego qui est en fait l’être édifié en réponse à la répression exercée à l’aide de l'éducation et de l’instruction que nous subissons. L’ego relève de la possession. On a un ego; on l'acquiert, tandis que l’individualité relève de la dimension purement naturelle, innée; c'est la pousse qui se déploie.

Liée à l'égoïsme il y a la notion de propriété. Ce mot est employé par Stirner en ne séparant pas rigoureusement ses deux sens. En effet il indique d'une part une caractéristique, un élément de l’idiosyncrasie d’une personne, d’autre part ce qui est possédé; dans ce cas, cela fait référence à des éléments placés dans l’extériorité de cette dernière. En outre Stirner n’aborde pas le problème de la transformation de la propriété on propriété privée.

Ma préoccupation au sujet de l'individualité est tort ancienne: « À mon avis, l’homme n’arrivant pas à l’individualité ne parvient pas à penser le multiple de ses semblables, et ceux-ci comme autant de manifestations de lui-même en tant que Gemeinwesen […] Dés lors le bien et le mal sont inclus en lui. » Lettre à Saïa du 2l. 10.73.

 

[3] Bouddha a perçu en profondeur ce phénomène. Or celui-ci est en rapport avec la séparation. Tout ce qui édifie, l'homme le faisant accéder à une sortie de la nature, le rend dépendant. Toutes sortes de questions sont induites par cette séparation qui se pose effectivement avec la sédentarisation et le surgissement de l’individu. L’enseignement du bouddha est fondé sur leur rejet.

Ajoutons que la séparation fonde la dépendance et la liberté et que le mouvement de la valeur s’est imposé parce qu’il put apparaître comme un dépassement de la sédentarité. Ce n’est pas pour rien que Bouddha propose une voie du milieu, celle de la mesure, de la valeur.

Enfin dans le refus de la sédentarité se cache un refus de la mère (rébellion contre) sur lequel nous reviendrons. N’oublions pas non plus que la dépendance est originellement dépendance vis-à-vis de la mère Échapper au samsara manifeste la volonté de ne plus dépendre, de ne plus être réabsorbé; c’est échapper enfin à sa mère.

 

[4] Ce concept de psychose même modifié comme cela est effectué dans le cours de cet article (n. 10) est en fait inadéquat, je l’ai remplacé par ontose et spéciose. Cf. : Surgissement et devenir de l’ontose.

 

[5] En fait la première théorie est déjà la psychanalyse. J’ai abordé de façon plus approfondie l’œuvre de S. Freud : cf. Œuvre de S. Freud

 

[6] À ce propos les freudo-marxistes nous sont toujours apparus comme absurdes . Certes ils manifestent la perception d'une déficience chez Marx, le manque d'une approche ‘psychologique’ exhaustive: l’étude de l’interaction entre le psychisme des hommes et des femmes et le mouvement externe de la production. C’est dans la tentative de combler ce manque à partir d’une théorie justifiant l’ordre établi que l’absurdité se révélait à nous.

La théorie de Freud entre dans la représentation de l’éternisation voulue par le mouvement du capital. Elle lève une culpabilité, qui était un frein à son développement: jouir est légitime. Cependant c’est une jouissance au sein de la sociétè-communauté capitaliste. En son sein, jouir c’est consommer, c’est, exalter l’avoir, l’objet. Mais c’est aussi être consommé, consumé. Désir de consommer (principe de plaisir) et possibilité de satisfaire celui-ci (principe de réalité) ne sont plus en contradiction. L’adéquation est immédiate puisque les deux moments sont engendrés par la réalité elle-même.

 

[7] C’est pour ton bien. Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant, Ed. Aubier. A. Miller a écrit de nombreux livres dont L`enfant sous terreur, L'ignorance de l’adulte et son prix, La souffrance muette de l’enfant, L'expression du refoulement dans l’art et la politique, La connaissance interdit’. De ce dernier livre citons ceci: « Il faut bien se rendre compte aussi qu’il ne s’agit pas uniquement d’un problème isolé de quelques familles marginales et de perversions individuelles. Il faut secouer la société pour qu’elle s’éveille de son sommeil et prenne conscience qu’elle a dit oui jusqu’à présent, aux plus grands crimes de l’humanité. Il s’agit, avant toute chose d’éveiller la mauvaise conscience qui est parfois totalement absente même dans les cas de mutilation de petits enfants. (p. 164)

Il est impossible de secouer la société. Vouloir le faire c’est rester dans la fausse dynamique d'apporter la conscience de l’extérieur. C’est manquer de confiance dans le procès de libération qui est en acte, comme nous essayerons de le mettre en évidence ultérieurement. L`important c'est la potentialisation conscientielle de tous ceux qui rompent avec cette dynamique. A. Miller signale elle-même ses propres difficultés.

 « Mais mon évolution ultérieure m’a montré sans contredit possible, que la psychanalyse est un labyrinthe dont on a du mal à trouver l’issue. » (p.219)

La psychanalyse n'est qu’une extériorisation de la psychose qui elle aussi est un labyrinthe.

L’importance des sévices subis par les enfants apparaît toujours plus à l’heure actuelle. Dans le n° du Point de septembre 1996 on trouve un article à ce sujet La France passe aux aveux. L’auteur, M. T. Guichard rapporte les propos de la directrice de la fondation pour l’enfance: « L’opinion publique, qui était déjà de mieux en mieux informée sur l’inceste et la pédophilie, réalise que, si on ne sévit pas maintenant, il y aura des débordements intolérables. La découverte de réseaux d’exploitation commerciale des enfants jusque chez nous, a provoqué un vrai choc. »

Elle ajoute: «Ce tournant là rappelle un autre mouvement d’opinion, celui qui fit passer les femmes violées du statut d’allumeuses, voir de "salopes", à celui de victimes à part entière (...) De la même manière, les "petits menteurs d'hier, que l’on soupçonnait d'inventer des histoires de touche-pipi’, sont de plus en plus pris au sérieux et reçus dans les brigades des mineurs par des fonctionnaires spécialisés. Enfin un certain discours intello-esthétisant sur la pédophilie est violemment rejeté aujourd’hui.’

Enfin citons ce témoignage du doyen des juges d’instruction de Créteil’ "La justice a été pendant très longtemps le rempart des vertus familiales. Il était hors de question de donner une mauvaise image du père de famille et de l'époux."

Dans le texte de Sandor Ferenczi, Confusion de langue entre les adultes et l’enfant dont le titre original est plus expressif en ce qui nous concerne: Les passions des adultes et leur influence sur le développement du caractère et de la sexualité de l’enfant, nous trouvons ceci : « L’objection, à savoir qu'il s'agissait des fantasmes de l’enfant lui-même, c’est-à-dire de mensonges hystériques, perd malheureusement de sa force, par suite du nombre considérable de patients, en analyse, qui avouent eux-mêmes des voies de faits sur des enfants. »

Et cet autre passage qui suggère nettement qu’il n’y a pas de sexualité enfantine. « Les séductions incestueuses se produisent habituellement ainsi un enfant et un adulte s’aiment; l’enfant a des fantasmes ludiques, comme de jouer un rôle maternel à l’égard de l’adulte. Ce jeu peut prendre une forme érotique, mais il reste toujours au niveau de la tendresse. Il n’est est pas de même chez les adultes, ayant des prédispositions psychopathologiques, surtout si leur équilibre et leur contrôle de soi ont été perturbés par quelque malheur, par l’usage de stupéfiants ou de substances toxiques. Ils confondent les jeux des enfants avec les désirs d’ une personne ayant atteint la maturité sexuelle, et se laissent entraîner à des actes sexuels sans penser aux conséquences. »

Et maintenant trois remarques sur les raisons du comportement de l’enfant.

« [...] la personnalité encore faiblement développée réagit au brusque déplaisir, non par la défense, mais par l’identification anxieuse et l’introjection de celui qui la menace ou l'agresse.’

« La peur devant les adultes déchaînés, fous en quelque sorte, transforme pour ainsi dire l'enfant en psychiatre; pour se protéger du danger que représentent les adultes sans contrôle, il doit d’abord savoir s’identifier complètement à eux. C'est incroyable, ce que nous pouvons vraiment apprendre de nos "enfants savants", les névrosés.’

« À côté de l’amour passionné et des punitions passionnelles, il existe un troisième moyen de s’attacher un enfant, c’est le terrorisme de la souffrance.’

Enfin la conclusion qui remet bien au cause la sexualité infantile. « Si cela venait à se confirmer, nous serions obligés, je crois, de réviser certains chapitres de la théorie sexuelle et génitale. Les perversions, par exemple, ne sont peut-être infantiles que pour autant qu'elles demeurent au niveau de la tendresse; lorsqu’elles se chargent de passion et de culpabilité conscientes, elles témoignent peut-être d’une stimulation exogène. »

L’enfant étant non encore pleinement habité par la psychose est plus proche de la manifestation naturelle que l’adulte, il est donc son maître (il est apte à enseigner) . Tout ce qu’il veut s’est manifester son amour et que celui-ci soit accueilli, donc qu’ il soit aimé. Cette dynamique lui fait tout accepter.

En ce qui concerne le second ébranlement de ce siècle, nous avons signalé qu’en son sein s'était manifesté le refus de la dépossession, de la parole, de l’imagination et que le carcan de la vie immédiate avait été dénoncé au travers de la critique de la vie quotidienne. On peut dire que l’essentialité de l’intériorité fut alors posée, de même que celle des désirs de l’individualité, mais malheureusement la répression parentale ne fut pas mise en évidence. Ultérieurement la question a été abordée par Christiane Rochefort dans Les enfants d'abord, Ed. Grasset dont nous reproduisons quelques affirmations importantes.

« Tous les enfants de nos sociétés sont mutilés. Seule la forme varie. » (p. 4l)

‘Les enfants sont en permanence sous le regard des adultes. (p. 43)

« Les enfants sont définis par les adultes. » (p. 47)

Elle insiste beaucoup, avec raison, sur ce qu'elle appelle "la mise en dépendance" (p. 80)

"Quels parents parlent à leurs enfants sur le même ton qu’aux autres personnes?" (pp. 88-39)

« Quand on est petit on ne se sent pas petit, on se sent soi. Une moindre taille, n’a pas par soi signification d'impuissance: elle prend ce sens quand elle est utilisée pour établir un pouvoir. C’est là qu’on se sent petit. » (p. 92)

C’est une remarque très profonde. Cela implique que tout être humain a conscience de soi sans avoir besoin de se comparer aux autres pour se définir se saisir. C’est le regard non accueillant, non rempli d’amour qui remet en cause et pousse l’enfant à chercher des repères pour se saisir, se poser, et c'est là qu’il sombre dans la dynamique de la comparaison, de la concurrence, du pouvoir. N’étant pas reconnu immédiatement, il doit passer par de multiples détours où il perd de plus en plus son pouvoir d’affirmation de son immédiateté, et tombe sous le pouvoir autonomisé des adultes.

C. Rochefort signale la guerre psychologique des adultes contre les enfants (p. 54). À ce propos elle déclare: « L'amour est l’arme absolue de la guerre psychologique. » (p. l00) Nous reviendrons sur ce thème.

« On ne mesure pas à quel point les enfants ont peur - eux-rnêmes ne le mesurent pas ayant appris à nommer leur peur "culpabilité". (p. 100)

« Vouloir être aimé et détenir le pouvoir de l'obtenir - qui va résister à une tentation pareille? Les parents vont donc appliquer la consigne avec enthousiasme. 

Et on assiste à des renversements de sens, du type: Tu me dois tout = tu m’aimes, Tu ne peux rien sans moi = tu m’aimes, Tu veux être aimé = tu m’aimes ». (p.l66)

Là est exposé un nœud essentiel de la mise en place de la psychose chez l’entant:l’utilisation du pouvoir par les parents pour être aimé. Celui-ci s’exprime par le chantage, la séduction, par la violence, etc..

Croyez-vous qu’on ne le sent pas? On ne se sent pas aimé on se sent une chose. Objet. Non tu ne m’aimes pas chère maman, tu peux le crier sur les toits, ce que tu cries c’est encore: au secours

Tu t'es investie en moi toute entière, vidée en moi.

Retourne-toi, et regarde qui t’a vidée de toi-même.C’est le même qui veut me tuer.

Quand cesserez-vous mères de nous utiliser pour compenser votre mutilation, au lieu de regarder en face ce qui vous mutile? Quand cesserez-vous de nous voir comme des prolongements, ou des chaïnes, pour nous voir comme des êtres? Qui ont leur vie et qui s’appartiennent?

En nous possédant vous vous faites avoir, et du même mouvement vous nous livrez. » (p. 182)

Octave Mirbeau a écrit un livre fort sympathique en faveur des enfants: Combats pour l’enfant. Ed. Ivan Davy.

En faveur des enfants et contre l’institution scolaire nous pouvons citer, en dehors de C. Baker, I.Illitch, G. Papini: Fermons les écoles’ 1919, Henri Roorda: Le pédagogue n’aime pas les enfants, sympathique dans ce qu’il dénonce (très insuffisamment) mais très réformiste.

 

[8]. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’une transformation d'un inné en acquis, mais de la création de quelque chose qui n’existait pas auparavant .

 

[9]. Nous n'utilisons pas le terme de psychose dans le sens classique qu’il a en psychiatrie. Nous voulons désigner grâce à lui la profonde perturbation de la psyché, ensemble des affects qu’on peut regrouper sous le nom de vie intérieure, d’âme de l’être humain., féminin. L’occurrence de cette perturbation s’effectue selon des modalités qui sont ultérieurement exposées. Nous avons préféré ce mot à celui de névrose parce que celui-ci renvoie à l’idée de système nerveux et à une conception qui serait organiciste. Il est certain que le système nerveux peut être atteint, mais c’est une conséquence de la psychose et non l’inverse. En outre dans la névrose, le su,jet garde une certaine conscience de son état. Ce n’est pas le cas dans ce que nous nommons psychose. Enfin on ne peut pas la réduire à « une maladie familiale dont le psychotique est le symptôme et le porte-parole. Elle serait même une "fonction" nécessaire à l’équilibration précaire du groupe. » (Encyclopædia Universalis, article psychose).

 

[10].  Psychose et inconscient lié à la répression sont en discontinuité avec le devenir réel des êtres humains. Dés que ceux-ci opèrent un cheminement de libération, c'est-à-dire de prise de conscience des traumatismes infligés et des émotions qui leur sont liées, cette discontinuité permet de s’en séparer.

Les hygiénistes déclarent qu’il n’y a qu’une cause à la maladie: la toxémie, et ils la considèrent comme un processus de sauvegarde de l’individu. En réalité toutes les maladies sont des somatisations de troubles psychologiques, de la psychose. Une bonne alimentation ne peut pas les éradiquer.

 

[11]. La publicité exalte le sur les deux tableaux : corps et la conscience. Elle joue sur les deux tableaux.

 

[12]. Nous ne faisons qu’effleurer la question du devenir des femmes Nous avons prévu de consacrer un chapitre de Émergence de Homo Gemeinwesen à ce sujet. Nous avons dû recourir à l’idée de traiter cela de façon séparée parce que nous ne possédons pas encore, et ce encore moins au moment où nous commençâmes (1983) à rédiger cette étude, assez de données pour le faire de façon à l’intégrer puissamment dans le devenir de l’espèce. Celui-ci a été jusqu’à présent exposé uniquement du point de vue du pôle masculin. Il est difficile de s’en dégager.

 

[13]. Nous parlons souvent de cette séparation qui est difficile de situer dans le temps et de se la représenter pour le moment encore de façon claire. Nous voulons signifier ici - en vue d'une approche ultérieure plus exhaustive - que je ne veux en aucun cas considérer la nature comme le bien absolu, surtout en parlant de la mère nature. L'espèce humaine a rencontré des difficultés importantes dans ses relations avec les autres espèces, particulièrement avec les carnivores. Chatwin insiste beaucoup là-dessus et il est probable qu'il reste encore en nous une trace du traumatisme que causa la présence de ces prédateurs. Chatwin pense que notre espèce a pu inventer les armes pour lutter contre eux.

On peut penser en outre que le devenir de séparation, plaçant l’espèce dans un porte-à-faux l’insécurisant, celle-ci a pu trouver comme solution positive la séparation effective, par exemple avec la sédentarisation. Là les femmes ont joué un grand rôle sur lequel nous reviendrons plus tard.

L’expression séparation d’avec la nature semblait indiquer que cela plaçait cette dernière en dehors de l’homme, comme si celui-ci n’en faisait pas partie. En conséquence j’ai pensée la remplacer par séparation du reste de la nature Mais à ce moment là. on escamote le fait que l'espèce se sépare de la nature en lui. En conséquence il est préférable de recourir à la première formule Toutefois dans certains cas la deuxième peut être plus adéquate.

 

[14].  Dans Le livre de Lederer: La peur des femmes  - paru aux U.S.A en l968, ce qui n'est pas un hasard -  transparaît de façon à non avis percutante ce thème de l’absence. Toutefois il n’en parle pas. L’absence du père est due au fait que les hommes sont bloqués au stade enfant; de là leur faiblesse.

« Si nous ne rendions pas les femmes aussi inquiètes en laissant paraître notre faiblesse...’ »(p. 210

Dans tous les cas, elles la sentent. Ce qui les inquiète c’est de ne pas saisir le pourquoi de cette faiblesse.

« Avant le mariage, elles les prenaient pour des héros, après, elles se sont aperçues qu'ils n’étaient que de malheureux chevaux de trait.’ (p. 211)

L'absence engendre la déception, la frustration et, de là, l'attente de la rencontre de l’absent. « La femme attendra l’homme toute sa vie parce qu`elle aura toujours besoin de lui. » (p. 264)

« Certaines femmes s`expriment de façon étonnante: ‘Les hommes sont si faibles, si frêles. Il faut qu’on les protège. Il faut jouer le jeu, faire comme si on avait besoin d’eux, mais ne jamais compter sur eux. » (p. 264)

Elles témoignent de la séparation des sexes qui n’est pas biologique, mais est un acquis. La psychose se révèle bien ici dans sa dimension d’adaptation pour survivre.

L’absence c’est ce qui empêche l’individualité de se fonder et la conduit à la quête difficile de sa propre réalité.

 

[15] . Voici ce qu’écrivit Goethe dans son Faust:

Les mères! Cela me fait un coup chaque fois

Quel est ce mot que je ne puis entendre

 

[16] Ceci manque de précision parce qu’il semble que l’enfant soit passif. Or, son procès biologique non perturbé fait qu’il "sort" de cette symbiose sans rompre la continuité (note de mai 2010).

 

[17]. L’incapacité à être se mesure à la patience à attendre. Attente et espoir c'est ce qui reste à l’humanité vidée de tout élan profond par le triomphe du capital. Une variante. " il y a ceux qui résistent à l’oppression, tout en n’ayant aucune perspective. Résister est une attente masquée, un espoir inavoué que le cours du inonde puisse tout de même changer". Contre toute attente, 1978

 

[18]. Le phénomène de la psychose conduit à l’extériorisation de perturbations affectant la psyché. Le détournement, prôné par les situationnistes et qui eut sa vogue extrême en Mai-Juin 1968, en est une preuve. Nous traiterons brièvement de cela dans une ‘Glose en marge de la réalité’.

 

[19] Simone de Beauvoir écrit quelque chose de similaire concernant les femmes. La convergence des ceux affirmations dérive du fait, d’une part de l’évanescence de l’être et, d’autre part, d’une sorte d’intériorisation du devenir du capital qui dépend du futur, d’un faire à venir  Mais comment un devenir peut se déployer à partir d’une évanescence ? Là réside l’absurdité où s’englue désormais l’espèce. [note de mai 2010]

 

[20]. Nous avons mis en évidence le danger du phénomène qu’on nomme libération. Celle-ci en effet aboutit à un dépouillement, à un appauvrissement des hommes et des femmes. Ainsi le mouvement de libération de la femme a abouti à la perte de toute dimension féminine. Dans ce cas on est libre quand on est dépossédé, ce qu’a magnifiquement montré K. Marx dans son analyse du travail libre. 

Il faut donc bien préciser en quoi consiste la libération, en vue de quoi elle s’opère. Ce dont nous traitons dans ce texte c’est de celle de la psychose qui implique le rejet de toute dépendance, afin de retrouver l’être non domestiqué, afin de rétablir la continuité avec lui, avec le phénomène vie. La libération se manifeste en conséquence comme une mise en continuité avec réaffirmation de la spontanéité.

Le processus de libération apparaît comme un dévoilement de l’être qui a été réprimé, domestiqué. Le surgissement de celui-ci peut se faire dans une fulgurance telle, avec rejet plus ou moins durable de la psychose (libération) que s’opère ce qui a été vécu et décrit comme une illumination.

Le mouvement de mai-juin 1968 présenta un tel phénomène à l’échelle de la planète (cf. Mai-Juin 1968: le dévoilement).

 

[21]. Nous avons souvent abordé l’importance du miroir dans la représentation, tant au niveau de la psyché humaine, que dans le procès de connaissance, que dans le mouvement de la valeur. Il est également opérationnel dans les mythes où opèrent des créatures féminines comme Lorelei, Mélusine, Médée, etc.

‘En fait tout miroir est magique car tout miroir est une sorte de ‘piège à âmes et ce sont ces pièges, instruments de régression authentique, que portent avec elles les dévoreuses d’hommes » (J. Bril, Lilith ou la mère obscure, p. 96).

Toute surface réfléchissante pose  problème. Elle renvoie en quelque sorte ce qu’elle reçoit. Elle n’accueille pas comme le fait la mère qui n’est pas présente à son enfant et n’accueille pas son: désir. On comprend alors que F. Hebbel ait pu écrire cet aphorisme : « Que l’homme qui redoute à ce point la vérité ait inventé le miroir est le plus grand mystère de l’homme ». Le secret de ce mystère réside dans la mère qui est bien le piège de notre âme (homme et femme ).

D’autres personnes peuvent au cours de notre vie opérer comme un miroir, mais elles ne font que réactiver le miroir maternel.

Le maléfice du miroir réside dans le non accueil. C’est nous mêmes que nous voyons en lui, notre image. En revanche quand on est accueilli, note image est absorbée par l’autre qui nous transforme par son amour. Voilà pourquoi il y a parenté entre miroir et mirage. D’ailleurs ne dit-on pas faire miroiter quelque chose à quelqu’un. On lui en fait un mirage. Le miroir signale le début d' un phénomène, sans sa fin. D’où la solitude devant un miroir, d'où le mythe de Narcisse. 

Lacan, théoricien d’un stade du miroir chez l’enfant, se sert des mots comme de miroirs où se mire ce qu’il désire exposer. D’où sa théorisation qui se résout souvent en un jeu de mots, en un jeu de miroirs. Dans une lettre à un ami (l6 janvier 1978), je me suis amusé à un tel jeu.

« Je comprends pourquoi tu es lacanien. Lacan t’encombre l’espace et le temps. Car Lacan, c’est Là quand. Il est le là de ton être (qui sait peut-être l'élément musical, le la; alors ce son, englobant à lui tout seul espace et temps, t’accapare!). Quand? Si tu réponds jamais, toujours ou quelques fois, dans tous les cas tu es piégé; tu ne peux pas l’éviter. Ne penses-tu pas qu’avec un tel nom, il devait devenir inévitablement psychanalyste? Mais ce là auprès de ton être comme dans le Dasein, quand fut-il mis? Tu vois que là, encore, tu dépends de lui pour savoir: Et ce quand pourquoi est-il venu se loger à côté de ce là, comme pour le suspendre indéfiniment à une aspiration du temps? Une aspiration, tu vois, tu ne peux pas fuir. Il y aura toujours un quelque chose qui te reliera, qui te fera souvenir de la question et du là où tu devrais te trouver pour la poser ou recevoir sa réponse.

Mais si c’est: Là qu’en…, alors c’est pire, parce que c’est un indéterminé, c’est un commencement d’action, de n’importe laquelle. Là, qu'en aimant, là, qu’en rêvant, etc... Mais il y a là une affirmation chaque fois d'une modalité. Tu ne peux être que par lui; il te modèle; il t'offre des modes d’être. Curieux n’est-ce pas...! As-tu remarqué qu’il faut une espèce de suspension entre là et qu’en? Suspension où je loge une virgule! Suspension qui est comme un pendant de l’aspiration; et je recommence (…). 

Toutefois on trouve parfois dans l’oeuvre de Lacan des remarques qui signalent bien la psychose. Ainsi: « jamais tu ne me regardes là où je te vois ». C'est ce que peut dire l’enfant à sa mère. En effet là où il la voit, elle ne peut pas regarder, sinon elle verrait sa psychose.

 

[22]. Profitons-en pour signifier que nous sommes contre l'idée qu’il faille éduquer les enfants. On, doit cheminer avec eux pour faciliter leur épanouissement, car ils ont tout en eux. 

À plus forte raison nous rejetons l’expression: élever les enfants. Cela a un intense parfum de domestication.

« Dans un réjouissant article de 1926 sur les parents comme éducateurs, Reich sur les traces de Bernfeld, avait démontré le mécanisme de la compulsion éducatrice. L’élément central en est l’ambition insatisfaite; l'activité éducatrice se présente en effet à certains égards comme un équivalent de la névrose, si bien que les parents vivent en quelque sorte par enfants interposés. L’aspect positif de cette compulsion est la volonté de faire grandir l’enfant le plus vite, qui découle du désir de réaliser en lui ses propres aspirations. L°aspect négatif consiste, nonobstant ce désir, à ne pas être dérangé par l’enfant. Pour ce fait, l'adulte, ressentant comme provocatrices les pulsions de l'enfant, juge maladif tout ce qui est désagréable (projection des ses propres inhibitions) et le résultat en est que l’adulte ne comprend pas l'enfant, comme le neurologue de la vieille école ne comprend pas l'hystérique; il croit par conséquent en la vertu rééducatrice de sa colère. Bref, l'idéologie parentale est nécessairement traduite dans le psychisme de l'enfant. » (C. Senelnikoff, Situation idéologique de W. Reich, in L’Homme et la société, n° 11 Jan-fev-Mars 1969). 

Vouloir faire grandir l'enfant le plus vite possible, aboutit à exercer une violence sur le devenir de celui-ci et ne peut que générer de l'inquiétude en lui.

 

[23]. On peut se demander si de faire un utérus artificiel ne correspond pas à une projection de la réalité: l’utérus rigide de la mère psychosée.


 

[24] « Chaque praticien a rencontré et rencontre nombre de cas d’avortements spontanés parmi ses patientes, surtout chez les femmes qui manifestent ouvertement des sentiments ambigus envers la maternité.

Il ne suffit pas que l’enfant voie le jour pour être certain d'être le bienvenu. Dans nos types de sociétés, il est rare qu’il soit tué, mais l’hostilité maternelle peut se traduire par diverses formes de dépression post-partum, dans lesquelles on assiste à un rejet de l’enfant qui provoque évidemment, chez la mère un sentiment aigu de culpabilité, qui finit par se muer en autoaccusation.’ (La peur des femmes, pp. 62-63)

L’auteur ne signale pas un fait essentiel: lors de l'accouchement, la femme revit sa propre naissance. Cela est dû au processus de libération qui opère alors fortement car c'est un moment privilégié où la femme pourrait prendre conscience du traumatisme de sa naissance dû aux conditions dans lesquelles elle est venue au monde. La dépression post-partum doit être mise en rapport avec le tait que malheureusement la parturiente n'a pas pu écouter ce que lui disait son corps et donc perçu son être intérieur, enfant, cherchant la libération.

 

[25] La capacité de communiquer par télépathie n'est pas la seule à avoir été perdue. Nous ne comprenons plus le langage préverbal des enfants opérant grâce à la mimique et à diverses positions de la tête par rapport au corps. Les travaux de Montagner sont très éclairants à ce sujet.

 

[26] J’ai ultérieurement remplacé ce terme pas haptogestation qui me semble mieux convenir car il inclut l’action du toucher qui est déterminante. [Note de mai 2010]

 

[27]. « Or ces supports oniriques évoquent tous plus ou directement la perte virtuelle de l’intégrité physique. » (J. Bril, Lilith ou la mère obscure, p. 3l)

Ceci est très important pour notre thèse que la virtualité est présente dés que l’espèce se sépare du reste de la nature, et donc dés le début de l’ontogenèse (développement de l’enfant).

 

[28] La nécessité d‘un "porter permanent" est magnifiquement exposée par le psychanalyste Franz  Renggli. Cf. Ad
dendum 2010].


[29]. Sur le plan de l’espèce on a un discours similaire. Beaucoup de théoriciens affirment que, dés le début de son devenir, l’Homme est un tueur. J’ai réfuté cette thèse dans L’écho du temps, 1980.

Cet article visait à dénoncer à quel point hommes et femmes sont inhibés par le passé, à quel point ils sont évanescents, n'étant qu'un écho de ce qui fut. J’intuitionnais par là - sans le nommer - le phénomène de la psychose. En effet le propre de celle-ci est de nous escamoter le présent, envahi par le passé, par les émotions antérieures. Tout ce que nous faisons est déterminé par ce que nous avons vécu dans la petite enfance. Aussi ce n’est jamais le présent qui est horrible mais le passé; le premier ne fait que réactualiser le second. Concrètement: les événements présents réactualisent ceux du passé.

 

[30]. Ce couple mère-enfant manifeste le désir de la femme d’exclure l’homme.

C’est la non compréhension de l’importance centrale de la Vierge Marie qui fait que les tenants actuels du paganisme ne parviennent pas à expliquer la victoire du christianisme sur le druidisme par exemple, alors que pour eux ce dernier serait supérieur. Or, ce sont les femmes qui ont fait triompher le christianisme particulièrement dans les zones où dominait le druidisme.

À chaque moment critique au devenir historique l'Église a accru l'importance de la Vierge. Ainsi en 1950, juste avant le grand développement du féminisme, le dogme de l’ascension corporelle de la Vierge Marie au ciel, est proclamé.

 

[31]. Nous avons abondamment traité cette question en utilisant le livre de Laura et Raoul Makarius: L'origine de l’exogamie et du totémisme dans notre étude Émergence de Homo Gemeinwesen.

« Le temple fut à ses débuts le lieu sacré où les femmes venaient accoucher, puis il devint le temple-dolmen pour les inhumations’. (La peur des femmes, p. 117) Donc au début ce qui vient de la mère, à la fin ce qui retourne à elle.

 

[32]. Ces phénomènes expliquent les succès que peuvent rencontrer des pratiques comme l’eutonie ou la kinésiologie. Dans le premier cas, les traumatismes sont considérés comme étant fixés sur les os, les rendant cassants. Un os sain est souple et a une certaine élasticité. Dans le deuxième cas les fixations sont considérées comme opérant dans les muscles. Ceux-ci - comme le corps en son entier - gardent la mémoire de tout ce qui est advenu. Il est donc possible, à l’aide de certains tests, de faire révéler par le corps les traumatisme qu’il a subis et de savoir à quel moment cela s’est produit.

Toutefois ces pratiques ne s’attaquant pas aux causes des traumatismes, donc à la psychose induite par la répression parentale, peuvent apporter une rémission aux troubles, mais ne peuvent absolument pas les éliminer.

 

[33]. "La violence apparaît, se manifeste, dés qu'il y a rupture d’un procès. Elle est ce qui permet la rupture, que ce soit dans le milieu physique, cosmique, humain. Réciproquement, surtout au niveau humain, il y a exercice de la violence pour défendre l’intégrité de ce procès menacé. Elle implique la mise en branle d'énergie plus ou moins orientée et la manifestation de forces. "Violence et Domestication  à propos du devenir de l'espèce humaine de la communauté immédiate à la communauté émergée du, et intégrée dans le cosmos. 1980 

Dans cet article, j'abordais beaucoup de thèmes traités présentement.

« L’affirmation de soi - dans un monde où chacun est terriblement nié par la réalité du capital, et où la neutralité tolérante est à l’honneur - est souvent vécue par les autres comme une agression. »

« En définitive la plus grande violence que l’espèce ait produite, c’est celle qu’elle a exercée sur elle-même, en s'autonomisant et en devenant inadéquate à son être biologique. C’est cet écart devenu énorme qui cause la nécessité de toutes sortes d’interventions et de violences ».

 

[34]. Sur le plan de l’espèce, j’ai rejeté la pratique de la lamentation dans Le temps des lamentations, 1979.

 

[35]. Le verbe être est le résultat d’un immense phénomène d’abstraction. Ce serait le dernier verbe à être apparu. le passage du verbe au substantif implique à son tour un autre phénomène d'abstraction.

On dit des verbes être et avoir que ce sont des auxiliaires, qu’ils aident à exprimer, donc à élaborer des phrases. Ils sont devenus des intermédiaires nécessaires pour exprimer la pensée. Comme tout intermédiaire, ils s’autonomisent de telle sorte que finalement nous ne tendons à penser qu’à travers des réductions à quoi se ramènent les abstractions susmentionnées. Or, l’autonomisation implique une coupure dans la totalité, ce qui conduit à un solipsisme, à l'ego absolu.

Ce même processus opère sur le substantif être. D’où notre réticence à l’utiliser.

Le développement de la psychose transforme l’être en devoir être ce qui complique encore l'approche de la question.

 

[36]. À propos de la conscience phénomène très complexe et ayant diverses modalités d’affirmation, j’ajouterai ceci. La conscience qui s'affirme dans l'être humain, féminin apparaissant au monde est en rapport à l’innéité, à l’instinct de vie. C’est celle qui est déterminée par toute l’évolution du phylum Homo. La situer est une des raisons qui me fit entreprendre la rédaction de Émergence de Homo Gemeinwesen. On a d’abord la conscience intime, intimement liée à l’être. Dés que celui-ci se manifeste en accédant au monde, cette conscience intime va s'épanouir en une conscience immédiate de cet être dans le monde où existent ses semblables, les humains, tous les êtres vivants. De là s’élaborera une conscience réflexive particulièrement lors de l’acquisition du langage verbal qui permet d’atteindre une participation plus élaborée au cosmos, une jouissance extraordinaire de la présence à celui-ci et par la représentation L’individualité accède alors à son plein épanouissement sans s’autonomiser Tel est le schéma du devenir conscientiel de Homo Gemeinwesen qu’il faudra expliciter.

J'ai déjà abordé cette question dans Contre la domestication 1973. J’ajouterai, pour le moment, que la conscience est l’expression de la mise en continuité; c'est la science avec, en communauté. Elle s’affirme soit en tant que totalité en tant que présence au monde, soit en tant que modalité, la conscience de quelque chose. C’est alors le procès qui révèle la continuité avec cette chose qui en signifie la saillance.

Sur tous ces aspects, il me faudra revenir.

La notion de surconscient de P. Diel me semble se rapprocher quelque peu de ce que nous nommons conscience intime - conscience spontanée parce qu’elle a tendance à surgir pour s’épanouir - qui est masquée par l’inconscient provenant du refoulement et par la conscience répressive.

« Visiblement, Diel pensait qu'un saut évolutif avait propulsé l'homme hors du monde animal.( ... )

« Par contre, dans l’homme, l’instinct n’existe plus comme instance de direction. Les mêmes informations qui s’imposaient dans l’animal sont maintenant émises d’une zone de l’inconscient, que Diel appelle le surconscient.’ (P.H. Meunier: La psychologie de la motivation, une approche introspective de la spiritualité, in Le chant de la Licorne’, n°21, 1° trimestre 1988.

D’autre part, il est amené à ajouter à l’inconscient, un inconscient maladif: le subconscient.

Comme il ne va pas à la racine - la répression par les parents - ce qu'il appelle conscience est en fait la conscience répressive. Son absence de radicalité explique son affirmation: « La maladie psychique est l’incapacité de rétablir l’équilibre entre le désir et la réalité .» qui traduit un escamotage de tout le procès de la psychose, car qu’est ce qui fait que la réalité ne peut pas contenir ce qui doit satisfaire le désir? Faire appel à l'imagination délirante ne répond pas à la question, mais en engendre une autre: qu’est ce qui cause le délire?

 

[37]. Ce comportement de libération fut à quelques modalités prés celui que j'adoptai, sans pouvoir toujours y être fidèle, dés que je décidai de rompre avec cette société, en 1953 en entrant dans la mouvance de la gauche italienne, et que j’affirmai, résolument, en 1969 lors de la rupture avec tous les rackets.

La nécessité d’une immense ouverture et d'une vigilance furent particulièrement affirmées dans Perspectives 1969, et dans Discontinuité  et immédiatisme, 1977. 

La présentation du processus libérateur est effectuée en fonction d’éléments fondamentaux objectifs et selon mon devenir personnel.

 

[38]. Nous trouvons confirmation de notre thèse dans le passage suivant: À ces différents aspects de la frustration angoissante vont correspondre des attitudes réactionnelles ou adaptatives dont les productions élaborées se retrouveront à la clef des attitudes des productions culturelles. Ainsi naîtront mythes, épopées, légendes, etc. »  (Lilith ou la mère obscure, p.29)

Je livre à la réflexion interprétative des lecteurs, cette autocaractérisation de Newton peu avant sa mort. « Pour moi, il me semble n'avoir été qu'un enfant jouant sur la plage, tout au plaisir de trouver, de temps à autre, un galet plus lisse ou un coquillage plus joli qu'à l’ordinaire, tandis que le grand océan de la vérité s'étendait inexploré devant moi. » Cité par L. Verlet in La malle de Newton, Ed. Gallimard. Dans une autre traduction de la fin de la phrase nous trouvons « le grand océan de la vérité dans la totalité de son mystère ».

Nous avons une interprétation que nous pensons exposer dans un petit article sur Newton, personnage nodal en ce qui concerne le procès de connaissance.

 

[39] Spéciogenèse conviendrait mieux ici.

 

[40] Il en fut de même pour le théâtre. Mise à part la période actuelle du XX° siècle, ce fut effectivement au XVII° siècle qu'il connut sa plus grande floraison.

 

[41] Ce qui permet de pallier le manque dû au fait de ne pas avoir été porté. Cf. note 28 [note de mai 2010]

 

[42]  Pour manipuler une chose il faut lui donner une forme. Sur cette thématique voir: Forme - Réalité-Effectivité - Virtualité.

 

[43] Les psychanalystes, Freud en premier, ont enflé démesurément la concurrence entre père et fils pour, avec le meurtre du père, point d’aboutissement de cette dernière, avoir un acte fondateur de la société. Toute aberration est fondée sur une donnée réelle. Là encore se manifeste la psychose.

 

[44]  Une étude sur l’origine de la pensée magique demanderait de très amples développements. Nous essayerons de l'aborder ultérieurement.

 

[45]  Hegel qui désirait surmonter toutes les contradictions et parvenir à la réconciliation totale pensait que la substance devait devenir sujet. Ajoutons que le surgissement de l’esprit n'est pas sans rapport avec le ressenti de l’être jeté dans le monde. La souffrance de Hegel se dévoile par exemple dans ce passage.

"L'être libre, c’est celui qui peut supporter la négation de son immédiateté particulière (die Negation seiner einzelnen Unmittelbarkeit), la douleur infinie, c’est-à-dire se conserver affirmatif dans cette négativité." On conçoit fort bien qu’il puisse parler d’un travail de l'Esprit!

 

[46] Ceci nous tait penser à la théorie de Lucrèce au sujet de la vision. Il pensait que c’était à partir de l’œil  qu’étaient émis des simulacres.

 

[47]  À propos de la démocratie, reportons cette remarque de Ph. Quéau, parce qu’elle exprime bien son essence: la séparation. « On relie pour unir, on élit pour séparer ». (Le virtuel », p. 95)

Et ceci nous fait souvenir de ce palindrome (groupe de mots qu’on peut lire dans un sens comme dans l’autre, le sens étant conservé. Admirez la duplicité démocratique): « élu par cette crapule ».

Être élu c'est être séparé. Ceci vaut également sur le plan spirituel, religieux. On y reviendra.

 

[48] L’extériorisation, qui apparaît comme un moment de l’aliénation, permet à l’individu, à travers transferts et projections, de se désencombrer, en même temps cela peut introduire un effet distanciateur qui lui permet de voir et, dans certains cas, de se libérer.

Ajoutons à propos de l’oubli total, que les gnostiques avaient perçu le phénomène et le traduisirent dans leurs « mythes » auxquels nous avons fait allusion p.34

 

[49] Newton fut abandonné tout bébé par sa mère. Grâce à l'alchimie il cherche à la fois un substitut et une autonomie en tant qu'individualité, c’est-à-dire qu’il veut se substituer à sa mère. On peut penser qu’il ne parvint pas à ses fins puisqu’il abandonna ses recherches pour privilégier la voie scientifique en vue de démontrer le rôle de dieu dans l’organisation de l’univers. C’était la voie du père.

 

[50] En ce qui concerne la question de l’intervention que nous avons également mentionnée page 46. Nous l’avons abordée ailleurs .Nous la reprendrons en même temps que nous étudierons l’imagination et son rapport à la conscience évoqué page 37.

 

[51] C’est le mot que je préfère pour désigner le mouvement qui porte l’individualité vers une autre ou vers un objet. Dans tous les cas il y a un mouvement pour maintenir une continuité.

Je ne rejette pas le mot besoin, même s'il est sémantiquement chargé négativement puisqu’il est en rapport avec besogne (mais peut-être avec soin). Le besoin ne traduit pas obligatoirement un manque. Dans l’ordonnancement naturel, il y a toujours quelque chose qui satisfait un besoin. Parler de façon absolue de manque reviendrait à entériner une coupure extérieur-intérieur. En fait le manque est structuré par la privation qui surgit quand fait défaut la continuité. L’enfant à qui la mère ne donne pas le sein réclamé, est privé de nourriture. Il vit un manque effectif. La privation est une forme de séparation' puisqu’elle empêche l'union normale de se réaliser.

Un manque désigne un état défini, la privation indique le mouvement de la répression. Le manque signale l'absence de quelque chose, mais d’un quelque chose accessible. Dans le cas de la privation, l’accessibilité n’existe qu’à certaines conditions. C'est à partir du moment où du manque on passe à la privation que surgit le doute qui s’exprime dans une interrogation. `Y aura-t-il possibilité de trouver ce qui peut satisfaire notre besoin?

On peut penser que le phénomène de la propriété privée en excluant les autres de l’accès à l’objet détenu par le propriétaire, fonde le manque. On comprend que les théoriciens, adversaires de la propriété et partisans du communisme, aient pu également fonder une théorie des besoins, plus exactement de la réalisation des besoins de l’espèce, lui permettant de surmonter ses manques. Mais, ce faisant ils restaient dans l'extériorité et, surtout, ils péchaient d’immédiatisme, parce que c'était se déterminer par rapport à un advenu qui fige hommes et femmes dans des besoins donnés, souvent transitoires. Ou bien cela rejoint la théorie de la pénurie originelle, fondatrice des besoins et des manques, point de départ à un devenir de réalisation des premiers au bout duquel l’homme, la femme ne seraient plus démunis.

Selon certaines définitions, le besoin implique une exigence naturelle, une nécessité et une complétude. On retrouve l’idée de maintenir une continuité. Dans tous les cas je préfère utiliser ce mot uniquement sur un plan biologique, pour signifier la nécessité immédiate de quelque chose pour que le procès de vie physiologique puisse se réaliser.

Ce qu’il y a d’intéressant dans ce que désigne le mot désir, c’est le souhait de la présence. Quand je désire, j’affirme ma présence en même temps que celle d'une personne, ou d’une chose, vis-à-vis de laquelle je me rapporte. 

Pour revenir à la tendance, j’ajouterai qu'elle est la manifestation spontanée d’un possible en l’individualité et, ce qui me semble essentiel, c’est qu’elle inclut le but vers lequel tend ce possible.

Enfin qu’il s’agisse de besoin, de désir, de tendance, s'il n’est pas possible d’atteindre le but, il y a dépendance. Ceci apparaît peut-être de façon plus saillante avec le besoin.

A. Janov parle beaucoup de besoins. Il n’est pas question d’affronter sa position dans le cadre de cet article. Nous le ferons ultérieurement et nous nous contentons pour le moment de souligner l’importance. Nous le ferons ultérieurement et nous nous contentons pour le moment de souligner l’importance de son oeuvre, particulièrement son livre L’amour et l’enfant.

 

[52] L'information retenue peut correspondre à la variable cachée des scientifiques.

 

[53] Précisons encore une fois que nous avons brièvement présenté un phénomène dans sa genèse phylo et ontogénique, mais que nous n’avons pas analysé, d’une façon tendant à l’exhaustivité, son développement ni surtout les modifications qu’il a subi lors de l’advenue de chaque traumatisme. Celui-ci étant lié à une séparation toujours plus intense d’avec la nature.

L°évolution des modalités de la psychose peut s’analyser à travers les représentations, ainsi elle se perçoit fort bien à la lecture de Études sur le temps humain de G. Poulet. Ed. Press poquet.

 

[54]  Nous avons souligné l'errance de la nature dans le programme de l’association Régénérer la Nature, ainsi que dans des lettres avec des membres de cette association.

 

[55]  Dans une étude ultérieure nous essaierons d'expliquer pourquoi la répression parentale n'a pas pu être reconnue plus tôt. D’autres questions également n’ont pas été abordées, en particulier celle de la mort. À ce propos seulement ceci: hommes et femmes ne meurent pas, ils, elles,  se détruisent.

 

[56] Toutefois une libération effectuée sous la contrainte serait la réalisation du rejouement de la répression. [note de mai 2010].

 

[57] Dans son livre A world .without  women’(Un monde sans femmes), David V.Noble met en évidence comment les moines, puis les savants poursuivirent le but d'éliminer les femmes. Dans un second livre, qu’il annonce: The masculine Millenium (Le millénaire mâle), il vise à aborder le rôle de la technique dans cette élimination :

Carolyn Merchant fournit beaucoup d’indications précieuses sur le même thème dans son livre The death of nature (La mort de la nature).

 

[58] En 1972, au cœur du second ébranlement profond de la société-cornmunauté, au moment où tout - sauf la répression parentale - était remis en cause, nous avons projeté d'écrire un article: De la vie. C’est fait!